Japan Analysis La lettre du Japon
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Japan Analysis La lettre du Japon 35 Octobre 2014 Assurer la compétitivité et l’attractivité du Japon en 2014 : ambitions du gouvernement Abe, réalités et enjeux. ANALYSE DE L’ACTUALITÉ 1. Les Abenomics, 18 mois après – Jean-yves Colin 3 2. Grands travaux et ambition d’excellence : « Tōkyō 2020 », une aubaine pour le gouvernement d’Abe Shinzō – Xavier Mellet 11 POINTS DE VUE D’ACTUALITÉ 3. Komatsu Masayuki, « De l’art de contredire les étrangers pendant les conférences internationales », Chūō Kōron, novembre 2013 (Traduction de Sophie Buhnik) 19 4. Tsuji Takuya, « Concentrons nos investissements dans les aires urbaines centrales de nos régions », Chūō Kōron, juillet 2014 (Traduction d’Arnaud Grivaud) 24
ÉDITORIAL Ce numéro 35 de Japan Analysis s’inscrit dans Il ne s’agit pas de la première politique de la continuité d’un numéro 34 dédié à l’ouverture relance et de sortie de crise qui, depuis la fin du Japon au monde, en interrogeant cette de la « bulle », défend l’attractivité du Japon fois-ci les initiatives prises sous l’égide du en parlant de son renouveau. L’originalité de la gouvernement Abe pour assurer l’attractivité conjoncture politique actuelle réside cependant du Japon, entachée depuis la catastrophe de dans la majorité solide dont le gouvernement Fukushima. En avril dernier, le Premier ministre Abe dispose à la Diète. L’absence d’opposition a fait diffuser un message vidéo où il n’hésite suffisamment structurée autorise ce dernier à pas à vanter dans la langue de Shakespeare mettre en place des réformes de moyen-terme les changements que connaît le Japon, ambitieuses et audacieuses. C’est le cas des et qui font de ce pays un environnement plus Abenomics (ou l’Abénomie en français) par favorable aux investissements étrangers. la masse des dépenses consenties et par Pour investir, « c’est maintenant le meilleur l’approche intégrée et frontale de réformes moment, le Japon que vous voyez est différent monétaires, fiscales et économiques, mais de celui d’il y a dix ans. Le Japon est en plein aussi sociétales. Pour autant, les réalisations changement ». Ce message est l’un des qui assoient le changement du Japon, se pivots d’une campagne publicitaire intitulée fondent en partie sur des dispositifs de “Invest Japan”, coordonnée par l’Organisation politiques publiques expérimentés au Japon japonaise du commerce extérieur (Japan ou dans d’autres régions du monde, et aux External Trade Organisation ou JETRO) pour résultats souvent mitigés : l’événementiel – soit saluer l’attractivité retrouvée du pays, futur l’organisation d’un événement mondial majeur hôte des Jeux olympiques de 20201. tel que les Jeux olympiques pour avancer des objectifs de redéveloppement urbain 1 “Now is the time, the best time, I should say, the Japan you are looking at is different from the one you Premier ministre intitulé “Open the Door to Success in saw 10 years ago. Japan is undergoing changes”. Le Japan : Message from the Prime Minister Shinzo Abe”: site Internet de JETRO propose un message vidéo du http://www.jetro.go.jp/en/invest/. Japan Analysis • 1
– ou l’appel au BTP – les principales villes la population japonaise, sous l’effet de soldes japonaises voyant de nouvelles infrastructures naturels et migratoires négatifs. Tsuji Takuya fleurir grâce à des changements ad hoc des s’intéresse ainsi aux possibilités de mieux réglementations d’urbanisme. répartir les richesses au sein d’aires urbaines polarisées. Derrière l’argument d’une attractivité retrouvée du Japon, il nous est paru pertinent d’interroger ses dimensions économique et matérielle, et Sophie Buhnik et Xavier Mellet d’analyser ainsi la réalité des changements en cours et les enjeux qu’ils représentent. Dans la première analyse de ce numéro, Jean- Yves Colin dresse ainsi le bilan, 18 mois après son lancement officiel, des fameux Abenomics. Si de nombreux problèmes demeurent, l’ambition politique du gouvernement Abe a eu le mérite de restaurer la confiance des acteurs économiques. Le verre est donc à moitié plein. Parallèlement, une partie essentielle du territoire japonais a les moyens de se projeter jusqu’en 2020 grâce à l’organisation des Jeux olympiques : une véritable aubaine pour la majorité et pour l’attractivité globale de Tōkyō. Toutefois, le caractère spectaculaire d’un tel événement ne peut ignorer la question de la valeur à long terme des aménagements prévus, comme le souligne l’analyse de Xavier Mellet sur la liste des projets annoncés. Le fait que le Premier ministre ait choisi de s’adresser aux investisseurs en anglais plutôt qu’en japonais sous-titré n’a rien d’un acte anodin. La traduction de Sophie Buhnik nous explique que, pour le diplomate Komatsu Masayuki, l’heure est venue pour les Japonais de combler de combler le retard accumulé dans la maîtrise de l’anglais, afin d’imposer plus efficacement les vues japonaises lors des négociations internationales, condition selon lui de l’insertion du Japon dans les affaires du monde. Enfin, la traduction par Arnaud Grivaud d’une réflexion de Tsuji Takuya questionne les conséquences de politiques de régénérations urbaines qui tendent à profiter avant tout aux grandes villes, et en premier lieu à la capitale, au détriment des régions les plus durement touchées par le déclin accéléré de 2 • Octobre 2014 n°35
