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Document generated on 10/23/2021 10:25 p.m. Lien social et Politiques Les politiques de planification familiale dans les pays en développement : du malthusianisme au féminisme ? The politics of family planning in developing countries : From malthusianism to feminism ? Arlette Gautier Le genre des politiques publiques : des constats et des actions Article abstract Number 47, Spring 2002 Family planning programmes instituted in the 1950s were intended to reduce fertility rates. Women were the target, sometimes in extreme ways. In URI: https://id.erudit.org/iderudit/000343ar response, women's movements, from community-based to transnational ones, DOI: https://doi.org/10.7202/000343ar developed programmes for women's reproductive health and asserted women's right to control over their own bodies. They achieved significant successes at the UN Conference in Cairo in 1994, and prompted new policies in See table of contents places where the women's movement was already present or there was a favourable political climate. Elsewhere, however, the victory was primarily symbolic. In addition, it is now threatened by the resurgence of claims for the Publisher(s) recognition of cultural and religious rights as well as by privatisation of health services. Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Gautier, A. (2002). Les politiques de planification familiale dans les pays en développement : du malthusianisme au féminisme ? Lien social et Politiques, (47), 67–81. https://doi.org/10.7202/000343ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2002 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 67 Les politiques de planification familiale dans les pays en développement : du malthusianisme au féminisme ? Arlette Gautier Il peut sembler évident que les culin dès 1679. En effet, you pendant la première moitié du politiques de planification familiale should have the body est l’expres- siècle, en Allemagne, aux États- ont un genre puisqu’elles veulent sion centrale de l’habeas corpus, Unis et en Alberta mais aussi dans développer l’accès à la contracep- annonçant le slogan féministe les pays scandinaves, des lois per- tion et réduire la fécondité, ce qui « notre corps nous appartient » mettant la stérilisation obligatoire concerne différemment les hommes (Fraisse, 1999 : 55). Petchesky des « inaptes », certes différem- et les femmes. Ainsi, dans un livre (1995) a montré par ailleurs que ment définis. récent, dont le titre résume bien les cette propriété du corps peut être enjeux : Contraception : liberté ou définie dans d’autres termes que Ces politiques furent renouvelées contrainte ? (Beaulieu, Héritier et ceux de la pensée politique occi- par les mouvements néo-malthu- Leridon, 1999), Héritier rappelle dentale. Dans Contraception, cen- siens, lesquels définirent la crois- combien l’accès à la contraception tré sur les pays développés, on ne sance démographique comme une a constitué un tournant historique mentionne la contrainte que pour bombe à retardement justifiant essentiel pour les femmes, condui- dire que « dans les pays en déve- quelques atteintes aux droits de sant à un nouveau rapport du mas- loppement pratiquant un contrôle l’homme. Ils avaient pour objectif culin et du féminin. Fraisse, pour des naissances […] le volontariat essentiel, voire obsessionnel, la sa part, indique que la propriété de paraît plus que douteux » (p. 30). baisse de la fécondité féminine, soi, qui commence par celle du Ce sont pourtant des millions de occultant qu’ils ciblaient, de façon corps, est une condition de la femmes qui sont concernées. En parfois fort violente, le corps des liberté des femmes, face à la biolo- effet, la contraception, revendiquée femmes. Le contrôle des naissances gie mais aussi face aux hommes. par les mouvements libertaires et réclamé par les féministes et les Elle définit la contraception féministes, peut aussi être imposée anarchistes comme une liberté indi- comme l’équivalent pour les dans le cadre d’une gestion diffé- viduelle, assagi en planification de la femmes de l’habeas corpus, renciée de la fécondité. Ainsi, les famille dans les années 1930, était obtenu par les Anglais de sexe mas- mouvements eugénistes obtinrent alors devenu contrôle des popula- Lien social et Politiques – RIAC, 47, Le genre des politiques publiques : des constats et des actions. Printemps 2002, pages 67-81.
