MERCEDES AZPILICUETA CAC Brétigny
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BESTIARIO DE LENGÜITAS ACTE / ACT I : [Bestiaire des petites langues / CIGARETTES, RUDA ET SOURIS [CIGARETTES, RUDA AND MICE] Bestiary of Tonguelets] Scène / scene 1 : Zapam-Zucum vient de déménager [Zapam-Zucum recently Moved] Une pièce en 5 actes (en construction) Scène / scene 2 : Lamentations et / and Harmonizations [A Play in 5 Acts (in progress)] Scène / scene 3 : Souris ou Gualichos ? [Mice or Gualichos?] de/by Mercedes Azpilicueta ACTE / ACT II : avec (entre autres) / with (among others) CADAVRES, EXCÈS ET OISEAUX [CORPSES, EXCESS AND BIRDS] Zapam-Zucum, la Llorona, Scène / scene 1 : Une chorégraphie néobaroque [A Neo-baroque Choreography] des feuilles de ruda apportées par Scène / scene 2 : La cacophonie des jumelles Yarará-Warrah [The Yarará-Warrah Twins’ Cacophony] [ruda leaves brought by] Caterina, La Porc-épic (Soft Amour X), un Chœur de cadavres, de vagabond·e·s et ACTE / ACT III : d’anges déchu·e·s [a Choir of corpses, PARLER EN CHANTANT : LA FEMME-MAISON [SPEAKING-SINGING: THE FEMME-MAISON] vagabonds and fallen angels], Scène / scene 1 : Hommage à / Tribute to Lea Lublin Néstor Perlongher, des marmottes [groundhogs], Scène / scene 2 : La Trobairitz chante / Sings Je suis Malade Rosalía de Castro, El Gualicho (dit aussi « le Sortilège » / aka The Spell), ACTE / ACT IV : des souris parisiennes [Parisian mice], Las Yarará-Warrah (deux sœurs jumelles / LA DAME À LA LICORNE two twin sisters), Scène / scene 1 : Sur l’écoute, par Zapam-Zucum Clochard-Crochet (Soft Amour VIII), [On Listening, by Zapam-Zucum] Lea Lublin, une Trobairitz motorisée [a motorized Scène / scene 2 : Sur le goût, par une Tomate bleue [On Taste, by a Blue Tomato] Trobairitz], Scène / scene 3 : Sur l’odorat, par la Warrah [On Smell, by la Warrah] Scène / scene 4 : Sur le toucher, par la Yarará [On Touch, by la Yarará] Dalida, Scène / scene 5 : Un monde / A World alla rovescia la Dame à la licorne, une tomate bleue génétiquement modifiée ACTE / ACT V : [a blue, genetically modified tomato], l’herbe à maté [maté grass], L’ENROSADIRA des fleurs d’Arnica [Arnica flowers], Scène / scene 1 : Barbara Pachlerin dans le jardin des roses l’Enrosadira, une Alchimiste transformée en merle [Barbara Pachlerin in the Garden of Roses] [an Alchemist turned into blackbird], Scène / scene 2 : Une alchimiste devenue Merle [An Alchemist turned Blackbird] Scène / scene 3 : Thaumaturgie et Donne Selvatiche par Ramón [Thaumaturgy des Donne Selvatiche, and Donne Selvatiche by Ramón] Ramón la chouette alpine [the alpine owl], Scène / scene 4 : Merda e putrefazione, la fête [Merda e Putrefazione, the party] Barbara Pachlerin, une jeune coccinelle [a young ladybird]... Extrait du scénario de / Extract from the script by Mercedes Azpilicueta
Cher·e, Je prends la liberté de t’écrire directement. On ne se connaît pas, pourtant j(1)’aimerais te confier certaines pensées intimes qui m’ont accompagnée durant les préparatifs du dernier chapitre de Bestiario de Lengüitas au CAC Brétigny — sous sa forme d’expo- sition en tous cas. Ma conversation avec Mercedes Azpilicueta a commencé en avril 2017 à Paris, pendant la première phase de sa résidence en deux parties à la Villa Vassilieff(2). J’étais en congé maternité à l’époque, mais je l’ai rencontrée dans son atelier avec ma fille de 3 mois, Nour. Cela a marqué le début d’une relation où le professionnel(3), le personnel et le politique s’enche- vêtrent irrémédiablement. Alors que je tente de retra- cer la multitude des étapes et des rencontres menant au livret que tu tiens dans les mains, j’éprouve le besoin pressant d’invoquer des histoires, des compa- gnonnages et des sentiments qui restent d’ordinaire en coulisses. Après tout, les coulisses sont un endroit important pour Bestiario depuis le début. Un endroit de métamorphose ; d’habillement, de déshabillement et de travestissement ; chargé d’odeurs de maquillage, de sueur, de fatigue et de désir. (1) Ma lettre est tissée de Toutes les citations sont citations d’autres femmes, traduites par mes soins. dans l’espoir de signaler que (2) Avec le soutien du le je d’où je parle est poreux Pernod Ricard Fellowship. et co-dépendant. Comme (3) Par « le professionnel », le rappelle Sara Ahmed, j’entends des gestes « [l]a citation est une transformateurs et mémoire féministe. C’est réciproques de soin et ainsi que nous laissons d’attention envers notre la trace des lieux où nous travail respectif ; et des avons été et de celleux qui efforts partagés pour nous ont aidé sur le chemin. » construire les conditions Toutes les références éthiques et matérielles bibliographiques se de son épanouissement. trouvent à la fin de ce texte. 4 Bestiario de Lengüitas 5
En effet, Bestiario de Lengüitas s’est développé Dans ses notes préliminaires au scénario, parallèlement à l’écriture d’un scénario de pièce de Mercedes enracine son écriture dans la nécessité de théâtre, un processus au long cours agrégeant des voix repenser notre relation au lieu, à la maison et aux hétérogènes et des « ami·e·s du passé »(4) et du présent. manières d’habiter, hors de toute approche géogra- Nourries d’ateliers, de collaborations et de répétitions phique, en ancrant ces notions dans le corps en tant avec des artistes, des chercheur~euses, des designers, que site poreux et désirant. Se situant comme immi- des danseur~euses et des chanteur~euses, les œuvres grante latina dans le Vieux Monde (ce qui ne l’em- présentées invitent un chœur de personnages gro- pêche pas d’avoir son « propre petit royaume de pri- tesques à habiter bruyamment la scène d’une perfor- vilèges »), elle s’interroge sur les effets de la migration mance à venir. Usant de systèmes de connaissance et du déplacement — forcé ou volontaire — comme obsolètes, de poèmes neobarrosos, de traductions traits déterminants de l’humanité et d’autres formes foireuses et d’ingrédients ambigus, iels tentent de de vie ; et sur la manière dont cette condition plané- maintenir le chaos et l’excès dans un monde qui exige taire pourrait offrir une tactique de navigation dans l’ordre, l’efficacité et la transparence. Dessins, cos- un monde à la renverse, à même de défaire la maison tumes, broderies, vidéos, pièces