ANALYSE DE L’ACTUALITÉ 1. Les Abenomics, 18 mois après. 2014 à la publication d’un recul du PIB du 2ème trimestre 2014 évalué à 6,8 % en termes - Jean-Yves Colin annuels). Depuis sa victoire électorale à la mi-décembre Dix-huit mois plus tard, il est toujours difficile 2012 à la Chambre basse de la Diète – qui ou prématuré d’affirmer que les Abenomics constitua surtout la défaite du Parti démocrate ont réussi ou échoué : des signes de sortie de du Japon (PDJ) – Abe Shinzō a fait de son la déflation qui a accompagné ces « décennies projet économique communément appelé perdues » sont perceptibles. Mais le paysage Abenomics un marqueur emblématique économique japonais n’a pas pour autant de son retour au pouvoir et le signal d’une significativement changé, et la hausse de la révolution, plus que d’une évolution, de son TVA de 5 à 8 % intervenue au 1er avril 2014, pays, après deux décennies que beaucoup suivie du recul du PIB, a ouvert une seconde ont jugé perdues. période pendant que les réformes structurelles se font toujours attendre. Le démarrage des Abenomics a suscité, au- delà du Japon, de la part des observateurs Les deux dimensions des Abenomics étrangers, un intérêt d’autant plus fort que les pays intéressés craignaient d’entrer dans Comme toute politique économique, les une « déflation à la japonaise », et qu’ils y Abenomics ont une double dimension : l’une ont cherché un remède transposable. Après est technique et l’autre est politique. une phase d’enthousiasme euphorique, cet intérêt a ensuite perdu en intensité, La dimension technique est illustrée par le voire s’est transformé en scepticisme ou en carquois de « flèches » d’Abe. La première déception (« Serait-ce le chant du cygne des « flèche » a mis en cause la gouvernance Abenomics ? » écrivait Le Figaro du 14 août de la Banque du Japon (BoJ) et prôné un Japan Analysis • 3
changement de son action. Elle s’est traduite mais aussi à l’opinion publique. Celle-ci était à par un événement rare dans le monde discret la fois lasse des années de faible croissance et des banques centrales, le départ anticipé de par l’absence de leadership politique, et encore son gouverneur, Shirakawa Masa’aki. Certains « sonnée » par le grand tremblement de terre ont estimé compromise l’indépendance du 11 mars 2011, par les conséquences de de la banque centrale acquise à la fin des la catastrophe de Fukushima sur le recours à années 1990, dans un mouvement général l’énergie nucléaire ou par la hausse de la TVA. d’éloignement des gouvernements et des Elle a espéré qu’en retrouvant la croissance ministères des Finances, envisagé comme un elle bénéficierait de hausses salariales et d’une rempart contre les « méfaits » des années 1960 réduction du chômage – dont le taux certes à 1980 (inflation, stagflation et abondance des faible, (environ 4 %) au regard des standards liquidités qui a conduit aux bulles boursière européens et même américains, masque une et immobilière de la fin des années 1980) et précarisation de l’emploi et des difficultés dans une tentative de sortir de Japon de sa nouvelles d’accès au marché du travail pour crise économique en regagnant la confiance les jeunes diplômés –, renouant ainsi avec le des marchés. La nomination du gouverneur pacte social qui a très longtemps lié le PLD, Kuroda Haruhiko, un ancien du ministère son électorat et une majorité silencieuse. des Finances, a pu être perçue comme un « retour en arrière », une mise sous tutelle Le gouvernement Abe a ensuite lancé deux de la BoJ par le gouvernement Abe plus autres flèches : un grand programme de encore que par le ministère des Finances. travaux publics de 13 100 milliards de yens Le nouveau gouverneur a rapidement autorisé (environ 100 milliards d’euros) et l’annonce l’émission de liquidités très importantes (de de vastes réformes structurelles, destinées à 50 000 à 70 000 milliards de yens par an), consolider le choc de confiance et à pérenniser gonflant considérablement le bilan de la BoJ, la relance attendue. ce qui a abouti à l’envolée ininterrompue de la Bourse de Tokyo, de 80 % en 5 mois, Les Abenomics ne sont cependant pas jusqu’à un niveau de plus de 15 000 points. dépourvus d’aspects strictement politiques. En parallèle, la devise nippone s’est dépréciée Ils visent d’abord à réinstaller le PLD en tant de 20 à 30 % selon les devises concernées que force conservatrice au centre de la vie (de 80 à 100 yen pour 1 dollar), faisant espérer politique japonaise, en faisant oublier les une reprise des exportations, surtout celles trois médiocres années du PDJ mais aussi la des grandes entreprises automobiles et période, très perturbatrice pour les caciques électroniques fortement concurrencées par de ce parti, du gouvernement Koizumi (2001- des compétiteurs coréens, chinois, taïwanais 2006). Cela a été démontré en contre-point ou allemands, et qui ne cessaient de protester par les critiques de Koizumi, qui menaçait contre le endaka2. autrefois de faire éclater le « vieux » PLD, et qui s’est positionné contre le candidat officiel Cette première flèche a créé un choc de du PLD lors des élections à la mairie de Tokyo confiance. C’est son plus grand mérite. Elle au début de 2014. Abe Shinzō ambitionne a redonné espoir aux milieux d’affaires, alliés également de redonner une nouvelle fierté traditionnels du Parti libéral-démocrate (PLD), au Japon, et la réussite des Abenomics parallèlement à une politique étrangère de 2 Le endaka signifie littéralement « yen cher » et fermeté en est une condition nécessaire. Sur désigne une période de réévaluation plus ou moins brutale de la valeur du yen par rapport aux autres devises un plan personnel qui ne peut être ignoré, internationales. cette réussite doit enfin servir à lui assurer 4 • Octobre 2014 n°35
