La mise en place des contrats territoriaux d'exploitation dans la Meuse

 
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Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002                                                                              27

                         la mise en place
  des contrats territoriaux d'exploitation
                           dans la Meuse

                           par Hubert Cochet et Sophie Devienne
                                                                             UER Agriculture comparée et Développement agricole,
                                                  Institut national agronomique Paris-Grignon, 16 rue Claude-Bernard, 75005 Paris
                                                                                                             agridev@inapg. inra. fr

Le contrat territorial d'exploitation (CTE) constitue l'innovation la plus marquante de la loi française
d'Orientation agricole de juillet 1999. Il fait à ce titre l'objet de nombreuses études visant à évaluer
comment les objectifs nouveaux et ambitieux que la loi assigne au CTE sont traduits concrètement
dans les différents territoires concernés. Il s'avère en effet indispensable de multiplier les analyses à
l'échelle départementale car le nouveau dispositif législatif confère une grande marge de manœuvre
aux institutions socio-économiques du département pour concevoir et mettre en œuvre la politique des
CTE.

Le présent article se veut une contribution à l'évaluation de l'impact de la politique des CTE dans un
département caractéristique de l'Est de la France, celui de la Meuse. Il s'appuie pour cela sur une
démarche d'agriculture comparée, visant à caractériser de manière précise et rigoureuse l'évolution des
systèmes de production agricole du département, afin d'analyser comment le nouveau dispositif du
CTE est susceptible de modifier cette dynamique, et d'évaluer dans quelle mesure le mouvement qui
en résulte est conforme ou non aux objectifs de la loi.

Les objectifs précis du nouveau dispositif seront rappelés, tels qu'ils sont définis dans la loi et dans les
différents textes réglementaires en précisant l'application (première partie) ; puis les principaux
résultats du diagnostic agro-économique effectué dans le Nord meusien seront présentés (deuxième
partie). À la lumière de ce diagnostic, il sera ensuite possible d'analyser les conditions et modalités de
mise en œuvre des CTE dans le département (troisième partie) et de comparer les effets prévisibles
aux objectifs attendus par le législateur (quatrième partie)1.

1
  Nous tenons à remercier Gilles Bazin, Jean-Christophe Kroll et Stéphane Aymerich pour les précieux conseils qu'ils ont pu nous apporter
lors de la relecture critique de notre manuscrit.
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1. La nouvelle loi d'orientation agricole :
   consolider le rôle économique, social et environnemental
  des petites et moyennes exploitations

La nouvelle loi d'orientation agricole2 apparaît comme une véritable rupture dans l'évolution de la
politique agricole française depuis les grandes lois d'orientation de 1960-62.
Depuis 1960, la production et la productivité du travail agricoles ont connu une croissance très rapide
(le volume de la production a doublé et la productivité du travail a été multipliée par 5).
L'accroissement de la productivité du travail agricole a été supérieur aux gains de productivité des
autres secteurs de l'économie (Bourgeois, 1993). Ce processus s'est traduit par une baisse tendancielle
des prix réels agricoles, baisse qui s'est trouvée encore renforcée par la tension sur le marché
international de nombreux produits agricoles. Cette évolution des prix, et l'érosion des revenus qu'elle
a engendrée ont, en retour, elles-mêmes entretenu ce processus de course à la productivité.
La politique agricole française des structures a encouragé ce mouvement : le choix a été fait de
soutenir les accroissements de production et de productivité par la modernisation rapide des
exploitations jugées « viables » mais encore insuffisamment compétitives. En concentrant sur ces
exploitations les aides à l'installation, les crédits bonifiés, les terres libérées par les exploitants âgés et
les moyens de vulgarisation, elle a encouragé le mouvement vers plus de capital, plus d'équipements
performants et l'agrandissement des exploitations, soustrayant de fait les exploitations les moins bien
dimensionnées, les moins bien équipées et les moins productives des aides de l'État. Or la baisse des
prix agricoles réels a sans cesse généré l'apparition, malgré tous les efforts de restructuration, d'une
frange d'exploitations incapables d'investir et de dégager des revenus décents.
La politique des prix agricoles a joué dans le même sens : en accordant des soutiens ciblés sur un
certain nombre de produits (céréales, viande bovine, lait), elle a conduit les agriculteurs français à
privilégier ces productions, au détriment de productions non soutenues permettant de dégager une
valeur ajoutée importante par unité de surface, le secteur viticole constituant une exception notable
(Bourgeois, 1993). Ces aides proportionnelles aux volumes produits ont encouragé le mouvement
d'agrandissement des exploitations et d'accroissement de la production par actif. Mais les productions
soutenues peinent à trouver des débouchés, tandis que la France demeure importatrice, exception faite
des vins et spiritueux, de produits incluant parfois une forte valeur ajoutée.
De ce fait, en dépit de la forte croissance de la production en volume, depuis 1960 le revenu agricole
net global a enregistré un recul d'environ 30% (Chambres d'agriculture, 2001) et la valeur ajoutée
produite par l'agriculture a diminué d'environ 40% en termes réels entre 1973 et 2000 (Boucarute/
al, 1996 ; Martmez, 1997, 1998, 1999 ; Pollina, 1996 ; Rageau, 2000, 2001). En outre, la recherche
d'une compétitivité accrue s'est accompagnée d'évolutions négatives : concentration des exploitations,
renforcement des inégalités entre exploitations et entre régions, baisse de l'emploi agricole, atteintes à
l'environnement et parfois menaces sur la qualité des produits.
La nouvelle loi d'orientation agricole pose les fondements d'une politique agricole rénovée, qui repose
sur trois grands principes (Le Pensec, 10/6/98) : reconnaissance de la multifonctionnalité de
l'agriculture, nécessité d'agir en faveur de l'équilibre territorial et social, contractualisation de la
politique agricole. Le CTE devient l'outil essentiel de cette politique : il vise à prendre en compte et à
rémunérer les fonctions autres que celles de la production de biens agricoles, fonctions qui ne sont pas
rétribuées par le marché : participation à l'aménagement du territoire, au maintien ou au
développement de l'emploi et à la préservation de l'environnement.

