L'ESCROQUERIE NUCLÉAIRE - CHARLIE HEBDO - Planète sans visa
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HORS-SÉRIE CHARLIE HEBDO L’ESCROQUERIE NUCLÉAIRE
SOMMAIRE COMMENT ÇA MARCHE
Le cycle du nucléaire pour les nuls
LES GRANDES FOLIES
4
LES CADEAUX ÉTAIENT PRESQUE
PARFAITS
Comment couler un Viel ?
34
37
t L’ÉDITO DE …
DU PASSÉ 6 Les ports de l’angoisse 38
Guillaumat, acteur, réacteur
et grand manipulateur
Le joli temps des suppos au radium 10
8
Mais où sont passés
tous ces foutus déchets ?
PORTRAIT.
40 L’AVENIR
L’art de faire la bombe à la maison 12
Annie et les soutiers de l’atome
Et si on planquait tout sous terre ?
41
42
D’UNE ESCROQUERIE
PORTRAIT.
Mendès France. la mémoire qui flanche 13 Déportés vers la Sibérie 46
NIGER. ’est un peu con d’écrire comme l’impulsion de Fournier, soutenu par Cabu,
Qui a entendu parler de
la commission Peon ? 14 L’Afrique, c’est l’uranium,
et c’est la France 47
CLe Monde, mais le nucléaire est à un
tournant. Même si les services de pro-
pagande d’EDF et d’Areva font tout pour le
Cavanna, Reiser et tous les autres, Charlie
lançait la première grande manif antinu-
cléaire, à Bugey, dans l’Ain. Ceux qui ont
PORTRAIT.
Quand Messmer faisait droit cacher, la folle aventure de l’atome se barre en connu cet été 1971 n’en sont pas revenus.
dans ses bottes 15 L’AVENIR D’UNE ILLUSION 48 sucette. En couille, pour être franc. La der- Charlie non plus.
nière blague — en cours — est belge. Le réac- La contestation du nucléaire et de ses
Superphénix, mort mais pas enterré 16 EDF et Areva : teur numéro 3 de la centrale de Doel, en inimitables méthodes est dans nos gènes.
beaucoup plus que la lumière 50 Flandre, a été arrêté après des contrôles aux Non, on n’aime pas les salopards qui ont créé,
Qui c’est donc le plus con ? 18 ultrasons qui ont révélé l’existence de 10 000 sans le moindre débat, cette industrie de la
La pub, cette industrie du mensonge 52 anomalies dans la cuve. Et, parmi elles, des terreur. Oui, on veut la fin du cauchemar.
Dès le départ, les gros bobards milliers de fissures, dont les plus grandes Vous allez découvrir dans ce numéro de Char-
de la Hague 20 PORTRAIT. atteignent 20 mm. On appelle cela une catas- lie quantité de choses que les gazettes arro-
Un nuage passe sous le nez de Pellrin 53 trophe industrielle. sées de pub atomique ne vous ont jamais
REVUE DE PRESSE Un qui s’en fout, c’est le fabricant de la dites.
Que disait la presse d’il y a 50 ans 21 (Con) fusion chez les amis de Cheminade 54
cuve, le groupe néerlandais Rotterdamsche Des personnages sortis de la naphtaline,
PORTRAIT. Droogdok Maatschappij, disparu sous ce nom comme Guillaumat, Mendès, de Gaulle, Mess-
LE MOUVEMENT Bruno Comby, carotte crue en 1996 après avoir vendu vingt cuves du mer, s’apprêtent à prendre la parole pour dire
ANTINUCLÉAIRE 22 et atome à tous les étages 55 même type dans toute l’Europe et sur le conti- enfin ce qui s’est vraiment passé. La commis-
nent américain. Mais la France n’est pas la sion Peon, qui aura à peu près tout décidé en
Fournier, électron éternellement libre 24 Un Fukushima bien d’chez nous 56 Belgique, non ? Ben, on se demande : au notre nom, fait un coming out on ne peut plus
moment où Charlie boucle ce hors-série, on involontaire. EDF et le CEA, qui donna nais-
PORTRAIT. Le nucléaire est vraiment sur le déclin 58 apprend que les réacteurs nucléaires français sance à Areva, apparaissent enfin pour ce
Didier Anger, superphénix ont, eux aussi, qu’ils sont : des machines de guerre. Car voilà
des antinucléaires 25 T’as vu la gueule de l’expert ? 60 leurs fissures. la vérité cachée de ce dossier infernal : une
‘ ’
Mais, comme le poignée de soi-disant responsables jouent
Quand le PS parlait pour ne rien dire 26 Un avenir vraiment renouvelable 62 serine la chanson notre avenir commun à la roulette russe.
PORTRAIT.
accroche officielle, rien à Contrairement à ce qui a été affirmé pendant
Debout, les irradiés de la Terre 27 voir avec celles quarante ans par les joyeux atomistes asso-
Mycle Schneider, Philip Marlowe des si minables ciés, le risque d’accident grave est réel. Et, du
936 associations contre le nucléaire 28 du nucléaire 63
cuves belges. même coup, cinglé. Qui a envie de fuir un
Les couvertures auxquelles vous avez Le merdier est nuage radioactif ? Qui a envie de vivre dans
PORTRAIT.
échappé 64 partout. L’Allemagne a renoncé au nucléaire une France privée à jamais du Cotentin ou de
Stéphane Lhomme,
et prend trente ans d’avance sur nous en la vallée du Rhône ? Qui se souvient que la
grand casse-couilles anti-atome 29
misant sur le soleil et le vent. Fukushima a centrale de Nogent-sur-Seine n’est qu’à
Le mort très emmerdant de Malville 30 démontré qu’aucune technologie, aussi 80 kilomètres de Paris ?
