Navires et navigation - entre l'embouchure et Arles à l'époque romaine - Cap sur le Rhone
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Navires et navigation entre l’embouchure et Arles à l’époque romaine Le chaland gallo-romain découvert dans le Rhône offre l’opportunité unique à ce jour de comprendre dans tous ses détails l’architecture de ce type bateau. Mais surtout, son excellent état de conservation, et tout le matériel attenant, ouvre une grande fenêtre sur la vie à bord, la cargaison transportée, et les enjeux de ce commerce. 26
La présentation du chaland Arles-Rhône 3, lors de l’inauguration de l’extension du musée départemental Arles antique, le 4 octobre 2013. © MDAA / CG13, R. Bénali / Studio Atlantis 27
LA NAVIGATION O UTRE la présentation du chaland Arles-Rhône 3 et la maquette d’un navire fluviomaritime, l’extension du gation. Il s’agit de pièces essentielle- ment liées à l’accastillage ou au mouil- lage des navires découverts dans le la navigation entre l’embouchure et Arles à l’époque romaine. musée départemental de l’Arles antique Rhône ou en mer, au débouché du ARLES, PORT FLUVIOMARITIME expose une très belle collection de plus fleuve. Cet ensemble, présenté face au Situé à l’extrémité sud de l’axe rhoda- de soixante objets en lien avec la navi- Rhône, permet d’évoquer les navires et nien, aux portes de la Méditerranée, la 28
cité d’Arles est dotée d’un port qui lui plate (c’est-à-dire de section plus large permet d’accueillir, en plus des bateaux que haute), pouvaient naviguer en mer et fluviaux, des navires fluviomaritimes et sur les fleuves, c’est la barre du Rhône qui maritimes. constitue un facteur discriminant pour le Si, par principe, les navires fluviomari- passage des navires maritimes. Ce que times, dotés d’un fond plat et d’une quille l’on appelle la « barre » est un banc de sable formé par les sédiments du fleuve qui se déposent transversalement à l’em- bouchure. Sa position et sa hauteur évo- luent en fonction du régime du fleuve et, en réduisant plus ou moins la profondeur du passage pour pénétrer dans l’embou- chure, elle représente un danger sérieux pour les navires. Ainsi, le géographe BENOÎT POINARD est chef de chantier Strabon rapporte-t-il, au tournant de et scaphandrier chez O’Can. notre ère, que l’« accès [au Rhône] demeure difficile aux navires à cause de Quel a été votre rôle dans le projet AR3 ? la force du courant, de l’accroissement Je devais réfléchir à la façon de travailler, des dépôts alluviaux et du niveau du aux moyens techniques, comment fouil- pays, qui est si bas qu’on n’en distingue ler et décaisser les 900 m3 de matériaux pas la côte, même de près, les jours de et prélever l’épave. J’étais là du début à mauvais temps » (Géogr., IV, 1, 8). la fin avec les archéologues pour connaî- De fait, pour la période comprise entre le tre leurs besoins et y répondre. Les sca- IIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle apr. J.-C., phandriers savent tout faire, mais nos la carte des épaves de Camargue réalisée outils peuvent être brutaux, il fallait com- par le Drassm ne recense pas moins prendre les archéologues, éventuelle- d’une trentaine d’épaves. Ces navires, ment les former.Nous avons imaginé des portés par le courant, se seraient échoués solutions, nous nous sommes adaptés en sur un banc de sable alors que, naviguant permanence sans jamais se relâcher. Il fal- près de la côte, ils cherchaient à emprun- lait absolument le sortir de l’eau ! ter l’un des bras du Rhône. Vous aviez déjà travaillé sur une épave DES PETITS NAVIRES archéologique ? VENUS DE LA MER De 16 à 25 ans, j’ai été plongeur-techni- Par conséquent, les navires de mer cien sur des sites archéologiques, puis devaient nécessairement avoir un tirant scaphandrier, d’où une plus grande d’eau inférieur à 2 m, voire 1,50 m, pour connaissance des attentes ou du vocabu- leur permettre de franchir la barre du laire des archéologues. Pour O’Can Rhône, pénétrer dans l’embouchure et c’était une première, il y a, hélas, une gagner le port d’Arles afin d’y décharger coupure entre les deux mondes, pourtant leurs marchandises. Il devait s’agir de on peut s’apporter mutuellement des petites ou