La charte de l'islam divise les musulmans français - Reforme.net

 
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Publié le 3 février 2021(Mise à jour le 3/02)
Par Augustine Passilly

La charte de l’islam divise les
musulmans français
Adoptée le 17 janvier, la Charte des principes pour l’islam de France n’a pas été
signée par trois des huit fédérations concernées. En cause, des problèmes de
méthode et des désaccords sur son contenu.

Tant sur le principe que sur la manière dont il a été rédigé et sur son contenu, le
texte divise. Le 17 janvier naissait la Charte des principes pour l’islam de France,
censée accompagner la création du Conseil national des imams, voulu par le
président de la République. Cinq des huit fédérations concernées (1) ont ratifié ce
texte ; trois autres refusent pour l’heure d’apposer leur signature : les deux
organisations turques que sont le Comité de coordination des musulmans turcs de
France (CCMTF) et la Confédération islamique Millî Görüş (CIMG), ainsi que Foi
et pratique, la branche française du mouvement piétiste indien Tabligh.

Une concertation écourtée
« Il y a un vrai problème au niveau de la procédure. La phase de concertation n’a
pas eu le temps d’aboutir. Cette précipitation pour officialiser la charte a laissé
certains passages assez gênants du point du vue de nos valeurs, explique Fatih
Sarikir, le secrétaire général de la CIMG. Or, si nous voulons que la mission du
Conseil national des imams réussisse, il faut que les imams et mosquées se
reconnaissent dans cette charte. »

Anouar Kbibech, le président du Rassemblement des musulmans de France, est,
lui, favorable à la charte qu’il trouve « très claire », que ce soit « sur la
proclamation de la cohérence des valeurs de l’islam avec les lois de la République
ou sur notre refus de l’ingérence étrangère et de toute instrumentalisation de la
religion à des fins politiques ». Il se réjouit que soit mentionné « notre
attachement à la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire et même de
changer de religion, mais aussi à l’importance de l’égalité entre les hommes et les
femmes. Nous rejetons aussi, à travers ce document, la notion de racisme d’État
ou d’islamophobie d’État ».

Il pointe en revanche une entorse à « ce qui avait été convenu au départ ». À
savoir, « que chaque fédération apporte une contribution et que l’élaboration
d’une synthèse se fasse de manière collégiale ». Une première version avait ainsi
vu le jour le 15 décembre. Avant que la Grande Mosquée de Paris annonce, le
28 décembre, son retrait à cause de « la composante islamiste au sein du Conseil
français du culte musulman (CFCM) ».

Confrontation       entre     principes
républicains et valeurs religieuses
À la suite de ce blocage, « le ministère de l’Intérieur a invité, le 16 janvier, le
président du CFCM et ses deux vice-présidents pour retravailler ce texte, qui a
été finalisé et présenté à l’ensemble des fédérations le lendemain », détaille
Anouar Kbibech. Le secrétaire général de la CIMG, Fatih Sarikir, ne digère pas
cet empressement. « On nous a demandé de signer dans la foulée cette nouvelle
version de la charte, qui présente un grande nombre de différences avec celle du
15 décembre », dénonce-t-il, alors que l’Élysée a salué un « acte fondateur » dès le
18 janvier.

Deux jours plus tard, les trois fédérations réfractaires ont mis en ligne un
communiqué commun. « Nous sommes évidemment d’accord avec la demande de
non-ingérence des États, la non-instrumentalisation des religions et le respect de
la Constitution et des principes de la République, affirment-elles. Cependant, nous
pensons que certains passages et formulations du texte sont de nature à fragiliser
les liens de confiance entre les musulmans de France et la Nation. En outre,
certaines déclarations portent atteinte à l’honneur des musulmans, avec un
caractère accusatoire et marginalisant. »

   « Pour nous, il ne devrait pas y avoir de confrontation car on ne peut pas dire
  aux musulmans que leurs croyances passent obligatoirement après les lois de la
                   République auxquelles ils se conforment tous »

Fatih Sarikir rappelle que ce document était, à l’origine, censé concerner les
imams. Il déplore par conséquent l’ajout d’« un certain nombre de passages qui
s’expriment au nom des musulmans dans leur ensemble. Alors que nous ne
sommes absolument pas habilités à signer une charte au nom de nos compatriotes
de confession musulmane pour dire ce que devrait être un bon ou un mauvais
musulman ». Le représentant de la CIMG regrette aussi « la mise en confrontation
entre les principes républicains et les convictions religieuses des musulmans.
Pour nous, il ne devrait pas y avoir de confrontation car on ne peut pas dire aux
musulmans que leurs croyances passent obligatoirement après les lois de la
République auxquelles ils se conforment tous. Nous ne comprenons pas l’objectif
de le demander de manière aussi explicite ».

Risque de stigmatisation
Samim Akgönül, le directeur du département d’études turques à l’université de
Strasbourg, souligne que « la charte a bien pour but d’affirmer la supériorité des
principes républicains sur des dogmes religieux ». Il dénonce, en revanche, le fait
qu’elle « vise une seule religion et devienne ainsi accusatrice, biaisée,
infantilisante donc inopérante. Il est temps que les fédérations luthériennes ou
réformées, les Églises pentecôtistes ou encore la communauté Loubavitch (de
confession juive, NDLR) signent la même charte. C’est seulement à ce moment-là
qu’un tel document pourra être compatible avec la loi de 1905 (de séparation des
Églises et de l’État, NDLR) ».