« avancée » qu’elle semble, ne met à l’abri de la Contrairement à ce que les bons esprits
PORTRAIT. catastrophe majeure. Chez nous, Areva a racontent dans les salons, il n’y a pas de com-
Un certain Lambert, théâtreux perdu plus de deux milliards d’euros en 2011 promis possible avec le nucléaire. Demander
et séditieux 33 et doit à n’importe quel prix fourguer son moins de nucléaire, c’est réclamer de moins
nouveau réacteur expérimental, l’EPR, à des mourir. Les socialistes au pouvoir ont massi-
pays solvables, aussi stables que la Chine, au vement choisi : le gouvernement en place,
bord du gouffre. Mais les deux prototypes bien loin des fausses frayeurs du candidat
d’EPR en construction, en Finlande et en Sarkozy, est empli de militants du nucléaire, à
Normandie, sont la risée générale, multi- commencer par la ministre de l’Enseigne-
pliant les (énormes) retards, explosant les ment supérieur, Geneviève Fioraso, et celui
coûts, accumulant les embrouilles et… les fis- des Affaires européennes, Bernard Caze-
sures. neuve. Au fait, qui a déclaré : « je crois au
En résumé, tout va bien. Mais les enjeux contraire que le nucléaire […] justifie pleine-
sont tels qu’il faut continuer à sourire sur les ment l’organisation d’un vaste débat dans
photos de groupe. C’est ce moment que choi- notre pays ; enfin informés, les Français pour-
sit Charlie pour raconter à sa façon une his- ront se prononcer par référendum » ? Qui ?
toire profondément française. Notre journal François Mitterrand en 1981. Il n’est jamais
est né en même temps que le programme élec- trop tard pour tenir une promesse. Charlie,
tronucléaire. Son premier numéro, après l’in- après bien d’autres, réclame un véritable réfé-
CHARLIE HEBDO 26, rue Serpollet, 75020 Paris Fondateur Cavanna Directeur de la publication Charb Directeur de la rédaction Riss Rédacteur en chef Gérard terdiction de Hara-Kiri Hebdo, date du rendum sur l’avenir du nucléaire. Il permet-
Biard Rédaction Fabrice Nicolino, Dessins Cabu, Catherine, Charb, Coco, Honoré, Luz, Riss, Tignous Correction Frédéric Grasser, Jean-Pascal Hanss, Luce
Lapin, Mustapha Ourrad Conception graphique, maquette Jean-Luc Walet, Florent Bertaux, SARL de presse Éditions Rotative, RCS Paris B 388 541 336 23 novembre 1970. Six mois plus tard, sous tra d’enfin tourner la page. Chiche ? r
Commission paritaire n° 0407C82683 ISSN 1240-0068 Dépôt légal Août 2012 Imprimé en France SIEP 77 - Bois-le-Roi
2 / CHARLIE HEBDO / HS N° 7 / L’ESCROQUERIE NUCLÉAIRE L’ESCROQUERIE NUCLÉAIRE / HS N° 7 / CHARLIE HEBDO / 3
t COMMENT ÇAMARCHE
LE CYCLE DU NU CLÉAIRE
POUR LES NULS
Vous prenez de l’uranium — ’est pas si compliqué. Premier cet isotope. On y est ? L’enrichissement sortie des réacteurs nucléaires en ser- mer l’affaire en chauffage électrique et extraites ? On leur fait passer plusieurs
au Niger par exemple —,
vous convertissez,
C mouvement : extraire de l’ura-
nium, si possible dans un pays
lointain. Ce sera le combustible, que
se déroule dans un site ultraprotégé,
l’usine Georges-Besse II de Tricastin,
dans la Drôme. Areva encore.
vice, avant passage à La Hague pour le
séparer des combustibles irradiés. Tout
seul, ce plutonium ne servirait pas à
en veilles pour les appareils ménagers.
Dans les grands chaudrons magiques,
U02 va donner tout ce qu’il sait.
années sur place, dans une piscine
gentiment nommée de désactivation,
avant que de gros camions n’emportent
enrichissez et enfournez le l’on commence par convertir, de Reste à obtenir un véritable com- grand-chose. Mais en le mélangeant – Mais tout a une fin, même le tout, de préférence la nuit, vers l’usine
manière à le rendre plus digestible. En bustible. Et pour cela, il y a deux voies, comptez 8 % de plutonium – à de l’ura- nucléaire. Au bout de trois ans de bons de retraitement de La Hague (Manche).
tout dans le vaste four France, l’opération se passe en deux deux produits. Pour le tout-venant des nium appauvri, on obtient un nouveau et loyaux efforts, le combustible bat de Là-bas, et pour commencer, nouvelle
nucléaire. Gardez-le au temps. Un, dans l’usine Comurhex de centrales nucléaires, voyez du côté de combustible. l’aile. Les produits internes de fission, baignade en piscine, de trois à cinq ans.
Malvési, près de Narbonne (Aude). FBFC, filiale d’Areva. Dans l’usine de dont certains ralentissent la bonne Ensuite, de gentils robots trient ce qui
chaud trois ans, sortez-le : Deux, dans l’usine Comurhex de Pier- Romans (Drôme), des petites mains POUBELLES RADIOACTIVES marche du réacteur, ont tendance à peut éventuellement resservir et ce qui
c’est de la merde. relatte (Drôme). Les deux appartien- gantées fabriquent de la poudre de augmenter, et dans le même temps, les devra être considéré comme déchet,
nent bien sûr à Areva. dioxyde d’uranium, ou UO2. Notam- Oublions le MOX, et concentrons- éléments fissiles, qui jouent sans jeu avant que d’être stocké.
Nous voici, fiérots, en possession ment. Ce qui crame dans nos 58 réac- nous sur le combustible principal, UO2. de mots un rôle moteur, déclinent. Il Tel est le cadeau final de nos amis :
d’hexafluorure d’uranium. Comme il ne teurs, pour l’essentiel, vient de là. Le grand jour est arrivé, et l’on déballe faut vider la poubelle. Comme les selon des chiffres officiels, à la fin de
contient pas assez, le pauvret, d’ura- Il existe un deuxième combustible, devant des ouvriers et techniciens éba- nucléocrates n’entendent pas arrêter 2007, la France comptait 1 152 533 m3
nium 235, il faut lui en ajouter, car la bien moins courant, qu’on appelle MOX, his les conteneurs de dioxyde d’ura- la production, l’opération se passe en de déchets radioactifs. Elle devrait en
réaction de fission nucléaire a besoin pour « Mélange d’OXydes ». On l’obtient nium. Zou ! on enfourne le tout dans les trois fois : un quart à un tiers par année. compter le double d’ici à 2030. Y en
d’un uranium titrant autour de 5 % de en allant récupérer le plutonium à la réacteurs nucléaires, qui vont transfor- Que fait-on des ordures que l’on a aura donc pour tout le monde.