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 68 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 47 férencient radicalement les femmes démographique et le développement Les politiques de planification familiale des hommes, y compris au niveau économique, incitant ceux qui n’ont dans les pays en développement : biologique (Kraus, 2000). Néan- pas les moyens d’élever des enfants du malthusianisme au féminisme ? moins, le rôle des femmes et des à retarder leur mariage ou à prati- hommes est très différent dans la quer la chasteté 1 : il était en effet production d’enfants, ce qui pose très opposé au « vice », c’est-à-dire des problèmes de santé particuliers à l’avortement et à la contraception. à chaque sexe. Il est donc légitime Marx s’est opposé à ce point de vue de parler de sexe à ce niveau. car il n’y aurait pas de loi univer- Certes, le fait que les problèmes de selle de population, mais des lois santé des femmes soient si mal trai- spécifiques à chaque mode de pro- 68 tés dans certains pays est bien la duction; la surpopulation, notam- résultante de rapports sociaux de ment, serait liée au capitalisme. sexe; cependant, même dans les Après la Deuxième Guerre mon- tions. On a critiqué celui-ci d’un pays où ils sont mieux pris en diale, parallèlement aux indépen- point de vue de classe, mais sans charge, des services spécifiques dances des anciennes colonies et à voir que les femmes, y compris restent nécessaires, comme le rap- la création de la notion de Tiers pauvres ou indigènes, pouvaient pelle la mobilisation récente en Monde, est née l’inquiétude pour désirer limiter leur fécondité France pour le maintien de la for- « l’explosion démographique ». Un (Mamdani, 1973). Les mouvements mation en gynécologie médicale. mouvement en faveur de la réduc- féministes, au contraire, ont élaboré tion de la fécondité, composé de des politiques permettant aux indivi- Des données statistiques géné- toute une constellation d’institutions dus de choisir leur fécondité et leur rales et des monographies de pays le plus souvent privées et principale- sexualité dans les meilleures condi- en développement permettront de ment américaines, a financé des tions de santé possibles. Leur projet décrire l’évolution des politiques bourses d’études et mené et divulgué a été largement incorporé dans le depuis cinquante ans, du contrôle de nombreuses études sur la fécon- programme d’action ratifié lors de la de la fécondité à la promotion de la dité et la planification familiale. Conférence internationale sur la santé et des droits de la procréation. Cette action a conduit à la formula- population et le développement, qui tion des problèmes de déve- Les femmes, cibles occultées des s’est tenue au Caire en 1994. loppement en termes de problèmes politiques néo-malthusiennes Les concepts de santé reproduc- démographiques : il suffirait de tive et de droits de la procréation, L’incompatibilité entre accrois- réduire la croissance démogra- qui sont officiellement au cœur des sement de la population et dévelop- phique pour limiter la pauvreté politiques depuis cette date, recon- pement économique, prétendument (Chasteland, 1997). Ces institutions naissent la sexuation de l’espèce mise en évidence par Malthus, a ont fourni, « clefs en main », des humaine et les relations de pouvoir servi de base théorique à la crois- projets de politique de population qui peuvent s’y greffer, soit la dua- sance d’un mouvement qui préco- aux gouvernements, asiatiques dans lité du sexe et du genre, inventée nisait cependant des moyens qu’il les années 1950 puis africains dans par Kate Millett (1971) et devenue aurait réprouvés et qui, tout en pré- les années 1990, pour qu’ils puis- hégémonique dans la pensée fémi- tendant « libérer » les femmes du sent répondre aux conditions mises niste anglo-saxonne. Cette dualité fardeau de la maternité, les a sou- à l’obtention de prêts par le Fonds a ensuite été critiquée parce qu’elle vent malmenées. monétaire international et la Banque naturaliserait le sexe, qui serait tout De Malthus au mondiale (Hartmann, 1995; Locoh autant construit socialement que le et Makdessi, 2000). Contrairement néo-malthusianisme genre. Ce qui est vrai en termes au pasteur Malthus, elles propo- d’identité : il est très difficile de Malthus a voulu démontrer l’in- saient l’utilisation massive de la trouver des caractéristiques qui dif- compatibilité entre la croissance contraception pour réduire la fécon-
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 69 dité, d’où l’appellation de mouve- ils ne ciblaient que les femmes. des aspects, bien que la première ments néo-malthusiens. Premièrement, on ne s’adressait soit un peu plus virulente (Attané, qu’à elles, au détriment des 2000; Blayo, 1991; Lâm-Than- Les différentes conférences Liêm, 1987; Scornet, 2000). Elles hommes, dont les besoins en internationales sur la population et impliquent toutes deux que les matière de contraception n’étaient le développement ont vu l’actuali- familles se limitent à un ou deux même pas mesurés. Deuxièmement, sation de ces différentes positions. enfants, sauf pour quelques catégo- on ne développait que des méthodes Ainsi, à la conférence de Bucarest, ries; elles manient la carotte et le féminines de régulation des nais- en 1974, alors que les pays en bâton 3. Les enfants non autorisés sances, sauf en Asie du Sud, et par- développement déclaraient que le n’ont pas droit à l’éducation, aux ticulièrement en Inde, où les développement est la meilleure soins de santé gratuits ni aux allo- vasectomies ont touché de façon pilule qui soit, les pays développés disproportionnée la caste des intou- cations post-natales. Les fonction- les enjoignaient de prendre des 69 chables dans les années 1970 naires doivent impérativement se mesures anti-natalistes. Dix ans (Lardinois, 1979). Ces mesures ont limiter à un enfant s’ils ne veulent plus tard, les mêmes pays en déve- néanmoins provoqué la chute du pas perdre leur emploi ou leur loppement avaient souvent mis en gouvernement d’Indira Gandhi, et le logement. Dans les campagnes, des œuvre des politiques anti-nata- programme a alors été redirigé vers