Film de l'actualité René Rozon - Vie des arts - Érudit
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Document généré le 22 fév. 2022 21:00 Vie des arts Film de l’actualité René Rozon Numéro 69, hiver 1972–1973 URI : https://id.erudit.org/iderudit/57871ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (imprimé) 1923-3183 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Rozon, R. (1972). Film de l’actualité. Vie des arts, (69), 80–82. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1972 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
film de l'actualité 2. Gae AULENTI 3. Joe COLOMBO. Table de poker, 1968. 4. Joe COLOMBO Environnement. Bois laminé et acier inoxydable; Environnement. Réalisation : Kartell, avec la participation 2 7 y i " x 3 9 % " x 39 3 /s" (70 x 100 x 100 cm.) Réalisation : Elco-FIARM, Boffi, Ideal- de Zanotta. Réalisation : Zanotta Standard, avec la collaboration de Somani. Coll. Museum of Modem Art, New York. So
C'est au Bauhaus que germa la vérita- C'est dans ce contexte, donc, qu'on a révolutionnaire, mais le produit est gran- ble notion de design contemporain. En pu voir, dans de superbes caisses prêtes dement perfectionné et non dépourvu de visant l'intégration de tous les arts et pour l'expédition et alignées à l'extérieur, confort. l'abolition des frontières entre artistes et dans les jardins du musée, plus de 150 Viennent ensuite deux environnements artisans, l'école de Weimar allait se lan- objets domestiques créés au cours des mobiles, l'un d'Alberto Rosselli et l'autre cer dans la création d'objets d'utilité dix dernières années par une centaine de de Marco Zanuso et Richard Zapper. Mai- courante, où forme et fonction ne font designers. Meubles et lampes, vases, vais- sons mobiles qui jouissent de deux avan- qu'un, le produit final étant ramené à sa selle et ustensiles, téléphones et machi- tages sur le produit américain: elles sont plus simple expression. Bravo pour le nes à écrire, bref la variété d'objets hau- mille fois plus attrayantes; et plus com- concept, mais il est difficile d'imaginer tement stylisés témoigne effectivement de pactes, elles peuvent être tirées par de comment des objets aussi peu attrayants la richesse et de l'ingéniosité du design simples voitures plutôt que d'être transpor- par la rigidité de leurs lignes et l'austé- italien. Mais fallait-il choisir en si grand tées par camion. Enfin, le clou de cette rité de leurs matériaux auraient abouti sur nombre, surtout parmi les conformistes, première partie des environnements était le marché, s'ils avaient eu à franchir les des objets pour la plupart connus, puis- sans conteste le Kar-A-Sutra, espèce de étapes normalement liées à la production qu'ils sont distribués commercialement familiale de 16 pieds de long sur 6V2 en affrontant industriels, distributeurs et à travers le monde? Et jusqu'à quel point de large, où les sièges fixes ont été rem- consommateurs. Du reste, pourquoi l'Ita- le designer peut-il pousser une idée sans placés par une profusion de coussins — lie, et non l'Allemagne, est-elle devenu le trahir les impératifs mêmes du design? amovibles de manière à transformer le centre mondial du design? C'est que, Combien futiles et insensés nous ont paru véhicule en camionnette de déménage- s'inspirant des préceptes du design certains exemples, notamment chez les m e n t — abolissant toutes frontières entre b a u h a u s i e n , la p é n i n s u l e a l l a i t l u i progressistes, et qui témoignent de l'inep- passagers. Véritable salon permettant, en insuffler ce qui lui manquait le plus — tie de designers oisifs. Et même si l'op- plus de se balader, de manger, de se re- couleur, fluidité, mouvement et vie — tion des contestataires nous rassure, rien créer, de dormir et . . . de faire l'amour pour devenir le grand séducteur de l'u- n'est moins contestataire que la création en toute quiétude. En actionnant un bou- nivers des formes utiles. Ajoutons à cela d'objets polyvalents dont l'emballage ton, on peut rabaisser ou surélever le toit, la convergence de conditions exception- constitue le seul élément novateur. permettant dans ce dernier cas aux pas- nelles — artistes de talent, dynamisme sagers de se tenir debout. Des quatre La deuxième partie de l'exposition, les créateur, goût inégalé pour les matériaux, côtés, le véhicule est entièrement vitré — environnements, commandés expressé- adoption de techniques nouvelles et lon- glaces également rétractables — jusqu'au ment par M. Ambasz pour la circonstance, gue tradition artisanale — qui ont nette- toit muni d'un simple panneau métallique nous ramenait à l'intérieur, dans les gale- ment favorisé cette remarquable éclosion. dans l'axe longitudinal. Des étagères ont ries du musée. Le programme d'instruc- L'exposition Italie, le nouveau paysage été aménagées le long des parois inté- tions que M. Ambasz avait rédigé à domestique, que le Musée d'Art Moderne rieures pour le rangement (nourriture, l'intention