L'impérialisme du XXIe siècle
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L’impérialisme du XXIe siècle par Claudio Katz* Le renouveau de l’intérêt pour l’étude de l’impérialisme a modifié le débat sur la mondialisation, centré jusque là exclusivement sur la critique du néolibéralisme et sur les traits nouveaux de la mondialisation. Un concept développé par les principaux théoriciens marxistes du XXe siècle — qui a connu une large diffusion aux cours des années 1970 — attire à nouveau l’attention des chercheurs du fait de l’aggravation de la crise sociale du Tiers-Monde, de la multiplication des conflits armés et de la concurrence mortelle entre les firmes. La notion d’impérialisme conceptualise deux types de problèmes : d’une part, les rapports de domination en vigueur entre les capitalistes du centre et les peuples de la périphérie et d’autre part les liens qui prévalent entre les grandes puissances impérialistes à chaque étape du capitalisme. Quelle est l’actualité de cette théorie ? En quoi peut elle contribuer à éclairer la réalité contemporaine ? Une explication de la polarisation mondiale La polarisation des revenus confirme l’importance de la théorie dans son sens premier. Lorsque la fortune de 3 multimillionnaires dépasse le Produit intérieur brut de 48 nations et lorsque toutes les quatre secondes un individu de la périphérie meurt de faim, il est difficile de cacher que l’élargissement du gouffre entre les pays avancés et les pays sous-développés obéit à des rapports d’oppression. Aujourd’hui il est incontestable que cette asymétrie n’est pas un événement “passager”, qui serait corrigé par le “dégorgement” des bénéfices de la mondialisation. Les pays périphériques ne sont pas seulement les “perdants” de la mondialisation mais ils supportent une intensification des transferts des revenus qui ont historiquement freiné leur développement. Ce drainage a provoqué la multiplication de la misère extrême dans les 49 nations les plus pauvres et des déformations majeures de l’accumulation partielle des pays dépendants semi-industrialisés. Dans ce second cas la prospérité des secteurs insérés dans la division internationale du travail est annihilée par le dépérissement des activités économiques destinées au marché intérieur. L’analyse de l’impérialisme n’offre pas une interprétation conspirative du sous- développement ni ne disculpe les gouvernements locaux de cette situation. Elle présente simplement une explication de la polarisation de l’accumulation à l’échelle mondiale et de la réduction des possibilités de son nivellement entre des économies dissemblables. La marge du développement accéléré qui a permis au XIXe siècle à l’Allemagne et au Japon de parvenir au statut de puissance, détenu alors par la France ou la Grande- Bretagne, n’existe plus aujourd’hui pour le Brésil, l’Inde ou la Corée. La carte du monde ainsi modelée se caractérise par une “architecture stable” du centre et une “géographie variable” du sous-développement, les seules modifications possibles étant celles du statut périphérique de chaque pays dépendant (1). La théorie de l’impérialisme attribue ces asymétries au transfert systématique de la valeur créée dans la périphérie vers les capitalistes du centre. Ce transfert se concrétise à travers la détérioration des termes des échanges commerciaux, l’aspiration des revenus financiers et la remise des bénéfices industriels. L’effet politique de ce drainage c’est la perte d’autonomie politique des classes dirigeantes périphériques et les interventions militaires croissantes du gendarme nord-américain. Ces trois aspects de l’impérialisme contemporain peuvent être observés clairement dans la réalité latino- américaine.
Les contradictions des économies périphériques Depuis le milieu des années 1990 l’Amérique latine a subi les conséquences de l’effondrement des « marchés émergents ». La majeur partie des nations affectées ont souffert de crises aiguës, précédées par la fuite des capitaux et suivies par des dévaluations qui ont renforcé l’inflation et réduit le pouvoir d’achat. Ces écroulements ont provoqué des faillites bancaires dont le sauvetage étatique a aggravé la dette publique, rendant plus difficile le recours à des politiques de relance et accentuant la perte de souveraineté monétaire et fiscale. Ces crises proviennent de la domination impérialiste et non de la seule instrumentalisation des politiques néolibérales, qui étaient également appliquées dans les pays centraux. Les effondrements subis par la périphérie latino-américaine sont bien plus profonds que les déséquilibres observés aux États-Unis, en Europe ou au Japon, car ils se caractérisent par l’écroulement périodique des prix des matières premières exportées, la cessation périodique des payements de la dette et la désarticulation de l’industrie locale. La périphérie est plus vulnérable face aux turbulences financières internationales car son cycle économique dépend du niveau d’activité des économies avancées. Néanmoins la marche en avant de la mondialisation accentue cette fragilité en approfondissant la segmentation de l’activité industrielle, en concentrant le travail qualifié dans les pays centraux et en élargissant les différences des niveaux de consommation. La domination impérialiste permet aux économies développées de transférer une partie de leurs propres déséquilibres vers les pays dépendants. Ce transfert explique le caractère asymétrique