moyennes unités qui, selon la connaissances. Là, les archéologues et les forme de leur carène, ne devait guère techniciens ont vraiment travaillé ensem- dépasser la vingtaine de mètres de lon- ble, c’était hors du commun. gueur. Les navires au tirant d’eau plus important ne pouvaient pas franchir cette Qu’avez-vous ressenti en découvrant barre, sous peine d’échouage, et AR3 dans son extension ? devaient stationner dans un avant-port, A le voir dans son intégralité, j’ai mesuré ou tout du moins une zone de mouillage. la taille du bateau par rapport au 1,50 m Les épaves Arles-Rhône 6 et Arles- de visibilité du Rhône. J’étais fier et très Rhône 13, découvertes au cours de cam- ému de le voir dans le musée, j’ai réalisé pagnes archéologiques subaquatiques le travail, revu les souvenirs du chantier, mes enfants vont le voir aussi. Le travail CI-CONTRE Travail de relevé en cours par un des scaphandriers est assez invisible, archéologue-plongeur sur l’épave Arles-Rhône 3, avant son relevage. © MDAA / CG13, mais là le but était de montrer au public. photo T. Seguin, O’Can-Ipso Facto C’était fabuleux. 29
Le port d’Arles au IVe siècle. Aquarelle de Jean-Claude Golvin. Musée départemental Arles antique. © Jean-Claude Golvin / Éditions Errance 30
LA NAVIGATION conduites dans le Rhône par le Drassm, de ce type de bateau particulier. Leurs CI-DESSUS Avec ses 16 m de longueur, une largeur d’environ 6 m et un tirant d’eau correspondraient à des navires de mer. dimensions n’excédaient sans doute pas d’1,24 m pour un port en lourd de près de L’épave Arles-Rhône 13 se caractérise par les 22 m de longueur pour une largeur de 40 t., le navire romain Laurons II, découvert une construction sur quille avec un 7 m et un port en lourd inférieur à 70 t. dans l’anse des Laurons, proche de Martigues, est un bon exemple de petit navire de mer qui assemblage de ses bordés par tenons et Considérés comme de petits navires de pouvait franchir la barre du Rhône et que mortaises chevillées, caractéristique de la mer, ils devaient pouvoir remonter le l’on pouvait probablement rencontrer dans construction gréco-romaine. Datée du IIIe fleuve jusqu’à Lyon et y décharger le vin le port d’Arles à la fin du IIe siècle apr. J.-C. Aquarelle de J.-M. Gassend. ou du IVe siècle apr. J.-C., sa longueur est contenu dans les dolia (grandes jarres). évaluée à une vingtaine de mètres. Comme les navires maritimes, ils étaient probablement propulsés au moyen d’une taises tandis que la charpente transver- D’ARLES À LYON, voile jusqu’au port d’Arles, tandis qu’ils sale (les membrures) est fixée à la coque LA MAGNIFIQUE devaient ensuite être hâlés depuis la à l’aide de chevilles en bois et de clous en AVENUE MÉRIDIONALE berge grâce à la fixation d’un câble sur le fer. La découverte de traces de vers xylo- Grâce à leur fond plat associé à une quille mât situé au tiers avant de la carène. phages (taredo navalis) sur Arles-Rhône 7 plate, les navires fluviomaritimes franchis- Jusqu’à présent, aucun navire à dolia n’a semble bien attester que ce navire a fré- saient sans peine la barre du Rhône et été découvert dans le Rhône. En quenté le milieu maritime. devaient pouvoir remonter le fleuve, sans revanche, les épaves Arles-Rhône 7, besoin d’effectuer une rupture de charge Arles-Rhône 8 et Arles-Rhône 14, datées DES BARGES ET DES CHALANDS dans le port d’Arles. des IIe et IIIe siècles apr. J.-C., correspon- Mais l’essentiel du trafic, sur le Rhône, Les navires à dolia, spécialisés dans le draient à des navires de type fluviomari- était assuré par les chalands, bateau flu- transport du vin en vrac en Méditerranée time. Elles se caractérisent par un fond vial par excellence. Arrivés à l’avant port nord-occidentale entre le Ier siècle av. J.-C. plat allié à un avant pincé et un assem- d’Arles, au débouché du Rhône, ou direc- et le Ier siècle apr. J.-C., sont représentatifs blage de leur bordé par tenons et mor- tement dans le port d’Arles, pour les plus 32