une réputation politique égale à celles de son intérêt politicien dans les débats à la Diète –, père Abe Shintarō et de son grand-père Kishi mais de manière heurtée et avant tout grâce Nobusuke, et à effacer la mauvaise image de un premier trimestre 2014 dopé par la future son premier gouvernement (2006-2007). hausse de la TVA. Les Abenomics sont-ils en passe de L’année 2013 a en effet commencé avec réussir ou d’échouer ? une croissance soutenue du PIB réel de 1,3 % en variation trimestrielle ou t/t Le début de l’année 2013 a donné le sentiment (+ 5,3 % en termes annuels) ; elle a ensuite d’un succès rapide grâce à la hausse des ralenti à 0,7 %, 0,3 % et 0,1 % pour chacun indices boursiers, à la baisse du yen et à de des trimestres suivants. Le résultat du bonnes statistiques de croissance. Les mois dernier trimestre 2013 est cependant à suivants ont tempéré cette impression. observer en liaison avec celui du premier trimestre 2014, dont le niveau élevé de Un premier accroc est intervenu en mai 2013 : + 1,6 % (soit + 6,7 % en termes annuels) la croissance des indices Nikkei et Topix a pris est dû, au regard de la hausse de la TVA, fin, l’indice Nikkei est retombé d’environ 15 000 à une anticipation de la consommation à 13 000 points et est surtout redevenu plus (+ 2,2 % t/t) et de l’investissement volatil. Entre l’automne 2013 et la mi-2014, le (+ 4,5 % après des trimestres variant entre Nikkei a retrouvé un niveau de 15 000 points + 2 et +2,5 % en 2013), ainsi qu’à une mais ne va guère au-delà. Dans un premier augmentation des exportations (+ 6 %) temps, la baisse du Nikkei a été imputée à un accompagnée de celle des importations recul de l’activité en Chine ou aux hedge funds. (+ 6,3%), également liée à l’effet TVA. En réalité, la volatilité de l’indice boursier traduit l’insuffisante base d’investisseurs nationaux Cet effet très positif marquant le premier personnes physiques après plus de 20 ans trimestre 2014 a été annulé par la de bear market3. Elle est aussi la preuve de contre-performance du 2e trimestre la dépendance du marché boursier nippon (- 1,7 % t/t, soit - 6,8 % en variation annuelle) due aux « news de marché » venant de l’étranger aux mêmes composantes : en particulier en (de Chine ou de Wall Street en particulier). raison d’un recul marqué de la consommation Ce plafonnement autour de 15 000 points a privée traduisant très certainement l’impact marqué la fin de l’état de grâce qu’ont connu de la hausse progressive des prix, du prix les Abenomics. de l’énergie en particulier et peut-être d’une relative déception vis-à-vis des anticipations Après dix-huit mois, les résultats économiques salariales attendues. sont mitigés, le verre à demi-plein : - Pour autant, les Abenomics ont eu un effet - Les Abenomics ont fait « redémarrer » positif sur l’activité des entreprises : alors l’économie nippone en 2013, en année qu’au cours des dernières années, celles-ci calendaire (+ 1,5 %) mais surtout en année utilisaient leurs ressources financières à se fiscale (+ 2,3 %) – ce qui n’est pas sans désendetter et à accroître leurs trésoreries, elles ont commencé en 2013 à réinvestir, 3 Un bear market ou « marché de l’ours » décrit une y compris les entreprises petites et moyennes, situation où une baisse durable des cours de la bourse comme le soulignent les enquêtes Tankan est attendue, à l’inverse du bull market ou « marché de la BoJ. Les dernières statistiques de du taureau » caractérisé par des tendances haussières commandes d’équipements (+ 17,1 % de durables. juin sur mai, + 14,4 % t/t et même + 2,9 % Japan Analysis • 5
en estimé du 3e trimestre pour le seul secteur les Abenomics ont été favorables aux privé) confirment cette tendance positive. grandes entreprises comme celles du secteur - L’évolution de l’indice des prix à la automobile – les résultats financiers de Toyota consommation trace une perspective de pour l’année fiscale 2013 en attestent, avec sortie de la déflation après quatre années un quasi-doublement du résultat net à plus de baisse des prix (presque – 2 % en 2009 de 190 milliards d’euros – bien que l’effet de et - 0,7 % en 2010, suivi de - 0,3 % en la dépréciation du yen tende à s’estomper 2011 et d’une stabilité de l’indice en 2012). avec le temps. Au demeurant, si les grandes L’été 2013 a marqué une évolution positive : entreprises savent plaider en faveur d’un l’inflation en termes annuels a atteint 0,7 % en yen faible depuis les années 1980, elles juillet, en nette accélération par rapport à juin savent aussi qu’elles ne peuvent fonder leurs (0,4 %) et mai (0 %). En définitive, la hausse politiques commerciales sur la seule évolution de l’indice s’est établie à 0,4 % en 2013. de cette monnaie ; les 25 dernières années Encore faut-il souligner que cette évolution doit démontrent le bien-fondé d’une politique beaucoup à celle des produits énergétiques4. visant à se libérer de la contrainte des changes. L’augmentation de TVA en avril a introduit un saut statistique de l’indice qui, depuis mai, Il est exagéré d’attribuer les résultats croît à un rythme annuel de + 3,4 % (indice enregistrés en 2013 et dans la première moitié de juillet 2014), toujours avec un sous-jacent de 2014 aux seuls mérites des Abenomics ou énergétique très fort. Ces évolutions rendent à leur avant-gardisme. Le Japon a notamment confiante la BoJ dans la capacité de tenir bénéficié d’une amélioration de la conjoncture l’objectif gouvernemental de + 2 %. mondiale, notamment aux États-Unis. À l’inverse, la récente révision des prévisions - S’agissant du