West Side Story Un film de Jerome Robbins et de Robert Wise - ET APPRENTIS AU CINÉMA 08/09
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West Side Story Un film de Jerome Robbins et de Robert Wise LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 1 AU CINÉMA 08/09
Sommaire Mise en scène 26 Les dossiers pédagogiques et les fiches-élèves de MAQUETTE : BUENAVISTA Écritures l’opération Lycéens et apprentis au cinéma en « La plus grande partition Région Rhône-Alpes sont édités par l’AcrirA et ACRIRA : de comédie musicale l’Université Lumière-Lyon 2 avec le soutien de la Association des cinémas de recherche jamais portée Région Rhône-Alpes. indépendants de la région alpine à l’écran » 159, cours Berriat - 38000 Grenoble RÉDACTEUR EN CHEF : Rémi Fontanel, maître de Téléphone : 04 72 61 17 65 Éclairages et perspectives 36 conférences en « Études cinématographiques et Télécopie : 04 76 21 06 54 Un récit d’apprentissage audiovisuelles » à l’Université Lumière-Lyon 2. Mél. : lyceens.acrira@wanadoo.fr pour jeunes citadins Générique et Synopsis 3 COORDINATEUR ÉDITORIAL : Jean-François Buiré, COORDINATION DES DOSSIERS : Extérieur film 40 cinéaste, critique de cinéma et enseignant en Christine Desrumeaux-Thirion (AcrirA) et Région Avant-propos 4 Extension du domaine « Études cinématographiques et audiovisuelles » à Rhône-Alpes – Direction de la culture, Direction Voyez comme on danse de la scène l’Université Lumière-Lyon 2. de la communication. Cinéastes, films et chorégraphies 5 Documents 42 AUTEURS : Jean-François Buiré, avec le concours Dossier West Side Story © AcrirA Mister Robbins et Docteur Wise « Un important témoignage de Marie-Noëlle Chatry et de Benjamin Labé. Équipe et histoire du film 9 sur l’art américain » D’Est en Ouest, historique À voir - À lire - À écouter RÉDACTEURS DES « MOTS-CLÉS » ET « ATELIERS » : Marie-Noëlle Chatry et Jean-François Buiré. Personnages / Acteurs 15 Remerciements à Alban Liebl et à Bruno Thévenon, Le récit 19 de l’Institut Lumière. Découpage séquentiel Analyse du récit Mot-clé Atelier Avec le concours des Rectorats de Lyon et de Grenoble, de la DRAF Rhône-Alpes, Minist re de l’Institut Lumière, de Rhône-Alpes Cinéma Culture Communication et des salles de cinéma. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 2 AU CINÉMA 08/09
Générique et Synopsis Générique Synopsis West Side Story … et filles : Susan Oakes (Anybodys), Gina Trikonis (Graziella), Carole d’Andrea (Velma) New York, fin des années 1950. Deux bandes se disputent un quartier du West Side : les Jets, USA, 1961 - les Sharks, garçons : Jose de Vega (Chino), « natifs », et les Sharks, immigrés portoricains. Jay Norman (Pepe), Gus Trikonis (Indio), Schrank, un policier raciste, tente d’empêcher Réalisation : Jerome Robbins et Robert Wise Eddie Verso (Juano), Jaime Rogers (Loco), Larry Roquemore (Rocco), Robert Thompson leurs rixes. Le leader des Jets, Riff, décide de Chorégraphie : Jerome Robbins liquider le conflit en une seule fois. Bien que Scénario : : Ernest Lehman, d’après le livret du (Luis), Nick Covacevich (Toro), Rudy del spectacle écrit par Arthur Laurents sur une Campo (Del Campo), Andre Tayir (Chile) Tony, avec lequel il fonda les Jets, travaille et idée de Jerome Robbins, inspirée de Roméo et … et filles : Yvonne Othon (Consuelo), Suzie attende désormais autre chose de la vie, Riff le Juliette de William Shakespeare Kaye (Rosalia), Joanne Miya (Francisca) convainc de venir au bal où il doit annoncer à Musique : Leonard Bernstein Bernardo, le leader des Sharks, ce combat Paroles des chansons : Stephen Sondheim Doublage des chants : décisif. Directeur de la photographie : Daniel L. Fapp Marni Nixon (Maria), Jimmy Bryant (Tony), Tucker Smith (Riff pour la chanson The Jet Au bal se rendent aussi Anita, la fiancée de Ingénieurs du son : Fred Hynes et Gordon Sawyer Bernardo, et la jeune sœur de celui-ci, Maria, Direction musicale : Johnny Green Song), Betty Wand (Anita pour les chansons Direction artistique : Boris Leven A Boy Like That et I Have a Love) fraîchement arrivée de Porto Rico pour épouser Chef décorateur : Victor Gangelin Chino, qu’elle n’aime pas. Au milieu des danseurs, Chef costumière : Irene Sharaff Récompenses aux États-Unis : Maria et Tony ont le coup de foudre, à la fureur Effets photographiques : Linwood Dunn Academy Awards (Oscars) 1961 : de Bernardo. Ayant promis à Maria d’empêcher Générique de fin et affiche : Saul Bass - Meilleur film le combat entre les deux bandes, Tony tente de Casting : Lynn Stalmaster - Meilleure réalisation : Jerome Robbins et Robert Wise s’interposer, mais cela tourne mal : Bernardo Montage image : Thomas Stanford tue Riff et, sous l’empire de la rage, Tony tue Montage son : Gilbert Marchant - Meilleur second rôle féminin : Rita Moreno - Meilleur second rôle masculin : Bernardo. Montage musique : Richard Carruth Durée cinéma : 152 min. (vidéo : 147 min.) George Chakiris Tony va chez Maria la supplier de lui pardonner. - Meilleure photographie en couleurs : Lorsque Anita en deuil découvre qu’ils sont Sortie en salle : 18 octobre 1961 (USA), 1er mars Daniel L. Fapp devenus amants en cette nuit tragique, elle 1962 (France) - Meilleure direction artistique en couleurs : passe de l’indignation à la compréhension, au Données techniques : Format image : Super Boris Leven (direction artistique) et Victor point d’accepter d’aller à la place de Maria, Panavision 70 (70 mm, ratio 2.20:1), Couleur : Gangelin (décors) - Meilleur son : Fred Hynes et Gordon Sawyer retenue par Schrank, prévenir Tony que Chino Technicolor, Son : stéréo six pistes magnétiques le cherche pour le tuer. Mais les Jets lui Production : Robert Wise, Saul Chaplin et - Meilleure bande son pour un film musical : Walter Mirish pour Mirish Pictures et Seven Saul Chaplin, Johnny Green, Sid Ramin et refusent d’accéder à Tony, et la violentent. Arts Productions Irwin Kostal Excédée, elle délivre un faux message : Chino, Distribution (1961) : United Artists - Meilleur montage image : Thomas Stanford jaloux, aurait tué Maria. Ayant appris cette Distribution en France (2008) : Carlotta Films - Meilleurs costumes pour un film en couleurs : nouvelle mensongère, Tony désespéré erre Irene Sharaff dans les rues, appelant Chino à le tuer aussi. Interprétation : - Prix spécial : Jerome Robbins pour « sa brillante réussite dans l’art de la chorégraphie » Au moment où il voit Maria bien vivante qui Natalie Wood (Maria), Richard Beymer (Tony), vient à lui, Chino surgit et lui tire dessus. Tony Russ Tamblyn (Riff), Rita Moreno (Anita), George Chakiris (Bernardo), Simon Oakland Le film fut également primé à divers titres meurt dans les bras de Maria, qui jette (Schrank), Ned Glass (Doc), William Bramley aux Grammy Awards, aux Laurel Awards, aux l’anathème sur les deux bandes. Au lieu de (Krupke) New York Film Critics Circle Awards, par la s’empoigner de nouveau, Jets et Sharks - les Jets, garçons : Tucker Smith (Ice), Tony Directors Guild of America et par la Writers s’unissent pour emmener le corps du jeune Mordente (Action), David Winters (A-rab), Guild of America en 1961, et aux Golden homme. Eliot Feld (Baby John), Bert Michaels (Snowboy), Globes en 1962. David Bean (Tiger), Robert Banas (Joyboy), Scooter Teague (Big Deal), Harvey Hohnecker (Mouthpiece), Tommy Abbott (Gee-Tar) < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 3 AU CINÉMA 08/09
Avant-propos Voyez comme on danse West Side Story présente le Wise, l’audace et la convention, drait-il regarder du côté du paradoxe d’une extraordinaire la langue de Shakespeare et cinéma indien, par exemple conjonction de talents, telle celle du West Side, l’Amérique de Devdas : nous sommes ici que Broadway puis Hollywood et le reste du monde, etc. dans le domaine du spectacle en connurent rarement, qui Mais le « positif du négatif », cinématographique, au sens engendra pourtant une œuvre c’est ce qui subsiste malgré le plus noble de l’expression, de bruit et de fureur où un tout de cette belle communion et, de ce point de vue, seules groupe n’existe que pour s’op- artistique initiale, au-delà du les cinématographies de poser à un autre groupe, et où tragique des amours d’une Bombay et de Hollywood les forces de l’amour, aussi Juliette et d’un Roméo new- peuvent se comparer. À chaque émouvantes soient-elles, yorkais. Quel que soit le fois que le cinéma se pose semblent bien faibles face à jugement que l’on porte sur le avec une exigence réelle la celles de la haine. Une telle film dans son entier, il faut question du spectacle, celle-ci antinomie a pu se constater sans doute remonter tout au perd toute futilité pour rede- ailleurs (tous les grands films début du cinéma sonore, et à venir une donnée cruciale de de guerre en relèvent), mais Hallelujah de King Vidor, pour l’expérience humaine. Depuis rarement avec une telle retrouver une telle ambition 1961, combien de corps se netteté. Le conflit est en effet et une telle foi collectives sont transcendés aux sons et permanent : entre Sharks et quant au fait de capter et de aux images de West Side Jets bien sûr mais aussi, donner à voir des corps, Story ? justement, entre l’amour et la chantant (et dansant) dans le Jean-François Buiré haine, ou encore entre l’ado- cas du film de Vidor, dansant lescent et l’adulte, le couple et la (et chantant) dans le cas de communauté, le sexe et la West Side Story ; depuis, il romance, le prosaïsme et le n’est pas certain que le cinéma, merveilleux, l’extérieur réel et américain tout du moins, le studio, la scène et l’écran, ait fait preuve d’aspirations Jerome Robbins et Robert comparables. Peut-être fau- < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 4 AU CINÉMA 08/09
Cinéastes, films et chorégraphies Mister Robbins et Docteur Wise « Le présent ouvrage est donc Stanley Donen, auquel on doit constamment menace de la première analyse d’impor- entre autres Chantons sous la faire tomber le film dans le tance à paraître dans le pluie. Mais si Donen prouva figement de la convention et monde, concernant l’auteur ses talents de cinéaste en de la mièvrerie, aux antipodes de West Side Story. » Ainsi se solo et Kelly se montra peu de cette passion du mouvement clôt le premier paragraphe apte à réaliser seul, Wise qui est au cœur de West Side d’un livre consacré à Robert pour sa part ne réalisa jamais Story, et du processus Wise1. « L’auteur de West Side un film aussi profondément cinématographique. Pour une Story » : la formulation pose cinégénique que West Side scène finale portée par problème car, en dehors Story. « Il faut rendre à l’intensité dramatique de la même des multiples talents Robbins ce qui est de Robbins : situation, combien de moments convoqués par le film2, celui-ci les élans, les danseurs, la plombés par le « métier » de est officiellement cosigné par grâce, la force ; et à Wise ce Wise (cf. séq. 2, 3, 10, 126), Jerome Robbins, chorégraphe qui est de Wise : les élans des contribuant au paradoxe de ce et metteur en scène de for- danseurs coupés, l’absence film que certains voient comme mation3. Et le plus cinéaste d’air autour des gestes, de vie un exemple de jeunesse, de des deux n’est pas celui qu’on autour des cœurs 4. » En effet vitalité et de modernité artis- croit. Robbins, qui fut le concepteur tiques, et d’autres comme un et le maître d’œuvre du spectacle comble d’académisme factice ! L’UN DANSE, L’AUTRE PAS à Broadway5, obtint de tourner Ce qui conforte ces derniers, La coréalisation d’une comédie lui-même toutes les scènes c’est la faible incarnation du musicale avait un précédent dansées. Professionnel de la « jeune premier » par Richard fameux : le duo Gene Kelly / profession, Wise se vit confier Beymer, inconsistant face à le reste, c’est-à-dire ce qui l’énergie de Moreno, de Jerome Robbins et Robert Wise 1. Danièle Grivel, Laurent Lacourbe, Robert Wise, Éditions Edilig, Collection « Filmo », p. 9. 2. Cf. texte « « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». 3. En réalité, Robbins aurait fait ses premières armes de réalisateur en 1956, techniquement conseillé par Stanley Donen, sur le numéro The Small House of Uncle Thomas dans Le Roi et moi, chorégraphié par lui et signé par Walter Lang. 4. « Directed by, 60 + 60 (+1) cinéastes », notule « Wise Robert » rédigée par Pierre-Richard Bré, in Cahiers du cinéma, n°s150-151, décembre 1963/janvier 1964, p. 178. 5. Cf. texte « « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». 6. Cf. « Découpage séquentiel », par Benjamin Labé, in rubrique « Le récit ». < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 5 AU CINÉMA 08/09
