Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - L'éducation en Afghanistan Reconstruction - AFRANE

 
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Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - L'éducation en Afghanistan Reconstruction - AFRANE
Vingt-neuvième année
                                                        N°121
                                                     Avril 2008

                  Les Nouvelles
                                                    (2e trimestre)
                                                           6 Euros

                  d’AFGHANISTAN

                 Reconstruction
                 L’éducation en Afghanistan

                 Drogues
                 Quelles perspectives?

                 Histoire
ISSN 0249-0072

                 1968 au lycée Esteqlâl
Editorial                                                                               Les Nouvelles
                                                                                            d’Afghanistan
L’Afghanistan
n’est pas ce que l’on dit                                                                         SOMMAIRE N°121

L
        e débat sur l’envoi de nouvelles forces françaises en Afghanistan
        vient d’entraîner une avalanche d’informations approximatives dé-                    RECONSTRUCTION
        versée par les différents médias. On parle de « bourbier » et d’« en-                L’éducation en Afghanistan
lisement ». Les images qu’on montre sont uniformément des images de                          par Laurence RAVINET                    3
guerre, de Tâlebân vengeurs, de soldats démoralisés qui « se terrent ».                      L’école de Haouz-Kerbâs
Mon propos ne sera pas aujourd’hui d’entrer dans le débat pour ou contre ces ren-            par Zaher DIVANTCHEGUI                  7
forts de troupes. Ni d’analyser la situation politique et militaire, vraiment complexe,      Comment analyser un anenir ?
actuelle. Je voudrais seulement souligner que l’Afghanistan ne se résume pas à               par Pierre LAFRANCE                     9
l’insécurité qui est copieusement décrite. Ni géographiquement. Ni socialement.              La drogue, quelles perspectives ?
Si la présence des Tâlebân est sensible dans le sud et si l’insécu-                          par Alain LABROUSSE                    11
rité a progressé, l’ensemble du pays n’est pas devenu zone de com-
bats. Certains, qui ne connaissent probablement pas l’Afghanistan, sem-                      HISTOIRE
blent croire que les forces étrangères feraient face à un soulèvement                        Mai 68 : Pompidou en Afghanistan
national afghan. C’est faire peu de cas de la grande diversité du pays, avec                 par Rawan FARHADI                      14
ses langues, ses ethnies, ses clivages idéologiques, sans parler des diffé-                  L’ambiance au lycée Esteqlal
rences de sensibilité entre les gens des villes et les gens des campagnes.                   par Osman PAÏENDA                      16
Curieusement, aucun média ne parle de manière sérieuse des évolutions
considérables que vit la société afghane. Au prétexte que la reconstruction
                                                                                             Index des articles
ne va pas assez vite, ou que la corruption mine malheureusement la cré-                      parus dans Les Nouvelles d’Afghanistan du
dibilité du gouvernement, on oublie de grands pans de la réalité afghane.                    N° 111 au N° 120                     18
L’un d’entre eux, que pour notre part nous considérons comme essentiel,
est l’immense demande d’éducation de toute la société, y compris dans les
zones troublées. Malgré les écoles qui sont construites par centaines cha-                   Les forces militaires étrangères       20
que année, les classes sont toujours surchargées et les élèves étudient
souvent dehors. Il est étonnant que ce mouvement de masse ne soit rap-
porté par aucun média, ni analysé par aucun journaliste ou politologue.
Un journaliste a pourtant souligné le contraste entre les centaines de person-               DERNIERES NOUVELLES
nes manifestant contre la nouvelle publication des caricatures du Prophète de
l’islam et les centaines de milliers de spectateurs de la « Star Academy » afgha-            Chronologie, brèves, bibliographie      21
ne (on parle de 11 millions de téléspectateurs pour la finale). Oui, la société
afghane est diverse. Attirée par la connaissance et par la « modernité », par le
développement et par ses faux-semblants. Mais aussi attachée à ses valeurs                   Jeune condamné à mort
                                                                                             par Etienne GILLE                       28
traditionnelles. Au-delà de l’insécurité, elle est inquiète des choix qu’elle doit
faire entre différents systèmes de pensée, entre différentes visions du monde.
Au lieu de s’interroger sur cette réalité là, on se demande s’il faut aider Bush
ou pas ; s’il faut se protéger du terrorisme ou pas ; si notre intérêt stratégi-
que est ici ou là. De ce qui est bon pour les Afghans, de ce qu’ils souhaitent
dans leur grande majorité, il est fort peu question. Quel journaliste a inter-
rogé des Afghans pour savoir s’ils voulaient ou non des renforts français ?                  Photo de couverture : Leçon de lecture
Les ONG françaises qui travaillent au long des années avec la population                     dans une école primaire du centre de
                                                                                             l’Afghanistan, 2007. « Des conditions
afghane ont constamment ce souci en tête. Que veulent nos partenaires?                       d’enseignement et d’apprentissage très
De quoi ont-ils besoin ? C’est dans cet esprit qu’elles ont décidé, avant la                 précaires». Photo Laurence Ravinet (voir
conférence de Paris du 12 juin prochain, d’essayer de donner la parole à des                 article page 3)
représentants de la société afghane, en vue de mieux percevoir l’état réel
du pays. C’est le sens du colloque qu’elles organisent à Paris le 22 mai.
                                                                                                            Adresse E-mail
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                                                                                                      afrane.paris@gmail.com
                                                                               Le 6 avril

                                                                                             Les Nouvelles d’Afghanistan
                  Site internet: www.afrane.asso.fr                                            16, passage de la Main d’Or -75011 Paris

2                                                                                                    Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION

                                       L’éducation
                                      en Afghanistan
                                                    par Laurence RAVINET*