miliciens et des agents de la sécu- listes, parfois coercitives, au nom des ligatures féminines, moins dan- rité locale ont accompagné les bri- de l’urgence démographique, et gereuses politiquement. Troisième- gades mobiles de planification demandaient une aide financière. ment, on ne calculait la réussite des familiale et obligé les femmes à se Reagan, comme Bush en 2001, politiques anti-natalistes qu’en faire poser des stérilets 4. On rap- s’opposait au financement de pro- diminution de la fécondité des porte des cas d’avortements tardifs grammes évoquant l’avortement ou femmes, à l’exclusion de celle des provoqués et des destructions de la stérilisation, en prétendant que hommes. Or, si les femmes font les maison si les quotas de naissances l’ouverture des marchés induirait le enfants, c’est souvent au profit des sont dépassés. Cette politique a eu développement économique et hommes, pour qui ils travailleront des conséquences particulièrement donc la baisse de la fécondité. ou qui les marieront et recevront la négatives pour les Chinoises : avor- Cette position, influencée par les dot le cas échéant. La fécondité tements de fœtus féminins, aban- mouvements se disant « pro-vie » 2 décisive est alors celle des hommes. dons de fillettes, harcèlements aux États-Unis, est un retour au La naturalisation de la procréation contre les épouses jugées respon- « vrai » Malthus. implicite dans la notion de fécondité sables des naissances féminines féminine a des conséquences désas- (Bianco et Hua, 1989). La réussite du mouvement néo- malthusien peut se mesurer par treuses. En effet, les programmes En Inde, comme dans le reste du l’augmentation du nombre de pays calculent la diminution espérée de sous-continent indien, les pro- qui mènent des politiques anti-nata- fécondité, qu’ils convertissent en grammes de planification familiale listes, passé de cinq dans les années nombre de nouvelles utilisatrices énoncent des objectifs chiffrés, 1950 à 85 en 1999 (United Nations, nécessaires pour arriver à ce but fonctionnent au paiement à l’acte 2000 : 201). Les promoteurs de ces pour le pays puis pour chaque unité (de la personne motivée, du moti- politiques tiennent pour acquis administrative, jusqu’au prescrip- vateur, du médecin), ce qui qu’elles sont favorables aux teur final, qui doit alors convaincre entraîne une certaine corruption et femmes, et sont même un élément les utilisatrices avec des moyens bien des opérations inutiles (de essentiel sinon unique de « libéra- variés selon les pays. personnes âgées par exemple). Les tion » du « fardeau » de la maternité. Des politiques différentes, une camps de stérilisation fonctionnent Pourtant, les seuls indicateurs de dans des conditions déplorables, au même occultation réussite étaient l’augmentation des point qu’un tiers des personnes taux de prévalence contraceptive et Les politiques chinoise et viet- ayant accepté d’être stérilisées au la baisse des indices de fécondité, et namienne se ressemblent par bien Bihar ont eu des complications
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 70 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 47 Les politiques ne reposant pas sur La politique égyptienne, qui per- Les politiques de planification familiale la coercition mais sur le pouvoir met officiellement d’accéder à la dans les pays en développement : médical peuvent également ne pas contraception au prix coûtant, four- du malthusianisme au féminisme ? respecter les droits humains des nit en fait peu de méthodes de femmes. Le Mexique est passé, en contraception car les femmes fuient 1974, d’une législation nataliste à les services de planification fami- une politique de limitation des nais- liale. En effet, les médecins y font sances (Cosio-Zavala, 1994), qui est passer l’impératif malthusien avant mise en œuvre par l’intermédiaire la santé de leurs patientes : ils don- de la radio-télévision, du système nent des pilules à des femmes scolaire et des œuvres d’assistance, hypertendues ou installent des stéri- 70 mais surtout à travers le système de lets à des femmes souffrant de des- santé publique. La majorité de la centes d’organes (Zuraik, Younis et population a accès à des dispen- Khattab, 1994). De même, d’après (Ramanantham, Dilip et Pmdas, des observations dans douze pays saires, dont les moyens varient 1995). Ces programmes ne se pré- africains, les services de planifica- beaucoup, et des médecins vont occupent que de faire baisser la tion familiale sont mal pourvus en visiter les hameaux isolés. fécondité; aussi l’encadrement équipement 6. Ils respectent peu les Toutefois, près de dix millions de sanitaire est-il très faible : la moitié usagères : ainsi, dans 20 % des cas, personnes n’ont pas accès à un ser- des villages sont éloignés de tout aucune mesure d’asepsie n’a été vice de santé minimum (Brugeilles, dispensaire en Inde du Nord, où vit prise avant un examen gynécolo- 2002). Au Yucatan, en 1986-1987 40 % de la population indienne gique. Les infirmiers s’informent (Gautier et Quesnel, 1993), tout le (Satia et Jejeebhov, 1991). très peu sur les desiderata des personnel médical devait évoquer la patientes 7 : ainsi, même dans le Le programme indonésien, lancé contraception aux patientes, même meilleur des cas, au Bostwana, seu- en 1970, est très peu médicalisé et si celles-ci venaient pour un tout lement les deux tiers des clientes repose surtout sur la pilule. Il n’a autre motif. En effet, le système sont informées de la façon d’utiliser pas joué sur les incitations finan- public avait fixé un objectif chiffré la méthode choisie et de ses pos- cières individuelles, mais parfois de cinq nouvelles utilisatrices par sibles effets secondaires. Ce n’est sur la répression 5, et fonctionne mois et par médecin. Il n’y avait ni pas par manque de temps : 58 % des grâce à 240 000 groupes de « con- sanctions ni gratifications pour inci- services ne reçoivent pas plus de tracepteurs » volontaires chargés ter les médecins à réaliser ces objec- trois clients par jour (Miller et al., de motiver les non-utilisateurs, et tifs mais, étant pour la plupart des 1998 : 52-61, 132 et 134). Au Brésil, souvent animés