petites unités, les cargaisons des navires celles des navires de mer. Appelés « cha- automne, d’une documentation in situ, de mer étaient en effet déchargées et lands », ou « barges », ces embarcations Arles-Rhône 3 a fait l’objet d’une fouille étaient soit stockées en entrepôts, soit se caractérisent par l’absence de quille et exhaustive et d’un renflouement qui ont directement rechargées sur ces embarca- la présence d’un fond plat (la sole) asso- conduit, après une restauration de l’en- tions fluviales qui effectuaient la remonte cié à des levées d’extrémité qui leur per- semble des bois, à sa présentation au du Rhône. mettent de naviguer dans les eaux les sein du musée départemental de l’Arles Le fleuve exige en effet des bateaux aux plus basses. Se laissant porter par le cou- antique où elle occupe aujourd’hui la conditions de navigabilité différentes de rant à la descente, ces bateaux étaient place centrale dans l’extension. tractés, pour la remonte, au moyen d’un CI-DESSOUS Diorama d’un navire câble de halage tiré par des hommes ARLES-RHÔNE 3, fluviomaritime en situation de navigation, depuis la berge. Une grande pelle de AUTOPSIE D’UN CHALAND dans le delta du Rhône. Le bateau représenté, à l’échelle du 1/20e, correspond à un navire gouverne placée dans l’axe de la poupe GALLO-ROMAIN à dolia et permet de mettre également en assurait la direction de l’embarcation. Choisie en raison de son état de conser- scène un certain nombre d’objets présentés Découvertes dans le port antique d’Arles, vation exceptionnel, cette épave corres- dans la section navigation (poulies, cabillots, taquets, disques de pompe à chapelet, plomb les épaves Arles-Rhône 3 et Arles-Rhône pond à un chaland gallo-romain qui a fait de sonde, ancre…). La maquette a été conçue 5 sont représentatives de ces grands cha- naufrage dans le port d’Arles au milieu du par le service archéologique du musée (d’après lands gallo-romains que l’on peut rappro- Ier siècle apr. J.-C., sans doute au cours les plans de navire fourni par le Centre Camille Jullian/CNRS) et réalisée par Denis Delpalillo. cher de nos péniches actuelles. Tandis d’un épisode de crue, avec toute sa car- © MDAA / CG13, L. Roux qu’Arles-Rhône 5 doit faire l’objet, cet gaison, son mobilier de bord, ses équipe- 33
CI-DESSUS Diorama de l’épave Arles-Rhône 3 Son étude par une vingtaine de cher- navals d’Arles qui, selon le témoignage dans son contexte. Cette maquette permet de cheurs indique que ce bateau a été que nous en a laissé César (La guerre civile présenter la position de l’épave, dans le fleuve, et l’état d’avancée de la fouille à la fin de l’année construit dans les années 50, voire le I, 36, 4), devaient réunir tous ces critères. 2010. © MDAA / CG13, R. Bénali / Studio Atlantis début des années 60 apr. J.-C., dans la Outre la complexité de sa construction et section inférieure du bassin rhodanien. ses dimensions importantes, le chaland a Issu d’un chantier naval important, per- en effet nécessité, pour sa seule coque, mettant de réunir l’ensemble des moyens l’apport de nombreux arbres (entre 50 et logistiques, techniques et humains néces- 77, essentiellement des chênes et des saires, on pense bien sûr aux chantiers sapins) avec notamment la manipulation de lourdes pièces (les flancs sont consti- tués pour l’essentiel par des demi-troncs de sapin de 26 m de longueur pesant, chacun, 1,2 t) ; il a également fallu forger 1700 clous en fer – sans compter les fer- ments de navigation (mât de halage et rures qui viennent notamment renforcer pelle de gouverne) et sa monnaie votive encore en place. Un ensemble d’autant plus exceptionnel que sa coque, qui mesure 31 m de lon- gueur, est complète à plus de 90 % (il en manque une partie, sur bâbord arrière) et Modèle 3D du chaland Arles-Rhône 3 qu’elle a conservé tous ses aménage- restitué avec son chargement et son ments internes. mobilier de bord. © P. Poveda, Ipso Facto 34