commerce extérieur, les de croissance par le FMI pour 2014 aux Abenomics ont un effet contrasté. Depuis la États-Unis, et pour 2014 et 2015 en Europe mi-2013, le déficit commercial varie entre une et en Chine peut compromettre la politique zone basse de 800 à 900 milliards de yens économique d’Abe. Cette politique est-elle et une zone haute de 1 300 à 1 500 milliards d’ailleurs si nouvelle que certains observateurs par mois (hors mois exceptionnels) ; le déficit (notamment étrangers) l’ont parfois affirmé commercial de l’année civile 2013 a atteint péremptoirement ? Ce qui est réellement un record de 11 475 milliards, soit près de nouveau, c’est l’ampleur des montants de 85 milliards d’euros au cours du yen de fin liquidités injectées par la BoJ. Les Abenomics 2013. Le commerce extérieur nippon est mélangent une politique monétaire audacieuse contraint par les importations de produits et des recettes comme la dépréciation du yen énergétiques depuis le drame de Fukushima ou un programme des travaux publics qui sont et dépend de l’évolution de la demande de une pratique traditionnelle du PLD. ses principaux partenaires (Chine, États- Unis et Europe). La hausse des importations Quelle réalité pour la troisième flèche des pèse lourdement sur les PME principalement Abenomics ? orientées vers le marché intérieur. En revanche, Les interrogations autour de la croissance 4 Le prix des produits énergétiques a augmenté de du PIB, de l’ampleur et de la nécessité d’un 5,8 %, dont 7,1 % liés à la hausse des importations de plan de soutien ainsi que de la hausse de la produits pétroliers et de GPL, de la situation énergétique TVA – et de son éventuelle seconde hausse du pays après le « 3/11 » et à la baisse du yen, l’euro valant désormais environ 135 yens et le dollar américain de 2 points en octobre 2015 – illustrent le environ 100 yens. dilemme permanent auquel est confronté le 6 • Octobre 2014 n°35
Japon, même s’il ne lui est pas spécifique : Parmi les mesures techniques figure le faut-il privilégier le redressement des projet de baisse de l’impôt sur les sociétés finances publiques ou au contraire le soutien actuellement fixé à 35 %, dès la prochaine conjoncturel à l’économie ? année budgétaire (débutant en avril 2015) selon les propos mêmes d’Abe. Les modalités Cette question ancienne garde son actualité, n’en sont pas encore connues : fixation d’un avec un niveau de dette publique de 224 % du nouveau taux variant dans une fourchette de PIB en 2013, en estimé, qui avait cru jusqu’à 20 à 30 % ou baisse par paliers successifs, 230 % en 2014, eu égard à un déficit public établissement d’un lien avec la hausse de la proche de 9-10 % du PIB (estimations de TVA au-delà de 12 %, mise en place parallèle -10,6 % pour 2013 et de -8,3 % pour 2014 d’allégements fiscaux pour accélérer la contre de -8,9 % en 2011, -9,9 % en 2012). reprise de l’investissement et de réduction Le ministère des Finances rappelle l’objectif d’avantages fiscaux spécifiques sous couvert de réduction par deux du déficit primaire de simplification administrative. Une question durant la période 2010-2015 et s’oppose se pose : cet aménagement conduira-t-il à traditionnellement à une baisse de l’impôt sur revoir la trajectoire des finances publiques ? les sociétés et à un « troc » entre fiscalité des ménages et fiscalité des entreprises. Jusqu’à Par ailleurs, le gouvernement souhaite présent, l’absorption de la dette publique par modifier la politique d’allocation d’actifs l’épargne privée a préservé le Japon d’une du Government Pension Investment Fund crise de confiance, mais personne ne sait quel (GPIF, nenkin tsumitatekin un’yō) : ses serait le facteur déclenchant d’une telle crise et 120 000 milliards de yens (entre 860 et les commentateurs ont beau jeu de s’en faire 890 milliards d’euros) sont répartis en périodiquement les annonciateurs. obligations aux deux tiers (dont plus de 50 % en obligations privées) et un tiers en Sachant d’une part que la politique monétaire actions (étrangères et nationales en parts ne peut pas tout, que la BoJ elle-même est presque égales) avec un reliquat en liquidités peu désireuse de l’assouplir de nouveau L’objectif est de ramener la part obligataire au vu des chiffres d’activité économique et à un niveau légèrement supérieur à 50 % d’inflation, et que sa pérennité dépend en et donc d’accroître celle en actions ou en grande partie de celles de la Réserve fédérale produits « dynamiques ». Cette évolution, bien des États-Unis (et accessoirement de la accueillie dans son principe par les marchés BCE ou de la Banque d’Angleterre), et que financiers, devra être approuvée par une loi d’autre part la politique budgétaire est sous car elle a des implications organisationnelles. contrainte, le gouvernement Abe a annoncé Le GPIF a été géré avec prudence et sa dès sa constitution « confirmer l’essai » transformation en un organisme du type du par sa troisième flèche, celle des réformes Government Pension Fund-Global norvégien structurelles. (qui gère plus de 600 milliards d’euros d’actifs) ou d’autres (comme le GICS singapourien Celles-ci sont en fait écartelées entre mesures ou le CIC chinois) ne se fera pas facilement : techniques, pas nécessairement faciles à ses effectifs (de 80 personnes aujourd’hui) mettre en œuvre, et réformes sociétales, devront être renforcés pour être mis au niveau politiquement délicates et aux effets à très long des « standards de marchés », à la fois en terme. termes de compétences et de rémunérations, tandis que ses processus décisionnels et de contrôle seront probablement revus. C’est Japan Analysis • 7
