LA GRANDE INCONNUE AUTISME AU FÉMININ : LES FRONTS - LA VIOLENCE HORS DE CONTRÔLE - AXELLE MAGAZINE
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O c to b r e 2 0 2 0 / n ° 2 3 2 Cyberviolences conjugales La violence hors de contrôle Le féminisme rom Sur tous Mensuel. Bureau de dépôt : Bruxelles . Vie Féminine, 111 rue de la Poste, 1030 Bruxelles les fronts Autisme au féminin : la grande inconnue
sommaire 4 actualités Et puis quoi encore ? 6 Dans l’œil d’axelle 8 Brèves d’ici et d’ailleurs 11 À Vie Féminine, on dit quoi ? dossier en couverture 12 « Je m’adresse à cette femme, tout de Autisme au féminin : la grande inconnue blanc rayonnante, qui me sourit derrière son masque. Tandis que je capte son regard, je déclenche l’obturateur, les magazine barrières tombent. Un moment, une 19 Portrait | La vie de Latifa fraction du temps où il est légitime de sourire face à l’histoire, face au désastre 22 Société | Cyberviolences conjugales : la violence hors de contrôle qui nous unit, bien au-delà de l’image. » 25 Féminismes | Le féminisme rom : un combat aux multiples facettes Laetitia Bica. Le mot ne fait pas la femme | Maternelle, naturellement ? 28 Vues de Flandre | Inquiétantes « élites » 31 Photographie captée le dimanche 13 septembre lors de la manifestation L a chronique benoîte de Benoîte Bennett 32 pour la santé organisée par le collectif La santé en lutte, à laquelle ont participé culture des groupes de tous horizons, des 33 Musique | Fiona Apple membres du personnel soignant, des associations, des féministes… et des 34 Cinéma | Relic journalistes d’axelle (lisez ci-contre 35 Agenda l’édito de Camille Wernaers). 36 Bouquins en pratique 40 Elles sont partout | Paye Ton Tournage 41 Nos droits | Les frais extraordinaires : qu’est-ce que c’est et comment les réclamer ? 43 Bricolage | Comment fabriquer une lanterne ? 46 Jeu-concours 47 Cent ans d’action de Vie Féminine | Deuxième épisode Rédactrice en chef : Sabine Panet. Ont collaboré à ce numéro : axelle magazine est édité Secrétaire de rédaction : La bricoleuse, Louisa Bryone, Fanny Declercq, par Vie Féminine, Stéphanie Dambroise. Vanessa D’Hooghe, Anaïs Feyens, Émilie Mouvement féministe 111, rue de la Poste – 1030 Bruxelles Herbert-Pontonnier, Irène Kaufer, Véronique d’action interculturelle Tél : 02/227 13 19 Éditrice responsable : Anne Boulvin. Laurent, Manon Legrand, Juliette Masquelier, et sociale. Crédits photographiques : axelle@skynet.be – www.axellemag.be Sabine Panet, Marion Sellenet, Candela www.viefeminine.be lorsqu’elle est indiquée, la mention « CC » www.facebook.com/axellemagazine Sierra, Cécile Vanneste, Camille Wernaers. Il est réalisé par une rédaction spécifique fait référence aux licences « Creative Commons » dont les détails sont Cahier d’actus : Camille Wernaers au sein du mouvement, ainsi que par des disponibles ici : Photographie de couverture : journalistes indépendant·es. https ://creativecommons.org/choose © Laetitia Bica Notre magazine fait exister les femmes dans la grammaire et dans le vocabulaire. Plus d’infos sur nos pratiques linguistiques : www.axellemag.be 2 n° 232 / Octobre 2020
¥ édito Quand la police muselle les soignant·es i la police charge, il faut absolument que vous protégiez cette personne qui est en situation de handicap. » Plus tard, la police a chargé la fin du cortège. Des manifestant·es ont été poursuivi·es jusque dans une rue adjacente. Sur les réseaux Cette phrase qui fait froid dans le dos, une journaliste sociaux, des infirmières témoignent anonymement : la police et une photographe d’axelle l’ont entendue alors que avait demandé à certaines d’entre elles de retirer leurs blouses des policier·ères bloquaient l’avancée de la manifes- de soignantes, probablement pour empêcher que des images tation pour la santé organisée par le collectif La santé d’arrestations du personnel soignant soient diffusées et fassent en lutte, dimanche 13 septembre à Bruxelles. polémique. 35 personnes ont été arrêtées, non sans violences Nous suivions une infirmière pour un article. Le personnel de santé, policières. Le collectif Street-Medic – des secouristes qui opèrent composé à 80 % de femmes selon les statistiques officielles, dans les manifestations – a fait les comptes : une cinquantaine de réclamait ce jour-là plus de budget, moins de marchandisation personnes gazées par la police (la plupart du temps à des distances dans le secteur du soin ou encore plus d’effectifs pour nous soigner dangereuses pour les yeux, ce qui comporte un risque de brûlures correctement. Des revendications qui ne sont pas nouvelles, mais chimiques) ; un violent coup de matraque porté à la tête d’un mani- que la crise sanitaire rend visibles. Notre témoin, qui a vécu de festant a entraîné une plaie ouverte importante ; deux personnes près la pandémie de Covid-19 et ses conséquences, attendait cette ont eu chacune deux doigts brisés par des coups de matraques, manifestation depuis des mois pour crier sa colère. d’autres ont reçu des coups de pied de la part des policier·ères et C’était sans compter sur la police anti-émeute et son autopompe plusieurs côtes cassées ont été diagnostiquées. À quoi servait ce dressée sur le chemin des 7.000 manifestant·es. D’un coup, nous coûteux dispositif policier ? Après avoir félicité le personnel de n’avons plus entendu les slogans « Du fric pour l’hôpital public » santé pour son travail, est-ce que nos politiques préféreraient et « Hôpital précaire, patient au cimetière ». Derrière nous, une qu’il se taise ? Des questions qui nous concernent toutes et tous. soignante répétait dans son mégaphone : « Laissez-nous passer ! » Notre photographe a pu se faufiler près des policier·ères pour Camille Wernaers prendre quelques images. Elle raconte : « Ils m’ont demandé ce que je faisais là. J’ai dit que j’avais le droit de circuler. Un policier m’a AXELLE Sur le