par le secrétaire du stagiaires désirant être intégrés à la il n’y a pas eu de politique explicite village ou l’épouse du chef de vil- fonction publique, ils se confor- de planification familiale, mais, lage. Ils insistent d’autant plus que maient à l’idéologie institutionnelle. selon certains auteurs, la reconnais- l’accès à des prêts gouvernemen- Ainsi, 30 % des femmes reconnais- sance officielle et le soutien accor- taux est souvent lié au niveau de sent que le médecin est intervenu dés à des organisations de contraception locale. La fécondité dans la décision et le choix d’une planification familiale privées ayant a beaucoup baissé mais la mortalité méthode contraceptive. De plus, le signé des conventions avec des États maternelle reste très élevée. Un programme de planification fami- du Nord-est équivalent à une poli- programme d’introduction de liale a profondément transformé tique restée implicite pour ne pas sages-femmes qualifiées dans les l’économie générale des relations heurter l’Église catholique (Rossini, villages entre 1990 et 1995 a de genre car des hommes médecins 1985). Ces associations proposaient cependant eu des effets positifs sur ont remplacé les sages-femmes tra- surtout la ligature des trompes. Le l’état de santé des mères (Warwick, ditionnelles, et le nombre d’infir- manque de disponibilité de 1986; Hull et Iskandar, 2000). mières est très faible. méthodes contraceptives était tel
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 71 que les volontaires attendaient dès Reproductive Rights/Red para la fait l’unanimité (Fougeyrollas- quatre heures du matin un rendez- salud reproductiva y los derechos Schwebel, 1996-1997). vous avec un gynécologue dans les reproductivos, puis se sont renfor- Par ailleurs, des militantes et centres de santé (Diaz et al., 1999) cés avec des mouvements transna- théoriciennes ont su développer les et que des candidats à des élections tionaux comme International outils théoriques et méthodolo- politiques proposaient une stérilisa- Women’s Health Coalition, Isis giques pour argumenter leurs posi- tion gratuite contre des votes. En International-Manila, Develop- tions dans des ouvrages ou des 1986, 43 % des femmes utilisant ment for Women in a New Era publications reconnus (Dixon- une contraception étaient stérilisées, (DAWN), Réseau de femmes du Mueller, 1993; Sen, Germain et souvent à la faveur de césariennes, Sud, Women and Development Chen, 1994). Les chercheuses tra- dont le taux était le plus élevé au Organisation (Garcia-Moreno et vaillant au sein d’institutions ont monde : 60 % (Corrêa, 2000). Claro, 1994). Les politiques anti- validé scientifiquement certaines 71 natalistes ont ainsi créé un nouvel assertions féministes. Ainsi, il a été Malgré cette insistance sur la acteur collectif, comme l’industria- prouvé que les arguments d’autorité contraception, seulement 61 % des lisation a créé les syndicats au médicale ou même la répression femmes des pays en développe- XIXe siècle et les politiques trouvent très vite une limite; une ment avaient accès à des services sociales européennes des mouve- relation respectueuse des femmes de contraception en 1994 et l’infor- ments de femmes (Del Re, 1994). est plus efficace, même d’un point mation restait fortement déficiente, avec des taux plafonnant autour de Le mouvement féministe a rem- de vue néo-malthusien (Bruce, 70 % pour la méthode la plus 1990). Un espace s’est ouvert à porté de grands succès au Brésil. Il connue dans de nombreux pays cette perspective car diverses a lutté avec les partis de gauche et (Gautier, 2002; Scornet, 2000 : études ont remis en question dans d’extrême gauche contre la dicta- 291). Les méthodes proposées sont les années 1980 le dogme de l’in- ture militaire et a su les convaincre essentiellement la stérilisation et le compatibilité entre croissance de l’importance des questions de démographique et développement stérilet, qui sont les plus suscep- santé et de droits des femmes. économique, sapant la base même tibles d’être imposés. La coercition Lorsque ces partis sont arrivés au de la légitimité des groupes de pres- ou la manipulation a remplacé l’in- pouvoir, ils ont repris 80 % des sion néo-malthusiens. Ceux-ci se formation dans bien des pays, ce propositions du projet féministe sont alors retournés vers l’écologie, qui provoque de vives résistances. dans la Constitution et lancé un avec un succès scientifique mitigé, programme de soin intégral pour puis vers le féminisme. En effet, la Les succès des mouvements les femmes (Pitanguy, 1994). lutte contre le maintien d’une forte féministes Toutefois, ce programme n’a réel- mortalité maternelle ou le « désir De nombreux mouvements ont lement été mis en œuvre que dans non satisfait de planification fami- lutté au niveau local pour la liberté les États du Sud et dans certaines liale » leur offrait une nouvelle légi- de la procréation, de façon diffé- métropoles, accentuant encore les timité. Aussi les conférences rente selon les contextes. Ainsi, énormes disparités qui caractéri- internationales des années 1990 ont- aux États-Unis 8, en Inde ou au sent le Brésil. Une des consé- elles vu la formation d’une alliance Bangladesh 9, ils se sont formés quences de ce programme a été une contestée entre les mouvements contre les stérilisations forcées et diversification des méthodes là où féministes, anti-natalistes et écolo- pour le droit à l’avortement. Aux il a été appliqué (United Nations, gistes. Certains groupes, comme le Philippines, ils se sont créés en 1988); dans le Nord-est, en Feminist International Network of opposition à l’Église catholique, revanche, le poids de la stérilisa- Resistance to Reproductive And qui interdisait la contraception et tion féminine s’est accru (Pesquisa Genetic Engineering ou UNIBIG, l’avortement. Ces mouvements se […], 1992 : 14). De plus, ce choix basés respectivement aux Pays-Bas sont fédérés en 1979 avec la créa- d’un « pragmatisme visionnaire » a et au Bangladesh, jugeaient que les tion du Global Network for été abondamment discuté et n’a pas politiques de population ne pou-
