Nelligan devant la critique - Paul Wyczynski Québec français - Érudit

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Nelligan devant la critique - Paul Wyczynski Québec français - Érudit
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Québec français

Nelligan devant la critique
Paul Wyczynski

La communication orale
Number 25, March 1977

URI: https://id.erudit.org/iderudit/56706ac

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Publisher(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (print)
1923-5119 (digital)

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Wyczynski, P. (1977). Nelligan devant la critique. Québec français, (25), 24–28.

Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 1977                      This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Nelligan devant la critique - Paul Wyczynski Québec français - Érudit
Nelligan devant la critique
Parmi les auteurs du Québec, Émile Nelligan est          gan en compte huit: 1904, 1925, 1932, 1945,             cri élégiaque dans des images portées par les
celui qui a été le mieux étudié. Dès sa parution en      1952, 1958, 1966, 1967, la dernière étant une           rythmes originaux et le symbolisme raffine. Dan-
1904, son oeuvre a été accueillie avec enthou-           édition de luxe, avec des gravures de Claude            tin voit juste même si sa critique n'est, dans bien
siasme. À intervalles inégaux — surtout aux              Dulude. Il importe donc de montrer d'abord              des endroits, qu'une ouverture sur un phénomè-
moments des rééditions de ses poésies — on               comment dans cette ligne de préoccupations, la          ne de création compliquée.
redécouvre son univers poétique. L'artiste sem-          réflexion critique encadre la parole poétique de
ble demeurer toujours jeune dans ses vers, tou-          Nelligan: il faut saisir la fixation de l'oeuvre.       Dantin applique au sujet étudié une technique
jours aimé par le public bien que sa poésie soit                                                                 qui tient à la fois de l'analyse thématique, du
triste et, à bien des endroits, pathétique. Son          Le premier nom à retenir est celui de Dantin. Ami       commentaire esthétique, de la biographie et des
destin s'auréole même d'un certain mythe si l'on         intime de Nelligan, on lui doit d'avoir d'abord         influences littéraires. Chaque fois qu'il insiste sur
pense au succès qu'emportent sa Romance du               présenté le jeune poète au public montréalais           un aspect particulier du lyrisme ou de la forme, il
 Vin et son Vaisseau d'Or. Depuis toujours la            dans une étude synthétique, parue par tranches          n'hésite pas à citer les textes qui étoffent d'ail-
critique au pays et en France s'est montrée              dans Les Débats, du 17 août au 28 septembre             leurs abondamment ses analyses. Mais ce qui
attentive à ce jeune poète dont l'oeuvre a été           1902. Avec quelques variantes, cette étude inti-        est encore plus particulièrement significatif dans
écrite dans l'espace de trois ans, ce qui lui a          tulée tout simplement Émile Nelligan devient            cette étude, ce sont deux témoignages qui con-
mérité d'être souvent appelé le « Rimbaud cana-          •< Préface » de la première édition, Émile Nelli-       cernent la physionomie de Nelligan et son poè-
dien ».                                                  gan et son oeuvre, publiée en 1904 et il en sera        me-clef, La Romance du Vin. Le portrait que
                                                         ainsi dans les trois éditions subséquentes. Com-        Dantin a fixé de Nelligan nous semble le plus
Articles, études, livres, comptes rendus, notes          posée de six parties et d'un « Post-scriptum »,         authentique — et le plus poétique aussi ! — qu'on
de circonstance, témoignages, hommages en                marquée à la fois d'une belle sensibilité et d'un       ait jamais tenté de brosser de l'auteur du Vais-
poésie et en prose, manifestations collectives;          esprit d'érudition, l'étude de Dantin n'a rien de       seau d'Or.
appréciations personnelles, colloques, soirées           comparable à l'époque. Avec un rare doigté le
musicales, souvenirs, thèses universitaires, tout        critique examine les mérites et les défauts de la         Une vraie physionomie d'esthète: une tête
cela entre dans la masse des écrits et des voix où       poésie de Nelligan; il se préoccupe surtout de            d'Apollon rêveur et tourmenté, où la pâleur
