Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - L'éducation en Afghanistan Reconstruction - AFRANE
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Vingt-neuvième année N°121 Avril 2008 Les Nouvelles (2e trimestre) 6 Euros d’AFGHANISTAN Reconstruction L’éducation en Afghanistan Drogues Quelles perspectives? Histoire ISSN 0249-0072 1968 au lycée Esteqlâl
Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan L’Afghanistan n’est pas ce que l’on dit SOMMAIRE N°121 L e débat sur l’envoi de nouvelles forces françaises en Afghanistan vient d’entraîner une avalanche d’informations approximatives dé- RECONSTRUCTION versée par les différents médias. On parle de « bourbier » et d’« en- L’éducation en Afghanistan lisement ». Les images qu’on montre sont uniformément des images de par Laurence RAVINET 3 guerre, de Tâlebân vengeurs, de soldats démoralisés qui « se terrent ». L’école de Haouz-Kerbâs Mon propos ne sera pas aujourd’hui d’entrer dans le débat pour ou contre ces ren- par Zaher DIVANTCHEGUI 7 forts de troupes. Ni d’analyser la situation politique et militaire, vraiment complexe, Comment analyser un anenir ? actuelle. Je voudrais seulement souligner que l’Afghanistan ne se résume pas à par Pierre LAFRANCE 9 l’insécurité qui est copieusement décrite. Ni géographiquement. Ni socialement. La drogue, quelles perspectives ? Si la présence des Tâlebân est sensible dans le sud et si l’insécu- par Alain LABROUSSE 11 rité a progressé, l’ensemble du pays n’est pas devenu zone de com- bats. Certains, qui ne connaissent probablement pas l’Afghanistan, sem- HISTOIRE blent croire que les forces étrangères feraient face à un soulèvement Mai 68 : Pompidou en Afghanistan national afghan. C’est faire peu de cas de la grande diversité du pays, avec par Rawan FARHADI 14 ses langues, ses ethnies, ses clivages idéologiques, sans parler des diffé- L’ambiance au lycée Esteqlal rences de sensibilité entre les gens des villes et les gens des campagnes. par Osman PAÏENDA 16 Curieusement, aucun média ne parle de manière sérieuse des évolutions considérables que vit la société afghane. Au prétexte que la reconstruction Index des articles ne va pas assez vite, ou que la corruption mine malheureusement la cré- parus dans Les Nouvelles d’Afghanistan du dibilité du gouvernement, on oublie de grands pans de la réalité afghane. N° 111 au N° 120 18 L’un d’entre eux, que pour notre part nous considérons comme essentiel, est l’immense demande d’éducation de toute la société, y compris dans les zones troublées. Malgré les écoles qui sont construites par centaines cha- Les forces militaires étrangères 20 que année, les classes sont toujours surchargées et les élèves étudient souvent dehors. Il est étonnant que ce mouvement de masse ne soit rap- porté par aucun média, ni analysé par aucun journaliste ou politologue. Un journaliste a pourtant souligné le contraste entre les centaines de person- DERNIERES NOUVELLES nes manifestant contre la nouvelle publication des caricatures du Prophète de l’islam et les centaines de milliers de spectateurs de la « Star Academy » afgha- Chronologie, brèves, bibliographie 21 ne (on parle de 11 millions de téléspectateurs pour la finale). Oui, la société afghane est diverse. Attirée par la connaissance et par la « modernité », par le développement et par ses faux-semblants. Mais aussi attachée à ses valeurs Jeune condamné à mort par Etienne GILLE 28 traditionnelles. Au-delà de l’insécurité, elle est inquiète des choix qu’elle doit faire entre différents systèmes de pensée, entre différentes visions du monde. Au lieu de s’interroger sur cette réalité là, on se demande s’il faut aider Bush ou pas ; s’il faut se protéger du terrorisme ou pas ; si notre intérêt stratégi- que est ici ou là. De ce qui est bon pour les Afghans, de ce qu’ils souhaitent dans leur grande majorité, il est fort peu question. Quel journaliste a inter- rogé des Afghans pour savoir s’ils voulaient ou non des renforts français ? Photo de couverture : Leçon de lecture Les ONG françaises qui travaillent au long des années avec la population dans une école primaire du centre de l’Afghanistan, 2007. « Des conditions afghane ont constamment ce souci en tête. Que veulent nos partenaires? d’enseignement et d’apprentissage très De quoi ont-ils besoin ? C’est dans cet esprit qu’elles ont décidé, avant la précaires». Photo Laurence Ravinet (voir conférence de Paris du 12 juin prochain, d’essayer de donner la parole à des article page 3) représentants de la société afghane, en vue de mieux percevoir l’état réel du pays. C’est le sens du colloque qu’elles organisent à Paris le 22 mai. Adresse E-mail Etienne GILLE afrane.paris@gmail.com Le 6 avril Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet: www.afrane.asso.fr 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris 2 Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION L’éducation en Afghanistan par Laurence RAVINET* Le développement de la scolarisation, dans des proportions jamais atteintes dans le passé, est une des transformations les plus spectaculaires de l’Afgha- nistan post-Tâlebân. Il manifeste un immense désir de formation dans tous les secteurs de la population. Il suppose aussi de relever plusieurs défis, à la fois quantitatifs et qualitatifs. Parmi ceux-ci la formation des professeurs n’est pas le moindre. Beaucoup d’entre eux – et notamment de nombreuses jeunes fem- mes - manifestent un désir de bien faire très encourageant. Laurence Ravinet décrit ici l’état actuel du système éducatif1. Si on s’attachait à décrire de façon formelle, détaché de son contexte national, politique et économique, le fonctionne- ment de l’école et plus largement du système scolaire en Afghanistan, on serait surpris par la similitude avec notre système éducatif occidental. L’enseignement, théoriquement obligatoire jusqu’en classe de 9ème (équivalent de la 3ème française)2 , s’articule autour de deux cycles primaires, de trois années chacun et de deux cycles secondaires, également composé chacun de trois an- nées. Lors du premier cycle