GAMELAN DE SOLO Indonésie, Java Centre - SOLONESE GAMELAN
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MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 1 Indonésie, Java Centre GAMELAN DE SOLO Le jeu des sentiments Indonesia, Central Java SOLONESE GAMELAN A Garland of Moods
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 2 Danseuses du palais de Surakarta (Solo) à la Maison des Cultures du Monde, Paris, 1993. Interprètes/Performers : Nyi Ngabehi Tukinem, Nyi Ngabehi Cendani Raras, Nyi Tugini , Nyi Suparni, Nyi Suyatmi, Nyi Harjutri, Bp. Rahayu Supanggah, Bp. Wakijo, Bp. Sukamso, Bp. Sukarno, Bp. Suyadi, Bp. Ptratiknya Tulus, R.Ng. Tarno Pangrawit, R. Ng. Purwapangrawit, Bp. AL Suwardi, Bp. Supardi, Bp. Priyo Saputra, Bp. Joko Purwanto, Bp. Hadi Budiyono, Bp. Rusdiyantoro, Bp. Sugimin, Bp. Wakidi, Bp. Kuwat, Bp. Suraji, Ki Purbo Asmaro, Bp. Panut, Bp. Budi Santosa, Bp. Suyoto, Bp. Waluyo, Bp. Sukardi. Collection fondée par Françoise Gründ et dirigée par Pierre Bois Enregistrements réalisés les 24 et 27 juillet 2003 dans le pendhopo de Bp. Rahayu Supanggah à Benowo, Karanganyar (Java Centre) par Iwan Ononé sous la supervision de Marc Benamou. Notice, Marc Benamou et Rahayu Supanggah. Photos, Marc Benamou, Jean-Paul Dumontier. Traduction française et réalisation, Pierre Bois. © et O P 2006 Maison des Cultures du Monde. Nous tenons à remercier : Bp. Suraji, Bp. Sukamso, Ibu Supanggah dkk., Bp. Waridi, Bp. Krisnyar, Bp. Sartono, Bp. Amin Tri Widyo, Ms. Kathryn Emerson, Earlham College, STSI, Mr. Rainer Schütz. INEDIT est une marque déposée de la Maison des Cultures du Monde (direction, Chérif Khaznadar).
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 3 Dancers of the palace of Surakarta (Solo) at the Maison des Cultures du Monde, Paris, 1993. COMPACT DISC 1 COMPACT DISC 4 1. Kombang Mårå..............................28’00” Musique du théâtre d’ombres 2. Elå-Elå Kalibeber............................20’47” Music for the Shadow Theater 3. Ketawang Sinom Wénigonjing......11’08” 1. Ayak-ayak.........................................4’21” 2. Sendhon Pananggalan ....................3’10” COMPACT DISC 2 3. Titipati ...........................................28’53” 1. Glondhong Pring...........................22’58” 4. Glondhong Pring...........................10’51” 2. Gambir Sawit.................................43’10” 5. Ådå-ådå Greget Saut Mataram .......1’01” 3. Palaran ..........................................13’17” 6. Dolanan ...........................................7’08” 7. Jineman Uler Kambang ...................4’14” COMPACT DISC 3 8. Jineman Gathik Glindhing ...............6’03” 1. Laler Mengeng ..............................17’32” 9. Ådå-ådå Haståkuswålå.....................2’46” 2. Ketawang Subåkaståwå...................6’29” 10. Pathet Sendhon Abimanyu ...........2’14” 3. Ladrang Gégot ..............................10’53” 11. Ayak-Ayak ......................................1’38” 4. Pangkur .........................................24’02” –3–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 4 GLOSSAIRE Minggah : deuxième partie d’un gendhing. Palaran : forme vocale. Ådångiyah : prélude instrumental. Pathet : mode mélodique, il y a trois pathet Alok : cris. pour chaque échelle. Andhegan : cadence vocale. Pathetan : prélude ou postlude instrumental. Ayak-ayak : cycle de gongs de 4 temps. Pélog : échelle heptatonique divisant l’octave Balungan : mélodie de référence. en 7 intervalles inégaux (cf. Laras, Sléndro). Båwå : solo vocal. Pendhopo : pavillon sans murs servant de Bonang : jeu de gongs horizontal. salon et où se déroulent les klenéngan. Bukå : introduction vocale en solo. Pesindhèn : chanteuse soliste. Céngkok : phrase mélodique. Rangkep dilate un iråmå par un facteur 2. Gambang : xylophone à deux maillets. Råså : goût, essence, mercure, parfum ; en Garap : élément d’interprétation mélodique. musique : humeur, émotion, sentiment. Gendèr : métallophone à deux maillets et — prenès : séducteur, léger. résonateurs tubulaires. — regu : imposant. Gendhing : pièce de musique de gamelan. — sereng : tendu, vigoureux. Gérong : chœur d’hommes. Rebab : vièle à pique. Gong ageng : gong le plus grave. Sampak : cycle de gong de 1 temps. Iråmå : procédé rythmique Saron : métallophone à un maillet et résona- — dados : établi. teurs en auge. — lancar : rapide, coulant. Sèlèh : note finale d’une phrase. — tanggung : moyen. Senggakan : courte interjection vocale. — wiled : sinueux, rempli. Senggréngan : prélude instrumental. Jineman : chant court. Siter : cithare sur caisse. Kendang : tambour. Sléndro : échelle équipentatonique divisant Kenong, kempul, kethuk, kempyang : gongs l’octave en 5 intervalles à peu près égaux (cf. utilisés comme marqueurs de temps. Laras, Pélog). Ketawang : cycle de gongs de 16 temps. Slenthem : métallophone grave à un maillet Klenéngan : séance musicale. et résonateurs tubulaires. Ladrang : cycle de gongs de 32 temps. Srepeg : cycle de gongs de 2 temps. Lancaran : cycle de gongs de 16 temps. Suling : flûte à bandeau en bambou. Laras : accord, échelle (Pélog ou Sléndro). Wayang : théâtre. Laya : tempo. Wayang purwå : théâtre d’ombres. Mérong : première partie d’un gendhing. Wiled ou wiledan : variante d’un céngkok. –4–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 5 Indonésie, Java Centre GAMELAN DE SOLO Le jeu des sentiments L ’archipel indonésien compte plusieurs centaines de groupes ethniques qui ont chacun leur langue, leur architecture, leur ment des cultures dites “primitives”. Du fait de la pompe et du raffinement propre à toute tradition de cour et de la splendeur sonore cuisine, leur étiquette et, bien sûr, leur tra- de ces orchestres javanais et balinais, ceux-ci ditions musicales. Pourtant, lorsque l’on n’ont cessé d’exercer une fascination particu- parle de musique indonésienne, ce sont aux lière sur les