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Document generated on 11/30/2021 2:43 a.m. Sociologie et sociétés La fabrication d’un consensus : la révision de la Classification Internationale Type de l’Éducation Making a Consensus : Review of the International Standard Classification of Education Annick Kieffer and Rémi Tréhin-Lalanne La statistique en action Article abstract Statistics in Action International statistics of education are increasingly mobilized politically and Volume 43, Number 2, Fall 2011 scientifically. The European Union has placed them at the heart of the Lisbon Strategy by establishing “progress indicators” and involving social scientists in URI: https://id.erudit.org/iderudit/1008247ar the identification of “best practices”. In this context, standardization of DOI: https://doi.org/10.7202/1008247ar measurement categories in the world undergoes a new transformation. Since 2007, Eurostat, OECD and the Institute of Statistics of UNESCO embarked on a draft revision of the International Standard Classification of Education (ISCED). See table of contents The analysis of this process, viewed in historical perspective, highlights the challenges of definition for the various institutions involved and the central role of experts, who develop a common language to universally describe the Publisher(s) forms of learning. The developed concepts and categories affect the resulting conception of education. Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 0038-030X (print) 1492-1375 (digital) Explore this journal Cite this article Kieffer, A. & Tréhin-Lalanne, R. (2011). La fabrication d’un consensus : la révision de la Classification Internationale Type de l’Éducation. Sociologie et sociétés, 43(2), 273–299. https://doi.org/10.7202/1008247ar Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2012 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
La fabrication d’un consensus : la révision de la Classification Internationale Type de l’Éducation annick kieffer rémi tréhin-lalanne CNRS Université de Provence Centre Maurice Halbwachs Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail 48, boulevard Jourdan 35, avenue Jules Ferry 75014 Paris 13626 Aix-en-Provence Courriel : annick.kieffer@ens.fr Courriel : remi.trehin-lalanne@univmed.fr U ne critique sociologique de la politique des indicateurs a émergé ces der- nières années face à l’essor du New Public Management. Elle met en évidence les choix politiques qui président aux catégorisations utilisées dans l’action publique1. Dès sa naissance, la sociologie s’est penchée sur le sens des chiffres, l’histoire de leur élabo- ration et le contexte de leur émergence, les schèmes de pensée qui président à leur élaboration, les usages qui en sont faits. La construction des catégories du chômage, de l’activité, des positions sociales et professionnelles a été l’objet de travaux s’intéressant à leur définition, à la sociohistoire de leur production, aux acteurs qui interviennent dans ce processus et à leurs effets sur la réalité qu’elles sont censées décrire. Si, comme le remarque A. Desrosières (2008), les États ont cherché dès leur émergence à quantifier leur activité et à unifier les mesures, l’usage des chiffres connaît un nouvel essor ces dernières décennies. D’abord utilisés pour établir des « états » statistiques de la société, ils sont utilisés à des fins d’évaluation et de prospectives depuis le début des années 1990 pour fixer des objectifs de l’action publique à atteindre et pour évaluer les résul- tats des actions accomplies. Le mouvement de normalisation des concepts et des indi- 1. Citons par exemple les travaux de R. Salais (2004) sur le chômage et l’emploi, de Belorgey (2010) sur la santé, de D. Nivière (2005) sur la pauvreté et d’I. Bruno (2008) sur la recherche. Sociologie et sociétés, vol. xliii, no 2, automne 2011, p. 273-300 11-Kieffer.indd 273 12-02-18 22:10
274 sociologie et sociétés • vol. xliii. 2 cateurs qui a accompagné la construction européenne (Thévenot, 1997) est à l’origine du regain d’intérêt des sociologues pour la quantification et de l’élargissement de leur analyse à l’instrumentalisation de l’argument statistique dans les politiques publiques. La Stratégie de Lisbonne, qui entend engager les pays de l’Union Européenne dans une nouvelle dynamique d’innovation et de compétitivité, étendue des activités tradition- nelles marchandes à celles des services de l’État tels que l’éducation, la protection sociale, la santé ou la lutte contre la pauvreté, propulse les chiffres au cœur de l’action des pays membres. Il s’agit de les confronter en mesurant leurs performances respec- tives et leur efficacité (Bruno, 2010). Il ne s’agit pas seulement de faire, encore faut-il faire bien, faire mieux en étant comparé aux autres et en adoptant les meilleures pra- tiques, et améliorer ainsi la « qualité » de ces « produits immatériels ». Ceci est rendu possible par la diffusion d’une logique managériale fondée sur la pratique du bench- marking. L’usage de la quantification dans ce contexte est double : considérée comme un instrument de gestion publique et d’aide à la décision guidant l’activité de l’État, elle est présentée comme un instrument démocratique, car elle faciliterait, du fait de son caractère rigoureux et objectif, l’accès du citoyen aux informations sur les orien- tations de l’État et sur son action effective, et contribuerait de cette façon à former son jugement. Pour autant, ces indicateurs ne sont discutés que par des spécialistes, dans des sphères tenues à l’écart des citoyens (Salais, 2010). Les enjeux de l’action politique disparaissent alors derrière des débats de nature purement technique. Dans