une réforme apparemment technique mais de C’est davantage l’objectif des réformes grande ampleur dans un contexte de déclin sociétales. Parmi celles-ci, figurent le recours démographique et d’impact significatif pour à l’emploi des femmes5, la dérégulation de l’État et les bénéficiaires du GPIF. l’agriculture, du marché du travail et de celui de la santé, ou l’acceptation d’une immigration Globalement, le comité pour la revitalisation plus ouverte que jusqu’à présent. Si le premier des marchés financiers et des capitaux point ne fait guère débat dans son principe a publié en juin 2014 ses préconisations auprès de l’opinion (comme l’a montré la ordonnées autour de quatre grands objectifs : mise en cause publique et humiliante d’un (1) renforcer la gouvernance d’entreprise politicien « machiste » de l’assemblée de la pour attirer l’investissement national et métropole de Tōkyō, Suzuki Akihiro), il se étranger, (2) promouvoir la gestion des actifs heurte à des difficultés très concrètes comme et l’innovation financière afin de construire une la création d’un véritable réseau de crèches base d’investisseurs personnes physiques (le gouvernement annonce leur augmentation de long terme, (3) contribuer au potentiel de d’un tiers d’ici 2019). En revanche, l’immigration croissance en Asie en améliorant les institutions même contrôlée ne fait pas l’unanimité. Ainsi et infrastructures financières japonaises, et peut-on rappeler le propos datant de 2005 (4) développer des professionnels financiers à d’Asō Tarō, ministre très proche d’Abe, qui fortes compétences et globalisés. L’ensemble soulignait que le Japon était le seul pays au se décline en une série de mesures spécifiques monde à n’être constitué que « d’une culture, (création d’un marché des futures pour le d’une civilisation, d’un peuple et d’une nouvel indice JPX-Nikkei 400, amélioration langue »6. En fait, la politique d’immigration des dispositifs d’audit, introduction des de l’actuel gouvernement envisage d’abord prêts subordonnés et des techniques de d’attirer des travailleurs étrangers aux « LBO » pour la Japan Bank for International compétences spécifiques, ou des travailleurs Cooperation/JBIC, code de corporate peu qualifiés dans des secteurs en manque governance…). de main-d’œuvre comme le BTP. Quant aux mesures de déréglementation, leur mise en À ces dispositifs s’ajoute la création fin 2013 œuvre législative impliquera de combattre des de zones économique spéciales à Tōkyō, groupes de pression – agricoles notamment – Ōsaka, Fukuoka, Niigata, Yabu et Okinawa. qui ont été les soutiens les plus fidèles du PLD. Hormis pour cette dernière, il ne s’agit pas de développer des régions économiquement 5 Voir Corbel Amélie, « Réflexions sur la troisième délaissées, mais de s’appuyer au contraire flèche de l’Abénomie : pour une société de diversité sur des régions à niveau très élevé de plus ouverte à l’emploi des femmes », Japan Analysis développement, comme cela a été fait dans n° 34, juillet 2014. d’autres pays matures. 6 Ces propos ont été prononcés par Asō Tarō, alors ministre des Affaires étrangères, lors de l’ouverture du Ces différentes mesures, à la fois techniques et Musée national de Kyūshū, le 15 octobre 2005, et ont complexes dans leur mise en œuvre – parfois fait l’objet de débats à la Diète du fait de leur caractère presque anecdotiques comme la libéralisation tendancieux. En japonais : « Ichi bunka, ichi bunmei, des casinos pour concurrencer ceux de ichi minzoku, ichi gengo no kuni ha nihon no hoka Singapour ou de Macao – sont certainement ni ha nai ». Voir l’article : « Le ministre des Affaires étrangères Asō s’explique sur ses propos relatif à la nécessaires pour contribuer à la relance du monoéthnicité du Japon », « Asō gaisō : ‘nihon ha ichi Japon. Sont-elles pour autant suffisantes pour minzoku’ hatsugen de shakumei », Mainichi Shimbun, 7 le « révolutionner » ? décembre 2005. 8 • Octobre 2014 n°35
Le point commun de tous ces projets, c’est secondaire en termes de politique intérieure le temps : celui nécessaire à leur élaboration mais n’est pas négligé par les responsables puis à leur mise en place, souvent législative, gouvernementaux japonais, comme l’ont déjà et celui nécessaire pour voir leurs effets sur la montré à plusieurs reprises des déclarations société et l’économie. modératrices du secrétaire général du Cabinet et porte-parole d’Abe. On ne peut Quels freins et quelles chances pour les exclure l’utilisation de cette thématique en Abenomics ? cas de ralentissement des croissances des PIB chinois et coréen ou de détérioration des Certains freins, très importants, ont déjà été relations nippo-chinoises ou nippo-coréennes évoqués : un ralentissement des économies dans un contexte plus global ; elle est aussi des principaux partenaires du Japon, un argument possible dans le cadre des la contrainte de la dette publique, les négociations internationales en cours, plus de pesanteurs que connaissent les réformes circonstance que décisif. Il ne faut surtout pas structurelles ou techniques. écarter l’éventualité d’une évolution du dollar ou de l’euro qui renchérisse de nouveau le Un point central est l’évolution des yen. rémunérations. Tant que la hausse des prix – si elle se confirme – n’est pas relayée par Un autre risque quasi-systémique serait celle des rémunérations, le risque est grand une brusque remontée des taux d’intérêt que l’opinion publique se sente flouée. Or les qui mettrait en péril les actifs bancaires, des responsables d’entreprises qui sont