LA NAVIGATION CI-DESSUS Lampe à deux becs avec un médaillon marchandises dans un espace de naviga- devait être privilégiée à la remonte. A la décoré d’une barque dans les mains d’un archéologue, lors de sa découverte, sur le tion circonscrit pour l’essentiel à la sec- descente, le chaland se laissait porter par chantier de fouille-relevage d’Arles-Rhône 3, en tion inférieure du Rhône. le courant alors que pour remonter le 2011. © MDAA / CG13, R. Bénali / Studio Atlantis Lors de son dernier voyage, c’est une car- courant le bateau devait être halé. Par gaison de 21 tonnes de blocs de pierres conséquent, plus le bateau était chargé, la proue –, préparer de nombreuses mar- calcaires que transportait le chaland. plus il fallait d’hommes. mites de poix pour assurer, en association Provenant des carrières de Saint-Gabriel, A l’époque romaine, et jusqu’à la fin du avec des milliers de chiffons de laine recy- situées au nord d’Arles (Tarascon), ils XVe siècle, le halage sur le Rhône était en clés pour être disposés entre les étaient destinés à alimenter les chantiers effet assuré par des hommes et on estime planches, l’étanchéité de la coque. de construction arlésiens (aménagements qu’il fallait environ une vingtaine de haleurs Les inscriptions (C.L.POSTV, de quais, construction de domus…) ou de pour tracter le bateau chargé au maximum. •C•L•CE(TA), NOBIL•M[—-?]…), décou- Camargue (construction de villas, fermes, Si le chargement était moins lourd à la vertes sur différentes planches du cha- voies, berges etc.). remonte, il pouvait en revanche être volu- land, incitent également à penser que ce Le chargement de pierres était disposé mineux. Ballots de laine, céréales, sel, voire bateau a été construit dans un arsenal de dans un caisson central, constitué de même des animaux (chèvres, moutons ?), grande taille, au sein duquel plusieurs 140 éléments amovibles. Le caractère auraient ainsi pu être transportés par le sociétés de charpentiers de marine – modulable du caisson conduit à envisager chaland au retour de Camargue, si on envi- dont celle formée par Caius et Lucius que d’autres types de marchandises aient sage cette région comme point de desti- Postumius – travaillaient. Les inscriptions pu être transportées, en relation, notam- nation du chargement de pierres. Dans ce auraient ainsi pu permettre de distinguer ment, avec le sens de navigation du cas, le chaland aurait alors fait une halte les lots de planches façonnées puis bateau. S’il était plus rentable d’achemi- dans le port d’Arles avant de reprendre la stockées avant leur mise en œuvre. ner des pierres en navigation descen- descente du fleuve. Ce chaland était destiné au transport de dante, une cargaison moins pondéreuse Il ne repartit cependant jamais puisqu’il 35
LA NAVIGATION fut englouti, aussi soudainement que vio- gouvernail, poulies), soit encore à la tures, peu d’objets ont été découverts lemment, dans les eaux du Rhône. pompe de cale. Ils nous apportent égale- alors que les sources iconographiques Aujourd’hui présenté dans une fosse, en ment de nombreux renseignements témoignent, pour l’Antiquité, du grand situation de navigation, le chaland est à concernant les navires et la navigation à soin apporté au décor des navires. Les nouveau prêt à larguer les amarres et l’époque romaine. appliques en bronze ouvragé ou à têtes de poursuivre la descente du fleuve inter- En relation avec le gréement, les fouilles canard (ou de cygne), découvertes au large rompue il y a près de 2000 ans. du Rhône ont livré de nombreuses pou- des Saintes-Maries-de-la-Mer, seraient à lies. Il s’agit de poulies simples avec un ou mettre en relation avec de tels éléments. LES PIÈCES D’ACCASTILLAGE plusieurs réas dont on retrouve un grand La découverte de disques en bois percés, Outre les épaves, qui nous renseignent sur nombre isolés. On retrouve aussi diverses de section légèrement concaves, la diversité des types de navires en relation sortes de taquets, de cabillots et de quin- témoigne de l’existence de pompes de avec leurs espaces de navigation, les çonneaux qui permettaient de fixer ou de cale sur les navires de l’Antiquité. Destiné fouilles de sites portuaires livrent égale- relier des cordages. Liées au maniement à évacuer l’eau accumulée dans les fonds, ment quantité d’objets isolés qui peuvent des voiles ou attachées aux ancres, on cet appareil est le plus souvent du type se rapporter, soit à la construction même retrouve en revanche peu de cordages. « à chapelet ». Il est constitué de deux des bateaux (éléments de carène ou d’as- Appartenant à l’équipement de bord, les cylindres en bois dans lesquels passe un semblage), soit aux pièces d’accastillage. plombs