primaire (classes 1 à 3), les enfants ont un seul référent pédagogique, sur le modèle français de l’ins- tituteur. L’enseignement est alors centré presque exclusive- ment sur l’apprentissage du calcul et de la langue maternelle3 (lecture et écriture), complété de quelques matières annexes telles l’instruction civique (comprenant une initiation à la re- ligion d’Etat, l’islam) ou le dessin. « L’apprentissage est souvent basé sur le par cœur et la répétition, si bien qu’une ma- A partir de la classe 4 (première année du second cycle pri- jorité d’élèves en fin du premier cycle primaire ne sait en réalité pas lire ». Photo A. maire), l’enseignement est organisé par matières, avec, pour Bouquemont chacune, un professeur différent4. Ces matières, qu’on re- trouve tout au long de la scolarité, s’articulent autour de trois instituts pédagogiques, équivalents de nos IUFM, forment, pôles : scientifique (mathématiques et sciences, qui, dans sur quatre ans, les futurs professeurs. l’enseignement secondaire, se divisent en matières distinctes : biologie, chimie, physique) ; langues et sciences humaines Le Ministère de l’Education nationale afghan s’est profon- (dari et pachtou, arabe, langue étrangère 5, ijtimayat (connais- dément restructuré depuis 2002 avec une division en Dé- sance de la société), …) ; religieux (interprétation du Coran, partements (Publications et développement des curricula ; étude des hadiths). Alphabétisation ; Construction ; Formation professionnelle A la fin des études secondaires, un concours permet l’accès à et technique ; Inspections et évaluation…) et des relais dans l’Université, l’orientation vers les différentes filières se fai- chaque région, grâce aux présidences provinciales de l’Edu- sant en fonction des résultats obtenus, un minimum de points cation (riâsat-e ma’ref) équivalents de nos rectorats. L’action différent étant requis pour chaque faculté. Treize universités de ces instances provinciales est elle-même relayée par des « sont présentes sur le territoire afghan, dans les principales vil- Bureaux de l’Education » au niveau des districts (modiriat-e les du pays (Kaboul, Herat, Mazar-e Charif, Djalalabad…), ma’ref). Les frais de fonctionnement de ce ministère sont sous la tutelle du Ministère de l’enseignement supérieur. Six encore largement pris en charge par les principaux bailleurs internationaux, notamment pour ce qui est du versement * Ancienne coordinatrice pédagogique d’AFRANE en Afghanistan des salaires des fonctionnaires6. L’agence gouvernementale Les Nouvelles d’Afghanistan n°121 3
RECONSTRUCTION Dans une école de l’Hazaradjat, 2007. «Un niveau généralement faible en terme de connais- sance ou de pédagogie chez les enseignants». Photo A. Bouquemont des conséquences directes en termes de durée de la journée scolaire ; celle-ci en est fortement réduite et ne s’étend jamais au-delà d’une demi-journée. Officiellement10, une période de cours dure une heure, mais dans les faits, la norme est de 45 minutes et les cours sont souvent réduits à 35 voire 30 minutes pour permettre la succession de ces vacations (ainsi qu’en période de Ramadan). Ainsi, c’est à peine deux heu- res de cours quotidiennes (4 périodes de 30 à 40 minutes) qui sont dispensées dans les premiers niveaux de primaire et «Des conditions d’enseignement et d’apprentissage très précaires». Ecole de filles en Haza- moins de quatre heures (six périodes quotidiennes) pour les radjat., 2007 Photo A. Bouquemont niveaux secondaires. Les infrastructures parascolaires – bibliothèques, gymnases, américaine US Aid représente le premier apport budgétaire infirmeries, … – sont le plus souvent inexistantes dans l’en- pour le Ministère de l’Education, suivi par la Banque mon- ceinte des écoles. Le sport, qui constitue pourtant une matière diale, l’Unicef, les coopérations allemande (GTZ) et japo- optionnelle inscrite dans les programmes officiels du Minis- naise (JICA). tère, n’est donc quasiment jamais présent dans les emplois du temps des écoliers et lycéens. Si le système éducatif afghan présente donc l’apparence d’un Au-delà de ce manque de « murs », 52% des écoles réper- système organisé et « normalisé », il n’en reste pas moins toriées ne disposent pas d’eau potable et 75% de sanitaires qu’un grand nombre de problèmes se posent, qui dessinent adaptés11. L’existence ou tout simplement la possibilité d’un aujourd’hui les enjeux pour l’éducation afghane, actuels et accès aux toilettes à l’écart des regards, est notamment pro- à venir. blématique pour les filles, surtout une fois survenues les pre- mières menstruations. Un manque d’infrastructures Les conditions d’enseignement et d’apprentissage sont donc très précaires. Mais plus encore peut-être, la qualité de l’en- et de matériel seignement est un frein à un apprentissage complexe, riche et A la fin de l’année 2006, on recensait 11 000 écoles7 . Le pre- détaché de cadres pré-établis et figés, qui permette à l’indivi- mier manque, et le plus visible, est indéniablement matériel. du de développer des connaissances pouvant s’autonomiser Qu’il s’agisse de bâtiments ou de matériel scolaire, les éco- et servir de base à une réflexion critique. les ont subi de plein fouet les affres de la guerre : nombreu- ses sont celles qui ont été détruites8, et le mobilier a souvent servi de combustible pendant les années noires, mais souvent La qualité de l’enseignement les élèves doivent étudier sous tente. De ce fait, un système Les faiblesses de l’enseignement actuel induites par le man- de vacation a été mis en place, qui fait se succéder dans un que de professeurs12 sont accrues par leur niveau générale- même espace-classe, deux voire trois classes au cours de la ment faible, que ce soit en termes de connaissance ou de pé- journée. Ainsi, certains lycées9 peuvent accueillir jusqu’à dagogie. Ceux qui ont un diplôme universitaire représentent 5000 élèves par jour. On estime également à deux millions le encore une minorité (17%)13. Dans certaines régions isolées nombre d’élèves qui étudient sous tente ou en plein air. Faute et