DURABLE EMBRASEMENT - EJT
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ÉDITION DE DÉCEMBRE 2018 L'hebdomadaire économique de l'EJT EMBRASEMENT DURABLE MACRON DANS LES MAILLES DU GILET AUX RACINES DU CONFLIT, LA FRANCE PÉRIURBAINE ©Cécile Bertrand SPATIAL LE FISC COURSIERS SALARIÉS OU MAIRIES SIÈGES SUR ORBITE AUTOENTREPRENEURS ET CAISSES VIDES
édito Le triple déshonneur L’Arc ne triomphait plus. 1er décembre, Paris est souillée par les excès de ceux qui ne se soulèvent que pour le chaos. La honte, comme une tache fluorescente sur les pages de la République macronienne, dépassée par des rebelles dépravés. Entre la rue et l’État, les méfaits sont partagés. Les jeunes inquiets pour leur avenir, les travailleurs essorés par l’effort fiscal, les émeutiers adeptes de la casse. Tous s’as- socient au cœur de l’effervescence. La lutte a démarré par quelques centimes de plus sur le prix du carburant. Puis la mèche a pris feu. Une flamme isolée qui s’est propagée tel un incendie en un ras-le-bol, bouleversant les villes moyennes et les Champs. L’ardeur du combat a réduit les Marcheurs en cendres pour la première fois. La première de trop. L’Intérieur a failli. Christophe Castaner chancèle. Incapable de gérer le fond du pro- blème jaune, il ne fait plus qu’illusion place Beauvau. Sur ses épaules, la responsabilité des débordements. Et un costume trop large. Éloge funeste entretenu par l’attitude de son Premier ministre. Édouard Philippe la joue rigide. Le discours ne passe plus. La sévère communication se fracasse sur le bouclier dressé par les Gilets. Au milieu des lacrymogènes et des flash-balls, un homme brille par son absence. Il délègue à sa garde rapprochée, ne prend même pas la peine de s’exprimer. Emmanuel Macron s’enfonce et son silence assourdissant ne fait qu’accroître la colère des Gilets jaunes. Sa parole est attendue la semaine prochaine. Le temps du discours s’avère dépassé. VALENTIN MOINARD ET VALENTIN SCHOLZ Directeur de publication Pierre Ginabat Directeur de rédaction Franck Bouaziz Rédacteurs en chef Valentin Moinard et Valentin Scholz Secrétaire de rédaction Emmanuel Bacrie Maquette Bénédicte Dohin, Julia Mothu et Maud Pelegrin Chefs de rubrique Lou Bourdy, Marion Canu, Perrine Debacker, Alicia Gach, Pauline Josse, Audrey Martin, Agathe Renac Chef de la photographie Quentin Lambert Infographies Benjamin Pelsy Illustrations Manon Billing NUMÉRO ISSN :1958-850X 2
CONFIDENTIEL sommaire Les infos des offs ÉCLAIRAGE L’assurance chômage à la loupe Les agriculteurs et la PAC Quand les mairies se vident FOCUS Trouble avenir chez Renault La fiscalité dans l’espace Des études plus chères pour les étrangers DOSSIER Gilets jaunes : en marche ou crève GLOBE Trois ans après le « dieselgate » Trump et la Chine Brexit : le vin tourne au vinaigre Éternels recommencements dans les Dom AFFAIRES Coursiers et salariés Primark, des conditions si difficiles que ça ? SPORT Mbappé, ses impôts et les autres Le tennis français se professionnalise Les écuries de territoires au galop PORTRAIT David Mensah, médecin de la basket ©Yvan Plantey 3
CONFIDENTIEL La CGT ne s’inquiète pas Le succès du mouvement des Gilets jaunes n’affole pas la CGT. Un responsable toulousain nuance l’engouement suscité par la mobilisation populaire. « Les Gilets jaunes ne nous inquiètent pas, ils ne nous remplaceront pas. Pour qu’un mouvement fonctionne, il doit être organisé mais celui-ci ne l’est pas. Ils se sont soulevés parce qu’il y avait un ras-le-bol. Être syndicat, c’est un métier. » Peu de maillots sous le sapin Cinq mois après le sacre des Bleus au mondial de football à Moscou, il est toujours aussi difficile de se procurer le maillot floqué des deux étoiles. Au lendemain du titre, 30 000 maillots avaient été mis en vente. Plusieurs enseignes de sport craignent de n’être livrées qu’en janvier. Une situation qui empêche des millions de supporters de mettre à jour leur garde-robe sportive. En 1998, 600 000 maillots avaient été écoulés après le premier titre mondial de l’équipe de France. Nouvelle collaboration pour Docteur Sneaker La boutique de réparation de baskets toulousaine Docteur Sneaker vient de signer une nouvelle collaboration. Après avoir customisé les sacs de la marque Guess, les Docteurs Sneaker s’attaquent à un classique de la mode. Ce n’est pas Nike, Adidas, ou Puma… Mais Besson Chaussures ! Une marque française historique née en 1982. Comme quoi, chaussures en cuir et baskets customisées peuvent faire la paire. Pas de miracle avec Ocean Clean Up « Ocean Clean up ne résoudra rien », a lâché Alexandra Ter-Hall, chimiste à l’université Paul-Sabatier à Toulouse, lors d’une conférence mercredi 5 décembre. Ce vaste projet de récupération des déchets plastiques en mer a débuté dans le Pacifique en septembre. Considéré par beaucoup comme une solution miracle, il avait récolté plusieurs millions d’euros. « Les plastiques récupérés, très dégradés, ne pour- ront être recyclables », a indiqué la scientifique active au sein de l’association 7e continent. « À l’heure actuelle, ils récoltent les plastiques, mais n’ont aucune idée de ce qu’ils vont en faire. » Plusieurs villes américaines auraient déjà refusé d’accueillir ces déchets sortis des eaux. Grosses pointures pour enquête stratégique Renault ne lésine pas sur les moyens pour l’audit lancé sur le comportement de Carlos Ghosn à la tête de la firme au losange. Un ancien directeur général de la police nationale Claude Baland, aujourd’hui monsieur sécurité du groupe, coordonnera cette enquête interne. Il sera secondé par un officier de réserve, Éric Legrand, entré chez Renault en 2011. Le résultat de cette enquête interne initiée après le placement du PDG de Renault en garde à vue à Tokyo, pour des soupçons de fraude fiscale, devrait être connu dans quelques jours. Distribué 4