web rétorqué que je devais choisir mon camp et que j’aurais dû réfléchir avant de venir. Je lui ai répondu qu’eux aussi devraient réfléchir et Exclu web : une fois par mois, qu’il n’y a pas de camps. » axelle prend une personnalité belge par la main, pour la connaître… sur le bout des doigts. Ce mois-ci : la philosophe Pascale Seys. D.R. Rendez-vous sur axellemag.be Abonnement Infos : Adwoa Oppong, 02 227 13 22 mouvement, et vous recevez Les annonces publicitaires n'engagent Pour vous abonner, il suffit de faire la ou par mail : abonnement@axellemag.be tous les numéros d’axelle. que leurs auteur·es. demande par écrit, téléphone ou mail. Vous pouvez aussi, sur simple demande, Cotisation : 24 € par an. Conception graphique : Référez-vous au talon page 45. recevoir ou faire parvenir à quelqu’un·e Compte : BE33 7775 9958 3146 Cécile Crivellaro, Emmanuel Troestler, Abonnement d’un an Belgique : 29 € un exemplaire d’axelle gratuitement, sans de Vie Féminine (BIC : GKCCBEBB). Françoise Walthéry. pour 10 numéros (8 numéros mensuels, engagement. Si vous êtes membre de Vie Courrier des lectrices : Mise en pages : 1 numéro double hors-série janvier-février, Féminine, vous recevez automatiquement axelle, courrier des lectrices Cécile Crivellaro. 1 numéro hors-série juillet-août). tous les numéros d’axelle. 111 rue de la Poste – 1030 Bruxelles Impression : Hayez. Étranger : Europe 64 €, hors Europe 78 € Affiliation axelle@skynet.be (la différence de prix avec la Belgique est En devenant membre de Vie Féminine, Les courriers anonymes due aux frais postaux). vous soutenez un mouvement féministe, ne sont pas pris en considération. Compte : BE13 7755 9620 2639 de Vie vous bénéficiez de tarifs avantageux Publicité : Publicarto (053 82 60 80) Féminine (BIC : GKCCBEBB). pour des activités et des publications du Magazine publié sans but lucratif. n° 232 / Octobre 2020 3
Et p u i s quoi Ni juge ni futée « L’égalité homme-femme n’existe pas, nous sommes complémentaires et c’est ça qui est beau. Si nous étions pareils, nous serions interchangeables et cela n’aurait aucun sens. » Illustration de cette « complémentarité » : « Pour avoir des bébés, la femme attire un homme pour se faire posséder [...]. Les bébés arrivés, j’ai bien peur que la femme ne choisisse ensuite et instinctivement de ne plus prendre de risques pour les protéger, là où l’homme continue d’aller chasser – ou pas d’ailleurs – à l’extérieur… » Voilà le genre de commentaire qu’on s’attend à entendre au bistrot autour d’un verre de bière... Mais ici, celle qui s’exprime, dans L’Echo du 14 août, est la juge Anne Gruwez, personnage central du désormais fameux film Ni juge ni soumise. On avait déjà eu l’occasion d’y goûter sa brutalité, renommée « franc-parler » que certain·es ont trouvé « poilant » mais d’autres plein de mépris, à la limite du classisme et du racisme. Voilà, on sait donc ce qu’elle pense des femmes... Cachez ce sein... Cuisine « Trois jeunes femmes demandaient l’aide des agents, après avoir été Parce qu’elles ne portaient pas de masque, les jeunes femmes n’ont pas indigeste sexuellement intimidées par un uniquement pris une amende, mais Après le cinéma, le sport, le monde de l’édition, des homme. Mais une altercation entre elles ont aussi été emmenées au médias... voici donc la gastronomie et ses coulisses la police et les jeunes femmes s’en commissariat où elles ont été mal- indigestes. Dans une enquête publiée le 16 août, le site est suivie. Finalement, elles ont été menées, y compris physiquement, culinaire Atabula a recueilli le témoignage de jeunes interpellées et ont reçu une amende. » l’une d’elles en sortant avec des frac- cheffes qui dénoncent des pratiques de harcèlement, Voilà comment la RTBF résumait tures au poignet et au coude ! Pour allant des mains baladeuses et des sms insistants l’« incident » qui a conduit à une sa défense, la police plaide que les jusqu’aux agressions et menaces de la part de petits manifestation contre les violences jeunes femmes étaient « survoltées » et de grands chefs. Depuis un an, le compte Instagram policières sexistes à Saint-Gilles, et en « tenue légère ». « Les seins des « Je dis non chef ! » compile les commentaires enten- le 22 août dernier. Une semaine jeunes femmes sont visibles », indique dus par des femmes dans le milieu de la restauration, plus tôt, effectivement, trois jeunes même son communiqué cité par y compris de luxe. À force de subir le sexisme au quo- femmes demandaient l’aide d’une BX1 (qui a retracé toute l’histoire). tidien, certaines ont même préféré rendre leur tablier. patrouille de police contre le har- Sachez-le donc, mesdames : porté « Même sans attouchement, entendre des blagues cèlement d’un homme. L’homme a correctement, le masque doit non lourdes tous les jours, à force, ça ne donne plus envie été verbalisé, mais ensuite, le ton est seulement cacher la bouche et le d’aller bosser », regrette Alexia Duchêne, candidate de monté entre les femmes et la police. nez, mais aussi les seins. . la dixième saison de l’émission « Top Chef ». u accoucheras dans la douleur, T seule et avec un masque On sait désormais à quel point le confinement a aggravé les violences conjugales, en obligeant des femmes à rester enfermées avec un conjoint menaçant. Ce qui a été moins médiatisé, ce sont les conditions dans lesquelles des femmes ont dû accoucher durant cette période. Une série de témoignages ont été relayés par Marie-Hélène Lahaye sur son blog Marie accouche là, suite à une enquête menée par le collectif « Tou·te·s contre les violences obstétricales et gynécologiques » auprès de 2.700 femmes ayant accouché entre le 15 février et le 31 mai 2020 en France. Trois formes de violences se sont ajoutées aux violences obstétricales « habituelles » : l’interdiction de la présence de la/du conjoint·e, l’obligation du port du masque et une augmentation des déclenchements non justifiés médicalement. Accoucher seule et masquée, quand on sait l’importance de la respiration ainsi que d’une présence proche : on imagine le calvaire... 4 n° 232 / Octobre 2020