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 72 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 47 dans le rapport préparatoire au som- natal ou accouchant avec du person- Les politiques de planification familiale met a été pourvue d’amendements nel qualifié 11. Elle a donc lancé en dans les pays en développement : soigneusement rédigés (Johnson, 1987 l’initiative de la maternité sans du malthusianisme au féminisme ? 1995 : 141). Cette position a été risque, qui n’a pas eu les moyens appuyée par de nombreuses ONG. nécessaires à sa réussite. Puis le En effet, 1200 ONG étaient pré- développement de la pandémie du sentes, dont 400 de femmes venant SIDA l’a conduite à s’intéresser à la de 62 pays (Ashford, 2001 : 10). De prévention et au traitement des plus, les féministes ont bénéficié de maladies sexuellement transmis- l’appui de l’administration Clinton, sibles et notamment du VIH-SIDA « fondant une partie de son capital (Bonnet et Guillaume, 2000). 72 politique interne sur l’appui à la Deuxièmement, les mouvements cause des femmes » (Lassonde, anti-natalistes voulaient augmenter 1996 : 25). leur clientèle potentielle en offrant la vaient pas être transformées, qu’une planification familiale dans tous les telle alliance contre-nature dévoie- Aussi 179 pays ont-ils ratifié le services de santé. Ils ont aussi remis rait les énergies féministes en pure programme d’action du Caire, qui en question la focalisation sur la sté- perte; ils sont même contre la reprend de nombreuses proposi- rilisation ou le stérilet car chaque contraception médicalisée (Akhter, tions féministes en remplaçant méthode ajoutée à l’offre antérieure 1992). D’autres pensaient que les l’impératif démographique par la augmente de 12 % la prévalence femmes avaient besoin de politiques santé reproductive et le droit de contraceptive (Ross, Stover et de santé reproductive et que c’était choisir sa fécondité, ce qui consti- Willard, 1999). Troisièmement, les le seul moyen d’arriver à un résultat tue une reconnaissance à la fois du mouvements transnationaux des sans se perdre dans une critique sté- sexe et du genre. femmes 12 ont critiqué la coercition rile. D’autres soutenaient encore employée par de nombreux pro- La reconnaissance du sexe par les que les féministes devaient se battre grammes, le refus de l’avortement et politiques de santé reproductive sur les deux fronts : dans les institu- l’absence de choix informé entre tions et hors des institutions, en Parmi tous les pays qui ont plusieurs méthodes de contracep- créant des mouvements assez forts accepté que la santé de la reproduc- tion. Ils ont revendiqué la prise en pour maintenir une position critique tion soit désormais au centre des compte de l’ensemble de l’état sani- (Garcia-Moreno et Claro, 1994). politiques démographiques, plus taire des femmes, notamment des En 1992, des militantes représen- d’une trentaine de pays en dévelop- maladies provoquées par des contra- tant les réseaux de santé pour les pement avaient pris des mesures ceptifs et des cancers du col de l’uté- femmes de tous les continents ont dans ce sens huit ans plus tard. rus 13 ou des seins, de l’infertilité (qui décidé de préparer un document La santé de la reproduction peut avoir des conséquences redou- conjoint : « la déclaration des tables, dont la répudiation et la mise femmes sur les politiques de popu- Le concept de santé de la repro- au ban de la collectivité) ainsi que de lation », qu’elles ont fait circuler duction a trois sources. Première- l’ensemble du cycle de vie des auprès d’une centaine d’associa- ment, l’Organisation mondiale de la femmes, notamment de l’adoles- tions à travers le globe et repris en santé (OMS) s’était longtemps foca- cence et de la ménopause. Ils ont conséquence (Sen, Germain et lisée sur la santé des enfants, sans se aussi mis au jour les violences faites Chen, 1994 : 31-34). Ce document a préoccuper tellement de celle des aux femmes et permis la réalisation ensuite été activement diffusé, y femmes, ni même de celle des de nombreuses enquêtes qui ont compris dans des revues comme mères, comme le montre le maintien montré qu’un tiers des femmes Population and Development de niveaux très élevés de mortalité avaient vécu des épisodes de vio- Review. Lors de la conférence du maternelle 10 et le faible nombre de lence conjugale, dont l’OMS recon- Caire, chaque déclaration litigieuse femmes ayant un suivi pré- et post- naît désormais qu’elle provoque 7 %
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 73 des morbidités féminines (Heise, doute au Brésil. Le système sanitaire médecins. Les ONG se plaignent de Ellsberg et Gottemoeller, 1999). de base offre désormais, non seule- ne pas être pas assez prises en ment la planification familiale et des compte, bien que six d’entre elles La notion de politique de santé soins pour les femmes enceintes et aient été intégrées au processus reproductive promeut donc une les enfants, mais aussi le dépistage d’élaboration du nouveau pro- offre contraceptive diversifiée et des cancers et des thérapies gratuites gramme (Brugeilles, 2002). l’intégration des services de santé pour les personnes atteintes du VIH. maternelle et de prévention contre Ailleurs, le passage des poli- Les usagers participent aux comités les maladies sexuellement trans- tiques aux pratiques est plus diffi- de direction des centres de soins et missibles, les morbidités gynécolo- cile. En Inde, par exemple, les les associations de femmes sont inté- giques, les cancers et les violences agents des services de planification grées au plus haut niveau dans l’éla- conjugales dans des services de familiale, imprégnés d’une idéolo- boration des politiques. Alors que qualité qui permettent un choix gie malthusienne et souvent éloi- 73 seulement deux services permet- informé dans le cadre d’un dia- gnés des masses, tant par la classe taient en 1986 aux femmes d’avorter logue respectueux. Ces services que par la caste, ont du mal à dans les conditions très restrictives doivent être ouverts aux personnes accepter le programme intégré du permises par la loi, de nombreux des deux sexes, de tous âges et de Caire (Visaria, Jejeebhoy et services se sont ouverts. Il reste tout