ECLAIRAGE L’assurance chômage sur la table des négociations Les partenaires sociaux négocient l’assurance chômage et visent plus de trois milliards d’euros d’économies sur trois ans. ©Hélène Cathala Qui a initié la renégociation ? est de remettre un document avant le 26 janvier au Les organisations patronales et syndicales gouvernement. » En l’absence d’accord, l’État ne l’avaient pourtant pas réclamée. Le prendra la main sur la réforme. « Dans ce Medef affirme que « des accords avaient été cas, les droits des demandeurs d’emploi seront trouvés mais Emmanuel Macron a souhaité de baissés », précise Laure Doucin, assistante nouvelles concertations ». En effet, la conven- confédérale de Force ouvrière. Intermittents visés tion avait déjà été négociée avant l’élection présidentielle de 2017. Qu’est-ce qui pourrait changer ? Hélène Cathala, 59 ans, choré- La mesure est entrée en vigueur il y a un Le débat s’annonce épineux mais il aura graphe dans une compagnie an. La réforme a permis d’élargir l’indem- des conséquences concrètes sur le quotidien de danse contemporaine à nisation à davantage de démissionnaires des chômeurs. « Les demandeurs d’emploi seront Montpellier. et à certains indépendants. Les huit orga- touchés par une diminution de leurs droits et de « Je me sens protégée avec le système nisations syndicales et patronales doivent leurs indemnisations », explique Laure Doucin. actuel d’assurance chômage. Je doute désormais trouver un nouvel accord avant Dans sa lettre de recadrage, le gouverne- que les négociateurs s’y attaquent, la mi-janvier. ment d’ Édouard Philippe s’interroge sur bien que le gouvernement espère un l’efficacité du cumul emploi-chômage et effort de notre part pour atteindre Quels sont les enjeux ? des droits rechargeables qui conduiraient leur objectif d’économie. Ils ont déjà Les objectifs de ces négociations sont défi- à « une situation de précarité faite d’alternance de fait machine arrière en repoussant nis : accélérer le retour à l’emploi, réduire contrats très courts et d’indemnisation chômage ». la discussion au 11 décembre. Les la précarité et alléger la dette de l’Union Le contrôle des chômeurs pourrait quant intermittents sont très réactifs quand nationale interprofessionnelle pour l’emploi à lui être renforcé. on veut toucher à leurs droits, d’au- dans l’industrie et le commerce (Unédic) Un système de malus est envisagé pour les tant plus que nos allocations ont été qui s’élève à 35 milliards d’euros. « Les trois entreprises qui ont un recours excessif aux déjà drastiquement réduites. Sans semaines à venir seront capitales, ajoute Jean- contrats courts. le régime des intermittents, les trois François Foucard, chef de file du syndicat quarts d’entre nous disparaîtraient. » CFE-CGC sur les négociations. Notre objectif FLORA MIDY ET AGATHE RENAC 5
ÉCLAIRAGE Agriculteurs : PAC ou pas cap ? ©AFP/Éric Cabanis Souvent critiquée, la Politique agricole commune reste vitale pour les agriculteurs. En Occitanie, 801 millions d’euros d’aides ont été versés aux exploitations en 2017. E xploitations bovines, « Sans le soutien européen, mon Malgré ce soutien financier, l’ex- 1992. Blé, soja, pois chiche ou céréalières, ovines ou exploitation ne serait pas viable. » ploitation de Jean-Luc Rossignol lentille poussent sur son domaine biologiques. Chacune Sur un domaine de 140 hectares est déficitaire : « Cette année on de 100 hectares. Un territoire perçoit chaque année dans le Tarn, Jean-Luc Rossignol a perdu 4 000 euros. Ce que l’on qui lui permet de percevoir une des subventions attribuées par élève un millier de brebis et de produit ne nous permet pas de vivre. » aide annuelle de 20 000 euros, l’Union européenne par le biais chèvres. Pour gérer son domaine Sans livrer le montant exact des soit la moitié de son budget. de la Politique agricole commune à Parisot, l’agriculteur reçoit une subventions, le Tarnais imagine Bénéficiaire depuis vingt ans, le (PAC). Une aide dont les agri- aide annuelle européenne com- un déficit de 59 000 euros en cas quadragénaire a vu ses subven- culteurs ne pourraient se passer. prise entre 50 000 et 60 000 euros. d’absence de l’aide allouée par tions diminuer chaque année : Bruxelles. « En 1995, je touchais près de 400 euros par hectare, soit deux fois Une aide vitale plus. » Le producteur, pour qui Comme lui, 47 556 exploitations sa profession est une « vocation », en Occitanie perçoivent une défend coûte que coûte aide financière. Deux piliers cette politique agricole com- de subventions permettent d’abord mune, qu’il considère comme un soutien des marchés et des prix « le noyau de l’Europe ». Symbole agricoles. Il est calculé en fonction fort de la coopération européenne, de la superficie des exploitations la PAC fut, en 1962, la première agricoles et de la production, sans politique commune de l’Union. distinction territoriale. Dans la « Nous en avons besoin pour faciliter région, 801 millions d’euros ont été les échanges et demeurer une grande versés au cours de l’année 2017. puissance agricole au niveau mondial. » L’Occitanie est le deuxième bénéficiaire au niveau national. Maintenir des prix bas À une soixantaine de kilomètres Les exploitations économique- de Parisot, dans la commune de ment viables sans les subven- Merville, Axel Tran Van insiste lui tions de la PAC sont très rares. aussi sur la nécessité de la PAC. Sandra et Jean-Marie Dirat, L’agriculteur a repris l’exploi- éleveurs de canards dans le Tarn- tation familiale paternelle en et-Garonne, souhaiteraient 6