le champ de l’éducation, les statistiques sont convoquées dans toute l’Eu- rope pour améliorer l’efficacité de l’enseignement, dans la perspective d’une « compé- tition de la matière grise » (Attali, 1998 : 3). Mais, alors que les données internationales connaissent une utilisation accrue ces dernières années en sciences sociales (Baudelot et Establet, 2009 ; Dubet et al., 2010), peu de travaux portent sur les catégories utili- sées2, donnant l’impression qu’elles vont de soi. Pourtant, l’essor d’outils de compa- raisons internationales donne un rôle central aux opérations de mise en équivalence des « inputs » et « outcomes » scolaires (pour reprendre la terminologie économique en vigueur) dans l’évolution des politiques éducatives. La mesure de l’éducation au moyen de la Classification Internationale Type d’Éducation (CITE3) est au centre de toutes ces données. Adoptée par l’Unesco en 1978, la CITE est devenue le principal instrument de comparaison des niveaux éduca- tifs, utilisée à la fois dans les données sur les effectifs scolarisés, dans les enquêtes sur les forces de travail et dans les évaluations sur les valeurs ou les connaissances des individus. Elle est la colonne vertébrale des benchmarks européens relatifs à l’éducation qui établissent une comparaison directe des progrès de la scolarisation, de l’effort de scolarisation (dont les financements) sur le plan européen ou international et fixent les objectifs à atteindre et les normes à adopter. Les sociologues se sont curieusement 2. Néanmoins, un certain nombre de travaux ont été consacrés à l’influence des organisations internationales sur la politique par les indicateurs en éducation (Vinokur, 2003 ; Normand, 2005 ; Resnik, 2006). 3. En anglais : International Standard Classification of Education (Isced). 11-Kieffer.indd 274 12-02-18 22:10
La fabrication d’un consensus 275 peu intéressés aux conventions d’équivalence qui président à construction de la CITE et les auteurs qui en ont présenté une analyse critique (comme Duru-Bellat et al., 1997 ; Steedman et McIntosh, 2001 ; West, 2003 ; Kieffer, 2007 ; Schneider, 2008) ont rarement mené de pair l’étude des enjeux de son élaboration et de leur impact sur la structure de la classification finalement adoptée4. L’évolution des catégories et concepts qu’elle mobilise révèle des tensions entre différentes conceptions de l’éducation : bien universel, capital humain, compétences. Le processus de sa dernière révision, conduit entre 2007 et 2011 par Eurostat5, l’OCDE et l’Unesco, est marqué par des enjeux scien- tifiques et politiques qui influent sur la classification elle-même. Présentée comme « universellement applicable », elle est le résultat de compromis qui ne vont pas de soi et méritent d’être restitués. Cet article porte un regard historique et sociologique sur les liens entre politiques, outils statistiques et théories scientifiques (Monso et Thévenot, 2010 : 14), à travers l’analyse de l’évolution des normes statistiques utilisées et des conceptions de l’éduca- tion qu’elles expriment. Il revient dans un premier temps sur le mouvement d’inter- nationalisation des statistiques de l’éducation, depuis le début du xxe siècle. Il présente ensuite les enjeux scientifiques et politiques autour de la construction d’une nomen- clature internationale permettant de comparer les systèmes éducatifs dans un contexte où la promotion de la « société de la connaissance » doit assurer une croissance « dura- ble et équitable ». Dans un troisième temps, il décrit avec précision le processus insti- tutionnel de la révision en analysant le rôle des différentes organisations impliquées et les caractéristiques et modalités de travail des spécialistes chargés de la rédaction du nouveau texte. Enfin, la quatrième partie expose la conception de l’éducation à laquelle aboutit ce processus. le mouvement d’internationalisation des statistiques de l’éducation : de la mesure d’un droit universel à la mesure du capital humain L’élaboration de catégories et définitions communes pour le classement des données internationales sur l’éducation s’est faite progressivement au cours du xxe siècle. Elle a été soumise aux évolutions des paradigmes scientifiques et politiques dominants exprimant des conceptions particulières de l’éducation. D’abord considérée comme un droit universel nécessaire à la paix, elle devient un enjeu économique dans une perspective planificatrice puis libérale. Les classifications internationales utilisées pour en rendre compte reflètent ces évolutions. Mesurer les progrès du « droit universel » à l’éducation La standardisation des normes statistiques à l’échelle internationale débute au milieu du xixe siècle : elle est discutée au sein de congrès internationaux de statistique, puis de l’Institut international de statistique (fondé en 1885) avant d’être relayée par les 4. À l’exception de Cussó et D’Amico, 2005. 5. Eurostat est la direction statistique de la Commission européenne. 11-Kieffer.indd 275 12-02-18 22:10