 Le développement de la scolarisation, dans des proportions jamais atteintes
 dans le passé, est une des transformations les plus spectaculaires de l’Afgha-
 nistan post-Tâlebân. Il manifeste un immense désir de formation dans tous les
 secteurs de la population. Il suppose aussi de relever plusieurs défis, à la fois
 quantitatifs et qualitatifs. Parmi ceux-ci la formation des professeurs n’est pas
 le moindre. Beaucoup d’entre eux – et notamment de nombreuses jeunes fem-
 mes - manifestent un désir de bien faire très encourageant. Laurence Ravinet
 décrit ici l’état actuel du système éducatif1.
 Si on s’attachait à décrire de façon formelle, détaché de son
 contexte national, politique et économique, le fonctionne-
 ment de l’école et plus largement du système scolaire en
 Afghanistan, on serait surpris par la similitude avec notre
 système éducatif occidental.
 L’enseignement, théoriquement obligatoire jusqu’en classe
 de 9ème (équivalent de la 3ème française)2 , s’articule autour
 de deux cycles primaires, de trois années chacun et de deux
 cycles secondaires, également composé chacun de trois an-
 nées.
 Lors du premier cycle primaire (classes 1 à 3), les enfants ont
 un seul référent pédagogique, sur le modèle français de l’ins-
 tituteur. L’enseignement est alors centré presque exclusive-
 ment sur l’apprentissage du calcul et de la langue maternelle3
 (lecture et écriture), complété de quelques matières annexes
 telles l’instruction civique (comprenant une initiation à la re-
 ligion d’Etat, l’islam) ou le dessin.
                                                                      « L’apprentissage est souvent basé sur le par cœur et la répétition, si bien qu’une ma-
 A partir de la classe 4 (première année du second cycle pri-         jorité d’élèves en fin du premier cycle primaire ne sait en réalité pas lire ». Photo A.
 maire), l’enseignement est organisé par matières, avec, pour         Bouquemont
 chacune, un professeur différent4. Ces matières, qu’on re-
 trouve tout au long de la scolarité, s’articulent autour de trois    instituts pédagogiques, équivalents de nos IUFM, forment,
 pôles : scientifique (mathématiques et sciences, qui, dans           sur quatre ans, les futurs professeurs.
 l’enseignement secondaire, se divisent en matières distinctes
 : biologie, chimie, physique) ; langues et sciences humaines         Le Ministère de l’Education nationale afghan s’est profon-
 (dari et pachtou, arabe, langue étrangère 5, ijtimayat (connais-     dément restructuré depuis 2002 avec une division en Dé-
 sance de la société), …) ; religieux (interprétation du Coran,       partements (Publications et développement des curricula ;
 étude des hadiths).                                                  Alphabétisation ; Construction ; Formation professionnelle
 A la fin des études secondaires, un concours permet l’accès à        et technique ; Inspections et évaluation…) et des relais dans
 l’Université, l’orientation vers les différentes filières se fai-    chaque région, grâce aux présidences provinciales de l’Edu-
 sant en fonction des résultats obtenus, un minimum de points         cation (riâsat-e ma’ref) équivalents de nos rectorats. L’action
 différent étant requis pour chaque faculté. Treize universités       de ces instances provinciales est elle-même relayée par des «
 sont présentes sur le territoire afghan, dans les principales vil-   Bureaux de l’Education » au niveau des districts (modiriat-e
 les du pays (Kaboul, Herat, Mazar-e Charif, Djalalabad…),            ma’ref). Les frais de fonctionnement de ce ministère sont
 sous la tutelle du Ministère de l’enseignement supérieur. Six        encore largement pris en charge par les principaux bailleurs
                                                                      internationaux, notamment pour ce qui est du versement
 * Ancienne coordinatrice pédagogique d’AFRANE en Afghanistan         des salaires des fonctionnaires6. L’agence gouvernementale

Les Nouvelles d’Afghanistan n°121                                                                                                                          3
RECONSTRUCTION

                                                                                              Dans une école de l’Hazaradjat, 2007. «Un niveau généralement faible en terme de connais-
                                                                                              sance ou de pédagogie chez les enseignants». Photo A. Bouquemont

                                                                                              des conséquences directes en termes de durée de la journée
                                                                                              scolaire ; celle-ci en est fortement réduite et ne s’étend jamais
                                                                                              au-delà d’une demi-journée. Officiellement10, une période de
                                                                                              cours dure une heure, mais dans les faits, la norme est de
                                                                                              45 minutes et les cours sont souvent réduits à 35 voire 30
                                                                                              minutes pour permettre la succession de ces vacations (ainsi
                                                                                              qu’en période de Ramadan). Ainsi, c’est à peine deux heu-
                                                                                              res de cours quotidiennes (4 périodes de 30 à 40 minutes)
                                                                                              qui sont dispensées dans les premiers niveaux de primaire et
«Des conditions d’enseignement et d’apprentissage très précaires». Ecole de filles en Haza-   moins de quatre heures (six périodes quotidiennes) pour les
radjat., 2007 Photo A. Bouquemont                                                             niveaux secondaires.
                                                                                              Les infrastructures parascolaires – bibliothèques, gymnases,
américaine US Aid représente le premier apport budgétaire                                     infirmeries, … – sont le plus souvent inexistantes dans l’en-
pour le Ministère de l’Education, suivi par la Banque mon-                                    ceinte des écoles. Le sport, qui constitue pourtant une matière
diale, l’Unicef, les coopérations allemande (GTZ) et japo-                                    optionnelle inscrite dans les programmes officiels du Minis-
naise (JICA).                                                                                 tère, n’est donc quasiment jamais présent dans les emplois du
                                                                                              temps des écoliers et lycéens.
Si le système éducatif afghan présente donc l’apparence d’un                                  Au-delà de ce manque de « murs », 52% des écoles réper-
système organisé et « normalisé », il n’en reste pas moins                                    toriées ne disposent pas d’eau potable et 75% de sanitaires
qu’un grand nombre de problèmes se posent, qui dessinent                                      adaptés11. L’existence ou tout simplement la possibilité d’un
aujourd’hui les enjeux pour l’éducation afghane, actuels et                                   accès aux toilettes à l’écart des regards, est notamment pro-
à venir.                                                                                      blématique pour les filles, surtout une fois survenues les pre-
                                                                                              mières menstruations.
Un manque d’infrastructures                                                                   Les conditions d’enseignement et d’apprentissage sont donc
                                                                                              très précaires. Mais plus encore peut-être, la qualité de l’en-
et de matériel                                                                                seignement est un frein à un apprentissage complexe, riche et
A la fin de l’année 2006, on recensait 11 000 écoles7 . Le pre-                               détaché de cadres pré-établis et figés, qui permette à l’indivi-
mier manque, et le plus visible, est indéniablement matériel.                                 du de développer des connaissances pouvant s’autonomiser
Qu’il s’agisse de bâtiments ou de matériel scolaire, les éco-                                 et servir de base à une réflexion critique.
les ont subi de plein fouet les affres de la guerre : nombreu-
ses sont celles qui ont été détruites8, et le mobilier a souvent
servi de combustible pendant les années noires, mais souvent                                  La qualité de l’enseignement
les élèves doivent étudier sous tente. De ce fait, un système                                 Les faiblesses de l’enseignement actuel induites par le man-
de vacation a été mis en place, qui fait se succéder dans un                                  que de professeurs12 sont accrues par leur niveau générale-
même espace-classe, deux voire trois classes au cours de la                                   ment faible, que ce soit en termes de connaissance ou de pé-
journée. Ainsi, certains lycées9 peuvent accueillir jusqu’à                                   dagogie. Ceux qui ont un diplôme universitaire représentent
5000 élèves par jour. On estime également à deux millions le                                  encore une minorité (17%)13. Dans certaines régions isolées
nombre d’élèves qui étudient sous tente ou en plein air. Faute                                et reculées, beaucoup n’ont qu’un niveau de fin d’études pri-
de salles de classe en dur, le moindre espace – couloir, ombre                                maires.
d’un arbre ou d’un auvent – est mis à profit pour installer                                   Leur manque de formation pédagogique, leur manque de
des pupitres ou un simple tapis qui délimite l’espace de la                                   maîtrise de la matière enseignée et les instructions du mi-
classe.                                                                                       nistère les conduisent à suivre à la lettre le manuel scolaire,
Cette contrainte spatiale a une transcription temporelle et a                                 qu’ils se contenteront souvent de lire et de commenter de-