sonores et sculptures du maître (Audre Lorde). peuvent être considérées aussi bien comme des par- titions, des prototypes, des décors, des systèmes de L’idée de maison fait plutôt référence à un sens savoir codés ou même des personnages se répondant de la communauté. Mon corps est constitué les un·e·s aux autres, plutôt que comme des œuvres de souvenirs, de personnes et de lieux qui ne autonomes. Iels ouvrent des fenêtres sur un travail sont pas nécessairement à proximité de moi. en cours qui prolifère à travers une multiplicité de Iels n’en forment pas moins une constellation rencontres, d’amitiés et d’affections. Bestiario de d’affections et de soins qui devient ma commu- Lengüitas trouve son inspiration dans des dispositifs nité ou, pour le dire mieux, notre communauté. de connaissance proto-scientifiques, mêlant imagi- Pourrions-nous créer un sentiment d’appar- naires médiévaux européens et cosmogonies latinas ; tenance détaché d’un endroit spécifique, une faisant se rencontrer sorcières, déesses et muses des maison caractérisée par l’ambivalence, la flui- deux côtés de l’Atlantique. Les personnages (qu’iels dité, la multiplicité, le mélange des valeurs, soient vivant·e·s ou mort·e·s ; réel·le·s ou fictif·ve·s ; humain·e·s, prothèses, animaux, démon·e·s ou plantes) (4) Je suis reconnaissante conversent dans une polyphonie de langues et de voix envers Pauline Boudry et qui déroute les récits straight. Bestiario de Lengüitas Renate Lorenz pour cette notion générative. t’invite à une sorte de danse « Baroque du Nouveau (5) Le « Baroque du Monde »(5) qui préfère l’instabilité et la prolifération à Nouveau Monde » désigne les ramifications rebelles, la quête d’une vérité univoque. métisses et décoloniales du Baroque européen dans les colonies des Amériques (NDE). 6 Bestiario de Lengüitas 7
la dispersion, les contradictions ainsi que les Maintenant, des mois plus tard, j’essaye tou- absences ? Pourrions-nous fomenter de telles jours de traverser ma dépression et d’atteindre corps-maisons, sensibles, multiples et frag- un autre état d’esprit. J’essaye toujours d’échap- mentées, capables de se penser en (tant que) per à mes bêtes de l’ombre (desconocimientos) : communautés ? (Mercedes Azpilicueta) torpeur, colère, désillusion. En plus de faire face à ma propre ombre personnelle, je dois Relues en octobre 2020, ces notes prennent une affronter l’ombre collective dans les psychés résonance dramatique, au cœur des restrictions de ma culture et de ma nation — on hérite tou- et des distances imposées par la(6) Covid-19 et son jours des problèmes passés de la famille, de la (mis)management gouvernemental. Alors que je m’ef- communauté et de la nation. Je contemple la force de rédiger cette lettre de la maison, je suis bou- lune, Coyolxauhqui, et sa lumière dans l’obs- leversée par les disparités insoutenables que l’idée curité. Je cherche une image réparatrice, pour même de maison incarne aujourd’hui. La maison, c’est me re-connecter aux autres. Je cherche l’ombre là que beaucoup d’entre nous — travailleur~euses de positive dont j’ai aussi hérité. (Gloria Anzaldúa) l’art — avons eu la chance de nous confiner ; tandis que pour d’autres, elle — c’est-à-dire un lieu où coha- Le scénario de Mercedes est peuplé de corps malades biter avec ses proches — est devenue désespérément ou morts. Le poème de Néstor Perlongher, Cadáveres hors d’atteinte. À la maison, je travaille et j’interagis (voir pp. 55-6), une litanie pleurant les cadavres accu- avec des corps dématérialisés tandis que d’autres mulés sous la dictature argentine (1976-83), est l’une corps, dehors, tombent malades et meurent ; tombent de ses inspirations fondatrices. Le poète l’écrit en sous les coups de la police et meurent ; tombent sous 1981, en chemin vers son exil au Brésil, après avoir le couteau de la haine et de l’exclusion et meurent. été détenu pour son rôle prépondérant dans le Front À la maison, au printemps dernier, des femmes et de libération homosexuelle en Argentine. En ligne, des enfants enfermé·e·s pour leur sécurité ont souf- tu peux écouter la voix de Perlongher qui récite le fert de violences domestiques en hausse. À la maison, poème en 1989, trois ans avant de mourir du sida. nous craignons pour des corps que nous ne pouvons Elle résonne dans le Coro del inframundo [chœur de toucher, nous portons le deuil de celleux que nous ne l’inframonde], qui ne cesse d’interrompre le scénario pouvons enterrer, tandis que d’autres corps délivrent de Mercedes : cadavres exubérants, vagabond·e·s et le travail du soin au détriment de leur propre santé. anges déchu·e·s qui parlent en langues mestizas(7) et La maison, c’est ce lieu inaccessible à celleux qui sont incarnent l’excès et la perte de sens. Pour Mercedes, maintenu·e·s à la rue par des politiques hostiles. La maison, c’est ce qui sépare les corps qui comptent (6) Le 7 mai 2020, l’Académie de ceux qui ne comptent pas, les vies qu’on pleure de Française publie un article appelant à redonner à l’acronyme celles qu’on ne pleure pas, tandis que les zones d’inha- Covid-19 « le genre qui devrait bitabilité (Judith Butler) ne cessent de s’étendre. être le sien ». En effet, en français de France, maladie s’énonce au féminin. 8 Bestiario de Lengüitas 9
iels personnifient (tout comme Perlongher) le style rappelle, dit-il, qu’apprendre, c’est un peu tomber littéraire du « Neobarroso Rioplatense », carnavali- malade (quelle phrase magnifique !) : se laisser affec- sation parodique du Baroque par des écrivain·e·s et ter, accepter la perte et la transformation. Les feuilles artistes latinxs(8) du XXe siècle dans le but de déran- de ruda [rue] qui infusent le scénario, les dessins et les ger, à coups de poétiques désordonnées et incontrô- broderies de Mercedes, servent aussi bien aux rituels lables, un ordre colonial qui perdure aussi dans la domestiques de protection qu’aux avortements, tout langue et l’écriture. juste légalisés en Argentine après des années de lutte. Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous Le monde indigène ne conçoit pas l’histoire n’avez pu brûler, chantaient les manifestantes pour comme une chose linéaire ; le passé-futur est le droit à l’avortement ; chantent à leur tour des contenu dans le présent. La régression ou la chœurs madrilènes amateurs, invités à interpréter progression, la répétition ou le dépassement des extraits du scénario de Mercedes. Les sorcières du passé sont en jeu dans chaque conjoncture — brujas, meigas, Donne Selvatiche, dont Mercedes et dépendent davantage de nos actes que de a collecté les légendes entre Buenos Aires, Madrid nos mots. Le projet d’une modernité indigène et Bolzano — nous offrent des figures de résistance peut émerger du présent en une spirale dont le ambigües face à divers biopouvoirs (comme l’indus- mouvement est un aller-retour continu entre trie pharmaceutique)(9). Comme dans le dernier vers le passé et le futur — un « principe d’espoir » du poème de Mercedes, assemblé·e·s malgré les dis- ou une « conscience anticipatoire » — qui tout tances forcées, nous nous mettons à vibrer. à la fois discerne et réalise la décolonisation. (Silvia Rivera Cusicanqui) Dans son propre poème nos sentimos intoxicadas (voir pp. 42-3), qui apparaît sur les murs de l’exposi- 7) Sous l’Empire espagnol, le (...) et dans un état de terme désigne les personnes perpétuelle transition (...). » tion, Mercedes inscrit son corps dans une commu- d’ascendance mixte, (8) Forme d’écriture inclusive nauté rapprochée avec d’autres, lié·e·s par leur vulné- européenne et autochtone. employée en espagnol, qui Nous nous inspirons plutôt sonne particulièrement à rabilité à un ordre patriarcal néo-libéral qui empoi- ici du texte de l’auteure l’oral. sonne et détruit des vies pour le profit. Bestiario chicana Gloria Anzaldúa, (9) « Selon [Luciano] « La conscience de la Parinetto, la sorcière de Lengüitas donne une place prépondérante à des Mestiza. Vers une nouvelle est en fait une figure éléments ambivalents (minéraux, plantes et per- conscience » (Tiré de : Gloria conceptuelle errant dans Anzaldúa, Borderlands/La le temps et l’espace, sans sonnages) capables d’intoxiquer et de soigner tout à Frontera: The New Mestiza. référent objectuel historique la fois. Dans son étude de la circulation des plantes San Francisco, Aunt Lute univoque : elle est plutôt Books, 1987), qui introduit le noyau de la diversité médicinales entre le « Nouveau Monde » et l’Ancien, la figure de la mestiza radicale dans le contexte entre le XVe et le XVIIIe siècle, l’historien Samir comme « un produit du capitaliste des origines et transfert des valeurs elle est réactualisée sous Boumediene observe la reconfiguration de l’ordre culturelles et spirituelles différentes formes dans le des savoirs et des pouvoirs qui en a découlé des deux d’un groupe à un autre. capitalisme tardif avancé. » Triculturelle, monolingue, (Simone Frangi) côtés de l’Atlantique. Cette ambiguïté subversive nous bilingue ou multilingue, 10 Bestiario de Lengüitas 11
Mon système sanguin a été débarrassé de l’un Notre famille Bestiario élargie, qui t’invite à entrer. de ses autres viraux, pourtant cette relation- nalité poreuse qui consiste à être multiple lenguas vivas dans le monde demeure. Nos corps vulnérables lenguas lamiendo muertos dépendent les uns des autres à l’échelle pla- lenguas nétaire, requérant à la fois le soin intime du lenguas soutien mutuel et les remèdes de la science lenguas menguantes biomédicale. Pour vivre parmi les virus et sur- lenguas como calcetines vivre à nos interactions avec eux, il faut pen- lenguas ser comme un virus : xenophile, opportuniste, lenguas muertas, en constante multiplication et à plusieurs. lenguas con hongos Notre résistance à l’isolation néolibérale doit lenguas lamiendo muertos s’étendre jusqu’à saturer l’atmosphère. lenguas (Caitlin Berrigan) (Mercedes Azpilicueta) Mercedes se présente parfois comme une « cher- Avant de te laisser, je te prie d’accepter ce petit cadeau cheuse malhonnête », inadaptée, une imposture. Elle a en forme de poème non traduit, pour qu’il sonne à une manière pirate de marauder à travers les catégo- tes yeux, ta bouche et tes oreilles comme un mystère ries, les disciplines et les méthodes, ainsi que les fron- envoûtant, déroutant (à moins que tu ne lises l’es- tières culturelles, géographiques et politiques. Une pagnol, bien sûr). Le scénario de Mercedes est peu- position non-autoritaire qui rappelle Barbara Cassin, plé de lenguas mestizas et de dirty translations qui lorsqu’elle se décrit comme « une philosophe trem- accueillent l’opacité et l’échec. Les langues sont insé- blante » — elle qui définit la traduction, ce processus parables des corps. Elles sont des organes désirants central dans tout le scénario et l’exposition, comme qui relient nos bouches à nos oreilles, entre autres. un savoir-faire avec les différences, un geste d’amour Langues mortes-vivantes, organes qui défaillent, voix contingent et situé. Sans cesse remis sur le métier. tremblantes. Une manière tremblante d’habiter le Oui, telle que tu la vois, Bestiario de Lengüitas reste monde : cela pourrait-il ouvrir la voie d’une fiction une exposition somme toute classique — une forme, réparatrice (Émilie Notéris) aux effets performa- ou plutôt un écosystème aujourd’hui secoué par la fer- tifs ? Trembler : non pas de peur ou de fièvre, sous meture temporaire ou permanente des institutions le choc des conséquences physiques ou psychiques artistiques, justifiée par la crise du Covid-19. En tant de la violence. Mais plutôt pour se laisser affecter, se que telle, j’espère qu’elle t’offrira le plaisir d’une ren- mettre à l’unisson des autres, vibrant·e·s, vulnérables, contre avec les œuvres et les histoires qu’elle contient. ensemble. Et que tu verras briller, sous la surface, le tissage discret de relations, de voix et de luttes partagées qui ont formé sa trame au cours de quatre denses années. 12 Bestiario de Lengüitas 13