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LES GRANDES
L’histoire du nucléaire est Vous allez passer des
simplement folle. Avant de suppositoires farcis au radium à
commencer la lecture, garder la commission Peon, qui décida
près de soi des gouttes pour le de tout. De Pierre Messmer,
cœur. La bombe et ses prétendus Premier ministre en 1974, qui
FOLIES usages civils n’ont pu se
développer en France que par la
ruse, l’opacité et le secret. En
piétinant le cadavre de la
annonça sans broncher le
programme des festivités, aux
bluettes racontées aux habitants
de la Hague quand on prétendait
DU PASSÉ démocratie.Vous allez découvrir
des personnages dont vous n’avez
jamais entendu parler, comme le
considérable Pierre Guillaumat,
passé en trente ans du CEA aux
construire sur place une usine de
casseroles.Vous allez comprendre
ce que sont le radium, et le
plutonium, et le Mox. Et pourquoi
nos ingénieux ingénieurs ont
avions renifleurs. C’est drôle ? Un conçu dans notre dos un monstre
peu quand même. nommé Superphénix.
En bref, vous allez faire
connaissance avec un monde
nouveau. En 1958, pour faire
bandouiller les amateurs de
science et de technique, on
prétendait construire des ports en
utilisant des bombes atomiques.
Si. On envisageait avec sérieux,
dans les cercles officiels, d’ouvrir
un canal entre golfe de Gascogne
et golfe du Lion à l’aide
d’explosions nucléaires. Disons,
de Bordeaux à Montpellier. Ou
Marseille. Ainsi se serait-on passé
d’écluses. Ainsi, les plus gros
bateaux auraient pu circuler sans
problème à l’ombre des platanes.
Vous ne le croyez pas ? Nous non
plus. C’est vrai.
7
t LES GRANDES FOLIES DU PASSÉ
GUILLAUMAT, ACT EUR, RÉACTEUR
ET GRAND MAN IPULATEUR
Plus la peine de chercher le grand manitou : c’est lui.
Patron du CEA, d’EDF, d’Elf, ministre des Armées et inventeur des avions renifleurs,
Pierre Guillaumat est le grand homme du nucléaire.
l a tout fait avec ses petites mains suivant : « Depuis que je suis adminis- renseignement et d’action, le Service
I de grand ingénieur. Né en 1909, il
sort de Polytechnique en 1931,
puis des Mines en 1933. Pendant la
trateur général du CEA […], j’ai envie
d’en faire quelque chose. Cela signifie
d’abord le développement de l’énergie
de sécurité et de protection administra-
tive (SPA). En étroite collaboration avec
le SDECE — l’espionnage officiel —
guerre, il découvre son goût immense atomique civile. […] Deuxièmement je grâce au go-between Maurice Robert.
pour le secret et entre dans les services veux, avec le concours de la Marine, Du Gabon au Zaïre, de l’Angola au
secrets de De Gaulle, au Bureau central construire un sous-marin atomique. Cameroun, du Nigeria au Tchad, le petit
de renseignements et d’action (BCRA). Troisièmement, faire une bombe avec groupe qu’on appellera le clan des
C’est là qu’il rencontre Jacques Foc- le concours de l’Armée. » » Gabonais est partout. Coups d’État et
cart, l’homme des coups fourrés et de Sa supériorité réside dans sa capa- coups tordus à tous les étages.
la Françafrique, avec qui il s’entendra cité à relier tous les fils de la politique Les meilleures choses ont une fin.
jusqu’au bout. énergétique. Le pétrole dès 1944. Le Même pour un Guillaumat. En 1976, il
En 1944, le voilà directeur des Car- nucléaire en 1951. L’électricité, avec la embarque Elf et son si cher pays dans
burants, poste stratégique. En 1945, il présidence d’EDF, en 1954. Mais, pour l’aventure des « avions renifleurs ».
est directeur du Bureau des recherches la bombe elle-même, il faudra attendre Deux escrocs réussissent à le
de pétrole (BRP). En 1951, administra- le retour au pouvoir de son héros de la convaincre qu’ils ont mis au point un
teur général du Commissariat à l’éner- guerre, de Gaulle. Dès 1958, ce dernier système infaillible pour repérer, depuis
gie atomique (CEA). En 1954, président le nomme ministre des Armées, et un avion, des nappes souterraines de
d’EDF. En 1958, ministre des Armées. c’est à ce titre qu’il organise dans le pétrole. Le grand polytechnicien se fait
En 1960, ministre délégué, chargé de balader par un paysan italien
l’Énergie atomique. En 1967, premier devenu réparateur de télés,
président d’Elf, qui vient de naître. Loïk Bonassoli. Et par un aristo belge
Le Floch-Prigent, patron d’Elf après dans la dèche, De Villegas. Un mil-
1989, expliquera sans détour que l’État LA FRANÇAFRIQUE QUI liard de francs de 1980, évaporés à
gaulliste a créé Elf pour se doter BRILLE LA NUIT jamais.
« d’une sorte d’officine de renseigne- Bien plus tard, un rapport de la
ment dans les pays pétroliers, Guillau- Cour des comptes, ayant miracu-
mat étant un ancien des services leusement échappé au broyeur, est
secrets ». rendu public par la gauche, arrivée
Guillaumat est l’homme d’une détail l’explosion de la première bombe au pouvoir en 1981. Extraits : « Sur le
seule idée : la France. La sienne. Il est A française dans le désert saharien en plan technique, aucun dossier n’a été
la perfection au service du pouvoir : 1960. L’Algérie, c’est aussi la décou- demandé ni aux inventeurs, ni à leurs
obsédé, efficace, stratège, muet verte de gisements de gaz, en 1954, et parrains et commanditaires. […] Sur le
comme une tombe. Reprenons. En surtout de pétrole autour de Hassi plan scientifique, aucun avis autorisé
1951, il prend le contrôle politique du Messaoud. Pour un Guillaumat, c’est le n’a été recherché ni à l’intérieur […], ni
CEA, juste après la révocation de Fré- rêve enfin réalisé. Mais il devient à l’extérieur. » En résumé, l’homme qui
déric Joliot, haut-commissaire du essentiel de dissocier le sort du Sahara a dirigé tous les choix énergétiques,
Commissariat et communiste. Les de celui d’une Algérie éventuellement dont le nucléaire et la bombe, pendant
réseaux d’anciens du BCRA, alliés au indépendante. Les négociations avec le trente-cinq ans s’est fait enfler par
RPF gaulliste de l’après-guerre, ont FLN buteront sur ce problème pendant deux zigotos. De 1976 à 1979, Guillau-
trouvé leur homme. Dans l’ombre, et des années. Le Sahara, combien de mat a été convaincu d’avoir trouvé la
bien entendu sans aucun débat public, morts supplémentaires ? pierre philosophale. Cela relativise l’in-
il prépare la bombe nucléaire fran- La leçon ne sera pas oubliée au telligence supposée de nos maîtres.