Cinéastes, films Mister Robbins et Docteur Wise et chorégraphies Chakiris et de Tamblyn ou à Billion Dollar Baby, du Roi et 1940 par le montage, qui l’émotion portée par Wood. moi aux Variations Goldberg, restera toujours un peu trop Or c’est par Wise que le rôle lui de la rigueur classique à l’en- « technicienne » ; pour fut attribué. tertainment, toujours avec la Hollywood, aux côtés de Tout sépare les deux coréali- même exigence de perfection, Stevens, Wyler et Zinnemann, sateurs. Robbins, né Jerome de dynamisme et d’innovation. il est le garant d’un sérieux Wilson Rabinowitz, est homme Robert Wise, formé par l’in- passe-partout aux audaces de dons et d’apprentissages dustrie cinématographique, mesurées, qui préfère délivrer multiples (chimie, danse clas- est tout d’abord monteur ; un « message » dans le cadre sique et moderne, théâtre, d’Orson Welles, il n’est que des genres établis plutôt que piano et violon), artiste raffiné, l’exécutant (pour Citizen Kane) de se livrer à de réelles recher- tourmenté par sa judéité et ou le traître réticent (il participe ches narratives ou formelles. par le fait d’avoir dénoncé en au massacre de La Splendeur D’après divers témoins, Wise 1953 devant la Commission des Amberson). Sa première aurait été d’une grande loyauté Robert Wise dirigeant Natalie Wood des activités anti-américaines réalisation est la piètre suite à l’égard de Robbins lorsque huit de ses collègues en tant d’un chef-d’œuvre du fantas- celui-ci fut mis à pied par la que communistes, de peur tique (La Malédiction des production de West Side Story 7. d’être blacklisté et que sa hommes-chats, en 1944, suite Ce n’est pas à l’aune des vertus bisexualité soit étalée au de La Féline de Jacques ordinaires qu’il faut juger les grand jour. Plus encore que Tourneur), sa quasi dernière deux hommes : Wise avait ses contemporains Michael étant la version cinéma du la réputation d’un homme Kidd, Gower Champion et space opera télévisé Star pondéré, patient et gentil, Bob Fosse, et après George Trek. L’autre succès qu’il Robbins, celle d’un bour- Balanchine (avec lequel il col- réalisera (seul) dans le genre reau, usant ses interprètes à labora) et Agnes de Mille, il musical, c’est La Mélodie du force d’exigence et de manipu- donne un nouveau souffle à la bonheur, colossal strudel lations plus ou moins perver- danse américaine, passant tyrolien. Il est de cette ses, afin d’obtenir ce qu’il sans complexe du New York génération (Robson, Dmytryk, souhaitait artistiquement. La City Ballet à Broadway, de Siegel, Sturges) venue à la pratique artistique ne s’em- Jerome Robbins sous le regard de George Chakiris L’Après-Midi d’un faune à réalisation dans les années barrasse pas toujours des 7. Cf. texte « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 6 AU CINÉMA 08/09
Cinéastes, films Mister Robbins et Docteur Wise et chorégraphies qualités morales qu’exige la Pretty, mais se terminent par strictes consignes ; il y a fort à vie quotidienne, ce en quoi les scènes beaucoup plus parier que c’est Wise qui ne Jerome Robbins ne fait que convenues, voire pompières, put s’empêcher d’y introduire, confirmer une loi établie, en du duo d’amour sur le balcon, du avant que Maria n’apparaisse cinéma, par ces tyrans plus conseil de guerre au drugstore au bal, des effets de scintille- ou moins cruels que furent et du mariage symbolique à ment d’image rien moins Le prologue, splendeur et misère Ford, Lang, Mizoguchi, l’atelier de couture. Les pas- qu’indispensables, faisant suite d’une courtisane Visconti ou Pialat. sages non dansés, a priori les moins assujettis au spectacle au déjà discutable tournoie- ment lumineux de la jeune Objectif : Montrer que l’emphase du prologue entretient 4. Verticalité/horizontalité : gigantisme architectural de Broadway, sont ceux qui fille qui termine la séquence le mythe américain en même temps qu’elle le critique. accentué par la plongée > buildings isolés au milieu SCHIZOPHRÉNIE semblent les plus théâtraux, précédente à l’atelier de couture. Avec DVD. de constructions moins ambitieuses > rétrécissement Déroulement : généralisé des bâtiments. STYLISTIQUE au mauvais sens du terme Revoir le prélude (séq. 0), observer les oppositions dans 5. Couleurs : au départ encore un peu contrastées La schizophrénie qui caractérise (ceux dansés conservant quant La dernière preuve de la diffé- le prologue (séq. 1). (East River, espaces verts) dans la continuité du prélude West Side Story, peu courante à eux quelque chose de scé- rence de « hauteur » artistique 1. Prélude musical : métaphore du salad bowl plutôt que musical, graduellement unifiées, tendant vers le grisâtre. dans l’histoire du cinéma nique qui n’enlève rien à leur entre les deux hommes est du melting pot (thèmes musicaux et couleurs, juxtaposés Prolongement : Une comparaison avec trois autres mais non fusionnés, évoquent la pluralité) ; le motif extraits de films est proposée à cette adresse : (parce que tributaire d’un cinégénie). Même constat pour inversement proportionnelle composé de petites lignes, qui évoque la forme http://www.cinehig.clionautes.org/article.php3? inceste Broadway-Hollywood la séquence du bal (4) : elle à leurs hauteurs spatiales des États-Unis, laisse place à Manhattan : effet id_article=149 qui s’est rarement reproduit débute par les impressionnantes respectives au moment où de rétrécissement, déjà. 2. Grand/petit : progressivement, à partir de la vue très dans les mêmes termes) et à scènes de danse collective, elle se manifeste, c’est-à-dire large sur Manhattan, resserrement des plans (jusqu’au laquelle il fallait faire un sort pour tomber dans les effets chers au début du film. S’y succèdent zoom avant sur les Jets), et découpe de la ville en au début de ce livret pour n’y à Wise tels cette vaseline8 qui le prélude aérien filmé par morceaux. 