statut matrimonial. Merrick, 1999). Les dirigeants ne néanmoins de nombreuses fai- semblent pas plus convaincus La mise en œuvre des politiques blesses : ainsi, plus de 6500 femmes puisque le parlement de l’État de à qui l’on a détecté un cancer de Huit ans après la Conférence du Delhi a voté une loi qui enlèverait l’utérus n’avaient pas été soignées Caire, les progrès vers des pro- les tickets alimentaires aux un an plus tard (Corrêa, 2000). Ces grammes de santé reproductive inté- familles de plus de deux enfants. carences peuvent être liées à la crise grés et de qualité sont réels mais Plusieurs groupes de femmes, dont économique et institutionnelle mais limités. Sur 50 pays en développe- l’All India Democratic Women’s aussi à un système de santé large- ment qui ont répondu à une longue Association, s’y sont fortement ment dépendant du privé. enquête de l’ONU, 31 ont déclaré opposés (Purewal, 2001 : 108). avoir mis en œuvre tous les éléments Le Mexique a rebaptisé un ser- L’État indien a d’ailleurs conservé d’une politique de santé reproduc- vice de planification familiale en la pratique d’objectifs chiffrés de tive 14, 16 certains éléments et deux service de « santé reproductive » dès fécondité au niveau national. En aucun; trois pays n’ont pas répondu 1991 et a élaboré un plan de santé 1998-1999, seulement la moitié (United Nations, 2001 : 47-48). Des reproductive 1995-2000 qui intègre des usagères trouvait que les ser- pays ont inscrit les principes du tous les aspects prévus au Caire. vices étaient tout à fait propres et Caire dans des constitutions, comme Cependant, bien que les nouveaux que les médecins leur parlaient l’Afrique du Sud et le Pérou, ou des protocoles aient été largement diffu- gentiment, contre les trois quarts lois. Le changement le plus fréquent sés, ils ont été peu lus et encore dans les services privés (NFHS, réside dans l’intégration des services moins compris; la santé reproductive 2000). D’autres pays, qui menaient de planification familiale et de santé est souvent assimilée à la planifica- des politiques sanitaires sans poli- materno-infantile. Dix-huit pays tion familiale. La répartition des tique de population, ont accepté latino-américains ont voté des lois budgets semble leur donner raison plus facilement une optique santé contre la violence conjugale. Seize puisque celle-ci reçoit 2,5 % des de la reproduction qu’une approche pays africains ont légiféré contre les fonds, la santé materno-infantile 1 % malthusienne. Ainsi, cinq pays mutilations génitales féminines, en et la prévention ou le traitement du d’Afrique francophone ont élaboré mettant parfois en œuvre des rituels SIDA 0,03 %. Le sentiment général des politiques qui traitent presque est que le programme reste trop tous les aspects prévus par la de substitution (UNFPA, 1999 : 55). orienté vers la diminution de la Convention du Caire. Cependant, La mise en œuvre la plus fidèle au fécondité et donc vers des méthodes du fait de la crise économique et programme du Caire se trouve sans de longue durée choisies par les sanitaire, seuls les projets soutenus
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 74 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 47 pause (Klugman, Stevens et Van Les droits reproductifs ou la der Heever, 2000). L’actuel prési- prise en compte du genre Les politiques de planification familiale dans les pays en développement : dent refuse cependant la prise en du malthusianisme au féminisme ? De nombreuses études ont mon- charge par des anti-viraux des per- sonnes atteintes du VIH. tré que l’existence de programmes ne suffit pas pour que les femmes y La mise en œuvre d’une réelle aient accès : encore faut-il qu’elles problématique de santé de la repro- aient le droit d’y accéder et qu’elles duction ne peut être que lente car il n’y soient pas obligées. Par faut former les agents et dévelop- exemple, seulement le tiers des per les infrastructures, ce qui Indiennes décident seules des soins nécessite des moyens importants. de leur santé et la moitié ne sont pas 74 Les fonds affectés à cet objectif consultées (NFHS, 2000). De étaient déjà limités dans l’accord même, la comparaison des réponses par des fonds extérieurs ont été du Caire 15; or les pays donateurs aux enquêtes démographiques et de réellement mis en place, et l’écart n’ont engagé que le tiers des fonds santé montre qu’au Sahel l’opinion est important entre les discours des promis alors que les pays en déve- des femmes sur la contraception n’a dirigeants et la réalité de l’accès à loppement, pourtant soumis à de aucune influence sur l’utilisation de des programmes, notamment en graves crises économiques, finan- celle-ci, qui dépend entièrement du zone rurale (Tantchou et Wilson, cières et sanitaires, en ont versé les mari (Andro et Hertrich, 1998). 2000). En Tanzanie, la situation va deux tiers (Ashford, 2001 : 34). Aussi, dans le cadre du mouvement plutôt dans le sens d’une détériora- Aussi, en 1999, d’après les général vers la reconnaissance des tion des services sanitaires, sous le enquêtes de Ross et Stover (2001), droits humains, les « droits repro- poids de la dette, et la rhétorique de qui interrogent depuis 30 ans les ductifs » s’opposent à la réalité de la la santé reproductive masque mal, experts, officiels et citoyens d’une subordination des femmes, sans que dans un domaine financé à 98 % centaine de pays sur différents toutes les ambiguïtés soient levées. par l’aide extérieure, la priorité aspects des programmes de planifi- accordée à la planification fami- cation familiale et, depuis peu, des Les droits reproductifs contre le liale (Bangster, 2000). programmes de santé maternelle, sexage l’accès aux premiers serait de 58 % L’Afrique du Sud est un cas à L’ONU a admis l’égalité entre et l’accès aux seconds de 49 %. part car elle a élaboré une nouvelle les sexes dans la charte des droits L’accès à la planification familiale politique de santé contre le régime de l’homme de 1946 et a institué est beaucoup plus élevé qu’aux ser- discriminatoire de l’apartheid, sans un comité chargé de son applica- vices de santé maternelle en Asie référence au Caire ni aide