Le chercheur estime cependant que c’est l’article 6, sur les huit que compte la
charte, consacré au « rejet de toutes les formes d’ingérence et
d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques », qui concentre les
réticences des deux organisations turques refusant de la signer. « Ces deux
réseaux sont éminemment nationaux car ils sont le produit d’un islam national,
turc, explique Samim Akgönül. En réalité, la France aimerait réaliser l’exploit que
la Turquie a réalisé en un siècle : construire un islam français national. Cette
volonté est louable mais à condition de prendre les choses en amont. On demande
aux représentants d’un islam national (turc) de passer à un autre islam national à
construire (français). Évidemment, ça ne marche pas. »

Difficile, enfin, de savoir si le contenu de la charte est susceptible d’évoluer.
Anouar Kbibech, le représentant du Rassemblement des musulmans de France,
affirme qu’« elle ne bougera plus, seul le nombre de signataires peut changer ».
Tandis que le secrétaire général de la CIMG appelle au contraire à « reprendre le
travail pour obtenir un consensus le plus large possible ». Le Conseil national des
imams devrait voir le jour une fois cette question tranchée.

(1) Ces fédérations, qui réunissent mosquées et associations cultuelles,
représentent des sensibilités différentes au sein de l’islam.

  Un point de vue protestant
  Pierre Lacoste, président de la Commission des relations avec l’islam de la Fédération
  protestante de France, voit dans cette charte « un événement historique sans précédent
  pour l’islam de France » ainsi qu’« une avancée décisive de la même importance que la loi
  de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État ». Il estime que ce document offre « la
  possibilité de sortir d’une forme de tolérance accompagnée de suspicion pour entrer dans
  une nouvelle ère qui est celle de la reconnaissance ».

  Car, selon lui, ce texte apporte « des outils qui vont aider l’islam à trouver un
  consensus dans la mesure où cette religion se caractérise par une palette de
  positionnements possibles entre ce qui est toléré, ce qui n’est pas recommandé,
  ce qui est interdit, ce qui est abominable… Tandis que le christianisme est plus
  duel. » Pierre Lacoste admet toutefois que la mise en pratique de cette charte
  prendra du temps et que certains aspects, minimes espère-t-il, restent
  susceptibles d’être modifiés.
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cultes

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Par Rachel Knaebel

En Allemagne, un État neutre qui
coopère avec les religions
La séparation de l’Église et de l’État régit, comme en France, les relations entre
le pouvoir et les religions. La façon dont elle est vécue et appliquée est cependant
bien différente entre les deux pays.

En Allemagne comme en France, l’Église et l’État sont indépendants l’un de
l’autre. Le principe est acté depuis 1919 : il a été adopté dans la Constitution de la
République de Weimar puis repris dans celle de la République fédérale allemande
en 1949. Cette séparation ne signifie pas pour autant que la religion relève
strictement de la sphère privée. Elle n’empêche pas, par exemple, que des cours
de religion, catholique, protestante, musulmane…, soient donnés à l’école
publique.

C’est que la séparation allemande de l’Église et de l’État est née dans un contexte
bien différent en Allemagne et en France. L’État allemand avait alors face à lui
non pas une, mais deux puissantes Églises : catholique et protestante. « Déjà
depuis le XVIe siècle, deux grandes confessions se faisaient face, avec lesquelles
l’État devait se concerter et qu’il devait concilier entre elles, précise Christoph
Thiel, directeur du département juridique de l’Église évangélique en Allemagne
(EKD). De cet équilibre est née l’idée centrale que l’État est neutre, qu’il n’a pas
lui-même d’avis sur la question religieuse, qu’il rend simplement possible
l’exercice de la religion, également dans la sphère publique. » À côté de cette
obligation, le droit fondamental à la liberté religieuse, inscrit dans la Constitution,
est aussi à mettre dans la balance.
Une neutralité « facilitante »
En équilibre entre ces deux impératifs, l’État se trouve en Allemagne face aux
différentes communautés religieuses dans une position de neutralité, certes, mais
qui est aussi « facilitante », comme l’a précisé il y a quelques années le tribunal
constitutionnel allemand. Par exemple, l’État prélève l’impôt ecclésiastique au
nom des deux grandes Églises et le redistribue. Il subventionne les postes
d’aumôniers dans les prisons et dans l’armée. Et les États fédérés, les länder, ont
la compétence d’organiser les cours de religion dans les écoles publiques, en
coopération avec les communautés religieuses.

Pour autant, cette coopération ne se fait pas toujours sans anicroche, en
particulier avec les communautés musulmanes, implantées pour la plupart depuis
quelques décennies seulement. Ici, la pluralité des courants, d’origine turque,
balkanique, marocaine… complique les relations avec l’État fédéral et les länder.
« L’État a besoin d’une infrastructure organisée comme interlocuteur. Le
problème est que les communautés musulmanes n’ont pas encore réussi à
constituer une structure reconnue comme “corporation de droit public” »,
rappelle Mouez Khalfaoui, professeur à l’Institut de théologie islamique de
l’université de Tübingen.