çaise, non sans avoir puissamment moment de la création d’Elf par En récompense de tous ses
aidé Israël à fabriquer la sienne. Guillaumat, en 1967. Le Floch-Prigent : brillants états de service, le pétrolier
Qui décide ? Lui. Dans un livre de « Elf a été créée pour maintenir l’Algé- Pierre Guillaumat sort des Chantiers
souvenirs (Mémoires sans rie et les rois nègres dans l’orbite fran- de l’Atlantique en novembre 1977. C’est
concessions), l’ancien ponte du CEA, çaise par le biais du pétrole. En Algérie, à l’époque le plus gros bateau jamais
Yves Rocard — le père de l’autre —, ça a capoté. Avec les rois nègres, ça se construit au monde, avec 414 mètres
raconte sans états d’âme : « Guillaumat poursuit. » Elf, sous la conduite de de longueur. Six ans plus tard, il est à la
me fit appeler et me tint le discours Guillaumat, bâtit son propre service de casse, en Corée du Sud. Un destin.
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t LES GRANDES FOLIES DU PASSÉ
LE JOLI TEMPS
DES SUPPOS AU RADIUM
Pendant des dizaines pas peur, ça fait du bien. naturelles » pour en chasser le mal. Ne
d’années, le radium a été
balancé dans les crèmes
A En 1898, la mère Curie
« découvre » le radium. C’est
un métal qui se planque dans le mine-
reste plus qu’à rechercher toutes ces
aiguilles cachées dans une botte de
foin. Les bons garçons qui ont créé des
du visage, le savon, le talc, rai d’uranium. À cette époque, tout pro- sources radioactives, par dizaines de
vient d’un gisement de pechblende de milliers, sont claqués depuis long-
les suppos dans le cul et Jachymov, en Bohême, dont on extrait temps. Mais où sont-elles passées, de
le capotes. Car le radium, l’uranium. En 1904, six ans après l’ex- Dieu ? Les quelques grammes de
c’était vachement bon ploit, il n’existe au monde que 4 radium du point de départ se sont dis-
grammes de radium disponibles. Mais persés dans des milliers de tonnes de
pour la santé. les choses vont changer à toute allure, produits devenus déchets radioactifs,
car les mines du Katanga (Congo belge) que tout le monde a oubliés.
vont bientôt cracher de l’uranium. Main
dans la main, la technologie et les mar- L’HEURE NUCLÉAIRE
chands se jettent sur le prodige. Le
radium devient un must, qu’on fourre Prenons donc quelques joyeux
un peu partout. Non, partout. exemples. Bayard, fabricant de réveille-
T’as mal au trou de balle ? Suppora- matin à Saint-Nicolas-d’Aliermont
dol, contre les hémorroïdes. T’es un (Seine-Maritime), a permis à des géné-
peu dégueu ? Vite, le « savon radioactif rations de prolos fainéants de se lever à
Eler ». Tu bandes pas ? Radhitor, pour l’heure. Et à l’aviation naissante de se
« restaurer la vitalité sexuelle ». T’as doter de magnifiques tableaux de bord.
peur de la chtouille ? Achète les Seulement, à quoi bon des aiguilles
capotes Nutex au radium, qui font invisibles dans la nuit, quand tous les
briller la quéquette dans le noir. Et si chats sont gris ? À coup de radium et de
t’es une nana, sache ma poule que « La tritium, appliqués au pinceau par de
science a créé Tho-Radia pour embellir gentilles petites campagnardes, les
les femmes. À elles d’en profiter. Reste aiguilles luminescentes changèrent le
laide qui veut ! ». La gamme Tho-Radia cours du monde. Pour se marrer, les
est complète. Il y a la crème de visage, ouvrières se peignaient les dents au
« embellissante parce que curative, à radium, en faisant peur à leurs copines
base de thorium et de radium ». La
poudre, car « parfaitement fine, adhé-
rente et mate, elle défend la peau
contre les poussières, miasmes, radia- dans la pénombre des vestiaires. Mau- rangeant, elle a découvert un machin 30 000 à 50 000 parads, soit des para-
tions nuisibles ». vaise pioche et case cancer. On ne sait qui ressemble à une cafetière. C’est tonnerres contenant du radium, sont
Et bébé n’est pas oublié. On lui colle combien sont mortes, mais aux États- une fontaine à radium, qui servait avant encore plantés sur nos toits. Entre 1930
sur son torse d’athlète Oradium, « une Unis, le royal crétin qui a mis au point guerre à rendre l’eau atomique, donc et 1987, la France en a fabriqué des
laine souple, élastique, qu’un traite- les peintures luminescentes, Sabin von meilleure. centaines de milliers, dont une grande
ment a doté d’un remarquable pouvoir : Sochocky, a trépassé en 1928, à qua- part pour l’exportation. Idem pour les
la radio-activité ». Attention, tout est rante ans, d’un empoisonnement mas- 1 600 ANS DE BONHEUR parafoudres radioactifs installés par
garanti par le bon docteur, l’excellent sif au radium. Et dans la foulée, nombre France Télécom par millions, jusque
pharmacien et la Faculté tout entière. d’ouvrières de son usine. De son côté, Dans une brochure préfacée par Bor- dans les années 70, pour protéger les
Dès 1914, l’armée utilise des ampoules le site Bayard de Normandie, en cette loo — alors ministre de l’Écologie — en lignes téléphoniques. Grâce à la CGT du
de radon — un gaz radioactif — sur les année 2012, est abandonné depuis des 2009, on aide le pékin à faire face au pro- Cantal — notamment Franck Refouve-
blessures de guerre. Dès 1920 et de lustres par l’industrie, mais pas par le blème. Comment reconnaître un produit let —, cette noble boîte a dû s’intéres-
plus en plus, les hostos soignent à la radium. Les gamins du coin viennent radioactif, les neuneus ? Se fier aux ser à des cancers peut-être liés à ces
radiumthérapie, puis à la curiethéra- jouer dans les ruines. Ça doit briller. indices. Un, « la présence du trèfle radio- appareils, qui seraient encore aux alen-
pie. La radioactivité est souveraine Autre legs fabuleux : les fontaines à actif sur l’étiquette, sur l’objet ou sur son tours d’un million partout en France.