4                                                                                                                                         Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION

 1983 : dispensaire de Médecins Sans Frontière en Hazaradjat. «Soulager sur place les victimes
 des combats» Photo B. Dupaigne

 «On estime également à deux millions le nombre d’élèves qui étudient sous tente ou en plein air». Photo Afrane

 vant la classe. Dans les matières scientifiques par exemple,                                    méthodologie générale à l’ensemble des professeurs afghans.
 du fait aussi de l’absence de laboratoire ou de matériel adé-                                   Mais il est dommageable, bien qu’il était sans doute difficile
 quat, aucune expérience n’est possible et réalisée, aucune                                      d’envisager une autre manière de faire, que là aussi l’accent
 démarche expérimentale ne vient soutenir un enseignement                                        ait été mis sur les résultats quantitatifs de l’action (en visant
 qui, comme pour les autres matières, reste théorique et donc                                    l’ensemble des professeurs) et que l’apport qualitatif soit li-
 abstrait pour les élèves.                                                                       mité, du fait de la courte durée de cette formation (13 jours à
 L’enseignement est généralement conçu comme une trans-                                          temps plein ou 26 demi-journées), de l’absence de suivi en-
 mission de savoir sans aucune mise en pratique concrète ou                                      suite et du caractère trop généraliste des séminaires proposés.
 sans activité additionnelle permettant de vérifier l’acquisition                                Un deuxième cycle est prévu (TEP Inset 2), qui devrait se
 et la capacité de transposition ou de réemploi des choses ap-                                   centrer sur une approche plus différenciée, cycle par cycle.
 prises. L’apprentissage est alors souvent basé sur le par cœur
 et la répétition, si bien qu’une majorité d’élèves en fin du pre-
 mier cycle primaire ne sait en réalité pas lire, ayant mémo-                                    Les disparités villes / campagnes
 risé les pages de leurs livres de lecture, sans être capables de                                La scolarisation des filles a souvent cristallisé les indigna-
 déchiffrer un texte nouveau, sorti de ces manuels. Là encore,                                   tions et la mobilisation de ceux qui veulent agir dans la sphère
 l’absence d’infrastructure telles les bibliothèques vient ren-                                  éducative. Et de fait, celles-ci ont moins que les garçons ac-
 forcer un problème avant tout pédagogique, les élèves n’étant                                   cès à l’éducation, victimes de facteurs culturels, religieux14,
 pas sollicités ou stimulés par la présence d’autres ouvrages                                    mais aussi de facteurs économiques qui conduisent certai-
 qui pourraient créer une dynamique d’apprentissage autre                                        nes familles à limiter le nombre d’enfants qu’elles envoient
 autour de la lecture.                                                                           à l’école, donnant alors la priorité aux garçons ou aux aînés.
 Si le « Back-to-school campaign » (Campagne : « retour à                                        La distance entre le domicile et l’école ou le degré d’insé-
 l’école »), initié par l’Unicef en 2001 – 2002, a eu pour méri-                                 curité du trajet sont également des facteurs qui jouent plus
 te de remettre sur la route des centaines de milliers d’enfants,                                fortement à l’encontre des filles que des garçons.
 conduisant à un taux de scolarisation jamais atteint par le                                     Le genre est également un facteur discriminant pour l’accès à
 passé, on peut regretter que les stratégies éducatives d’alors                                  une éducation secondaire puisque seules 5% des filles pour-
 aient privilégié une approche quantitative au détriment sou-                                    suivent leur scolarité au niveau du collège et du lycée, contre
 vent de l’aspect qualitatif. En encourageant une scolarisation                                  20% des garçons15.
 massive des enfants après septembre 2001, elles n’ont pas su                                    Mais au-delà de la question spécifique de l’accès à l’éduca-
 donner le temps au gouvernement et au Ministère de l’Educa-                                     tion pour les filles, il faut y lire aussi une dichotomie entre
 tion nationale de se doter d’infrastructures et de professeurs                                  villes et campagne, révélant de réelles inégalités de territoire.
 qualifiés, malgré l’aide importante apportée par les grands                                     Ainsi, seules 34% des filles en âge de l’être sont scolarisées
 bailleurs et les autres acteurs de la solidarité internationale                                 dans l’ensemble du pays, alors que ce taux monte à 80%
 (organisations non gouvernementales notamment).                                                 dans les grandes villes ; elles représentent ainsi entre 1,7 et
 Le Ministère tente aujourd’hui de pallier ces carences péda-                                    2 millions des 6 millions d’élèves actuellement scolarisés.
 gogiques, via notamment le TEP (Teachers Education Pro-                                         L’Afghanistan étant encore majoritairement rural, on com-
 gram), vaste programme de formation lancé en 2005 et dont                                       prendra que les relativement « bons » taux de scolarisation
 l’objectif ambitieux est d’assurer une formation de base en                                     des zones urbaines ne permettent pas de remonter des moyen-

Les Nouvelles d’Afghanistan n°121                                                                                                                               5
RECONSTRUCTION