et non généralisé de la récession internationale en cours en ce moment. Bien qu’une crise équivalente à celle des années 1930 soit déjà enregistrée dans la périphérie, une telle situation n’est encore qu’une des éventualités pour le centre. Les mêmes politiques de privatisation n’ont pas produit les mêmes pertes dans toutes les régions. Le thatcherisme a accru la pauvreté en Grande-Bretagne, mais en Argentine il a provoqué la malnutrition et l’indigence; l’élargissement de la brèche des revenus a réduit les salaires aux États-Unis, mais au Mexique il a provoqué la misère et l’émigration massive ; l’ouverture commerciale a affaibli l’économie japonaise, mais elle a dévasté l’Équateur. Ces différences tiennent au caractère structurellement central ou périphérique de chaque pays dans l’ordre mondial. La dépendance est la principale cause de la grande régression de l’Amérique latine depuis la moitié des années 1990, malgré le court répit généré par l’afflux des capitaux placés à court terme. La région retombe dans la situation dramatique de la « décennie perdue » des années 1980. Le produit intérieur brut (PIB) régional a stagné autour de 0,3 % l’an dernier et se situera autour de 0,5 % en 2002. Après quatre années de sortie nette des capitaux les investissements étrangers se sont taris et la spécialisation productive dans des activités de base a assuré la détérioration de la balance commerciale (les sommes envoyées par les émigrés aux États-Unis dépassent déjà dans de nombreux pays l’entrée des devises générée par les exportations). Résultat de cette crise : seulement 20 des 120 titres des firmes latino-américaines qui étaient cotés sur les Bourses mondiales il y a dix ans continuent à être commercialisés aujourd’hui. La domination impérialiste est à l’origine des grands déséquilibres économiques qui ont provoqué le déficit commercial (Mexique), la perte du contrôle fiscal (Brésil) ou la dépression de la production (Argentine). Actuellement ces bouleversements ont provoqué une succession de crises qui irradient le Cône Sud, déstabilisent l’économie uruguayenne et menacent le Pérou et le Brésil. Les économistes néolibéraux s’efforcent d’analyser les particularités de cette crise, ne comprenant pas la règle générale de ces déséquilibres. En ignorant l’oppression impérialiste ils ont tendance à changer
fréquemment d’opinion et à dénigrer avec une rapidité inouïe les modèles économiques qu’ils portaient aux nues auparavant. Mais depuis le lancement de la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) il est devenu pratiquement impossible d’éviter l’analyse de l’impérialisme. Ce projet stratégique de domination nord-américaine vise à l’expansion des exportations états- uniennes pour bloquer la concurrence européenne et consolider le contrôle par la première puissance de tous les négoces lucratifs de la région (les privatisations restantes, les contrats privilégiés dans le secteur publique, le payement des brevets). La ZLÉA est un traité néocolonial qui impose l’ouverture commerciale de l’Amérique latine sans aucune contrepartie de la part des États-Unis. Pour obtenir le vote du “fast track” (autorisation du Congrès de négocier rapidement les accords avec chaque pays sans en référer), Bush a récemment introduit de nouvelles clauses qui empêchent le transfert des hautes technologies vers l’Amérique latine et qui entravent l’entrée de 293 produits régionaux sur le marché états-unien. Ces barrières douanières affectent en premier lieu les produits sidérurgiques, textiles et agricoles. De plus, Bush a mis en route un programme de fortes aides à l’agriculture qui, au cours de la prochaine décennie, équivaudra à un coup mortel porté aux exportations latino-américaines de soja, de blé et de maïs (2). La ZLÉA démasque le double langage impérialiste qui consiste à prôner l’ouverture commerciale à l’extérieur tout en ayant recours au protectionnisme chez soi. La signature de l’accord provoquera l’effondrement des pays moyennement industrialisés comme le Brésil et des associations régionales comme le Mercosur, tout en ne permettant qu’une faible adaptation à l’accord des économies petites ou complémentaires dans des domaines très spécifiques avec celle des États-Unis. Après une décennie de néolibéralisme le message impérialiste d’ouverture commerciale ne convainc plus personne. Il est évident que la prospérité d’un pays ne dépend nullement de sa « présence mondiale », mais des modalités de cette insertion. L’Afrique, par exemple, détient un taux de commerce extérieur à la région en proportion de son PIB beaucoup plus élevé (45,6 %) que celui de l’Europe (13,8 %) ou celui des États-Unis (13,2 %) en étant la région la plus appauvrie de la planète (4). Ce cas extrême de subordination défavorable envers la division internationale du travail illustre une situation de dépendance générale que supportent les économies périphériques. Recolonisation politique La recolonisation de la périphérie constitue la face politique de la domination économique impérialiste. Elle se fonde sur l’association croissante des classes dominantes locales avec ses correspondants du nord. Cet entrelacement est la conséquence de la dépendance financière, de la livraison des ressources naturelles et de la privatisation des secteurs stratégiques de la région. La perte de la souveraineté économique a octroyé au Fonds monétaire international (FMI) la mainmise directe sur la gestion