Européens (comme Debussy par musiques de gamelan de Bali et de Java que exemple). D’un point de vue plus terre à l’on pense généralement. Selon les points de terre, il faut aussi noter que les coloniaux vue, cette hégémonie emblématique peut avaient plus de contacts avec la société aris- paraître légitime ou au contraire tout à fait tocratique locale qu’avec le monde rural. injuste. D’ailleurs, à Java comme à Bali, le Qu’y a-t’il dans cette musique qui touche gamelan n’est qu’un genre musical parmi autant d’auditeurs qui n’ont par ailleurs aucun d’autres et on néglige bien souvent l’éton- lien particulier avec l’Indonésie ? Outre le fait nante variété de styles de gamelan locaux, que l’on puisse être séduit par le caractère ath- tant ils sont éclipsés par les plus prestigieux. létique et les rythmes ensorcelants du gong Les raisons en sont à la fois intrinsèques et kebyar balinais ou par le ruissellement envoû- extrinsèques : elles tiennent pour une part à tant de la musique de concert javanaise, on des aspects strictement musicaux et pour retrouve dans ces deux traditions quelques- une autre à des causes historiques. unes des valeurs fondamentales de la musique La renommée de la musique de gamelan en classique occidentale : la complexité et la dehors de l’Indonésie remonte à l’époque variété mélodique, la profondeur contrapun- coloniale (±1600-1945) pendant laquelle les tique et des formes sophistiquées. De plus, rien orientalistes néerlandais, britanniques et ne peut égaler la richesse timbrale et la puis- français, imprégnés d’une vision du monde sance sonore d’un grand gong indonésien. Les fondée sur la prééminence de la culture euro- timbres variés du bronze forgé, auxquels vien- péenne, mirent l’accent sur les traditions de nent s’ajouter ceux des cordes frottées et pin- cour, les “civilisations orientales”, au détri- cées, la flûte de bambou, le xylophone et la –5–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 6 voix ont aussi leur part dans cette fascination. tent toujours. Quelques-uns des morceaux Enfin, même si à Java et à Bali les concerts à appartiennent à la tradition de cour, d’autres l’occidentale sont rares, on a également affaire à celle des gens du commun et un grand ici à une tradition où des musiciens longue- nombre relèvent des deux à la fois : il n’existe ment formés jouent pour le plaisir d’autrui. pas de distinction précise entre la musique C’est donc une musique qui convient aussi jouée à l’intérieur et à l’extérieur du palais, et bien à une salle de concert qu’à un studio les deux traditions se sont de tout temps d’enregistrement (à la différence de musiques mutuellement influencées. Les instruments plus participatives qui peuvent durer des utilisés, quoique de facture récente, imitent heures sans beaucoup varier). L’impact visuel les ensembles de bronze des palais. Un game- de cette musique contribue aussi à son succès, lan de cour complet comprend deux moitiés grâce aux instruments et à la présence de la distinctes qui se ressemblent mais ne sont danse et du théâtre. presque jamais jouées ensemble. Cela est dû Cependant, ceux qui veulent aller plus loin au fait que chaque moitié est accordée (dila- découvriront dans cette musique un véri- ras) différemment. Il existe en effet à Java table monde de sentiments, et c’est dans ce deux manières de diviser l’octave : le sléndro but que cette compilation a été réalisée : d’une part comprend cinq degrés qui divisent permettre à l’auditeur non javanais d’entre- l’octave en cinq intervalles à peu près égaux ; voir cet univers. C’est pourquoi cette notice le pélog d’autre part en comprend sept qui ne s’est pas limitée au niveau d’appréciation divisent l’octave en sept intervalles inégaux. de l’auditeur javanais moyen mais s’est fon- Dans les deux cas, aucun de ces intervalles ne dée sur le savoir spécialisé des musiciens. En peut être reproduit avec les tons et les demi- effet, la musique de gamelan ressemble à tons de l’échelle occidentale. Les trois modes bien des égards au jazz : une grande part de mélodiques (pathet) du pélog sont pentato- sa signification discursive se fonde sur de niques (deux degrés sur les sept ne sont pas subtiles allusions qui ne sont accessibles joués dans une même phrase), tout comme, qu’aux musiciens. En essayant d’introduire bien sûr, les trois modes du sléndro. l’auditeur à la perception raffinée d’un Introduisons maintenant un concept javanais musicien javanais, nous espérons que ces essentiel dans l’approche idiomatique que lignes lui permettront de mieux apprécier nous nous sommes assignée : celui de råså. Ce l’extraordinaire subtilité de cette musique. terme est le même que le mot sanskrit rasa et La musique que l’on entend ici vient de la il en a d’ailleurs conservé plusieurs sens : ville de Solo (appelée aussi Surakarta) dans le goût, essence, mercure, parfum, sens gustatif, centre de Java, où deux palais royaux subsis- état d’esprit. Dans un contexte musical, il –6–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 7 signifie le plus souvent humeur, émotion, sen- sés dans l’orchestre moderne existent depuis timent, mais il peut aussi faire référence à la plus de mille ans. Mais ce n’est que depuis le faculté de perception, au sens ésotérique, à la milieu du XIXe siècle que la musique de cour compréhension profonde ou à l’intuition. Au- utilise les instruments et les voix que l’on delà, le don du råså transcende les cinq sens peut entendre aujourd’hui. Une grande partie pour parvenir, à un niveau spirituel et ésoté- du répertoire remonte au-delà de cette rique, au råså sejati (rasa pur). À la différence époque, mais avec le temps certains styles se de la théorie indienne du rasa, qui est extrê- sont épanouis tandis que d’autres dépéris- mement codifiée, le discours javanais sur le saient ; de même, les goûts en matière d’inter- råså est presqu’entièrement oral