2
    Loi n°99-574 du 5 juillet 1999.
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Cette politique nouvelle de développement propose un nouveau type de régulation dans le secteur
agricole, basé sur une répartition sociale et territoriale des aides plus équitable. Cette idée, formulée
par Louis Le Pensc 3 , a été largement reprise par Jean Glavany4, qui, devant le Sénat le 19 mai 1999, a
réaffirmé la place du CTE dans le dispositif de réorientation de la politique agricole qu'il entendait
conduire en faveur des petites et moyennes exploitations agricoles. Cet objectif est affirmé de nouveau
dans l'introduction de la circulaire d'application des CTE5, qui précise qu'« une attention particulière
doit être accordée aux projets portés par les petites et moyennes exploitations familiales, aux projets
collectifs concernant des secteurs en difficulté ou peu soutenus par les organisations communes de
marché».
Le Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire (CSO),
réuni en juin 1999, a mis l'accent dans ses recommandations sur la nécessité du maintien et du
développement de l'emploi, objectifs jugés prioritaires et transversaux6. Il insiste sur l'importance
d'inciter les agriculteurs en fin de carrière et sans successeur à maintenir ou à développer leur outil de
production pour que celui-ci puisse être repris par un jeune et que l'exploitation ne soit pas démantelée
au profit de l'agrandissement d'une ou de plusieurs autres exploitations7.
D'autre part, la nécessité d'introduire une dimension collective dans l'élaboration et la mise en œuvre
des projets individuels des agriculteurs est sous-jacente au texte de loi, qui stipule que le CTE
doit comporter « un ensemble d'engagements portant sur les orientations de la production de
l'exploitation, l'emploi et ses aspects sociaux, la contribution de l'activité de l'exploitation à la
préservation des ressources naturelles, à l'occupation de l'espace ou à la réalisation d'actions d'intérêt
général et au développement de projets collectifs de production agricole ». La circulaire présidant à la
mise en œuvre des CTE8 prévoit d'ailleurs que les projets s'inscriront dans une démarche collective,
matérialisée par l'élaboration au niveau départemental de « contrats type » répondant aux
problématiques locales. Ces contrats type seront constitués de « mesures type », qui « peuvent être
applicables à tout le département, concerner un territoire, concerner une filière quand celle-ci est
ancrée sur un territoire (filière territorialisée) »9.
La nouvelle loi d'orientation instaure donc une gestion contractuelle et territoriale de la politique
agricole, au sein de laquelle le département devient l'échelle privilégiée tant pour l'élaboration des
instruments concrets de cette politique que pour leur mise en œuvre.
Même si ces nouvelles orientations sont trop récentes pour pouvoir en évaluer définitivement l'impact,
il est néanmoins possible d'examiner si, dans leurs premières traductions opérationnelles, les CTE
répondent aux objectifs fixés par la loi d'orientation. Un tel travail doit s'appuyer sur la
compréhension des dynamiques agricoles en cours et des problèmes auxquels sont confrontées les
différentes catégories d'agents directement ou indirectement concernés par ces évolutions. Cette
analyse-diagnostic doit permettre de formuler des hypothèses réalistes quant aux transformations à
venir dans le cadre de deux scénarios : avec et sans l'intervention des CTE. C'est la comparaison de
ces deux situations qui permettra d'envisager l'impact spécifique des CTE : effets sur les évolutions

3
    Ministre de l'Agriculture et de la Pêche du 4 juin 1997 à octobre 1998.
4
    Ministre de l'Agriculture et de la Pêche du 20 octobre 1998 au 25 février 2002.
5
    Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, « Mise en œuvre des CTE. Circulaire 17/11/99 ».
6
    Conseil supérieur d'orientation, 16/6/99.
7
  Liaisons CTE avec la transmission et l'emploi : « De nombreux agriculteurs parvenant à l'âge de la retraite n'ont pas de successeur au sein
de leur famille. Alors qu'ils arrivent en fin de carrière, ils doivent néanmoins être incités à maintenir ou à amener leur exploitation dans un
état optimal pour que leurs successeurs disposent d'un outil adapté. L'emploi est au centre des préoccupations et la nouvelle politique
agricole qui est à construire a pour objectif prioritaire de maintenir de nombreux agriculteurs sur tout le territoire. Il s'agit donc de veiller à
éviter le démantèlement des exploitations où pourraient s'installer des jeunes agriculteurs (notion d'exploitation viable) en limitant les
agrandissements d'unités existantes. » (CSO 16/6/99).
8
    Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, « Mise en œuvre des CTE, circulaire du 17/11/99 ».
9
    Ibid.
30                                                       Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002

des systèmes de production agricole, sur le maintien de l'emploi, sur la préservation ou la dégradation
des conditions du milieu, sur les agents concernés de près ou de loin par leur mise en place
(fournisseurs de biens et de services, industries de transformation, filières de commercialisation,
agents économiques concernés par d'éventuels effets induits du projet) (Cochet et Devienne, 1998).