ÉCLAIRAGE « ne pas avoir recours à ce système en fonction de ce qu’ils produisent, imposé et contraignant. Nous vou- il y a deux possibilités. Augmenter drions vendre nos produits à un prix le prix de vente ou compen- réel, en fonction du coût du travail ». ser l’écart par des subventions. » Le couple en rêve sans pouvoir Sans oublier que l’objectif l’appliquer. Même si le versement p r e m i e r d e l a Po l i t i q u e correspond à moins de 10% agricole commune est du budget de l’exploitation, de permettre au plus grand l’aide reste vitale. « Depuis 2015, nombre d’accéder à des le bilan annuel est soit nul, soit négatif », ressources alimentaires explique la jeune femme de 35 ans à moindre coût, comme au milieu de son exploitation. le rappelle Vincent Darmuzey : Vi n c e n t D a r mu z ey, ch e f « La PAC n’a pas été créée pour les du service d’information statis- cinq millions d’agriculteurs mais tique, économique et territoriale, plutôt pour répondre aux besoins pointe l’impérieuse nécessité des 500 millions de consommateurs. » de la PAC, sans laquelle les produc- teurs ne seraient pas compétitifs : MARION DURAND « Pour que les agriculteurs soient payés Sandra et Jean-Marie Dirat, agriculteurs dans le Tarn. ©Marion Durand Des subventions dans les choux pour le bio Coup dur pour les finances des agriculteurs du secteur. Depuis trois ans, ils ne perçoivent pas les subventions promises pour leur conversion au biologique. Une somme astronomique pour l’exploitant de 46 ans qui ne peut pas se dégager de sa- laire. Père de deux enfants, sa famille ne peut s’appuyer que sur le seul salaire de sa femme pour survivre. Qu’importe les difficultés que cela entraîne, Axel reste un fervent défenseur de la PAC. « Grâce à elle, l’Union européenne a réussi à instaurer une sécurité alimentaire. » Sécurité financière des producteurs Vincent Darmuzey, chef de service d’in- formation statistique, économique et ter- ritoriale, explique ces retards par plusieurs dysfonctionnements. Tout d’abord, « des désaccords entre l’État et la région » sur le calcul des aides ont ralenti les procédures. Mais Axel Tran Van, à Merville, a converti son exploitation au bio il y a quatre ans. ©Marion Durand la cause principale des difficultés de paie- ment reste l’écart entre les prévisions sur Axel Tran Van est calme, mais ferme. biologique, il est censé percevoir 27 000 euros les conversions au bio et la réalité sur le « Je ne supporte pas que l’on nous mente. » Céréalier par an pendant cinq ans. Problème : depuis terrain. « Il y a eu un engouement pour le bio que bio installé à Merville (Tarn-et-Garonne), il 2016, Axel, comme bien d’autres agriculteurs personne n’a vu venir. » L’enveloppe budgétée a des raisons d’être en colère. Depuis 2016, il bios, ne perçoit plus ces aides à la conversion. en amont s’est retrouvée vite insuffisante ne perçoit plus les aides spécifiques auxquelles Avec la Fédération départementale des face au nombre d’exploitations éligibles aux il a droit pour son exploitation biologique. syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), aides à la conversion. Le succès commercial Il y a cinq ans, le céréalier est passé d’une il a demandé des explications. Les réponses du bio est inversement proportionnel à la agriculture raisonnée au bio. « Un choix officielles évoquent « un problème de logiciel lié capacité des pouvoirs publics à tenir leur économique plus qu’éthique », principalement au calcul des aides ». Et malgré un acompte de promesse financière. motivé par les subventions promises dans 31 000 euros perçu sur deux ans, l’État lui le cadre de la PAC. Pour sa conversion au reste redevable à hauteur de 50 000 euros. MARION BERNARD 7
ÉCLAIRAGE Désarroi et démissions dans les mairies rurales ©Julie Echard Un maire démissionnaire sur cinq est originaire de la région Occitanie. Ceux des plus petites communes voient leurs pouvoirs s’étioler et leur budget fondre. P erte de budget, hausse des dépenses, plus fréquente. Comme lui, 1 021 premiers maires de France révèle que 80% d’entre eux tâches lourdes, salaires moindres… édiles ont choisi de quitter leur fonction pensent que le regroupement des communes Un maire sur deux ne se repré- ces quatre dernières années, dont 200 en a trop d’influence sur leur village. À Mézens sentera pas aux élections de 2020. Occitanie. Hasard ou (Tarn), le budget alloué à L a f o n c t i o n n e f a i t p l u s r e c e t t e. coïncidence ? Dans cette En quatre ans, 200 maires l’école a doublé depuis Samedi 1er décembre, le maire de Varennes région particulièrement occitans ont démissioné qu’elle fait partie d’une (Haute-Garonne), a démissionné. Yves Mugnier rurale, les maires perdent communauté de communes. est parti, avec tous les membres de son leurs compétences au profit des communautés L’ancien maire, Raymond Favarel précise : conseil municipal. Une situation de plus en de communes. Une étude de l’association des « Pour deux écoles, nous dépensions 45 000 euros INFOGRAPHIE 8
