La sécurité sociale - Axelle Magazine
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Décembre 2020 / n°234 Roumanie L’avortement en voie de disparition Enquête Quand les animaux aident à dépister les violences domestiques Mensuel. Bureau de dépôt : Bruxelles . Vie Féminine, 111 rue de la Poste, 1030 Bruxelles la sécurité sociale 1 n° 234 / Décembre 2020
sommaire actualités 4 Et puis quoi encore ? 6 Dans l’œil d’axelle 8 Brèves d’ici et d’ailleurs 11 À Vie Féminine, on dit quoi ? En couverture 12 dossier Cette jeune femme chilienne vient Mieux que le père Noël : la sécurité sociale d’exercer son droit de vote. Elle porte, en solidarité avec les Argentines, le foulard vert symbole du mouvement magazine pour le droit à l’avortement. 19 Reportage | Roumanie : l’avortement, un droit en voie de disparition Ce 25 octobre, elle a participé depuis la France où elle réside, au référendum 22 Enquête | Quand les animaux aident à dépister les violences domestiques historique concernant le changement de 26 Recontre | Martine Delvaux, hommes entre eux et chœur de femmes la Constitution héritée de la dictature Terre de femmes | Politique étrangère féministe : 28 de Pinochet. Et ce fut un plébiscite, avec un concept qui n’a pas fini de faire parler de lui 78 % des voix exprimées favorables à Vues de Flandre | La pointe de l’iceberg 31 une nouvelle constitution. Après vingt ans d’interdiction totale, l’IVG a déjà été L a chronique benoîte de Benoîte Bennett 32 partiellement dépénalisée au Chili en août 2017 dans une loi promulguée par culture la présidente socialiste Michelle 33 Musique | Lola Bonfanti Bachelet, peu avant la fin de son second mandat et le retour de la droite au 34 Docus | Shanann et Rubi : deux féminicides, deux documentaires pouvoir. Cette loi ne permet 35 Agenda l’avortement que dans trois 36 À livre ouvert | « Braves bêtes. Animaux et handicapés, circonstances : risque pour la vie de la même combat ? » femme, non-viabilité du fœtus et viol. 38 Bouquins L’écriture d’une nouvelle constitution sera, l’an prochain, l’occasion de rouvrir en pratique politiquement le débat. 40 Elles sont partout | No-Body is Wrong 41 Nos droits | Règlement collectif de dettes : quelques fausses croyances 43 Bricolage | Comment utiliser un multimètre ? 46 Jeu-concours 47 Cent ans d’action de Vie Féminine | Quatrième épisode Rédactrice en chef : Sabine Panet. Ont collaboré à ce numéro : axelle magazine est édité Secrétaire de rédaction : Laetitia Bica, La bricoleuse, Louisa Bryone, par Vie Féminine, Stéphanie Dambroise. Cécile Calla, Stéphanie Dambroise, Fanny Mouvement féministe 111, rue de la Poste – 1030 Bruxelles Declercq, Aurélia Deschamps, Audrey Guiller, d’action interculturelle Tél : 02/227 13 19 Éditrice responsable : Anne Boulvin. Irène Kaufer, Véronique Laurent, Marine et sociale. Crédits photographiques : axelle@skynet.be – www.axellemag.be Leduc, Manon Legrand, Gwénaël Leriche, www.viefeminine.be lorsqu’elle est indiquée, la mention « CC » www.facebook.com/axellemagazine Juliette Masquelier, Sabine Panet, Nolwenn Il est réalisé par une rédaction spécifique fait référence aux licences « Creative Weiler, Camille Wernaers. au sein du mouvement, ainsi que par des Commons » dont les détails sont disponibles ici : Cahier d’actus : Camille Wernaers. journalistes indépendant·es. https ://creativecommons.org/choose Photographie de couverture : Notre magazine fait exister les femmes © Jeanne Fourneau / Hans Lucas via AFP dans la grammaire et dans le vocabulaire. Plus d’infos sur nos pratiques linguistiques : www.axellemag.be 2 n° 234 / Décembre 2020
¥ édito Tout Vie Féminine rend hommage à Josette Thibeau (12 mars 1938 – 30 octobre 2020) oublier ? fut, pour beaucoup, un cauchemar. Pandémie, maladie, deuil, épuisement, incertitude, angoisse, précarisation. On « Nous toutes et tous qui avons connu Josette aurait envie d’y mettre fin comme on referme un livre ; baisser les paupières, Thibeau sommes dans la peine aujourd’hui… s’engourdir dans un sommeil moelleux. Mieux encore, puisque c’est la période, Même si nous ne pouvons pas lui dire au revoir trouver au matin, sous un sapin, des cadeaux pailletés, frivoles, heureux, pour par notre présence, nous voulons évoquer la nous faire tout oublier. personnalité d’une grande dame qui, avec Car l’oubli a des vertus1. Il aide à prendre des bonnes décisions en aspirant intelligence et modestie, a participé de façon les informations « parasites » qui ralentissent notre adaptation à une situa- essentielle à l’évolution du mouvement Vie tion nouvelle. L’oubli fait le tri dans les tiroirs de notre cerveau : il hiérarchise, Féminine. sélectionne les événements passés, retient ceux qui nous aident à comprendre Dans les années 1970, elle est devenue secrétaire le présent. Enfin, judicieuse recommandation : pour que l’oubli fasse bien son générale après avoir commencé son engagement boulot, il nous faut… dormir ! Mais lorsque l’oubli est impossible, c’est parfois professionnel à la Fédération de Liège. Elle avait que l’épisode fut douloureux ou traumatique, la mémoire ne parvient pas à une conviction profonde de l’importance de s’enclencher, la douleur du souvenir envahit notre présent, se répète comme l’éducation permanente pour les femmes des un disque rayé, nous paralyse. milieux populaires. Elle traduisait cette conviction Et de 2020, allons-nous tout oublier ? Non. Petit à petit, nous engrangerons avec une grande intelligence […]. Elle était les récits de cette année à nulle autre pareille. Ils sont déjà là, dans nos pages, infatigable. […] Au sein de l’équipe nationale, elle dans vos souvenirs, dans vos conversations, parfois ébauchés, parfois encore