macro-économique et au Département d’État (ministère des affaires étrangères aux États-Unis) une influence équivalente sur les décisions politiques. Aujourd’hui aucun président latino-américain ne se permet d’adopter des décisions importantes sans consulter l’Ambassade US. Le prêche des moyens d’information et des intellectuels « américanisés » contribue à légitimiser cette subordination. A la différence de la période 1940-1970, les capitalistes latino-américains n’envisagent plus de renforcer les marchés intérieurs par la substitution des importations. Leur priorité est de se lier aux firmes étrangères, car la classe dominante régionale est aussi partiellement créancière de la dette extérieure et a bénéficié de la dérégulation financière, des privatisations et de la flexibilisation du travail. Il existe également une
couche de fonctionnaires qui est plus fidèle aux organismes impérialistes qu’à ses États nationaux. Éduqués dans les universités états-uniennes, entraînés dans les organismes internationaux et dans les grandes firmes, leurs carrières sont plus dépendantes de ces institutions que de la bonne marche des États qu’ils gouvernent. Mais cette recolonisation généralisée accentue également la crise des systèmes politiques de la région. La perte de légitimité des gouvernements aux ordres du FMI a produit au cours des deux dernières années une crise de régime dans quatre pays (Paraguay, Équateur, Pérou, Argentine). A l’issue d’un long processus d’érosion de l’autorité des partis traditionnels, les gouvernements se fragilisent, les régimes tendent à se désagréger et certains États sont ébranlés. Cette séquence couronne le moulage des institutions, qui ont cessé d’être sensibles aux revendications populaires et qui se conduisent comme des agents de l’impérialisme. Au fur et à mesure que la façade constitutionnelle se désagrège, le Département d’État états-unien encourage un retour aux pratiques dictatoriales du passé, bien que le vieil autoritarisme apparaisse recouvert de nouveaux artifices constitutionnels. Cette ligne fut clairement apparente dans la récente tentative de coup d’État au Venezuela. Le remplacement du gouvernement nationaliste de ce pays est une priorité aux yeux du gouvernement des États-Unis pour pouvoir renforcer l’embargo contre Cuba, pour désarticuler le zapatisme, pour se préparer à une victoire électorale du Parti des travailleurs au Brésil et pour infliger une leçon à la rébellion populaire argentine. La diplomatie états-unienne a déjà commencé à évaluer la possibilité de restaurer les vieux protectorats qu’elle considère comme ayant été complètement défaits. La Colombie et Haïti sont les deux principaux candidats pour cet essai néocolonial, qui pourrait également être mis en pratique en Yougoslavie, au Rwanda, en Afghanistan, en Somalie et en Sierra Leone. Récemment l’Argentine a commencé à figurer parmi les nations incluses dans ce projet d’administration vice-royal (4). De telles alternatives supposent une importante ingérence directe du gendarme nord-américain. L’interventionnisme militaire Le “Plan Colombie” est le principal essai de cette intervention belliciste en Amérique latine. Le Pentagone a déjà mis de côté le prétexte du trafic des stupéfiants et, tout en forçant à la rupture des négociations de paix, a initié une campagne militaire contre la guérilla. La précaution pour minimiser la présence directe des troupes nord- américaines, afin de réduire les pertes états-uniennes (« syndrome du Viêt-nam »), consiste en une plus grande saignée des « indigènes ». Avec la guerre en Colombie il s’agit de restaurer l’autorité d’un État démembré et de restaurer les conditions de l’appropriation impérialiste des ressources stratégiques. Comme le prouve la conspiration au Venezuela, ces actions ont également pour but de garantir l’approvisionnement pétrolier des États-Unis. Pour assurer cet approvisionnement la CIA a installé un centre stratégique en Équateur et a mis sous écoute depuis les frontières voisines tout le territoire mexicain. L’impérialisme s’est engagé dans la modernisation de ses bases militaires avec des effectifs à mobilité rapide. Dans ce but il a décentralisé le vieux commandement panaméen en installant de nouveaux dispositifs à Vieques, Mantas, Aruba et au Salvador. A travers un réseau de 51 installations sur toute la planète les troupes états- uniennes réalisent des exercices qui visent à déplacer simultanément en quelques jours un effectif de 60 000 soldats dans 100 pays (5). L’agression contre Cuba, au travers du sabotage terroriste ou d’un plan d’invasion rénové, reste un objectif toujours présent. Ce cours belliciste s’est accentué après le 11 septembre 2001, car les États-Unis parient sur la réactivation de leur économie en relançant le réarmement et gardent sous la main les plans de guerre contre l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie et la Libye. Avec