iencore ? lité ous révolt e L’ac tua qui n lus tr ation s : Odile B r ée ufer – Il Par Irène K a Ce mortel Cachez ce sein, bis ennui Ce n’est pas ici qu’on va débattre sur une photo les seins nus, ce qui On ne fera pas à Mazarine Pingeot l’offense de la des supposées « valeurs » de est contraire au règlement. Mais présenter comme « la fille de » François Mitterrand. l’élection de Miss France. Mais qu’a non, il ne s’agissait ni d’un film Sa notoriété, elle la doit largement à elle-même, donc fait la malheureuse Anaëlle porno, ni d’une publicité pour un comme autrice de plusieurs romans. Mais Guimbi pour être exclue de la yaourt ou une voiture : la photo l’accepterait-elle, ce terme d’« autrice », elle qui compétition pour le titre de Miss fait partie d’une campagne de publie dans Le Monde du 28 juillet une charge Guadeloupe, comme on a pu le lire sensibilisation au dépistage du contre le « néoféminisme », qui ne lui procure sur le site du Huffington Post du cancer du sein. Une grave entorse qu’un « mortel ennui » ? Les « extrémistes de la 22 août ? Eh bien, elle est apparue au règlement, donc. médiocrité au nom de l’éthique » auraient abandonné tout combat politique, pour se centrer sur « le onfinement C ressentiment, la vengeance, la délation et la vindicte » (reconnaissons-lui au moins un certain vocabulaire, et « disparition » ou un bon dictionnaire de synonymes). En point de mire de son flingue médiatique, les coupables d’une de femmes « morale adossée à la haine [...] avec le but avoué de détruire psychiquement et socialement des cibles qui sont toutes masculines, blanches et d’un certain Si les violences contre les femmes ont augmenté durant la crise du âge. » Nous y voilà ! Le pauvre homme blanc Covid-19 dans nos pays, en Amérique latine, la situation est encore bien occidental, pourchassé de partout, a enfin plus dramatique. Ainsi le site Terriennes de TV5Monde rapportait le 14 août trouvé quelqu’une pour le défendre. Il en que durant les trois mois et demi de confinement, au Pérou, près de a bien besoin : il suffit de voir une 1.000 femmes ont « disparu », dont plus de 600 mineures. réunion de chefs d’État, une tribune Les « disparitions » sont un fléau récurrent dans ce pays, mais pas à ce d’« experts », une liste d’artistes niveau-là. Et l’on sait, par l’expérience des années précédentes, que derrière reconnus et primés, pour la plupart de ces « disparitions », il y a des violences de genre : viols, traite constater à quel point ce de femmes à des fins d’exploitation sexuelle et économique, féminicides. malheureux est chassé de L’expression « c’est pas le Pérou » prend ici un sens terrible... partout. Triste coïncidence : cette tribune est publiée le jour Esprit du temps, même du décès de Gisèle Halimi, cette avocate qui a mis toute son es-tu là ? énergie au service de la « cause des femmes ». Cet automne, à la VRT, la série populaire « FC De Kampioenen » fêtera ses trente ans. En attendant durant l’été, la saison 13 a été rediffusée. Mais pas toute la saison. En effet, l’épisode 2 a été tout simplement supprimé, également de la plateforme vidéo de la chaîne. Motif : les « plaisanteries » racistes dont fait l’objet le personnage central de l’épisode, un Camerounais Et vous, qui loue une chambre chez la patronne du café. « Ah, vous mangez aussi qu'est-ce qui vous révolte ? avec un couteau ? Et tu connais la confiture ? » ou encore « On ne peut faire Vous voulez faire savoir aux autres lectrices d’axelle confiance à aucune crolle de ce nègre… » Voilà le genre de répliques censées ce qui vous indigne dans notre monde sexiste, raciste faire rire le public. Le plus remarquable peut-être est l’explication de cette et capitaliste ? disparition donnée par le porte-parole de la VRT : « L’épisode n’est plus adapté à l’esprit du temps ». Faut-il en conclure qu’il correspondait à l’« esprit du Écrivez-nous à axelle magazine, temps » d’il y a 18 ans, quand il a été tourné ? Ou plutôt que désormais, le Et puis quoi encore ? racisme, comme le sexisme ou l’homophobie, ne « passe » plus ? Ce n’est 111 rue de la Poste – 1030 Bruxelles pas parce qu’« on ne peut plus rien dire », mais parce que d’autres ont enfin ou à axelle@skynet.be également pris la parole... n° 232 / Octobre 2020 5
Abreu vé e d’imag axelle ch es, o décaler so isit d e n regard sélection et ne chaqu un ins tan e mois tané oub d e l’act u lié alité. B iélorussie, une révolution au féminin pluriel Depuis le 9 août dernier, les manifestant·es descendent dans les rues de Minsk, en Biélorussie, pour protester contre la réélection du président Alexandre Loukachenko, reconduit avec 80 % des voix au terme d’une élection contestée. Considéré comme « le dernier dictateur d’Europe » (Le Soir, 9 août), il gouverne le pays depuis 26 ans. La police antiémeute, présente massivement, a tiré à balles réelles sur les manifestant·es. Des milliers de personnes ont été arrêtées, d’autres ont été blessées par balle. Deux personnes au moins ont été tuées (Le Soir, 13 août). L’opposante Svetlana Tikhanovskaïa, qui était candidate à la présidentielle face à Alexandre Loukachenko, a dû fuir le pays et se réfugier en Lituanie, un État voisin. La lauréate du prix Nobel de littérature 2015, Svetlana Alexievitch a quant à elle été convoquée fin août au comité d’enquête pour être interrogée sur le conseil de coordination, un organe créé par l’opposition pour promouvoir une transition du pouvoir et dont elle est membre (Le Monde, 26 août). Svetlana Alexievitch est repartie en refusant de répondre aux questions des enquêteurs : « Je ne me sens coupable de rien », a lancé l’écrivaine de 72 ans à la presse. Si les femmes