et donc prétation d’une même pièce ont changé avec improvisé. Néanmoins, quelques traits récur- les années du fait de la latitude qui a toujours rents apparaissent dans la manière d’en parler. été laissée aux exécutants. Récemment, sont Le premier de ces traits est la division fonda- apparus à Solo des langages musicaux influen- mentale entre regu (imposant) et prenès (agui- cés par la pop avec des chants diatoniques et chant, allègre). Cependant, comme il ne s’agit des rythmes marqués par la musique de film pas seulement de catégories générales mais de Bollywood ou choisis parmi les styles de aussi et surtout d’humeurs spécifiques, et percussion régionaux les plus effrénés. La plu- comme ces termes laissent de côté des senti- part des vrais amateurs de gamelan tradition- ments importants telles que sereng (contracté, nel réprouvent cette évolution car il en résulte vigoureux), il est parfois préférable d’utiliser la un appauvrissement du vocabulaire mélo- dichotomie qui oppose le “froid” et le dique et donc de l’éventail de råså exprimés. “chaud”, même si elle semble moins explicite. Une innovation a eu un effet important sur la Celle-ci dériverait de la théorie javanaise des pratique musicale, tout au moins à Java, c’est humeurs, qui mêle des éléments indigènes, l’apparition de la notation. Jusqu’à la fin du indiens et arabes, et dans laquelle presque XIXe siècle, aucune notation n’était utilisée toutes les nourritures peuvent être classées en dans la musique javanaise ; elle était entière- productrices de chaleur ou de fraîcheur, indé- ment fondée sur la tradition orale. Ceci ne pendamment de leur température effective. La laisse pas d’étonner vu l’étendue du réper- musique peut donc calmer ou revigorer, ces toire, la durée des pièces qui peut excéder une deux effets de base pouvant être sujets à de heure, et la complexité de cette musique avec multiples variantes. ses motifs formels organisés à la manière d’un Comme toutes les traditions vivantes, la tableau d’Escher, si évidents sur le papier et si musique de gamelan javanaise a évolué au obscurs pendant l’exécution. De nos jours la cours des siècles. Nombre d’instruments utili- notation est couramment utilisée, mais plus –7–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 8 pour donner une idée générale de la pièce, un festivals ou les concerts dans les académies peu comme une grille de jazz. Après avoir d’art. Ajoutons qu’il n’existe pas de distinction testé plusieurs systèmes au tournant du XXe précise entre répétition et exécution : les répé- siècle, le choix s’est enfin porté sur la notation titions hebdomadaires des quelques groupes chiffrée proposée par Rousseau pour la qui subsistent dans les environs de Solo sont musique occidentale et qui s’est répandue à la aussi l’occasion de faire de la musique. fin du XIXe siècle dans toute l’Asie grâce à la Pour l’organisateur qui en a les moyens, la méthode Paris-Galin-Chevé. À chaque degré forme de divertissement rituel la plus appré- de l’échelle est attribué un chiffre, et les chan- ciée est une nuit complète de théâtre d’ombres gements d’octave sont signalés par des points wayang accompagné, à Java, par un gamelan au-dessus ou en-dessous de ces chiffres. En complet. Aux palais, on apprécie également la pélog, ces chiffres vont de 1 à 7, mais en slén- danse. Pour les petites bourses ou les occasions dro on saute le 4 (ce qui donne 1, 2, 3, 5, 6) plus communes, on se contente d’une séance pour des raisons liées à l’ancien système de de musique (klenéngan). L’hôte invite alors dénomination des notes. amis, parents, voisins et notables, principale- La musique de gamelan est avant tout une ment des hommes. On s’assied à même le sol, musique rituelle. C’est particulièrement vrai à on fume, on boit du thé, on fait circuler de l’al- Bali où elle est encore jouée dans les temples cool et l’on joue aux dominos ou aux cartes. hindou-bouddhistes, mais aussi à Java lors de Une collation est servie, parfois même un vrai circonstances rituelles comme les cérémonies repas à base de riz, de viandes et de légumes. du cycle de la vie (naissance, anniversaires, cir- Ces soirées débutent généralement vers vingt concisions, mariages, diplômes) ou tout évé- heures et, selon l’ambiance, peuvent se pro- nement important associé à la commémora- longer jusqu’à quatre heures du matin. De la tion, qu’il s’agisse d’une action de grâce ou musique est jouée pendant toute la soirée, d’un rite propitiatoire : ouverture d’une entrecoupée de pauses pendant lesquelles les banque, inauguration d’un barrage, ou pour musiciens mangent, boivent et bavardent. À chasser les mauvais esprits d’un village. Ce mesure que l’alcool fait son effet, l’ambiance sont les principales occasions où l’on joue de peut devenir franchement tapageuse, mais en la musique traditionnelle, même si le gamelan général elle est détendue et feutrée. Du côté lors de ces cérémonies est de plus en plus sou- des musiciens on se taquine ou l’on badine en vent remplacé par de la musique enregistrée paroles et en musique avec les chanteuses. ou par une combinaison d’instruments tradi- Autrefois, le programme des morceaux n’était tionnels et électroniques ; les autres sont les pas déterminé à l’avance et ces concerts semi- concours patronés par le gouvernement, les publics devant une audience modérément –8–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 9 attentive n’étaient précédés d’aucune répéti- trouver l’équilibre entre une prise de son de tion, tout au moins chez les musiciens expéri- qualité et le caractère informel d’une soirée de mentés. L’ordre du programme est commandé musique. Pour mettre les musiciens à l’aise, par le pathet (mode mélodique) et une progres- nous les avons fait jouer chez l’un d’entre eux sion du grave vers l’allègre. On peut aussi bien et, lors de la première des deux séances d’en- commencer en