3. Ouvert/fermé : presqu’île de Manhattan accessible plus revenir, pourrait faire envahit l’image afin de séparer Wise, puis la séquence au sol, (ponts, bateaux) > pont de Brooklyn (circulation fluide) l’objet d’un travail de repérage Maria et Tony du reste de la tournée par Robbins, des et bretelles d’accès, bateaux (ouverture sur le monde) > stylistique avec les lycéens et foule et signifier leur coup de premières escarmouches entre immeubles et circulation plus rares > terrain de jeu telle une cour de prison, avec seulement une bicyclette. les apprentis. Elle se fait sentir foudre, et tout l’attirail visuel Jets et Sharks. Dans le prélude, au sein même de certaines chargé d’exprimer la solitude- il s’agissait pour Wise d’éviter séquences : 5, 6 et 7 com- face-au-monde des amoureux. le cliché visuel consistant à mencent respectivement par Les scènes de danse collective ouvrir le film par des images l’ébouriffante chorégraphie de cette séquence furent de l’East River, du pont de 8. Afin d’obtenir cet effet de flou sur certaines parties de l’image, on étale effectivement par zones de la vaseline sur d’America, l’hilarant Gee, Officer tournées après l’éviction de Brooklyn et de la skyline des un filtre placé devant l’objectif de la caméra ; en l’occurrence, des « réserves » ont été ménagées pour conserver nets Krupke et le charmant I Feel Robbins, mais selon ses très gratte-ciel, en donnant à voir Maria et Tony. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 7 AU CINÉMA 08/09
Cinéastes, films Mister Robbins et Docteur Wise et chorégraphies New York d’un point de vue surplombant, à partir d’un Films et chorégraphies hélicoptère. Nouveauté, donc, Des quarante films réalisés par Robert De la vaste carrière de chorégraphe de 1962 : A Funny Thing Happened on the qui garde encore aujourd’hui Wise, rappelons les suivants : Jerome Robbins, partagée entre ballets Way to the Forum (chansons de Stephen la « force du premier geste » 1945 : Le Récupérateur de cadavres (« sérieux ») et comédies musicales, Sondheim), adapté en 1966 par Richard (et qui est en outre fort bien (The Body Snatcher) on ne citera ici que les musicals de Lester (Le Forum en folie) conçue), mais à son tour 1949 : Nous avons gagné ce soir Broadway qui ont été adaptés au cinéma : 1964 : Funny Girl, adapté en 1968 devenue un cliché : on ne (The Set-Up) 1944 : On the Town (musique de Leonard par William Wyler (id.) compte plus, depuis, les films 1951 : Le Jour où la Terre s’arrêta Bernstein9), adapté en 1949 1964 : Fiddler on the Roof, adapté américains commençant par (The Day the Earth Stood Still) par Gene Kelly et Stanley Donen en 1971 par Norman Jewison (Un violon des plans aériens d’une grande 1954 : La Tour des ambitieux (Un jour à New York) sur le toit) ville. En revanche, les scènes (Executive Suite) 1951 : The King and I, adapté en 1956 de rue auxquelles ce prélude 1956 : Marqué par la haine par Walter Lang (Le Roi et moi) permet d’accéder restent (Somebody Up There Likes Me) 1954 : The Pajama Game, adapté en uniques : cette suite d’instants 1959 : Le Coup de l’escalier 1957 par Stanley Donen (Pique-nique chorégraphiés en extérieurs (Odds Against Tomorrow) en pyjama) réels compte parmi ce que le 1961 : West Side Story (id.), coréalisé 1956 : Bells Are Ringing, adapté en 1960 film offre de plus euphorisant. avec Jerome Robbins par Vincente Minnelli (Un numéro Dès que la police intervient, 1963 : La Maison du Diable du tonnerre) on revient au train-train de la (The Haunting) 1957 : création de West Side Story réalisation wisienne. En fin de 1965 : La Mélodie du bonheur à Broadway compte, peut-être faut-il voir (The Sound of Music) 1959 : Gypsy : A Musical Fable (livret une sorte de logique dans le 1966 : La Canonnière du Yang-Tse d’Arthur Laurents, chansons de Stephen fait que les scènes « d’ordre » (The Sand Pebbles) Sondheim), adapté en 1962 par Mervyn (ordre policier, ordre narratif 1971 : Le Mystère Andromède LeRoy (Gypsy, Vénus de Broadway, des scènes « à faire » du point (The Andromeda Strain) avec Natalie Wood) de vue affectif ou informationnel) aient été tournées par Wise… Jean-François Buiré 9. Collaborateurs cités entre parenthèses : cf. texte « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 8 AU CINÉMA 08/09
Équipe et histoire du film D’Est en Ouest, historique Au départ, cela devait s’appeler sexualité moralement incorrecte conjugue les talents d’artistes East Side Story… dans l’Amérique de l’époque estampillés « sérieux ». Mais, En 1949, Jerome Robbins, (Laurents est homosexuel, en elle-même, l’histoire pro- chorégraphe au Ballet Theatre Bernstein et Robbins sont posée par Robbins n’enflamme de New York et au New York bisexuels). De telles précisions pas l’imagination du trio. City Ballet, soumet un projet ne sont pas superflues : elles Depuis le XVIIIe siècle, Roméo au dramaturge Arthur Laurents dessinent un imaginaire qui et Juliette a déjà donné lieu à et à Leonard Bernstein, alors déterminera celui de l’œuvre une bonne trentaine d’adapta- assistant du chef du New York à venir. L’alchimie créative qui tions musicales, dont vingt- Philharmonic Orchestra1 : unit ce trio de têtes, auxquelles sept opéras : de quoi éteindre créer une comédie musicale s’ajoute Stephen Sondheim les inspirations les plus qui transposerait la trame (né en 1930, juif et homosexuel), fécondes. de Roméo et Juliette de qui les rejoindra en 1955 pour L’étincelle va jaillir six ans Shakespeare dans le Lower écrire les paroles des chansons plus tard, d’une actualité brû- East Side de Manhattan, où avec l’intelligence