276 sociologie et sociétés • vol. xliii. 2 organisations officielles mises en place après la Première et la Seconde Guerre mon- diale6. L’enjeu scientifique est central dans ces rencontres transnationales : en dispo- sant de données statistiques qui dépassent les frontières (et les particularismes culturels des nations), il s’agit de mettre en évidence les lois naturelles de la société, contre les préjugés qui nuisent à l’émancipation des peuples ou à l’harmonie du commerce (Gagnon, 2000). Pour rendre comparables les données collectées auprès des adminis- trations des différents pays participants, il s’agit d’établir des nomenclatures commu- nes. Elles sont le fruit d’une collaboration entre des scientifiques (qui proposent une certaine catégorisation du réel) et des responsables administratifs issus des ministères (qui assurent le recueil des données et en expliquent les contraintes). Dans le domaine de l’éducation, une catégorisation du contenu de l’enseignement primaire est proposée dès 1893 et des tables de classification commencent à être éla- borées dans l’entre-deux-guerres. En 1933, le Bureau international d’éducation7 (BIE) entreprend une collecte régulière de données administratives nationales (principale- ment sur les finances et les effectifs d’élèves et d’enseignants). Le rapport annuel contient des tableaux statistiques sur les systèmes éducatifs de 35 pays acceptant de répondre au questionnaire (Smyth, 2008 : 8-9). La création de l’Unesco en 1945, au sein de laquelle est intégré le BIE, marque un nouvel essor de cette dynamique d’inter- nationalisation des statistiques de l’éducation. Chargée de lutter par l’éducation, la culture et la science contre « l’ignorance » responsable de la « grande et terrible guerre », cette nouvelle organisation internationale donne rapidement à ces données un rôle central pour progresser vers l’idéal d’un droit gratuit et universel à l’éducation tel qu’inscrit dans la Déclaration de 1948. Cette démarche est empreinte d’une concep- tion positiviste et progressiste : pour Julian Huxley, premier directeur de l’Unesco, « la méthode scientifique est le seul moyen sûr dont nous disposions pour augmenter le volume de nos connaissances, le degré de notre compréhension, et la mesure de notre pouvoir en ce qui concerne les phénomènes » (Huxley, 1946 : 39) et l’éducation un moyen d’amé- liorer l’Homme. En 1952, le Département de l’éducation de l’Unesco publie le premier Manuel mondial sur l’organisation et les statistiques de l’éducation qui présente les statistiques éducatives de 57 pays dans leurs catégories nationales, ne permettant pas de compa- raison directe. Les limites de l’exercice encouragent la constitution du Comité expert sur la standardisation des statistiques de l’éducation chargé de proposer les premières définitions et classifications communes dans ce domaine. Les propositions aboutissent à une « recommandation concernant la normalisation internationale des statistiques de l’éducation », adoptée en 1958 en Conférence Générale. Cet accord porte sur les définitions communes de l’analphabétisme, de ce qu’est un élève, un enseignant, une classe, une école, etc. (Unesco, 1958). Il propose une distinction de niveaux 6. Citons principalement la Société des Nations et le Bureau International du Travail, fondés en 1919. 7. Le BIE est créé en 1925 comme antenne du Département de sciences de l’éducation de l’Univer- sité de Genève. Il est dirigé par le psychologue suisse Jean Piaget pendant près de quarante ans. 11-Kieffer.indd 276 12-02-18 22:10
La fabrication d’un consensus 277 (pré-primaire, primaire, secondaire et tertiaire) et de types d’éducation (générale, professionnelle et la formation des enseignants). Une mesure du niveau d’éducation atteint est désormais possible ainsi que le calcul de la part d’analphabètes dans la population adulte à partir des recensements ou enquêtes nationales. Mais, dans l’intro- duction de la troisième Enquête mondiale sur l’éducation publiée en 1961, l’organisa- tion souligne que la nécessité de classer les effectifs par degré d’enseignement a parfois conduit à faire des « choix arbitraires ». En effet, les données sont délivrées nationale- ment par type d’établissements. Or, certains accueillent des publics hétérogènes, ins- crits à différents niveaux d’enseignement et qu’il n’est parfois pas possible de distinguer dans les effectifs. Planifier les besoins éducatifs Dans les années 1960, la question éducative prend une connotation plus économique, à la suite de travaux sur le rôle du « capital humain » (Becker, 1962 ; Schultz, 1974) dans la croissance. Cette considération est largement relayée par les organisations interna- tionales mais sert alors « à légitimer une intervention massive des pouvoirs publics » dans le secteur éducatif (Vinokur, 2003 : 94) : aussi bien pour l’OCDE8, qui défend un financement public et une gestion centralisée de l’éducation9 (OCDE, 1965 : 14-16), que pour l’Unesco, qui crée de son côté l’Institut International de Planification de l’Éducation (IIPE) en 1962, dont le premier directeur est un économètre. Dans ce contexte, la recommandation de 1958 est rapidement jugée insatisfaisante. L’enjeu est désormais de concevoir une nomenclature de l’éducation qui permette de mettre en regard les données scolaires avec la Classification Internationale Type des Occupations10 (ISCO), à des fins de planification de l’éducation, en tenant compte des besoins en main-d’œuvre. L’Unesco et le BIT s’attèlent, entre 1966 et 1974, à l’occasion de ren- contres régionales de groupes d’experts et de consultations des pays membres, à concevoir une nomenclature visant à répondre à ces nouveaux enjeux. La Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE), présentée dans un document de plus de 500 pages, est adoptée en 1975 à la Conférence internationale de l’éducation et en 1978 en Conférence Générale de l’Unesco. L’unité de classement est désormais le « pro- gramme » éducatif, défini comme un ensemble de « cours », eux-mêmes entendus comme « série[s] planifiée[s] d’expériences d’apprentissage […] offertes par une organi- sation et suivies par un ou plusieurs élèves » (Unesco, 1981 : 4). Une codification à cinq 8. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques a été créée en 1961 avec pour mission de « renforcer l’économie de ses pays Membres, d’en améliorer l’efficacité, de promouvoir l’économie de marché, de développer le libre-échange et de contribuer à la croissance des pays aussi bien industrialisés qu’en développement ». Elle est l’héritière de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) instituée en 1947 pour administrer le plan Marshall. 9. Cette organisation, souvent critiquée pour l’« ultra-libéralisme » qu’elle professe, a toujours promu des outils de gestion, d’abord de planification puis logistique. Actuellement, elle encourage un vaste mouvement de « certifications » des « produits » (y compris d’enseignement), chargées de réguler le marché. 10. Créée en 1958 par le Bureau International du Travail. 11-Kieffer.indd 277 12-02-18 22:10