sléndro qu’en pélog, mais ensuite registrement, devant un auditoire restreint il faudra les faire alterner. Les pièces les plus mais attentif. Et si un grillon se mettait à stri- sérieuses sont en général en pélog limå ou en duler nous le laissions faire car, même dans sléndro nem, suivies par le pélog nem et le sléndro l’atmosphère recueillie d’un palais, les bruits sångå, et les plus gaies sont en pélog barang et de la nature tels que le chant des oiseaux ou le en sléndro manyurå. De même le registre mélo- coassement des grenouilles se mêlent admira- dique monte à mesure que l’on progressse dans blement à cette musique. Un autre compro- les pathet, de sorte que la translation des motifs mis devait être trouvé entre la recherche de la d’un pathet à un autre s’apparente à une trans- meilleure clarté sonore et l’équilibre naturel position, bien que celle-ci ne soit jamais exacte. du concert. À titre d’exemple, si le son semble Chaque mode correspond donc à un moment un peu plus sec que l’acoustique naturelle du de la soirée, avec ses propres contours mélo- concert, l’équilibre entre la chanteuse soliste diques et surtout son climat. et les instruments est semblable à ce qu’on Le répertoire enregistré ici est représentatif de pouvait entendre à l’époque où micros et ce qu’était la norme entre les années soixante amplificateurs n’existaient pas encore. et le début des années quatre-vingt-dix à Solo et dans ses environs. Prises dans leur Les instruments ensemble, ces pièces ne conviendraient pas à Le gamelan de concert javanais se compose un véritable klenéngan : certaines sont principalement d’instruments à percussion empruntées au répertoire de théâtre d’ombres, accordés, qui ont été forgés de préférence d’autres à celui du ballet et ne relèvent donc dans le bronze, parfois dans le laiton voire le pas à proprement parler de la musique de fer. Il existe bien des façons de classer ces ins- concert ; cela dit, ces trois catégories ont tou- truments. Une des plus judicieuses, dont on jours été très poreuses. Quoiqu’il en soit, elles attribue la paternité à Jaap Kunst dans Music illustrent bien la variété des råså exprimés au in Java, se fonde sur leur fonction musicale. cours d’une soirée. La prise de son impose par nature certains Le cycle des gongs : compromis ; ces enregistrements ne font pas Les pièces sont construites, pour la plupart, sur exception. Dans le cas présent, il s’agissait de une structure régulière basée sur un cycle tem- –9–
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 10 porel et qui est jouée par des gongs de tailles de densité rythmique moyenne appelée variées. Ces instruments destinés à marquer le balungan (squelette, charpente, mélodie de temps et que nous appellerons “instruments référence). Le chœur d’hommes mis à part, structurels” ou “marqueurs de temps” sont c’est le seul groupe dans lequel plusieurs ceux dont les sonorités sont les plus épar- personnes exécutent la même mélodie tous pillées. Le plus grave, le gong ageng, marque en même temps. Le balungan est joué par les chaque fin de cycle. Une pièce comprend géné- instruments de la famille des saron (métallo- ralement plusieurs cycles différents qui, isolé- phone à un maillet et résonateurs en auge) ment ou réunis en groupes, peuvent être répé- et le slenthem (métallophone grave à un tés jusqu’à ce que le tambour ou un autre chef maillet et résonateurs tubulaires). de l’orchestre décide de changer : par exemple, une pièce composée de deux cycles peut être Les instruments de remplissage : jouée selon le schéma cycle A puis cycle B ou Dans la plupart des pièces de concert solo- bien AA puis BB ; une autre, comprenant cinq naises, le balungan passe cependant à l’arrière- cycles distribués en deux parties (ABCD et E) plan, pour ne donner que le contour des par- peut être jouée selon le schéma ABCD ABCD ties les plus élaborées, jouées par le troisième EEE, ou dans une version plus courte, ABCD groupe : les instruments de “remplissage” qui EE. Les différentes subdivisions binaire du cycle donnent chair à la musique. Ils sont composés sont donc marquées par divers gongs : le des gendèr (métallophones à deux maillets et kenong au son de cloche, le kempul au timbre résonateurs tubulaires), le gambang (xylo- grave, le kethuk qui imite la grenouille ou phone à deux maillets), le suling (flûte à ban- encore le kempyang aigu et sonore. Certains deau), le siter ou celèmpung (cithare sur caisse), cycles sont plus longs que d’autres ; les plus le bonang (jeu de gongs horizontaux couvrant courts sont utilisés dans les pièces requérant deux octaves), le rebab (vièle à pique) et les plus de “chaleur”, les plus longs dans les pièces voix (une chanteuse soliste pesindhèn et un calmes. Le lecteur désireux d’en savoir plus petit chœur d’hommes chantant à l’unisson, peut se reporter au site web http://www.cite- le gérong). Les instruments à deux maillets et la musique.fr/gamelan qui lui fournira des cithare offrent une grande densité rythmique, exemples sonores de ces cycles avec leur repré- tandis que le suling, le rebab et les chanteurs sentation graphique en temps réel. exécutent des mélodies plus soutenues. Toutes ces parties (à l’exception du chœur d’hommes) Le balungan, mélodie de référence : disposent d’une certaine liberté d’interpréta- Dans les pièces retentissantes, la couche tion appelée garap (du verbe nggarap, “labou- sonore que l’on entend le plus est une partie rer”, “travailler” dans son sens transitif). – 10 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 11 Le tambour mérite qu’on s’y arrête car à cer- Procédés mélodiques tains moments il fait partie des instruments Pour comprendre comment procèdent les ins- structurels, une grande partie de ce qu’il joue truments de “remplissage”, trois concepts étant déterminée par la structure de la com- sont nécessaires : cèngkok, wiled, et sèlèh. Un