Apprentissage de la lecture à l’école Nazou Ana à Djalalabad, 2007. Photo A. Bouquemont

nes nationales encore très basses. De façon plus globale, le                              tan », Education case studies, AREU (Afghanistan Research and
taux de scolarisation dans les zones rurales est estimé à 40%,                            Evaluation Unit), 2005
tous sexes confondus. Ces zones rurales correspondent sou-
vent à des régions isolées, montagneuses, difficiles d’accès                              1- Les Nouvelles d’Afghanistan ont publié de nombreux articles sur l’édu-
ou, dans le sud du pays, à des zones non sécurisées. Elles                                cation en Afghanistan. Pour les plus récents se reporter à l’index contenu
                                                                                          dans ce numéro. Voir aussi l’article de Laurence Ravinet sur «Education et
souffrent également, en raison principalement du climat rude                              enfance, les spécificités françaises». (NDLR).
de l’hiver dans les régions les plus élevées en altitude, d’une                           2 - L’article 43.1 de la Constitution afghane, adoptée le 11 juillet 2006, pro-
inégalité face à la durée de l’année scolaire qui débute plus                             clame la gratuité de l’éducation, reconnue comme un droit pour l’ensemble
tard et termine plus tôt que dans le reste du pays, réduisant                             des citoyens, devant s»appliquer au moins jusqu’à la fin du premier cycle
                                                                                          secondaire (équivalent à notre collège français).
parfois de presque deux mois l’année de cours.                                            3 - Dans le régions persanophones (principalement nord, ouest et centre du
Les défis à relever pour l’éducation afghane sont donc                                    pays), le dari sera enseigné comme langue première, le pachtou étant in-
aujourd’hui très nombreux. Ils concernent tout à la fois                                  troduit dans le deuxième cycle primaire, à partir de la classe 4. Dans les
l’amélioration de la qualité de l’enseignement dispensé aux                               zones pachtounophones (este et sud du pays), la logique inverse prévaut,
cohortes impressionnantes d’élèves qui ont rejoint ou parfois                             le pachtou étant enseigné comme langue première et le dari comme langue
                                                                                          seconde.
découvert le chemin de l’école après 2001 ; l’accessibilité                               4 - Néanmoins, un même professeur enseigne souvent plusieurs matières
de ces lieux de savoir pour des populations encore fortement                              différentes et n’enseigne pas nécessairement la/les même/s matière/s d’une
rurales et parfois victimes d’une insécurité qui décourage                                année sur l’autre.
l’envoi des enfants par leurs parents ; l’intégration des mi-                             5 - Cette langue étrangère est généralement l’anglais. Le français n’est en-
                                                                                          seigné que dans les deux lycées Esteqlal et Malalaï de Kaboul, et dans une
norités linguistiques et des enfants restés en marge ; la cohé-                           demi-douzaine d’écoles de province (trois écoles de Tcharikar et le lycée de
rence d’une politique éducative globale dont les ONG et les                               Djalalabad, soutenus par AFRANE et, depuis tout récemment, dans le lycée
autres organisations intergouvernementales ne devraient être                              de filles de Hanaba, dans le Pandjchir, soutenu par Afghanistan Libre).
que les relais et les vecteurs au lieu d’en être les instigateurs                         6 - La Banque mondiale finançait, en 2006, 55% des salaires et des frais
en lieu et place du Ministère de l’Education nationale. Cela                              administratifs.
                                                                                          7 - Oxfam, 2006, p. 11. Les chiffres du Ministère de l’Education indiquaient
implique que ce Ministère continue de se structurer afin d’at-                            pour le début de l’année 2003 seulement 5.063 écoles. De fait, un important
teindre une autonomie d’action, mais qu’il puisse aussi, pour                             eddirt de construction et reconstruction a été entrepris entre 2004 et 2006.
atteindre cet objectif, dans cette période encore trouble et dif-                         8 - 75 à 80% des écoles auraient été détruites ou endommagées durant les
ficile pour l’Etat afghan, continuer à bénéficier des fonds des                           23 années de conflit.
                                                                                          9 - Les lycées dont en fait compris comme des écoles couvrant à la fois
grands bailleurs et des savoir-faire acquis sur le terrain par                            les cycles primaires et secondaires, c’est-à-dire acceuillant les élèves de la
les nombreux acteurs non-gouvernementaux.                                                 classe 1 à la classe 12.
                                                                                          10 - D’après le curriculum framework du Ministère de l’Education.
                                                                                          11 - Oxfam, 2006, p. 12.
Références :                                                                              12 - Oxfam, dans son rapport de 2006, note un manque de 52.722 instituteurs
                                                                                          formés dans les niveaux primaires et indique qu’entre 50.000 et 60.000 nou-
-« Education sector review : understanding better the reconstruc-                         veaux professeurs devront être recrutés sur les cinq années suivant l’étude
tion processes since 2001 in Afghanistan », Agnès de Geoffroy,                            pour répondre aux nouvelles inscriptions (p. 10).
Amélie Banzet, URD, 2006                                                                  13 - Oxfam, 2006, p. 10. Les diplômes universitaires sanctionnent en outre
-« Free, quality education for every Afghan child », Oxfam briefing                       souvent un niveau très relatif.
                                                                                          14 - Seules 7% des filles sont scolarisées dans la région de Khost, 5% dans
paper, November 2006                                                                      la région de l’Helmand et 3% dans celle de Zabul.
- « Household decision-making and school enrolment in Afghanis-                           15 - Oxfam, 2006,p. 9.

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RECONSTRUCTION

                                          Histoire d’une école
                   L’école de Haouz-e Kerbâs
                                                         par Zaher DIVANTCHEGUI*