contre l’arthrite, la goutte, l’hyperten- radium. Il ne se passe pas de mois sans emballage ». Deux, faire gaffe à tout Bon, la chronique est sans fin, fau-
sion artérielle, le diabète, le cancer qu’on en retrouve dans une brocante. « objet fabriqué avant les années soixante drait pas lasser le lecteur. La demi-vie
bien sûr, la cécité. Entre autres. Exemple entre cent : le 21 juillet 2008, qui brille la nuit sans avoir été exposé du radium étant de 1602 ans, il faudra
Toute une série d’objets nouveaux la cellule risques technologiques des à la lumière ». Trois, s’interroger gra- attendre l’an 3500 pour que celui de
voient le jour, parmi lesquels des sapeurs-pompiers de Blois débarque vement sur « le fait [que l’objet] soit madame la Reine Curie perde la moitié
aiguilles au radium, que des mains chez une madame Rivière, dans le vil- conditionné dans du béton ou du plomb ». de sa radioactivité. On sera en pleine
expertes glissent dans « les cavités lage de Selommes (Loir-et-Cher). En Bienvenue au pays d’Alzheimer : forme.
10 / CHARLIE HEBDO / HS N° 7 / L’ESCROQUERIE NUCLÉAIRE L’ESCROQUERIE NUCLÉAIRE / HS N° 7 / CHARLIE HEBDO / 11
t LES GRANDES FOLIES DU PASSÉ t PORTRAIT
L’ART DE FAIRE LA B OMBE MENDÈS FRANCE
LA MÉMOIRE QUI
À LA MAISON FLANCHE
C’est pas moi, c’est l’autre. Pendant la IVe République, les politiciens se refilent le bébé et Pour un glorieux homme
de gauche, ça la fout mal.
refusent de reconnaître qu’ils laissent l’armée construire la bombe nucléaire sans aucun Mais Mendès a beau l’avoir nié
contrôle. Et puis arrive de Gaulle. C’est pas mieux, mais, lui, il assume. jusqu’au bout, il a bien donné
oyons fiers du génie français. La Toute la duplicité de la IVe Répu- des Mines, que de Gaulle nomme en
le feu vert à la bombe.
S bombe, c’est nous, rien que
nous, et les Amerloques, ces
charlatans, n’ont fait que copier. En
blique est là : on veut la bombe, mais nul
n’entend assumer la décision de la
construire. Félix Gaillard, secrétaire
1944 au poste stratégique de directeur
des Carburants. Guillaumat, qui, depuis
qu’il a pris la tête du CEA, n’a plus audrait voir à pas toucher à
août 1945, quand les villes japonaises
de Nagasaki et Hiroshima sont réduites
en cendres par les premières bombes
d’État aux Finances, lance en 1952 un
plan quinquennal en faveur du
nucléaire, prétendument civil. Dans
qu’une obsession : la bombe. De Gaulle
estime depuis longtemps que la « gran-
deur » française ne peut se passer de
F Mendès France, les amis.
Mendès, c’est le bijou de
famille de la gauche. La haute
A, un certain Frédéric Joliot-Curie sur- l’ombre, le CEA, repris en main par l’arme nucléaire et va enfin lui donner figure morale. L’antithèse de Mit-
saute. Communiste, savant atomiste, Pierre Guillaumat, fait joujou avec le les grands moyens. Pour commencer, et terrand le Florentin. L’homme des sent pas si légitime que cela. La
collaborateur de Marie Curie dès les plutonium, essentiel à la bombe. Men- pour que les choses soient bien claires, causeries au coin du feu et des France rance des années 1950,
années 1920, il entend bien rétablir la dès France (voir portrait ci-contre), de Gaulle nomme Guillaumat ministre verres de lait abondamment distri- volontiers antisémite, doute ouver-
vérité. icône de la gauche, devient président du des Armées. bués à l’école. Une icône. tement de son « patriotisme ». On
En ce mois d’août 1945, il est en Conseil le 18 juin 1954. Il règle comme Tout s’accélère. Une zone est repé- Bon, on reprend. Quand il devient l’accuse de brader « l’Empire ».
vacances à l’Arcouest, en Bretagne, on sait la guerre en Indochine et com- rée en Algérie, à Reggane, en plein président du Conseil, le 18 juin 1954, Quand le lobby militaire com-
face à l’île de Bréhat. Un journaliste de mence des pourparlers de paix au sujet cœur du Sahara. Entre 1960 et 1961, Mendès incarne surtout l’espoir mence son siège, dès l’été 1954,
l’AFP lui soutire une sensationnelle brûlant de la Tunisie et du Maroc. quatre essais aériens — Gerboise d’une paix en Indochine. Quelques Mendès ne se sent donc pas à l’aise.