2. Dynamique des principaux systèmes de production dans le Nord meusien
   (Côtes de Meuse, plaines de la Woëvre et de l'Argonne,
   plateaux du Barrois et du Pays-Haut)

L'analyse-diagnostic des réalités agraires

L'étude des transformations de l'agriculture, de ses conditions, modalités et conséquences, est l'objet
de la discipline d'agriculture comparée. Marquée par les travaux de René Dumont, cette discipline a
connu depuis les années 1970 un développement important, avec la construction de ses propres
concepts (système agraire), méthode (analyse-diagnostic) et développements théoriques (Shanere? al.,
1982 ; Mazoyer, 1987 ; Kroll, 1992 ; Dufumier, 1996 ; Mazoyer et Roudart, 1997). L'agriculture
comparée s'inscrit dans la tradition de l'économie politique qui se veut à la fois « essai de
compréhension des processus observables, effort de conceptualisation et de formalisation de ces
processus, guide pour les décisions du prince et réflexion sur les finalités » (Beaud et Dostaler, 1993).
L'analyse-diagnostic tente de comprendre des réalités agraires complexes afin d'« aider à trouver des
réponses pertinentes aux questions que se posent l'État et les différents groupes sociaux considérés
quant aux actions à entreprendre pour transformer l'agriculture en conformité avec l'intérêt général »
(Dufumier, 1996). Elle s'appuie sur des concepts intégrateurs (système agraire, systèmes de
production, de culture et d'élevage) qui permettent de se représenter les processus de production
agricole comme des systèmes complexes mettant en jeu des éléments biologiques, édaphiques,
techniques, économiques, politiques et sociaux dont les évolutions sont étroitement liées (Rapid Rural
Appraisal, 1985 ; Mazoyer, 1987 ; Mettrick, 1994 ; Dufumier, 1996).
L'objectif de F analyse-diagnostic consiste à étudier concrètement la situation agraire d'une région et
ses transformations, afin d'identifier les implications écologiques, économiques et sociales des
évolutions en cours, en dégageant leur caractère incomplet, contradictoire, voire négatif (FAO, 1992 ;
Dufumier, 1996 ; Cochet et Devienne, 1998). Il s'agit d'identifier et de hiérarchiser les éléments qui
conditionnent le fonctionnement et l'évolution des exploitations agricoles de la région : ces éléments
explicatifs sont à rechercher au niveau des exploitations elles-mêmes et de leur fonctionnement
concret, mais aussi, plus globalement, au niveau du milieu écologique, économique et social dans
lequel elles se trouvent plongées. De plus, pour comprendre les transformations agricoles en cours et
poser des hypothèses réalistes quant aux perspectives d'évolution du milieu et des exploitations
agricoles, le diagnostic doit nécessairement s'appuyer sur une analyse historique qui s'attache à
repérer et caractériser les grandes étapes d'évolution de l'écosystème cultivé et des exploitations, tout
en mettant en évidence les conditions et les conséquences de leurs transformations.
Une fois délimitée la région retenue pour l'analyse et repérées les principales transformations passées
et actuelles des écosystèmes exploités (Maigrot, 1987), l'analyse-diagnostic consiste en l'identification
et la caractérisation des systèmes de production mis en œuvre par les exploitations de la région.
L'objectif est de comprendre l'évolution des différents systèmes de production ainsi que leur
fonctionnement technique et économique, en mettant en évidence les obstacles qui entravent leur
développement. L'identification préalable des systèmes de production s'appuie sur deux types
d'entretiens complémentaires : des entretiens auprès d'agriculteurs âgés, visant à comprendre le
Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002                                               31

processus de différenciation des systèmes de production, produit des transformations agraires passées
et en cours et, parallèlement, des entretiens auprès d'agriculteurs en activité afin de repérer des
groupes d'exploitations ayant accès à des ressources comparables et pratiquant des combinaisons
semblables de systèmes de culture et d'élevage (Reboul, 1976 ; Blanc-Pamart et Milleville, 1991 ;
Groppo, 1992-93). La caractérisation des systèmes de production s'effectue ensuite, grâce à la
réalisation d'entretiens auprès d'exploitants pratiquant les différents systèmes de production identifiés
au préalable. Le travail s'effectue donc sur la base d'un échantillonnage raisonné et non
statistiquement représentatif. Le travail s'achève par la quantification de chacun de ces systèmes par le
recoupement des statistiques disponibles et d'enquêtes rapides. L'analyse doit déboucher sur la
formulation d'hypothèses quant à l'évolution probable de chacun d'entre eux.