étrangère tion, sans donner à celui-ci beau- de l’Est, plus faible en Afrique mais avec la participation d’un coup de moyens. La convention de francophone (mais au niveau le grand nombre de citoyens et de 1979 sur l’élimination de toutes les plus bas) et à peu près égal ailleurs. nombreuses associations, dont le formes de discriminations contre Malgré les inquiétudes de certains National Network on Violence les femmes, premier traité interna- démographes, les activités de plan- Against Women et la Reproductive tional sur les femmes liant les États ning familial ont continué de pro- Rights Alliance. Le nouveau pro- qui l’ont ratifié, spécifie peu les gresser, sauf en Chine et en Inde, gramme offre la gratuité des soins droits reproductifs, à part l’accès à de même que les efforts contre le sans discrimination aucune. Il a la planification familiale et SIDA, mais la santé des femmes permis le développement de la pra- quelques droits au congé de mater- reste peu ciblée. tique contraceptive tout en inté- nité et aux systèmes de garde pour grant la lutte contre les violences L’autonomie des femmes, pour- les enfants (Dixon-Mueller, 1993). conjugales, mais ignore les pro- tant centrale dans le document du Les mouvements de défense des blèmes de santé liés à la méno- Caire, l’est encore moins. droits de l’homme n’étaient guère
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 75 sensibles à l’autonomie des ment » (United Nations, 1998 : des institutions de santé admettent femmes dans la procréation, 180). Cette définition évoque même ce pouvoir. En 1992, l’autorisation comme le montrent leurs réponses le droit à avoir des relations du conjoint pour l’accès à la pour le guide mondial des droits de sexuelles satisfaisantes dans un but contraception était demandée par l’Homme (Humana, 1992) : ils non reproductif, si elle n’inclut pas les services de santé publique dans assimilent le soutien à l’accès à la le droit à choisir son orientation 14 pays, et la décision d’accès aux contraception à la liberté procréa- sexuelle, comme l’avaient préco- services d’avortement et (ou) de trice, même en Chine ou en Inde ! nisé les pays européens et comme stérilisation était la prérogative du Ce sont les mouvements internatio- l’Afrique du Sud l’a inscrit dans sa mari dans les deux tiers des cas, naux pour la reconnaissance des constitution. Elle rejette le discours d’institutions publiques dans 20 % droits humains des femmes qui ont de contrôle de la population fondé des cas et des femmes dans 10 % fait reconnaître l’autonomie des sur le malthusianisme et réfute des cas (calculé d’après Ross, 75 femmes comme la condition d’une toute politique démographique qui Mauldin, et Miller, 1994 16). La véritable liberté procréatrice transformerait les êtres humains en reconnaissance institutionnelle du (Freedman et Isaacs, 1993; Cook, cibles d’objectifs chiffrés, ce qui pouvoir conjugal reste plus faible 1994; Friedman, 1995; Peters et constitue un changement paradig- en Asie que partout ailleurs, avec Wolper, 1995). matique important. Cette définition quand même 33 % des réponses. a permis de reconnaître, lors de la Les prestataires de service sont Dans ce but, le programme d’ac- conférence de Pékin, en 1995, souvent plus attachés au pouvoir tion du Caire a reconnu un nouveau comme des violences contre les marital, que ce soit en Afrique genre de droits, après les droits femmes les actes de certaines poli- (Miller et al., 1998) ou au Mexique politiques, civiques, économiques tiques démographiques coercitives, (Sayavedra, 1997). Ils sont et sociaux (Gautier, 2000). « Les tels la stérilisation et l’avortement d’ailleurs soumis à une forte pres- droits reproductifs peuvent être vus forcés, l’utilisation forcée de la sion des maris (Adjamagbo et comme ces droits, possédés par contraception, l’infanticide féminin Guillaume, 2001). Au Ghana, toutes les personnes, leur permet- et la sélection prénatale du sexe. ceux-ci expliquent qu’ils ont payé tant l’accès à tous les services de Cependant, la Chine n’a fait que une dot pour avoir des enfants et santé reproductive […] Ils incluent quelques essais de programmes qu’ils ont le droit de battre leurs aussi le droit à atteindre le niveau le volontaires (Attané, 2000). épouses pour obtenir leur dû plus haut possible de santé repro- ductive et sexuelle et le droit de Le concept de droits reproduc- (Agula, 1999 : 16). Ces autorisa- prendre les décisions reproductives, tifs permet de dénoncer aussi le tions du conjoint sont interprétées en étant libre de toute discrimina- pouvoir marital, qui peut avoir des en termes de « faible statut des tion, violence et coercition, comme bases diverses, notamment écono- femmes » (United Nations, 1998 : il est exprimé dans les documents miques ou religieuses, mais aussi 186), mais elles pourraient l’être sur les droits humains […] Les légales. Certes, les constitutions comme une manifestation du droits reproductifs sont intimement reconnaissent généralement l’éga- patriarcat, c’est-à-dire de la domi- liés à d’autres droits internationaux lité entre conjoints et les discrimi- nation masculine. Toutefois, devant reconnus qui ont un impact sur les nations ont souvent été abolies la multiplicité des formes de celle- droits reproductifs et qui sont officiellement; toutefois, les droits ci, déjà analysée par Kate Millett, influencés par les droits reproduc- coutumiers ou religieux, qui ont l’expression de sexage, inventée tifs. Les exemples incluent le droit généralement prééminence, les par Guillaumin (1993), paraît plus à l’éducation, le droit à un statut maintiennent. Ainsi, le devoir appropriée car elle renvoie à un égal au sein de la famille, le droit d’obéissance au mari perdure dans rapport social marqué par l’appro- d’être libre de violence domestique, de nombreux pays ou a été rem- priation du corps même des et le droit de ne pas être marié avant placé, comme en Tunisie, par femmes par les hommes, et c’est d’être physiquement et psychologi- l’obéissance au chef de famille en bien ce que représente la possibilité quement préparé pour cet événe- tant que pourvoyeur. Les pratiques d’imposer une grossesse.