sont particulièrement mises sur la sellette par le régime, ce sont également elles qui se retrouvent en première ligne des manifestations. Des chaînes humaines et des marches pacifiques de solidarité se sont multipliées dans le pays, initiées par des centaines de femmes vêtues de blanc et tenant des fleurs dans les mains. Elles dénoncent les violences qui s’exercent sur les manifestant·es – comme ce fut le cas du père de la petite fille prise ici en photo le 30 août à Minsk : il a été battu par des policiers alors qu’il manifestait. « L’amour ne s’impose pas par la force », était-il écrit sur une banderole lors d’une de ces marches, rapporte l’AFP (12 août). L’une des marcheuses en blanc a expliqué au micro d’Arte (Biélorussie : chronique d’une révolution, 29 août) : « Les femmes n’ont pas d’autre choix, quand les hommes manifestent, ils se font tabasser et mutiler. C’est également le cas des femmes, mais si nous sommes assez nombreuses, assez courageuses et si nous nous habillons de manière festive, ils [les policiers, ndlr] vont peut- être avoir peur d’employer la force physique contre nous. Nous n’allons pas © Sidney Léa Le Bous, Hans Lucas via AFP rester silencieuses, sans réagir face à toutes les injustices qui sont en train de se produire. Ce combat nous concerne toutes et tous et nous sommes prêtes à nous battre jusqu’au bout ». Selon le même reportage, le gouvernement continue de faire pression sur les journalistes. De nombreux journaux ne sont plus vendus et des journalistes de l’AFP ou encore de la BBC ont perdu leur accréditation en Biélorussie, ce qui ne présage rien de bon pour une information indépendante sur la situation dans le pays… (C.W.) n° 232 / Octobre 2020 7
¥ brèves d’ici et d’ailleurs « Leur haine, Molenbeek adopte la nos mortes » « neutralité inclusive » France. C’est l’une des phrases contre les Belgique. Le règlement de travail au sein de l’administration féminicides que des colleuses de Montpellier molenbeekoise a été modifié le 1er septembre. Une clause de non- ont l’habitude d’apposer sur les murs. Pour discrimination a été ajoutée et la « neutralité inclusive » a été adoptée. cela, elles reçoivent des insultes ou des jets Concrètement, cela signifie que, lors de ses recrutements, la commune d’objets, ou encore pire : le 30 août dernier, un de Molenbeek s’engage à refuser les discriminations basées sur l’âge, automobiliste leur a délibérément foncé dessus l’orientation sexuelle, la croyance, les convictions philosophiques et alors qu’elles collaient des slogans féministes politiques, la langue, etc. « L’inscrire dans le règlement du travail permettra dans la rue (source : revue La mule du pape sur donc enfin l’embauche parmi les fonctionnaires de la commune de personnes le blog de Mediapart). Deux d’entre elles ont affichant des signes convictionnels, notamment des femmes adultes portant été légèrement blessées, une troisième a dû le foulard, et qui jusqu’alors en étaient exclues », a réagi sur sa page Facebook se rendre à l’hôpital suite à des blessures plus le collectif « Les 100 diplômées », qui lutte contre les discriminations dont graves. En patriarcat, coller des slogans fémi- sont victimes les femmes portant un foulard. « C’est le début d’une nouvelle nistes dans l’espace public, c’est parfois risquer ère ; celle de l’acceptation de la diversité mais aussi de la construction d’une sa vie... administration publique à l’image de notre société. » Des déménageurs/euses pour les femmes victimes de violences conjugales Canada. Une association de déménageurs/euses aide les femmes victimes de violences à éva- cuer leur domicile rapidement (France Inter, 25 août). Shelter Movers (« Transit Secours » dans sa version francophone) est un service gratuit qui permet d’installer les victimes, leurs enfants et leurs affaires en lieu sûr en cas de violences conjugales, le tout maximum 4 heures après avoir reçu l’alerte. Concrètement, les déménageurs/euses chargent toutes les affaires de la victime dans un camion puis les acheminent dans un entrepôt mis à disposition pendant que la victime est placée dans un lieu sécurisé. Des centaines de femmes ont déjà bénéficié de leurs services. Cette aide est aujourd’hui disponible dans les villes de Toronto, Ottawa, Vancouver et Halifax, elle le sera bientôt à Montréal et repose uniquement sur des dons. La bonne nouvelle du mois Une statue de trois © Meredith Bergman (sculptrice), projet « Monumental Women » féministes érigée à New York Belgique. Central Park est un monument en lui-même à New York : cela fait 167 ans qu’il apporte de la verdure dans le quotidien des habitant·es. De nombreuses statues émaillent ses allées, montrant majoritairement des hommes blancs, tels que Christophe Colomb ou Beethoven. Les femmes représentées, elles, sont imaginaires – comme Alice au pays des merveilles... Cela a changé le 26 août : trois femmes de bronze se sont dressées sur plus de quatre mètres de hauteur. « Le Monument des pionnières des droits des femmes » met en scène des féministes qui ont réellement existé : Susan B. Anthony, Sojourner Truth et Elizabeth Cady Stanton. Toutes trois ont combattu pour le droit de vote des femmes. 8 n° 232 / Octobre 2020