reculées, beaucoup n’ont qu’un niveau de fin d’études pri- de salles de classe en dur, le moindre espace – couloir, ombre maires. d’un arbre ou d’un auvent – est mis à profit pour installer Leur manque de formation pédagogique, leur manque de des pupitres ou un simple tapis qui délimite l’espace de la maîtrise de la matière enseignée et les instructions du mi- classe. nistère les conduisent à suivre à la lettre le manuel scolaire, Cette contrainte spatiale a une transcription temporelle et a qu’ils se contenteront souvent de lire et de commenter de- 4 Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION 1983 : dispensaire de Médecins Sans Frontière en Hazaradjat. «Soulager sur place les victimes des combats» Photo B. Dupaigne «On estime également à deux millions le nombre d’élèves qui étudient sous tente ou en plein air». Photo Afrane vant la classe. Dans les matières scientifiques par exemple, méthodologie générale à l’ensemble des professeurs afghans. du fait aussi de l’absence de laboratoire ou de matériel adé- Mais il est dommageable, bien qu’il était sans doute difficile quat, aucune expérience n’est possible et réalisée, aucune d’envisager une autre manière de faire, que là aussi l’accent démarche expérimentale ne vient soutenir un enseignement ait été mis sur les résultats quantitatifs de l’action (en visant qui, comme pour les autres matières, reste théorique et donc l’ensemble des professeurs) et que l’apport qualitatif soit li- abstrait pour les élèves. mité, du fait de la courte durée de cette formation (13 jours à L’enseignement est généralement conçu comme une trans- temps plein ou 26 demi-journées), de l’absence de suivi en- mission de savoir sans aucune mise en pratique concrète ou suite et du caractère trop généraliste des séminaires proposés. sans activité additionnelle permettant de vérifier l’acquisition Un deuxième cycle est prévu (TEP Inset 2), qui devrait se et la capacité de transposition ou de réemploi des choses ap- centrer sur une approche plus différenciée, cycle par cycle. prises. L’apprentissage est alors souvent basé sur le par cœur et la répétition, si bien qu’une majorité d’élèves en fin du pre- mier cycle primaire ne sait en réalité pas lire, ayant mémo- Les disparités villes / campagnes risé les pages de leurs livres de lecture, sans être capables de La scolarisation des filles a souvent cristallisé les indigna- déchiffrer un texte nouveau, sorti de ces manuels. Là encore, tions et la mobilisation de ceux qui veulent agir dans la sphère l’absence d’infrastructure telles les bibliothèques vient ren- éducative. Et de fait, celles-ci ont moins que les garçons ac- forcer un problème avant tout pédagogique, les élèves n’étant cès à l’éducation, victimes de facteurs culturels, religieux14, pas sollicités ou stimulés par la présence d’autres ouvrages mais aussi de facteurs économiques qui conduisent certai- qui pourraient créer une dynamique d’apprentissage autre nes familles à limiter le nombre d’enfants qu’elles envoient autour de la lecture. à l’école, donnant alors la priorité aux garçons ou aux aînés. Si le « Back-to-school campaign » (Campagne : « retour à La distance entre le domicile et l’école ou le degré d’insé- l’école »), initié par l’Unicef en 2001 – 2002, a eu pour méri- curité du trajet sont également des facteurs qui jouent plus te de remettre sur la route des centaines de milliers d’enfants, fortement à l’encontre des filles que des garçons. conduisant à un taux de scolarisation jamais atteint par le Le genre est également un facteur discriminant pour l’accès à passé, on peut regretter que les stratégies éducatives d’alors une éducation secondaire puisque seules 5% des filles pour- aient privilégié une approche quantitative au détriment sou- suivent leur scolarité au niveau du collège et du lycée, contre vent de l’aspect qualitatif. En encourageant une scolarisation 20% des garçons15. massive des enfants après septembre 2001, elles n’ont pas su Mais au-delà de la question spécifique de l’accès à l’éduca- donner le temps au gouvernement et au Ministère de l’Educa- tion pour les filles, il faut y lire aussi une dichotomie entre tion nationale de se doter d’infrastructures et de professeurs villes et campagne, révélant de réelles inégalités de territoire. qualifiés, malgré l’aide importante apportée par les grands Ainsi, seules 34% des filles en âge de l’être sont scolarisées bailleurs et les autres acteurs de la solidarité internationale dans l’ensemble du pays, alors que ce taux monte à 80% (organisations non gouvernementales notamment). dans les grandes villes ; elles représentent ainsi entre 1,7 et Le Ministère tente aujourd’hui de pallier ces carences péda- 2 millions des 6 millions d’élèves actuellement scolarisés. gogiques, via notamment le TEP (Teachers Education Pro- L’Afghanistan étant encore majoritairement rural, on com- gram), vaste programme de formation lancé en 2005 et dont prendra que les relativement « bons » taux de scolarisation l’objectif ambitieux est d’assurer une formation de base en des zones urbaines ne permettent pas de remonter des moyen- Les Nouvelles d’Afghanistan n°121 5
RECONSTRUCTION Apprentissage de la lecture à l’école Nazou Ana à Djalalabad, 2007. Photo A. Bouquemont nes nationales encore très basses. De façon plus globale, le tan », Education case studies, AREU (Afghanistan Research and taux de scolarisation dans les zones rurales est estimé à 40%, Evaluation Unit), 2005 tous sexes confondus. Ces zones rurales correspondent sou- vent à des régions isolées, montagneuses, difficiles d’accès 1- Les Nouvelles d’Afghanistan ont publié de nombreux articles sur l’édu- ou, dans le sud du pays, à des zones non sécurisées. Elles cation en Afghanistan. Pour les plus récents se reporter à l’index contenu dans ce numéro. Voir aussi l’article de Laurence Ravinet sur «Education et souffrent également, en raison principalement du climat rude enfance, les spécificités françaises». (NDLR). de l’hiver dans les régions les plus élevées en altitude, d’une 2 - L’article 43.1 de la Constitution afghane, adoptée le 11 juillet 2006, pro- inégalité face à la durée de l’année scolaire qui débute plus clame la gratuité de l’éducation, reconnue comme un droit pour l’ensemble tard et termine plus tôt que dans le reste du pays, réduisant des citoyens, devant s»appliquer au moins jusqu’à la fin du premier cycle secondaire (équivalent à notre collège français). parfois de presque deux mois l’année de cours. 