5 % de la population mondiale, la principale puissance absorbe 40 % des dépenses militaires totales et vient de lancer la modernisation des sous-marins, la construction de nouveaux avions et la mise à l’épreuve, au travers d’un programme de « guerre des étoiles », des nouvelles applications des technologies de l’information. La relance militaire constitue la réponse impérialiste à la désintégration des États, des économies et des sociétés périphériques, provoquée par la domination US croissante sur cette périphérie. C’est pour cela que l’actuelle « guerre totale contre le terrorisme » présente autant de similitudes avec les vieilles campagnes coloniales. De nouveau l’ennemi est diabolisé pour justifier les massacres de la population civile sur la ligne du front et les restrictions des droits démocratiques sur les arrières. Mais plus la destruction de l’ennemi “terroriste” avance et plus on assiste à une désarticulation politique et sociale. L’état de guerre généralisé perpétue l’instabilité provoquée par le pillage économique, la balkanisation politique et la destruction sociale de la périphérie (6). Ces effets sont le plus visibles en Amérique latine et au Moyen-Orient, deux zones d’importance stratégique aux yeux du Pentagone, car elles détiennent les ressources pétrolières et représentent des marchés importants disputés par la concurrence européenne et japonaise. En raison de cette importance stratégique ils sont au centre de la domination impérialiste et souffrent de processus très semblables de désarticulation étatique, d’affaiblissement économique de la classe dominante locale et de perte d’autorité de leurs représentations politiques traditionnelles. Le fatalisme néolibéral L’expropriation économique, la recolonisation politique et l’interventionnisme militaire sont les trois piliers de l’impérialisme actuel. Nombre d’analystes se limitent à décrire de manière résignée cette oppression comme un destin inexorable. Certains présentent la fracture entre les « gagnants et les perdants » de la mondialisation comme un « coût du développement », sans expliquer pourquoi ce prix se perpétue à travers les temps et reste toujours à la charge des nations qui l’ont déjà payé par le passé. Les néolibéraux tendent de pronostiquer que la fin du sous-développement se réalisera dans les pays qui parient sur « l’attrait » du capital étranger et sur la « séduction » des firmes. Mais les nations dépendantes qui se sont engagées sur ce chemin au cours de la décennie passée en ouvrant leurs économies payent aujourd’hui la plus lourde facture des « crises émergentes ». Celles qui se sont le plus engagées dans les privatisations ont le plus perdu sur le marché mondial. En procurant des grandes facilités au capital impérialiste elles ont levé les barrières qui limitaient le pillage de leurs ressources naturelles et elles le payent aujourd’hui par des échanges commerciaux plus asymétriques, par une instabilité financière plus intense et une désarticulation industrielle plus accentuée. Certains néolibéraux attribuent ces effets à l’application limitée de leurs recommandations, comme si une décennie d’expériences néfastes n’avait pas fourni suffisamment de leçons quant au résultat de leurs recettes. D’autres suggèrent que le sous-développement est une fatalité du fait du tempérament perdant de la population périphérique, du poids de la corruption ou de l’immaturité culturelle des peuples du Tiers-Monde. En général l’argumentation colonialiste a changé de style, mais son contenu reste invariable. Aujourd’hui on ne justifie plus la supériorité du conquérant par sa pureté raciale, mais par ses connaissances supérieures et la qualité de ses comportements. Transnationalisation impériale En estimant que la mondialisation dilue les frontières entre le Premier et le Troisième Monde, T. Negri et M. Hardt (7) mettent très sérieusement en cause la théorie de
l’impérialisme. Ils considèrent qu’un nouveau capital global agissant au travers de l’ONU, du G8, du FMI et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) a créé une souveraineté impériale, liant les fractions dominantes du centre et de la périphérie en un même système d’oppression mondiale. Cette caractérisation suppose l’existence d’une certaine homogénéisation du développement capitaliste, qui semble très difficile à vérifier. Toutes les données concernant l’investissement, l’épargne ou la consommation confirment au contraire l’amplification des différences entre les économies centrales et périphériques et indiquent que les processus d’accumulation et de crise se polarisent également. Non seulement la prospérité nord-américaine de la dernière décennie contraste avec l’écroulement généralisé des nations sous-développées, mais également la crise sociale de la périphérie n’a pour le moment pas d’équivalents en Europe. De même on ne trouvera aucun indice de convergence des statuts de la bourgeoisie vénézuélienne et états-unienne, ni de similitude entre la crise argentine et japonaise. Loin d’uniformiser la reproduction du capital autour d’un horizon commun, la mondialisation approfondit la dualité de ce processus à l’échelle planétaire. Il est clair que l’association entre les classes dominantes de la périphérie et les grandes firmes est plus étroite, comme il est clair que la pauvreté s’est étendue au cœur du capitalisme avancé. Mais ces processus n’ont transformé aucun pays dépendant en central, ni n’ont provoqué la tiers-mondisation d’aucune puissance centrale. L’entrelacement plus grand entre les classes dominantes coexiste avec la consolidation du gouffre historique qui sépare les pays développés des pays sous-développés. Le capitalisme ne se nivelle pas, pas plus qu’il ne se fracture autour d’un nouvel axe transnational, mais renforce la polarisation apparue au cours du siècle précédent. Le pouvoir détenu par les capitalistes d’une vingtaine de nations sur les quelques 200 restantes est l’évidence principale de la persistance