et la sensibilité lante. Dans les années 1950, s’opposeraient juifs et catho- requises, s’avérera décisive délinquance juvénile et cultu- liques. Initialement, la moderne pour la réussite de l’entreprise. res de groupe sont sous les Juliette est juive, Roméo restant Pour l’heure, l’homme du feux des médias. En 1955, pour sa part italien. mouvement, celui des notes Albert K. Cohen énonce sa Les trois hommes ont beau- et celui des mots ne parviennent théorie de la « sous-culture », coup en commun : année de pas à développer le projet. Ce fille de la frustration sociale naissance (1918 : leur point de qui les enthousiasme dans ce en milieu urbain, dans son livre vue sur de jeunes personnages dernier, c’est son ambition : Delinquent Boys. À la suite sera donc, in fine, celui de créer un grand spectacle d’un article du Los Angeles quadragénaires), judéité et syncrétique et populaire qui Times sur une guerre des Stephen Sondheim, Leonard Bernstein et Jerome Robbins 1. Dont il prendra la direction en 1957, l’année de la création de la version scénique de West Side Story. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 9 AU CINÉMA 08/09
Équipe et histoire D’Est en Ouest, historique du film gangs qui se déroule à commun. Cependant, ses discerner3. » Ou encore : traiter « Hell’s Kitchen », dans le qualités dramaturgiques s’ex- un sujet grave qui se solde, au West Side, entre Américains priment à nu dans la scène où bout de deux heures et demie, « de souche » (c’est-à-dire Maria, entre pietà, Antigone et par la mort de trois jeunes des immigrés de seconde ou Furie, jette l’anathème sur les gens ; rejeter le « formalisme de troisième génération issus deux bandes rivales, après la poétique » comme le « plat de familles irlandaises, italiennes mort de Tony : Bernstein tente reportage » (selon les termes et polonaises) et Portoricains, désespérément de composer de Laurents), le naturalisme Arthur Laurents propose de une aria à la mesure de sa misérabiliste comme la mièvrerie transformer le conflit religieux colère, mais de son propre conventionnelle ; concilier en conflit ethnique. Il met ainsi aveu tout sonne faux, et ce classicisme et modernité, le feu aux poudres : Bernstein, sont finalement les mots que exigence extrême, tant musicale anti-raciste de longue date, Laurents a écrits pour servir que chorégraphique, et séduction saute sur l’idée, de même que de guides au compositeur et spectaculaire ; rassembler, sur Robbins, trop heureux de voir au parolier qui sont seuls scène et dans la fosse d’orchestre, son projet relancé. retenus2. un nombre inusité de danseurs Laurents n’est pas blasé : Chacun des trois comparses a impliqués dans des chorégraphies c’est la première fois qu’il conscience de placer la barre collectives, et de musiciens écrit pour Broadway, et son très haut. « Rester sur la qui doivent passer par tous travail se distingue des livrets mince ligne entre opéra et les registres, du symphonique habituels de musicals par la Broadway, réalisme et poésie, au mambo ; le tout pour un manière dont, d’emblée, il ballet et “ simple danse ” , spectacle qui, « portant sur intègre leurs différentes com- abstraction et représentation. des enfants, ne saurait posantes (drame, musique, Éviter les “messages”. La dépendre de stars4 », et qui chant, danse) de sorte qu’elles ligne est là, mais elle est très requiert pourtant de ses jeunes ne fassent pas cavalier seul, fine, et il faut parfois beau- interprètes, parfois peu expé- mais participent d’un élan coup regarder autour pour la rimentés dans l’une ou l’autre 2. De cette scène, Laurents écrit d’abord une version plus proche de la fin de Roméo et Juliette : après son monologue 3. Traduction d’un extrait du Journal de West Side Story (A West Side Log) écrit par Leonard Bernstein, consultable à sur la haine, Maria tue Chino puis se tue elle-même, espérant retrouver Tony dans la mort. Les adultes arrivent trop l’adresse suivante : http://www.westsidestory.com/archives_excerpts.php. tard, Anita leur raconte toute l’histoire et Jets et Sharks dépassent leurs différences. Mais le public des avant-premières 4. Leonard Bernstein, ibid. trouve cette fin un peu trop déprimante… < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 10 AU CINÉMA 08/09
Équipe et histoire D’Est en Ouest, historique du film de ces disciplines, qu’ils de Porto Rico, mais c’est du elle est stupéfaite de l’énergie, sachent à la fois jouer des pur Bernstein. Le mouvement de l’inventivité et de la émotions intenses et exécuter ressemble tantôt au rock, tan- cohésion de l’ensemble du des danses et des chants pour tôt au combat de rue, mais tout spectacle. Celui-ci n’est pas le moins complexes. Le est danse selon Robbins. » d’emblée un grand succès caractère a priori « difficile » Quant à ce dernier, il tient la public : il faut du temps pour du spectacle fait fuir en cours barre contre vents et marées : que les spectateurs de Broadway de route une première pro- celle, murale, du studio de se mettent au diapason de ductrice, et Columbia Records répétition, où il va épuiser son ambition et de sa com- rejette l’idée d’enregistrer la danseurs et assistants, et plexité. West Side Story tient musique de Bernstein, jugée celle, morale et artistique, l’affiche du Winter Garden trop ardue. Avant la première qu’il garde sur le projet de sa Theater pendant presque de New York, Laurents écrit première ébauche jusqu’à deux ans, avant de partir en dans le Herald Tribune : « Nous sa réalisation, scénique puis tournée. Quand l’adaptation voulions atteindre une illusion filmique. Seul Hollywood cinématographique sortira de la réalité exaltée par la parviendra à lui faire lâcher en 1961, ces quatre années musique et par la scène. Dans prise, un temps. auront préparé les conditions l’histoire, j’ai mis en avant les de son retentissement mondial. personnages et les émotions DE BROADWAY plutôt que la précision géo- À HOLLYWOOD C’est à Ernest Lehman, le graphique ou les statistiques Les premières représentations scénariste de La Mort aux sociologiques. Le dialogue, du spectacle ont lieu à trousses d’Alfred Hitchcock, c’est ma traduction théâtrale Washington D.C. puis à que revient la charge d’adapter du parler adolescent de la rue : Philadelphie et enfin à New le livret d’Arthur Laurents. cela peut sonner vrai, mais ça York, le 26 septembre 1957. De la scène à l’écran, ne l’est pas. La musique a le La critique fait parfois la moue quelques termes disparaissent son du juke-box ou l’accent devant l’histoire d’amour, mais (« sperme », « bâtard », « fils Une scène de West Side Story à Broadway < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 11 AU CINÉMA 08/09