278 sociologie et sociétés • vol. xliii. 2 chiffres est proposée pour chaque « programme » : le premier correspondant à l’un des sept niveaux d’éducation définis par cette nouvelle classification, les deux suivants au domaine et les deux derniers au sous-domaine de connaissances. Cette catégorisation des savoirs renvoie principalement à des secteurs professionnels (agriculture, com- merce, communication, ingénierie, etc.) et donc à l’organisation de la production, mais aussi à des domaines artistiques (arts graphiques, danse, cinéma, etc.) ou à des disciplines scientifiques (physique, géographie, histoire, etc.). Le contenu des ensei- gnements est décrit d’une manière générale et dans chaque champ du savoir. Ainsi, à la description générale du niveau succède une vingtaine de lignes illustrant le type d’enseignements dans chaque domaine : économie, sociologie, sciences naturelles, chimie, peinture, musique, photographie, histoire, littérature, mathématiques, « lan- gues classiques » (pali, sanskrit, grec, hébreu ou latin), dessin industriel, ingénierie de la pêche, etc. La part respective accordée à la théorie et à la pratique est brièvement mentionnée ainsi que les types de métier et d’institution auxquels les programmes permettent d’accéder. Mesurer les effets de l’éducation sur l’économie L’usage scientifique des statistiques mondiales sur l’éducation concerne dans les années 1970 essentiellement les économètres qui travaillent à une amélioration des modèles sur le capital humain. Une partie d’entre eux se retrouve au sein du Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CÉRI), créé par l’OCDE en 1968. Dans les années 1980, les progrès rapides de l’informatique permettent une extension importante des analyses internationales basées sur des données éducatives. En 1988, le CÉRI propose, avec le soutien de la France, la mise en place d’un projet « d’indicateurs sur les systèmes d’enseignement » (INES) qui aboutit, en 1993, au premier rapport annuel sur l’éducation produit par l’OCDE, Regards sur l’éducation, « facilitée par l’attribution […] d’une subvention spéciale » du service statistique du ministère américain de l’Éducation (CÉRI, 1993 : 5). Près de quarante indicateurs mesurant les effets économiques de l’éducation sont présentés, tels que les niveaux de rémunération ou les taux de chômage en fonction du niveau d’éducation atteint (Bottani, 1994 : 22). L’importance de déployer des outils de mesure de la performance des systèmes édu- catifs est justifiée d’une manière très néolibérale dans les premières lignes de l’édito- rial : « Seule une population active bien formée et très adaptable peut permettre l’ajustement au changement structurel et la mise à profit des possibilités d’emploi nées du progrès technologique. Pour y parvenir, il faudra […] procéder à la révision, sans doute radicale, du traitement économique des ressources humaines et de l’enseignement » (CÉRI, 1993 : 9). Cet usage des données internationales sur l’éducation contraste nettement avec le recueil annuel publié par l’Unesco qui s’en tient à une présentation des effectifs (d’élèves et d’enseignants) et des dépenses par niveau de la CITE. Cette classification fait l’objet de fortes critiques de la part des chercheurs du CÉRI (Bottani, 1992 : 11). Une pression politique s’exerce alors contre le service statistique de l’organisation qui provoque sa délocalisation de Paris à Montréal et sa restructuration complète (Cussó, 11-Kieffer.indd 278 12-02-18 22:10
La fabrication d’un consensus 279 2005). C’est aussi l’occasion d’un profond remaniement dans la collecte des données. C’est désormais l’OCDE qui s’occupe de les récupérer pour la quarantaine de pays qu’elle regroupe, puis de les transmettre à l’Unesco et à Eurostat qui commence à diffuser ces chiffres (pour les pays de l’Union Européenne). D’autre part, la classifica- tion de 1978 est jugée inadaptée aux nouveaux usages qui en sont faits et un groupe de sept experts (Sauvageot, 2008 : 223) est chargé d’en proposer une nouvelle version. La nouvelle classification, adoptée en 1997, établit une nouvelle typologie de concepts (« critères », « dimensions », « orientations », etc.) permettant de catégoriser tous les « programmes » (Unesco, 1997). Réduit à une quarantaine de pages, le texte se veut ainsi beaucoup plus simple et clair, plus facile à mettre en œuvre dans les différentes enquêtes, notamment celles sur les forces de travail, principale source des indicateurs d’INES. Il vise aussi à englober de nouvelles formes d’éducation qui se sont dévelop- pées dans les deux dernières décennies, particulièrement avec le développement de la formation professionnelle pour adultes. Dans la perspective d’assurer la paix grâce à la généralisation du « droit à l’éduca- tion », l’Unesco est chargée de collecter après la guerre les effectifs scolarisés et la part d’analphabètes dans les différents pays membres. Mais c’est une visée planificatrice qui entraîne en 1975 la création, sous l’égide de cette