3 - Dans le régions persanophones (principalement nord, ouest et centre du Les défis à relever pour l’éducation afghane sont donc pays), le dari sera enseigné comme langue première, le pachtou étant in- aujourd’hui très nombreux. Ils concernent tout à la fois troduit dans le deuxième cycle primaire, à partir de la classe 4. Dans les l’amélioration de la qualité de l’enseignement dispensé aux zones pachtounophones (este et sud du pays), la logique inverse prévaut, cohortes impressionnantes d’élèves qui ont rejoint ou parfois le pachtou étant enseigné comme langue première et le dari comme langue seconde. découvert le chemin de l’école après 2001 ; l’accessibilité 4 - Néanmoins, un même professeur enseigne souvent plusieurs matières de ces lieux de savoir pour des populations encore fortement différentes et n’enseigne pas nécessairement la/les même/s matière/s d’une rurales et parfois victimes d’une insécurité qui décourage année sur l’autre. l’envoi des enfants par leurs parents ; l’intégration des mi- 5 - Cette langue étrangère est généralement l’anglais. Le français n’est en- seigné que dans les deux lycées Esteqlal et Malalaï de Kaboul, et dans une norités linguistiques et des enfants restés en marge ; la cohé- demi-douzaine d’écoles de province (trois écoles de Tcharikar et le lycée de rence d’une politique éducative globale dont les ONG et les Djalalabad, soutenus par AFRANE et, depuis tout récemment, dans le lycée autres organisations intergouvernementales ne devraient être de filles de Hanaba, dans le Pandjchir, soutenu par Afghanistan Libre). que les relais et les vecteurs au lieu d’en être les instigateurs 6 - La Banque mondiale finançait, en 2006, 55% des salaires et des frais en lieu et place du Ministère de l’Education nationale. Cela administratifs. 7 - Oxfam, 2006, p. 11. Les chiffres du Ministère de l’Education indiquaient implique que ce Ministère continue de se structurer afin d’at- pour le début de l’année 2003 seulement 5.063 écoles. De fait, un important teindre une autonomie d’action, mais qu’il puisse aussi, pour eddirt de construction et reconstruction a été entrepris entre 2004 et 2006. atteindre cet objectif, dans cette période encore trouble et dif- 8 - 75 à 80% des écoles auraient été détruites ou endommagées durant les ficile pour l’Etat afghan, continuer à bénéficier des fonds des 23 années de conflit. 9 - Les lycées dont en fait compris comme des écoles couvrant à la fois grands bailleurs et des savoir-faire acquis sur le terrain par les cycles primaires et secondaires, c’est-à-dire acceuillant les élèves de la les nombreux acteurs non-gouvernementaux. classe 1 à la classe 12. 10 - D’après le curriculum framework du Ministère de l’Education. 11 - Oxfam, 2006, p. 12. Références : 12 - Oxfam, dans son rapport de 2006, note un manque de 52.722 instituteurs formés dans les niveaux primaires et indique qu’entre 50.000 et 60.000 nou- -« Education sector review : understanding better the reconstruc- veaux professeurs devront être recrutés sur les cinq années suivant l’étude tion processes since 2001 in Afghanistan », Agnès de Geoffroy, pour répondre aux nouvelles inscriptions (p. 10). Amélie Banzet, URD, 2006 13 - Oxfam, 2006, p. 10. Les diplômes universitaires sanctionnent en outre -« Free, quality education for every Afghan child », Oxfam briefing souvent un niveau très relatif. 14 - Seules 7% des filles sont scolarisées dans la région de Khost, 5% dans paper, November 2006 la région de l’Helmand et 3% dans celle de Zabul. - « Household decision-making and school enrolment in Afghanis- 15 - Oxfam, 2006,p. 9. 6 Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION Histoire d’une école L’école de Haouz-e Kerbâs par Zaher DIVANTCHEGUI* Zaher Divantchegui, qui se rend régulièrement à Hérat, a visité une école soutenue d’abord par les Amis de l’Afghanistan et à présent par AFRANE. Il a parlé avec les enseignants et nous raconte l’histoire de cette école un peu particulière, mais aussi très semblable à tant d’autres dans le grand désir d’instruction qu’elle signifie. A l’ouest de la ville de Hérat, grande cité du Nord-ouest de l’Afghanistan, une route poussiéreuse, Sarak Hachimi, nous Etymologie du nom Haouz-e Kerbâs amène jusqu’aux districts de Ghoryan et Zandadjan. De nombreux bourgs bordent cette route, asphaltée à moitié de- Dans ce village il y avait un château d’eau (Haouz en persan. Ce fameux puis trois ans. L’un des ces villages est Haouz-e Kerbâs. Il Haouz, situé en face de l’école, est tombé en ruines. Devant le Haouz, il est connu pour les rudes combats qui y ont eu lieu pendant y avait une estrade (Keryâs en persan) où l’on pouvait s’installer pour se l’occupation soviétique. A cette époque, il a été bombardé reposer et passer un moment. C’est pour cette raison que le village s’est appelé Haouz-e Keryâs On dit également que les voyageurs de la route à maintes reprises, comme l’ensemble des villages situés à de la soie y faisaient escale pour passer la nuit. Proche de cet endroit, il l’ouest de Hérat. y avait le bureau de la fiscalité des propriétés terriennes d’où le nom du Après la guerre, il ne restait de ces villages que quelques murs village voisin : Diventché. Les contribuables qui s’y rendaient y faisaient témoignant qu’ils avaient été jadis très animés. A Haouz-e également une halte. Au fil du temps le y du mot Keryâs céda sa place à Kerbâs, des habitants avec à leur tête quelques anciens ensei- un b (dont la graphe en persan est très voisine de celle du y) et le village gnants, se sont battus pour reconstruire leur école. se nomma Haouz-e Kerbâs. A noter que Kerbâs est un tissu en lin ou en coton