Équipe et histoire D’Est en Ouest, historique du film de pute »), et l’ordre des scènes l’attente de Tony, ignorante de et particulièrement dans ce est parfois transformé : le la mort de Bernardo, séq. 10). moment de première éclosion bouffon Gee, Officer Krupke, de la danse, il demande à Arthur qui succédait au combat Les producteurs du film tiennent Laurents de lui écrire un petit dans lequel meurent Riff et à s’adjoindre les services de scénario pour cette séquence, Bernardo, le précède désormais Jerome Robbins, la tête et qu’il suivra de plus ou moins (séq. 6), échangeant sa place (par procuration) les jambes près selon ses besoins. Le avec celle de Cool (séq. 11) ; du spectacle, mais celui-ci tournage du prologue, prévu I Feel Pretty, qui était chanté refuse de n’être que choré- au départ sur deux à trois par Maria et ses amies dans graphe : il obtient de réaliser semaines, prendra finalement sa chambre à coucher juste lui-même les scènes de danse autant de temps que sa avant qu’elle n’apprenne l’issue —ou de mouvements stylisés—, préparation. Une fois à New du combat, prend place dans comme celle du combat sous York, Robbins bouleverse la l’atelier de couture au lendemain le pont d’autoroute. Robert chorégraphie élaborée à de la scène du balcon (séq. 7), Wise, quant à lui, doit s’occuper Hollywood pour cette première avant que le combat n’ait lieu. des scènes purement drama- séquence, au gré des idées Le film y gagne en logique tiques. Avant de commencer à que lui inspire le fait de dramatique et affective mais tourner, Robbins soumet ses travailler sur le motif, dans perd de cette cruelle ironie, danseurs à trois mois de les vraies rues du West Side, lorgnant du côté de Brecht et répétitions intensives, dont en pleine canicule estivale. de Kurt Weill, que suscitait deux rien que pour préparer Canicule, orage : des pluies l’emplacement des « numéros » le prologue (séq. 1), lequel torrentielles s’ajoutent au en question dans la version constitue la première séquence perfectionnisme obsessionnel scénique (cruauté qu’on du plan de travail, et la seule de Robbins pour accroître le retrouve, mais très atténuée, prévue en extérieurs réels. retard d’un tournage qui, au dans les quelques pas de Toujours soucieux d’éviter bout du compte, s’étalera sur danse qu’esquisse Maria dans l’arbitraire chorégraphique six mois, durée exceptionnelle Leonard Bernstein < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 12 AU CINÉMA 08/09
Équipe et histoire D’Est en Ouest, historique du film pour une comédie musicale. complexes du point de vue signe de défi, devant le bureau Les foudres de la production rythmique (c’est-à-dire, étant de leur tortionnaire. La pro- s’annoncent déjà. donné la musique de Bernstein, duction décide alors de mettre Toute la suite du film sera pratiquement toutes les scènes !), fin à la multiplication incontrôlée tournée sur la côte Ouest, aux elle est présente sur le plateau, des prises de vues et des studios Goldwyn, sous la au piano, permettant aux variantes de mise en scène en direction artistique de Boris danseurs de caler leurs renvoyant Robbins. Leven auquel on doit l’hyper- mouvements malgré le mor- Heureusement, il a eu le temps réalisme poétique des décors, cellement de la chorégraphie de préparer avec les danseurs et cette prédilection pour les par le découpage cinémato- les différentes chorégraphies rouges intenses qui colorent graphique. de la scène du bal avant d’être aussi bien la structure du pont Aux yeux des producteurs de mis à pied, aussi Wise n’a-t-il autoroutier que le gymnase West Side Story, le tournage plus qu’à enregistrer celle-ci. où se déroule le bal (séq. 4). de Cool (séq. 11) constitue Il fait en sorte que Robbins, Son travail chromatique est sans doute l’excès de trop. Par durant dix jours, puisse exercer habilement relayé par un rapport à sa version scénique, son droit au montage du film, autre vétéran de Hollywood, le Robbins change considéra- dix jours qui sont sans doute directeur de la photographie blement la chorégraphie, décisifs pour que ce dernier Daniel L. Fapp : par exemple, menant les danseurs à leurs mette en forme l’énorme lorsqu’il projette les couleurs dernières extrémités physiques. quantité de pellicule par lui bigarrées des carreaux de la Dans l’atmosphère confinée impressionnée. Une autre porte de la chambre de Maria du décor de hangar où la vexation s’exerce à l’issue du sur les murs de celle-ci. Un scène est tournée, les malaises tournage, celle des acteurs apport plus discret et pourtant succèdent aux blessures ; dont la voix est postsynchroni- essentiel est celui de la music lorsque la scène est enfin sée dans les moments chantés, assistant Betty Walberg. Dans « mise en boîte », les martyrs partiellement dans le cas de les scènes particulièrement brûlent leurs genouillères, en Rita Moreno et de Russ < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 13 AU CINÉMA 08/09