organisation, de la première Classification Internationale Type de l’Éducation, qui se veut symétrique à celle existant sur les professions. Dans les années 1980, les statistiques internationales de l’éducation connaissent une nouvelle évolution, marquée par une volonté d’efficacité économique, que les indicateurs de performance, mis en place par l’OCDE, doivent permettre d’at- teindre. Cette conception très restrictive de l’éducation se trouve peu à peu nuancée avec l’essor d’une « Troisième Voie » social-démocrate en Europe et aux États-Unis au cours des années 1990, qui insiste plus fortement sur les aspects sociaux de l’éducation. la recherche des « meilleures pratiques » éducatives pour l’avènement de la « société de la connaissance » La forte contestation politique des réformes néolibérales promues par la plupart des organisations internationales à la fin des années 1990 favorise l’émergence d’une rhé- torique plus « inclusive » sur le plan mondial, autour du paradigme de la « société de la connaissance ». Les outils de quantification doivent y jouer un rôle majeur : celui d’identifier les « meilleures pratiques » pour parvenir à une société « durable et équita- ble ». Dans cette perspective, les recherches comparatives sur les effets économiques et sociaux de l’éducation sont encouragées. Nouveau paradigme, nouvelle politique de quantification Avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la commu- nication, s’est répandue l’idée dans les organisations internationales que le capitalisme entrait dans une nouvelle ère, dans laquelle l’économie serait essentiellement fondée sur la production et la circulation de connaissances, dans un monde perçu comme de plus en plus fluide (Descheneau-Guay, 2007). Dans cette perspective, l’éducation est 11-Kieffer.indd 279 12-02-18 22:10
280 sociologie et sociétés • vol. xliii. 2 évidemment appelée à jouer un rôle primordial. En 1995, l’OCDE publie ainsi un rapport soulignant que la « codification croissante du savoir et sa transmission par le biais des réseaux informatiques et de communication et des réseaux ont généré une nouvelle “société de l’information” » qui place les travailleurs dans la « nécessité […] d’acquérir des compétences et de les adapter constamment » (OCDE, 1996 : 3). L’organisation se donne la mission de « repérer les “meilleures pratiques” à appliquer à l’économie du savoir » (ibid.) en élaborant des indicateurs de rendement public et privé de l’éduca- tion. Par la suite, l’influence de la « Troisième Voie », telle que formulée par Anthony Giddens (1998), sur les organisations internationales entraîne une prise en considéra- tion plus humaniste de l’éducation, autour des ambitions de « cohésion sociale » et d’« équité ». Elle s’incarne alors dans la Stratégie de Lisbonne (Verdier, 2008 : 199), qui tente d’établir une convergence entre objectifs économiques et objectifs sociaux. Les pays membres de l’Union Européenne s’accordent en effet en 2000 sur un « nouvel objectif stratégique » : faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compé- titive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » (Conseil de l’Union Européenne, 2000). Le préambule du traité insiste sur la détermination de ses signataires « à promouvoir le développement du niveau de connaissance le plus élevé possible pour leurs peuples par un large accès à l’édu- cation et par la mise à jour permanente des connaissances11 ». L’Union Européenne ne dispose pas de compétence législative dans le domaine de l’éducation et de la forma- tion professionnelle mais uniquement « pour mener des actions pour appuyer, coordon- ner ou compléter l’action des États membres12 ». Dès lors, une méthode ouverte de coordination est mise en place dans le domaine de l’éducation qui s’appuie principa- lement sur des « indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères d’évaluation » établis « par rapport aux meilleures performances mondiales […] de manière à pouvoir compa- rer les meilleures pratiques ». Un « cadre cohérent » de 20 indicateurs est établi, appelés à mesurer les progrès des États membres par rapport aux différents objectifs qu’ils se sont fixés et au cœur desquels se trouvent deux ambitions majeures : « l’efficacité » et « l’équité ». Dans la mesure où l’éducation reste une compétence des États, ces bench- marks ont un caractère faiblement contraignant, mais ils sont appelés à jouer un rôle crucial à la fois dans la définition de la réalité sur laquelle le politique doit agir et dans la mise en évidence de la pertinence de son action. Cette double vocation de ces tech- niques de mesure est affirmée en 2008 par la directrice générale de l’éducation et de la culture à la Commission européenne : « la stratégie de Lisbonne […] a mis au premier plan ce nouveau mode d’élaboration des politiques publiques : […] ‘‘la politique fondée sur la preuve’’ ; preuve administrée par des mesures certifiées et validées par tous. […] les 11. Préambule des versions consolidées du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonction- nement de l’Union européenne, Journal officiel n° C 115 du 9 mai 2008. 12. Article 2E du Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, Journal officiel n° C 306 du 17 décem- bre 2007. 11-Kieffer.indd 280 12-02-18 22:10