Ce statut est une reconnaissance officielle qui permet une véritable coopération
avec l’État. Les Églises l’ont, une partie des communautés juives également. Mais
seulement deux associations musulmanes l’ont obtenu, très récemment : la
communauté des Ahmadiyyas (une branche de l’islam venue d’Asie du Sud-Est),
reconnue depuis 2013 dans deux länder (Hesse et Hambourg), et la communauté
alévie de la région de Cologne, depuis décembre dernier. « Pour pouvoir acquérir
ce statut, il faut entre autres exister en tant que communauté religieuse en
Allemagne depuis au moins 30 ans et respecter, évidemment, les principes
constitutionnels allemands », précise l’universitaire.

La question des liens avec la Turquie
Sur ce point, la dépendance de certaines associations musulmanes à l’État turc
est source de conflits. C’est en particulier le cas de l’une des organisations les
plus importantes du pays en nombre de mosquées représentées, Ditib, qui reçoit
directement des financements de l’État turc et emploie des imams payés de même
par le gouvernement d’Erdogan. Mais pour Mouez Khalfaoui, « le paysage sera
sûrement très différent dans dix ou vingt ans. Les nouvelles générations qui sont
en train de prendre des responsabilités dans les communautés sont nées ici, qui
voient leur avenir et celui de leurs familles en Allemagne et en Europe. Elles ont
moins envie de travailler avec la Turquie ou avec d’autres États musulmans. Il
faut de la patience. »

En attendant, des voix s’élèvent pour critiquer les tentatives de certains länder de
reconnaître un groupement tel Ditib comme interlocuteur officiel, notamment
pour organiser les cours de religion. L’Allemagne compte aussi des opposants au
système même de séparation-coopération entre État et religions. Christoph Thiel,
lui, en est un fervent défenseur. Alors que la pluralité des religions est devenue la
norme, il estime qu’un système où l’État, neutre, s’engage à ne pas prendre
position pour une religion plutôt qu’une autre tout en ne s’interdisant le dialogue
avec aucune « pourrait être un modèle pour l’Europe entière ».

Rachel Knaebel, correspondance de Berlin

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Publié le 24 décembre 2020(Mise à jour le 4/01)
Par Claire Bernole

Projet de loi confortant les
principes républicains: l’avis de
Jean-Daniel Roque
Jean-Daniel Roque, président de la commission droit et liberté religieuse de la
FPF, redoute que le projet de loi confortant les principes républicains ne
conduisent à une restriction de la liberté de culte.

La presse a déjà rendu compte des nombreux débats soulevés par le titre premier
du projet de loi (« Garantir le respect des principes républicains »), qui attirera
aussi l’intérêt lors du le débat parlementaire. Relevons toutefois les vives
inquiétudes que fait naître la mention, à propos du contrat d’engagement
républicain préalable à toute subvention et tout agrément, l’obligation de
« sauvegarder l’ordre public ».

Le titre II (« Garantir le libre exercice du culte ») touche à des questions qui
risquent d’être moins largement abordées. Le protestantisme français est à
l’origine actuellement de plus de la moitié des associations cultuelles régies par la
loi de 1905 : il peut d’autant plus mesurer concrètement les conséquences des
modifications qui seraient apportées.

Revenant sur l’intention initiale de rétablir une autorisation préalable, le projet
maintient une procédure de déclaration (la liste des documents à fournir devant
être fixée par décret), à renouveler tous les cinq ans.

L’avis du Conseil d’État
De même est créée au nouvel article 35 toute une procédure de déclaration et de
contrôle relative aux fonds provenant, directement ou indirectement, de
l’étranger. Or de tels flux existent aussi, et pour des montants bien plus élevés,
dans d’autres domaines. Une telle discrimination peut aussi être perçue comme
stigmatisante…

En outre, les exigences comptables sont développées bien au-delà de celles
applicables à toute association et l’article 34 introduit une nouvelle incrimination
pour le non-respect des obligations comptables, sanctionnée par une amende de
9 000 €. Tout dirigeant est pénalement responsable des infractions commises
dans le fonctionnement du groupement, notamment lorsqu’il ne respecte pas la
règlementation applicable à l’activité de l’association. Mais cette sanction est bien
plus sévère et, là aussi, qu’est-ce qui justifie que soit créée une disposition
particulière pour les seules associations cultuelles ?

L’avis du Conseil d’État constate que « le projet de loi alourdit les contraintes
pesant sur les associations cultuelles et modifie l’équilibre opéré en 1905 par le
législateur entre le principe de la liberté de constitution de ces associations et
leur nécessaire encadrement du fait qu’elles bénéficient d’avantages publics. »

À ce sujet, on ne peut que s’étonner de voir l’avis du Conseil d’État (§ 67) écrire
que les associations cultuelles « disposent gratuitement des édifices servant à
l’exercice public du culte dont les dépenses d’entretien et de conservation sont à
la charge de la collectivité publique ». C’est attribuer à toutes les associations
cultuelles une disposition qui ne concerne que certaines, et qui est d’ailleurs à
l’origine d’une profonde inégalité entre les cultes. Comme l’a établi un rapport du
sénat (Hervé MAUREY, mars 2015), 90 % des édifices du culte catholique sont la
propriété des communes, alors que ce chiffre ne représente que 12 % pour le
culte protestant, 3 % pour le culte juif, et 0 % pour les autres cultes, notamment
culte bouddhiste et le culte musulman.
Alors qu’est particulièrement fournie la liste des organismes pouvant établir des
reçus fiscaux et que depuis 2014 s’allonge celle des organismes pouvant recevoir
des libéralités, tous constats particulièrement heureux, quelle est la motivation de
telles mesures limitées aux associations cultuelles, quand on sait que la plupart
des associations cultuelles d’une part ne sont au bénéfice d’aucune aide publique,
directe ou indirecte, et d’autre part ne participent ni ne contribuent aux actions
terroristes, réprimées à juste titre ?