contraints compagnies d’assurance et des sociétés de depuis plus de vingt ans aux restructurations gestion d’actifs, transformant les Abenomics industrielles, à la concurrence de nouveaux en Abegeddon7. Cette remontée pourrait être acteurs et à une gestion prudente des coûts, due à l’environnement financier international attendront certainement une consolidation de (mauvaise sortie de la politique de quantitative la croissance pour s’engager pleinement en easing ou crise budgétaire aux États-Unis) ce sens. Peut-être préfèreront-ils d’abord agir ou bien à une perte de crédibilité de la politique sur l’investissement en biens d’équipement. de la BoJ. Celle-ci est consciente que, pour Si c’est le cas, la hausse des rémunérations l’éviter, l’expansion des agrégats monétaires pourrait devenir probable, à commencer par ne doit pas être supérieure à l’inflation celle des rémunérations variables. Cette action attendue ; la BoJ est accommodante mais ne sur l’investissement sera elle-même dictée par veut pas être laxiste. la certitude qu’auront les entreprises quant à la pérennité du rebond de l’économie ; Un dernier risque tient à la capacité à agir du à l’heure actuelle, cette certitude n’est pas gouvernement. Ayant fixé un cap, Abe Shinzō acquise, mais rien ne démontre que les chefs fait face à une exigence de coordination entre d’entreprise aient perdu confiance dans les les divers instruments utilisés et à l’attente Abenomics. de ses concitoyens sur les rémunérations. L’interaction entre ces divers domaines Une autre limite des Abenomics tient au de la politique économique est par nature niveau de la devise nippone. Il ne faut pas complexe, et peut susciter des divergences sous-estimer l’impact de la dépréciation du éventuellement anesthésiantes entre ses yen dans les querelles entre États d’Asie et dans le cadre des relations avec les autres 7 Contraction d’Abe et armageddon, qui signifie grands pays développés. Cet aspect est apocalypse en anglais. Japan Analysis • 9
conseillers et les ministères concernés. C’est Les Abenomics sont-ils un modèle pour à l’aune de ce fine-tuning (pilotage à vue) et l’Union européenne ? de l’évolution des rémunérations que les Ils sont davantage un miroir. La BCE et la Abenomics réussiront ou ne seront qu’un BoJ pratiquent une politique monétaire choc de communication politique. flexible en ayant recours à des instruments dits non conventionnels et toutes deux sont Pour autant, les Abenomics, outre leurs déterminées (ou condamnées) à la mener premiers résultats enregistrés, bénéficient de durablement, à moins que l’évolution de plusieurs atouts. celle de la FED ne conduise à la réviser, soulignant que la politique monétaire ne peut En provoquant un choc de confiance pas tout. Depuis les années 1990, le Japon incontestable, les Abenomics ont comme de nombreux États membres de l’UE « désembourbé » la politique économique sont confrontés à un débat existentiel sur le nippone et portent un sens politique fort. degré de rigueur budgétaire – et de son oubli Abe dispose, sauf accident et dissensions constamment présenté comme provisoire internes, d’une majorité solide ; cette situation – au regard des risques de ralentissement lui donne une liberté de manœuvre par de la conjoncture économique. Le niveau de rapport aux partis charnières qui ont facilité dette publique sensiblement plus élevé qu’en sa victoire en décembre 2012 et contribué à Europe est un handicap certain, mais le Japon celle de son candidat à la mairie de Tōkyō en a l’avantage d’une moindre sensibilité de cette 2014. Les votes budgétaires ont été acquis dette aux investisseurs internationaux ; en normalement, en contraste avec les arguties revanche, les marchés de taux ne sont pas qu’a connues le gouvernement précédent de nécessairement déconnectés des marchés Noda Yoshihiko. Enfin, la préparation des Jeux actions qui, au Japon et en Europe, sont olympiques de Tōkyō en 2020 peut être un également sensibles aux influences étrangères, stimulant à la croissance, même si de moindre et peuvent en subir les contrecoups. Enfin, ampleur qu’en 1964. UE et Japon sont tous deux confrontés à un même besoin de réformes mais, en dépit du Conclusion conservatisme social et des tensions sous- jacentes de la société nippone, le Japon Les Abenomics sont-ils un verre à demi- est une nation plus homogène qu’une plein ou à demi-vide ? communauté d’États : on peut espérer, Il est trop tôt pour les considérer comme avec un peu d’optimisme, que ce besoin de une réussite ; il serait toutefois excessif de réformes y trouvera un cheminement plus aisé. considérer qu’ils connaissent un début d’échec. Ils enregistrent un succès partiel et ont remis le Japon sur un sentier de sortie de la déflation qui comportera naturellement des détours liés à la situation intérieure ou aux aléas venant de l’étranger. Le Japon, les Japonais et leurs partenaires commerciaux ont tout intérêt à ce succès. Le gouvernement japonais dispose de deux atouts : un socle parlementaire solide et le temps. C’est plus que ce dont le gouvernement Koizumi a disposé, et que n’a jamais eu Noda. 10 • Octobre 2014 n°35