Évolution et différenciation des systèmes de production dans le Nord meusien

La recherche a été menée dans une région agricole de la Meuse, département emblématique des
évolutions qui ont motivé la réorientation de la politique agricole. Marquée par la prédominance des
trois principales productions soutenues par la PAC (lait, céréales, viande bovine), l'agriculture
meusienne connaît un développement caractérisé par un agrandissement rapide des exploitations plutôt
que par la recherche d'un accroissement de la valeur ajoutée par hectare. La concentration des
exploitations est très forte : depuis les années 1970, seule la catégorie des exploitations de plus de
100 ha voit ses effectifs augmenter (RGA 1988, 2000). Ce mouvement a abouti à une taille moyenne
d'exploitations agricoles parmi les plus élevées de France : 93 ha en 2000, 135 ha pour les
exploitations « professionnelles », soit environ le double de la moyenne nationale (ibid.). En revanche,
la création de valeur ajoutée par hectare est faible : 225 en 2000 contre 575 en moyenne en France
(Chambres d'Agriculture), ce qui place la Meuse au 74e rang national (Cadot, 1999).
L'étude approfondie de l'origine et du fonctionnement des principaux systèmes de production a été
conduite dans le Nord du département, espace qui se découpe en petites régions agricoles très
contrastées : aux plateaux calcaires du Pays-Haut et du Barrois s'opposent les dépressions argileuses
humides de l'Argonne et de la Woëvre.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et quelles que soient les conditions du milieu, la polyculture-
élevage prédominait. Toutes les exploitations pratiquaient un système de culture caractérisé par la
rotation : lere année, jachère, légumineuse ou betterave fourragère ; 2e année, blé ; 3e année, orge ou
avoine, et mis en œuvre sur les terres les plus faciles à travailler. Plusieurs systèmes d'élevage étaient
également pratiqués au sein de chaque exploitation : élevage bovin laitier sur la base de la race
frisonne, également producteur de veaux lourds et de bœufs dont l'alimentation reposait sur le
pâturage de prairies naturelles et, en hiver, sur du foin et de la betterave fourragère ; élevage de
chevaux de trait ; engraissement de porcs et, parfois, élevage d'ovins sur les jachères.
Comme dans beaucoup de régions de plaine, ce système de polyculture-élevage a, dès la fin des
années 1960 et surtout à partir du début des années 1970, éclaté en systèmes de production spécialisés.
De nombreuses productions ont été abandonnées : transformation des céréales par des élevages
porcins ou avicoles, arboriculture fruitière et viti-viniculture dans le Nord des côtes de Meuse. Les
exploitations se sont tournées vers les trois principales productions - céréales, lait et viande bovine -
dont les filières étaient contrôlées par des coopératives de grande taille. La spécialisation des
exploitations s'est accompagnée d'une relative spécialisation des régions suivant leurs avantages
comparatifs : grande culture sur les plateaux calcaires, élevage bovin lait ou viande dans les
dépressions argileuses. Ce mouvement est aussi allé de pair avec une réduction du nombre
d'exploitations agricoles, à un rythme comparable à la moyenne française, au profit d'un
agrandissement important des exploitations.
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Mais cette spécialisation est toute relative et les systèmes de production mis en œuvre par les
exploitants sont plus diversifiés qu'il n'y paraît à l'intérieur de cestrois orientations principales, d'une
part, et de par les combinaisons possibles entre ces trois activités, d'autre part. En outre, des systèmes
reposant sur des niveaux d'équipement très différents coexistent, témoignant des grandes étapes
d'évolution des techniques et des équipements : motorisation sur la base d'équipements de plus en
plus puissants et adoption, à partir de la fin des années 1980, des techniques de travail simplifié et de
semis direct en grande culture ; équipement des bâtiments existants pour la traite des vaches et le
curage dans les années 1960 et, à partir des années 1970, construction de bâtiments modernes à
l'extérieur des villages, équipés de salle de traite et autorisant affouragement et curage au tracteur ;
développement à la même époque de la culture du maïs pour l'ensilage, en particulier dans les
exploitations d'élevage situées sur les plateaux mais aussi dans les exploitations des dépressions
argileuses, au prix d'un drainage, parfois mas-
sif dans certaines zones de l'Argonne ou de la
Woëvre.
Dans le secteur de la grande culture, trois
grands types de systèmes de production sont
observés aujourd'hui, correspondant à des
gammes de superficie, des niveaux d'équi-
pement et des itinéraires techniques différents :
cultures avec labour (moins de 100 ha/actif),
travail du sol simplifié (100 à 200 ha par actif)
et semis direct (150 à 250 ha/actif), la rotation
colza-blé-orge étant de très loin la plus
communément mise en œuvre.
Dans le secteur de l'élevage laitier, se
rencontrent aussi bien des élevages encore
équipés de pot trayeur dans de vieux bâtiments
(20 vaches laitières environ, avec une
alimentation à base d'herbe et de foin), des
élevages équipés de lactoduc toujours dans des
bâtiments anciens (30 vaches laitières - VL -
environ, avec une alimentation exclusivement
basée sur l'herbe en été et au sein de laquelle le
maïs n'entre que pour une faible part en hiver),
et des élevages équipés de bâtiments récents,
munis d'une salle de traite, pour lesquels la
taille de troupeau, le niveau de chargement, la
part du maïs dans la ration et la capacité de la salle de traite augmentent en parallèle (de 30 à 40 VL,
alimentation à base d'herbe en été et ensilage de maïs et foin en hiver, jusqu'à 50 à 90 VL,
alimentation très largement basée sur l'ensilage de maïs été comme hiver). La production laitière
s'accompagne fréquemment d'engraissement d'issus du troupeau laitier, évolution consécutive à
l'introduction des quotas laitiers en 1984.
Les élevages bovins viande sont eux aussi très diversifiés, de par leur taille (le nombre de mères est
très variable selon que l'exploitation a pu ou non investir dans des bâtiments neufs), l'alimentation des
animaux et le type d'orientation (naisseur, naisseur-engraisseur d'animaux jeunes type taurillons ou
âgés type bœuf à l'herbe) : des petits élevages naisseurs d'une trentaine de mères produisant des
broutards exclusivement à l'herbe jusqu'aux élevages de plus de 100 mères produisant génisses de
boucherie, broutards, bœufs ou même taurillons, dans des bâtiments récents et sur la base d'une
alimentation au sein de laquelle le maïs a une grande importance.
Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002                                                                                    33