Vers une restriction des libertés ?
Augmenter les contraintes et charges administratives des associations et de leurs
administrateurs ne peut que rendre plus difficile leur fonctionnement. Et une telle
accumulation peut aboutir à une restriction à la liberté d’exercice du culte.

Le projet de loi va encore plus loin en introduisant à l’article 26, dans tous les
statuts des associations cultuelles des dispositions relatives à certaines règles de
fonctionnement. L’exposé des motifs indique que « l’objectif poursuivi est de
renforcer les procédures de démocratie interne s’agissant des actes de gestion les
plus importants ». Nous ne pouvons que partager un tel objectif, qui est d’ailleurs
le plus souvent déjà respecté dans les statuts des associations cultuelles
protestantes. Mais, une fois de plus, pourquoi ce souci de démocratie interne
n’est-il prescrit qu’au regard des associations cultuelles ? Ne devrait-il pas
concerner tout aussi bien toutes les associations ?

Alors que le but initial était de rendre attractive la loi 1905 pour notamment
encourager l’islam français à choisir ce cadre législatif (de même que la loi du 2
janvier 1907 a été promulguée pour tenir compte de la position de refus de la loi
de 1905 prise par le culte catholique), le projet de loi multiplie les contraintes
concernant les associations relatives à l’exercice du culte. Au lieu de veiller à
l’égalité de traitement de toutes les associations, pourquoi introduire de telles
discriminations, y compris dans des domaines qui ne caractérisent pas ces
associations ?

« Le Conseil d’État constate que le projet conduit à imposer des contraintes
importantes à une majorité d’associations cultuelles ou à objet mixte de toutes
confessions dont les agissements, de même que le comportement des ministres du
culte et des fidèles, sont dans leur grande majorité respectueux des règles
communes. » (§ 71) Cette accumulation de contraintes est-elle vraiment
compatible avec le respect du libre exercice des cultes, que « la République
garantit » selon l’article premier de la loi du 9 décembre 1905 ?

Le protestantisme français ne peut donc pas se reconnaitre dans un texte dont
l’application conduirait, de fait, à limiter la liberté de culte et stigmatiserait son
support institutionnel.

Jean-Daniel Roque, président de la commission droit et liberté religieuse
de la Fédération protestante de France

Lire ici les travaux de la commissions droit et liberté religieuse sur le
sujet.

Lire ici le texte produit par la commission éthique et société de la FPF.

Enfin, retrouvez la réaction du pasteur Joël Dahan ici.

Publié le 24 décembre 2020(Mise à jour le 24/12)
Par Joël Dahan
Le pasteur Joël Dahan réagit au
projet de loi confortant les
principes républicains
Le pasteur Joël Dahan fait entendre une voix inquiète quant aux nouvelles
dispositions du projet de loi confortant les principes républicains.

« Même si la loi le permet, on ne peut plus vous prêter de salle pour votre culte
occasionnel… parce qu’imaginez si des musulmans demandent la même chose… »
Nombreux sont les exemples qui montrent que la peur de l’intégrisme musulman
est bien là, mais aussi le refus implicite d’une visibilité de l’Islam dans l’espace
public.

En cherchant à lutter contre l’intégrisme islamique, cette nouvelle loi est fondée
désormais sur la méfiance. La sécularisation avait permis que les religions soient
considérées dans nos villes comme d’autres partenaires associatifs, avec leurs
spécificités liées aux cultes, et en respectant les limites imposées par la loi (pas
de subvention, pas de réunions politiques dans les lieux de cultes, pas de troubles
à l’ordre public…). Une confiance s’était établie. Ainsi, rien ne justifie que la lutte
contre l’islamisme nous oblige à « redéfinir notre liberté et notre droit d’être
protestant », comme a répondu le ministre de la justice à ma question d’auditeur,
sur la matinale de France Inter. Dans cette loi, l’État cherche à définir le contenu
d’un culte, limiter la liberté les associations 1901, s’immiscer dans l’organisation
interne des cultes… Je pense que nous avons tout l’arsenal juridique nécessaire et
suffisant pour lutter contre les dérives intégristes, sans retreindre les libertés de
ceux qui vivent pacifiquement et honnêtement leur culte.