Antoinette 90 % Le chiffre du mois. C’est le pourcentage de femmes qui, pour le même Spaak, dosage d’un médicament, font l’expérience d’effets secondaires plus graves que les hommes (nausée, migraine, hallucinations, anomalies cardiaques), la pionnière selon une étude de juin 2020 qui s’intéresse à 86 produits courants, comme des antidépresseurs ou des médicaments cardiovasculaires. « Le dosage unique étant basé sur celui d’un homme, il ne correspond pas à une majorité de femmes, note le site Numerama (14 août). La raison n’est pas une différence de morphologie, de poids, de taille ou de corpulence. Il s’agit d’une cause médicale connue scientifiquement : la pharmacocinétique. Cela renvoie à la façon dont se comporte la substance active d’un médicament après que celui-ci a été administré dans l’organisme : l’absorption, la distribution, la métabolisation de la substance active. » Or, cette « pharmacocinétique » est différente selon le sexe © European Union - EP des patient·es. L’article prend l’exemple d’un somnifère puissant, le Zolpidem, qui reste plus longtemps dans le sang des femmes, causant une somnolence matinale ou, plus grave, des accidents de la route. En 2013, l’administration sanitaire américaine a réduit la dose recommandée aux femmes. La femme du mois. Antoinette Spaak est décédée à l’âge de 92 ans. Elle restera la Les travailleuses première femme belge à avoir pris la présidence d’un parti. Lorsqu’elle domestiques veulent fut à la tête du FDF (aujourd’hui DéFI), en 1977, le monde politique rentrer chez elles était encore totalement dominé par les hommes. Petite-fille de Marie Liban. Environ 250.000 travailleuses domestiques vivent au Liban. Venues de pays asia- Janson (la première femme élue en tiques et africains, elles espèrent subvenir aux besoins de leur famille restée au pays. Ne Belgique) et fille de Paul-Henri Spaak relevant pas du Code du travail, elles sont soumises au système de la « kafala » : elles sont (ancien Premier ministre belge), « parrainées » par un·e employeur/ Antoinette Spaak disait avoir reçu euse qui en est donc légalement res- la politique en héritage. Elle laisse ponsable. Bien souvent, cela revient aussi un grand héritage pour les à avoir son passeport confisqué, mais femmes politiques, qui lui ont rendu aussi, dans de nombreux cas, à ne femmage (Grenades-RTBF, 30 août). pas recevoir son salaire et à subir des « J’étais très proche d’elle, confie abus. L’exploitation de ces femmes Laurette Onkelinx (PS), ancienne s’est aggravée avec la crise économi- vice-Première. Quand je suis arrivée que qui ravage le pays et leur situa- au Parlement comme députée en tion est devenue particulièrement 1988, j’avais tout juste 30 ans et tragique après l’explosion du 4 août, je découvrais cet univers-là. Je me qui a ravagé le port de la capitale, souviens qu’elle est venue vers moi fait des centaines de mort·es et des et qu’elle m’a accueillie dans tous les milliers de blessé·es. « Il s’agit d’un © ANWAR AMRO / AFP sens du terme. Elle m’a prévenue qu’il moment terrible pour les travailleuses s’agissait d’un univers pas facile et que domestiques », raconte à axelle Farah Salka, directrice exécutive du Mouvement Anti- je risquais de tomber sur des hommes Raciste (ARM). « Si vous imaginiez un cauchemar, vous ne pourriez pas imaginer ça. Et vous parfois désagréables. Elle m’a dit pouvez multiplier les dommages par dix pour les travailleuses domestiques. Elles demandent qu’elle serait toujours là pour moi, quoi juste à rentrer chez elles ! Elles sont encore sous le choc de l’explosion, comme nous. Certaines qu’il arrive et même si nous n’avions ont disparu, certaines sont mortes, les autres sont parfois blessées, et elles ne reçoivent aucun pas les mêmes avis. C’était pour moi un soutien pendant cette crise. Et au milieu de ce chaos, elles sont abandonnées à la rue. C’est accueil remarquable sur le plan devenu une scène commune à Beyrouth : des centaines de migrantes à même le sol, sans abri. » de la sororité. » Extrait d’un reportage de Florence Massena à lire en intégralité sur notre site www.axellemag.be n° 232 / Octobre 2020 9
¥ brèves d’ici et d’ailleurs Abus sexuels : une école Une de danse ferme ses portes réglementation Écosse. L’antenne écossaise d’une école de danse célèbre dans le monde entier, durcie sur Ballet West, va fermer après qu’une enquête judiciaire a été ouverte sur les abus sexuels de son directeur adjoint, Jonathan Barton. Dans une investigation l’avortement en menée par ITV News (13 août), plus de 60 femmes – dont d’anciennes élèves, des membres du personnel et de mères – s’étaient manifestées pour témoigner cas de viol de « comportements inappropriés » de la part du directeur adjoint. Les premiers témoignages remontent à 2004. Dans le reportage, Brésil. Le plus grand pays d’Amérique latine une des témoins explique : « J’avais 16 ans. Il a abusé a mis de nouveaux obstacles à l’accès à de sa position de pouvoir. Il avait un accès facile pour l’avortement pour les femmes victimes de viol, entrer et sortir de ma chambre quand il le souhaitait. avec notamment l’obligation pour le personnel Vous ne pouvez pas vous éloigner de lui. Il est très médical de proposer à la femme de voir l’embryon charmant et puissant. » Une autre, ex-membre du ou le fœtus par échographie (AFP, 29 août). Les personnel, indique avoir décidé de quitter son emploi femmes qui souhaitent avorter à la suite d’un viol CC Nihal Demirci / Unsplash à cause du comportement de Jonathan Barton : « Je devront également « raconter en détail » ce qui sentais que je le soutenais en faisant entrer ces nou- s’est passé et risquent des poursuites judiciaires velles étudiantes qui étaient si contentes. Je pouvais si elles ne peuvent pas prouver leurs dires. Le viol voir que les filles précédentes avaient été brisées. » sera obligatoirement signalé à la police avec dépôt de plainte, que la femme le veuille ou non. Violences sexuelles et intrafamiliales : des formations obligatoires pour les magistrat·es Belgique. En plein mois d’août, le Moniteur belge les mauvaises connaissances et les préjugés à ces sujets sont informait que le Code judiciaire a été modifié pour prévoir l’une des causes du faible taux de condamnation des auteurs des formations en matière de violences sexuelles et de violences (Les Grenades-RTBF, 21 août). Les formations intrafamiliales pour tous·tes les magistrat·es. Une demande seront données par l’Institut de formation judiciaire et de longue date des associations féministes, qui