déclaration : « L’emploi de l’énergie Reste la question de la bombe. Bien bleue, Gerboise blanche, Gerboise semaines auparavant, nos vaillants Et son propre directeur de cabinet,
atomique et de la bombe atomique a qu’il s’en soit longuement défendu par la rouge, Gerboise verte — y ont lieu, soldats ont pris une pile dans la André Pelabon, relaie les consignes
son origine dans les découvertes et les suite, son passage éclair au pouvoir — contaminant gravement la région sans cuvette de Diên Biên Phu. En un peu des tenants de la bombe. N’est-il
travaux effectués au Collège de France sept mois seulement — donne des ailes qu’aucune mesure soit prise pour pro- moins de deux mois, une armée pas un ancien des services secrets
par MM. Joliot-Curie, Halban et au groupuscule politico-militaire, qui téger les nomades, qui y habitent pour- moderne, assiégée par des paysans gaullistes, le BCRA ? N’est-il pas
Kowarski en 1939 et 1940. » Na. En veut la bombe. Le 26 décembre 1954, au tant par milliers. Le premier d’entre en armes, a perdu la partie et la face. l’ami de Pierre Guillaumat, patron du
plus, c’est vrai : les trois bons cama- milieu des fêtes, Mendès réunit un eux se déroule le 13 février 1960 à Mendès promet de régler l’affaire en CEA, et lui-même ancien agent du
rades ont démontré en février 1939 que conseil interministériel décisif au cours l’aube. Trois quarts d’heure plus tard, trente jours et il y parvient presque : BCRA ? L’historien Georges-Henri
la réaction en chaîne, base de la duquel le principe de l’arme atomique de Gaulle adresse un message de féli- les accords de Genève, qui marquent Soutou (in la revue Relations inter-
bombe, pouvait bel et bien se produire. française est avalisé. Sans l’ombre citations à Pierre Guillaumat : « Hourra la fin de la guerre, sont signés le nationales, 1989) note : « Au cours de
Joliot, malgré son appartenance au d’une discussion publique. Quand l’ami pour la France ! Depuis ce matin, elle 21 juillet 1954. l’été et de l’automne 1954, Mendès
PCF, devient grâce à de Gaulle haut- de l’armée et de la guerre d’Algérie Guy est plus forte et plus fière. Du fond du France s’ingénia à écarter les obs-
commissaire du Commissariat à l’éner- Mollet devient à son tour président du cœur, merci à ceux qui ont pour elle FEU VERT tacles juridiques et politiques qui
gie atomique (CEA) naissant, en 1945. Il Conseil, en 1956, il déclare avec assu- remporté ce magnifique succès. » Ce barraient la voie d’une éventuelle
aurait déclaré à de Gaulle, pour gage de rance, dans son discours d’investiture, n’est qu’un commencement. Pour la bombe, c’est une tout bombe atomique française. »
son engagement : « Je vous la ferai, son refus de la bombe. Tout en laissant autre histoire. Commençons par En octobre 1954, encore hési-
mon général, votre bombe. » Il ne la agir le CEA et en lui accordant les crédits cette confidence de Mendès faite au tant sur la bombe, il se déclare
fera pas. nécessaires. journaliste Philippe Simonnot — favorable à la construction de deux
Sans vraie conviction, mais officiel- Mais, surtout, après le alors au Monde — en 1975 : « C’est sous-marins nucléaires, sans com-
lement, le gouvernement s’apprête à désastre de l’opération de Suez, Guy Mollet qui en 1956 a donné le feu prendre — en apparence — qu’il a
refuser l’usage militaire de l’atome. menée par nos pioupious en com- vert [à la bombe], car il avait besoin, mis le doigt dans un engrenage.
Alexandre Parodi, haut fonctionnaire et pagnie des Angliches contre Nas- pour ne pas dépendre seulement Mais le 26 décembre 1954 reste la
résistant, représente la France à la pre- ser, Mollet prend une très lourde res- des voix communistes, de l’appui date clé de l’engagement de Men-
mière assemblée de la Commission de ponsabilité. Ami des travaillistes des députés gaullistes, lesquels dès en faveur de la bombe. Ce jour-
l’énergie atomique, qui dépend de israéliens, et de Shimon Peres en par- étaient favorables à l’arme ato- là, au milieu des fêtes, il réunit dans
l’ONU toute neuve. Il déclare le 25 juin ticulier, il décide en effet d’offrir le mique. » la plus grande discrétion un conseil
1946 : « Je suis autorisé à dire que les savoir-faire nucléaire du CEA à À première vue, c’est vrai. Mol- interministériel.
buts que le gouvernement français a Israël, menacé il est vrai de destruc- let a bien laissé faire les militaires En 1984, au cours d’un colloque,
assignés aux recherches de ses tion. Des techniciens français partent et le CEA, dans le dos du Parlement le général Jean Crépin — de la
savants et techniciens sont purement pour Dimona, dans le désert du Neguev, et de l’opinion. En regardant de même promotion de Polytechnique
pacifiques. » De son côté, Joliot se où sera assemblée la première bombe près, c’est plus étonnant, car, dans que Guillaumat — mange le mor-
range avec lenteur dans le camp des atomique d’Israël, entre 1962 et 1964. sa déclaration d’investiture à la pré- ceau. Il a participé à la réunion du
pacifistes, souvent manipulés par les Et puis de Gaulle. Revenu au pouvoir sidence du Conseil, le 31 janvier 26 décembre, au cours de laquelle,
partis staliniens du monde entier. Sur en 1958, il retrouve l’homme clé de toute 1956, Mollet a pris publiquement révèle-t-il, deux décisions essen-
fond de guerre froide, il est lourdé en cette affaire, Pierre Guillaumat. Guillau- position contre la bombe nucléaire. tielles ont été prises. Un, on
1950 du CEA, lequel entend bien prépa- mat, qui fut agent de renseignement Le vrai scénario mérite qu’on construira la bombe. Deux, on gar-
rer, secrètement, une bombe atomique gaulliste pendant la guerre, au BCRA. regarde à la loupe binoculaire. Pour dera l’information secrète. Mendès
made in France. Guillaumat, polytechnicien et ingénieur commencer, en 1954, Mendès ne se était plus qu’au parfum.
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t LES GRANDES FOLIES DU PASSÉ t PORTRAIT
QUI A ENTENDU PARLER DE QUAND MESSMER
LA COMMISSION PEON ? FAISAIT DROIT
Faut pas croire,
ces gens travaillent. P
remier point : vous n’en avez jamais
entendu parler. Deuxième point : la
commission Peon est le vrai res-
la politique des constructions scolaires soit
pour l’essentiel élaborée par les entre-
prises du bâtiment […]. Mais [la formation
DANS SES BOTTES
Créée en 1955, ponsable du programme nucléaire français. de ses membres] comme leurs choix pro-
Un jour de mars 1974, alors que le président Pompidou est à
la commission Peon Si une centrale explose au bout de la rue, fessionnels donnent à penser qu’ils exami-
prière de s’adresser à elle. Sauf qu’elle a nent davantage les possibilités du dévelop- l’agonie, Pierre Messmer annonce à la télé un plan géant de
a pris toutes les disparu. pement nucléaire que les orientations à construction de centrales nucléaires. Silence dans les rangs !