« N’écrivez pas le mot protestant, mais seulement le sigle de votre association,
me demande un fonctionnaire au sujet d’une demande de subvention pour un
projet jeunesse. » Les associations avec des références religieuses explicites sont
aussi ciblées, et deviennent donc suspectes. Concrètement, les Éclaireuses et
éclaireurs unionistes pourront-ils encore recevoir des subventions alors qu’ils
proposent d’ouvrir la Bible avec les jeunes ; la Fondation John Bost qui a signé
une charte de la laïcité, pourra-t-elle encore proposer dans le cadre de son
aumônerie une animation biblique aux résidents qui le souhaitent ; les fraternités
de la Mission Populaire Évangélique devront-elles cacher leur référence à
l’Évangile pour être soutenues dans leurs actions, sans parler de bien d’autres
acteurs de l’Éducation Populaire… ? La tendance est claire depuis quelques
années, il semble que nous allions vers une législation de combat contre
l’expression libre et visible des religions.

Ne plus craindre d’aborder le fait
religieux
Notons aussi que l’éducation est la grande absente des propositions de lois. De
nombreux enseignants font un travail remarquable, mais l’Éducation Nationale ne
peut pas tout. C’est un projet à long terme, mais quels sont les plans d’action
proposés pour, par exemple, aborder massivement sur tout le territoire le fait
religieux : apprendre à converser, dire son désaccord pacifiquement, découvrir la
culture de l’autre… Les jeunes sont demandeurs.

Ce n’est pas en se méfiant des associations qui portent des références claires, en
alourdissant les démarches administratives des acteurs sociaux que nous allons
empêcher les replis identitaires. D’ailleurs, les protestants, souvent
surreprésentés dans la vie associative, ont un rôle à jouer pour inviter les citoyens
à se parler et se rencontrer.

Enfin, derrière tous ces débats, il y a la question des injustices sociales criantes.
S’il faut continuer à condamner toutes formes de violences, on doit chercher à
expliquer d’où elles viennent et quel est leur message. Refuser cette démarche
par principe, c’est considérer que cette violence n’est pas aussi en germe en
chacun de nous, prête à s’exprimer dans des situations difficiles, et donc refuser
de reconnaître chez l’autre sa part d’humanité, malgré ses actes inacceptables.
On touche ici au cœur de l’Évangile.

Joël Dahan, Église protestante unie du Bergeracois

Lire ici le texte de la commission éthique et société de la FPF sur le même
sujet.

Lire ici la réaction de Jean-Daniel Roque, président de la commission droit
et liberté religieuse de la FPF.
Publié le 18 décembre 2020(Mise à jour le 18/12)
Par Laure Salamon

Improbables amours, le roman
insolite de Jean Baubérot
L’historien et spécialiste de la laïcité, Jean Baubérot, publie Improbables amours,
version intégrale de l’amour réel entre Émile Combes, président du Conseil, et
une religieuse carmélite, mêlée à une rencontre amoureuse plus actuelle.

Aussi surprenante que l’histoire d’amour entre un président et une carmélite, est
celle d’un universitaire spécialiste de la laïcité qui écrit un roman! «Improbables
amours, Émile Combes et la princesse carmélite, version intégrale» de Jean
Baubérot propose de suivre deux rencontres amoureuses qui ont lieu à un siècle
d’intervalle. L’une est fiction, l’autre réalité.

25 février 2005, à Bordeaux, Mag Durand, directeur d’un institut universitaire
parisien, étudie des documents sur Émile Combes, président du Conseil au début

du XXe siècle.

6 juin 1902, Émile Combes vient rencontrer le président de la République. Les
négociations vont bon train sur le successeur de Waldeck-Rousseau, au sein du
parti Radical. Il se retrouve alors président du Conseil dans une France agitée qui
se fracture entre les partisans d’une religion proche de l’État et les défenseurs
d’une séparation entre les deux. Ces derniers seront à l’origine de la loi de 1905.

Janvier 1903. Émile Combes reçoit en audience Jeanne Bibesco, riche héritière
devenue «mère bénie de Jésus» et prieure d’un couvent de carmélites à Alger.
Elle vient plaider la cause de sa communauté. Aussi improbable que vrai, le coup
foudre s’opère entre eux. «Monsieur le président j’étais venue pour faire votre
conquête, et c’est moi qui pars conquise», lui glisse-t-elle lorsqu’il la
raccompagne à sa voiture.

Un ouvrage tricoté avec deux fils
L’auteur Jean Baubérot tisse un ouvrage à partir de deux histoires d’amour, tels
deux fils s’entremêlant subtilement. La première, partagée par un dirigeant
politique et une religieuse plus jeune, est passionnée et spirituelle. Elle est vécue
à travers un récit épistolaire relativement lent. Entre chaque lettre, Emile Combe
raconte les coups fourrés de la politique, les attaques en bonne et due forme et
les négociations, inhérents à sa fonction. Cette histoire est vraie, le journal et les
lettres l’attestent.

L’idylle prend place dans la grande Histoire de France, alors que la loi de 1905,
loi de séparation des Églises et de l’État, est en préparation. On suit aussi les
soubresauts de la politique française et on comprend la position défendue par
Combes concernant la future loi 1905 en le découvrant plus intimement. On y
découvre un homme mélancolique, qui a étudié au petit séminaire, qui aime
profondément sa femme et que ses nouvelles émotions bouleversent. Il ne faut
pas en dire plus.