de l’organisation hiérarchique du marché mondial. Au travers du Conseil de sécurité de l’ONU ils exercent une domination militaire, par le biais de l’OMC ils imposent leur hégémonie commerciale et avec le FMI ils s’assurent le contrôle financier de la planète. En analysant les liens prédominants entre les classes dominantes, la thèse transnationaliste confond “association” et “partage du pouvoir”. Qu’un secteur des groupes capitalistes de la périphérie accroisse son intégration avec ses alliés du centre ne l’invite pas pour autant au sein de la domination mondiale et ne supprime pas sa faiblesse structurelle. Pendant que les firmes nord-américaines exploitent les travailleurs latino-américains, la bourgeoisie équatorienne ou brésilienne ne participe pas à l’expropriation du prolétariat états-unien. Bien que le saut enregistré dans l’internationalisation de l’économie soit très significatif, les capitaux continuent à opérer dans le cadre de l’ordre impérialiste qui établit une fracture entre le centre et la périphérie. Classes et États — I Certains auteurs soutiennent que la transnationalisation du capital s’est étendue aux classes et aux États, créant ainsi une nouvelle coupure transversale de domination globale qui traverserait tous les pays et strates sociales (8). Cette thèse identifie les procès d’intégration régionale avec la “transnationalisation” sociale et étatique, sans percevoir la différence qualitative qui sépare l’association entre groupes impérialistes et la recolonisation périphérique. L’Union européenne et la ZLÉA, par exemple, ne font pas partie d’une même tendance vers la “transnationalisation” mais sont les expressions de deux procès très différentes. Il ne faut pas confondre une alliance entre secteurs dominants sur le marché mondial et le plan néocolonial d’une puissance donnée.
En réalité seule la haute bureaucratie des pays périphériques appartenant également aux organismes internationaux constitue un groupe social pleinement “transnationalisé”. La loyauté de ce secteur envers le FMI ou l’OMC est plus forte qu’envers les États nationaux qu’ils dirigent et on pourrait considérer que le comportement et les perspectives de ces fonctionnaires anticipe le cours futur des classes dominantes du Tiers-Monde. Mais une telle évolution constitue tout au plus une possibilité et ne représente pas aujourd’hui une réalité vérifiable, en particulier dans les pays de la périphérie supérieure (tel le Brésil ou la Corée du Sud), dont la classe dominante est plus liée aux procès d’accumulation dépendant des marchés intérieurs. La situation est totalement différente dans les petits pays (par exemple d’Amérique centrale), hautement intégrés dans le marché d’une grande puissance. Ces différences démentent l’existence d’un processus général ou uniforme de transnationalisation. Certains défenseurs de la thèse impériale affirment que le degré d’assemblage effectif entre les classes centrales et périphériques est supérieur à ce qu’indiquent les paramètres obsolètes des comptabilités nationales. Et il est vrai que ces catégories sont déjà insuffisantes pour évaluer le cours actuel de la mondialisation, mais elles complètent d’autres indicateurs indiscutables de la fracture entre le centre et la périphérie. L’approfondissement de ces inégalités se vérifie sur tous les plans de la productivité, des revenus, de la consommation ou de l’accumulation. Il est d’autre part faux de supposer que « le nouvel État global » a effacé la distinction entre États dominants et recolonisés. Cette différence saute aux yeux lorsqu’on voit l’influence des bourgeoisies du Tiers-Monde sur toutes les décisions de l’ONU, du FMI, de l’OMC ou de la Banque mondiale. Les classes dominantes de la périphérie ne sont pas des victimes du sous-développement et gagnent largement en exploitant les travailleurs de leur pays. Mais cela ne les autorise nullement à s’approcher de la domination mondiale. Le thèse de l’empire ignore ce rôle marginal et méconnaît la persistance de la domination impérialiste dans les secteurs stratégiques de la périphérie. Elle n’enregistre pas que cet assujettissement n’est pas actuellement purement colonial, ni n’est pas centré exclusivement sur l’appropriation des matières premières ou sur la gestion directe du territoire, mais subsiste en tant que mécanisme de contrôle métropolitain des secteurs stratégiques des pays sous-développés (9). Cette domination n’est pas exercée par un « pouvoir mondial » mystérieux, mais au moyen d’actions militaires et diplomatiques de chaque puissance dans ses aires d’influence principale. Le rôle des États-Unis est plus éblouissant dans le “Plan Colombie” que dans le conflit des Balkans et la tâche de l’Europe est mieux définie dans la crise méditerranéenne que dans le développement de la ZLÉA. Cette spécificité tient aux intérêts que chaque groupe impérialiste canalise dans des actions géopolitiques menées par ses États, ce que les théoriciens de l’empire ne peuvent percevoir. Retour au capitalisme industriel ? La majorité des critiques du néolibéralisme de la périphérie reconnaissent que la dépendance reste la cause centrale du sous-développement. Mais ils proposent de dépasser cet assujettissement par la construction d’un « capitalisme différent ». Aujourd’hui il n’est plus question d’un projet strictement national, autonome et centré sur la « substitution des importations » — tel que l’avaient imaginé leurs prédécesseurs de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes) — mais d’un modèle régional, réglé et fondé sur les marchés intérieurs. Ils s’appuient sur les schémas keynésiens pour ériger des « États-providence à la périphérie », soutenus par les transformations institutionnelles (éradiquer la corruption, recomposer la légitimité)