des douze designers invités de New-York consacrait à l'évolution du jeux, accessoires), tandis qu'un mini-ré- spécifiait, entre autres conditions, que design italien, du 26 mai au 11 septem- frigérateur est encastré dans le panneau l'espace assigné ne devait pas dépasser bre dernier, était donc pleinement justi- de bord près du chauffeur. Merveille de 12 x 16 x 16 pieds et exigeait que chaque fiée. Mais la sublimation de la production la technique moderne et de la civilisation environnement soit accompagné d'un film italienne allait à rebours dénigrer le pos- des loisirs, le Kar-A-Sutra n'a toutefois projeté sur des écrans de télévision cou- tulat du design et nous révéler ses limites. pas résolu les problèmes de la sécurité: leur à circuit fermé pour démontrer l'utili- sation maximum de leurs créations. Les sa fragilité le rend plus vulnérable aux L'exposition était divisée en deux par- accidents qu'aucun autre exemple du gen- ties distinctes: les objets et les environ- environnements reflétaient deux tendan- ces: les protagonistes et les antagonistes re. Mais si on sait éviter les autoroutes, nements. Dans un film servant d'introduc- quoi de mieux pour les randonnées à la tion à la section des objets, M. Emilio du design. campagne? Ambasz, conservateur de design du mu- Parmi les protagonistes, Ettore Sottsass sée, et en l'occurrence concepteur et propose d'imposantes boîtes de plastique Nous abordons maintenant la deuxième coordonateur de ce projet, partage les sur roulettes, chacune ayant sa propre section des environnements, celle des designers en trois camps. Les confor- fonction (cuisine, rangement, toilette, sys- antagonistes. Gaetano Pesce semble ré- mistes, qui ont un seul souci: créer de tème sonore), mais amovibles et inter- pondre à la question: à quoi bon cons- beaux objets autonomes. Environ 60 p. changeables (permettant un nombre illi- truire de beaux environnements puisqu'on 100 des objets exposés, dont une superbe mité d'assemblages), et extensibles par s'achemine vers la destruction de notre table de poker de Joe Colombo, relèvent surcroît (grâce aux parois latérales en planète? Pesce a donc construit une habi- de cette option. Quant aux progressistes, accordéon). Idée fascinante, mais excep- tation souterraine de l'an 2000, la bombe ils ne créent pas de nouveaux objets mais tion faite des astronautes, qui songerait atomique et autres contaminations écolo- interprètent des objets connus dérisoire- sérieusement à vivre dans un environne- giques ayant rendu la terre inhabitable. ment, témoignage des implications esthé- ment aussi terne, encombrant et ultra- Décor élaboré, impressionnant et déca- tiques et socioculturelles du design (néo- fonctionnel? En revanche, l'environne- dent — les crevasses renferment des la- naturalisme, pop art, anthropomorsphis- ment de Gae Aulenti est plus agréable ves visqueuses — qui marque un retour me): des pierres (Piero Gilardi), un gant à l'oeil. Elle a réalisé des constructions au paléolithique, à la vie des cavernes, de baseball (Lomazzi-D'Urbino-DePas) et pyramidales de plastique rouge vif, avec et qui dégage une froideur sépulcrale. le corps féminin (Gaetano Pesce) ont été marches et gradins, au sommet desquelles Un téléviseur nous montre un couple nu transformés . . . en sièges! Enfin, les on peut, par exemple, installer . . . un lit, évoluant péniblement dans cet habitat, au contestataires considèrent que des objets cinq pieds au-dessus de terre. Amusant son mortel de l'eau de robinet qui tombe autonomes et à fonction unique sont des sans plus, car rien n'est aussi mal adapté goutte à goutte. Vision d'un proche ave- éléments superflus de notre société de aux besoins d'un intérieur domestique. nir? L'idée nous fait frémir. Quant au consommation. Ils proposent donc de C'est Joe Colombo qui parvient à créer, groupe Archizoom, il a l'audace de pré- nouveaux objets exigeant un nouveau dans des teintes jaunes et blanches, un senter une pièce vide. Seule la voix d'un mode d'emploi, comme ces blocs com- habitat moins prétentieux mais plus viable enfant émerveillé balbutiant des paroles pacts, d'une grande flexibilité, destinés à que les précédents, et fort pratique, avec sur les choses simples de la vie (« magni- l'art culinaire, au rangement et au repos, des parois coulissantes et des sections fiques couleurs . . . grandes et belle cho- certains exemples pouvant remplir ces projetables dans plusieurs directions (ar- ses ») nous parvient d'un haut-parleur trois fonctions à la fois (Bicocchi-Mon- rière, avant, côtés), permettant les com- suspendu au plafond. Un autre groupe. sani). binaisons les plus variées. L'idée n'est pas Superstudio, a conçu une boîte renfer- 8i