participa pleinement aux combats que le contenus lorsque nous serrons les dents en attendant que l’orage passe. Ce mouvement entreprit […] : l’égalité des femmes sont des récits de colère, de rage, de tristesse et aussi de générosité, de liens, en sécurité sociale, le Fonds de Créances mille vaillantes petites stratégies de résistance. Ces récits, comme des mailles, Alimentaires, la dépénalisation de l’avortement... tissent une mémoire à hauteur d’humanité. Sur cette mémoire, semons nos Cela supposait non seulement des démarches espoirs de solidarité, d’égalité et de justice… politiques, mais aussi de nombreux débats, Sabine Panet rencontres, formations pour que l’expression du mouvement soit réellement partagée par le plus 1. « L’oubli, vertu capitale de notre mémoire », Le Temps, 4 juillet 2017. grand nombre de femmes. […] Aujourd’hui nous sommes dans la peine. Mais AXELLE Sur le web nous mesurons la chance que nous avons eue de participer avec elle, dans la cohésion et l’amitié, à la vie du mouvement Vie Féminine. Pour tout cela, Exclu web : une fois par mois, axelle prend une nous lui disons un immense merci. » personnalité belge par la main, pour la connaître… © Thomas Jean Andrée Delcourt-Pêtre, présidente sur le bout des doigts. Ce mois-ci : l’artiste urbaine de Vie Féminine de 1980 à 1991. et illustratrice Madame La Belge. Rendez-vous sur axellemag.be Abonnement Infos : Adwoa Oppong, 02 227 13 22 mouvement, et vous recevez Les annonces publicitaires n'engagent Pour vous abonner, il suffit de faire la ou par mail : abonnement@axellemag.be tous les numéros d’axelle. que leurs auteur·es. demande par écrit, téléphone ou mail. Vous pouvez aussi, sur simple demande, Cotisation : 24 € par an. Conception graphique : Référez-vous au talon page 45. recevoir ou faire parvenir à quelqu’un·e Compte : BE33 7775 9958 3146 Cécile Crivellaro, Emmanuel Troestler, Abonnement d’un an Belgique : 29 € un exemplaire d’axelle gratuitement, sans de Vie Féminine (BIC : GKCCBEBB). Françoise Walthéry. pour 10 numéros (8 numéros mensuels, engagement. Si vous êtes membre de Vie Courrier des lectrices : Mise en pages : 1 numéro double hors-série janvier-février, Féminine, vous recevez automatiquement axelle, courrier des lectrices Cécile Crivellaro. 1 numéro hors-série juillet-août). tous les numéros d’axelle. 111 rue de la Poste – 1030 Bruxelles Impression : Hayez. Étranger : Europe 64 €, hors Europe 78 € Affiliation axelle@skynet.be (la différence de prix avec la Belgique est En devenant membre de Vie Féminine, Les courriers anonymes due aux frais postaux). vous soutenez un mouvement féministe, ne sont pas pris en considération. Compte : BE13 7755 9620 2639 de Vie vous bénéficiez de tarifs avantageux Publicité : Publicarto (053 82 60 80) Féminine (BIC : GKCCBEBB). pour des activités et des publications du Magazine publié sans but lucratif. n° 234 / Décembre 2020 3
Et p u i s quoi Mort d’une autochtone Au Québec, le racisme dont sont victimes les autochtones est un mal récurrent, jusque dans les hôpitaux. Les témoignages d’insultes subies par des malades autochtones ne manquent pas, au point qu’une Commission spéciale a été créée pour enquêter sur ces dérapages. S’il fallait des preuves, on en a une. Une jeune femme de 37 ans, Joyce Echaquan, a filmé avec son smart- phone une scène choquante au cours de laquelle elle est malmenée par le personnel soignant parce qu’elle se plaint d’avoir été « droguée » après son arrivée à l’hôpital – où elle s’est rendue pour des maux d’estomac. Elle proteste avec véhémence contre l’injection de morphine, incompatible, pense-t-elle, avec ses problèmes cardiaques. La seule réponse qu’elle reçoit, ce sont des insultes racistes. Diffusée sur les réseaux sociaux, la scène a créé une émotion d’autant plus grande que Joyce Echaquan est décédée peu de temps après. L’agresseur « Manterruping » courait les rues Voilà un terme moins familier que le « mansplaining » (la « mecsplication », ou quand des États-Unis, le 7 octobre dernier. La candidate démocrate Kamala Harris a Il s’appelle Wilfried A. et il s’est fait connaître comme « street les hommes nous expliquent été interrompue dix fois par le artiste » par ces quelques mots tagués sur les murs, les sols, ce qu’on sait déjà), et républicain Mike Pence. Mais et le mobilier urbain de Paris : « l’amour court les rues ». pourtant le phénomène est comme elle n’a pas sa langue Apparemment, l’« amour » n’était pas le seul à courir les rues. très répandu : la façon dont les en poche, elle a réagi, parfois Jouant de sa notoriété, Wilfried A. abordait des jeunes femmes, hommes interrompent les avec un grand sourire, parfois leur proposant de devenir ses modèles photo. Une fois à son femmes au cours des débats en fronçant les sourcils : « Je domicile, elles étaient droguées et agressées sexuellement. publics, autant d’ailleurs que suis en train de parler, il m’a Ainsi que le révélait le magazine Néon (7 juillet 2020), il a suffi dans les discussions privées. interrompue, je voudrais qu’une femme porte plainte pour que d’autres suivent. Elles La chaîne américaine CBS a terminer »... Un bel exemple à sont désormais 25, dont certaines étaient mineures au moment objectivé cette réalité lors du suivre (si on peut). des faits. débat pour la vice-présidence Pas d’âge pour les violences Les violences faites aux femmes n’ont pas d’âge, ni en ce qui recensés). Mais la famille n’est pas non plus un havre de paix : ici concerne les victimes, ni les agresseurs. Cependant les violences aussi, les pères et mères sont mentionné·es à plusieurs reprises. Et sont particulièrement méconnues par les plus jeunes, « craintives une dépendance financière est souvent