Peut-être que, depuis la fragilité, nous pouvons Dear, penser d’autres manières de construire des abris féministes. Nous pourrions penser la I am taking the liberty to write to you directly. We fragilité non pas tant comme la perte poten- don’t know each other, yet I(1) would like to confide in tielle de quelque chose, la fragilité comme you about a few intimate thoughts that arose while perte, mais comme une qualité des relations preparing the final chapter of Bestiario de Lengüitas que nous acquérons, ou une qualité de ce que at CAC Brétigny — under its exhibition form, at least. nous construisons. Un abri fragile a des murs My conversation with Mercedes began in April 2017 plus lâches, faits de matériaux plus légers : in Paris, during the initial phase of her two-part voyez comme ils bougent. Un mouvement, c’est residency at Villa Vassilieff.(2) I was on maternity ce qu’on construit pour survivre à ce qui a été leave at the time, but I met her in her studio with my construit. Lorsque nous relâchons les condi- 3-month-old daughter Nour. This marked the begin- tions nécessaires pour être au monde, nous ning of a relationship in which the professional(3) and créons de l’espace pour que les autres puissent the personal~as~political are deeply entangled. As I être. (Sara Ahmed) attempt to retrace the multiple steps and encoun- ters that led you to hold this booklet, I feel the urge to bring together stories, companions and feelings Bien à toi, that usually remain backstage. After all, backstage has been an important location for Bestiario from the Virginie start. A place of metamorphosis; dressing, undressing and cross-dressing; infused with the smells of make- up, sweat, fatigue and desire. Indeed, Bestiario de Lengüitas developed along- side the writing of a script for a theater play, an ongo- ing process which aggregated heterogenous voices and (1) My letter is woven with references can be found at quotes by other women, in the end of this text. the hope of exposing the (2) Supported by the Pernod I from which I write as Ricard Fellowship. porous and co-dependent. (3) By “the professional”, As Sara Ahmed recalls, I mean transformative, “Citation is feminist reciprocal gestures of care memory. It is how we leave a and attention to each other’s trail of where we have been work; and joint efforts to and who helped us along build ethical and material the way.” All bibliographical conditions for it to thrive. 14 Bestiario de Lengüitas 15
“friends from the past”(4) and the present. Fueled by — be it forced or voluntary — as determining features workshops, collaborations and rehearsals with art- of humans and other living forms; and how this plan- ists, researchers, designers, dancers and singers, the etary condition could become a generative tool to nav- works on view invite a choir of grotesque characters igate a spinning world and undo the master’s house to loudly inhabit the stage of a future performance. (Audre Lorde). Using obsolete knowledge systems, neobarroso poems, failed translations and ambiguous ingredients, they The idea of home rather refers to a sense of try to maintain chaos and excess in a world calling community. My body is formed by memories, for order, efficiency and transparency. Drawings, people and places that are not necessarily costumes, embroideries, videos, sound pieces and present by my side. They nevertheless form sculptures can be approached as scores, prototypes, together a constellation of affections and care décors, encoded knowledge systems or even charac- that becomes my community or, to put it bet- ters responding to each other, rather than as autono- ter, our community. Could we create a sense of mous artworks. They are windows into a work-in-pro- belonging detached from a specific location, a gress that proliferates through multiple encounters, home characterized by ambivalence, fluidity, friendships and affections. Bestiario de Lengüitas multiplicity, the mixture of values, dispersion, finds inspiration in proto-scientific knowledge devices, contradictions as well as absences? Could we blending European medieval imaginaries with foment such bodies-homes, sensitive, multiple Latin American cosmogonies; and bringing togeth- and fragmented, capable of thinking them- er witches, goddesses and muses from both sides selves as and in communities? ” (Mercedes of the Atlantic. The protagonists (be they living or Azpilicueta, my translation) dead; existing or fictive; humans, protheses, animals, demons or plants) converse in a polyphony of lan- Re-reading these notes in October 2020 takes a new, guages and voices that obfuscate straight narratives. dramatical resonance, amidst the restrictions and Bestiario de Lengüitas invites you into a “New World distances imposed upon our bodies by la Covid-19(6) Baroque”(5) kind of movement that favors instability and its State (mis)management. As I begin typing and proliferation over the quest for a single truth. this letter at home, I feel shattered by the unbearable In her preliminary notes to the script, Mercedes roots her writing in the necessity to rethink (4) I am grateful to Pauline Académie Française Boudry and Renate Lorenz published an article our relationship to place, home, or dwelling, by for this generative notion. championing the use of the detaching it from a geographical location and anchor- (5) The “New World Baroque” feminine pronoun la, as the refers to rebel, mixed and only “proper grammatical ing it in the body as a porous site of desire. Situating decolonial ramifications of gender” of Covid-19 against herself as a Latina immigrant in the Old World (with, the European Baroque in the “faulty” masculine le the colonies of the Americas that was widely employed nonetheless, her “own little reign of privileges”), she (Note from the editors). until then. Indeed, in French, ponders on the effects of migration and displacement (6) On May 7 2020, the “disease” is female. 16 Bestiario de Lengüitas 17