grandes décisions En 1950, à la bonne franquette, apparaît donner à notre politique énergétique. »
un comité informel. Le 21 avril 1955, deux En 1978, le journaliste Philippe Simon-
du nucléaire. Pendant ministres, Gaston Palewski et André not publie un livre époustouflant (Les essmer, né en 1916, mort en
qu’on roupillait. Morice, légalisent par décret la commission
Peon — pour Production d’Électricité d’Ori-
gine Nucléaire. Officiellement consultative,
Nucléocrates, Presses universitaires de
Grenoble), consacré à la bête. En acceptant
de ne pas citer leur nom, il obtient des
M 2007, était une culotte de
peau. Fasciste avant guerre
— il fut un fier militant des Camelots du
elle « donne son avis sur l’étude, la réalisa- entretiens avec de nombreux membres de roi —, il sera pourtant l’un des premiers
tion et l’exploitation des moyens de produc- Peon. On peut dire que ça décoiffe. Un des gaullistes de 1940, et participe, au pre-
tion d’électricité d’origine nucléaire ». principaux industriels du nucléaire : « Avec mier rang des combats les plus durs, à
En une trentaine d’années d’activité — cinq centrales par an, j’amortis. » Un des la libération de la France.
elle s’évanouit dans un nuage de La suite est aussi riante que la
magnésium, mission accomplie, à
la fin des années 70 —, elle aura
connu une centaine de membres,
« LE CONFORT MODERNE
NE PEUT SE CONCEVOIR
France coloniale sur le déclin. En 1945,
il combat en Indochine contre le Viet-
Minh. Il devient ensuite administrateur
tous cooptés. Qui commande, au SANS QUELQUES LÉGÈRES colonial, occupant plusieurs fois le
moins dans un premier temps, qui poste de gouverneur, de la Mauritanie à
tient l’ordre du jour, qui fait les syn- AGRESSIONS. » la Côte d’Ivoire. Au Cameroun, où il est
thèses ? Le corps des Mines, cette haut-commissaire en 1956, les mili-
« noblesse d’État » décrite par Bourdieu. principaux décideurs, à propos des déchets taires sous ses ordres massacrent les
Triés sur le volet parmi les « meilleurs » de nucléaires : « On travaille à ce problème. membres de l’Union des populations du premiers véritables chantiers, dont
Polytechnique, ils ne sont qu’une vingtaine Quand quelque chose pose un problème, on Cameroun (UPC), indépendantiste. Puis Fessenheim, puis Bugey. Le lobby
chaque année à entrer dans cette minus- trouve une solution un beau matin. » Un des leurs sympathisants, avant de s’en piaffe, et va connaître le triomphe grâce
cule oligarchie. Pendant les dix premières principaux experts : « La défense de la prendre aux villages jugés rebelles. Au à Messmer, qui devient le Premier
années de Peon, le président, Lambert nature, j’en parle d’autant plus à l’aise que, napalm. Le bilan des massacres conti- ministre de Pompidou, le 5 juillet 1972.
Blum-Picard, est aussi le vice-président du moi aussi, je suis pour la protéger. Mais il nue d’être discuté : entre 60 000 et Comment imposer des investisse-
Conseil général des Mines. faut voir que le confort moderne ne peut se 400 000 victimes sur la période 1956- ments colossaux à un pays sans chô-
Mais à part les « Mineurs » ? On trouve concevoir sans quelques légères agres- 1970, car les massacres se sont éten- mage, où le pouvoir d’achat explose
dans Peon des membres de droit, venus du sions. » Un des principaux responsables de dus bien après l’indépendance de 1960. comme jamais ? Messmer avance tout
CEA et d’EDF, et puis les grands industriels la sûreté nucléaire, à propos de l’exporta- de même ses pions, et réunit le 22 mai
dont l’avenir passe par des investissements tion de centrales : « C’est d’abord une ques- LA POLITIQUE DU CEA 1973 un comité interministériel au
massifs dans le nucléaire. Entre autres, tion de conscience. En tant que vendeurs, cours duquel il est décidé de construire
Creusot-Loire, Péchiney — l’uranium —, la nous avons une responsabilité morale. » Le 5 février 1960, il est nommé par de nouvelles tranches nucléaires. Sans
CGE d’Ambroise Roux, Schneider, Frama- Entre 1964 et 1979, Peon a produit 11 de Gaulle ministre des Armées, poste le moindre débat public. Le vrai tour-
tome. L’ambiance est saine. Extrait du rap- rapports à destination exclusive du gouver- qu’il gardera jusqu’en 1969. À ce titre, il nant a lieu au printemps 1974, au cours
port dit Schloesing, en 1977 : « Cette nement, tous favorables à la construction joue un rôle central dans le développe- d’un Conseil des ministres restreint. La
composition [de Peon] en elle-même d’un parc étendu de centrales nucléaires. ment de l’arme nucléaire française. guerre du Kippour, entre pays arabes et
fait problème. On n’imagine pas que Pas une discussion publique. Comme il l’écrira plus tard : « Ministre Israël, à l’automne 1973, a entraîné un
des Armées pendant plus de neuf ans, quadruplement du prix du pétrole. Le
je m’étais beaucoup impliqué dans les pouvoir pompidolien agite le spectre de
programmes nucléaires militaires, ce la pénurie, de la paralysie même. À
qui m’avait bien préparé au nucléaire cause de ces foutus Arabes.
civil. » La bombe est l’un des nombreux Le 5 mars, seul en apparence, mais
points communs entre Messmer et porte-parole de Guillaumat, d’EDF, du
celui qu’il a remplacé en 1960 au poste CEA, et des industriels qui vont faire
de ministre des Armées, Pierre fortune en construisant des centrales,
Guillaumat (voir page 8). Messmer tranche. La France va se
Dans ces années 60, le régime gaul- doter de 60 réacteurs nucléaires en dix
liste mise gros sur le nucléaire mili- ans. Le président en titre, Georges
taire, sans oublier l’atome civil, autour Pompidou, agonise, et mourra d’un
duquel se met en place un vaste lobby, cancer du sang quelques semaines
qui regroupe, non sans tensions, le CEA après. Qui a décidé ? Officiellement,
et EDF. Guillaumat en est le cœur, et Messmer, sans aucun mandat public.
Messmer l’un des plus forts soutiens En vérité, le lobby de la Commission
politiques. En 1970, le VIe plan lance les Peon (voir page 14), le tout-puissant.