de sonde, en forme de cloche cordage sans fin muni de disques en bois Correspondant à l’ensemble des équipe- avec la base évidée pour recevoir une qui permettaient de monter l’eau au ments placés sur le pont d’un navire ou matière grasse, permettaient de mesurer niveau du pont. Un bac collecteur en dans le gréement, ces objets sont liés soit la profondeur du fond, sous la coque, et plomb recueillait l’eau qui était évacuée à l’appareil de propulsion (voilure), soit d’en prélever un échantillon. par des tuyaux latéraux selon la gîte du aux équipements utiles à la navigation, En relation avec l’ornementation de l’ac- navire. Ce type de bac collecteur, de autrement appelés « apparaux » (ancres, castillage ou la décoration des superstruc- forme quadrangulaire, ne doit pas être 36
confondu avec le foculus en plomb, à mettre en relation avec les activités de cuisine du bord. LA VIE À BORD Le foculus est une sorte de petit fourneau mobile qui permettait de disposer une marmite pour la cuisson des aliments. L’eau versée dans la cuve à travers le gros PAGE DE GAUCHE Éléments d’accastillage (poulies, cabillot et réa) découverts dans le Rhône. © MDAA / CG13, R. Bénali / Studio Atlantis EN HAUT Applique en Bronze avec tête de canard ou de cygne. Cette pièce d’accastillage, provient de fouilles en mer, aux Saintes-Maries-de-la-Mer ; il s’agit d’une découverte isolée. © J.-L. Maby, L. Roux CI-CONTRE Les plombs de sonde équipent le plus souvent les navires de mer. La découverte de ce plomb dans le Rhône, à Arles, montre que certains navires maritimes et les navires fluviomaritimes pouvaient pénétrer dans l’embouchure et gagner le port d’Arles. © J.-L. Maby, L. Roux 37
LA NAVIGATION CI-DESSUS Parmi le mobilier de bord des l’un des bateliers du chaland qui aura mique, on compte trois outils multifonc- bateliers, trois outils ont été découverts : une houe, une serpe vigneronne dont il manque le marqué sa vaisselle . Une lampe à huile tionnels (serpe vigneronne, houe et fer manche et une fer plat à douille identifié comme vient compléter ce service. plat à douille) qui attestent de la pratique un écorçoir (en arrière-plan). Au côté de ces Le comptage de cet ensemble permet de de menus travaux à bord. Cet ensemble outils, un réa de poulie, sans doute mis au rebut en raison de son usure, a aussi été découvert. déterminer la présence de trois bateliers détermine une zone de vie qui était © MDAA / CG13, R. Bénali / Studio Atlantis à bord. Au côté de ce mobilier céra- située sur l’arrière du chaland. tube empêchait la fusion du métal. Les plus anciens foculi ont été retrouvés sur LE CANAL DE MARIUS des épaves de navires de mer datées du Ier siècle apr. J.-C. Ce type de foyer sem- En raison de l’élévation de la barre du Rhône, un canal artificiel fut creusé entre la ble être utilisé, de façon inchangée, mer et le fleuve à la fin du IIe s. av. J.-C. afin de permettre aux « bateaux de grande jusqu’à la période byzantine. taille » de pénétrer dans le delta du Rhône devenu difficilement accessible. Sur le chaland Arles-Rhône 3, une activité Appelé aussi fosses mariennes, ce canal a été construit pendant l’hiver - par les troupes du de cuisine à bord est aussi attestée par la général Marius alors stationnées dans la région (Plutarque, Vie de Marius, 15, 2-4). On ne connaît présence d’un mobilier céramique (vais- pas exactement la date d’abandon de ce canal, mais on suppose qu’il cessa d’être utilisé à partir selle de préparation et vaisselle de du moment où la barre redevint à nouveau franchissable, c’est-à-dire au Ier siècle apr. J.-C. consommation) organisé autour d’un Ce canal n’a pas encore été découvert mais il devait être situé entre le golfe de Fos et le Rhône, au sud d’Arles, une zone parcourue par Otello Badan (inventeurs de nombreux sites archéo- fond de dolium (grande jarre en terre logiques sur le territoire arlésien) à la recherche d’indices pour en déterminer le tracé… Des cuite) réutilisé comme foyer. Sur une des prospections géophysiques, conduites sous la direction de Corinne Landuré, archéologue au assiettes et le col d’une bouilloire, les SRA PACA, avec la collaboration de Claude Vella, géomorphologue au CEREGE/Université mêmes lettres (AT) ont été gravées : elles Aix-Marseille (Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de correspondent sans doute aux initiales de l’Environnement) sont programmées cet été sur une section présumée de ce tracé. 38