position, et à d’autres son expressivité en fait cèngkok est une phrase mélodique au sens un instrument de “remplissage”. Mais dans d’unité mélodique mais aussi de trajectoire. tous les cas, son rôle est essentiel car il est le Un musicien jouant d’un instrument de “rem- cœur battant de la musique. Il contribue à la plissage” considérera la pièce comme une suc- mise en place du tempo et prend de nom- cession de cèngkok. Les cèngkok se distinguent breuses décisions dans le déroulement de avant tout par leur sèlèh (note finale) dont la l’exécution. Si le tambour est le chef ryth- hauteur doit en général coïncider avec les mique du groupe, le rebab en est bien souvent finales des phrases du balungan. Mais un bon le chef mélodique. Parfois, ce rôle est confié musicien ne se contente pas de mémoriser, au bonang ou plus rarement au gendèr. Le chef disons : cinq cèngkok en sléndro (un pour mélodique est celui qui décide du choix de la chaque degré de l’échelle) et de les placer sur pièce suivante et l’annonce aux autres musi- les sèlèh correspondants. En fait, il possède un ciens dans son prélude en solo. Il décide par- répertoire de variantes beaucoup plus large fois de l’enchaînement à la section suivante qui seront choisies notamment en fonction et aide les autres à se retrouver dans une com- du mode et du råså qui doit être exprimé. Ces position qui, si elle est parfaitement remémo- variantes sont appelées wiled ou wiledan. Un rée collectivement, ne l’est souvent qu’à moi- nouveau wiledan peut parfois être créé en tié individuellement. cours d’exécution, mais en général les musi- Il est important de savoir que tous les instru- ciens s’en tiennent à ceux qu’ils connaissent. ments d’un gamelan ne sont pas systémati- On pourrait comparer cela à de la cuisine : il quement joués. Certains genres ne nécessitent y a bien des manières de faire un cassoulet, qu’une partie de l’orchestre. En outre, l’ins- chaque cuisinier a la sienne qui peut varier au trumentation n’étant pas fixée, il est possible gré des circonstances ou des terroirs, il n’en de jouer la plupart des pièces sur des demeure pas moins que tout convive saura ensembles plus petits (cokèkan, gadhon, siteran, identifier ce plat comme étant un cassoulet. etc.) qui utilisent un nombre limité d’instru- La recette, dans son abstraction, est un cèng- ments. Un ensemble peut même jouer lors- kok, et chaque fois qu’on la cuisine c’est un qu’un musicien ou deux viennent à manquer. wiledan. Évidemment, dans la musique java- Cela dit, tous ces enregistrements ont été naise plusieurs personnes cuisinent simulta- effectués avec un orchestre au complet. nément le même plat, et c’est ce qui rend – 11 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 12 cette musique si délicieuse, on ne sait jamais à (sinueux, rempli). Lancar est deux fois plus l’avance ce qui résultera de la combinaison rapide pour le balungan et les instruments des saveurs apportées par chacun. structurels que tanggung, et ainsi de suite. Rangkep, qui signifie “double”, est un procédé Procédés rythmiques comparable dans lequel un niveau d’iråmå est Un autre concept-clé est l’iråmå. C’est un pro- dilaté par un facteur de deux mais comme le cédé rythmique dont on trouve des équiva- rangkep est presque toujours appliqué au lents dans d’autres musiques d’Asie mais pas wiled, on peut le considérer comme un cin- en Occident. On peut le définir comme un quième niveau. Le même cycle de gong joué rapport mathématique (ratio) entre les par- en rangkep devrait donc théoriquement être ties rapides jouées par les instruments de seize fois plus long qu’en lancar. Mais la divi- remplissage d’une part et le balungan et le sion ou la multiplication par deux n’est pas cycle des gongs d’autre part. Tandis que le exacte car les exécutants doivent adapter leur balungan et les instruments structurels peu- allure sur une série de tempi appelés laya en vent dilater ou contracter leurs parties dans langue académique. Grosso modo, lancar et un facteur de deux environ, les parties de tanggung ont un laya plus rapide que dados, remplissage s’efforcent de maintenir une den- mais c’est aussi le cas de wiled, et rangkep a sité rythmique constante. Imaginons un bal- généralement le laya le plus rapide de tous. lon de baudruche sur la circonférence duquel En d’autres termes, à mesure que les iråmå se on a dessiné huit points distants de 2 cm les dilatent, les laya ralentissent puis accélèrent uns des autres. La circonférence du ballon de nouveau. représente le cycle des gongs et les points ses La meilleure analogie avec la musique clas- subdivisions. Gonflons le ballon jusqu’à ce sique occidentale que l’on pourrait faire est que ces points soient distants de 4 cm. Cela celle du thème et variations. Supposons à par- laisse donc plus de temps aux instruments de tir d’un même thème une variation réalisée remplissage, jouant à tempo constant, pour en doubles-croches dans une mesure à 2/4 sur aller d’une note finale à une autre. À l’in- un tempo de noire à 60, et une autre en verse, si on dégonfle le ballon, le cercle de triples-croches en 4/8 sur un tempo de croche points va se contracter. Voilà pour le concept à 76. La seconde sera presque deux fois plus de base, voyons maintenant les détails. longue que la première et le thème sera joué Dans la théorie solonaise standard il existe environ deux fois plus lentement tandis que quatre niveaux d’iråmå. Du plus contracté au les parties en triples-croches et en doubles- plus dilaté, ce sont : lancar (rapide, coulant), croches auront à peu près la même vitesse. La tanggung (moyen), dados (établi), et wiled variation en 2/4 peut être comparée à l’iråmå – 12 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 13 dados, celle en 4/8 à l’iråmå wiled, le thème au exécutions d’un gendhing ne peuvent être balungan, les parties en doubles et