ÉCLAIRAGE et nous sommes passés à 90 000 euros en 2018. « Sur un budget annuel de 300 000 euros, la main de l’exécutif : « Certes, le danger qu’il n’y Sauf que les dotations n’ont pas augmenté. » 110 000 euros sont des dotations de l’État. En ait plus de maire existe, mais ce serait une véritable Le regroupement intercommunal lui 2017, elles ont diminué de 40%. » Moins de économie pour l’État. Et ça donnerait tout le pouvoir demande de dépenser davantage, mais recettes, mais toujours autant de travail… aux communautés de communes. » l’État et la Région ne lui versent pas plus pour 645 euros par mois. C’est l’indémnité En France, plus d’une commune métro- de dotations pour gérer sa commune de moyenne que perçoivent les maires des politaine sur deux compte moins de 500 442 habitants. communes de moins de 500 administrés. habitants. Ces derniers se sentent délaissés Leur salaire est calculé en fonction du et craignent de voir disparaître le maire, « Après 2020, il n’y aura plus de maire » nombre d’habitant. Lionel Batmal, dernier interlocuteur à l’échelon local. Près de la moitié des communes françaises maire de Villeneuve-Lécussan, en a ras-le-bol. Ces démissions à la chaîne résonnent comme ont vu leur principale ressource, soit la do- « Je me présente en 2020, mais ce sera la dernière des appels au secours. Elles en disent long tation globale de fonctionnement, diminuer fois. Après, il n’y aura plus de maire. Les commu- sur cette France rurale qui enfile massive- en 2018. Un financement qui représente nautés de communes s’accapareront toutes les com- ment son gilet jaune pour se faire voir, et un tiers du budget d’un village comme pétences. » Jean-Louis Puysségur, également entendre… Pointis-Inard (Haute-Garonne, 882 habitants). président de l’Association des maires de Le maire, Jean-Louis Puysségur, détaille : Haute-Garonne, voit dans cette déperdition KAREN CASSUTO Varennes, la crise de maire Les 263 habitants de Varennes ont vu l’intégralité de leur conseil municipal démissionner, deux mois avant l’élection du nouveau maire Philippe Goux. Le fardeau du budget a bien été transmis. Le long des routes de cam- sa femme, Victoria Champy. pagne étroites et bordées de À 72 ans, Yves Mugnier est fatigué. platanes, les villages ruraux Les mains liées par le pouvoir d’Occitanie défilent. À 26 km qu’accorde l’État à la commu- au sud-est de Toulouse se niche nauté d’agglomération Le Sicoval Les Varennes, commune de et ses 36 communes. Haute-Garonne et ses 263 ha- Une collectivité dont les préoc- bitants.C’est la première se- cupations sont loin du quotidien ©Julie Echard maine de travail pour le nou- des villages ruraux. « Il a toujours veau pensionnaire de la mairie, été présent pour les gens qui frappent déjà noyé sous les dossiers. à la porte. Mais quand il n’y a plus d’argent dans la caisse et que Le Sicoval L’hécatombe dicte ses règles, à son âge, il ne peut À Varennes la mairie a finalement trouvé un nouvel occupant, Philippe Goux. S a m e d i 1 er n o v e m b r e , rien faire. » Philippe Goux a été élu maire. Philippe Goux, actuel détenteur Un soulagement pour ce vil- de l’écharpe tricolore l’affirme : lage où la totalité du conseil « C’était maire ou rien. J’aime avoir municipal a démissionné, des responsabilités dans cette com- deux mois plus tôt. Une héca- mune où j’habite depuis 21 ans. » tombe qui fait de son prédécesseur, Tailleur de pierre à peine retrai- Yv e s M u g n i e r, l ’ u n d e s té, il n’a pas hésité à reprendre 200 maires démissionnaires les rênes de Varennes, malgré d’Occitanie depuis 2014. les obstacles : « Sur un budget de Il vit avec son épouse, 150 000 euros par an, l’État ne à deux pas de l’édifice municipal, contribue même pas à la moitié. » ©Karen Cassuto dans une maison en pierre, aux La vocation de maire d’une petite volets bleus. « Il a jeté l’éponge. commune implique également Il y avait de nombreux désaccords un sens aigu de la gestion. internes et un manque de moyens qui minaient la prise de décisions », relate JULIE ECHARD Philippe Goux et Victoria Champy, épouse du maire démissionnaire. 9
FOCUS Renault-Nissan, un héritage convoité Carlos Ghosn toujours en garde à vue pour une période qui pourrait se prolonger, Renault espère garder le contrôle d’une alliance avec Nissan jugée indispensable. Motonari Otsuru. Alors que la véhicules vendus en 2017. Un durée légale de sa garde à vue leader de 450 000 salariés, de prendra fin le 10 décembre, le 122 usines aussi. Une situation quotidien Sankei révélait, mardi qui permet aux trois enseignes 4 décembre, que Carlos Ghosn (Renault, Nissan et Mitsubishi) de pourrait faire l’objet de nouvelles partager et, de fait, de baisser les charges. Déjà soupçonné d’avoir coûts de recherche et développe- minoré ses déclarations de re- ment (Renault prévoit d’investir venus comme patron de Nissan 18 milliards d’euros à cet effet entre 2010 et 2015 (une fraude d’ici 2022). Éssentiel au vu de estimée à 39 millions d’euros), il l’état du marché automobile serait cette fois poursuivi pour actuel et à l’obligation pour les les mêmes faits entre 2015 et constructeurs de faire face aux 2018, auxquels s’ajouteraient nouvelles normes énergétiques et ceux d’abus de biens sociaux et d’envisager la « voiture du futur ». de détournement de fonds. Buenos Aires, Argentine, vendredi Pourtant, à Boulogne-Billancourt, 30 novembre. Au sommet du G20, Thierry Bolloré, président par Emmanuel Macron sollicite le intérim de Premier mi- R e n a u l t « Le directeur général de nistre japo- (Carlos Renault doit rester le nais Shinzo ©AFP/Jacques Demarthon Ghosn, en Abe. « Un vertu de la président de l’Alliance » échange suc- présomption cinct, selon d’innocence, reste officiellement l’Élysée. Pour évoquer la procédure PDG), veut gagner du temps. judiciaire et rappeler l’attachement Le temps de reprendre la main mutuel à l’Alliance. » Déjà mardi face aux Japonais. Le temps 27 novembre, la France, à travers aussi de bâtir une direction à sa son ministre de l’Économie, lais- Carlos Ghosn lors d’une conférence de presse en 2014. convenance, lui qui devrait être sait comprendre qu’elle userait C définitivement promu au mois de son