Cette différenciation s'exprime clairement au niveau des résultats économiques : les revenus obtenus
vont de l'ordre de 7 600 à 12 200 /actif, pour les exploitations les moins bien équipées, à plus de
46 000 à 61 000 /actif pour les mieux équipées, revenus pour lesquels les primes jouent un rôle
important lorsqu'il s'agit de production de viande bovine, de céréales ou d'oléagineux.
Le développement agricole du Nord de la Meuse a été davantage caractérisé par un mouvement
d'agrandissement des exploitations plutôt que par la recherche d'une augmentation de la valeur
ajoutée créée : les débouchés urbains directs sont en effet limités et souvent éloignés, tandis que la
politique suivie par les trois principaux groupes coopératifs (la coopérative céréalière EMC210, pour
les céréales, l'Union laitière de la Meuse -ULM 11 - pour le lait et le Groupement des producteurs
bovins de la Meuse - GPBM - pour la viande bovine) a été orientée principalement vers
l'élargissement de leur couverture géographique plutôt que vers la transformation des produits.
Ce « modèle de développement meusien » est fortement intégré par les agriculteurs, tant et si bien
que des exploitations de 50 à 70 ha font ici figure de petites exploitations non viables, en particulier
quand le « saut d'investissement » dans les nouvelles stabulations hors village n'a pas été réalisé.
Il subsiste néanmoins un grand nombre de « petites » et « moyennes » exploitations (30 à 70 ha) (qui
représentent 20% du total des exploitations et plus du quart des exploitations professionnelles), à
l'étroit dans des bâtiments anciens et équipées de moyens de production peu performants, au sein
desquelles l'élevage repose essentiellement sur l'utilisation d'herbages permanents dans les
dépressions de la Woëvre ou de l'Argonne ou d'herbages temporaires sur les plateaux.
Aussi la probabilité d'une disparition rapide d'un nombre encore important d'exploitations agricoles
est-elle forte, malgré un mouvement général de concentration des structures dans ce département déjà
particulièrement avancé. Un grand nombre d'emplois directs en agriculture seraient donc encore
menacés aujourd'hui, disparition qui accentuerait encore la « désertification » des campagnes et la
dégradation du tissu socio-économique rural du département12. Or un emploi sur cinq aujourd'hui dans
la Meuse est encore un emploi agricole (Cadot, 1999).
Ce développement agricole s'est en outre traduit par des répercussions négatives sur l'environnement :
pollution des nappes phréatiques sur les plateaux calcaires, suite au développement d'élevages
importants et à l'utilisation élargie d'engrais et de pesticides, uniformisation du paysage imputable aux
remembrements successifs, stabulations inesthétiques en périphérie des villages... Des externalités
négatives découlent également du drainage dans les dépressions argileuses : destruction systématique
des haies, reprofilage des ruisseaux et perturbation du débit des rivières (bassinversant de l'Orne, par
exemple), pollution à l'atrazine consécutive au développement de la culture du maïs (bassin versant de
la Chier)...

10
   EMC2 collecte 1,2 million de tonnes de céréales en couvrant la totalité des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, une partie de
la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle. 80% des céréales collectées par EMC2 sont exportés, dont la plus grande partie vers l'Europe du
Nord via le port céréalier de Metz. La moitié de la collecte (soit 600 000 t) concerne du blé, surtout du blé meunier (85 à 90%).
11
   Importante coopérative laitière qui collecte environ 310 millions de litres dans le département de la Meuse et se trouve ainsi en situation de
quasi-monopole dans la région. Elle fournit des transformateurs situés dans le département.
12
  On peut penser que, sur les 2 300 exploitations agricoles « professionnelles » que compte encore le département de la Meuse aujourd'hui,
environ un tiers serait encore menacé à court ou moyen terme de disparition, si les tendances actuelles se poursuivent (RGA 2000 ;
enquêtes). Certaines projections, basées sur les tendances des dernières années, montrent que la surface moyenne par exploitation pourrait
atteindre 300 ha en 2015 (Cadot, 1999).
34                                                                            Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002