Equipe et histoire D’Est en Ouest, historique du film Tamblyn5, intégralement dans Cependant, en Amérique, seul celui de Natalie Wood et de le succès a le dernier mot. Richard Beymer (seul George Robbins et Wise seront tout Chakiris n’est jamais doublé). sourires pour aller récolter C’est surtout douloureux pour de concert une moisson Natalie Wood, qui contractuel- d’Oscars comme Hollywood lement devait chanter elle- n’en connut qu’à deux ou trois même toutes ses parties. reprises6, et West Side Story, Mais sa voix s’avère insuffisante cette fois, trouvera d’emblée pour les exigences lyriques une immense et enthousiaste bernsteiniennes, et c’est fina- audience, en son pays et partout lement celle de Marni Nixon ailleurs. Le film sera déclaré (qui doublera également Audrey « culturellement exemplaire » Hepburn dans My Fair Lady) (« culturally significant ») par que l’on entend dans le film. la Bibliothèque du Congrès, et Les deux dernières phrases sélectionné pour être conservé de Maria (« Don’t you touch par le Registre national du him ! » et « Te adoro, Anton ») film en 1997. sont en fait dites par celle-ci. Jean-François Buiré Rita Moreno, doublée pour A Boy Like That (séq. 12), considère pour sa part que la voix de Betty Wand ne s’accorde pas à la fureur de son jeu dans la scène en question. 5. Cf. « Doublage des chants », par Jean-François Buiré, in rubrique « Générique et Synopsis ». 6. Cf. « Prix aux États-Unis », par Jean-François Buiré, in rubrique « Générique et Synopsis ». < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 14 AU CINÉMA 08/09
Personnages / Acteurs À la recherche de la star perdue Malgré sa renommée mon- de West Side Story ne par- sonnages ; mais, au-delà de diale, West Side Story n’a pas viendra pas à ressusciter. cet impératif, les interprètes fait des stars de ses interprè- C’est en fait tout le système envisagés puis retenus pour tes principaux. Au contraire, il hollywoodien des grands le film le sont aussi en raison semblerait que chacun d’eux studios qui est en crise pro- d’une cinégénie propre à la se soit vu figé dans le statut fonde, à commencer par l’un séduction exercée par la star : d’« acteur de West Side Story ». des principes sur lesquels avant Natalie Wood, Audrey Aucun ne retrouva un cinéaste il repose : le star system. Hepburn (trente et un ans en aussi exigeant que Jerome À Broadway, West Side Story 1960) faillit être Maria, et pour Robbins, qui les avait amenés était délibérément dénué de Tony furent entre autres à dépasser leurs propres limites. grands noms, le spectacle envisagés Marlon Brando, Ils avaient tous commencé mettant en scène de très jeunes Anthony Perkins, Warren très jeunes sur scène ou à gens confinés dans un quartier Beatty et Elvis Presley ! En fin l’écran, mais après ce film ils populaire de New York. De la de compte, les acteurs de n’ont souvent joué que dans scène à l’écran ne sont West Side Story ont un air des films oubliables ou impro- conservés que quelques juvénile mais leur âge reste bables1, ou dans de piètres interprètes, souvent dans un plus élevé (vingt-cinq ans en séries télévisées. Même dans rôle différent2. Les acteurs moyenne) que celui qu’on le genre musical, à quelques choisis pour le film le sont, a prête, a priori, à leurs person- exceptions près, ils n’ont plus priori, au nom du pur bon nages, lequel du coup devient eu l’occasion de rallumer les sens : Carol Lawrence et un peu abstrait : sont-ils ado- feux qu’ils avaient embrasés Larry Kert, trentenaires, lescents, post-adolescents, dans le film de Robbins et incarnaient Maria et Tony sur jeunes adultes ? Plutôt que Wise. scène du fait de leurs capacités des jeunes, dans ce film de Il faut dire qu’en ce début des vocales, or le réalisme ciné- groupes, ils représentent la années 1960 le musical est un matographique exige un âge jeunesse : ce fonctionnement genre moribond, que le succès plus proche de celui des per- archétypal, qui ne choque pas Richard Beymer 1. Cf. les « films d’exploitation » interprétés par Russ Tamblyn : Frankenstein’s Monsters : Sanda vs. Gaira, Satan’s Sadists, Dracula vs. Frankenstein, The Female Bunch, etc. 2. Ainsi, David Winters passe de Baby John à A-rab, et Tony Mordente d’A-rab à Action. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 15 AU CINÉMA 08/09
Personnages / À la recherche de la star perdue Acteurs sur scène car il participe de danse tout autant qu’« Anita »3 dépourvu. Peut-être, après l’artifice inhérent au théâtre, (en outre, la chorégraphie de tout, eût-il fallu Brando ou est dangereux dans un film où Robbins se singularise pour Perkins pour le rôle de Tony ! il peut être en porte-à-faux chaque acteur/personnage, Cette imprécision de l’âge des avec le réalisme fondamental à la fois en fonction des carac- personnages crée un sentiment du cinéma. téristiques du personnage et d’intemporalité qui redouble C’est par la danse que ce danger des particularités physiques celle du contexte de l’œuvre, à est évité car elle exalte une et techniques du danseur qui la fois très actualisé — la fin jeunesse essentielle des corps, l’interprète). Le phénomène des années 1950, dans un dont le cinéma capte l’ex- de la star permet également quartier précis de New York traordinaire énergie ; grâce à d’effacer cette scission mais (et à ce titre le prologue est le elle, l’idée abstraite de jeunesse de façon plus mystique, moins moment où le film prend prend corps. À un certain concrète. Si le personnage corps topographiquement) — Rita Moreno degré de générosité physique, qui s’avère d’emblée le plus et virtuellement indéterminé même mis en scène et frag- artificiel est Tony, c’est entre — éternel antagonisme des menté par le montage, le autres parce qu’il ne danse conflits collectifs et des corps ne peut mentir, au pas, et ne peut ainsi dépasser amours individuelles4. En une contraire de la fiction. Cette la convention du jeune premier contradiction qui participe vérité corporelle, dont le ciné- ébahi d’amour. Il ne commence peut-être de la tension du ma est particulièrement apte à exister que vers la fin du film, l’interminable casting à saisir l’empreinte, permet film, lorsqu’il est physiquement qui précéda le tournage visait de dépasser la scission mis à mal. Maria danse un l’intemporalité imaginaire acteur/personnage puisque, peu plus (séq. 7 et 10), mais d’un star system, mais à sans briser le pacte narratif ni son déficit chorégraphique est occurrence unique, sans len- l’enchantement du film, on peut surtout compensé par l’intensité demain, et au moment même, avoir pleinement conscience dramatique de Natalie Wood, très précis quant à lui, où les que c’est « Rita Moreno » qui dont Richard Beymer est fondements de ce système George Chakiris 3. Ce n’est pas le cas du chant, tant la postsynchronisation manifeste de la plupart des interprètes les empêche de faire corps avec leur voix. 4. Roméo et Juliette, précisément contextualisé au moins du point de vue géographique, présente une ambivalence comparable ; on la trouve sans doute dans tout récit dramatique quelque peu ambitieux, mais elle n’est pas toujours aussi affirmée. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 16 AU CINÉMA 08/09