 Zaher Divantchegui, qui se rend régulièrement à Hérat, a visité une école soutenue
 d’abord par les Amis de l’Afghanistan et à présent par AFRANE. Il a parlé avec les
 enseignants et nous raconte l’histoire de cette école un peu particulière, mais aussi
 très semblable à tant d’autres dans le grand désir d’instruction qu’elle signifie.
 A l’ouest de la ville de Hérat, grande cité du Nord-ouest de
 l’Afghanistan, une route poussiéreuse, Sarak Hachimi, nous                                Etymologie du nom Haouz-e Kerbâs
 amène jusqu’aux districts de Ghoryan et Zandadjan. De
 nombreux bourgs bordent cette route, asphaltée à moitié de-                   Dans ce village il y avait un château d’eau (Haouz en persan. Ce fameux
 puis trois ans. L’un des ces villages est Haouz-e Kerbâs. Il                  Haouz, situé en face de l’école, est tombé en ruines. Devant le Haouz, il
 est connu pour les rudes combats qui y ont eu lieu pendant                    y avait une estrade (Keryâs en persan) où l’on pouvait s’installer pour se
 l’occupation soviétique. A cette époque, il a été bombardé                    reposer et passer un moment. C’est pour cette raison que le village s’est
                                                                               appelé Haouz-e Keryâs On dit également que les voyageurs de la route
 à maintes reprises, comme l’ensemble des villages situés à
                                                                               de la soie y faisaient escale pour passer la nuit. Proche de cet endroit, il
 l’ouest de Hérat.
                                                                               y avait le bureau de la fiscalité des propriétés terriennes d’où le nom du
 Après la guerre, il ne restait de ces villages que quelques murs
                                                                               village voisin : Diventché. Les contribuables qui s’y rendaient y faisaient
 témoignant qu’ils avaient été jadis très animés. A Haouz-e
                                                                               également une halte. Au fil du temps le y du mot Keryâs céda sa place à
 Kerbâs, des habitants avec à leur tête quelques anciens ensei-
                                                                               un b (dont la graphe en persan est très voisine de celle du y) et le village
 gnants, se sont battus pour reconstruire leur école.
                                                                               se nomma Haouz-e Kerbâs. A noter que Kerbâs est un tissu en lin ou en
                                                                               coton qui est tissé à la main par les Heratis. C’est un tissu solide qui est
 Historique de l’école                                                         encore, à l’heure actuelle, porté comme vêtement.
 L’école a été construite en 1334 (1955), au cœur du village,
 au bord de la route Hachimi, à deux pas de l’école actuelle. A               C’est en accord avec ce dernier que l’association décida de
 l’époque, cette école a été fondée uniquement pour les filles                financer l’école de Haouz-e Kerbâs.
 avec une dérogation pour les petits garçons de CP et CE1                     L’équipe enseignante souhaitait qu’ils construisent un bâti-
 qui ne pouvaient pas marcher jusqu’à l’école de garçons de                   ment de deux ou trois étages, afin de profiter du vaste terrain
 Aboalwalid dans le village d’ Azadan. L’école a été brûlée                   pour des terrains de sport (entre autres un terrain de foot) pour
 en 1359 (1980) au lendemain de l’invasion soviétique par                     les élèves. DACAR insista sur l’aspect architectural et le bâ-
 des insurgés intégristes qui étaient contre les enseignements                timent fut édifié dans le style de la mosquée située en face de
 laïques. Ils ont menacé de brûler la maison de ceux qui tente-               l’école. En 1994 DACCAR construisit un deuxième bâtiment
 raient d’éteindre le feu de l’école.                                         sur le même principe. Il contient également huit classes et
 Après le départ des Soviétiques l’école a déménagé à deux                    fut. La nouvelle école fut inaugurée la même année.
 pas de l’ancienne car, « malgré la promesse de l’Education
 nationale de reconstruire le bâtiment, cette promesse n’a ja-                Cour de l’école de Haouz-e Kerbâs. Photo Z. Divantchegui
 mais été tenue » dit un enseignant. Ainsi, les habitants ont
 sollicité Ismâel Khan, gouverneur de Herat, qui a acheté en
 1992 un terrain d’une superficie de 5380m².
 En 1372 (1993) l’école a ainsi pu rouvrir ses portes et est de-
 venue mixte. Un nouveau bâtiment comprenant huit classes
 à été construit cette même année par l’association DACCAR
 avec l’aide financière (30 000 F) de l’association des amis de
 Herat créée à la mémoire de Stéphane Thiollier ». Stéphane
 Thiollier, jeune Français disparu prématurément en 1991,
 avait réalisé une mission humanitaire pour AFRANE à He-
 rat. A cette occasion il s’était lié d’amitié avec Ismâel Khan.
 * Membre du bureau de l’Association Culturelle des Afghans de Strasbourg,
 Zaher Divantchegui est originaire de Hérat, et plus précisément du village
 de Divantche.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°121                                                                                                                         7
RECONSTRUCTION

                                                                                            Ecole de Haouz-e Kerbâs. «Près de 55% sont des filles» Photo Z. Divantchegui

                                                                                            6 000 élèves, filles et garçons, fréquentent l’établissement.
                                                                                            Près de 55 % (3.700) sont des filles et 45 % des garçons. La
Un bâtiment de l’école de Haouz-e Kerbâs., 2007 Afrane a construit trois classes et vient   fréquentation des élèves se passe en trois temps : les élèves
de fournir des tables et des bancs. Photo Z. Divantchegui                                   de 1ère année à 3ème année (CP au CE2) ont cours de 7h à
                                                                                            9h15 (dans ces classes filles et garçons sont mélangés). Les
L’école à l’époque des Tâlebân                                                              filles de 4ème à 12ème année (CM1 à Terminale) ont cours
                                                                                            de 9h30 à 13h15, et les garçons de 4ème à 12ème année de
Après l’arrivée des Tâlebân, l’école a été fermée pour les                                  14h à 17h45.
filles. L’un des adjoints de la direction qui est là depuis de                              A l’automne1385 (2006) un premier groupe d’élèves a fini
longues années nous raconte qu’en 1379 (2000) « l’école a                                   la terminale (baccalauréat). Dans ce groupe de 24 élèves, la
été transformée en base militaire sans nous demander notre                                  moitié sont des filles. 20 élèves ont passé le concours d’en-
avis. Ils ont amené des munitions, des chars et autres maté-                                trée à l’université, parmi eux 12 élèves ont obtenu une place
riels C’était impressionnant et incroyable. Les enseignants                                 pour faire des études supérieures. Majoritairement ce sont
n’avaient jamais pensé qu’un jour leur école deviendrait une                                des filles. Au niveau national le pourcentage de réussite à ce
base militaire. Nous avons négocié avec eux et ils ont accepté                              concours est de 30 %. Nous constatons que pour le lycée de
de partager les classes : la moitié pour les élèves et la moitié                            Haouz-e Kerbâs le taux est de 60 %. « Ce résultat très positif
pour les combattants tâlebân. Cette situation devenait de plus                              est très honorable pour l’équipe enseignante et l’ensemble de
en plus insupportable. Les habitants ont propagé des rumeurs                                l’école », estime le directeur de l’établissement.
: l’école va être bombardée. Ces rumeurs prenant des propor-                                Les enfants qui fréquentent l’établissement viennent bien en-
tions importantes, les Tâlebân ont évacué les classes et sont                               tendu de Haouz-e Kerbâs et des différents villages voisins :
partis de l’école.                                                                          Molasiyan, Ghalwar, Abadeh, Ghybatan, Ghalwan, Divent-
Ensuite les Tâlebân nous ont imposé un directeur. C’était un                                che, Mahale Arabha, Rabat Kabouliha, Holinghe Singe Sa-
mollah dénommé Mollah Mohammad. Il était originaire du                                      fid, Houze Saltanat, Djatan, Mahale Mouchwaniha, Azadan,
district de Morghab de la province de Badghis. C’était un                                   Sainan, Abolwalid….
illettré. Il ne connaissait rien des questions scolaires. Il pen-
sait qu’il y avait trop d’enseignants, et un jour il a mis à la
porte cinq professeurs. Sa particularité était qu’il refusait de
s’asseoir sur une chaise, il s’allongeait par terre pour « tra-                             Inauguration
vailler ».                                                                                  Le nouveau bâtiment financé par Afrane Alsace à été inauguré
Un jour l’Education Nationale de l’époque a réalisé un                                      le 14 juillet 2007 par le président de l’Education Nationale de
contrôle. Le contrôleur, envoyé spécial de l’Education Na-                                  Herat M. Ghulam Hazrat Tinha, en présence du président du
tionale, était un berger. Il est rentré dans l’école avec un long                           conseil de Haouz-e Kerbâs ; du directeur du Plan de l’Edu-
bâton dont il se servait pour bousculer le personnel. »                                     cation nationale, du maire de Haouz-e Kerbâs, du directeur
                                                                                            de l’école, et de tout le personnel de l’école. Cet événement a
En 2003, AFRANE (comité Alsace) a construit trois classes.                                  été couvert par la presse écrite radiophonique et télévisée.
En 2004, les bâtiments ont été peints par un organisme amé-                                 Avec la construction de ce nouveau bâtiment de nombreux
ricain. A cette occasion une plaque a été installée à côté de la                            élèves, filles et garçons, trouvent enfin un abri, néanmoins il
porte d’entrée qui dit : « Ce bâtiment a été construit par les                              reste encore des classes sous tentes et beaucoup de mobilier
Américains pour le peuple afghan ».                                                         et de matériel fait défaut. AFRANE vient d’envoyer 2.200
En 2007 un nouveau bâtiment de six classes a été financé par                                euros pour des achats de mobilier scolaire.
le comité Alsace d’AFRANE. D’après le directeur de l’école,
« ce bâtiment est un grand soulagement pour le lycée, mais il                               Cette école fait partie des rares établissements pour lesquels
est loin de résoudre complètement le problème de places »,                                  la population participe activement à leur développement. En
car il y a encore beaucoup d’élèves qui continuent d’étudier                                effet en 2006 des habitants avaient souhaité construire huit
sous tentes. L’école est en effet devenue lycée en 2003.                                    nouvelles classes mais l’argent récolté n’avait pas suffi et les
                                                                                            travaux avaient été stoppés. A l’heure actuelle ils espèrent
Le fonctionnement de l’école                                                                une aide pour terminer cet autre chantier. C’est pourquoi le
                                                                                            comité local Alsace d’AFRANE vient de décider de prendre
Actuellement, l’école compte une centaine de professeurs :                                  cette action en charge. A l’heure actuelle, il est à la recher-
43 enseignantes et 57 enseignants. Le directeur qui conduit                                 che des ressources financières nécessaires. Suivront ensuite
cette équipe a deux adjoints, cinq assistants, un économe,                                  la demande d’autorisation auprès des autorités afghanes, la
deux secrétaires et sept agents techniques. Il affirme être à                               passation du marché avec l’entrepreneur, la supervision des
l’école de 5 h du matin jusqu’à 19h.                                                        travaux et le suivi financier.