3. Élaboration et mise en place des CTE-type dans la Meuse

Malgré une large concertation initiale (malheureusement écourtée par la visite du ministre de
l'Agriculture en janvier 2000 et la nécessité de hâter la signature des premiers contrats), les
discussions furent finalement restreintes à une partie seulement des acteurs et organismes qui avaient
été consultés dans la phase de préfiguration. C'est ainsi que les modalités pratiques d'application de la
loi dans le département de la Meuse13 reflètent aujourd'hui très largement les préoccupations des trois
principaux acteurs de la coopération dans le département : la coopérative EMC2, l'Union laitière de la
Meuse et le Groupement des producteurs de bovins de la Meuse, ces organismes s'étant précocement
« positionnés » sur le dossier CTE.
Dès la phase de préfiguration, en effet, les participants furent scindés en trois groupes, correspondant
aux trois orientations de production dominantes dans le département (lait, viande bovine, grandes
cultures), ce qui rendait difficile à la fois une véritable approche globale en terme de système, d'une
part, et une approche davantage territorialisée par petite région agricole, d'autre part. Dès lors, ce
furent les organismes « compétents », et les plus puissants dans leur domaine respectif, qui ont été le
plus sollicités pour participer aux réflexions et apporter leur contribution à la rédaction des contrats-
type et des mesures type correspondantes. Ce sont aussi eux qui ont le plus rapidement répondu aux
sollicitations des pouvoirs publics (direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt - DDAF) et
de la profession (chambre d'Agriculture), ces deux institutions étant par ailleurs dans l'impossibilité
de prendre en charge la rédaction de ces projets faute de moyens et de personnels en nombre
suffisant14.
Dès lors, logiquement, il était possible que les différents CTE type proposés dans le département
traduisent, au moins partiellement, les politiques de développement propres à chacun de ces
organismes, politiques préexistantes à la nouvelle loi d'orientation agricole (LOA) ; le CTE devenant
alors un outil de financement de ces stratégies, permettant, entre autres, de reporter sur les finances
publiques une partie de leurs coûts de transaction avec les agriculteurs. L'analyse des trois CTE type
proposés pour les trois grands secteurs de production du département (lait, grandes cultures, viande
bovine) permet de confirmer cette hypothèse.

« Production d'un lait de qualité en préservant l'environnement »,
le contrat-type meusien en matière de production laitière

En grande partie rédigé par l'ULM, ce contrat-type reflète les préoccupations de cette organisation :
une certaine qualité du lait et son prix, plus que celles des agriculteurs. En privilégiant la qualité du
lait, l'ULM cherche à satisfaire aux cahiers des charges de ses plus gros clients, de plus en plus
exigeants du point de vue de certains critères (taux butyreux, taux protéique, cellules, etc.) et de leur
régularité.

13
  En particulier les modalités précisées dans la circulaire d'application du 17/11/99. Ministère de l'Agriculture et de la Pêche : « Mise en
œuvre des CTE. Dispositions pour 1999 ».
14
  Dans le département de la Meuse, une large part des tâches de conseil et de vulgarisation habituellement du ressort de la chambre
d'Agriculture est depuis déjà longtemps prise en charge par les coopératives dont il est question ici.
Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002                                             35

C'est ainsi que la démarche proposée aux agriculteurs15 suit un «itinéraire laitier» jalonné par
différentes étapes « de qualification laitière » censées conduire l'agriculteur à une meilleure maîtrise
de la qualité du lait. En fonction de « l'état initial de son exploitation », l'agriculteur est invité à
franchir les niveaux 1, 2 ou 3 de «qualification». Chacun de ces niveaux correspond en réalité à
l'application et au respect d'un certain nombre de recommandations techniques émanant de l'ULM et
conformes à sa stratégie commerciale (Depeyrot et al., 2000).
L'essentiel de l'aide financière proposée au travers des CTE pour ces différentes étapes de
« qualification laitière » consiste à rémunérer l'agriculteur en jours forfaitaires pour le temps passé à
l'enregistrement des données de son exploitation et à payer les techniciens agréés sollicités à cette
occasion, en l'occurrence le personnel technique de l'ULM. D'autre part, la réalisation
d'investissements peut donner lieu à une aide financière CTE. Sont notamment proposés dans ce
contrat-type les financements des logiciels de rationnement, de suivi des troupeaux et de maintenance
du matériel, ainsi que différents équipements de récolte, stockage, conservation et distribution des
fourrages, du matériel de traite.
On ne saurait remettre en cause le bien-fondé du choix de la qualité affiché par l'ULM. Mais l'effort
demandé par l'ULM à ses adhérents fournisseurs ayant un coût, on se propose sans détour de faire
prendre en charge ce coût par l'État au travers des CTE, l'augmentation du prix d'achat du lait au
producteur pouvant alors rester extrêmement modique, voire symbolique.
S'inscrivant en grande partie dans la stratégie de développement de l'ULM, et revendiqué comme
tel16, le «contrat-type lait » intègre le schéma de développement prôné par la coopérative depuis
15
     Préfecture de la Meuse, DDAF, 20/01/00 et 12/07/00.
16
     Entretien auprès du directeur de la communication de l'ULM, Verdun, 14/03/00.
36                                                                             Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002