circulent, confondus, le sentiment d'admiration          l'authenticité de l'expérience artistique qui appa-       accentuait le trait net, taillé comme au ciseau
et la réflexion critique. Nos recherches sur Nelli-      raît sur un large fond d'influences parnassiennes         dans un marbre. Des yeux très noirs, très intel-
gan ont commence en 1951 : elles ont permis de           et symbolistes. « Ce n'est plus la poésie dont on         ligents, où rutilait l'enthousiasme; et des che-
recueillir et d'étudier environ six cents textes qui     s'amuse, remarque Dantin, c'est la poésie dont            veux, oh! des cheveux à faire rêver, dressant
parlent de Nelligan, sans compter la discogra-           on vit... et dont on meurt ' ». Peu importe alors les     superbement leur broussaille d'ébène, capri-
phie et la filmographie. Le rayonnement de son            noms d'Hégésippe Moreau et de Charles Baude-             cieuse et massive, avec des aires de crinière
oeuvre s'étend également sur les programmes               laire, ceux de Rodenbach, de Rollinat, de Sully-         et d'auréole. Et pour le dire en passant, c'était
d'enseignement et les textes scolaires autant             Prud'homme, de Veuillot, de Rostand, de Verlai-          déjà une singularité que cette chevelure, à
que sur les émissions radiophoniques. Nelligan            ne, de Mallarmé, de Viellé-Griffin qui reviennent        notre époque où la génération des poètes
s'assure une large part du public, il faut le dire, et   constamment au fil des comparaisons qui s'im-             chauves remplace partout la race éteinte des
son oeuvre devient quasiment un classique.                posent à Dantin. La grande culture littéraire du         poètes chevelus. Nelligan, lui, se rattachait
                                                          critique rattache de bien des façons Nelligan aux        nettement, par ce côté du moins, au romanti-
La formule de l'oeuvre de Nelligan est donc un            tendances esthétiques de son époque. Il connait          que de vieille roche, et sur le seul visa de sa
fait. Les souvenirs tragiques de sa vie, c'est vrai,      le goût et les lectures de son jeune ami, il établit     tête, on l'eût admis d'emblée, en 1830, parmi
émeuvent et attristent. Mais le succès qu'il rem-         les parentés littéraires avec preuves à l'appui. Il      les claqueurs d'Hernani. Dans l'attitude, une
porte s'explique par les valeurs incontestables           lui est aisé de constater que Nelligan, « souvent        fierté, d'où la pose n'était pas absente, cam-
de sa poésie et non pas par la compassion que             symboliste par sa conception des entités poéti-          brait droit le torse élégant, solennisait le mou-
suscite dans nos coeurs son destin tragique. La           ques, est presque toujours parnassien par leur           vement et le geste, donnait au front des re-
critique s'est mise d'ailleurs très tôt à présenter       expression2 ». Il lui faut donc préciser « les élé-      haussements inspirés et à l'oeil des éclairs
son oeuvre inachevée dans la totalité de ses              ments divers dont se formait ce talent primesau-         apocalyptiques; — à moins que, se retrouvant
résonances créatrices. Et c'est un signe promet-          tier et inégal, chercher ses sources d'inspiration,      simplement lui-même, le jeune dieu ne rede-
teur que de vouloir fixer d'abord, avec minutie et        démêler dans cette oeuvre la part de la création         vînt le bon enfant, un peu timide, un peu négli-
méthode, les contours chronologique et littéraire         originale et celle de l'imitation, caractériser la       gé dans sa tenue, un peu gauche et embarras-
d'une oeuvre. Aussi convient-il de souligner que          langue, le tour et le rythme de cette poésie             sé de ses quatre membres'.
les Poésies de Nelligan, Les Anciens Canadiens            souvent déconcertante3 ». Il découvre alors chez
de Philippe Aubert de Gaspé et [Histoire du               ce bohème une rêverie où la tristesse s'impose         Ce portrait cadre bien avec la seule photogra-
 Canada de F.-X. Garneau sont les trois oeuvres           comme une note dominante, où la nostalgie              phie que Deprés et Lavergne ont exécutée avant
du XIX* siècle québécois qui s'approprient le plus        aboutit souvent aux visions incohérentes, morbi-       1900 et qui s'est perpétuée d'abord grâce à une
grand nombre de rééditions. Le recueil de Nelli-          des, fantasques... Il souligne — avec raison — le      photo collective publiée dans Le Monde Illustré