qui est tissé à la main par les Heratis. C’est un tissu solide qui est Historique de l’école encore, à l’heure actuelle, porté comme vêtement. L’école a été construite en 1334 (1955), au cœur du village, au bord de la route Hachimi, à deux pas de l’école actuelle. A C’est en accord avec ce dernier que l’association décida de l’époque, cette école a été fondée uniquement pour les filles financer l’école de Haouz-e Kerbâs. avec une dérogation pour les petits garçons de CP et CE1 L’équipe enseignante souhaitait qu’ils construisent un bâti- qui ne pouvaient pas marcher jusqu’à l’école de garçons de ment de deux ou trois étages, afin de profiter du vaste terrain Aboalwalid dans le village d’ Azadan. L’école a été brûlée pour des terrains de sport (entre autres un terrain de foot) pour en 1359 (1980) au lendemain de l’invasion soviétique par les élèves. DACAR insista sur l’aspect architectural et le bâ- des insurgés intégristes qui étaient contre les enseignements timent fut édifié dans le style de la mosquée située en face de laïques. Ils ont menacé de brûler la maison de ceux qui tente- l’école. En 1994 DACCAR construisit un deuxième bâtiment raient d’éteindre le feu de l’école. sur le même principe. Il contient également huit classes et Après le départ des Soviétiques l’école a déménagé à deux fut. La nouvelle école fut inaugurée la même année. pas de l’ancienne car, « malgré la promesse de l’Education nationale de reconstruire le bâtiment, cette promesse n’a ja- Cour de l’école de Haouz-e Kerbâs. Photo Z. Divantchegui mais été tenue » dit un enseignant. Ainsi, les habitants ont sollicité Ismâel Khan, gouverneur de Herat, qui a acheté en 1992 un terrain d’une superficie de 5380m². En 1372 (1993) l’école a ainsi pu rouvrir ses portes et est de- venue mixte. Un nouveau bâtiment comprenant huit classes à été construit cette même année par l’association DACCAR avec l’aide financière (30 000 F) de l’association des amis de Herat créée à la mémoire de Stéphane Thiollier ». Stéphane Thiollier, jeune Français disparu prématurément en 1991, avait réalisé une mission humanitaire pour AFRANE à He- rat. A cette occasion il s’était lié d’amitié avec Ismâel Khan. * Membre du bureau de l’Association Culturelle des Afghans de Strasbourg, Zaher Divantchegui est originaire de Hérat, et plus précisément du village de Divantche. Les Nouvelles d’Afghanistan n°121 7
RECONSTRUCTION Ecole de Haouz-e Kerbâs. «Près de 55% sont des filles» Photo Z. Divantchegui 6 000 élèves, filles et garçons, fréquentent l’établissement. Près de 55 % (3.700) sont des filles et 45 % des garçons. La Un bâtiment de l’école de Haouz-e Kerbâs., 2007 Afrane a construit trois classes et vient fréquentation des élèves se passe en trois temps : les élèves de fournir des tables et des bancs. Photo Z. Divantchegui de 1ère année à 3ème année (CP au CE2) ont cours de 7h à 9h15 (dans ces classes filles et garçons sont mélangés). Les L’école à l’époque des Tâlebân filles de 4ème à 12ème année (CM1 à Terminale) ont cours de 9h30 à 13h15, et les garçons de 4ème à 12ème année de Après l’arrivée des Tâlebân, l’école a été fermée pour les 14h à 17h45. filles. L’un des adjoints de la direction qui est là depuis de A l’automne1385 (2006) un premier groupe d’élèves a fini longues années nous raconte qu’en 1379 (2000) « l’école a la terminale (baccalauréat). Dans ce groupe de 24 élèves, la été transformée en base militaire sans nous demander notre moitié sont des filles. 20 élèves ont passé le concours d’en- avis. Ils ont amené des munitions, des chars et autres maté- trée à l’université, parmi eux 12 élèves ont obtenu une place riels C’était impressionnant et incroyable. Les enseignants pour faire des études supérieures. Majoritairement ce sont n’avaient jamais pensé qu’un jour leur école deviendrait une des filles. Au niveau national le pourcentage de réussite à ce base militaire. Nous avons négocié avec eux et ils ont accepté concours est de 30 %. Nous constatons que pour le lycée de de partager les classes : la moitié pour les élèves et la moitié Haouz-e Kerbâs le taux est de 60 %. « Ce résultat très positif pour les combattants tâlebân. Cette situation devenait de plus est très honorable pour l’équipe enseignante et l’ensemble de en plus insupportable. Les habitants ont propagé des rumeurs l’école », estime le directeur de l’établissement. : l’école va être bombardée. Ces rumeurs prenant des propor- Les enfants qui fréquentent l’établissement viennent bien en- tions importantes, les Tâlebân ont évacué les classes et sont tendu de Haouz-e Kerbâs et des différents villages voisins : partis de l’école. Molasiyan, Ghalwar, Abadeh, Ghybatan, Ghalwan, Divent- Ensuite les Tâlebân nous ont imposé un directeur. C’était un che, Mahale Arabha, Rabat Kabouliha, Holinghe Singe Sa- mollah dénommé Mollah Mohammad. Il était originaire du fid, Houze Saltanat, Djatan, Mahale Mouchwaniha, Azadan, district de Morghab de la province de Badghis. C’était un Sainan, Abolwalid…. illettré. Il ne connaissait rien des questions scolaires. Il pen- sait qu’il y avait trop d’enseignants, et un jour il a mis à la porte cinq professeurs. Sa particularité était qu’il refusait de s’asseoir sur une chaise, il s’allongeait par terre pour « tra- Inauguration vailler ». Le nouveau bâtiment financé par Afrane Alsace à été inauguré Un jour l’Education Nationale de l’époque a réalisé un le 14 juillet 2007 par le président de l’Education Nationale de contrôle. Le contrôleur, envoyé spécial de l’Education Na- Herat M. Ghulam Hazrat Tinha, en présence du président du tionale, était un berger. Il est rentré dans l’école avec un long conseil de Haouz-e Kerbâs ; du directeur du Plan de l’Edu- bâton dont il se servait pour bousculer le personnel. » cation nationale, du maire de Haouz-e Kerbâs, du directeur de l’école, et de tout le personnel de l’école. Cet événement a En 2003, AFRANE (comité Alsace) a construit trois classes. été couvert par la presse écrite radiophonique et télévisée. En 2004, les bâtiments ont été peints par un organisme amé- Avec la