influence d’actionnaire de omme un symbole. profit d’une situation incertaine. de février. Face à Bolloré, Hiroto référence. Pour Bruno Le Maire, Jeudi 29 novembre à Saikawa met la pression. Aux « le directeur général de Renault doit Amsterdam. Première La fin de l’homme journalistes japonais, le nouveau rester le président de l’Alliance », réunion de l’Alliance providentiel patron de Nissan a déclaré : sous-entendu français. De l’autre Renault-Nissan-Mitsubishi, au À Yokohama, Hiroto Saikawa, nu- « Jusqu’à présent, une seule personne côté du globe, Hiroshige Seko siège du groupe, depuis l’ar- méro deux de Nissan, a pris était aux commandes (de l’Alliance, a peu goûté aux propos de son restation de Carlos Ghosn, le - provisoirement - le fauteuil NDLR). Maintenant, nous sommes trois homologue, ne montrant pas le 19 novembre, à Tokyo. Aucun du président. À Tokyo, Osamu à travailler ensemble. C’est une grosse même entrain à maintenir l’état des trois (nouveaux) patrons n’a Masuko, directeur général de différence. » La fin de la culture de actuel de la structure. Et avec ses répondu à l’appel. La réunion Mitsubishi, l’a imité. Au centre l’homme providentiel. six millions de voitures vendues aura bien lieu... par visioconfé- pénitencier de Kosuge, Carlos l’an dernier, Nissan, comme l’État rence. Un choix assumé côté Ghosn reste enfermé, dans des Une succession japonais, s’estime en position nippon, qui souffle le froid sur conditions kafkaïennes d’après convoitée de force pour prendre les rênes l’Alliance créée en 1999 et jugée ses proches. Depuis son arres- L’enjeu est de taille. En treize ans, de l’Alliance. Une hypothèse indispensable. Depuis la chute du tation, il continue de rejeter Renault-Nissan BV est devenu le impensable pendant l’ère Ghosn. patron, ministres et chefs d’État méthodiquement les accusa- premier constructeur mondial s’en mêlent, espérant chacun tirer tions, selon son avocat japonais avec quelque 10,6 millions de GEOFFROY BOUL 10
FOCUS Évasion spatiale sur-mesure ©Toysfilms À 36 000 km dans l’espace, les satellites de communication sont placés sur une orbite géostationnaire synchronisée avec la rotation terrestre. Le Sénat vient d’approuver un amendement pour défiscaliser une partie des bénéfices d’Eutelsat, leader français de satellites de communication. T rois lignes noyées dans les centaines « Je veux bien être critiqué parce que l’on augmente d’imposition sur les sociétés s’élève de pages du projet de loi de finances à 33% contre 18% dans le Grand- les impôts mais pas parce que l’on essaie de sauve- 2019 (PLF). Un amendement Duché du Luxembourg et 19% outre- garder le maintien de plusieurs centaines d’emplois adopté à 1h30 du matin dans et de recettes fiscales. » D’autant que pour le Manche. Eutelsat a réglé 155 millions une Assemblée nationale clairsemée. Cette parlementaire cette « belle entreprise se trouvait d’euros d’impôts sur les sociétés en disposition, approuvée par la commission des dans une situation très difficile ». 2018. Le député Gilles Carrez va même finances du Sénat ce 22 novembre, permet plus loin : « Il y a un problème d’harmonisation aux entreprises françaises d’exploitation Nivellement fiscal par le bas fiscale par rapport à des taxes qui existent en de satellites de communication en orbite Eutelsat, une belle affaire avec ses 290 France et qui n’existent pas au Luxembourg et au géostationnaire de s’exonérer de certaines millions d’euros de bénéfices nets cette Royaume-Uni. » conditions de l’impôt sur les sociétés. En année, même si l’entreprise observe un Le député du Val-de-Marne estime que le clair, les bénéfices réalisés sur le sol français recul de 17% par rapport à l’an dernier. manque à gagner pour Bercy serait de seront toujours imposés, en revanche pas ceux Pourtant, devant le Sénat en octobre l’ordre de 20 à 30 millions d’euros par an. encaissés en orbite, à 36 000 km de la Terre, 2016, le président de l’entreprise, « Ce n’est pas un montant énorme », tempère qui échapperont à l’impôt. Une disposition Rodolphe Belmer, l’entourage du député soutenue par le gouvernement sans une s’était fait quelque peu Le manque à gagner LR Éric Woerth, signataire quelconque manifestation de l’opposition. larmoyant. « Eutelsat est Or, une seule société en France exploite le seul opérateur au monde à pour le gouvernement de l’amendement. Le gouvernement, à travers des équipements de ce type : Eutelsat. Éric ne pas être soutenu par son sera de 20 à 30 millions le projet de loi de finances, Planchat, avocat fiscaliste, récuse le terme pays », pointant ainsi un d’euros par an devra toutefois trouver de « niche fiscale ». Selon lui, il n’est pas matraquage fiscal au de quoi compenser cette approprié même s’il faut « s’interroger pour regard de ses concurrents luxembourgeois baisse de recettes dans un contexte fiscal voir si ce n’est pas une aide déguisée donc une aide et anglais, SES et Inmarsat. L’entreprise tendu. D’autant que d’ici 2022, l’impôt sur qui devrait être déclarée à Bruxelles au niveau de la accuse d’ailleurs une dette de 2,5 milliards les sociétés tombera à 25%. Ainsi avec des Commission européenne ». d’euros cette année, sur 2,8 milliards bénéfices identiques à ceux réalisés cette En toile de fond, la crainte pour les signataires de fonds propres, ce qui confirme la année, Eutelsat économisera plus de 60 de voir l’un des fleurons de l’aérospatial fran- situation difficile de l’opérateur. Contacté millions d’euros d’impôts en 2022. çais mettre les voiles. Gilles Carrez, député par Impacts, Rodolphe Belmer n’a pas Les Républicains (LR) du Val-de-Marne et souhaité répondre à nos questions. QUENTIN LAMBERT cosignataire de cet amendement, se défend : Aujourd’hui, en France, le taux ET YVAN PLANTEY 11