par des tensions avec ses voisins chinois et coréen. Le contexte actuel est donc très différent de celui de 1964, mais les ambitions conférées et les retombées attendues rendent l’organisation de l’événement tout aussi cruciale. Il s’agit ainsi d’une aubaine pour le gouvernement d’Abe Shinzō (Parti libéral- 2. Grands travaux et ambition d’excellence : démocrate). Bien que la candidature « Tōkyō 2020 », une aubaine pour le de la ville fût soumise lorsque l’actuelle gouvernement d’Abe Shinzō. opposition démocrate dirigeait encore le pays, ces jeux semblent s’insérer à la Xavier Mellet perfection dans le programme de relance du nouveau gouvernement, labélisé Abenomics Tōkyō organisera les Jeux olympiques (JO) (abenomikusu)10. L’annonce de la victoire d’été de 2020. La capitale japonaise a remporté de Tōkyō coïncide avec la volonté du la mise le 7 septembre 2013, tirant un trait sur gouvernement Abe de montrer que, sous sa l’échec essuyé quatre années auparavant direction, le Japon va de l’avant. La nouvelle pour les jeux de 2016 et celui d’Osaka pour a d’ailleurs temporairement accru la popularité ceux de 2008. Comparativement à ses rivales du Premier ministre11 et fait bondir l’indice Istanbul et Madrid, elle proposait une plus Nikkei. De nombreuses entreprises et sociétés grande sécurité en termes de financement liées à l’événement en ont profité car les et d’aménagements. Sa victoire a ainsi été investisseurs anticipent un cercle vertueux12. décrite comme le choix de la raison et de la modération8. 10 Pour une analyse de ce que les Abenomics représentent comme enjeux pour le Japon, voir la contribution d’Adrienne Sala à Japan Analysis : Cependant, la barre est placée d’autant plus Sala Adrienne, « L’Abénomie, retour de la politique haut pour les JO de 2020 que la réussite traditionnelle du PLD ou nouvelle sortie de crise ? », de 1964 reste dans toutes les têtes. Les Japan Analysis, n° 30, juillet 2013. Jeux d’été tenus à Tōkyō en 1964 avaient 11 Selon TV Asahi, le taux de soutien au gouvernement été un moment-phare de la transition Abe s’est élevé d’environ 9 points entre le 25 août et le économique japonaise, l’occasion d’afficher la 29 septembre 2013 (passant de 53,1 à 62,2 %), avant de réussite économique nouvelle du pays grâce reprendre sa lente érosion : http://www.tv-asahi.co.jp/ à l’inauguration ad hoc, entre autres, d’un hst/poll/graph_naikaku.html. train à grande vitesse (shinkansen)9. Or, un 12 Node-Langlois Fabrice, « Euphorie boursière demi-siècle plus tard, et au lendemain de la à Tokyo après la victoire pour les JO de 2020 », triple catastrophe du 11 mars 2011, le Japon Le Figaro, 10 septembre 2013. Gresillon Gabriel connaît une stagnation économique prolongée, et Rousseau Yann, « Cette nuit en Asie : la Bourse tandis que sa position en Asie est fragilisée de Tokyo en forme olympique », Les Échos, 9 septembre 2013. Les entreprises ayant vu leur titre 8 Rousseau Yann, « Tokyo va organiser en 2020 augmenter significativement sont, entre autres, Taisei les Jeux olympiques de la modération », Les Échos, Corporation (constructeur du futur stade olympique), 9 septembre 2013. les promoteurs immobiliers Mitsui Fudosan, Mitsubishi 9 Porté par le « boom Izanagi », le PIB du Japon Estate, Sumitomo Realty & Development, JR East dépasse celui de la France, du Royaume-Uni et de (transport ferroviaire) et les compagnies aériennes JAL l’Allemagne entre 1964 et 1968. et ANA. Japan Analysis • 11
La vitrine olympique appelle naturellement de déclin démographique (principal moteur du grands projets. En choisissant pour slogan développement de la robotique palliative) « découvrir demain », les autorités en charge un avantage pour illustrer l’innovation de la candidature ont misé sur l’excellence du technologique à l’œuvre sur l’Archipel. Japon dans l’innovation technologique. Tōkyō, « ville la plus avant-gardiste du monde », Un effort intense de construction sera fourni entend créer des « jeux d’excellence »13. pour les JO. Sur les 37 sites proposés, seuls 15 existent déjà15, dont trois édifiés à l’époque Cet article propose de décrire les efforts fournis des jeux de 1964, et 22 seront construits par les autorités pour montrer que, loin de pour l’occasion, dont 11 destinés à subsister l’image d’un pays vieillissant et d’une puissance après l’événement. Le dossier de candidature relativement déclinante par rapport à ces coupe la ville en deux zones, une « zone voisins, le Japon est toujours compétitif dans héritage » à l’intérieur des terres, où peu de de nombreux domaines. Nous commencerons travaux seront effectués, et la « zone de la baie par décrire les aménagements urbains prévus de Tōkyō » dont les terre-pleins accueilleront pour les JO, puis nous observerons comment la majorité des nouveaux sites et le village les autorités entendent faire de l’événement olympique. Un « plan de remodelage de une vitrine internationale, pour finalement Tōkyō » prévoit de transformer radicalement et aborder les externalités positives provoquées prioritairement cette zone16. Il s’accompagne dans le secteur privé. Ensemble, ces trois de la construction d’une nouvelle autoroute, variables contribuent à renforcer l’image d’un nommée « Shintora » à la suite d’un vote Japon relancé et dynamique. populaire. Prévue sur l’ancien tracé qu’aurait voulu MacArthur durant l’occupation Impressionner par les infrastructures américaine, il s’agira d’une route longue de 14 km qui, partant du nord (Kanda), contournera Tōkyō a gagné, certes, en étant raisonnable, le palais impérial par l’Ouest, reliant ainsi le mais « l’innovation de pointe », telle que futur stade olympique, puis se dirigera vers décrite dans le dossier de candidature, n’en la baie, au Sud-Est. La portion souterraine constitue pas moins un des points cardinaux située entre le quartier de Toranomon et de du projet olympique. Les autorités cherchent à Shimbashi verra naître, à sa surface, ce que impressionner l’opinion publique internationale en mettant sur pied des