évoquée pour expliquer face aux institutions, souffrant d’un manque de repérage de la part cette situation de domination. Ces résultats sont particulièrement des adultes encadrants, un public hors radar », explique la présidente interpellants quand on lit que « cette position de domination de la de l’association française En avant toute(s), Margaux Nasreddine, personne violente sur la personne victime entraîne une emprise sur le site aufeminin.com (12 octobre 2020). Margaux Nasreddine durable. Dans 58,4 % des cas, une personne de moins de 26 ans se base sur une étude menée entre novembre 2019 et juin 2020 : victime reste enfermée dans sa relation deux ans ou plus. » C’est aussi son association a analysé 1.416 conversations sur le tchat du site la démonstration que, quoi qu’on se plaise à dire, l’égalité ne se commentonsaime.fr. Selon l’étude, les agressions, qu’elles soient développe pas d’une manière radicale chez les jeunes. physiques, sexuelles ou psychologiques, sont principalement commises par les petits amis ou ex (dans la moitié des cas 4 n° 234 / Décembre 2020
iencore ? lité ous révolt e L’ac tua qui n lus tr ation s : Odile B r ée ufer – Il Par Irène K a Le professeur et la jument « Maintenant, il va y avoir forcément quelqu’un un jour qui va aller souvenir : au moment des débats autour de l’ouverture du mariage devant un tribunal et qui va dire j’ai une jument, je l’adore. Je ne peux aux couples homosexuels en Belgique, un invité de Pascal Vrebos pas l’épouser, c’est un scandale, c’est une discrimination. » Ces propos (dont j’ai oublié le nom, mais pas la réplique) répondait en direct à destinés à illustrer l’opposition à l’ouverture du mariage aux couples des questions d’auditeurs/trices. Et puis vint celle-là, que l’animateur homosexuels n’ont pas été prononcés au comptoir d’un bistrot après relevait avec une sorte de gourmandise : « Je suis amoureux de ma une soirée trop arrosée, mais par le professeur d’histoire du droit Aram chèvre, est-ce que je pourrai l’épouser ? » Et l’invité, sans se démonter : Mardirossian dans la prestigieuse université parisienne, la Sorbonne. « D’accord, vous êtes amoureux de votre chèvre, mais est-ce qu’elle, Filmés par des élèves et diffusés sur les réseaux sociaux, ils ont été elle vous aime ? » condamnés par l’université, mais sans sanction. Ils font ressurgir un Cachez ce sein... asculin M (encore !) « universel » Relevé le 7 octobre par une internaute, Elisabeth Cela pourrait devenir un véritable feuilleton. Après le Musée d’Orsay et un Mertens, sur les réseaux sociaux, et reproduit avec supermarché (voir le n° 233), voici une histoire glanée dans le quotidien son accord : « Sujet hier soir au JT de RTL sur les Het Nieuwsblad (14 octobre 2020) : la compagnie aérienne Southwest agressions sexuelles sur le campus de Louvain-la- Airlines a prétendu refuser l’embarquement à une certaine Kayla Eubanks, Neuve. Le mot “étudiants” (au masculin, hein) est à cause de son décolleté jugé « obscène » par un agent de sécurité. Après utilisé sept fois, le mot “étudiantEs” pas une seule fois. qu’un pilote lui a prêté un pull, elle a quand même pu voyager, et la Faut écouter ça : les “étudiants” ne se sentent pas en compagnie a fini par s’excuser et lui proposer de payer son voyage. Au sécurité, les “étudiants” en ont marre, etc. Ce masculin cours de l’échange avec l’agent, qui a été filmé, Kayla Eubanks ne perd pas est utilisé : 1, par la présentatrice du JT ; 2, par la son sens de la repartie. On peut l’entendre demander à l’employé si, pour journaliste qui fait le reportage et 3 (et c’est un avoir le droit de voyager, elle « devrait laisser ses seins à la maison. » comble !), par la responsable du “genre” de l’UCL. Là, pour un sujet comme le viol et les agressions sexuelles, parler des “étudiants” qui en sont victimes, c’est juste Éliminer stupéfiant. ». les hommes ? Elle précise « ne plus lire de livres écrits par des hommes, regarder de films réalisés par des hommes, ne plus écouter de musique composée par des hommes. » Que n’a-t-elle dit là ! Élue écologiste au Conseil de Paris et Et vous, autrice du livre Le génie lesbien (Grasset 2020), Alice Coffin s’est pris une qu'est-ce qui vous révolte ? volée de bois vert. Elle nous invite à « éliminer les hommes des esprits, de Vous voulez faire savoir aux autres nos images, de nos représentations » : on lui reproche de vouloir « éliminer lectrices d’axelle ce qui vous indigne les hommes ». Elle parle de ses choix culturels : on l’imagine aussitôt dans notre monde sexiste, raciste tenant en mains une kalachnikov, ou un sécateur. Quoi que l’on pense de et capitaliste ? ses choix, elle ne les impose à personne ! Et si l’on y réfléchit : combien d’hommes, mais aussi de femmes, ne voient le monde qu’à travers des Écrivez-nous à axelle magazine, œuvres masculines, sans le revendiquer... et parfois même sans s’en rendre Et puis quoi encore ? compte ? 111 rue de la Poste – 1030 Bruxelles ou à axelle@skynet.be n° 234 / Décembre 2020 5