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t LES GRANDES FOLIES DU PASSÉ
SUPERPHÉNIX
MORT MAIS PAS ENTE RRÉ
C’est le mouton à cinq n va pas entrer dans les arrêt. Phénix roupille, car les techni-
pattes du nucléaire. Un
générateur d’un type si
O détails de Superphénix, sinon
on y sera encore demain. Deux
mots. Les surgénérateurs sont des
ciens ont les jetons. Puis il redémarre.
Puis il s’arrête en 1995. Puis il redé-
marre en 1998. Puis il s’arrête en 1999.
spécial qu’il devait produire réacteurs nucléaires d’un type nou- Puis il explose en 2002. Puis il subit une
plus de plutonium qu’il n’en veau. L’un de leurs principes de base, opération de contrôle, en 2008, qui
c’est qu’ils chopent de l’uranium 238 et conduira à l’arrêt définitif en 2009.
consommerait. La foirade a le transforment en plutonium 239. Reste à le démanteler.
coûté 11 milliards d’euros Celui qui s’en fout, il a tort. Cette splendide déconnade n’a évi-
Le nucléaire dépend de l’uranium. demment dérangé personne. Et surtout
et laisse des ruines pour les Mais celui qu’on va chercher à la mine, pas notre immense Jacques Chirac,
siècles à venir. le naturel, ne comprend que 0,7 % alors Premier ministre, qui donne le feu
d’uranium 235, utilisé dans les cen- vert en avril 1976, pour construire contient la bagatelle de 400 tonnes de
trales classiques. Le reste du minerai Superphénix à Creys-Malville (Isère), sodium.
est, à plus de 99 %, de l’uranium 238, cinq fois plus puissant que Phénix. La fête continue. Le 8 décembre
qui ne sert pas, sauf. Sauf si on le met Sans le moindre débat public, cela va 1990, grosse surprise : c’est l’hiver. La
dans un surgénérateur, qui sait com- de soi. EDF sera l’exploitant, au départ neige pète une partie du toit des tur-
ment le changer en plutonium 239, qui avec les Ritals et les Schleus — dans le bines. Il faut reconstruire. Mais, le
fera tourner la machine. Pour nos cadre de la société conjointe Nersa —, 19 janvier 1994, Le Monde peut enfin
grands ingénieurs déconnants, le sur- mais les plans sont évidemment ceux titrer dans l’enthousiasme : « Après
générateur, c’est Byzance. Dans de du CEA, les brillants concepteurs de trois ans et demi d’arrêt du surgénéra-
bonnes conditions d’usage, il produit Rapsodie et de Phénix. On va donc voir teur, les autorités de sûreté proposent
davantage de plutonium qu’il n’en ce qu’on va voir. Et on a vu. un redémarrage de Superphénix sous
consomme. conditions. » Fin 1994, une fuite d’ar-
En 1957, nos petits gon, pour changer. La réparation dure
gars du CEA conçoivent un C’EST LA CHENILLE sept mois. Sagement, nos imbéciles
premier réacteur expéri- décident que Superphénix ne produira
mental, Rapsodie, nommé IRRADIÉE QUI REDÉMARRE plus d’électricité et se contentera
ainsi — on ne rit pas — d’être un laboratoire de recherche.
parce que le mot évoque En 1997, quand Jospin devient Pre-
la musique des neutrons rapides refroi- En 1984, bien après les manifs de mier ministre, les Verts obtiennent la
dis au sodium. Où ? À Cadarache Malville (voir pages 41/42), le remplis- fermeture de ce cauchemar, qui aura
(Bouches-du-Rhône). Les consi- sage en sodium du surgénérateur est coûté, avant démantèlement, 60 mil-
dérations militaires ont été achevé. Mais tout prend du temps : en liards de francs (valeur 1997), soit
au cœur de l’aventure, car 1985, Superphénix démarre, avant 11,15 milliards d’euros (valeur 2012).
la bombe a besoin de pluto- d’être enfin raccordé au réseau élec- Superphénix aura fonctionné dix mois
nium. Et le surgénérateur, à trique en 1986. Crotte : le 20 mars 1987, en neuf ans. Commentaire hilarant
terme, peut en apporter 20 tonnes de sodium, un truc étonnam- d’un rapport parlementaire signé par le
beaucoup. Rapsodie est ment explosif, se trissent en direction sénateur UMP Henri Revol en 1998 :
arrêté en 1983 et n’est tou- du barillet de stockage du combustible « L’arrêt de Superphénix, une décision
jours pas démantelé. Le nucléaire. La situation est si grave que grave pour la France ». Et d’autant plus
31 mars 1994, au cours de tra- l’ultralibéral et grand ami des patrons grave qu’il s’agit d’une « décision prise
vaux d’entretien de la bête, une Alain Madelin — il est ministre de l’In- sans concertation ». Tu l’as dit.
cuve de sodium explose et tue dustrie — arrête Superphénix le 26 mai Depuis, on démantèle, sous la
l’ingénieur René Allègre, blessant 1987. Tchernobyl est passé par là. forme de déconnexions, déconstruc-
au passage quatre techniciens. Rap- C’est Rocky Rocard, Premier tions, déchargements de com-
sodie bouge encore. ministre de Mitterrand, qui signe l’au- bustible, etc. Personne n’a jamais fait
La suite s’appelle Phénix. torisation de redémarrage le 12 janvier cela, et personne ne peut jurer qu’on en
Encore un joli nom. 1989. Brice Lalonde, devenu sous- verra le bout un jour. Officiellement, la
Construit à partir de 1968 à Mar- ministre à l’Environnement, a oublié en fin des travaux est prévue en 2023. Le
coule, dans le Gard, par le CEA, Phé- route son opposition à Superphénix, démantèlement coûtera au total
nix a commencé à donner en 1974 devenu, selon lui, un lieu de haute 2,5 milliards d’euros. Peut-être. Le CEA
seulement. Et, pour le reste, il a sécurité. On ne peut rien lui cacher : le bosse sur un nouveau type de surgéné-
constamment merdé. Fuites de 7 septembre 1989, autre arrêt, suivi rateur. Le petit dernier s’appelle Astrid,
sodium, feux de sodium, explosions d’une nouvelle fuite de sodium le pour Advanced Sodium Technological
de sodium : jusqu’en 1989, la série 29 avril 1990. Cette fois, c’est le bordel. Reactor for Industrial Demonstration.
est interminable. De 1990 à 1994, On purge le circuit concerné, qui Du Verlaine.
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