mant un cube de verre polarisé, lumières s'améliorer mais plutôt s'aggraver, puisque 5. Mario BELLINI. Tourne-disque GA-45. clignotantes et végétation artificielle. Des derrière cette exposition, présentée avec 1968-69. Boîte de plastique, 9 " x 8 % x 3V4' phénomènes météorologiques (soleil, nua- la collaboration (pour ne pas dire la com- (23 x 21 x 8 cm.) Réalisation : Minerva. ges, tempêtes) sont projetés au sommet plicité) du gouvernement italien et la co- New York, Museum of Modem Art. du cube, et le film au petit écran préco- opération de diverses compagnies et nise un retour à la nature. Ailleurs, le industries italiennes (Fiat, O l i v e t t i , A l i - 6. Mario BELLINI Gruppo Strum se refuse de créer objets talia) — comment réaliser autrement ce Kar-A-Sutra projet qui a coûté, paraît-il, un m i l l i o n de Réalisation : Cassina, C & D Italia, avec la et environnements tant que la vie urbaine collaboration de Citroën et Pirelli. n'aura pas été repensée. Ils ont donc dollars? — on discerne une grande cam- érigé sur une plate-forme trois charrettes pagne de promotion de produits de con- contenant trois publications tenant à la sommation italiens visant le marché amé- fois du roman-photo et du catalogue de ricain. Autre constatation. Si le coût élevé magasin à rayons, et distribuées gratuite- de ces produits les rendent inaccessibles ment au public dans le but de le sensibi- à la majorité des Américains, que dire du liser aux problèmes de l'habitat, de l'a- pouvoir d'achat des Italiens? On se heur- ménagement et de l'environnement ur- te, en 1 9 7 2 , aux mêmes paradoxes qu'au- bains. En dernier lieu, la Cellule domesti- cun courant lié aux arts décoratifs n'est que d'Ugo La Pietra, en ayant recours aux parvenu à résoudre depuis le XIXe siècle techniques audio-visuelles, tente de dé- de W i l l i a m M o r r i s : en visant la chose montrer de manière inutilement c o m p l i - bien faite, on a favorisé non pas les mas- quée comment l'homme peut se libérer ses que la production industrielle permet- par une meilleure utilisation des sources tait d'atteindre, mais les happy f e w . d ' i n f o r m a t i o n et des moyens de c o m m u - Un peu d'indulgence toutefois, en dépit nication, démonstration qui contribue à de ces vérités qu'on n'aime pas entendre. renforcer les problèmes soulevés, tandis Si on oublie un moment les implications que Enzo M a r i , en obligeant le visiteur de l'exposition, on se laissera facilement à lire un manifeste ésotérique, essaie en séduire par le faste et la somptuosité des vain de rallier et de résumer des notions formes et des couleurs, par ce véritable aussi complexes que communications, so- feu d'artifice qu'est le design italien, dont ciologie, économie, comportement, idéo- la présentation soignée du Musée d'Art logies, culture, art, critique et politique. Moderne de New-York était plus qu'exem- L'exposition se termine par un spectacle plaire. A noter qu'un imposant catalogue audio-visuel — auquel Expo 67 nous de dix dollars et de 431 pages, abondam- avait habitué — commenté par M. A m - ment illustré (presque de m o i t i é de basz, qui fait le point des problèmes sou- planches en couleur), renferme tous les levés par les designers italiens. éléments de l'exposition, y compris une Exposition novatrice? Il n'en est rien. introduction et une récapitulation de M. Les designers italiens n'ont pas d'idées Ambasz (qui a compilé l'ouvrage), ainsi neuves: elles sont toutes empruntées aux que son programme d'instructions aux États-Unis (le Joe sofa, les maisons mo- designers, en plus de fort intéressants biles). Leur originalité réside plutôt dans articles historiques et critiques pénétrants le rendu des objets, qu'ils imprègnent de rédigés par d'éminents spécialistes ita- goût et de raffinement européens. Distinc- liens. Reste au Musée d'Art Moderne de tion fondamentale, attribuable à la diver- nous présenter en contrepartie une expo- gence des techniques de production des sition de même calibre consacrée au deux pays. Aux États-Unis, la production design américain. est nettement industrialisée; il en découle René ROZON des produits moins soignés et nécessaire- ment moins finis. Alors qu'en Italie, on résiste toujours à la production industriel- le en chaîne, on ne veut pas devenir le Chariot des Temps modernes. On travaille dans de petites usines où l'adoption de matériaux et de techniques modernes sont toujours soumis à un esprit artisanal invétéré. On ne saurait, dans ces condi- tions, s'étonner outre mesure de l'indé- niable qualité du design italien, dans un pays où l'on peut encore obtenir de la main-d'oeuvre à bon compte. Constatation qui a d'ailleurs des rami- fications socioéconomiques qu'on a trop tendance à oublier devant le plaisir et l'éblouissement que procurent l'exposi- t i o n . Car, en somme, l'opulence du design italien et le progrès technique qu'il sous- tend sont bien illusoires et masquent de plus profondes vérités, c'est-à-dire la pau- vreté de l'Italie. A M i l a n , par exemple, la fabrication de ces objets de luxe se fait au détriment d'une classe ouvrière nette- ment défavorisée. Situation qui ne va pas 82
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