Abreu vé e d’imag axelle ch es, o décaler so isit d e n regard sélection et ne chaqu un ins tan e mois tané oub d e l’act u lié alité. Femmes de foot Cette photo a été prise le 17 octobre à Liège, lors du match de la Super League entre le Standard Fémina et Zulte Waregem. On y voit la joueuse du Standard Charlotte Cranshoff tenter de reprendre le ballon à Esther Buabadi, qui joue pour Zulte. L’équipe du Standard finira par s’imposer lors de ce match (5-1). Le 24 juin dernier, l’Union belge de football a annoncé vouloir professionnaliser les compétitions féminines, et notamment la Super League qui voit s’affronter différents clubs belges. Cette année, dix équipes participent, au lieu de six précédemment, et des matchs étaient prévus jusque 2021 – si les mesures sanitaires dues au coronavirus le permettent. « Grâce à ces nouvelles équipes, nous allons pouvoir redynamiser le football féminin en Belgique et lui faire gagner en qualité », souligne dans un communiqué (24 juin) Katrien Jans, manageuse du football féminin au sein de l’Union belge, une fonction qui vient d’être créée. Auparavant, Katrien Jans était elle-même joueuse en première division. « Construire un championnat de grande qualité, veiller à ce que nos clubs puissent égaler le niveau de leurs adversaires à l’échelle internationale, inspirer les jeunes générations et les aspirantes footballeuses ainsi qu’offrir davantage de possibilités aux jeunes filles de développer leurs talents footballistiques à proximité de chez elles. Voilà les quatre objectifs fixés pour cette nouvelle formule de la Super League », continue le communiqué. Cela fait partie du plan d’action global de l’Union belge, présenté en 2019, intitulé « The World At Our Feet » (« Le monde est à nos pieds »), qui a pour objectif de mettre en valeur le football féminin. « De gros moyens ont été débloqués pour donner un coup de boost aux équipes féminines belges, pros ou amatrices », précise la RTBF (19 octobre). L’Union belge prévoit un budget de 3 millions d’euros pour ce projet et a également la volonté de doubler le nombre d’affiliées dans les cinq ans. En 2019, 38.000 joueuses étaient inscrites. Reste la question des conditions de travail des joueuses professionnelles dans notre pays, tellement moins payées par rapport aux hommes que beaucoup d’entre elles ont un autre travail à côté. « Au début au Standard, on avait un kiné pour vingt filles et lorsque les garçons se blessaient, ils récupéraient beaucoup plus rapidement que nous, car ils étaient très bien encadrés. J’ai observé des évolutions quand Roland Duchâtelet [ancien président du Standard, ndlr] a décidé d’investir dans les équipes féminines, mais il était trop tard et ce n’était pas suffisant pour vivre du football », indiquait à la RTBF (10 mai 2019) Sara Yüceil, ex-joueuse du Standard, partie jouer à Marseille en France puis au PSV Eindhoven, aux Pays-Bas. Une autre actualité a récemment secoué le football féminin dans notre pays : © Bernard Gillet / Belga la Belgique a posé sa candidature pour organiser en 2027 la Coupe du monde féminine, soit la plus prestigieuse compétition de football, en collaboration avec l’Allemagne et les Pays-Bas. « Si on a l’occasion de faire un tel événement, ça ouvrira énormément d’opportunités », explique Katrien Jans (RTBF, 19 octobre). n° 234 / Décembre 2020 7
¥ brèves d’ici et d’ailleurs Féminicide : des policiers en correctionnelle Belgique. C’est une première dans Lavergne). Trois policiers sont visés notre pays : le parquet de Liège a par une procédure judiciaire : deux demandé le renvoi au tribunal cor- policiers qui ont reçu Louise Lavergne rectionnel de trois policiers dans au commissariat d’Angleur et un l’affaire du féminicide de Louise autre, qui était chargé de veiller au Lavergne, qui remonte à 2017 (Le respect des conditions imposées Soir, 20 octobre). Cette étudiante à Patrick Vanderlinden, considéré D.R. en médecine vétérinaire avait été comme un délinquant sexuel, au poignardée et tuée par son voisin, sein du commissariat du Longdoz. Patrick Vanderlinden. Avant de Certes, il n’y a pas que la police qui passer à l’acte, il l’avait harcelée à dysfonctionne dans le traitement La citation du mois. plusieurs reprises et Louise Lavergne judiciaire des violences faites aux s’était rendue au commissariat pour femmes. Mais cette institution est « J’ai choisi la littérature. signaler son comportement. Or, en première ligne et les associations Patrick Vanderlinden avait déjà été féministes demandent depuis long- Elle a été pour moi condamné deux fois à de la prison temps que ses agent·es soient mieux ferme pour viol sur mineures d’âge formé·es. Cette affaire pourrait y l’arme qui m’a permis (il était en libération conditionnelle contribuer. non seulement d’être lors du féminicid e d e Louise personnellement Des employées domestiques forte, mais de l’être dénoncent les violences suffisamment pour Qatar. Un rapport d’Amnesty International aider les autres. » (20 octobre) donne la parole à 105 employées Dans un entretien pour le site domestiques qui vivent et travaillent au Qatar. d’information Terriennes Elles dénoncent les abus qu’elles subissent, dont (27 octobre), l’écrivaine des violences physiques et sexuelles. Amnesty révèle camerounaise Djaïli Amadou Amal que ces travailleuses sont poussées à bout par « la s’est exprimée sur les droits des surcharge extrême de travail, le manque de repos et femmes et au sujet de son dernier les traitements abusifs et dégradants. » L’une d’elles livre, Les Impatientes, qui traite des explique : « Ils [ses employeurs/euses, ndlr] m’ont dit : conséquences psychologiques des “si le travail est terminé, tu peux aller dormir”, mais le violences conjugales. Ce livre a été travail ne s’arrête jamais. » Malgré une série de réformes, retenu parmi les quatre finalistes le Qatar peine à lutter contre ces violences. Il y a environ pour le prestigieux Prix Goncourt, 173.000 travailleuses domestiques dans le pays. « Ce dont la proclamation a été reportée sont des travailleuses invisibles, qui n’ont pas les moyens en raison de la pandémie de d’échanger avec les autres et de s’organiser, car elles vivent chez leur employeur et ne Covid-19. peuvent que rarement en sortir, c’est la plus grande différence avec les travailleurs qui sont en charge des stades. On ne pense pas à elles », a précisé aux Grenades-RTBF (20 octobre) Philippe Hensmans, directeur de la section francophone d’Amnesty International Belgique. 8 n° 234 / Décembre 2020