LES ANCRES, DE LA PIERRE AU FER Découvertes en pleine mer ou directe- ment dans les ports, les ancres correspon- dent le plus souvent à des trouvailles isolées, pas nécessairement connectées à une épave. C’est le cas pour les exem- plaires découverts dans les fouilles du Rhône ou au niveau de l’embouchure. La collection réunie permet de présenter dif- férents types en usage dans l’Antiquité, révélant ainsi une évolution importante de l’ancre depuis son invention. Les premières ancres utilisées, au moins à partir du IIIe millénaire av. J.-C., sont en pierre. Les plus simples sont constituées d’une pierre percée d’un trou où été atta- ché le câble. Utilisées exclusivement comme poids, elles étaient assez peu effi- caces. Aussi étaient-elles souvent utilisées en chapelet. Un autre type plus évolué est constitué d’une pierre traversée de trois trous symétriques, dans lesquels se trou- vaient insérées deux griffes en bois pour les deux trous inférieurs, tandis que le trou supérieur recevait le câble d’amarrage. L’apparition de l’ancre à jas de pierre, vers le VIIe siècle av. J.-C., constitue une amé- lioration technique importante s’accom- pagnant d’un changement radical dans la forme des ancres. Celle-ci est alors consti- tuée d’une longue pièce droite en bois, la verge, avec une ou deux pattes plus ou avec ce type d’ancre, une pièce d’assem- CI-DESSUS Ensemble d’ancres. © MDAA / CG13, R. Bénali / Studio Atlantis moins recourbées. Le jas vient se fixer sur blage en plomb, appelée « contrepatte », la verge perpendiculairement au plan des de forme rectangulaire et percée de trois pattes. Il garde une fonction de poids et trous, permettait d’enserrer la verge en l’extension du musée, la section dédiée à permet à l’ancre de se poser, de sorte que son centre et de maintenir en place, laté- la navigation entre l’embouchure et Arles les pattes puissent crocher le fond. ralement, les pattes de l’ancre. à l’époque romaine présente un ensem- L’ancre à jas de plomb apparaît probable- L’introduction de l’ancre en fer, à ble remarquable de pièces. Agrémentée ment au cours du IVe siècle av. J.-C. et l’époque hellénistique, demeure le type de maquettes, elle témoigne de la diver- constitue un autre progrès technique avec d’ancre resté le plus longtemps en usage sité et de la qualité des éléments de le recours à un métal plus flexible que la quasiment sans interruption depuis bord, d’accastillage, de mouillage… pierre et offrant une plus grande résis- l’Antiquité jusqu’à nos jours. qu’utilisaient les Romains, assurément tance aux chocs. A jas fixe ou mobile, nous L’ancre romaine, qu’elle soit en bois et à d’excellents navigateurs ! en connaissons de dimensions très variées, jas de plomb ou entièrement en fer, peut Sabrina Marlier, archéologue chargée de mission allant jusqu’à 4 m de longueur. Les plus finalement être considérée comme une au musée départemental Arles antique. grands exemplaires atteignent des poids véritable ancre moderne. Responsable de l’opération archéologique Arles-Rhône 3, du fleuve au musée considérables, dépassant la tonne. Le jas de plomb présente fréquemment UNE FENÊTRE La publication scientifique de la monogra- des décorations (astragales, dauphins…) SUR LES QUAIS ROMAINS phie du chaland (Arles-Rhône 3, un chaland symbolisant la bonne fortune des naviga- A n’en pas douter, cette navigation dans gallo-romain du Ier siècle apr. J.-C.) sortira teurs ou des inscriptions indiquant le les collections fluviomaritimes du musée en 2014 dans la collection Archaeonautica poids du métal ou bien même le nom départemental de l’Arles antique révèle (aux éditions du CNRS, en coédition avec d’une divinité protectrice, le nom du que si le chaland gallo-romain Arles- le musée départemental Arles antique), sous la direction de Sabrina Marlier navire ou de son propriétaire. En relation Rhône 3 constitue la pièce maîtresse de 39
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