construction de ce nouveau bâtiment de nombreux ricain. A cette occasion une plaque a été installée à côté de la élèves, filles et garçons, trouvent enfin un abri, néanmoins il porte d’entrée qui dit : « Ce bâtiment a été construit par les reste encore des classes sous tentes et beaucoup de mobilier Américains pour le peuple afghan ». et de matériel fait défaut. AFRANE vient d’envoyer 2.200 En 2007 un nouveau bâtiment de six classes a été financé par euros pour des achats de mobilier scolaire. le comité Alsace d’AFRANE. D’après le directeur de l’école, « ce bâtiment est un grand soulagement pour le lycée, mais il Cette école fait partie des rares établissements pour lesquels est loin de résoudre complètement le problème de places », la population participe activement à leur développement. En car il y a encore beaucoup d’élèves qui continuent d’étudier effet en 2006 des habitants avaient souhaité construire huit sous tentes. L’école est en effet devenue lycée en 2003. nouvelles classes mais l’argent récolté n’avait pas suffi et les travaux avaient été stoppés. A l’heure actuelle ils espèrent Le fonctionnement de l’école une aide pour terminer cet autre chantier. C’est pourquoi le comité local Alsace d’AFRANE vient de décider de prendre Actuellement, l’école compte une centaine de professeurs : cette action en charge. A l’heure actuelle, il est à la recher- 43 enseignantes et 57 enseignants. Le directeur qui conduit che des ressources financières nécessaires. Suivront ensuite cette équipe a deux adjoints, cinq assistants, un économe, la demande d’autorisation auprès des autorités afghanes, la deux secrétaires et sept agents techniques. Il affirme être à passation du marché avec l’entrepreneur, la supervision des l’école de 5 h du matin jusqu’à 19h. travaux et le suivi financier. 8 Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION Comment analyser un avenir ? par Pierre LAFRANCE* Les représentants de diverses ONG françaises intervenant en Afghanistan se sont réunis le 6 février pour réfléchir au rôle qu’elles peuvent jouer pour rendre l’avenir de ce pays conforme aux espoirs des populations concernées. Il est très vite apparu nécessaire de réunir un colloque associant chercheurs de diver- ses disciplines, personnalités afghanes directement informées des évolutions se dessinant tant en milieu urbain que dans les campagnes, et membres des ONG ayant été en relation directe avec ce qu’il est convenu d’appeler les « réalités du terrain ». On trouvera résumé ci-dessous l’état actuel de la réflexion des organisateurs sur les problématiques dont les participants au colloque auront à débattre. L’acteur essentiel : structures nouvelles nées à la suite des récents conflits. Les allégeances correspondant à des hiérarchies de fait n’ont la société afghane pas pour les populations de caractères entièrement négatifs. Les chefs quel qu’en soit la dénomination (Khân, Kalân na- On sait que la situation en Afghanistan, sous tous ses aspects, far, commandants, acheteurs d’opium) constituent des inter- notamment économique, social et sécuritaire, dépend dans faces entre le monde paysan et son environnement national, une large mesure du comportement d’acteurs extérieurs au régional ou international. pays (grandes puissances, organisations internationales, for- Quant aux solidarités, elles existent entre personnes relevant ces armées diverses, groupes de partisans, réseaux du trafic d’un même espace et se traduisent par des pratiques délibéra- de la drogue, pays voisins…). Cependant, ces acteurs n’exer- tives ou conciliatrices au sein des assemblées traditionnelles cent d’influence véritable que dans la mesure où la société bien connues que sont les djirgah et les chura. Ces instances afghane s’y prête. Celle-ci détermine, de par ses structures et de solidarité ne sont pas, comme on le sait, vraiment éga- ses évolutions, les modalités de toute intervention. Il est donc litaires. Le syndic d’une chura, ou mâlek, est certes coopté nécessaire d’examiner, en tout premier lieu, la manière dont mais c’est en général un propriétaire aisé enclin à défendre elle est configurée ainsi que les mouvements qui l’animent. les intérêts de ses pairs. En d’autres termes, cette société fait figure d’acteur central. Et c’est à son propos que la réflexion doit en tout premier b) Pour ce qui est des villes, le phénomène le plus remarqué lieu s’engager. est celui sommairement qualifié de ghettoïsation. Les gens La ruralité tient certes une place essentielle en Afghanistan. d’une même communauté d’origine tendent à s’y regrouper Il reste que le monde urbain joue dans ce pays, comme dans en raison de leurs affinités linguistiques ou religieuses et de d’autres, en voie de développement, un rôle croissant et que leurs liens traditionnels. Ce phénomène permet de structu- ces structures se distinguent de plus en plus nettement de cel- rer et d’humaniser la vie citadine mais il pose de nombreux les des communautés rurales. problèmes notamment celui des rivalités pouvant naître entre Il convient donc d’étudier attentivement ce qui se passe dans quartiers. les campagnes mais aussi dans les villes en sachant que les Par ailleurs, les relations entre les divers organes de l’Etat et deux espaces sont en interaction permanente. la population sont beaucoup plus étroites et denses dans les villes que dans les campagnes. a) Le monde rural semble partagé entre deux principes fon- Il y a enfin une évidente interaction entre la vie rurale et la vie dateurs du lien social : l’allégeance et la solidarité. urbaine dans la mesure où la plupart des citadins ne le sont A première vue, la première joue un rôle majeur : les « com- que de fraîche date et conservent des rapports organiques mandants » locaux, les chefs tribaux, les grands propriétaires avec les campagnes dont ils sont issus. En d’autres termes, terriens, les miliciens en armes, les trafiquants de drogue, le malaise ou le mieux-être des campagnes a un effet direct et autres potentats exercent un pouvoir prépondérant. Ces sur la vie urbaine. « chefs » établissent des hiérarchies prégnantes mais très souvent rivales. La logique de l’allégeance donne lieu à une c) Se pose la question essentielle de l’Etat. division des communautés entre factions correspondant soit Quelle est la demande d’Etat de la part de la population ? à des structures traditionnelles comme les tribus, soit à des Cette demande a-t-elle été satisfaite ? Dans le cas contrai- re, quelles sont les inadéquations entre cette demande et les * Président de MADERA structures mises en place au terme de la Constitution, inadé- Les Nouvelles d’Afghanistan n°121 9