La fabrication d’un consensus 281 indicateurs et les critères de références […] se font guides pour l’action dans le souci d’une amélioration permanente des politiques d’éducation et de formation13 ». Dans ce contexte, les chercheurs sont invités à collaborer à la production d’indicateurs sur l’éducation. Le développement des recherches comparatives sur le rôle de l’éducation dans la mobilité et l’équité Les organisations internationales mobilisent les données internationales d’éducation dans les projets de coopération et de développement et les scientifiques, économistes ou sociologues, les prennent pour sources principales dans un nombre croissant de recherches. L’augmentation rapide du nombre d’enquêtes sociales et leur diffusion auprès des chercheurs académiques vont stimuler une activité méthodologique sur les instruments de mesure de l’éducation sur le plan international et faciliter les contacts entre statisticiens et chercheurs. La révision de la CITE de 1997 s’était faite avec une grande discrétion et un intérêt très limité des scientifiques. Celle entamée en 2008 prend une ampleur beaucoup plus importante : la classification sert désormais à l’éla- boration de données quantitatives dont l’importance politique et scientifique s’est accrue. Dès lors, le processus de révision devient un enjeu crucial pour les institutions internationales comme pour les chercheurs. Encouragés par l’ouverture progressive de l’accès des chercheurs aux fichiers détails des enquêtes de la statistique publique et par les progrès des logiciels de traite- ment statistique, des travaux quantitatifs comparatifs se développent en sociologie à partir des années 1980 et surtout 1990, souvent à l’incitation des programmes de recherche européens. Les équipes internationales de chercheurs quantitativistes jouent un rôle majeur dans ces nouveaux développements, notamment celles qui, autour du Britannique John Goldthorpe et du Suédois Robert Erikson, s’intéressent à la stratifi- cation sociale dans les pays industriels dans le cadre du programme Comparative Analysis of Social Mobility in Industrial Nations (Casmin14) mené entre 1983 et 1988. Ces équipes produisent des nomenclatures pour comparer la position socioprofession- nelle ou le niveau d’éducation des individus afin de comprendre et d’analyser le rôle de l’éducation dans la transmission des positions sociales entre les générations. La nomenclature doit à la fois rendre compte des évolutions temporelles et des formes institutionnelles spécifiques à chaque État et s’attacher aux régularités. Il revient aux chercheurs allemands de ce programme d’élaborer la nomenclature d’éducation, présentée pour la première fois en 1989 (Müller et al., 1989). Deux critè- res la structurent : d’une part, la hiérarchie des niveaux éducatifs en termes de durée, de curricula (contenus d’enseignement et capacités intellectuelles exigées) et de valeur 13. Discours d’introduction à la Conférence Européenne intitulée « Comparaison internationale des systèmes éducatifs : un modèle européen ? », organisée sous la présidence française de l’Union européenne (Paris, 13 et 14 novembre 2008). Retranscription officielle. 14. Pour une présentation détaillée de Casmin, voir Müller et al. (1989), Braun et Müller (1997), Braun et Steinmann (1999). 11-Kieffer.indd 281 12-02-18 22:10
282 sociologie et sociétés • vol. xliii. 2 des diplômes et d’autre part, l’orientation des savoirs (différenciation entre enseigne- ment général et enseignement professionnel). Le premier critère définit trois grands niveaux d’enseignement : primaire, secondaire et supérieur ; le second distingue à chacun des niveaux les cursus interrompus ou validés dans l’enseignement général et la formation professionnelle certifiée. Cette structure traduit l’idée que les personnes qui ont quitté le système éducatif au terme d’un « segment » donné possèdent des savoirs équivalents, non pas selon leur dimension cognitive, mais selon une perspec- tive « crédentialiste » (de la valeur accordée au diplôme pour l’accès à un statut social ou à un emploi) directement issue des théories du capital humain. Chaque niveau est dès lors considéré comme une « barrière » sociale (appelée transition) permettant de mesurer le degré de sélectivité du système éducatif. La structuration des recherches sur le plan européen, principalement autour de l’analyse de la transition de l’école vers le travail, donne un essor à l’utilisation de la nomenclature Casmin en sciences sociales15. Des liens se tissent avec les institutions statistiques nationales ou internationales (telles l’OCDE). Ils sont fortement encouragés, voire suscités par les financements européens. L’ouverture par Eurostat, quoique fort onéreuse et encore très limitée de l’accès des chercheurs aux fichiers détails des enquêtes européennes, engendre une diffusion rapide des nomenclatures internationales officielles. Des séminaires sont organisés autour d’une enquête, d’une nomenclature ou d’une méthode statistique qui font appel aux statisticiens et aux chercheurs utilisateurs des données. Parallèlement, les enquêtes sociologiques ou sociopolitiques internationales prennent leur essor ces deux dernières décennies : particulièrement l’International Social Survey Program (ISSP), la World Value Survey (WVS) et la Time Use Survey (TUS) sur le plan international ou, sur le plan européen, l’European Social Survey (ESS), l’European Value Survey (EVS), les eurobaromètres et les dispositifs internationaux d’évaluation des acquis des élèves à un âge ou une année scolaire donnés16. Ces enquêtes sont largement utilisées par les chercheurs qui s’intéressent aux questions d’« équité » dans l’éducation, et toutes font appel à la CITE. Cette situation amène les concepteurs et les utilisateurs de Casmin à tester la qualité de cette nomenclature au regard de la CITE. W. Müller lance un programme de recherche de comparaison des nomenclatures d’éducation dans le cadre du pro- gramme européen Equalsoc17. Les participants à ce programme vont s’attacher à décrire les systèmes éducatifs nationaux et leur évolution, examiner la pertinence de la CITE à rendre compte de leurs traits caractéristiques et de leur fonctionnement, vérifier les pratiques de classement des diplômes dans chacune de ces enquêtes, établir 15. Citons les travaux menés dans le cadre du programme européen Transition in Youth à partir du début des années 1990, ceux coordonnés par Shavit et Müller, puis par l’équipe du projet Comparative Analysis of Transition from School to Work in Europe — Catewe), sous l’égide de l’OCDE. 16. Le plus connu, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) qui inter- roge les élèves de 15 ans, est piloté par l’OCDE. 17. Les membres du projet ont obtenu d’Eurostat l’accès aux fichiers des enquêtes européennes harmonisées. 11-Kieffer.indd 282 12-02-18 22:10