LSP 47 11/1/02 3:11 PM Page 76 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 47 30), et cela particulièrement dans remettre en cause des rapports de le domaine des droits culturels. pouvoir bien actuels. Bien que de Les politiques de planification familiale dans les pays en développement : nombreux pays aient maintenu les du malthusianisme au féminisme ? Droits reproductifs et droits droits coutumiers ou religieux pour culturels la vie familiale, d’autres reconnais- Dès les premières lignes, le pro- sent la prééminence de leur gramme d’action du Caire annonce : Constitution, qui admet l’égalité « La mise en œuvre des recomman- entre les sexes; c’est le cas par dations figurant dans le programme exemple en Afrique du Sud et en d’action est un droit souverain que Namibie. chaque pays exerce de manière De même, à la suite de la lutte 76 compatible avec ses lois nationales acharnée du Vatican et des et ses priorités en matière de déve- quelques États qui le suivent, le loppement, en respectant pleine- droit à l’avortement n’est reconnu Généralement, la remise en ques- ment les diverses religions, les tion du sexage a peu été reprise dans que si le pays l’accepte. Pourtant, valeurs éthiques et les origines cul- des avortements faits dans de mau- les programmes, sauf au niveau des turelles de son peuple ». De plus, 23 textes au Mexique et au Brésil. vaises conditions provoquent, pays n’ont pas signé tout le texte, selon l’OMS, 14 % des décès Même le Fonds des Nations Unies ayant mis entre parenthèses certains pour les activités en matière de maternels, soit 80 000 décès par an, termes ou certaines propositions, ce et ces chiffres sont sans doute un population (FNUAP), qui a intitulé qui réduit considérablement la por- son rapport de 1997 « Le droit de minimum, du fait de l’illégalité, tée de leur vote. En effet, l’ONU qui rend difficile toute étude sur ce choisir », n’a pas élaboré d’indica- accepte le relativisme culturel dès sujet. En 1999, seulement quatre teurs pour les droits reproductifs 17. qu’il s’agit des femmes, et moins pays dans le monde interdisent La division de la population des dans d’autres domaines. Cependant, totalement l’avortement; 37 % Nations Unies, si elle s’est préoccu- la question n’est pas sans légitimité; l’autorisent à la demande, essen- pée de l’abolition des objectifs chif- elle a d’ailleurs fait l’objet de toute tiellement en Occident, où 87 % frés, n’a pas recueilli la position des une littérature 18 et de recherches qui des pays l’acceptent, comparative- pays par rapport aux autorisations ont cherché à comprendre comment ment à 5 % des pays africains et du conjoint pour l’accès à la contra- les femmes de différentes cultures latino-américains, à 14 % des pays ception (United Nations, 2001). percevaient et vivaient « la propriété d’Afrique du Nord et du Moyen- Cependant, des féministes ont pu se de leur corps » (Petchesky et Judd, Orient et à 53 % des pays asia- servir de la reconnaissance interna- 1998). Il est aussi nécessaire de tiques (United Nations, 1999). Cela tionale de ces droits pour obtenir, s’interroger sur la construction his- s’explique à la fois par le fait que le comme au Pérou, que les services torique des droits en matière de pro- pouvoir étatique y avait remplacé de santé reproductive reconnaissent création : loin d’être des invariants en partie le contrôle marital et, l’autonomie féminine et qu’une venus de temps immémoriaux, les dans certains pays, par la croyance commission traite des accusations droits coutumiers sont souvent une en la réincarnation. En effet, seul le de stérilisation forcée. invention conjointe des colonisa- christianisme refuse l’avortement teurs et des notables au 19e siècle de façon inconditionnelle, et seule- De plus, des zones d’ombres (Gautier, à paraître). Le fait que plu- ment depuis le début du siècle. existent dans la déclaration même, sieurs pays ne les abolissent pas, du fait de l’utilisation des trois comme ils s’y sont engagés en Les services publics offrent rare- principes de juxtaposition (d’élé- signant la convention pour l’élimi- ment la possibilité d’avorter dans ments disparates et même contra- nation de toute discrimination les conditions définies par la loi. dictoires), d’imprécision et de envers les femmes, ne relève pas de Ainsi, en 1986, au Brésil, bien que spécificité (Lassonde, 1996 : 26- la fidélité au passé mais du refus de les féministes aient obtenu que
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