plusieurs décennies dans la Meuse, en particulier l'intensification fourragère à base de maïs ensilage et
l'accroissement du rendement laitier par vache, mais ne retient pas, par exemple, la transformation à la
ferme des produits.
Malgré l'intitulé « production d'un lait de qualité en préservant l'environnement », peu de choses sont
envisagées dans le domaine de la protection de l'environnement. Un « volet environnemental » n'est
proposé qu'aux éleveurs capables d'accéder au « niveau 3 de qualification laitière » et sous forme
optionnelle (maîtrise des effluents, intégration paysagère). Il est notifié que les anciennes mesures de
type agri-environnemental pourront faire partie des projets émargeant au titre des CTE, mais la plupart
d'entre elles (enherbement des bords de cours d'eau, retour à l'herbe en zone sensible, par exemple)
ne sont guère compatibles avec le modèle de développement prôné par l'ULM depuis longtemps et
nullement remis en cause aujourd'hui, malgré l'opportunité présentée par la nouvelle LOA et les CTE.
De la même façon, l'objectif de maintien de l'emploi n'a pas été retenu par les rédacteurs du « CTE
lait » meusien. Aucune proposition innovante n'a été formulée pour aider les exploitations laitières les
plus vulnérables, en particulier les moins bien équipées et utilisant encore d'anciens bâtiments peu
fonctionnels situés à l'intérieur des villages. Les mesures proposées et éligibles au financement CTE
concernent toutes des exploitations déjà bien équipées et donc de facto bénéficiant de références
laitières (quotas) déjà élevées.

« Maîtrise qualitative et environnementale des grandes cultures »,
le contrat-type en grandes cultures

Dans le domaine des grandes cultures, le CTE-type proposé dans la Meuse a été en grande partie
suggéré par les dirigeants de la coopérative EMC2 et rédigé en collaboration avec les services
compétents de la chambre d'Agriculture17.
Soucieuse de satisfaire aux exigences de qualité de ses principaux clients de l'Europe du Nord, cette
coopérative a, depuis déjà plusieurs années, développé la contractualisation de certains de ses
adhérents afin d'encourager la production de blés de qualité.
Mais l'élargissement de cette politique supposait que fussent surmontés deux types de difficultés.
Comment en effet mieux « intégrer » les agriculteurs dans les filières sans pour autant prononcer le
mot « intégration », au passé trop chargé, et sans que cela ne soit vécu comme tel ? Comment, d'autre
part, récompenser l'effort supplémentaire demandé aux adhérents « contractualisés » dans un contexte
où l'incitation par les prix se heurte à la compression des marges céréalières de la coopérative ?18
Dans l'esprit des dirigeants de EMC2, les CTE pouvaient justement contribuer à résoudre ces deux
problèmes, à condition toutefois que les mesures-type proposées aux agriculteurs, et donc financées en
partie par les pouvoirs publics, aillent dans le sens des incitations souhaitées par EMC2. On comprend,
dès lors, que l'implication forte de EMC2 dans la réflexion et la rédaction du « contrat-type grandes
cultures » ait permis de proposer, entre autres, les mesures-type suivantes19 : « adhésion à un réseau de
conseil technique agréé », « mise en œuvre de la traçabilité des pratiques culturales », « démarche de
qualification ou certification dans le cadre des filières », et « réalisation d'investissements matériels
améliorateurs de la qualité » incluant notamment l'équipement en GPS (système de repérage
planétaire) des moissonneuses batteuses et des appareils d'épandage.

17
  EMC2 et chambre d'Agriculture sont toutes deux présidées par la même personne.
18
  Certains responsables de la coopérative insistent sur la difficulté à faire admettre aux clients, et donc à l'intégrer dans le prix de vente, le
service supplémentaire que représente la garantie de qualité, de régularité, parfois aussi detraçabilité. La différence entre le prix moyen de
vente et le prix moyen d'achat aux agriculteurs aurait baissé de 2 environ par quintalà 1,5 aujourd'hui (entretien avec des responsables
de EMC2, Bras-sur-Meuse, 15 mars 2000).
19
 Préfecture de la Meuse, DDAF, 20/01/00 et 12/07/00.
Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002                                             37

« Production de viande valorisatrice d'herbe »,
le contrat type en matière de viande bovine

Les mesures proposées dans le contrat-type en matière de viande bovine encouragent bien, tel que cela
apparaît dans son intitulé, la production d'animaux ayant consommé de l'herbe et pas seulement du
maïs ensilage. Mais la notion de viande valorisatrice d'herbe est toutefois entendue a minima, puisque
5 mois de pâture suffisent dans la vie d'un bœuf, ainsi qu'une consommation basée pour les trois
quarts au minimum d'herbe, foin et ensilage d'herbe. Ainsi les mesures type proposées coïncident ici
encore étroitement avec la stratégie du principal organisme de commercialisation des animaux, le
GPBM. Elles ont d'ailleurs été pour la plupart rédigées par les responsables du groupement. Le
contrat-type n'est finalement conforme qu'en apparence aux objectifs de la LOA en matière
d'environnement.
Depuis 1992, et pour tenter d'enrayer les apports massifs de bovins en provenance des pays de l'Est,
une démarche « Lorraine Qualité Viande » (LQV) avait été mise en place par une fédération de
groupements de producteurs, identification pérennisée ensuite grâce à la crise de la Vache folle et la
nécessité d'une identification claire des produits. Mais cette dénomination « LQV » ne se traduisait
pas par une augmentation significative de valeur ajoutée pour les producteurs. Elle relevait davantage
d'une démarche défensive, imposée par les événements, plutôt que d'une production de qualité
supérieure susceptible de justifier un prix plus élevé.
Ici aussi, les CTE ont été perçus par l'aval (le GPBM collecte une importante partie des bovins du
département) comme l'occasion de faire financer par l'État une partie des efforts demandés aux
producteurs en matière de démarche qualité. Les exigences minimales pour souscrire à un contrat-type
« viande valorisatrice d'herbe » consiste en un engagement dans une démarche « qualité produit », en
l'adhésion à un réseau de conseil technique et en la livraison d'un nombre minimum d'animaux
chaque année (10 bœufs, 5 génisses...). Le contrat type prévoit le financement de journées passées à
l'enregistrement des données de l'élevage bovin, ainsi que des aides à des investissements type
agrandissement et aménagement de bâtiments, matériel de récolte... Le fait que la construction de
quais d'embarquement, facilitant de façon décisive les opérations de collecte, est incluse dans la liste
des investissements matériels éligibles au « CTE viande » apparaît lié au fait que les frais de collecte
représentent environ 40% des coûts de fonctionnement du GPBM...20