La femme du mois. Faiza Heidar 13,4 ans Le chiffre du mois. En Belgique, c’est la différence d’espérance de vie en bonne santé entre les femmes à niveau d’éducation élevé et celles à niveau d’éducation faible en 2011, selon l’Institut pour un Développement Durable (communiqué du D.R. Youtube / Middle East Eye Monitor 1er octobre). Une situation qui s’est aggravée. L’Institut remarque que l’espérance de vie en bonne santé pour les femmes d’un niveau d’éducation faible a reculé entre 2001 et 2011. Dans le même temps, l’espérance de vie en bonne santé a augmenté très significativement pour les hommes d’un niveau d’éducation élevé (+ 4,6 années entre 2001 et 2011). L’Institut note que le gouvernement Vivaldi s’engage à réduire ces écarts d’au moins 25 % d’ici à 2030. « L’objectif est parti- culièrement ambitieux ; l’espérance de vie en bonne santé dépend de multiples fac- teurs (accès aux soins, recours à la prévention, conditions de vie – travail, logement, exposition aux pollutions... –, hygiène de vie, etc.), dont l’amélioration prendra du Après avoir été capitaine de l’équipe temps », conclut l’Institut. nationale féminine en Égypte, cette joueuse de football est la première femme à entraîner un club professionnel masculin dans son pays. « Il y a Des pays ligués contre le généralement des moqueries au début, a-t-elle déclaré à Reuters (27 octobre). droit à l’avortement Mais ensuite, ils [les joueurs, ndlr] réalisent International. 32 pays, parmi sociaux des États-Unis. « Il n’y a pas qu’ils vont apprendre quelque chose, qu’ils lesquels les États-Unis, le Brésil ou de droit international à l’avortement, vont développer leurs compétences. » l’Égypte, ont cosigné une déclaration ni d’obligation des États de financer ou À notre connaissance, aucune femme commune qui s’attaque au droit à de faciliter l’avortement », affirme la n’a encore entraîné une équipe l’IVG (Libération, 23 octobre). Cette déclaration. Les signataires soulignent professionnelle masculine en Belgique. « déclaration pour la santé de la leur volonté d’une souveraineté femme et le renforcement de la nationale pour les lois liées à l’IVG. En famille » a été dévoilée par Alex Azar, Europe, la Biélorussie, la Hongrie et la ministre de la Santé et des Services Pologne font partie des signataires. Explosion des suicides chez #MeToo à Copenhague les femmes Danemark. Le maire de Copenhague, Frank Jensen, a démissionné le 19 octobre après avoir été accusé de harcèlement sexuel, a annoncé l’agence Japon. Le journal La Croix a publié une enquête de presse Reuters. Frank Jensen, âgé de 59 ans, va également quitter ses (21 octobre) de son correspondant au Japon, le journa- fonctions de vice-président du Parti social-démocrate danois au pouvoir. liste Yuta Yagishita. « Depuis juillet, le nombre de suici- Il était maire de la capitale du Danemark depuis 2010. Sa démission a été des, qui était pourtant en baisse ces dernières années, a saluée par la Première ministre Mette Frederiksen, qui l’a qualifiée sur augmenté de 45 % chez les femmes et de 55 % chez les Facebook de « bonne décision ». Deux femmes ont témoigné du fait que jeunes de moins de 30 ans », observe le journaliste qui lie le maire de Copenhague les a contraintes à des contacts physiques en ces chiffres à la crise sanitaire, au chômage et à la préca- 2012 et 2017 lors d’événements publics, ce qu’il a reconnu en estimant rité des femmes japonaises. « Au Japon, les femmes sont faire partie d’une culture « nocive » et « ancienne » au sein de sa formation dans une position fragile par rapport aux hommes dans la politique. Selon Reuters, d’autres affaires de harcèlement sexuel ont éclaté vie familiale et professionnelle », estime Chiaki Kawanishi, ces derniers mois au Danemark avec des témoignages de plus en plus professeur à l’Université de médecine de Sapporo, inter- nombreux de femmes disant avoir été victimes de tels faits en politique, viewé dans l’article. dans les médias et l’industrie du cinéma. n° 234 / Décembre 2020 9
¥ brèves d’ici et d’ailleurs Sexisme La pandémie impacte et gastronomie l’éducation des filles France. Une enquête de Libération publiée le 22 octobre révèle les violences que subissent les femmes qui travaillent dans le milieu de la gastronomie. « Violence verbale, attouchements, bizutage, agressions sexuelles… Le monde de la cuisine est largement concerné par des pratiques abusives qui touchent particulièrement les femmes », écrit le journal qui donne la parole à Camille Aumont Carnel : elle a créé le compte Instagram Je dis non chef !, qui visibilise les témoignages de femmes harcelées, agressées et violées CC Yogendra Singh / Unsplash dans les cuisines des restaurants français pour briser l’omerta de ce milieu. International. Les conséquences de la crise du coronavirus ont été pointées par l’Organisation des Nations Unies pour l’édu- cation, la science et la culture (Unesco) dans un rapport publié à l’occasion de la Journée internationale de la fille, le 11 octobre. « Malgré une augmentation à tous les niveaux de l’éducation, les filles sont toujours plus susceptibles d’être exclues que les garçons, D.R et cette exclusion s’est accrue en raison de la pandémie actuelle », selon l’Unesco. Des millions de jeunes filles dans le monde ne vont pas à l’école. La crise sanitaire ne fait qu’amplifier le pro- blème. Découvrez ces articles sur www.axellemag.be : Pour l’IVG, Une La Sister’s les femmes journaliste House déterminées sous les a deux ans Pologne. Vendredi 30 octobre bombes Belgique. Pour l’occasion, à Varsovie, 