La seconde histoire a lieu à notre époque entre deux universitaires, Mag et Carla,
qui travaillent à l’institut bordelais où Mag se rend régulièrement. La rencontre et
les échanges sont plus rapides grâce aux moyens de communication modernes,
mails et sms. Tout va vite, le Parisien prend le TGV, Carla saute dans un avion. Ils
s’invitent, se cherchent, jouent l’un et l’autre entre leurs désirs et leurs capacités
de séduction.

Le décalage entre les époques et les changements de rythme, notamment en
matière de communication, rendent l’ouvrage très agréable à lire. Il invite aussi à
penser notre monde contemporain qui avance à toute vitesse, sans parfois
prendre le temps de la réflexion ni du recul. Un peu en écho avec la crise
sanitaire et sociale que nous traversons.

Réputation d’universitaire
Jean Baubérot avait écrit ce roman en 2005. Mais l’éditeur craignait qu’il n’abîme
sa réputation d’universitaire avec ce roman, dont certains passages sont osés,
presque érotiques. La seconde histoire, celle qui se déroule de nos jours, avait été
évacuée pour laisser place à une narration unique autour du récit historique
d’Émile et de Jeanne, romancé. Le livre avait été publié en 2007 sous le titre
«Émile Combes et la princesse carmélite, improbable amour».

L’historien revient cette fois sur Combes et sa religieuse avec une mise en abyme
romanesque: ce chercheur tombe amoureux d’une femme qu’il côtoie
régulièrement lorsqu’il vient étudier… le journal d’Émile Combes à Bordeaux.
C’est donc la version intégrale qui est publiée en 2020, avec quelques notes
supplémentaires par rapport à la version de 2005.

Pourquoi avoir choisi de la faire connaître aujourd’hui? «Le développement du
populisme et le mouvement #metoo m’ont convaincu de publier la version
intégrale, non-expurgée», répond Jean Baubérot. Car le spécialiste de la laïcité
décrit aussi sa vision des relations entre les femmes et les hommes, dressant au
passage une critique du monde universitaire. Un ouvrage presque politiquement
incorrect mais de la part de Jean Baubérot, nous n’en attendions pas moins. Le
grand public connaît le spécialiste de la laïcité, très sollicité lorsque Marlène
Schiappa veut réformer l’Observatoire de la laïcité. Les lecteurs de Réforme
connaissent bien son travail et ces ouvrages, dont le dernier La loi de 1905 n’aura
pas lieu… Ils connaissent aussi l’homme, dont ils ont lu le portrait.

Mais avec cet ouvrage, c’est une autre facette de Jean Baubérot qui se dévoile,
celle de l’écrivain! Une autre carrière s’ouvrerait-elle à lui…?

Laure Salamon

Info en +
Improbables amours, Émile Combes et la princesse carmélite, version intégrale
par Jean Baubérot, Les éditions de la Libre Pensée, 184 p., 12€
Bon de commande à imprimer ici.

Publié le 16 décembre 2020(Mise à jour le 17/12)
Par Rédaction Réforme

« Pour une laïcité de confiance
confortant     les    principes
républicains »
Un document élaboré par la commission éthique et société de la Fédération
protestante de France, le 9 décembre 2020.

Parce que les protestants sont, à la fois comme citoyens et comme chrétiens, très
attachés aux valeurs de notre République « laïque, démocratique et sociale », ils
ont particulièrement à cœur de participer, aux côtés d’autres forces sociales et
spirituelles, aux débats publics sur les problèmes et enjeux du présent. En cette
période où nous devons faire face simultanément à plusieurs risques (sanitaire,
climatique, énergétique, sécuritaire, économique), en cette période où s’est
développée la méfiance envers les pouvoirs publics, il est d’autant plus nécessaire
d’avoir un débat citoyen de qualité, c’est-à-dire rigoureux dans l’établissement
des faits, rationnel dans l’argumentation, ouvert aux différentes sensibilités et
responsable dans les préconisations proposées. Un débat loin des invectives et
des mises en causes personnelles et qui se tient à distance des approches
idéologiques.

Suite aux attentats et assassinats commis en France ces dernières années par des
terroristes se réclamant d’un islam radical (récemment le 16 octobre l’assassinat
du professeur Samuel Paty et, le 29 octobre, l’assassinat de trois personnes dans
la Basilique Notre-Dame de Nice), le gouvernement a estimé qu’il était urgent de
renforcer les principes républicains, au premier rang desquels la laïcité. De là un
certain nombre de mesures proposées dans « un projet de loi confortant les
principes républicains » examiné par le Conseil des ministres le 9 décembre, date
anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Soumis au
Parlement en février prochain, ce projet de loi subira sans doute diverses
modifications. C’est dire que le texte auquel nous nous référons aujourd’hui n’est
pas définitif. Dans son avis du 7 décembre, le Conseil d’Etat, tout en ne
s’opposant pas au projet de loi, émet néanmoins un certain nombre de réserves. Il
observe notamment que ce projet « alourdit les contraintes pesant sur les
associations cultuelles et modifie l’équilibre opéré en 1905 par le législateur entre
le principe de liberté de constitution de ces associations et leur nécessaire
encadrement du fait qu’elles bénéficient d’avantages publics ». Ce n’est pas rien !
Raison de plus pour y regarder de plus près.