estiment que concernent les magistrat·es des tribunaux pénaux et civils. « Louise Michel », un bateau féministe pour secourir les migrant·es Méditerranée. Un nouveau navire circule pour secourir des migrant·es, le Louise Michel. Un nom qui ne doit rien au hasard, Louise Michel étant une anarchiste féministe française du 19e siècle. Le bateau est mené par la capitaine Pia Klemp et a été décoré et financé par le street artiste Banksy. Seules les membres féminines de l’équipage parlent publiquement du projet qui est « d’abord anarchiste, puisqu’il entend défendre la convergence des luttes pour la justice sociale, dont les droits des femmes et des LGBTQI, l’égalité raciale, les droits des migrants, la défense de l’environnement et les droits des animaux », explique Lea Reisner, une © Chris Grodotzki – Ropi/Zuma Press infirmière en charge à bord des opérations de secours (AFP, 29 août). Le bateau a déjà sauvé plus de 200 personnes alors que l’année 2020 est marquée par une recrudescence d’embarcations en Méditerranée centrale, route migratoire la plus meurtrière du monde pour les candidat·es à l’exil vers l’Europe, venu·es pour l’essentiel de Libye et de la Tunisie voisine, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Plus de 300 migrant·es ont péri en mer cette année. 10 n° 232 / Octobre 2020
¥ à Vie Féminine, on dit quoi ? Le mouvement féministe d’action interculturelle et sociale s’exprime sur un sujet lié à l’actualité des femmes. Pour un plan d’action interfédéral de lutte contre le racisme Nous savons que le contexte actuel n’est pas propice aux solidarités : la montée du racisme et le climat sécuritaire vont à l’encontre du modèle de société que nous défendons collectivement. C’est pourquoi Vie Féminine soutient la coalition NAPAR : nous demandons aux autorités d’adopter un plan d’action interfédéral de lutte contre le racisme. L a crise sanitaire actuelle, la crise De plus, pour nous, il est primordial de nombreuses régions une initiative appelée économique, les mesures poli- prendre en compte la dimension du genre « La Fabrique des solidarités ». Avec ce pro- tiques d’austérité, le gouffre dans la lutte contre le racisme, car les jet d’éducation permanente, les femmes grandissant entre les plus riches femmes racisées vivent des discriminations expérimentent concrètement des solida- et les plus pauvres, la peur de spécifiques qui les placent à l’intersection rités, à partir de deux portes d’entrée : la basculer dans la précarité sont des réalités des deux systèmes de domination que sont réflexion et l’action. En multipliant les lieux vécues par un grand nombre de personnes le racisme et le patriarcat, en plus d’autres de mixité sociale et culturelle, les espaces aujourd’hui en Belgique. Dans ce contexte, systèmes d’oppressions (tels que le capi- de rencontre et de confrontation d’idées, « l’autre », celle ou celui que l’on renvoie à talisme, l’homophobie, le validisme, etc.). « La Fabrique des solidarités » permet de une appartenance réelle ou supposée – liée à La prise en compte du genre dans la lutte lutter collectivement contre le racisme et la couleur de peau, la religion, la nationalité, contre le racisme est également fonda- contre les préjugés. le pays d’origine des parents, etc. –, peut ins- mentale pour les personnes sans papiers Ce projet est complété par la mise en place pirer peur et rejet. Travailler à déconstruire et les personnes migrantes. La coalition de permanences juridiques et sociales, les préjugés et à construire des solidarités NAPAR met l’accent sur le développement majoritairement à destination des femmes constitue donc un défi important pour toute de parcours migratoires sécurisés et sur des étrangères. Car trop souvent, les femmes la société. C’est pour cette raison que Vie lieux d’accueil tenant compte du genre. Il se retrouvent démunies face à un système Féminine ainsi qu’une quarantaine d’autres est indispensable d’assurer la sécurité de institutionnel dont elles ne maîtrisent ni les organisations de la société civile ont rejoint toutes les personnes en parcours migra- procédures, ni le langage, ni les codes. Si le la coalition NAPAR, la coalition belge pour toire et particulièrement la sécurité des travail de proximité que nous menons, tout un plan d’action interfédéral de lutte contre femmes, qui subissent des violences liées comme d’autres organisations de terrain, le racisme. à leur genre. Le plan d’action réclamé par reste essentiel pour créer des solidarités, la coalition NAPAR intègre également des nous savons pertinemment que la lutte Un plan d’action maintenant ! mesures pour lutter contre les niveaux contre le racisme nécessite d’aller au-delà À Vie Féminine, nous considérons que le élevés de pauvreté parmi les minorités eth- des responsabilités individuelles. Nous racisme est un système de domination niques et culturelles, et porte une attention voulons donc des changements à tous les qui fournit des grilles d’interprétation du plus particulière à la situation vulnérable niveaux de la société, afin de tendre vers monde : un système de pensée, de croyan- des femmes racisées. une société égalitaire, solidaire et juste. ces, un imaginaire, produit d’une histoire violente d’esclavagisme, de colonisation, Les Fabriques des solidarités d’exploitation et d’oppressions. Bref, un Afin de soutenir la lutte contre le racisme système qui façonne tous les domaines de tout en y apportant une dimension gen- la vie collective et individuelle. rée, Vie Féminine a mis en place dans de n° 232 / Octobre 2020 11