100.000 personnes l’hébergement collectif déménage manifestaient en masse pour Haut-Karabakh. Stepanakert, dans un endroit mieux adapté aux demander la restitution du droit des capitale du Haut-Karabakh, est sous besoins des femmes migrantes. femmes à avorter. Car le Tribunal le feu des bombes azerbaïdjanaises Depuis 2018, ce lieu en a accueilli constitutionnel polonais a estimé depuis le 27 septembre. Pour axelle, près de 700. Le combat est que l’IVG en cas de malformation la journaliste Angelika Zakaryan encore long pour que la “Sister” grave du fœtus n’était pas conforme revient sur les racines de la guerre, ait le soutien qu’elle mérite, mais avec le droit constitutionnel ses conséquences spécifiques sur les les femmes qui l’ont bâtie sont à la vie… femmes du Haut-Karabakh déterminées. axelle fait le point avec Le gouvernement semble et partage les bouleversements Adriana Costa Santos et Delphine commencer à plier : reportage dans qui la traversent. Demanche, fondatrices. les rues de la capitale polonaise. 10 n° 234 / Décembre 2020
¥ à Vie Féminine, on dit quoi ? Le mouvement féministe d’action interculturelle et sociale s’exprime sur un sujet lié à l’actualité des femmes. Vivaldi et les droits des femmes : où sont passés les engagements de la Belgique ? Ce 18 décembre marque le 41e anniversaire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (la CEDEF, ou CEDAW en anglais). Vie Féminine s’intéresse depuis longtemps à cet instrument fondamental qui, encore récemment, a rythmé le mémorandum du mouvement à l’occasion des élections de mai 2019.1 E n ces moments de crise sanitaire, il n’est pas superflu de rappeler que les droits des femmes sont protégés au niveau international. Adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies et ratifiée en 1985 par la Belgique, la CEDEF a force de loi dans notre explicitement aux stéréotypes et aux pré- jugés pour expliquer ces discriminations. Tous les quatre ans, l’État belge remet au Comité d’expert·es de l’ONU un rapport sur sa politique concernant les droits des femmes. À la lecture du dernier rapport, ce comité a exprimé plusieurs observations. élémentaires des femmes. On aurait donc pu s’attendre à découvrir un accord gou- vernemental qui propose une politique ambitieuse pour garantir les droits des femmes dans tous les domaines de la vie sociale et économique. Quelle déception de n’y trouver aucune mention de la notion pays. Mais elle reste largement méconnue Parmi celles-ci, la nécessité de porter une des droits des femmes ! Cela est d’autant par le grand public ainsi que par les acteurs attention particulière à la protection des plus dommageable que l’accord contient et actrices impliqué·es dans le champ juri- groupes vulnérables (femmes, migrantes, toute une série de mesures qui touchent dique et dans la lutte pour l’égalité des pauvres, en situation de handicap, etc.). Ces à l’égalité des femmes et des hommes et femmes et des hommes. observations obligent l’État à y répondre qui rejoignent les revendications portées dans son droit interne. par Vie Féminine2. Une convention qui va très loin Vie Féminine continuera à rappeler à la L’objectif de la CEDEF est de défendre spé- Vivaldi à la loupe Belgique ses engagements internatio- cifiquement l’accès des femmes à tous leurs L’appel de Vie Féminine à l’occasion des naux et l’urgence de nommer clairement droits et à toutes leurs libertés. Elle couvre élections du 26 mai 2019 avait été entendu les droits des femmes : cela permet de de nombreux domaines : éducation, emploi par les partis politiques à la manœuvre dans leur donner une légitimité dans l’opinion et droits sociaux, santé, diplomatie, vie poli- les entités fédérées. Les déclarations de publique. tique, Justice, droit civil et familial, etc. politique des Régions et de la Fédération La convention souligne aussi certains Wallonie-Bruxelles introduisent un chapitre aspects liés à la position spécifique des sur les droits des femmes et s’engagent à femmes dans la société : la protection prendre appui sur la CEDEF. Quid de notre de la maternité des travailleuses, la lutte nouveau gouvernement fédéral ? contre différentes formes de violences Depuis le 1er octobre en effet, la Belgique ou encore l’accès à des services de santé a enfin un gouvernement, qui s’est consti- 1. « Garantir les droits des femmes. Priorités de Vie et d’éducation à la santé, notamment en tué en pleine crise sanitaire. Crise durant Féminine en vue des élections 2019. » matière de planification des naissances. laquelle Vie Féminine ainsi que d’autres 2. « Le gouvernement Vivaldi : sans les droits des La CEDEF permet enfin d’affiner la lecture associations et mouvements de femmes femmes mais… », Vie Féminine, octobre 2020. Lire aussi : « Accord de gouvernement : les féministes des discriminations directes et indirectes n’ont cessé d’alerter les politiques sur les réagissent », www.axellemag.be, rencontrées par les femmes, en se référant menaces qui pèsent sur les droits les plus octobre 2020 n° 234 / Décembre 2020 11
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Mieux que le père Noël : la sécurité sociale L a sécurité sociale est censée nous apporter une protection contre les risques de la vie : aucun père Noël ne peut rivaliser avec elle. Ce système solidaire, qui déploie son parapluie au- dessus de nos têtes depuis 76 ans, est menacé par les politiques d’austérité et par la marchandisation de santé et de la société. La sécurité sociale mériterait également d’être améliorée pour tenir compte des réalités de vie des femmes et des personnes vulnérables. La pandémie du Covid-19 a permis de mettre en lumière ces fragilités et ces manques, que l’accord de gouvernement de la coalition Vivaldi risque de ne pas résoudre. Manon Legrand (texte) et Laetitia Bica (photos) Manifestation organisée par le collectif La santé en lutte, 13 septembre 2020, Bruxelles. n° 234 / Décembre 2020 13