triples- identiques, elles peuvent même être très diffé- croches aux parties de remplissage, et le rap- rentes. Si les gendhing sont si flexibles, si port métronomique au laya. imprécis, on peut alors se demander quelle est Pour passer d’un niveau d’iråmå à un autre, le la part de la pièce elle-même et quelle est celle procédé le plus courant consiste à accélérer ou de l’interprétation (garap) dans l’expression à ralentir graduellement, cependant il peut en du råså. En fait, c’est une combinaison des résulter un brusque changement de tempo deux. Car si les musiciens javanais considè- pour certains instruments. Par exemple, en rent souvent que chaque gendhing a son råså, passant de l’iråmå tanggung au dados (dilata- ils sont également unanimes à reconnaître tion du cycle), les musiciens ralentissent pro- qu’il n’y a aucune garantie que son exécution gressivement, mais à un certain moment, le produira justement ce råså-là. Compte tenu tempo devient si lent et si inconfortable pour du nombre de décisions spontanées qui sont les instruments rapides qu’ils doublent brus- prises collectivement pendant un concert de quement la densité rythmique de leur partie gamelan, le råså résulte finalement d’une de manière à finir sur un tempo équivalent à alchimie complexe qui implique les musi- celui qu’ils avaient au départ (à de subtiles dif- ciens, les auditeurs, l’environnement, le férences près, celles imposées par les laya dont moment de la journée, le cadre, la nourriture il a été question plus haut). On peut comparer qui est servie, les offrandes comme l’encens, ce phénomène au changement de vitesse sur et tout ce qui se déroule autour de l’exécution. une voiture ou une bicyclette : après une période d’accélération ou de ralentissement Procédés formels on change brusquement de rapport. Le pro- Un des éléments essentiels du gendhing est sa cédé d’annulation du rangkep qui, on l’a vu, structure et cet aspect est si important que les constitue par lui-même une catégorie, est catégories formelles sont intégrées dans le appelé udar (débrouiller, simplifier quelque nom de chaque pièce. Deux traits caractéris- chose d’excessivement complexe) ; on le com- tiques de la musique de gamelan sont l’ex- pare volontiers à de l’eau trouble qui se clari- trême régularité de sa structure sous-jacente et fie ou à un visage froncé qui se déride. son binarisme rigoureux à tous les niveaux. Un autre grand principe est l’organisation des Garap versus gendhing cycles de gong par rang de taille, depuis le Gendhing désigne en général toute pièce de cycle d’un temps, comme dans la forme appe- gamelan et en particulier les pièces longues. Il lée sampak, jusqu’aux plus grands gendhing est désormais clair pour le lecteur que deux qui comprennent 256 temps. Ces nombres ne – 13 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 14 s’appliquent que pour l’iråmå tanggung et tie (mérong) de Laler Mengeng (CD 3, plage 1) donc le nombre réel de temps varie selon où la quatrième cellule ponctuée par le kenong l’iråmå dans lequel la pièce est jouée. est raccourcie de moitié (il devient kethuk 2 Les formes régulières, de la plus petite à la kerep au lieu d’être kethuk 2 awis comme dans plus grande sont : le sampak (1 temps), le le reste de la pièce), ce qui ramène le cycle de srepeg (2 temps), l’ayak-ayak (4 temps), le gong à 112 temps au lieu de 128. Voilà le genre lancaran (16 temps), le ketawang (16 temps), d’exception à la règle qui fait la richesse mais le ladrang (32 temps) et les grands gendhing aussi la difficulté de cette tradition de cour. (de 32 à 256 temps). Les grands gendhing La plupart des pièces sont en deux parties : la sont classés d’abord en ketawang gendhing première, de style plutôt sérieux et jouée dans (avec deux frappes de kenong pour une le registre grave, est suivie d’une partie plus frappe de gong) et en gendhing normaux aiguë et plus allègre. Cette division est particu- (avec quatre frappes de kenong pour une lièrement évidente dans les grands gendhing, frappe de gong). Ensuite on regarde com- mais on la retrouve également dans les keta- bien ils ont de frappes de kethuk par frappe wang et les ladrang. Dans les grands gendhing, de kenong et si ces frappes sont proches la première partie est appelée mérong et la (kerep) ou éloignées (arang ou awis). Le plus seconde inggah ou minggah. Cette structure en petit des grands gendhing est donc le keta- deux parties est essentielle pour appréhender wang gendhing kethuk 2 kerep (32 temps), et le råså propre à l’exécution, dans la mesure où les plus grands (256 temps) sont le gendhing la progression du “lourd” vers le “léger” est kethuk 8 kerep et le gendhing kethuk 4 awis. non seulement la règle pour l’ensemble de la Il existe aussi des formes irrégulières. Ce sont séance de musique, mais aussi pour chaque des pièces à l’origine vocale qui ne sont que pièce. De ce fait, dans le minggah il y a deux partiellement binaires et dont le cycle de gong fois plus de frappes de kethuk par frappe de est déterminé par le chant qui est par essence kenong que dans le mérong et, en ajoutant avec linéaire. On en a un exemple avec le palaran le petit gong kempyang une couche d’instru- (CD 2, plage 3) dans lequel le kempul se substi- ments marqueurs de temps, le caractère exci- tue au grand gong pour créer un cycle régulier tant propre au minggah s’en trouve renforcé. à deux temps tandis que le grand gong est Dans certains gendhing, au lieu de suivre le frappé en des points irréguliers, et un autre même cycle de gong que le mérong, le minggah avec Jineman Gathik Glindhing (CD 4, plage 8). adopte la forme plus brève du ladrang, ce qui De plus, quelques rares gendhing instrumen- accroît la température du råså. taux, curieusement, ont eux aussi une struc- Pendant une séance de musique, les pièces ture irrégulière. C’est le cas de la première par- ne sont généralement pas jouées