disparities that the notion of home carries today. Mercedes’ script is populated by dead and sick bodies. Home is where many of us — the art working class A founding inspiration is Néstor Perlongher’s poem — had the privilege to confine ourselves during the Cadáveres (see pp. 55-6), a litany mourning the accu- recent lockdown; while for others, home — meaning mulation of corpses left by the Argentinian dicta- a place to cohabit with our loved ones — became torship (1976-83). The poem was written on his way desperately out of reach. Home is where I work and to exile in Brazil in 1981, after he had been detained interact with dematerialized bodies while other bod- for his active participation in the Argentinian ies outside fall sick and die; fall at the hands of the Homosexual Liberation Front. Online, you can listen police and die; fall under a knife driven by exclusion to Perlongher’s voice reciting the poem in 1989, and hatred and die. Home is where, last Spring, an three years before he died from AIDS. It resonates increased percentage of women and children suf- into the Coro del inframundo [Choir of the under- fered from domestic violence while locked inside for world], which keeps interrupting Mercedes’ script: their safety. Home is where we fear and mourn alone exuberant corpses, vagabonds and fallen angels for bodies that we are forbidden to touch or to bury, who speak in mestiza(7) tongues and embody excess while other bodies provide care work at the detriment and the loss of meaning. For Mercedes, they per- of their own health. Home is what is not available to sonify (as did Perlongher) the literary style of those who are forced to stay on the streets by hostile “Neobarroso Rioplatense”, a parodic carnivalization policies. Home is what separates bodies that matter of the Baroque by 20th century Latinx(8) writers from those that don’t, grievable lives from those and artists, which intended to disrupt the lasting that aren’t, expanding zones of uninhabitability colonial order through unruly, messy poetics. (Judith Butler). The indigenous world does not conceive of Now months later, I’m still trying to move history as linear; the past-future is contained through my depression and into another state in the present. The regression or progression, of mind. I’m still trying to escape my shadow beasts (desconocimientos): numbness, anger, and disillusionment. Besides dealing with my (7) Under the Spanish the figure of the mestiza as Empire, the term referred “a product of the transfer own personal shadow, I must contend with the to people of mixed, of the cultural and spiritual collective shadow in the psyches of my culture European and indigenous values of one group to lineage. Here, we are rather another. Being tricultural, and nation—we always inherit the past prob- inspired by the text by monolingual, bilingual, or lems of family, community, and nation. I stare chicana author Gloria multilingual, (…) and in a Anzaldúa, “La conciencia de state of perpetual transition up at the moon, Coyolxauhqui, and its light in la mestiza. Towards a New (…).” the darkness. I seek a healing image, one that Consciousness” (from: Gloria (8) The “x” is used in Anzaldúa, Borderlands/La Spanish as an alternative re-connects me to others. I seek the positive Frontera: The New Mestiza. to the masculine “o” and shadow that I’ve also inherited. San Francisco, Aunt Lute the feminine “a”. Books, 1987), who introduces (Gloria Anzaldúa) 18 Bestiario de Lengüitas 19
the repetition or overcoming of the past is and Bolzano — provide us with ambiguous figures at play in each conjuncture and is depend- of resistance against various biopowers (such as the ent more on our acts than on our words. The pharmaceutical industry).(18) As in the last verse of project of indigenous modernity can emerge Mercedes’ poem, assembled across forced distances, from the present in a spiral whose movement we start to vibrate. is a continuous feedback from the past to the future—a “principle of hope” or “anticipatory My bloodstream has been emptied of one consciousness”—that both discerns and realiz- its viral others, yet this porous relationality es decolonization at the same time. of being multiple in the world remains. Our (Silvia Rivera Cusicanqui) vulnerable bodies are reliant upon each oth- er at the planetary scale, requiring both the In her own poem nos sentimos intoxicadas (see pp. intimate care of mutual aid and the cures of 42-3), which appears on the exhibition walls, Mercedes biomedical science. To live among viruses and inscribes her body into a community of close others, survive our interactions with them, think like bound by their vulnerability to a patriarchal neo- a virus: xenophilic, opportunistic, multiplied liberal order that poisons and destroys lives for profit. and many. Our resistance to neoliberal isola- However, Bestiario de Lengüitas gives a prominent tion must become so expansive as to saturate place to ambivalent elements (minerals, plants and the atmosphere. (Caitlin Berrigan) characters) who combine the powers to intoxicate and to heal. As historian Samir Boumediene points Mercedes once described herself as a “dishonest out in his study of the circulation of medicinal researcher”, a misfit, an imposter. She has a pirate plants between the “New World’’ and Europe in the way of cruising through disciplinary categories and 15th-18th centuries, and how it reconfigured orders methods, as well as cultural, geographical or historical of knowledge and power on both sides of the Atlantic, boundaries. Such a non-authoritarian position echoes this subversive ambiguity reminds us that learning that of Barbara Cassin calling herself a “trembling is a bit like falling sick (what a beautiful sentence!): philosopher” — she who describes translation, opening oneself to affection, loss and transformation. a central process in the script and the exhibition, Ruda leaves, which infuse Mercedes’ script, drawings as a savoir-faire with differences, a contingent, and embroideries, are used in domestic rituals of situated gesture of love. A never-ending activity. Yes, protection as well as for abortion, which just became you’ll see, Bestiario de Lengüitas remains a rather legal in Argentina, after years of struggle. We are the classical exhibition — a form, or rather an ecosys- granddaughters of the witches you could not burn, tem, currently undermined by the temporary or per- chanted women marching for abortive rights; chants manent closure of art institutions, justified by the a choir of amateur singers in Madrid, who performed Covid-19 crisis. As such, we hope that you will enjoy extracts from Mercedes’ script. Witches — brujas, your encounter with the artworks and stories on dis- meigas, Donne Selvatiche, whose legends and stories play. And that you will see, shining underneath the were collected by Mercedes in Buenos Aires, Madrid surface, the discrete weaving of relations, voices and 20 Bestiario de Lengüitas 21