FOCUS Etudiants étrangers priés de raquer à la fac ©Christian Manga La hausse de 1 500% des frais d’inscription pour les étudiants originaires de pays extra-européens divise. I njuste », « élitiste » et tant la hausse de 1 500% des frais étrangers », assure qu’avec ce plan, souhaitent obtenir un visa, et n’ont pas « d’autres. Les qualificatifs d’inscription pour les étudiants nombreux sont ceux qui « ne le droit aux aides du Crous (bourses peu élogieux ne manquent étrangers extra-européens. Ils pourront plus accéder à l’université ». étudiantes) », insiste-t-elle. pas ces derniers jours pour devront débourser 2 770 euros Il ne croit pas aux 14 000 bourses décrire le plan « Bienvenue en pour entrer en licence, contre d’exemption de frais promises « L’État nous refile France », présenté en novembre 170 euros actuellement, et 3 770 pour les étudiants originaires de la patate chaude » par le Premier ministre Édouard en master au lieu de 243. « Une pays en développement. « Une Dans les hautes sphères univer- Philippe afin de promouvoir la mesure profondément discriminatoire », compensation dérisoire » aux yeux sitaires, la mesure fait également coopération internationale uni- s’indigne Célian Malosse, pré- de Maïte Fraysse, présidente de débat. À l’université Paul-Sabatier, versitaire. Si tous les points ne sident de l’Unef à Toulouse. la Fédération des associations à Toulouse, son président Jean- font pas débat, une proposition Celui qui dit « militer toute l’année générales étudiantes (Fage). Pierre Vinel avoue « ne pas être fait réagir les syndicats étudiants : pour faire évoluer le sort des étudiants « Sur les 100 000 emballé ». Le profes- étudiants étrangers « Augmenter les seur de médecine extracommunautaires frais ne rendra tente toutefois de Vers une hausse en France, 86 000 de- justifier la décision de vront donc tout payer de pas la France l’exécutif : « Les études généralisée ? leur poche », estime plus attractive » sont aussi bon marché la jeune femme. en France car les parents Dans un rapport récent, la Cour des comptes pré- « Augmenter les frais ne rendra pas des étudiants français paient des impôts conise une hausse généralisée des frais d’inscrip- la France plus attractive aux yeux des qui financent l’université, ce qui n’est tion dans l’enseignement supérieur. Un « levier » autres pays, au contraire. » pas le cas des étudiants étrangers. Ce Elle répond à l’argument avan- n’est pas choquant d’envisager un tarif pour répondre au problème de « sous-finance- cé par l’État selon lequel la différencié. » Pour l’universitaire, ment » que connaît l’université. En master, ces hausse des frais d’inscription l’important est avant tout de droits pourraient subir une hausse de 300% et participerait à redorer l’image rappeler que « la mesure est une atteindre 965 euros. Pour les doctorants, même de l’université française sur la possibilité, non une obligation ». traitement : les sommes passeraient de 390 à scène internationale. Maïte Concernant l’établissement qu’il Fraysse considère que la me- représente, Jean-Pierre Vinel 781 euros. Que les étudiants se rassurent pour sure va dans le sens contraire préconise une discussion et ap- le moment, ce changement « n’est pas dans les de la volonté d’accueillir plus pelle à la constitution de critères, projets du gouvernement », a indiqué Édouard d’étudiants. « C’est déjà difficile « selon lesquels s’appliquera ou non une Philippe. pour ces étudiants qui doivent avoir modulation des frais d’inscription ». « Le 7 300 euros sur leur compte s’ils ministère nous refile la patate chaude, 12
FOCUS déplore-t-il néanmoins, c’est un Olivier, est lui aussi mesuré. « Les tergiversations, le conseil d’admi- positionnées contre la hausse. moyen de nous dire qu’on nous offre la étudiants ne paieront que le tiers de ce nistration du Mirail a décidé de L’État a finalement trouvé le possibilité d’augmenter vos ressources, qu’ils coûtent à l’État », souligne-t-il, voter à l’unanimité contre « une moyen d’augmenter le budget la balle est dans votre camp. » reprenant l’un des éléments de mesure discriminatoire et élitiste ». des universités sans bourse délier. À quelques kilomètres de l’univer- langage de Matignon. Pour lui, Une position loin d’être isolée, Ça sera aux étudiants étrangers sité Paul-Sabatier, le responsable toutefois, la mesure n’est applicable puisque d’autres universités comme de passer à la caisse. des relations internationales de que si elle est compensée par des l’établissement Paul-Valéry de l’université Jean-Jaurès, Jean-Marc bourses. Pour couper court aux Montpellier se sont elles aussi AUDREY MARTIN La hausse de la discorde Ibrahima, Mehdi et Tacfarinas, étudiants étrangers à Toulouse, sont concernés par l’éventuelle hausse des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur. Témoignages. ©Christian Manga Mehdi Lebbar, Marocain, 19 ans, Ibrahima Traoré, Malien, 28 ans, Tacfarinas Ounnoughi, Algérien, 30 étudiant à l’Institut polytechnique des en France depuis 2013, doctorant en ans, étudiant en master 2 physique sciences avancées, première année. droit public (Université Capitole 1). à l’université Paul-Sabatier 3. Je ne serai pas concerné par cette future Cette mesure du gouvernement est injuste Au sein des facultés américaines, de nom- mesure si elle s’applique à la rentrée pro- et va à l’encontre de l’esprit des valeurs de breux jeunes sont lourdement endettés, et chaine. Mais je suis solidaire avec les pre- partage et de fraternité de la