seules mais – 14 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 15 enchaînées sous forme de suites. Elles sont COMPACT DISC 1 rarement annoncées à l’avance d’autant que nombre de ces suites sont devenues tradi- 1. Kombang Mårå tionnelles. Elles sont le plus souvent choisies Titre complet : gendhing Kombang Mårå, par le tambourinaire ou le joueur de rebab et kethuk 2 kerep minggah 4. annoncées par des repères musicaux, notam- Échelle et mode : laras pélog pathet limå. ment par de brusques ou au contraire de sub- Cette pièce était jouée lors du mariage tradi- tils changements de tempo. tionnel javanais pour accueillir le fiancé et ses Les cycles de gong longs étant par nature proches dans la maison de sa future épouse “froids” et calmes, et les cycles courts pendant la cérémonie de panggih (rencontre). “chauds” et animés, une suite commence tou- Le titre, “le bourdon arrive”, fait métaphori- jours par le cycle le plus long pour aller vers le quement référence au fiancé. Selon feu Bp. plus court. À cela s’ajoutent divers préludes et Sukanto, le titre se reflète aussi dans la postludes : les senggréngan et ådångiyah, musique : les nombreuses notes graves du courtes formules mélodiques descendantes balungan pouvant évoquer le bourdonnement jouées en solo qui annoncent le mode ; le de l’insecte. pathetan, un prélude ou postlude non mesuré Le råså de Kombang Mårå est presque tou- joué en hétérophonie par le rebab, le gendèr, le jours décrit comme regu (imposant, majes- gambang et le suling, ainsi parfois qu’une voix tueux, calme) ou wingit (spectral, surnaturel). masculine car il est emprunté au répertoire de Ceci est dû en partie à sa tessiture qui se situe chants du théâtre d’ombres ; le båwå, intro- dans le grave et au fait qu’il serait basé sur la duction vocale le plus souvent chantée par un mélodie du pathetan Limå Wantah (énoncé à homme en solo ; enfin le bukå, solo instru- 25’25”) – invocation modale chantée par le mental qui introduit et annonce une pièce. marionnettiste dans le théâtre d’ombres – Une suite typique se composera par exemple qui, comme son nom l’indique, est la signa- d’un senggréngang, d’un pathetan, d’un båwå, ture modale du pélog limå. Pour l’essentiel, d’un grand gendhing (mérong et minggah), d’un cette pièce a donc le caractère du pélog limå, ladrang, d’un ketawang, d’un srepegan, d’un le mode le plus solennel, et donc des conno- palaran, d’un srepegan, et d’un pathetan final. tations qui inclinent à la gravité. On pourra ainsi écouter une heure environ de Après le senggréngan, l’ådångiyah (0’09”) et le musique ininterrompue. bukå (0’30”) qui ouvrent la pièce au rebab, le mérong commence sur un tempo vif mais ralentit très vite pour se poser sur un iråmå dados lent. La gravité du climat est accentuée – 15 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 16 par la pesindhèn (chanteuse) qui ne chante vocales ou d’interjections, et pas de jeu imbal pas les phrases de remplissage facultatives au bonang (sur ce dernier point, voir la pièce (isèn-isèn) pouant être insérées entre les Gambir Sawit). Les légères accélérations à phrases principales et par le bonang qui joue à 18’15” et 22’00” signalent que l’on approche mi-vitesse. Toutes les deux minutes environ, du ralentissement final. Après le coup de gong chaque coup du grand gong est précédé d’un final, le joueur de rebab signale aux autres ralentissement, après quoi le tempo revient à qu’ils doivent jouer le pathetan Limå Wantah. la normale ; cette particularité du mérong contribue à sa majesté. Cette musique nous 2. Elå-Elå Kalibeber enseigne la patience, d’où le plaisir qu’on res- Titre complet : gendhing Elå-Elå Kalibeber, kethuk sent, après une longue attente, quand le 2 kerep minggah 4 ; pathetan Sångå Jugag. gong sonne à point nommé ! Et s’il sonne Échelle et mode : laras sléndro pathet sångå. trop tôt, ne serait-ce que d’une fraction de Ce gendhing est à beaucoup d’égards le plus seconde, c’est une faute grave. difficile du répertoire. Ainsi le balungan se dis- La transition vers le minggah (10’00”) se tra- tingue par l’étonnante variété de ses rythmes duit par une accélération progressive du et nombre de passages mélodiques inconnus tempo et un bref passage dans l’iråmå tang- ailleurs. Les pièces plus faciles se composent gung, suivi du ralentissement qui précède le principalement de phrases-types, de sorte que gong. Le minggah (11’18”) est joué dans les musiciens jouent le balungan en s’ap- l’iråmå dados, mais sur un laya légèrement puyant sur une connaissance générale fondée plus rapide que le mérong. D’autres différences sur leur expérience. Elå-Elå Kalibeber, au avec le mérong indiquent un échauffement du contraire, contient beaucoup de garap khusus råså : le bonang ne joue plus à mi-vitesse, la (interprétations spécifiques) qu’il faut pesindhèn chante les isèn-isèn, il y a mainte- apprendre. Et le caractère du balungan est si nant quatre frappes de kethuk pour une de changeant que pour ne pas rester à la traîne kénong, chaque frappe de kethuk est encadrée chaque musicien doit avoir parfaitement par deux coups de kempyang, et le ralentisse- mémorisé la pièce, car il n’a pas le temps ment qui précède le coup de gong est moins d’écouter les parties des autres pour détermi- prononcé. Mais tout est relatif, et pour un ner la sienne. À cet égard, cette interprétation minggah, celui-ci est particulièrement retenu est parfaite et constituera à n’en pas douter du fait qu’il n’utilise pas l’iråmå wiled ni le une référence pour tous les futurs musiciens. rangkep, avec tout ce que cela implique : pas Cette pièce, comme la précédente, a un råså de rythme de danse, pas de gérong (chœur) ni regu (majestueux). Elle réserve cependant des de claquements de mains, pas de cadences surprises, car on pourrait croire par moments – 16 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 17 que le