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RECONSTRUCTION

       Comment analyser un avenir ?
                                                   par Pierre LAFRANCE*

 Les représentants de diverses ONG françaises intervenant en Afghanistan se
 sont réunis le 6 février pour réfléchir au rôle qu’elles peuvent jouer pour rendre
 l’avenir de ce pays conforme aux espoirs des populations concernées. Il est très
 vite apparu nécessaire de réunir un colloque associant chercheurs de diver-
 ses disciplines, personnalités afghanes directement informées des évolutions se
 dessinant tant en milieu urbain que dans les campagnes, et membres des ONG
 ayant été en relation directe avec ce qu’il est convenu d’appeler les « réalités
 du terrain ». On trouvera résumé ci-dessous l’état actuel de la réflexion des
 organisateurs sur les problématiques dont les participants au colloque auront
 à débattre.
 L’acteur essentiel :                                               structures nouvelles nées à la suite des récents conflits.
                                                                    Les allégeances correspondant à des hiérarchies de fait n’ont
 la société afghane                                                 pas pour les populations de caractères entièrement négatifs.
                                                                    Les chefs quel qu’en soit la dénomination (Khân, Kalân na-
 On sait que la situation en Afghanistan, sous tous ses aspects,
                                                                    far, commandants, acheteurs d’opium) constituent des inter-
 notamment économique, social et sécuritaire, dépend dans
                                                                    faces entre le monde paysan et son environnement national,
 une large mesure du comportement d’acteurs extérieurs au
                                                                    régional ou international.
 pays (grandes puissances, organisations internationales, for-
                                                                    Quant aux solidarités, elles existent entre personnes relevant
 ces armées diverses, groupes de partisans, réseaux du trafic
                                                                    d’un même espace et se traduisent par des pratiques délibéra-
 de la drogue, pays voisins…). Cependant, ces acteurs n’exer-
                                                                    tives ou conciliatrices au sein des assemblées traditionnelles
 cent d’influence véritable que dans la mesure où la société
                                                                    bien connues que sont les djirgah et les chura. Ces instances
 afghane s’y prête. Celle-ci détermine, de par ses structures et
                                                                    de solidarité ne sont pas, comme on le sait, vraiment éga-
 ses évolutions, les modalités de toute intervention. Il est donc
                                                                    litaires. Le syndic d’une chura, ou mâlek, est certes coopté
 nécessaire d’examiner, en tout premier lieu, la manière dont
                                                                    mais c’est en général un propriétaire aisé enclin à défendre
 elle est configurée ainsi que les mouvements qui l’animent.
                                                                    les intérêts de ses pairs.
 En d’autres termes, cette société fait figure d’acteur central.
 Et c’est à son propos que la réflexion doit en tout premier        b) Pour ce qui est des villes, le phénomène le plus remarqué
 lieu s’engager.                                                    est celui sommairement qualifié de ghettoïsation. Les gens
 La ruralité tient certes une place essentielle en Afghanistan.     d’une même communauté d’origine tendent à s’y regrouper
 Il reste que le monde urbain joue dans ce pays, comme dans         en raison de leurs affinités linguistiques ou religieuses et de
 d’autres, en voie de développement, un rôle croissant et que       leurs liens traditionnels. Ce phénomène permet de structu-
 ces structures se distinguent de plus en plus nettement de cel-    rer et d’humaniser la vie citadine mais il pose de nombreux
 les des communautés rurales.                                       problèmes notamment celui des rivalités pouvant naître entre
 Il convient donc d’étudier attentivement ce qui se passe dans      quartiers.
 les campagnes mais aussi dans les villes en sachant que les        Par ailleurs, les relations entre les divers organes de l’Etat et
 deux espaces sont en interaction permanente.                       la population sont beaucoup plus étroites et denses dans les
                                                                    villes que dans les campagnes.
 a) Le monde rural semble partagé entre deux principes fon-
                                                                    Il y a enfin une évidente interaction entre la vie rurale et la vie
 dateurs du lien social : l’allégeance et la solidarité.
                                                                    urbaine dans la mesure où la plupart des citadins ne le sont
 A première vue, la première joue un rôle majeur : les « com-
                                                                    que de fraîche date et conservent des rapports organiques
 mandants » locaux, les chefs tribaux, les grands propriétaires
                                                                    avec les campagnes dont ils sont issus. En d’autres termes,
 terriens, les miliciens en armes, les trafiquants de drogue,
                                                                    le malaise ou le mieux-être des campagnes a un effet direct
 et autres potentats exercent un pouvoir prépondérant. Ces
                                                                    sur la vie urbaine.
 « chefs » établissent des hiérarchies prégnantes mais très
 souvent rivales. La logique de l’allégeance donne lieu à une       c) Se pose la question essentielle de l’Etat.
 division des communautés entre factions correspondant soit         Quelle est la demande d’Etat de la part de la population ?
 à des structures traditionnelles comme les tribus, soit à des      Cette demande a-t-elle été satisfaite ? Dans le cas contrai-
                                                                    re, quelles sont les inadéquations entre cette demande et les
 * Président de MADERA                                              structures mises en place au terme de la Constitution, inadé-