République fran- remboursent leur prêt étudiant après des miers concernés. C’est une décision injuste çaise. En tant que membre de la Fédération décennies de vie active. Je ne souhaite pas qui aura énormément de conséquences des étudiants africains de Toulouse (FEAT), ça pour le modèle éducatif français. Cette négatives. Force est de constater que cette j’appelle l’ensemble des étudiants étrangers, mesure ne concerne pas que les étudiants mesure est discriminante à l’encontre des de tous horizons, à se mobiliser. Selon le étrangers, mais aussi les nationaux. L’Assemblée étudiants étrangers. Le gouvernement Premier ministre, cette nouvelle mesure nationale va débattre cette semaine sur une va radicalement aggraver la situation des permettra un meilleur accueil des étudiants augmentation généralisée des frais d’inscrip- étudiants, qui est déjà plus que précaire. et un enseignement de qualité. Je suis per- tion. Si cette mesure s’applique à la rentrée Tous ces jeunes qui n’auront plus les moyens suadé qu’il n’y a aucun lien entre des frais 2019, de nombreux étudiants ne pourront d’étudier, que vont-t-ils devenir ? C’est l’ins- de scolarité élevés et la qualité de l’enseigne- pas s’instruire en France pour des raisons tauration d’une sélection par l’argent. J’estime ment dans les études supérieures. J’ai des uniquement financières. Ce qu’ils veulent, que cette question mérite un meilleur traite- amis dans des établissements payants tels c’est attirer la bourgeoisie étrangère. Les ment médiatique. Depuis quelques temps, on que Essec Bordeaux, HEC Paris ou encore moins aisés ne pourront plus venir ici malgré nous parle des Gilets jaunes matin, midi et l’Institut catholique de Toulouse. Au sein leurs capacités et compétences. L’accès à soir. Les médias français ont peu évoqué la de ce dernier établissement, on retrouve les l’instruction est un droit, un droit universel. hausse des frais d’inscription. J’en vois parler mêmes professeurs qui interviennent dans Il faut qu’on dépasse cette mentalité des uniquement à travers les réseaux sociaux mon université publique. De toute manière, frontières étatiques. Demain, s’il y a un et les étudiants qui relaient l’information. les étudiants sont laissés à eux-mêmes. On projet de recherche, je souhaite me déplacer Cette augmentation doit être plus médiatisée nous donne simplement les outils pour librement et franchir les frontières : pourquoi afin que le public soit davantage informé travailler : à nous de nous en servir et de instaurer cette barrière financière ? et puisse prendre conscience de la gravité travailler de manière autodidacte durant RECUEILLIS PAR du sujet. notre formation. CHRISTIAN MANGA 13
DOSSIER La mobilisation des Gilets jaunes dans les rues de Toulouse le 1er décembre 2018. ©Valentin Belleville 14
DOSSIER S i le mouvement des Gilets jaunes novembre crée la surprise, autant pour manifestations du 1er décembre sont plus se raconte en actes, ce ne sont ses instigateurs que pour les partis et les violentes encore. Sans entracte, Emmanuel pas ceux d’une tragédie grecque syndicats restés à l’écart. « Le cap que Macron rentre du G20 argentin dans la mettant en scène les monarques nous avons fixé, il est bon et nous allons le nuit du samedi au dimanche. Après la et divinités d’un autre millénaire. tenir », affirme alors Édouard Philippe, bataille, le président découvre les décombres Profondément ancrés dans les territoires, inflexible. Nouveau décor pour « l’acte de la casse de la veille. Trop tard, encore ils sont ceux d’une France périurbaine et 2 » le 24 novembre : les Gilets jaunes une fois. Dans plusieurs villes, lycéens et rurale las du sentiment de jouer le rôle de sont appelés à manifester à Paris, au plus étudiants entrent à leur tour en scène. C’est simples manants. Une somme de colères proche du pouvoir. Cette fois la colère finalement Édouard Philippe qui cherche devenue intenable lorsque le gouvernement a un visage, celui des violences sur les un épilogue en annonçant un moratoire annonce la hausse de la taxe carbone Champs-Elysées. Chaos assourdissant sur les carburants mardi 4 décembre. Il prévue initialement au 1er janvier. face à un pouvoir silencieux. est suivi le lendemain par Emmanuel Grâce aux réseaux sociaux, amphi- Après trois jours de mutisme, Emmanuel Macron, qui déclare l’annulation pure et théâtres virtuels, des voix longtemps Macron tente l’apaisement. Le président simple de cette même taxe. En vain. Le inaudibles deviennent leaders d’opinion. jupitérien prétend qu’il parviendra à conci- président s’exprimera encore en début de La preuve avec la vidéo dénonçant « la lier les enjeux « de la fin du monde » et ceux semaine prochaine. L’acte IV se tiendra traque aux conducteurs » de la Bretonne « de la fin du mois ». Trop tard. Sa rhétorique samedi. Dénouement incertain d’une Jacline Mouraud, parfaite anonyme, ne suffit pas à rassurer les Gilets jaunes dont tragédie sociale. visionnée plusieurs millions de fois. La les revendications dépassent désormais première journée de mobilisation du 17 largement la question des carburants. Les PAULINE JOSSE 15