RECONSTRUCTION quations pouvant expliquer les dysfonctionnements de l’ap- L’infrastructure médicale et hospitalière ne répond toujours pareil d’Etat (corruption notamment) ? pas aux besoins de la population et celle-ci ne cache pas son mécontentement à cet égard. d) La société afghane semble animée par des forces politi- ques antagonistes dont il est difficile d’apprécier la réalité et la légitimité en l’absence de véritables partis. Parmi ces for- Les forces armées ces certaines imposent leur loi à la population et sembleraient donc largement illégitimes, tandis que d’autres proposent des internationales formes d’organisation de la vie nationale pouvant bénéficier Dans la mesure où elles assurent la sécurité du pays en atten- d’un certain consensus. Il en est enfin qui s’identifient à la dant que celle-ci soit prise en charge par l’armée et la police défense des intérêts de groupes ethniques. Il convient d’iden- afghanes, ces forces peuvent avoir un rôle positif. Si toute- tifier et d’étudier de près ces diverses forces pour déterminer fois, elles opèrent au sein d’une population de plus en plus lesquelles sont appelées à jouer un rôle important à l’avenir. déçue par les prestations de la communauté internationale et de moins en moins hostiles à l’opposition armée, leur tâche Brossée à grands traits, cette description de la société afgha- devient d’une difficulté croissante. Quand le mécontente- ne demande à être beaucoup plus précise et approfondie pour ment est aggravé par les dégâts collatéraux des opérations une meilleure appréhension de l’influence des acteurs exté- militaires, il va de soi que l’on s’engage dans un cycle d’ag- rieurs. gravation des éléments conflictuels. Il ne faut pas oublier non Les acteurs les plus visibles. plus que des membres de l’opposition armée, notamment les Tâlebân, sont issus de la population elle-même et que l’an- a) Les réseaux internationaux de trafic de drogue nonce du nombre de ceux qui ont été tués dans des combats En ce qui concerne le rôle majeur joué par l’économie de ne peut avoir d’effet que délétère. Dans un tel contexte, on la drogue et donc par ceux qui l’animent, on peut dire que peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles l’action celle-ci procure une aisance temporaire et atténue les effets des « PRT » peut avoir des effets positifs à terme. de la grande pauvreté du pays. Toutefois, elle accroît les dé- pendances de la population – dépendance vis-à-vis non seu- lement du trafic lui-même, mais du produit qui en est l’objet Conclusion et dont la consommation tend à s’accroître en Afghanistan Le comportement de tous ces acteurs internes ou externes est comme dans les pays voisins. Le fait est que les Afghans de- interactif. On ne peut donc esquisser de prévisions concer- viennent de plus en plus dépendants d’une oligarchie rentière nant l’avenir de l’Afghanistan sans tenir compte de ces mul- dont l’autorité est à la mesure des moyens financiers dont tiples interactions. Elles devront faire l’objet d’une réflexion elle dispose. Par ailleurs, l’économie de la drogue, hautement approfondie lors du colloque. spéculative, tend à marginaliser les pratiques assurant tradi- Les lignes qui précèdent ne font que récapituler, de façon tionnellement la sécurité alimentaire des populations afgha- sommaire, des idées bien connues et déjà développées dans nes (cultures vivrières et élevage en vue de l’autoconsomma- les colonnes des Nouvelles d’Afghanistan. La réflexion à leur tion ou du commerce de proximité, constitution de réserves sujet se poursuit et elle est loin d’être achevée. Il a paru utile de nourriture en cas d’accidents climatiques tels que l’ennei- néanmoins de donner une idée de son état d’avancement au gement extrême ou, au contraire, la sécheresse. stade actuel (mi-mars). Le trafic de l’opium est enfin une source de financement pour l’opposition armée et les commandants locaux. Il accentue les phénomènes de mauvaise gouvernance et de corruption Colloque sur la société afghane au sein du pouvoir d’Etat. Il peut également figer les hiérar- « 2008 : La société afghane, chies socio-économiques en confortant la prééminence des possédants. ni en guerre ni en paix, quel avenir ? » b) Les grands bailleurs de fond Jeudi 22 mai, au siège de Médecins du Monde, Paris La volonté de la communauté internationale de contribuer à 62 rue Marcadet (Paris 18e) de 9h à 18h la croissance d’une économie légale permettant à terme d’éli- miner le trafic de drogue ne semble pas contestable, mais les L’Afghanistan reste d’une grande actualité tant politique que sociale : stratégies choisies soulèvent des interrogations. sécurité, stabilité, reconstruction sont des éléments intérieurs préoc- cupants. Une conférence internationale sur l’Afghanistan va se tenir à La confiance apparemment placée dans le développement du Paris en juin 2008 pour mesurer à nouveau les enjeux que représente marché intérieur, et dans la création de grandes entreprises ce pays. Il s’agira de définir les priorités et les nouvelles orientations privées à même d’assurer l’équipement du pays en infras- politiques et militaires, d’ajuster les aides financières pour la sécurité et tructures mérite sans doute un examen approfondi voire cri- le développement du pays tique. Un collectif d’ONG françaises travaillant en Afghanistan a voulu un col- loque en amont de cette conférence pour donner la parole à la société L’amorce d’une relance économique par de grands travaux afghane