Les Nouvelles d’Afghanistan n°121                                                                                                    9
RECONSTRUCTION

quations pouvant expliquer les dysfonctionnements de l’ap-          L’infrastructure médicale et hospitalière ne répond toujours
pareil d’Etat (corruption notamment) ?                              pas aux besoins de la population et celle-ci ne cache pas son
                                                                    mécontentement à cet égard.
d) La société afghane semble animée par des forces politi-
ques antagonistes dont il est difficile d’apprécier la réalité et
la légitimité en l’absence de véritables partis. Parmi ces for-     Les forces armées
ces certaines imposent leur loi à la population et sembleraient
donc largement illégitimes, tandis que d’autres proposent des       internationales
formes d’organisation de la vie nationale pouvant bénéficier        Dans la mesure où elles assurent la sécurité du pays en atten-
d’un certain consensus. Il en est enfin qui s’identifient à la      dant que celle-ci soit prise en charge par l’armée et la police
défense des intérêts de groupes ethniques. Il convient d’iden-      afghanes, ces forces peuvent avoir un rôle positif. Si toute-
tifier et d’étudier de près ces diverses forces pour déterminer     fois, elles opèrent au sein d’une population de plus en plus
lesquelles sont appelées à jouer un rôle important à l’avenir.      déçue par les prestations de la communauté internationale et
                                                                    de moins en moins hostiles à l’opposition armée, leur tâche
Brossée à grands traits, cette description de la société afgha-     devient d’une difficulté croissante. Quand le mécontente-
ne demande à être beaucoup plus précise et approfondie pour         ment est aggravé par les dégâts collatéraux des opérations
une meilleure appréhension de l’influence des acteurs exté-         militaires, il va de soi que l’on s’engage dans un cycle d’ag-
rieurs.                                                             gravation des éléments conflictuels. Il ne faut pas oublier non
Les acteurs les plus visibles.                                      plus que des membres de l’opposition armée, notamment les
                                                                    Tâlebân, sont issus de la population elle-même et que l’an-
a) Les réseaux internationaux de trafic de drogue                   nonce du nombre de ceux qui ont été tués dans des combats
En ce qui concerne le rôle majeur joué par l’économie de            ne peut avoir d’effet que délétère. Dans un tel contexte, on
la drogue et donc par ceux qui l’animent, on peut dire que          peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles l’action
celle-ci procure une aisance temporaire et atténue les effets       des « PRT » peut avoir des effets positifs à terme.
de la grande pauvreté du pays. Toutefois, elle accroît les dé-
pendances de la population – dépendance vis-à-vis non seu-
lement du trafic lui-même, mais du produit qui en est l’objet       Conclusion
et dont la consommation tend à s’accroître en Afghanistan           Le comportement de tous ces acteurs internes ou externes est
comme dans les pays voisins. Le fait est que les Afghans de-        interactif. On ne peut donc esquisser de prévisions concer-
viennent de plus en plus dépendants d’une oligarchie rentière       nant l’avenir de l’Afghanistan sans tenir compte de ces mul-
dont l’autorité est à la mesure des moyens financiers dont          tiples interactions. Elles devront faire l’objet d’une réflexion
elle dispose. Par ailleurs, l’économie de la drogue, hautement      approfondie lors du colloque.
spéculative, tend à marginaliser les pratiques assurant tradi-      Les lignes qui précèdent ne font que récapituler, de façon
tionnellement la sécurité alimentaire des populations afgha-        sommaire, des idées bien connues et déjà développées dans
nes (cultures vivrières et élevage en vue de l’autoconsomma-        les colonnes des Nouvelles d’Afghanistan. La réflexion à leur
tion ou du commerce de proximité, constitution de réserves          sujet se poursuit et elle est loin d’être achevée. Il a paru utile
de nourriture en cas d’accidents climatiques tels que l’ennei-      néanmoins de donner une idée de son état d’avancement au
gement extrême ou, au contraire, la sécheresse.                     stade actuel (mi-mars).
Le trafic de l’opium est enfin une source de financement pour
l’opposition armée et les commandants locaux. Il accentue
les phénomènes de mauvaise gouvernance et de corruption                 Colloque sur la société afghane
au sein du pouvoir d’Etat. Il peut également figer les hiérar-               « 2008 : La société afghane,
chies socio-économiques en confortant la prééminence des
possédants.                                                             ni en guerre ni en paix, quel avenir ? »
b) Les grands bailleurs de fond                                              Jeudi 22 mai, au siège de Médecins du Monde, Paris
La volonté de la communauté internationale de contribuer à                         62 rue Marcadet (Paris 18e) de 9h à 18h
la croissance d’une économie légale permettant à terme d’éli-
miner le trafic de drogue ne semble pas contestable, mais les        L’Afghanistan reste d’une grande actualité tant politique que sociale :
stratégies choisies soulèvent des interrogations.                    sécurité, stabilité, reconstruction sont des éléments intérieurs préoc-
                                                                     cupants. Une conférence internationale sur l’Afghanistan va se tenir à
La confiance apparemment placée dans le développement du             Paris en juin 2008 pour mesurer à nouveau les enjeux que représente
marché intérieur, et dans la création de grandes entreprises         ce pays. Il s’agira de définir les priorités et les nouvelles orientations
privées à même d’assurer l’équipement du pays en infras-             politiques et militaires, d’ajuster les aides financières pour la sécurité et
tructures mérite sans doute un examen approfondi voire cri-          le développement du pays
tique.                                                               Un collectif d’ONG françaises travaillant en Afghanistan a voulu un col-
                                                                     loque en amont de cette conférence pour donner la parole à la société
L’amorce d’une relance économique par de grands travaux              afghane et formuler propositions et recommandations à l’adresse de la
d’intérêt public tels que la construction de routes semble           conférence internationale.
avoir porté ses fruits. Cependant, l’état des infrastructures        Lors d’une série de tables rondes des Afghans et des experts étrangers
essentielles reste très préoccupant, six ans après le début de       donneront leurs points de vue sur la réalité du pays, sur les progrès
                                                                     accomplis et leurs limites face aux déviances (corruption, drogues). Ils
la reconstruction : le pays, y compris sa capitale, souffre dans     évoqueront également la perception afghane des présences étrangères
une large mesure du manque d’eau potable et d’électricité.           et des aides extérieures. Enfin cet état des lieux permettra d’élaborer
Le système bancaire, notamment en zone rurale, reste insuf-          des recommandations
fisant et les bailleurs de fond n’ont pour l’instant d’autres        Ce Colloque, ouvert à tous, aura lieu dans la grande salle de réunion de
perspectives d’actions à cet égard que l’encouragement du            « Médecins du Monde » (capacité d’accueil 300 personnes). Nous vous
micro-crédit ou de la micro-finance.                                 attedons nombreux pour une participation active !