balungan y est carrément gecul (humo- sorte que quand le minggah est répété (comme ristique). En fait, c’est une question de rythme. ici), il en résulte plusieurs changements Le jeu du balungan est soumis à différents rap- d’iråmå. Ceci, ajouté aux nombreux change- ports au temps théorique qui se dilate ou se ments de registre mélodique et de densité du contracte en fonction des iråmå. Le temps (en balungan, devrait conférer à cette pièce extra- ce sens) est identifiable à l'écoute du saron le ordinaire un råså rongèh (agité) ou bérag (exu- plus aigu (saron panerus) qui marque une pul- bérant), et pourtant ce n’est pas le cas. sation absolument régulière sans se soucier de ce que font les autres instruments. En iråmå 3. Ketawang Sinom Wénigonjing lancar le saron panerus joue une pulsation par Échelle et mode : laras pélog pathet nem. temps, en iråmå tanggung il en joue deux, en Voici un exemple de gendhing sekar, une pièce iråmå dados quatre, etc. Ainsi dans un ladrang qui a presque toujours la forme d’un ketawang par exemple, il y a toujours 32 "temps" par ou d’un ladrang et qui est basée sur une mélo- cycle de gong, quel que soit l'iråmå. Tandis die de måcåpat (cf. description du palaran ci- que la plupart des balungan gardent une allure dessous). Ce genre de gendhing date de la fin régulière au sein d'une même séquence, celui- du XIXe siècle et est souvent utilisé dans les ci utilise pas moins de quatre rapports diffé- formes théâtrales. Sinom Wénigonjing est par rents avec des changements fréquents de l'un exemple jouée dans une scène du langendriyan à l'autre. Ainsi, les parties rapides, appelées (drame dansé dans lequel les danseurs chan- balungan ngadhal (balungan au pas du lézard) tent aussi les dialogues) où le prince Ménak- pourraient être perçues comme humoristiques jinggå de Blambangan s’éprend de la reine (gecul), mais en fait il n’en est rien. Le slenthem, Ayu de Måjåpahit. C’est pourquoi ce morceau l’instrument mélodique le plus grave et qui est souvent appelé gendhing kasmaran (gend- fait le mieux entendre le balungan, en donne hing de la passion amoureuse). Notons au pas- des exemples entre 1:56 et 2:34 et entre 3:12 et sage que dans la culture javanaise, et particu- 3:48, voire même dans un passage encore plus lièrement dans la musique, le mal d’amour est rapide à 6:06. le sentiment amoureux le plus courant. D’autre part, le traitement de l’iråmå dans L’exécution commence calmement, avec un cette pièce est bizarre. Le minggah (10:00 à traitement typique de l’iråmå dados. Mais à 16:29) comprend deux cycles de gong. Le pre- 4:42 une cadence vocale andhegan fait planer mier est en iråmå wiled mais joué comme un un parfum de coquetterie. Peu après, le tam- iråmå dados, ce qui renforce l’impression de bour passe à un rythme de danse qui égaye calme (on appelle cela kosèk alus). Le second l’ambiance et se communique aux autres ins- cycle en revanche est un vrai iråmå dados, de truments. Tout au long de la pièce, les – 17 –
MCM W260125 livret 60p. 1/02/06 11:20 Page 18 phrases sont entonnées par la pesindhèn Une particularité de la musique de srimpi qui (chanteuse soliste) et conclues par le chœur est absente du bedhåyå est le keplok-alok (cla- mixte. Pendant le umpak (première section quements de mains et cris) assuré par le chœur d’un petit gendhing), le chœur d’hommes d’hommes. Dans les cours royales autrefois, gérong souligne par ses cris (alok) les instru- ces interjections parfois discordantes étaient ments marqueurs de temps. lancées par les bouffons canthangbalung. Une autre singularité est le tempo (laya) extrême- COMPACT DISC 2 ment rapide des instruments de remplissage, sans doute pour permettre aux chanteurs(ses) 1. Glondhong Pring d’aller au bout de leurs longues phrases (ce qui Titre complet : pathetan Nem Ageng ; gendhing ne les empêche pas de reprendre subreptice- Glondhong Pring kethuk 2 kerep, minggah ment une petite goulée d’air ici ou là). Le ladrang Gudasih ; ketawang Sumedhang ; pathe- contraste des mouvements langoureux et élé- tan Nem Jugag. gants de la danse, de la ligne vocale et de la Échelle et mode : laras pélog pathet nem. partie délibérément lente du bonang avec le La musique et la danse de Solo sont reconnues murmure ruisselant du gambang, du siter et des par presque tous les Javanais et nombre d’In- gendèr est une des grandes jouissances que pro- donésiens non-javanais – parfois avec fierté, curent cette musique. tantôt par dérision – comme la plus raffinée, La suite commence par un pathetan qui inclut alus, de toutes. Et les formes chorégraphiques un chœur d’hommes à l’unisson (spécifique les plus alus sont deux grandes danses de cour de l’accompagnement de danse) ; d’un pas d’une grâce exquise, le bedhåyå et le srimpi lent et coordonné les danseuses sortent des (qui sont toujours associées musicalement et quartiers intérieurs du palais, elles prennent chorégraphiquement). place au centre du parterre de marbre du Glondhong Pring (“tronçon de bambou”) est pavillon ouvert (dont nous avons essayé de une danse srimpi et la suite de pièces qui l’ac- restituer en studio l’acoustique généreuse). Le compagne. Exécutée par quatre danseuses (au rebab introduit le gendhing Glondhong Pring lieu de sept ou neuf dans le bedhåyå), le srimpi (5:12), puis le mérong est joué trois fois. À la est légèrement moins alus et moins sacré que troisième, le tambour et le rebab annoncent le bedhåyå. Les longues et lentes lignes mélis- par une légère accélération l’enchaînement au matiques du chœur (parfois féminin, parfois minggah (11:25). mixte comme ici), les mouvements de danse Le minggah commence à 12:20 sous la forme fluides, évoquent à la fois la maîtrise de soi et d’un ladrang. L’atmosphère se réchauffe car le raffinement esthétique et spirituel. on est dans la seconde moitié d’un gendhing – 18 –
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