et formuler propositions et recommandations à l’adresse de la d’intérêt public tels que la construction de routes semble conférence internationale. avoir porté ses fruits. Cependant, l’état des infrastructures Lors d’une série de tables rondes des Afghans et des experts étrangers essentielles reste très préoccupant, six ans après le début de donneront leurs points de vue sur la réalité du pays, sur les progrès accomplis et leurs limites face aux déviances (corruption, drogues). Ils la reconstruction : le pays, y compris sa capitale, souffre dans évoqueront également la perception afghane des présences étrangères une large mesure du manque d’eau potable et d’électricité. et des aides extérieures. Enfin cet état des lieux permettra d’élaborer Le système bancaire, notamment en zone rurale, reste insuf- des recommandations fisant et les bailleurs de fond n’ont pour l’instant d’autres Ce Colloque, ouvert à tous, aura lieu dans la grande salle de réunion de perspectives d’actions à cet égard que l’encouragement du « Médecins du Monde » (capacité d’accueil 300 personnes). Nous vous micro-crédit ou de la micro-finance. attedons nombreux pour une participation active ! 10 Les Nouvelles d’Afghanistan n°121
RECONSTRUCTION La drogue, quelles perspectives ? par Alain LABROUSSE* La culture du pavot a progressé en 2007 essentiellement dans le sud de l’Afgha- nistan. L’auteur examine les perspectives 2008, contrastées suivant les provin- ces, et analyse les facteurs qui ont conduit à des progrès de la lutte anti-drogue dans certaines régions. Il remet en cause la thèse selon laquelle les Tâlebân seraient les premiers bénéficiaires des cultures illicites. L’Organe des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) vient de publier un rapport d’étape qui repose sur Quelques bonnes nouvelles… les interviews de paysans de 469 villages situés dans toutes Dans ce contexte incitant au pessimisme, subsistent cepen- les provinces du pays1. Cette enquête concerne les semailles dant quelques raisons d’espérer. Dans le Badakhchan, qui a du pavot qui ont concerné 206 de ces villages. 50% des pay- longtemps été une des principales provinces productrices de sans n’ayant par écoulé leur production record de l’année pavot, la production continuera à la baisse, alors qu’elle était 2007 (8 200 tonnes dans l’ensemble du pays, pour 6 000 t déjà passée de 13 056 ha en 2006 à 3 642 ha en 2007. Les en 2006 et 3 400 t en 2002), et les prix de l’opium ayant raisons de cette évolution positive ont été analysées par deux chuté, on s’attend à ce que la récolte soit en « légère baisse. » experts des cultures illicites en Afghanistan3. Ils estiment Douze provinces (en général situées dans le nord, le nord-est qu’elle est le résultat de la politique des autorités provincia- et le centre) contre treize l’année dernière, ne produiront pas les qui ont favorisé la hausse de prix des productions agrico- d’opium. Dans dix d’entre elles (notamment le Badakhchan les légales et des produits de l’élevage, une amélioration des et le Nangarhar) la production diminuera et dans douze (si- moyens de transport, une diversification des sources d’emploi tuées pour la plupart dans le sud comme l’Helmand, Kanda- et une hausse des salaires des ouvriers agricoles. Cette politi- har ou l’Ourouzgan) elle sera stable ou s’accroîtra. que a été accompagnée de campagnes anti-drogues diffusées Dans le sud en effet, le pavot est cultivé dans 85 % des vil- par radio et dans les mosquées. Cependant les progrès éco- lages sur lesquels a porté l’enquête : 100 % dans l’Helmand, nomiques dont ont bénéficié les paysans n’ont touché que les 92 % dans l’Ourouzgan, 83 % dans la province de Kandahar, zones proches des villes les plus importantes de la province, 78 % dans le Farah, etc. Le rapport a étudié la corrélation Djourm et Baharak. Dans les régions éloignées de montagne, entre l’aide reçue ou non par ces villages et l’importance des où le pavot est la seule plante cultivée qui pousse au-dessus cultures illicites : sur les 469 villages, 152 (32 %) ont reçu de 3 000 mètres d’altitude, aucune amélioration n’est percep- une assistance dans le domaine agricole sous la forme de tible et la production d’opium n’a pas diminué. semences, d’engrais ou de la mise en place de réseaux d’ir- Un autre exemple positif est celui de la province de Nanga- rigation2. Dans le nord, 30 % de ceux qui ont reçu une aide rhar4. Cette dernière a été longtemps une des deux premières ont néanmoins cultivé le pavot et 69 % dans le sud. L’autre pour la production d’opium. En 2005 les cultures n’ont cou- facteur propice aux activités illicites est l’insécurité. Dans 70 vert que 1 093 ha contre 28 230 ha l’année précédente. En % des villages connaissant des conditions de sécurité pré- Saisie de drogue à Mazar-e Charif. «Les campagne d’éradication paraissent n’être que caire (poor) et dans 63 % de ceux dans lesquels elles sont faiblement dissuasives». Photo UNODC critiques (very poor), les paysans ont cultivé le pavot. Dans le sud et l’ouest, 100 % des paysans interrogés l’ont fait et, dans l’est, 44 %. Les campagnes d’éradication paraissent n’être que faiblement dissuasives : dans les 206 villages producteurs d’opium, 62 % ont cultivé le pavot en dépit de l’arrachage de plantations en 2007. Il en est de même dans 73 % des villages où aucune action n’a été entreprise. Enfin, l’UNODC observe que les cultures de cannabis, qui rapportent pratiquement autant que l’opium à l’hectare continuent à se développer. Elles concer- nent 18 % des villages, contre 13 % l’année précédente où la production représentait 70 000 ha dans l’ensemble du pays (50 000 ha en 2006), contre 193 000 ha pour le pavot. * Alain Labrousse, secrétaire du Bureau de Madera, est l’auteur d’Afghanis- tan. Opium de guerre, opium de paix. Paris, éd. Mille et une Nuits, 2005. Il a publié dans le n°115 d’octobre 2006 des Nouvelles d’Afghanistan : « La drogue : ciment ou solvant de la reconstruction ? » Les Nouvelles d’Afghanistan n°121 11
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