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RECONSTRUCTION

   La drogue, quelles perspectives ?
                                                           par Alain LABROUSSE*

 La culture du pavot a progressé en 2007 essentiellement dans le sud de l’Afgha-
 nistan. L’auteur examine les perspectives 2008, contrastées suivant les provin-
 ces, et analyse les facteurs qui ont conduit à des progrès de la lutte anti-drogue
 dans certaines régions. Il remet en cause la thèse selon laquelle les Tâlebân
 seraient les premiers bénéficiaires des cultures illicites.
 L’Organe des Nations unies contre la drogue et le crime
 (UNODC) vient de publier un rapport d’étape qui repose sur                     Quelques bonnes nouvelles…
 les interviews de paysans de 469 villages situés dans toutes                   Dans ce contexte incitant au pessimisme, subsistent cepen-
 les provinces du pays1. Cette enquête concerne les semailles                   dant quelques raisons d’espérer. Dans le Badakhchan, qui a
 du pavot qui ont concerné 206 de ces villages. 50% des pay-                    longtemps été une des principales provinces productrices de
 sans n’ayant par écoulé leur production record de l’année                      pavot, la production continuera à la baisse, alors qu’elle était
 2007 (8 200 tonnes dans l’ensemble du pays, pour 6 000 t                       déjà passée de 13 056 ha en 2006 à 3 642 ha en 2007. Les
 en 2006 et 3 400 t en 2002), et les prix de l’opium ayant                      raisons de cette évolution positive ont été analysées par deux
 chuté, on s’attend à ce que la récolte soit en « légère baisse. »              experts des cultures illicites en Afghanistan3. Ils estiment
 Douze provinces (en général situées dans le nord, le nord-est                  qu’elle est le résultat de la politique des autorités provincia-
 et le centre) contre treize l’année dernière, ne produiront pas                les qui ont favorisé la hausse de prix des productions agrico-
 d’opium. Dans dix d’entre elles (notamment le Badakhchan                       les légales et des produits de l’élevage, une amélioration des
 et le Nangarhar) la production diminuera et dans douze (si-                    moyens de transport, une diversification des sources d’emploi
 tuées pour la plupart dans le sud comme l’Helmand, Kanda-                      et une hausse des salaires des ouvriers agricoles. Cette politi-
 har ou l’Ourouzgan) elle sera stable ou s’accroîtra.                           que a été accompagnée de campagnes anti-drogues diffusées
 Dans le sud en effet, le pavot est cultivé dans 85 % des vil-                  par radio et dans les mosquées. Cependant les progrès éco-
 lages sur lesquels a porté l’enquête : 100 % dans l’Helmand,                   nomiques dont ont bénéficié les paysans n’ont touché que les
 92 % dans l’Ourouzgan, 83 % dans la province de Kandahar,                      zones proches des villes les plus importantes de la province,
 78 % dans le Farah, etc. Le rapport a étudié la corrélation                    Djourm et Baharak. Dans les régions éloignées de montagne,
 entre l’aide reçue ou non par ces villages et l’importance des                 où le pavot est la seule plante cultivée qui pousse au-dessus
 cultures illicites : sur les 469 villages, 152 (32 %) ont reçu                 de 3 000 mètres d’altitude, aucune amélioration n’est percep-
 une assistance dans le domaine agricole sous la forme de                       tible et la production d’opium n’a pas diminué.
 semences, d’engrais ou de la mise en place de réseaux d’ir-                    Un autre exemple positif est celui de la province de Nanga-
 rigation2. Dans le nord, 30 % de ceux qui ont reçu une aide                    rhar4. Cette dernière a été longtemps une des deux premières
 ont néanmoins cultivé le pavot et 69 % dans le sud. L’autre                    pour la production d’opium. En 2005 les cultures n’ont cou-
 facteur propice aux activités illicites est l’insécurité. Dans 70              vert que 1 093 ha contre 28 230 ha l’année précédente. En
 % des villages connaissant des conditions de sécurité pré-                     Saisie de drogue à Mazar-e Charif. «Les campagne d’éradication paraissent n’être que
 caire (poor) et dans 63 % de ceux dans lesquels elles sont                     faiblement dissuasives». Photo UNODC
 critiques (very poor), les paysans ont cultivé le pavot. Dans
 le sud et l’ouest, 100 % des paysans interrogés l’ont fait et,
 dans l’est, 44 %.
 Les campagnes d’éradication paraissent n’être que faiblement
 dissuasives : dans les 206 villages producteurs d’opium, 62
 % ont cultivé le pavot en dépit de l’arrachage de plantations
 en 2007. Il en est de même dans 73 % des villages où aucune
 action n’a été entreprise. Enfin, l’UNODC observe que les
 cultures de cannabis, qui rapportent pratiquement autant que
 l’opium à l’hectare continuent à se développer. Elles concer-
 nent 18 % des villages, contre 13 % l’année précédente où la
 production représentait 70 000 ha dans l’ensemble du pays
 (50 000 ha en 2006), contre 193 000 ha pour le pavot.
 * Alain Labrousse, secrétaire du Bureau de Madera, est l’auteur d’Afghanis-
 tan. Opium de guerre, opium de paix. Paris, éd. Mille et une Nuits, 2005. Il
 a publié dans le n°115 d’octobre 2006 des Nouvelles d’Afghanistan : « La
 drogue : ciment ou solvant de la reconstruction ? »

Les Nouvelles d’Afghanistan n°121                                                                                                                                      11
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