dossier 76 ans, fragilisée mais vaillante Voilà trois quarts de siècle que la sécurité sociale nous protège. Et la crise que nous traversons nous montre encore à quel point elle est vitale… À travers une campagne de sensibilisation, le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et ses organisations appellent à en (re)prendre soin. R —Manon Legrand enforcer la sécurité sociale. crise que nous traversons serait-elle donc une injustice. En faisant jouer la situation Cette exigence n’es t pas un moment-pivot, celui d’un nouveau familiale sur les droits sociaux, il engendre neuve. La sécurité sociale, « pacte social » ? L’heure en tout cas, pour « une couverture de seconde zone », moyen solidaire de protection le MOC et ses organisations, d’en appeler à déplore Soizic Dubot. Sa suppression et des citoyen·nes contre les aléas de la vie, la renforcer – la refinancer, la redéployer – à l’individualisation des droits sociaux (mais est menacée depuis une trentaine d’années travers une campagne de sensibilisation. pas à n’importe quel prix… ) figurent d’ail- par des politiques d’austérité et des orien- leurs au tableau des revendications de la tations néolibérales : diminution des coti- Des règles pensées campagne, comme le relèvement des mini- sations patronales, réduction du degré de sans les femmes mas sociaux et de la pension minimum, la couverture, entre autres mesures. Mais Soizic Dubot, coordinatrice nationale suppression des mesures qui pénalisent les l’édifice, trois quarts de siècle d’existence, à Vie Féminine, qui a rejoint la cam- personnes au chômage et les bénéficiaires tient bon, vaille que vaille. La crise sociale pagne, explique : « La sécurité sociale a été de l’aide sociale, etc. et sanitaire nous a montré son importance construite sur une norme qui ne correspond « Le Covid a aussi montré que certaines per- et ses forces. pas à la réalité de nombreuses personnes. sonnes sont tout simplement exclues de la L’accès aux soins de santé, c’est elle. Les Les règles sont pensées pour une personne sécurité sociale », souligne Soizic Dubot. allocations de remplacement pour les per- qui travaille à temps plein alors que la majo- Sans-papiers, travailleuses précaires… se sonnes en chômage temporaire, c’est elle. rité des femmes travaillent à temps partiel. » sont retrouvé·es du jour au lendemain Les mesures de compensation prises pour Ces inégalités s’observent à travers les pen- sans aucune ressource. En termes de soins les accueillantes d’enfants n’ayant pas de sions : l’écart entre celles des hommes et de santé, l’Aide Médicale Urgente, si elle statut de travailleuse, les congés parentaux celles des femmes est de 31 %. Et si le gou- existe, est difficile à obtenir. « Renforcer la étendus, le droit passerelle pour les indé- vernement a annoncé en grande pompe un sécurité sociale, c’est montrer qu’il s’agit de pendant·es, c’est aussi possible grâce à la relèvement de la pension minimum, il n’y renforcer les “droits” et les rendre effectifs », sécurité sociale. a pas de quoi réjouir les femmes, vous le défend Soizic Dubot. Mais pour la renforcer Mais le Covid a aussi montré qu’elle ne lirez dans ce dossier. et la revaloriser, « il faut aussi pouvoir la protège pas tout le monde de la même Le statut de cohabitant·e, touchant majo- connaître ». « La sécurité sociale nécessite façon : parfois pas assez, ou pas du tout. La ritairement les femmes, représente aussi aussi un travail d’éducation permanente », nous rappelle Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons En quelques mots médicales, interviewée dans la suite de ce dossier. En principe, la sécurité sociale protège chaque personne contre les risques de la vie : maladie, accident, dépendance, chômage… Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales, nous explique que ce système solidaire est menacé par les politiques d’austérité. Avec Clarisse Van Tichelen, économiste, elle analyse le volet 1. « La pension », Alter Échos n° 487, octobre 2020, et sécurité sociale de l’accord de gouvernement. « Longues vies et petites pensions », janvier-février Une campagne menée par le MOC appelle à refinancer et à améliorer la 2020, www.axellemag.be. sécurité sociale. 2. Hafida Bachir, « Individualiser les droits en sécurité sociale, mais pas à n’importe quel prix », Les Grenades-RTBF, 23 avril 2019. 14 n° 234 / Décembre 2020
La sécurité sociale en quelques repères Naissance : 1944. • La sécurité sociale est fédérale, ce qui n’est pas sans créer des tensions communautaires. Des régionalisations ont Financement déjà eu lieu, comme les allocations familiales, mais aussi • Cotisations salariales (2/3 du budget) le contrôle/l’activation des chômeurs/euses (le chômage • Intervention/dotation de l’État restant, lui, au fédéral). • Autres financements (TVA, accises – des taxes spécifiques sur certains produits comme le tabac) Ne pas confondre … pour un budget total avoisinant les 100 milliards d’euros. • L’« aide sociale » n’est pas la sécurité sociale. L’aide sociale Le plus gros poste de dépense, ce sont les pensions. existe pour les personnes qui ne sont pas dans l’emploi et ne cotisent donc pas pour la sécurité sociale. Elle comprend Fonctionnement le revenu d’intégration sociale, l’allocation sociale pour La sécurité sociale protège chaque personne contre les aléas, personnes âgées ou encore l’allocation aux personnes les risques de la vie. handicapées. L’ensemble du système classique de la