et de grands changements commerciaux (freiner l’ouverture), financiers (limiter les payements de la dette) et industriels (réorienter la production vers l’activité locale) (10). Mais comment se construira un « capitalisme efficace » dans des pays soumis à un drainage systématique de leurs ressources ? Comment se réalisera actuellement un objectif abandonné par la classe dominante dès la moitié du XIXe siècle ? Quels groupes vont donc construire ce système de mesures sociales et de maximalisation du profit ? Les partisans du nouveau capitalisme périphérique n’apportent pas de réponses à toutes ces questions cruciales. Ils ignorent que les marges pour réaliser leur projet se sont encore réduites avec l’association croissante des classes dominantes périphériques avec le capital métropolitain. Cette liaison est un obstacle à l’accumulation interne, multiplie les fuites des capitaux et rend plus difficile l’application des politiques visant à réactiver la demande interne. Les bourgeoisies qui n’ont pas tenté dans le passé de fonder un capitalisme autonome ont encore moins de capacités à s’approcher d’un tel but actuellement. Leur attitude pro-impérialiste limite même la viabilité des projets régionaux comme le Mercosur. Cette association chancelle après une décennie d’échecs des tentatives visant à la doter d’institutions économiques et politiques communes. Toutes les propositions d’action concertée (monnaies, organismes, instances d’arbitrage) ont été archivées au fur et à mesure que la crise s’étendait à toute la zone. Cette faillite a été approfondie avec les politiques de « différenciation » tentées par tous les gouvernements pour démontrer au FMI qu’ils « ne sont pas irresponsables ». La fracture régionale répète ainsi l’histoire de la balkanisation latino-américaine et confirme l’incapacité des bourgeoisies locales de se doter de politiques d’accumulation autocentrées. Nombre d’auteurs expliquent ce résultat par le caractère traditionnellement “rentier” de la bourgeoisie dans la région et en conséquence par l’absence d’entrepreneurs disposés à investir ou à prendre des risques. Mais alors on doit conclure que cette absence d’impulsions pour une accumulation soutenue s’est renforcée. Pourquoi donc parier sur un projet dépourvu de sujet ? Quel peut être le sens de construire un capitalisme sans capitalistes intéressés par la concurrence et l’innovation ? Proposer aux travailleurs qu’ils se substituent à la classe dominante dans cette tâche équivaut à les inciter à fabriquer les chaînes de leur propre exploitation. L’espoir que d’autres secteurs sociaux remplacent les entrepreneurs dans la tâche d’achever un capitalisme prospère (bureaucraties, classe moyenne) n’a pas plus de fondements ni de précédents empiriques. Ceux qui souhaitent ériger « un autre capitalisme » devraient se rappeler que le modèle qui prévaut dans chaque pays est le produit de certaines conditions historiques et non du libre choix de ses gérants. Il y a une dynamique objective de ce procès qui explique pourquoi le développement du centre accentue le sous-développement de la périphérie. Il est évident que tous les membres des nations périphériques auraient désiré un destin de puissance développée, mais sur le marché mondial il y a peu d’espace pour les groupes dominants et beaucoup pour les économies dépendantes. C’est pourquoi les « économies de marché qui réussissent » à la périphérie sont exceptionnelles ou transitoires. Pour sortir du sous-développement il ne suffit pas de politiques anti- libérales. Il faut, de plus, s’attacher à l’action anti-impérialiste en construisant une société socialiste. Trois modèles en discussion La vigueur de la théorie classique de l’impérialisme pour expliquer les relations de domination entre le centre et la périphérie est accablante. Mais son actualité pour clarifier les rapports contemporains entre les grandes puissances est plus sujette à
controverses. Dans ce second sens le concept de l’impérialisme ne vise plus à éclaircir les causes du retard structurel des pays sous-développés, mais prétend clarifier le type d’alliances et de rivalités prédominantes au sein du camp impérialiste. Divers auteurs (11) ont remarqué l’importance de la distinction entre les deux significations, signalant que les modalités de domination périphérique et celles des rapports entre les puissances suivaient des cours historiquement différents. La distinction entre la phase impérialiste et la phase libre-échangiste du capitalisme, proposée par les théoriciens marxistes du début du XXe siècle, est le point de départ traditionnel pour analyser ce second aspect. Avec cette distinction ils cherchaient à caractériser une nouvelle étape du système, caractérisée par la répartition des marchés entre les puissances au travers de la guerre. Lénine avait attribué cette tendance au conflit inter-impérialiste ouvert à la place centrale des monopoles et du capital financier, Rosa Luxembourg à la nécessité de chercher des sorties externes au rétrécissement de la demande, Boukharine au choc entre les intérêts expansionnistes et