shared struggles that constituted its fabric over four to lose something, fragility as loss, but as a dense years. Our extended Bestiario kinship, who quality of relations we acquire, or a quality of invites you to come in. what is we build. A fragile shelter has looser walls, made out of lighter materials; see how lenguas vivas they move. A movement is what is built to sur- lenguas lamiendo muertos vive what has been built. When we loosen the lenguas requirements to be in a world, we create room lenguas for others to be. (Sara Ahmed) lenguas menguantes lenguas como calcetines lenguas Yours, lenguas muertas, Virginie lenguas con hongos lenguas lamiendo muertos lenguas (Mercedes Azpilicueta) Before I leave you, please accept this modest gift in the shape of an untranslated poem, so that it rings to your eyes, mouth and ears as a disconcerting, spell- binding mystery (unless you read Spanish, of course). Mercedes’ script is populated by lenguas mestizas and dirty translations that favor opacity and failure. Languages and tongues are inseparable from the body. They are desiring organs bridging our mouths and ears, among others. Living-dead tongues, organs that may fail, voices that may tremble. A trembling way of inhabiting the world: could that open a way to reparative fiction (Emilie Notéris) with performative effects? Trembling: not with fear, not with fever, not in shock over the physical or psychic consequences of violence. But instead, as a way of being affected, being attuned to others, vibrant, vulnerable together. Perhaps from fragility we can think of other ways of building feminist shelters. We might think of fragility not so much as the potential 22 Bestiario de Lengüitas 23
Citations / Quotes international/atmospheres- wp-content/uploads/2016/02/ of-the-undead-living-with- Silvia-Rivera-Cusicanqui- Sara Ahmed, « Feminist viruses-loneliness-and- Chixinakax-Eng1.pdf Shelters », sur son blog / neoliberalism/ on her blog feminist Merci à Elena Lespes Muñoz killjoys, 30/12/2015 : Samir Boumediene, La de nous avoir recommandé https://feministkilljoys. colonisation du savoir. de lire Cusicanqui / I am com/2015/12/30/ Une histoire des plantes grateful to Elena Lespes feminist-shelters/ médicinales du « Nouveau Muñoz for bringing Monde » (1492-1750), Vaulx- Cusicanqui into our Mercedes Azpilicueta, en-Velin : les Éditions des conversation. Bestiario de Lengüitas, mondes à faire, 2016, p. 436. scénario en cours d’écriture / script in progress, 2017-2020. Judith Butler, Bodies that Matter. On the Discursive Gloria Anzaldúa, fragments Limits of Sex, Londres / de / from “Let Us Be the London: Routledge, 2011 ; Healing Of the Wound: The ainsi que de nombreux Coyolxauhqui Imperative— articles / as well as many la sombra y el sueño”, un articles. essai écrit en réponse aux événements du 11/09/2001 Simone Frangi, aux États-Unis / an essay « “Sorciérisation” des written in response to corps et orthopédie de the 2001/9/11 events in l’identité. Notes sur la the US, in One Wound distribution asymétrique for Another: Una herida de la vulnérabilité et por otra. Testimonios de l’organisation de la Latin@s in the U.S. through résistance », in ATTENTION Cyberspace, Claire Joysmith FRAGILE, Paris : MAC VAL/ et / and Clara Lomas, eds. Belles Lettres, 2019 (Mexico City: UNAM -CISAN/ Colorado College/Whittier, Audre Lorde, “The Master’s 2005), pp. 92-103. Tools Will Never Dismantle the Master’s House.” 1984. Gloria Anzaldúa, « La Sister Outsider: Essays and conscience de la Mestiza. Vers Speeches. Ed. Berkeley, CA: une nouvelle conscience » Crossing Press, 2007, pp. (tiré de / from : Gloria 110-114. Anzaldúa, Borderlands/La Frontera: The New Mestiza. Émilie Notéris, La fiction San Francisco, Aunt Lute réparatrice, Paris: UV Books, 1987), traduction Éditions, 2020. de / translation by Paola Bacchetta et/and Jules Silvia Rivera Cusicanqui, Falquet) in Les Cahiers du Ch’ixinakax utxiwa. Una CEDREF n°18, 2011, pp. 75-96 : reflexión sobre prácticas y https://journals.openedition. discursos descolonizadores org/cedref/679 (Ch’ixinakax utxiwa: A Reflection on Practices Caitlin Berrigan, and Discourses of “Atmospheres of the Decolonization), Buenos Undead: living with Aires: Tinta Limón viruses, loneliness, and Ediciones, 2010, pp. neoliberalism”, March, 53–76 : http://www. 30/09/2020: https://march. adivasiresurgence.com/ 24 Bestiario de Lengüitas 25
LE FOYER [THE FOYER] FR En français, le mot « foyer » désigne à la fois l’espace intime et protecteur de la maison, et le vestibule d’un théâtre, espace de représentation et de sociabilité. Le premier évoque des attachements durables, un lieu vers lequel on se tourne avec nostalgie ou dont on cherche au contraire à s’évader ; le second est un lieu transitoire, chargé d’expectative. C’est là que sont introduit·e·s les protagonistes de Bestiario de Lengüitas : personnages imaginaires ou réels, plantes, animaux, muses littéraires et artistiques ; ainsi que les multiples collaborateur~ices du projet, composant tou·te·s ensemble une sorte de famille. La liste des Actes et des Scènes formant la trame du scénario de Mercedes offre des indices pour aborder les différentes œuvres de l’exposition. Une série de partitions invite à appréhender l’exposition de tous ses sens, tout en introduisant certains motifs récurrents de Bestiario de Lengüitas : l’odeur apaisante de la lavande — fleur aux effets purifiants, qui rappelle des souvenirs d’enfance ; l’argile — évoquant l’adobe des maisons traditionnelles de l’Argentine rurale ; la teinture de cochenille — un pigment précieux, ayant suivi les routes commerciales impériales ; le maté — boisson ancienne à base de plantes, aux effets stimulants, très populaire en Argentine ; le tabac — plante ambigüe autrefois utilisée en médecine, qui croise les histoires de l’extraction capitaliste, de l’esclavage, du colonialisme et de l’industrie pharmaceutique, 26 Bestiario de Lengüitas 27