Personnages / À la recherche de la star perdue Acteurs étaient en train de s’effondrer. d’ajouter : « C’est un rôle qui vole de même dévolu à une « native », Le star system éphémère la vedette 5. » Née en 1931, grimée pour l’occasion… créé par le film est peut-être Moreno est la plus âgée des Après West Side Story, George une autre expression de la cinq interprètes principaux, Chakiris vit Bernardo lui coller jeunesse, ce moment de la vie mais aussi la plus énergique. aux basques pour le reste de centre de tous les désirs et de Au contraire du Grec George sa carrière. Pourtant, c’est toutes les attentions, mais qui Chakiris et de Natalie Wood, Riff, le leader des Jets, qu’il n’a qu’un temps : effet pervers qui est d’origine russe, elle interprétait dans la version du spectacle qui prendra par est portoricaine, ce qui donne scénique à Londres. Excellent la suite d’autres formes, qu’il d’autant plus de force, dans danseur, avec cette touche soit exposé plus ou moins America (séq. 5), au triste d’androgynie qui rend son cyniquement (la factory d’Andy portrait qu’elle dresse de son agressivité à l’égard d’adver- Warhol) ou exploité sans île natale. Aussi douée pour saires masculins encore plus scrupule (la « télé-réalité » jouer que pour chanter et intense, Chakiris n’eut pas contemporaine). danser, elle se fait remarquer non plus la carrière qu’il en 1956 dans Le Roi et moi, méritait : juste après West chorégraphié par Robbins, où Side Story, on s’ingénia à lui UN JET, TROIS SHARKS elle est une concubine du roi donner des rôles ténébreux Quelques mots sur les autres de Siam au caractère bien de type Bernardo, mais non acteurs, à commencer par l’é- trempé : à son grand dépit, dansés. Seul Jacques Demy le lectrisante Rita Moreno. Si elle a dû longtemps faire avec fit renouer avec la comédie Anita a une ancêtre en opéra, le racisme hollywoodien qui la musicale, et ce fut en 1967 c’est la Carmen de Bizet. cantonnait dans des seconds son deuxième grand succès Arthur Laurents, l’auteur du rôles « ethniques » de squaws dans le rôle d’un des forains livret, le dit tout net : « Anita ou d’Asiatiques. Dans West des Demoiselles de Rochefort : est le rôle le plus efficace. Side Story, son personnage si son personnage est aussi Elle arrive, marque un but vole certes la vedette, mais le léger et insouciant que et s’en va. » Et Rita Moreno rôle principal officiel est tout Bernardo était amer, il fonc- Russ Tamblyn 5. Souvenirs de West Side Story, cf. rubrique « Documents », par Jean-François Buiré. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 17 AU CINÉMA 08/09
Personnages / À la recherche de la star perdue Acteurs tionne tout de même comme l’échelle des Jets et des personnage qui n’est quasiment une citation vivante car ces Sharks, ces derniers s’avérant jamais visible), et Deanie, Demoiselles sont marquées plus félins et gracieux que les que les conventions familiales, par le souvenir de West Side « natifs ». sexuelles et sociales manquent Story (que ce soit dans la Natalie Wood, enfin. Sans être de rendre folle dans La Fièvre scène initiale d’éclosion de la une star, elle est la plus dans le sang 10. Petite fille danse, dans la référence connue : ex-enfant vedette, modèle dans ses premiers d’une séquence à la structure elle tourne depuis l’âge de rôles, elle a des relations de fuguée de Tonight (séq. 8) ou cinq ans 7. « Douloureux » est plus en plus complexes ou dans le style chorégraphique le terme qui convient le mieux difficiles avec ses parents, au général). à ses meilleurs rôles : la point que ceux-ci disparais- Au départ, Russ Tamblyn est jeune fille révoltée de La sent carrément de l’écran moins un danseur qu’un Fureur de vivre 8 (film qui, par dans West Side Story. Ses gymnaste, ce qui le servit son travail sur l’écran large et danses, grossières au regard dans l’acrobatique séquence la couleur, le phénomène des de celles de Moreno, Chakiris de la fête villageoise des Sept « bandes de jeunes » et la et Tamblyn, sa voix doublée Femmes de Barberousse6. scène du combat au couteau pour les chants, sa caractéri- Leader des Jets dans West au cours de laquelle James sation ethnique (fond de teint Side Story, il exécute des Dean est traité de « chicken », et accent outrancier) ne l’em- sauts périlleux (séq. 4) ou se anticipe West Side Story), pêchent pas d’émouvoir : qualité juche sur une barre de métal Debbie, enlevée par les Indiens mystérieuse de la star que, en (séq. 1). Son style est délibé- dans La Prisonnière du désert 9 d’autres temps, elle eût été. rément moins élégant, plus (un rôle déjà métissé, et égale- Jean-François Buiré physique que celui de Chakiris, ment présent-absent puisque différence que l’on retrouve à tout tourne autour de son Natalie Wood 6. Seven Brides for Seven Brothers, Stanley Donen, 1954. 8. Rebel Without a Cause, Nicholas Ray, 1955. 7. Elle fut entre autres la fille de Gene Tierney dans L’Aventure de Madame Muir (The Ghost and Mrs Muir), de Joseph 9. The Searchers, John Ford, 1956. Mankiewicz, en 1947. 10. Splendor in the Grass, Elia Kazan, 1961. < < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 18 AU CINÉMA 08/09
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