La fabrication d’un consensus 283 un bilan critique des mappings (listes des programmes éducatifs classés par niveau de la classification18) et enfin proposer des améliorations. Ces travaux ont donné lieu à une publication (Schneider, 2008) largement diffusée auprès des principaux instituts statistiques européens et d’Eurostat. Ces initiatives facilitent le rapprochement entre deux communautés jusqu’alors séparées. Les données internationales sur l’éducation se sont donc diversifiées et elles connaissent un usage très étendu et massif auprès des chercheurs. Les analyses de l’OCDE (dans Regards sur l’éducation) sont de plus en plus diffusées. La révision de la CITE entamée en 2008 se déroule dans le contexte d’un intérêt marqué des scientifi- ques pour les comparaisons internationales et de développement des échanges entre chercheurs et statisticiens. Elle prend ainsi une ampleur beaucoup plus importante : la classification sert désormais à l’élaboration d’un nombre bien plus grand de données quantitatives, dont l’importance politique et scientifique s’est accrue. le processus de révision entre préoccupations gestionnaires et ambitions scientifiques La nécessité de réviser la classification est une idée qui émerge dans les groupes de travail spécialisés dans les données internationales de l’éducation existant au sein de l’OCDE et d’Eurostat, avec l’appui des services statistiques de quelques pays occiden- taux. Néanmoins, il apparaît indispensable à ses principaux acteurs de veiller au caractère international et démocratique de l’accord en y associant l’Unesco. Pour autant, le travail de rédaction de la nouvelle classification reste largement maîtrisé par un petit groupe de spécialistes à qui les réseaux d’expertise en éducation d’Europe et d’Amérique du Nord sont familiers. Le processus de révision : entre « modèle de gouvernance » et arrangements de couloir Depuis la création du programme INES par l’OCDE en 1988 (Bottani, 1994 ; Normand, 2010), les responsables statistiques des ministères de l’Éducation des pays membres de cette organisation disposent d’une instance d’échanges et de décisions concernant la manière de collecter les données. Cet outil institutionnel est composé de trois entités : un Working Party (WP) et deux réseaux. La WP comprend une centaine de personnes. Les pays, ainsi que la Commission Européenne et l’Unesco, y ont chacun deux repré- sentants. Les deux réseaux, composés d’une cinquantaine de personnes (un représen- tant par pays), sont chargés de développer des indicateurs, publiés ensuite dans le rapport annuel Regards sur l’éducation. Le réseau Labour Market, Economic and Social Outcomes of Learning19 (LSO) est spécialisé dans les données de sondage sur les adul- tes (niveau d’éducation atteint, salaire à la sortie du système scolaire, etc.) ; le second réseau, Network for the Collection and Adjudication of System-level Descriptive 18. Ces mappings sont élaborés par les représentants nationaux d’INES. 19. Ce réseau est coordonné par le Canada. 11-Kieffer.indd 283 12-02-18 22:10
284 sociologie et sociétés • vol. xliii. 2 Information on Educational Structures, Policies and Practice (NESLI)20, gère les indi- cateurs basés sur l’exploitation des données administratives des établissements scolai- res (effectifs d’élèves et d’enseignants, financements, etc.). L’agenda, l’ordre du jour et les comptes rendus des rencontres des deux réseaux et de la WP sont élaborés par des administrateurs de l’OCDE, appartenant à la division des indicateurs et des analyses de la Direction de l’Éducation. Les programmes de travail et le financement des réseaux et de la WP sont évalués et validés par le Comité des politiques d’éducation (dans lequel chaque pays a un représentant). Avec deux réunions plénières par an (pour chacune des trois entités) et un budget de plus d’un million d’euros21, ces structures constituent un levier très puissant de développement de données et indicateurs sur l’éducation. En novembre 2005, lors de la vingt-cinquième rencontre de la WP (à Washington), il est proposé d’identifier les changements opérés par les pays dans les classements de leurs programmes éducatifs dans la CITE depuis la première soumission de données basées sur la version de la classification de 1997. Deux éléments sont soulevés par la WP : il faudrait d’une part mieux contrôler l’application de la classification par les pays pour rendre les données plus comparables, d’autre part mieux prendre en compte l’évolution des systèmes éducatifs (en particulier dans l’enseignement supérieur). Ces discussions se répercutent au sein de l’Education and Training Statistics Working Group, piloté par Eurostat et dans lequel se retrouvent une partie des mem- bres européens d’INES. Il réunit des représentants de services statistiques nationaux et les responsables de la production des données harmonisées sur l’éducation à Eurostat, dont certains participent à INES. Il ne dispose pas des mêmes