dont l’odeur rappelle sa sœur à Mercedes ; des — reminiscent of traditional adobe houses in rural armures molles — corps-costumes à la fois défensifs Argentina; cochinilla dye — a precious pigment, et vulnérables ; et la ruda — une plante aux pouvoirs which traveled along imperial commercial routes; protecteurs et abortifs. maté — an ancient herbal drink with stimulating effects, very popular in Argentina; tobacco — an Écoute le parfum de la lavande ambiguous plant once used as medecine, which Goûte au silence de la terre glaise intersects with histories of capitalist extraction, Hume la teinte de la cochenille slavery, colonialism and the pharmaceutical Souviens-toi de l’amertume du maté sur ta langue industry, and which smell reminds Mercedes of her Lèche l’architecture avec tes yeux sister; soft armours — costume-bodies that are both Respire l’odeur du tabac en lisant ce poème defensive and vulnerable; and ruda — a plant that Marche comme si tu portais une armure molle has both protective and abortifacient powers. Sens le pouvoir de la ruda à l’intérieur de toi Listen to the perfume of lavender Taste the silence of clay Smell the tint of cochinilla ENG In French, the word “foyer” designates both Remember the bitterness of maté on your tongue the intimate, protective space of home; and the Lick the architecture with your eyes vestibule of a theatre, a space of representation and Breathe the smell of tobacco while reading this poem sociality. The first evokes durational attachments, Walk as if wearing a soft armour something one can long for or seek to escape; the Feel the power of ruda inside you second is a transitory space, filled with expectations. It introduces the protagonists of Bestiario de Lengüitas: imaginary or real characters, plants, animals, literary and artistic inspirations; as well as the numerous collaborators to the project, all composing a family of sorts. The list of Acts and Scenes forming the backbone of a script written by Mercedes offers clues to navigate the different works on view. A series of scores invite to experience the exhibition with all of the senses, while introducing some recurrent motifs of Bestiario de Lengüitas: the soothing smell of lavender — a flower with purifying effects and a trigger of childhood memories; clay 28 Bestiario de Lengüitas 29
A Secret Message from and cryptic. They speak, sometimes, ENG Tumors and viscera, handmade Lea Lublin (1929-1999) émigra de the Underworld using mestiza languages and with natural latex, grow from the la Pologne vers l’Argentine puis la [Un message secret invented symbols. walls of the exhibition space, as France, où elle était proche des du monde d’en-bas] well as from the TVs assembled on mouvements féministes. Elle fait 2019 the stage. These organic elements partie de ces « ami·e·s du passé » 1’03’’, Son / Sound Latex skins and pipes were inspired by an old medical qui accompagnent la recherche de [Peaux et tuyaux de latex] engraving depicting a woman Mercedes. FR Les personnages de Bestiario 2019 with an inflated belly pierced de Lengüitas sont activement Latex naturel / Natural latex with drainage tubes. Rather than ENG In this video, hand-held filmed engagé·e·s dans des actes de considering them as repugnant on Pont-Marie, Argentinian contamination, de perturbation manifestations of illness and curator Javier Villa performs his et de chaos : des gestes excessifs deliquescence, Mercedes observes own version of Lea Lublin’s 1978 mais inefficaces, sans finalité how the circulation and exchange Dissolution dans l’eau, during which productive. Au seuil de l’exposition, of fluids and affections transform she immersed a banner addressing un chœur rigolard révèle la our relationship to the world. In prejudices about women into the présence de « vagabond·e·s de the script, tumors and viscera are Seine’s water. Lea Lublin (1929-1999) l’inframonde ». Selon l’artiste, characters in their own right, and emigrated from Poland to Argentina leurs voix sont en quête permanente, FR Des tumeurs et des viscères, form part of a “Choir of Corpses” then France, where she was close to bien qu’iels ne trouvent jamais ce faites de latex naturel, croissent that keeps interrupting the play, feminist movements. She is among qu’iels cherchent. Iels représentent sur les murs de l’exposition ainsi laughing, coughing or smoking the “friends from the past” who l’excès et la perte de sens. Iels sont que sur les téléviseurs assemblés heavily. accompany Mercedes’ research. perturbé·e·s. Iels sont mystiques sur la scène. Ces éléments et cryptiques. Iels parlent, parfois, organiques sont inspirés d’une usant de langues mestizas et de gravure médicale ancienne Dissolution dans l’eau symboles inventés. représentant une femme au [Dissolution in the Water] ventre boursouflé percé de 2018-2019 ENG The characters in Bestiario de cathéters. Plutôt que d’y voir les 2’31’’, Vidéo Lengüitas actively engage in acts manifestations répugnantes de Caméra / camera : Hélène Harder of contamination, disruption and la maladie et de la déliquescence, Texte et performance / Text and chaos: excessive but inefficient Mercedes observe la manière performance : Javier Villa gestures with no productive ends. dont la circulation et l’échange At the threshold of the exhibition, a des fluides et des affections FR Dans cette vidéo, filmée caméra laughing choir reveals the presence transforment notre relation au à l’épaule sur le Pont-Marie, le of “vagabonds from the infra- monde. Dans le scénario, tumeurs commissaire argentin Javier Villa world.” According to the artist, et viscères sont des personnages interprète sa propre version de la th[eir] voices are in constant search, à part entière, parties prenantes performance Dissolution dans l’eau although they never find what they d’un « chœur de cadavres » qui de Lea Lublin (1978), au cours de are looking for. They represent an ne cesse d’interrompre la pièce laquelle elle immergea dans l’eau excess and loss of meaning. They en riant, toussant ou fumant de la Seine une bannière reprenant are perturbed. They are mystical bruyamment. les préjugés associés aux femmes. 30 Bestiario de Lengüitas 31