Autisme au féminin : la grande inconnue L’ autisme est-il un trouble principalement masculin ? « C’est complètement faux », explique à axelle Flora Arrabito, de l’asbl Autisme en action. Ce qui est vrai, c’est que les femmes autistes sont sous-diagnostiquées. Et quand, parfois, un diagnostic arrive, il est très tard... Les femmes qui témoignent dans ce dossier ont donc vécu dans la souffrance, sans mots, sans explications sur ce qu’elles vivaient, développant des stratégies de camouflage dans une société sexiste où l’autisme, en particulier féminin, est encore mal connu. Camille Wernaers (texte) et Cécile Vanneste (illustrations) 13
dossier Femmes autistes, « funambules entre deux mondes » Les femmes autistes sont sous-diagnostiquées – et tardivement reconnues comme telles. Elles vivent de nombreuses discriminations, qui se croisent avec le sexisme structurel de la société. Elles aimeraient pourtant faire entendre leurs voix. — Camille Wernaers L’ autisme serait un trouble mas- culin. Les chiffres de la litté- rature scientifique sont sans appel : il y aurait 1 fille autiste pour 4 garçons1. Ce ratio serait porté à 1 femme pour 9 hommes en ce qui concerne l’autisme sans déficience intellectuelle situent les autistes Asperger qui se carac- térisent par des difficultés dans les interac- tions sociales, associées à des intérêts ou comportements spécifiques. La jeune mili- tante écologiste suédoise Greta Thunberg est devenue une figure médiatique de ce syndrome. Problème : comme tout le reste Un début de reconnaissance Quelques spécificités féminines de l’au- tisme commencent à être connues. Les troubles du comportement alimentaire et plus précisément l’anorexie seraient corrélés à l’autisme, selon des spécialis- tes britanniques qui ont remarqué, dans (comme le syndrome d’Asperger, voir p. de la médecine, les études sur le syndrome une étude de 20133, que les adolescentes 16). « C’est complètement faux, réagit Flora d’Asperger et sur l’autisme en général ont atteintes d’anorexie souffraient bien plus Arrabito, de l’asbl Autisme en action. Les été faites principalement sur des hommes. souvent de troubles autistiques que les femmes autistes sont les reines du camou- En résulte un biais de genre qui est la cause filles de leur âge. Bonnie Auyeung, l’une flage, c’est leur stratégie de survie. Elles sont du sous-diagnostic des femmes. Cela se des chercheuses, estime que la société des funambules qui marchent entre deux passe exactement comme dans les cas repère d’abord l’anorexie mentale chez les mondes. Tant qu’elles ne sont pas diagnos- des crises cardiaques dont les symptômes adolescentes et que les médecins associent tiquées, elles marchent constamment sur un connus sont des symptômes masculins2. ensuite les autres troubles comportemen- fil. » Et ce diagnostic, pour nombre d’entre Les femmes ne développent pas les mêmes taux à cette pathologie, alors qu’il ne s’agi- elles, est malheureusement tardif, ce qui symptômes et ne peuvent pas être prises en rait que de symptômes supplémentaires de n’est pas sans conséquence. charge de la même manière. l’autisme chez les femmes4. Sortir des idées reçues Pour mieux comprendre, il faut sortir des clichés sur les autistes, car ceux (surtout) En quelques mots et celles (plus rarement) qui sont large- ment médiatisé·es et représenté·es dans L’autisme étant souvent associé aux garçons ou aux les films vivent souvent avec un autisme hommes, certaines femmes autistes ne sont jamais dit « lourd » : des personnes enfermées dans diagnostiquées, ou alors très tardivement. leur bulle qui ne parlent pas avec des mots, Dans ce cas, elles peuvent souffrir de troubles par exemple. Or, selon les expertes avec supplémentaires qui aggravent leur situation. lesquelles nous avons échangé, l’autisme axelle a écouté le témoignage de femmes qui est un spectre large, qui va de l’autisme se savent autistes. Dans leur parcours souvent « lourd » à l’autisme « modéré », moins bien chaotique et douloureux ressortent aussi leur force connu. Les personnes se situent à différents et leurs talents. niveaux sur ce spectre, on parle donc de « trouble du spectre autistique » (TSA). Dans la partie « modérée » du spectre se 14 n° 232 / Octobre 2020
« Les femmes autistes sont les reines du Être une femme autiste est également corrélé à un plus grand risque de subir des camouflage, c’est leur violences sexuelles. Une étude menée en France en 20195 a montré que 51 % des stratégie de survie. Elles femmes autistes déclarent avoir subi un viol et 88 % une agression sexuelle. « Les sont des funambules qui personnes autistes sont davantage vulné- rables aux violences, en général déjà, et aux marchent entre deux mondes. » violences sexuelles, explique à FranceTV (1er février 2019) Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone des femmes autistes. On peut se retrouver dans des Des femmes invisibles… Comme elles ne ressemblent pas à l’image situations finalement dangereuses pour soi, « C’est trop long. Alors, dans notre petite que la société se fait des autistes, et qu’el- sans se rendre compte qu’on est en danger. » asbl, nous avons engagé des spécialistes de les subissent du sexisme, elles doivent bien Une situation dangereuse créée par les l’autisme qui sont des véritables Sherlock souvent vivre dans le secret sous peine agresseurs qui profitent de la vulnérabilité Holmes des signes féminins pour dépister d’être critiquées. Bref, elles se camouflent. accrue des femmes autistes. les femmes autistes. Il faut savoir qu’on ne « Pour la plupart d’entre elles, la famille et Des troubles anxieux et dépressifs sont éga- reçoit pas ce diagnostic dans une pochette les amis sont au courant mais surtout pas lement remarqués, ces derniers pouvant surprise, il y a des tests à passer, des spécia- leur milieu de travail, indique Flora Arrabito. être dus au manque de reconnaissance du listes à voir », explique Flora Arrabito. Une fois qu’elles sont diagnostiquées, on trouble autistique et au manque de prise L’asbl Autisme en action a également mis peut demander des aménagements au tra- en charge. Ces différents symptômes peu- en place des groupes de parole en non- vail, c’est la