bâtiments de très de croissance » (Jinkō-gen ‘kasegu chikara’ migaku haute technologie. Le Premier ministre Abe a seichō senryaku de kō kawaru), Yomiuri shimbun, annoncé son souhait d’accorder aux robots 17 juin 2014. un rôle de premier plan en proposant des 15 Deux d’entre eux seront rénovés, comme le précise « Jeux olympiques des robots » (robotto le dossier de candidature (page 19 du second volume). olimpikku), compétition internationale 16 Pour une description détaillée et une carte des visant à déterminer quels robots sont projets prévus sur la baie, voir, en plus du dossier de les plus performants14. Il entend faire du candidature : « Carte du futur Tōkyō, développements successifs de projets, le boom de la baie comme 13 L’introduction du dossier de candidature, sobrement ‘demande exceptionnelle pour les jeux olympiques’. intitulé Tōkyō 2020, le stipule explicitement, en français, Tōkyō change pour les jeux olympiques (1) » langue olympique. Le premier volume du document est (Tōkyō mirai chizu medama kaihatsu zokuzoku, téléchargeable à l’adresse suivante : http://tokyo2020.jp/ ‘gorin tokuju’ de wangan būmu. Gorin de kawaru fr/plan/candidature/index.html. Tōkyō (1)), Nihon Keizai shimbun, 20 février 2014 : 14 « Mettre en valeur la ‘force de travail’ en temps de http://www.nikkei.com/article/DGXNASFK1300S_ déclin de la population. Un changement de la stratégie T10C14A2000000/ 12 • Octobre 2014 n°35
le gouverneur de Tōkyō Masuzoe Yoichi et son Le stade illustre parallèlement les complications équipe ont labélisé « projet Champs-Élysées ». inhérentes à tout projet de cette ampleur. Une Il s’agira d’une avenue large de 40 m et longue pétition d’architectes a protesté contre sa de 760 m, destinée à accueillir des boutiques démesure. Fumihiko Maki, architecte reconnu de luxe et, comme le souhaite Masuzoe, en au Japon, dénonce le gâchis que représente bon francophile, des cafés ouverts sur la rue17. le futur stade, destiné selon lui à ne plus servir après la compétition. Il fait en outre valoir que La tête de gondole des projets de construction sa structure imposante sied mal aux alentours reste toutefois le stade olympique national de du sanctuaire shintō Meiji-jingu21. De surcroît, Kasumigaoka. Conçu par la « starchitecte » son coût a rapidement été revu à la hausse Zaha Hadid18, il sera livré en 2019, juste à après l’annonce de la victoire de Tōkyō, temps pour accueillir la coupe du monde de passant de 130 à 300 milliards de yens !22 rugby organisée la même année. Ce stade de Cela a provoqué un conflit entre les autorités nouvelle génération – comme il en « pousse » nationales et municipales, ces dernières en Europe à l’initiative des plus grands clubs ayant rejeté la demande du gouvernement de football – doit servir de vitrine à l’innovation d’assumer 30 % du coût des travaux23. made in Japan. Pensé comme un lieu de vie, il L’ambition a dû être revue à la baisse. Le disposera d’un toit rétractable et sera entouré coût estimé n’est plus désormais que de d’un anneau surélevé accessible à pied19. Il 162,5 milliards de yens, et la surface au sol proposera des services de haute technologie : est passée de 290 000 m2 à 211 000 m224. écrans en cristaux liquides à l’arrière de chacun D’une manière générale, les coûts du projet des 80 000 sièges, 2 000 toilettes intelligentes olympique ont rapidement augmenté après équipées de capteurs… Un musée du sport la victoire, du fait de la tendance à minimiser y proposera des attractions de réalité virtuelle, les dépenses pour remporter la mise. et des robots seront chargés de guider les Les autorités ont jusqu’au 15 février 2015 pour spectateurs20. 21 « « Une rupture avec la belle forêt du sanctuaire », le nouveau stade olympique national est trop vaste, avec un espace au sol trois fois plus grand qu’à Londres, selon 17 « Grands espoirs pour la nouvelle route Shintora » l’architecte Fumihiko Maki » (`Jingū no mori bikan (High hopes for new Shintora-dori), The Japan News kowasu› 20-nen gorin shinkokuritsu kyokijō ōsugiru (Yomiuri shimbun), 27 mars 2014. « Où sont tous les kenchikuka makifumihiko-san teiki tokomenseki cafés à ciel ouvert ? », (Where are all the open-air rondon no 3-bai), Tōkyō shimbun, 23 septembre 2013. cafes?), The Japan News (Yomiuri shimbun), 5 juin 22 « Plan de réduction prévu pour le nouveau stade 2014. Le groupe Mori a proposé un résumé du projet en olympique estimé à 300 milliards de yens » (Shin anglais : https://www.mori.co.jp/en/img/article/130301. kunitachikyōgijō keikaku shukushō gorinaikatahari pdf. sō kōhi 3000 oku-en shisan de), Yomiuri shimbun, 24 18 Elle fut choisie au détriment de huit finalistes dont octobre 2013. les projets sont visibles ici : http://www.jpnsport.go.jp/ 23 « Confrontation entre le gouvernements national et newstadium/Portals/0/NNSJ/en/finalists.html. municipal quant au coût de la reconstruction. Problème 19 Une description et des photos sont proposées sur le imprévu avec le « nouveau stade national » » (‘Shin site du cabinet de Zaha Hadid : http://www.zaha-hadid. kunitachikyōgijō’ anshō, kaichiku-hi-meguri-koku-to com/architecture/new-national-stadium/#. ga tairitsu), Yomiuri shimbun), 28 octobre 2013. 20 « Le nouveau stade national mettra en valeur 24 « Un nouveau design plus petit pour le stade la technologie », (New Natl Stadium to showcase national » (Shin kunitachikyōgijō, kihon sekkei-an o technology), The Japan News (Yomiuri shimbun), 30 kōhyō… tōsho-an shukushō), Yomiuri shimbun, 29 mai juin 2014. 2014. Japan Analysis • 13
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