protectionnistes des grandes firmes et Trotsky à l’aggravation des inégalités économiques générée par l’accumulation elle-même. Ces interprétations prétendaient expliquer pourquoi la concurrence entre les groupes monopolistes qui a commencé par la confrontation commerciale et l’établissement des zones monétaires avait débouché sur un conflit sanglant. Cette caractérisation sembla désactualisée après la seconde guerre mondiale, lorsque la perspective de conflits armés entre les puissances tendit à disparaître. L’hypothèse d’un tel choc était écartée ou du moins rendue très improbable au fur et à mesure que la concurrence économique entre les diverses firmes et leurs États s’était concentrée dans des rivalités plus continentales. Ces changements ont modifié les termes de l’analyse du second aspect de la théorie de l’impérialisme. Au cours des années 1970, Ernest Mandel (12) a synthétisé la nouvelle situation au travers d’une analyse de trois modèles possibles de l’évolution de l’impérialisme : la concurrence inter-impérialiste, le transnationalisme (originellement nommé “ultra- impérialisme”) et le superimpérialisme. Estimant que le trait dominant de l’accumulation est la rivalité croissante, il attribuait à la première alternative la plus grande probabilité. Il pronostiquait aussi que la concurrence intercontinentale allait s’approfondir avec la formation d’alliance régionales. L’économiste belge avait mis en question la seconde perspective, anticipée par Kautsky et défendue par les auteurs qui envisageaient la constitution d’associations transnationales libérées des origines géographiques de leurs composantes (13). Mandel considérait que bien que l’internationalisation des entreprises multinationales affaiblisse leurs racines nationales, une grande succession de fusions entre propriétaires de firmes d’origines différentes n’était pas probable. Tenant compte du caractère concurrentiel de la reproduction capitaliste, il estimait encore moins faisable le soutien d’un tel processus par la constitution « d’États mondiaux ». De plus, il considérait très improbable que les firmes soient indifférentes envers la conjoncture économique dans leurs pays d’origine et qu’en conséquence elles puissent se passer des politiques anti- cycliques nationales, ce qu’une intégration de ce type supposerait. Il a donc écarté ce scénario, arguant que le développement inégal du capitalisme et ses crises créaient des tensions incompatibles avec la survie à terme d’alliances transnationales. La troisième alternative, superimpérialiste, supposait la consolidation de la domination d’une puissance sur les autres et la soumission des perdants à des rapports similaires à ceux en vigueur avec les pays périphériques. Mandel considérait dans ce cas que la suprématie atteinte par les États-Unis ne mettait pas pour autant l’Europe et le Japon au même niveau de dépendance que les nations sous-développées. Il soulignait que
l’hégémonie politique et militaire nord-américaine n’impliquait pas pour autant sa suprématie économique structurelle à long terme. Comment ces trois perspectives peuvent-elles être analysées aujourd’hui ? Quelles sont les tendances qui prévalent au début du XXIe siècle : la concurrence inter-impérialiste, l'ultra-impérialisme ou le superimpérialisme ? Les changements de la concurrence inter-impérialiste L’interprétation initiale de la thèse de l’impérialisme en tant qu’étape de la rivalité guerrière entre les puissances n’a pratiquement plus de partisans. Il existe par contre une version affaiblie de cette vision, centrée actuellement non sur le dénouement militaire mais sur l’analyse de la concurrence économique. Certains analystes soulignent l’intervention active des États impérialistes pour étayer cette concurrence et mettent en valeur la vigueur des politiques néo-mercantilistes employées pour affaiblir les firmes rivales (14). D’autres auteurs remarquent l’homogénéité de l’origine des propriétaires des firmes et le caractère prioritaire de leurs marchés internes dans leur activité (15). Cet assujettissement des firmes à leur base nationale permet d’expliquer, de l’avis de certaines études, pourquoi la tendance à la formation de blocs régionaux est plus significative que la mondialisation commerciale, financière ou productive (16). Le fait que la croissance nord-américaine de la dernière décennie se soit réalisée aux dépens de leurs rivaux est également interprété comme l’expression du retour à la concurrence inter-impérialiste. Ces manières de voir coïncident en présentant la mondialisation comme un processus cyclique de phases d’expansion et de contraction du niveau d’internationalisation de l’économie (17). Cette variété d’arguments contribue à réfuter la mythologie néolibérale sur « la fin des États », la « disparition des frontières » et la « mobilité sans limites du travail ». La thèse de la concurrence inter-impérialiste démontre comment cette rivalité limite les délocalisations industrielles, la libéralisation financière et l’ouverture commerciale, mettant en relief le fait que la concurrence entre blocs exige une certaine stabilité géographique des investissements, restreignant les mouvements des capitaux et les politiques commerciales de chacun des États. Mais tout en démentant de manière convaincante les simplifications mondialisantes, ces contributions ne parviennent pas à mettre en lumière les différences qui existent entre le contexte actuel et