24 Quebec français Mars 1977
Nelligan devant la critique - Paul Wyczynski Québec français - Érudit
du 21 avril 1900 et, ensuite, grâce à la première
                                                                                                      édition des poésies de Nelligan où elle occupe
                                                                                                      toute la page-couverture. Dantin connaît l'hom-
                               (^(tW> Wlwiatowlt,                                                     me, on le sait, mais il le saisit dans ses traits
                                                                                                      physiques de telle façon que l'âme pénètre le
                                                                                                      corps. Il serait intéressant de donner ce texte aux
                                                                                                      élèves pour qu'ils en fassent une analyse stylis-
                                                                                                      tique!
                           I                                  \ 0 > JUS*** /WVHAM                     Le deuxième témoignage concerne un fait parti-
                                                                                                      culier, la quatrième séance publique de l'Ecole
                                                                                                      littéraire de Montréal du 25 mai 1899, au cours
                                                                                                      de laquelle le poète lui-même récitait son credo
                                                                                                      poétique, sa dernière composition en vers au
                                                                                                      temps de sa lucidité.
                                                                                                        J'ai vu un soir Nelligan en pleine gloire. C'était
                                                                                                        au Château Ramesay [sic], à l'une des derniè-
                                 .                               ,      A    1*^11 In iMjfcit           res séances publiques de l'École Littéraire. Je
                                                                                                        ne froisserai, j'espère, aucun rival en disant
                                                                                                        que le jeune éphèbe eut les honneurs de cette
                                                                                                        soirée. Quand, l'oeil flambant, le geste élargi
                                                                                                        par l'effort intime, il clama d'une voix passion-
                                                                                                        née sa Romance du Vin, une émotion vraie
                                                                                                        étreignit la salle, et les applaudissements pri-
                                                                                                        rent la fureur d'une ovation. Hélas! six mois
                                                                                                        après le triomphateur subissait la suprême dé-
                                                                                                        faite, et l'École Littéraire elle-même s'en allait,
                                                                                                        désorganisée et expirante\
                                                                                                      Chez Dantin, on le voit, le fait biographique inter-
                                                                                                      vient souvent dans le commentaire littéraire,
                                                                                                      mais toujours mesuré, bien choisi, éclairant la
                                                                                                      genèse de l'oeuvre, les particularismes des for-
                                                                                                      mes. Les fervents de la sémiotique actuelle re-
                                                                                                      procheraient certes au préfacier de ne pas avoir
                                                                                                      prévu l'importance des préoccupations stricte-
                                                                                                      ment formalistes: d'aller chercher des signes et
                                                                                                      d'expliquer l'oeuvre par des signes Tempora
                                                                                                      mutantur et nos mutamur in illis! Il reste que
                                                                                                      jusqu'à la venue de Lacourcière, l'étude de Dan-
                                                                                                      tin est la plus pénétrante, la mieux ajustée à une
                                                                                                      « expérience englobante », une perle qui ne
                                                                                                      noircit pas à l'heure de l'herméneutique'
                                      Un autographe de Nelligan                                       Avant l'étude de Dantin, écrite en août 1902. rien
Le (exte date de septembre 1897 et figure dans l'Album-Souvenir de Louis-Joseph Béliveau (Coll Paul   ne nous parait valable pour justifier l'existence
Wyczynski).                                                                                           de la critique associée à Nelligan Certes, les
                                                                                                      comptes rendus consacrés aux séances publi-
                                                                                                      ques de l'École littéraire de Montréal — surtout la
                                                                                                      « causerie fantaisiste » de Françoise dans La
                                                                                                      Patrie du 7 janvier 1899 — indiquent l'existence
                                                                                                      du poète, mais tout se ramène aux généralités et
                                                                                                      aux paroles d'encouragement. L'étude de Saint-
                                                                                                      Hilaire — Les Soirées du Château de Ramezay
                                                                                                      M. Émile Nelligan—parue dans Les Débats du 6
                                                                                                      mai 1900, est peut-être la meilleure quant au
                                                                                                      sens critique, mais elle est pourtant très restricti-
                                                                                                      ve car elle ne porte que sur les dix-sept poèmes
                                                                                                      de Nelligan gui font partie du premier recueil
                                                                                                      collectif de l'Ecole littéraire de Montréal, publié
                                                                                                      en 1900: Les Soirées du Château de Ramezay
                                                                                                      En 1904, six amis de Nelligan louent son recueil
                                                                                                      que les Éditions Beauchemin viennent de mettre
                                                                                                      sur le marché: chacun à son tour et d'une voix
                                                                                                      unanime — Gill, Laberge, Lozeau, Madeleine et
                                                                                                      Françoise — loue les mérites du poète naufragé
                                                                                                      dans l'abîme de son propre rêve à la Retraite
                                                                                                      Saint-Benoît. L'année suivante, le nom de Nelli-
                                                                                                      gan traverse l'Atlantique: à Bruxelles, Franz An-
                                                                                                      sel parle de lui dans la revue Durandal; à Paris
                                                                                                      Charles ab der Halden et Charles-Henry Hirsh
                                                                                                      commentent la première édition des poésies de
                                                                                                      Nelligan, respectivement dans La Revue d'Euro-
                                                                                                      pe et des Colonies et Mercure de France. En
                                                                                                      1907, Charles ab der Halden consacrera une
Émile Nelligan à 40 ans. à la Retraite de Saint-Benoit (Photo F -O. Lagacé Coll. Paul Wyczynski)      quarantaine de pages à l'étude de Nelligan dans