Une première remarque s’impose. Alors que, suite à la dénonciation par le
Président de la République du « séparatisme islamiste » [1], il avait été tout
d’abord question d’une loi contre les « séparatismes », le choix a été fait de
renoncer à cette terminologie, du moins pour le titre du projet de loi car on
continue à parler de « loi sur les séparatismes ». Parler d’une « loi confortant les
principes républicains », soit parler pour plutôt que contre, suscite a priori plus
facilement l’adhésion et ce, d’autant plus qu’il s’agit des valeurs de la République,
identifiées par la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » et par le principe
constitutionnel de laïcité. Si en effet, la mise en pratique de ces valeurs et de ce
principe suscite constamment débats et polémiques, ils sont consensuels comme
idéaux. Vouloir « conforter » ces valeurs et ce principe par le vote d’une loi, on se
dit donc d’abord, pourquoi pas ? Mais proposer de les conforter présuppose que
l’on considère qu’ils sont menacés. De là une double question : pourquoi serait-il
nécessaire de « conforter » ces principes ? et pourquoi faudrait-il le faire par le
vote d’une loi ? Répondre à la première question permet de saisir à la fois la
motivation principale de ce projet de loi et son objet central. Sa motivation
principale : lutter contre le terrorisme et le « séparatisme islamiste ». Lors de son
discours du 2 octobre 2020 aux Mureaux (Yvelines), le Président Emmanuel
Macron a défini le « séparatisme islamiste » comme « un projet conscient,
théorisé, politico-religieux qui se concrétise par des écarts répétés avec les
valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-
société ». « Le problème, ajouta le Président, c’est cette idéologie qui affirme que
ses lois sont supérieures à celles de la République ». La motivation principale de
lutte contre le « séparatisme islamiste » aboutit en fin de compte à un projet de
loi dont l’objet central est la laïcité et qui se traduit par une proposition de
révision de plusieurs articles de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de
1905. Même si le terme de laïcité n’y figure pas, cette loi concerne une de ses
dimensions essentielles, la neutralité religieuse de l’Etat ; elle définit, dans un
régime de séparation, le cadre légal pour l’exercice de la liberté de culte : les
« associations cultuelles ». Une loi qui est avant tout, comme le soulignait à
l’époque son rapporteur Aristide Briand, une loi de liberté dont tous les articles
                                                       er
devaient être interprétés à la lumière de son Article 1 : « La République assure la
liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules
restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Cette loi qui
contient un Titre V relatif à la « Police des cultes » et qui, dans son Article 26,
précise qu’« il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant
habituellement à l’exercice d’un culte », n’était-elle pas suffisante ? Pour lutter
contre le « séparatisme islamiste », une nouvelle loi modifiant plusieurs articles
de la loi de 1905 et qui touche inévitablement tous les cultes, était-elle vraiment
nécessaire ? Cette question est à l’arrière-plan des remarques et interrogations
qui suivent.

Vers une conception sécuritaire de la laïcité ?

          La Commission « Ethique et Société » s’interroge sur le fait de
reconsidérer nos valeurs républicaines sous l’angle des mesures à prendre pour
lutter contre le terrorisme et l’islam radical. Ce combat est essentiel et il faut le
mener fermement. Mais réviser des dispositions concernant le cadre légal
d’exercice de la liberté de culte est-il un bon moyen pour le faire ? N’oriente-t-il
pas forcément vers une laïcité de méfiance plutôt que vers une laïcité de
confiance ? En abordant sous cette angle la laïcité, l’école, les associations loi de
1901 et les associations cultuelles loi 1905, ne risque-t-on pas d’aller vers une
conception sécuritaire de la laïcité ? Une conception où les religions seraient plus
perçues comme une menace pour les valeurs de la République que comme une
contribution à leur respect et mise en pratique. Nous ne nions pas que les
religions puissent constituer une menace pour les valeurs de la République, elles
l’ont été dans le passé et des franges extrémistes de la plupart d’entre elles le
sont encore aujourd’hui. Mais force est de constater qu’actuellement en France,
c’est surtout par leur soutien à ces valeurs que se manifestent les principales
religions présentes dans notre pays (christianisme, judaïsme, islam,
bouddhisme). Cela vaut donc aussi pour la très grande majorité des musulmans
de France qui, outre qu’ils sont eux-mêmes victimes des islamistes politiques,
réaffirment régulièrement leur loyauté à l’égard de la République et expriment
fraternellement leur compassion pour toutes les victimes, quelle que soit leur
religion, du terrorisme islamiste. Dans un contexte marqué par ce terrorisme et
le risque sanitaire dû au Covid-19, le souci de la sécurité est devenu primordial et
le Parlement examine actuellement un projet de loi sur la « Sécurité globale ». De
là le risque de restreindre quelque peu des libertés au nom de l’impératif de
sécurité. C’est dans ce contexte que le projet de loi se propose de conforter les
principes républicains en renforçant les contrôles des pouvoirs publics sur la
société civile et en renforçant la laïcité dans un sens exclusif. Notre Commission
pense que l’on aurait pu conforter les principes républicains en renforçant la
laïcité dans un sens plus inclusif qu’exclusif. Ce qui veut dire ne pas considérer la
République comme une citadelle assiégée dont il faudrait colmater les brèches
face à un islam radical conquérant, ne pas percevoir l’islam comme « un objet de
méfiance qu’il faut circonvenir » [2], mais intégrer l’islam dans une laïcité de
reconnaissance et de dialogue telle que la République a su l’établir avec les
autres cultes. C’est avec les musulmans et non contre eux que l’on pourra
efficacement lutter contre l’islamisme politique. Au moment où règne un certain
désenchantement démocratique et où l’Etat républicain a perdu une part de sa
puissance symbolique, toutes les ressources convictionnelles de la société civile
sont en effet précieuses, en particulier et sans exclusive, celles des religions.
L’invocation des valeurs de la République risque de n’être qu’une vaine
rhétorique, si elle néglige les différents milieux qui contribuent à leur
socialisation, à leur transmission. L’école publique laïque est certes un vecteur
essentiel de cette socialisation et les protestants y sont particulièrement attachés,
mais il n’est pas le seul. Les Eglises et mouvements protestants sont heureux d’y
contribuer en insistant particulièrement, comme le font tous les chrétiens, sur la
valeur de fraternité qui, à plusieurs égards, est la condition des deux autres
valeurs de notre devise. La fraternité implique la reconnaissance et le respect des
autres tels qu’ils sont sans que cela constitue une quelconque complaisance face
à l’intolérable (les délits et crimes quelle que soit la justification qu’on leur
donne) ». Nous, protestants de France qui nous inspirons toujours,
théologiquement, du réformateur Jean Calvin, faisons nôtre cette phrase d’un de
ses virulents critiques : Sébastien Castellion : « Tuer un homme, ce n’est pas
défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois tuèrent Servet,
ils ne défendirent pas une doctrine, ils tuèrent un homme » [3]. Quand des
islamistes tuent en criant « Allahu akbar », ils ne défendent pas « Allah, le plus
grand », ils assassinent des hommes et des femmes. Pour faire face au terrorisme
et permettre aux musulmans de France s’exercer leur liberté de culte, le projet de
loi, qui se partage en deux Titres principaux, se propose de « Garantir le respect
des principes républicains » (Titre I) et de « Garantir le libre exercice du culte »
(Titre II).