DOSSIER ©AFP/Alain Jocard Le Premier ministre, Édouard Philippe monte au perchoir de l’Assemblée nationale le 5 décembre dernier. L’impossible manœuvre de LREM Les réponses apportées par le gouvernement d’Édouard Philippe à la crise des Gilets jaunes peinent à apaiser les colères. C ’est une première. En Marche veut plus de cette VeRépublique oligarchique. On lors de son allocution. Pour autant, même fait marche arrière. Emmanuel demande un modèle électoral comme en Suisse, certains parlementaires de la majorité n’ont Macron, dans la discrétion qu’au- où les citoyens sont régulièrement consultés par pu être rassérénés. Sébastien Ladot, député torise sa fonction, a délégué à son référendum », plaide Rodolphe. Ils sont une LREM de la 10e circonscription de Haute- Premier ministre la mission de s’adresser petite dizaine ce matin-là à arborer le gilet Garonne, fait amende honorable : « L’heure aux Français. Édouard Philippe a pris la jaune et à débattre autour du brasero avec est venue de dire que nous nous sommes trompés parole le mardi 4 décembre, peu après midi, un Thermos de café. en affirmant qu’on allait relancer l’économie par pour tenter de calmer la colère jaune. Une Sur une table improvisée : des viennoiseries, l’entreprise. » S’y ajoute la difficulté du jeune première main tendue pour réconcilier La des chocolats, du pâté, des fruits. Autant de parti à s’implanter dans les territoires. République En Marche avec ses adminis- preuves tangibles du soutien de ceux qui Le parlementaire le concède : « La trés. La voix est ferme, mais le ton est à la ne peuvent pas se permettre de manquer politique façon République En Marche est très rédemption : « Aucune taxe ne mérite de mettre un jour de travail pour faire grève. parisienne. » En ce sens, Sébastien Nadot en danger l’unité de la nation. » considère les mesures du Premier mi- Formulées trois semaines plus tôt, ces me- « Le temps qu’il faudra » nistre « satisfaisantes dans l’instant, au plus sures auraient sans doute suffi à endiguer la Annie est retraitée. Ce mardi, les mesures tard jusqu’à Noël », mais doute de leur vague jaune qui s’empare des routes comme du gouvernement lui semblent dérisoires : efficacité pour empêcher le quatrième des villes. Aujourd’hui, le mouvement a « On est encore plus remontés, on ne croit plus acte des mobilisations prévu ce same- des revendications bien plus larges. En tête aux promesses d’Édouard Philippe. Nous on veut di. En première lecture à l’Assemblée desquelles, un slogan soufflé, déclamé, hurlé du concret et créer notre VIe République. » Elle nationale, le vote du budget 2019 à la dans chaque cortège depuis le 17 novembre continuera de porter son gilet jaune « le mi-décembre sera décisif : « S’il suit la dernier : « Macron démission ». temps qu’il faudra ». même lignée que celui de 2018, c’est-à-dire sans Malgré des sensibilités très différentes et aucune amélioration en matière de répartition fis- Crise des institutions des historiques politiques parfois opposés, cale, je ne suis pas sûr que je le voterai.» Un gimmick que l’on retrouve sur ce chacun de ces Gilets jaunes dit souffrir d’un Une décision qui contraindrait Sébastien rond-point à Tournefeuille, à quelques même sentiment d’abandon de la part de Nadot à se mettre au ban de la majorité kilomètres de Toulouse. Un groupe de ses représentants politiques. Une absence parlementaire. Gilets jaunes affirme ne plus rien attendre d’écoute à leurs drames du quotidien qu’a des annonces du gouvernement : « On ne pourtant essayé d’enrayer Édouard Philippe PAULINE JOSSE 16
DOSSIER La périphérie toulousaine en colère En petite couronne toulousaine, des Gilets jaunes indignés, mais aussi des commerçants et artisans, témoignent de leur quotidien. Aux abords du depôt pétrolier de Lespinasse, les Gilets jaunes bloquent l’accès à l’un des poumons économiques de la région. ©Marion Bernard V oilà trois semaines ne m’en sortais plus avec les taxes. » d’albâtre et cigarette électronique avec une pointe d’incompréhen- que les Gilets jaunes Aujourd’hui il travaille comme à la main, vient tout juste de fêter sion la jeune femme aux yeux bloquent le rond- agent de propreté et se lève tous ses 40 ans sur le rond-point de rieurs. Le panier moyen a diminué de point qui mène à la les matins à 5h30 pour commen- Lespinasse. Agent de sécurité, 30 ou 40 euros. » Cinq kilomètres raffinerie de Lespinasse (Haute- cer à 6 heures à Colomiers. Ce elle travaille souvent le week-end plus au nord, Saint-Jory et ses Garonne). Artisans, commer- père de famille dépense environ mais tient à rester présente sur 6 200 habitants. 10 heures du çants, fonctionnaires, employés 300 euros de carburant chaque le rond-point la semaine. matin, c’est la pause-café cigarette de grandes surfaces, tout un mois. « C’est presque autant que mon pour Mathieu, opticien. Depuis pan de la société civile se relaie loyer de 515 euros » , s’insurge-t-il. « Vous êtes un warrior » le blocage des gilets jaunes, les chaque jour pour bloquer ce lieu Installé à Lespinasse, il n’a guère « Je travaille sans cesse avec mes chiens commandes peinent à arriver stratégique. d’autre choix que la voiture. « Avec donc j’utilise beaucoup la voiture. Si je et pourtant, l’homme se veut Foulard à l’effigie tête de mort les transports, il faudrait que je me lève ne sors pas du département, je dépense taquin. « Oh vous êtes un warrior », hissé jusque sous les yeux, David, à 3 heures pour arriver à Colomiers 200 euros par mois d’essence. Lorsque dit-il à un livreur, vainqueur des 45 ans est en colère : « J’étais à 6 heures » regrette-t-il avant j’ajoute les courses, l’électricité, l’eau, barrages routiers. maçon, j’ai créé ma boîte en 2008 d’ajouter : « Le gouvernement doit je ne m’en sors plus. Et pour la taxe Puis, veste du Stade toulousain et j’ai dû fermer en 2015 avec deux renoncer à la taxe sur les carburants. » d’habitation, j’ai payé 50 euros de sur les épaules, l’homme reprend ans de commandes en attente car je Angélique, cheveux noirs, peau plus que l’année dernière, détaille peu à peu son sérieux. Il observe 17
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