loi. Mais on ne dit pas que c’est vent différer d’une femme à l’autre. mixité. « On a eu besoin de rassembler les pour de l’autisme. On va préférer parler de Pour avoir un diagnostic définitif, il faut femmes entre elles, car elles ne ressemblent troubles anxieux ou d’acouphènes auprès rencontrer des spécialistes. En Belgique, pas aux hommes autistes. On ne le voit pas au de l’employeur. On les accompagne dans ce sont des centres de référence pour premier abord. Si on leur parle pendant une ces démarches. Si elles disent qu’elles sont l’autisme qui s’en chargent. Il y en a plu- heure, alors on peut remarquer des signes. Je autistes leur travail va être mal interprété. sieurs à Bruxelles, un à Mons et un autre dirais que ce sont des femmes remarquables, Voyez comme Greta Thunberg a été atta- à Liège. Si le processus est remboursé par bardées de diplômes, mais qui ne trouvent quée, parce qu’elle est une femme, autiste la sécurité sociale, le temps d’attente, lui, pas leur place dans la société. Elles subissent et visible. J’aimerais passer un appel : si est démesuré : il faut entre cinq et huit ans de graves discriminations au travail et dans vous êtes une femme autiste et que tout se pour recevoir un diagnostic… leur vie privée », souligne l’experte. passe bien dans votre vie professionnelle, n° 232 / Octobre 2020 15
dossier L’autisme, c’est quoi ? Voilà une vaste question. Pour lutter contre les représentations caricaturales des autistes, axelle a écouté Lucille5, une femme concernée. L’ — Camille Wernaers autisme est un trouble Enfants d’Asperger. Le dossier noir des ori- intitulée In my language (« dans mon lan- neuro-développemen- gines de l’autisme, comment cet homme gage ») : elle y développe sa propre vision tal. Durant l’enfance, des s’est approprié l’autisme. sur son handicap et explique qu’elle peut connexions neuronales se s’exprimer sans utiliser des mots vocaux, créent qui permettent une Contre le validisme parlés. Elle fait également remarquer qu’on priorisation dans l’information traitée par le « Avec les nazis, Hans Asperger a séparé les la force à devoir parler comme les autres cerveau. Chez les personnes autistes, ces enfants entre ceux qui étaient éducables et pour pouvoir prétendre qu’elle commu- connexions ne se font pas. Les causes sont ceux qui ne l’étaient pas. Certains autistes nique, alors qu’il y a différentes façons de biologiques et génétiques. ne veulent plus rien avoir à faire avec lui. le faire. « Je sens des choses, j’écoute des Ce trouble est considéré par la méde- Des autistes critiquent aussi le “validisme”, choses, je ressens des choses, je goûte des cine comme un handicap, et non comme c’est-à-dire les discriminations de la part des choses, je vois des choses », exprime-t-elle une maladie mentale. Il est notamment personnes valides contre les personnes vivant dans la vidéo à l’aide de sous-titres lus par caractérisé par des difficultés dans les un handicap. Ils critiquent la façon dont le un synthétiseur vocal. Une manière comme interactions sociales, des comportements handicap et l’autisme sont perçus. Je sais une autre de se faire entendre. répétitifs, des crises d’angoisse, des trou- aussi que l’association “Vaincre l’autisme” bles du sommeil et/ou de l’alimentation et est mal considérée parce que certaines per- une hyper- ou hypo-sensibilité sensorielle sonnes estiment qu’on ne peut pas «vaincre» (lumière, bruit, odeur, etc.). l’autisme, et qu’on ne doit pas le faire, car ce Pour aller plus loin « Je pense qu’il y a autant d’autismes que n’est pas une maladie », analyse Lucille. d’autistes. Moi, par exemple, je n’ai pas trop Il faut également faire attention à ne pas Julie Dachez, autrice de la BD de problème avec l’implicite, alors que beau- confondre « haut potentiel » (ou « HP », un La différence invisible (Delcourt 2016) coup d’autistes en ont. C’est variable, il y a terme actuellement préféré à celui de « sur- sur l’autisme au féminin et vidéaste un faisceau d’indices, sou- doué·e ») avec l’autisme. de vulgarisation sur l’autisme, réalise ligne Lucille. C’est sûr qu’il Certaines personnes autis- des vidéos disponibles en ligne. y a beaucoup de stéréoty- « Je pense qu’il tes sont HP, mais absolu- Alistair, vidéaste, vulgarise les pes autour de ce trouble. ment pas toutes. « Avec le questions autour de l’autisme. En réaction, il y a une nou- y a autant spectre autistique, on peut S’il ne fallait voir qu’une vidéo : velle vague, militante, chez avoir l’impression que les Mieux comprendre l’autisme : formes les autistes, c’est inté- d’autismes que personnes atteintes d’au- et niveaux, disponible en ligne. ressant. » Certain·es, par tisme lourd sont forcément Amanda Melissa Baggs, In my exemple, refusent le terme d’autistes. » déficientes intellectuelles language : le témoignage d’une d’Asperger car il vient de et celles atteintes d’au- personne diagnostiquée comme Hans Asperger, un psy- tisme modéré, ou du syn- atteinte d’autisme « lourd », chiatre autrichien qui a été impliqué dans drome d’Asperger, sont hyper intelligentes. disponible en ligne. la politique d’euthanasie des enfants dit·es Ce n’est de nouveau pas aussi simple : les CLE Autistes, Collectif pour « anormales/aux » mise en œuvre par les tests QI ne sont pas adaptés aux personnes la Liberté d’Expression des Autistes : nazis en Autriche ; Asperger a activement autistes », regrette Lucille. Jusqu’à ques- www.cle-autistes.fr coopéré avec eux. Edith Sheffer, profes- tionner la notion même d’« intelligence ». Syndrome d’Asperger, un webdoc seure d’histoire à l’université américaine Autiste lourde et non verbale, l’Américaine rassemblant des témoignages de de Berkeley, a montré dans son livre Les Amanda Melissa Baggs a publié une vidéo personnes autistes, disponible en ligne. 16 n° 232 / Octobre 2020
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