      1. « Garantir le respect des principes républicains »

Le Titre I comporte six chapitres qui correspondent à six objectifs :

1) mieux garantir la neutralité des services publics ;

2) exiger de toute association sollicitant une subvention publique qu’elle
s’engage par un « contrat d’engagement républicain » à respecter des principes
et valeurs de la République ;

3) veiller au respect de la dignité de la personne humaine : retrait de tout
document de séjour à un ressortissant étranger vivant en France dans un état de
polygamie ; interdiction pour un professionnel de santé de délivrer un certificat
attestant de la virginité d’une personne ; possibilité de dénoncer un mariage
arrangé s’il y a un doute sérieux sur le consentement du ou des futurs époux .

4) renforcer le contrôle des écoles privées hors contrat et soumettre à
autorisation préalable l’instruction à domicile ; veiller au respect d’un contrat
d’engagement républicain et du principe de laïcité par les fédérations sportives
participant à l’exécution d’une mission de service public ;

5) lutter contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne ;

6) renforcer la mixité sociale dans le logement.

La Commission « Ethique et Société » de la FPF tient tout d’abord à rappeler
qu’elle approuve sans réserve les valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de
fraternité. Ces valeurs, dans lesquelles elle discerne le message même de
l’Evangile, font partie de ses convictions fondamentales. Elle est particulièrement
sensible au fait que ce projet de loi intègre explicitement dans les principes
républicains, le respect de la dignité de la personne humaine (I.3), la lutte contre
les discours de haine (I.5) et le souci de la justice sociale (I.6). C’est sur le fond
d’un plein accord avec la visée du Titre I « Garantir les principes républicains » et
avec les mesures proposées en I.3, I.5 et I.6, que notre Commission se permet les
remarques et questions suivantes.

La neutralité de l’Etat, des collectivités territoriales et des services publics est
une dimension essentielle de la laïcité. Elle implique d’une part l’interdiction,
pour les agents publics, de manifester leurs convictions religieuses dans
l’exercice de leurs fonctions, d’autre part l’interdiction de toute discrimination
des usagers des services publics en fonction de leurs religions ou convictions
philosophiques, autrement dit la garantie d’une stricte égalité des usagers devant
le service public. Le projet de loi étend cette stricte obligation de neutralité aux
employés des organismes de droit privé à qui a été confiée l’exécution d’un
service public. La Commission « Ethique et Société » tient à rappeler que cette
neutralité concerne les agents et les professionnels assurant une mission
publique, elle ne concerne pas les usagers des services publics. C’est l’Etat et les
institutions publiques qui sont laïques, pas la société civile et son espace social
riche d’une intense vie associative. Les groupements religieux et leurs
mouvements y contribuent largement et plusieurs de leurs associations sont
reconnues d’utilité publique. La laïcité n’implique aucunement le confinement du
religieux dans les édifices du culte ni sa réduction au for interne de la conscience
individuelle. Face à certaines interprétations restrictives – et erronées – de la
laïcité, il faut régulièrement rappeler que celle-ci n’implique ni la réduction du
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