sécurité sociale se • La « protection sociale » n’est pas la sécurité sociale. décompose en Elle se compose de la sécurité sociale mais compte aussi • 3 régimes : l’un pour les salarié·es, l’autre pour les les interventions d’organismes publics (bourses scolaires, indépendant·es et le troisième pour les fonctionnaires (au par exemple) financées par l’État (donc les impôts) et fédéral). d’organismes privés. • 7 branches : pensions de retraite et de survie ; chômage ; • L’allocation universelle ne fait pas partie de la sécurité assurance accidents du travail ; assurance maladie sociale. Elle pourrait même, selon ses détracteurs/trices, la professionnelle ; allocations familiales ; assurance obligatoire fragiliser.1 pour soins de santé et allocations ; vacances annuelles. Pour les indépendant·es, il existe aussi une sécurité sociale en cas de faillite ainsi qu’un système d’aide à la maternité. 1. « Allocation universelle, un piège pour les femmes ? » axelle n° 194, décembre 2016. Manifestation organisée par le collectif La santé en lutte, 13 septembre 2020, Bruxelles. n° 234 / Décembre 2020 15
dossier Fanny Dubois et notre besoin de solidarité Un samedi matin de septembre sur les ondes de la Première. Une voix immobilise la cuillère qui s’apprêtait à tourner délicatement dans la tasse de café. La voix parle d’approche sociale de la santé, d’autonomie des patient·es, évoque l’épuisement de la première ligne de soins, l’accroissement de la vulnérabilité sociale, dénonce la marchandisation de la santé... Un discours où s’entremêlent lucidité, conviction et notes d’espoir. Propos recueillis par Manon Legrand u micro, c’était Fanny Dubois, secrétaire générale de la Comment cela se manifeste-t-il ? Fédération des maisons médicales – il y en a 123 en « Tous les piliers de la sécurité sociale sont de plus en plus mena- Belgique : ce sont des centres de santé autogérés cés par les lois du marché. Arrêtons-nous sur l’assurance mala- et pluridisciplinaires, qui prennent en charge les die-invalidité, un pilier préservé des logiques d’austérité jusque patient·es de façon globale, en tenant compte dans les années 2000. Depuis plusieurs années, on observe des des déterminants sociaux de la santé (logement, alimentation, mesures de désolidarisation, comme les coupes budgétaires hygiène, etc.). Fanny Dubois occupe cette fonction depuis début imposées à cette assurance universelle. 2019, après avoir travaillé pour Solidaris et, plusieurs années Les besoins des citoyens sont évalués sur base des données du auparavant, comme aide-soignante dans un hôpital, un métier Bureau du Plan1. À partir de ces constats, les partenaires sociaux appris en parallèle de ses études de sociologie. Pour concilier – ou – les mutuelles, les prestataires de soins – et les représentants confronter – le geste au texte. du gouvernement se concertent à l’INAMI pour proposer au Contre les politiques d’austérité et la marchandisation de la santé, ministre de la Santé une simulation budgétaire qui répond aux Fanny Dubois défend notre besoin de solidarité. Un principe fon- besoins de santé publique. dateur de la sécurité sociale dont elle lève pour axelle certains Pour assurer que le budget suit l’évolution des besoins, liée au « mystères ». Elle soulève les menaces qui pèsent sur cette « vieille vieillissement démographique, au développement technologique, dame de 75 ans » dont il faut plus que jamais prendre soin. au progrès médical…, on établit un “pourcentage de norme de croissance”. Cette “norme de croissance” a longtemps tourné La sécurité sociale, on la connaît toutes et tous, autour de 4,5 % mais, sous Maggie De Block [Open VLD, ex-mi- mais on ne la comprend pas toujours. Comment la nistre des Affaires sociales, de la Santé publique, de l’Asile et de la définissez-vous ? Migration dans les gouvernements Michel II, Wilmès I et II, ndlr], « La sécurité sociale, c’est une assurance sociale et solidaire contre elle est redescendue autour de 1 %. Une réduction drastique qui les risques que tous les individus rencontrent dans la vie. Par a asséché le budget de l’assurance maladie-invalidité. “risques”, il faut entendre le vieillissement, la venue d’un enfant, En outre, l’ancienne ministre de la Santé a toléré des transferts une espérance de vie diminuée en raison d’un travail physique de budgets de la sécurité sociale vers le secteur pharmaceu- harassant, etc. Bref, l’ensemble des phénomènes et des aléas de la tique qui n’étaient pas prévus en début de législature. Le «Big vie qui ont comme influence une diminution de revenu pour l’indi- Pharma» [secteur pharmaceutique, ndlr] a dépassé de 1 milliard vidu. Cette définition défend l’idée que la société est responsable d’euros l’enveloppe budgétaire qui lui avait été octroyée, sans être des risques et doit faire face aux injustices. La sécurité sociale, sanctionné pour ces dépenses excessives. Ce double mouvement même si elle ne va pas rompre les inégalités, va octroyer des droits assèche le pot commun. Et les premières victimes sont celles aux individus dans une logique de solidarité, de pot commun. qui ont moins de poids dans la concertation sociale : les infir- À l’opposé de cette vision “solidaire”, il y a la version privatisée, mières, les aides-soignantes, la première ligne de soins comme qui considère que chaque individu est seul responsable de son les maisons médicales et les médecins généralistes. Sans comp- existence. À lui de se créer son filet de sécurité. On constate que ter les patients exclus du système comme les sans-papiers, les les logiques individualistes se renforcent. » sans-abri… 16 n° 234 / Décembre 2020
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