moyens finan- ciers que le programme de l’OCDE mais peut avoir une action législative sur les pays membres. Sur son initiative, de nombreuses directives prises par le Conseil de l’Union concernant les données qui doivent être obligatoirement fournies par les États, en ce qui concerne l’éducation. Ce dernier et la WP d’INES élaborent alors un questionnaire adressé (en février 2007) à l’ensemble des pays de l’Union Européenne et de l’OCDE, auxquels répondent les services statistiques de presque tous les pays concernés. Les questions posées concerne les « problèmes liés à la CITE » et la manière dont sont col- lectées et regroupées les données sur le niveau d’éducation atteint dans la population adulte. Lors de la vingt-huitième rencontre de la WP d’INES en mai 2007, il est proposé d’entamer un programme de travail de deux ans pour résoudre les problèmes posés par la mise en œuvre de la CITE. Il serait coordonné par les trois organisations inter- nationales chargées de la collecte des données administratives sur l’éducation nommée « UOE » pour Unesco, Eurostat et l’OCDE. À l’issue de cette période, un rapport serait remis à la Conférence Générale de l’Unesco de 2009, prévoyant si nécessaire une 20. Ce réseau est coordonné par le Royaume-Uni. 21. Hors financement de la dizaine de salariés de l’OCDE qui animent ces rencontres, et sans comp- ter la charge de travail des fonctionnaires nationaux détachés par les États (qui prévoient depuis quelques années le nombre d’équivalents temps plein qu’ils consacrent aux questions internationales). 11-Kieffer.indd 284 12-02-18 22:10
La fabrication d’un consensus 285 recommandation demandant le lancement d’une révision de la classification. Un groupe d’experts composé des représentants des trois organisations serait chargé de ce rapport. C’est la première fois qu’est mentionnée la participation de l’Unesco. Elle est nécessaire, dans la mesure où la CITE est un accord international sous l’égide de cette organisation. Le chef de la Mission aux relations internationales et européennes (MIREI) du Département des statistiques du ministère français de l’Éducation, prési- dent de la WP, anticipe la nécessité de faire approuver une éventuelle révision de la classification. Il parvient à faire adopter une résolution de la Conférence Générale de l’Unesco en octobre 2007 qui entérine le programme discuté au sein d’INES : un rap- port d’avancement devra être remis à l’organisation internationale en octobre 2009 et un rapport final (proposant si nécessaire une classification révisée) en octobre 2011. De nombreuses discussions suivront, principalement menées au sein de la WP et des réseaux INES et nourries par des travaux d’expertise22. En février 2008, l’Institut de statistique de l’Unesco (ISU) est invité à participer au « séminaire » programmé auparavant par Eurostat et l’OCDE et devant se tenir en septembre 2008 à Paris. Eurostat organise, avec l’appui de la France, cette rencontre internationale à Paris. Le choix de la trentaine d’experts invités est soumis à de nom- breuses tractations. Une démographe travaillant à l’ISU comme « coordinatrice CITE » au sein de la division des indicateurs et des analyses de données sur l’éducation, venue spécialement de Montréal, rappelle à maintes reprises le statut de la classification, accord international sous l’égide de l’Unesco. Elle affirme que des consultations régio- nales (par grandes aires géographiques : Asie, Afrique, Pays d’Europe et de l’OCDE, États arabes, Amérique latine et Caraïbes) doivent être organisées pour associer l’en- semble des Nations Unies. À l’issue de cette première rencontre tripartite, en novem- bre 2008, un technical advisory panel (TAP), groupe d’une quinzaine d’experts chargé de faire des propositions, est créé. Officiellement constitué par l’Unesco, il a vraisem- blablement été mis en place par le chef des indicateurs sur l’éducation à l’ISU après des discussions informelles avec les représentants d’INES et d’Eurostat les plus actifs23. Le TAP est principalement composé des administrateurs d’Eurostat, de l’OCDE et de quelques ministères déjà impliqués dans le processus depuis novembre 2005. Y sont rattachés des représentants de l’ISU et du BIE, de l’Unicef et des membres de 22. L’un des plus déterminants montre d’énormes différences de mesures du niveau d’éducation atteint entre les données publiées dans Regard sur l’éducation et les grandes enquêtes internationales. La répartition de la population adulte (25-64 ans) sur les trois niveaux agrégés d’éducation diffère selon la source et les pays de quelques points à plus de cinquante points de pourcentage ! Ce constat sera souvent convoqué pour justifier la nécessité d’améliorer la qualité des données. 23. Le représentant français nous fait le récit suivant lors d’une réunion de travail : « J’ai été approché par [le chef de la division sur les indicateurs de l’éducation à l’ISU] pendant la conférence [européenne, men- tionnée en note 13]. Il va publier une liste des gens qui seront à la Task Force chargée de la révision et une liste d’un groupe élargi qui aurait à se prononcer sur les propositions de cette Task Force […]. Il m’a demandé si ça ne m’embêtait pas que je fasse partie du groupe élargi [plutôt que la Task-Force]. Puis j’ai vu [la représentante d’Eurostat] qui m’a demandé si je l’avais vu. Apparemment, ils en avaient discuté ensemble, et elle m’a dit qu’il était embêté vis-à-vis de moi. » Finalement, ce responsable, qui avait participé à la précédente révision et qui est désigné par certains comme le « père » de la CITE 1997, sera intégré à la Task Force. 11-Kieffer.indd 285 12-02-18 22:10
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