celui en vigueur au début du XXe siècle. Il est certain que la concurrence inter-impérialiste continue à déterminer le cours de l’accumulation. Mais pourquoi la concurrence entre les puissances ne conduit-elle pas actuellement à des conflagrations guerrières directes ? La même concurrence se déroule aujourd’hui dans le cadre d’une forte solidarité capitaliste étant donné que les États-Unis, l’Europe et le Japon partagent les mêmes objectifs de l’OTAN et agissent dans un bloc commun d’États dominants face aux divers conflits militaires. On pourrait l’interpréter en disant que la portée mutuellement destructive des armes nucléaires a changé le caractère des guerres, neutralisant les conflits ouverts. Mais un tel raisonnement explique seulement les modalités de la dissuasion du choc entre les États-Unis et l’ex-URSS, sans éclaircir le fait que les trois rivaux impérialistes évitent également un tel affrontement. De même s’il est certain que la « lutte contre le communisme » avait dilué la concurrence entre puissances capitalistes, ce conflit n’a pas changé de nature depuis la fin de la « guerre froide ». En réalité le choc entre les puissances a été médiatisé par le saut dans la mondialisation. L’activité capitaliste internationale tend à s’entrelacer avec la croissance du commerce qui dépasse celle de la production, la formation d’un marché financier planétaire et la
gestion mondialisée des affaires par les 51 firmes qui donnent le ton parmi les 100 plus grandes entreprises mondiales. La stratégie productive de ces firmes se fonde sur la combinaison des trois options : approvisionnement des facteurs de production, production intégrale pour le marché local et fragmentation de l’assemblage des parts fabriquées dans différents pays. Cette mixture de la production horizontale (récréant dans chaque région le modèle du pays d’origine) et de la production verticale (division du processus de production en accord avec un plan mondial de spécialisation) implique un niveau d’association plus important entre les capitaux internationalisés (18). Les firmes qui définissent leur stratégie à l’échelle mondiale tendent par ailleurs à prédominer sur les moins internationalisées, comme le démontre, par exemple, le poids des firmes du premier type dans les fusions de la dernière décennie (19). Cette avancée de la mondialisation explique aussi pourquoi les tendances protectionnistes n’atteignent pas actuellement la dimension des années 1930 et ne débouchent pas sur la formation de blocs complètement fermés. Le néo-mercantilisme coexiste avec la pression opposée en faveur de la libéralisation commerciale, car l’échange interne entre les entreprises localisées dans différents pays s’est accru notablement. Cela n’apparaît pas clairement dans les statistiques courantes, car les opérations entre firmes internationalisées réalisées sur un marché national sont généralement comptabilisées en tant que transactions internes à ce pays (20). Cette avancée de la mondialisation qui affaiblit la concurrence traditionnelle entre les puissances impérialistes exprime une tendance dominante et non seulement un va-et- vient cyclique du capitalisme. Les périodes de retrait national ou régional sont des mouvements contrariant cette impulsion centrale d’amplification du rayon d’action géographique du capital. Le frein à cette tendance provient des déséquilibres générés par l’expansion mondiale et non de la pendularité structurelle de ce processus. En dernière instance la pression mondialisatrice est la force dominante car elle reflète l’action croissante de la loi de la valeur à l’échelle internationale. Plus les entreprises transnationales prennent de l’importance et plus est grand le champ de la valorisation du capital à l’échelle globale au détriment des aires exclusivement nationales. Cette influence exprime la tendance à la formation des prix mondiaux qui représentent de nouveaux étalons du temps de travail socialement nécessaire pour la production des marchandises (21). La gestion internationalisée des affaires érode la vigueur du modèle classique de la concurrence inter-impérialiste. Mais cette transformation n’est pas perceptible si l’on observe la mondialisation en cours comme un « processus aussi vieux que le capitalisme lui-même ». Cette attitude tend à ignorer les différences qualitatives qui séparent chaque étape de ce processus et cette distinction est vitale si l’on veut comprendre pourquoi l’internationalisation de la Compagnie des Indes du XVIe siècle, par exemple, a peu de choses en commun avec la fabrication mondialement segmentée de General Motors. La rivalité contemporaine entre les firmes se déroule dans un cadre d’activité plus concerté. C’est au sein des organismes mondiaux d’activité politique (ONU, G8), économique (FMI, BM, OMC) ou militaire (OTAN) que cette activité commune se négocie. A la différence du passé, l’activité traditionnelle des blocs concurrents coexiste avec l’influence croissante de ces institutions, qui agissent en écho des intérêts des firmes internationalisées. C’est pourquoi le remodelage contemporain des territoires, des législations et des marchés s’accomplit dans ces hautes instances et non au moyen de la guerre entre puissances. S’il est évident que la nouvelle configuration impérialiste se nourrit de massacres guerriers systématiques, la scène de ces massacres est périphérique. La
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