4. La dérive meusienne...

Du contrat « territorial » d'exploitation au contrat « filière »

Après quelques hésitations initiales, les grands groupes coopératifs du département ont finalement
répondu assez rapidement aux sollicitations des pouvoirs publics en participant activement à la
conception et à la rédaction des CTE-type qui ont vu le jour dans les documents publiés par la DDAF.
On mesure à la lecture de ces textes la similitude entre les mesures type proposées et celles prônées
depuis déjà longtemps par les groupes les plus puissants du secteur aval. Les trois exemples de CTE-
type analysés ci-dessus, ne font que reprendre les politiques de développement propres à chacun de ces
organismes et donc préexistantes aux CTE. En récupérant à leur profit ce nouvel outil de la politique
agricole, EMC2, ULM et GPBM en faisaient l'un des piliers de leurs « nouvelles » stratégies
commerciales.

20
     Entretien auprès du directeur adjoint du GPBM, Belleville-sur-Meuse, 15/03/2000.
38                                                                             Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002

La conception de ces trois contrats-type témoigne du glissement de sens que connaît depuis peu la
notion de « CTE collectif». Dans l'esprit de la loi, un projet collectif était d'abord relié à un territoire,
à un « pays », afin de voir se concrétiser sur un paysage les effets d'une agriculture reconnue comme
multifonctionnelle. Mais le « collectif» fut peu à peu étendu du territorial au sectoriel, s'incarnant
« dans un territoire de projet pertinent (département, petite région agricole, pays, intercommunalité,
bassin versant, zones de production et d'aménagement cohérentes, territoire d'une coopérative,
terroir...)»21. Les producteurs de céréales, de lait et de viande bovine de la Meuse sont incités à
s'engager « collectivement » dans une même démarche « qualité » commanditée par l'aval. Le « CTE
collectif » devient dès lors un « CTE produit » instrumentalisé en tout ou partie par les organismes
collecteurs et sans rapport avec un territoire particulier. Dans la Meuse, les CTE ont été interprétés
avant tout comme des projets de développement économique au sein desquels les actions
environnementales sont orientées pour l'essentiel vers une démarche de qualité des produits visant à
leur certification et à leur traçabilité, et les actions sociales réduites à la création d'emplois salariés.
L'insertion de ces projets individuels dans une démarche collective, par exemple à l'échelle de la
« filière territorialisée », dérive alors logiquement vers l'insertion dans une démarche à l'échelle de la
filière produit, la notion de territoire perdant alors tout son sens.

Quel impact sur
l'agriculture de
la région ?

Certes les trois CTE-type
dont il a été question ci-
dessus ne constituent pas
la totalité de l' «offre»
présentée dans l'arrêté
préfectoral du 12 juillet
2000 ; d'autres CTE adap-
tés à des secteurs mi-
noritaires de l'agriculture
départementale ont été
proposés22. Il n'en demeure pas moins que les trois secteurs de production lait, viande bovine et
grandes cultures étant très largement majoritaires dans le département, ce sont bien les trois CTE-type
correspondants et l'usage qui en sera fait qui marqueront le développement agricole de la région dans
les années à venir. Mais de quelle marque s'agira-t-il et l'évolution générale de l'agriculture
meusienne s'en trouvera-t-elle infléchie ?
L'impact le plus immédiat des CTE meusiens, si un grand nombre était signé et mis en œuvre, serait
vraisemblablement décelable au niveau des résultats financiers des trois groupes dominant l'amont et
l'aval de la production agricole. Enrayer la diminution présente ou à venir de leurs marges
commerciales via la mise en place de CTE dans chaque secteur fait désormais partie de leur stratégie.
Dans cette hypothèse, les pouvoirs publics prendront en charge une partie de leurs surcoûts liés à
l'incitation à la qualité et à la collecte des produits23, sans autres bénéfices perceptibles pour les
producteurs, l'emploi et l'environnement.

21
 CSO, 1999.
22
  En particulier pour l'arboriculture et la viticulture (présentes seulement dans le sud du département), l'agriculture biologique, la production
ovine ou les productions à haute valeur ajoutée, sans parler d'un CTE taillé sur mesure pour les membres d'un GVA d'agriculture raisonnée.
23
     Seront également pris en charge par les pouvoirs publics les « journées expert » vendues par les coopératives en question aux candidats aux
CTE...
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