Bestiario de Lengüitas — Acto I, escenas 1, 2, 3 y 4 [Bestiaire des petites langues — Acte I, scènes 1, 2, 3 et 4 / Bestiary of Tonguelets — Act I, scenes 1, 2, 3 and 4] 2019 Lin naturel, soie naturelle bicolore, fil / Natural linen, two-tone natural silk, thread brodés similaires comme dispositifs 140 x 296 cm chacune / each mnémotechniques ou partitions : Assistance textile / Textile apparaissant sur scène comme assistance : Laura Fernández des décors ou des accessoires, ils Antolín servaient en fait de prompteurs pour ses performances. La FR Quatre pièces textiles en soie broderie et le tissage sont souvent naturelle bicolore brodées de fils considérés comme des arts de lin délimitent l’espace comme mineurs, apanage des femmes. un rideau de scène. Elles sont Ils n’en offrent pas moins une peuplées d’éléments et de figures forme clandestine d’expression et embroidered textiles as “mnemonic FR Le mot « dwelling » (à la fois clés du scénario. L’une d’elle porte de dissémination, une possibilité devices,” or scores: appearing as verbe et nom) désigne l’habitation, l’inscription À mon seul désir, tirée d’infra-résistance. décor or a prop on stage, they le fait de s’installer quelque part, de la célèbre tapisserie médiévale were in fact acting as cue cards ainsi qu’une activité qui prend son ENG Four textile pieces made for her performances. Embroidery temps, celui de se familiariser avec from two-tone natural silk and and weaving are often considered un lieu ou un objet. Cette sculpture- embroidered linen delineate the minor arts, usually performed by structure est une invitation à space like a scenic curtain. They women. However, they also offer a expérimenter d’autres positions are populated by key figures and clandestine channel of expression corporelles et interactions avec elements from the script. One and dissemination, a minor l’espace de l’exposition et les of them bears the inscription possibility of resistance. autres visiteur~euses, ainsi qu’à À mon seul désir, a quote from appréhender l’œuvre selon des the celebrated medieval tapestry temporalités autres. Elle a été La Dame à la licorne (autour de The Lady and the Unicorn (around Dwelling conçue par Mercedes en dialogue 1500, Musée de Cluny, Musée 1500, Cluny Museum, National [Habitation] avec l’architecte madrilène Ana national du Moyen Âge, Paris), Museum of the Middle Ages, 2019 Ausín, férue de matériaux naturels, une ode aux « six sens ». Pour Paris), an ode to the “six senses”. Bois de hêtre, de bouleau et de pin, de structures éphémères et de Mercedes, ces toiles représentent Mercedes conceives the toiles cuivre, argile / Beech, birch and terrains de jeux. Ses composants des scènes, bien qu’elles ne suivent as scenes, although they do not pine wood, copper, clay ont été suggérés par Lucile Sauzet, aucune narration linéaire. Par le follow any linear narrative. In the En collaboration avec / In qui a utilisé les mêmes tiges de passé, elle a employé des textiles past years, she has used similar collaboration with : Ana Ausín bois et joints de cuivre pour les 32 Bestiario de Lengüitas 33
structures des costumes présentés and copper joints for the costumes’ 2017, a enregistré ces extraits Mille-fleurs dans le Foyer plus loin dans l’exposition. Dwelling structures presented further in the chez elle durant le second [Mille-fleurs in the Foyer] est à la fois un abri (fragile) et un exhibition. Dwelling is both a (fragile) confinement avec son compagnon, 2018-2020 dispositif de perception à travers shelter and a perceptive device l’ingénieur du son Vladimir Papier peint / Wallpaper lequel écouter et regarder. through which to listen and to watch. Kudryavtsev. En collaboration avec le musicien Tiago Worm FR Mille-fleurs désigne un style ENG Dwelling refers to home-making, Tirone, Mercedes a ensuite monté d’arrière-plan floral populaire as well as to a durational activity, Bestiario de Lengüitas: les enregistrements avec d’autres dans la tapisserie européenne a decision to take time, to get An Audio Play fragments de l’archive sonore de médiévale et des débuts de la acquainted with a place or an [Bestiaire des petites langues : Bestiario : chants choraux, rires, Renaissance, comme l’illustre object. This sculpture-structure is une pièce sonore] cris d’animaux et autres bruits. La Dame à la licorne, source an invitation to experience different 2020 Ils composent une dense d’inspiration de Bestiario bodily positions and interactions 1:17’, Son / Sound expérience sonore qui résiste à de Lengüitas. Mercedes a with the exhibition space as toute compréhension immédiate. agencé certains de ses dessins well as among visitors, and to FR Pour ce chapitre de l’exposition, préparatoires pour créer des apprehend the work through other le CAC Brétigny a commandité une ENG For this chapter of the papiers peints évocateurs temporalities. It was conceived traduction française de fragments exhibition, CAC Brétigny de ce style (ou d’une toile de by Mercedes in conversation du scénario de Mercedes par commissioned a French Jouy dévergondée). Les motifs with Madrid-based architect Ana l’historienne de l’art, chercheuse translation of excerpts from décoratifs reprennent des Ausín, who works with natural et traductrice Annabela Tournon. Mercedes’ script in progress, éléments-clés du scénario : materials, ephemeral structures and La comédienne et virtuose de la by art historian, researcher and cigarettes, tabac et feuilles playgrounds. Its components were voix Emmanuelle Lafon, qui a déjà translator Annabela Tournon. de ruda ; tasse de maté ; sourced by designer Lucile Sauzet, collaboré avec Mercedes sur une Comedian and voice virtuosa représentations possibles de la who used the same wooden sticks version antérieure du scénario en Emmanuelle Lafon, who already Femme-Maison et de l’Alchimiste worked with Mercedes on an transformée en Merle (deux earlier version of the script in personnages de la pièce) ; croquis 2017, recorded these fragments de costumes... La répétition at her home during the second hypnotique de ces figures sens lockdown, with her partner, sound dessus dessous peut provoquer engineer Vladimir Kudryavtsev. une certaine désorientation In collaboration with musician visuelle, contrepoint aux scènes Tiago Worm Tirone, Mercedes confuses entendues dans la pièce then edited the recordings with sonore. other bits from Bestiario’s sound archive: chorus songs, laughter, ENG Mille-fleurs (“thousand of animal cries and other noises. flowers”) refers to a background They form a multilayered sonic floral style that was popular experience that escapes the in the European tapestry of transparency of meaning. the late Middle Ages and early 34 Bestiario de Lengüitas 35
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