                                                                                                            Mars 1977 Québec français 25
Nelligan devant la critique - Paul Wyczynski Québec français - Érudit
ses Nouvelles Études de littérature canadienne           nonce aux fondations? Eh bien, Luc Lacourcière             subjectivisme prononcé de Nelligan devient du
française': c'est l'essentiel de l'article qu'il a       l'a compris et il a admirablement réussi. Il est           coup le trait dominant de sa créativité.
publié en 1905. À son tour, René Arnould parle           systématique, concis, érudit. La rigueur intellec-
de Nelligan en 1910 et 1911, à l'Université de           tuelle de son « Introduction » est exemplaire. Le          Après la critique de caractères textuel et formel,
Poitiers, et publie ensuite ces deux leçons,             cheminement de sa pensée respecte le destin du             Bessette se laisse tenter par la critique psycha-
« Émile Nelligan sa vie et son pessimisme ».             poète et l'exigence d'exactitude quant à la pré-           nalytique rendue célèbre par Charles Mauron et
dans Nos amis Canadiens (1913). Il dressera              sentation de l'oeuvre. Celle-ci sera connue dé-            J.-B. Pontalis. Étudier dans les textes de Nelli-
même un portrait du poète, « La Tristesse de             sormais par ses vraies origines, ses poèmes                gan les courants de sa sensualité, y détecter les
Nelligan », publié dans France-Amérique, en              découverts dans des revues et journaux, la mé-             fantasmes aux significations profondes, saisir
septembre 1919.                                          tamorphose des poèmes qui la composent. Au-                les rythmes et images, cerner les pulsions parri-
                                                         jourd'hui, même après quelques ajouts dans les             cides, voilà une nouvelle démarche que Besset-
En 1923 Louis-Joseph de La Durantaye publie              éditions subséquentes, celles de 1958 et 1966,             te applique à la poésie. Dans une telle perspecti-
un article" qui oriente la réflexion critique vers les   on pourrait apporter à l'édition Lacourcière bien          ve, il scrute le Vaisseau d'Or et les Châteaux en
problèmes esthétiques que suscite l'oeuvre de            des détails et rectifier plusieurs commentaires             Espagne. Sa méthode ici n'a rien de systémati-
Nelligan. Il entrevoit, en effet, l'originalité de la    Mais l'essentiel est là: l'ensemble demeure in-             que; même si elle se veut aussi « scientifique que
poésie nelliganienne dans une « osmose psy-              changeable par sa riche documentation et le                possible », elle reste à plusieurs égards hypo-
cho-verbale », ce qui signifie orchestration des         jugement solide et nuancé.                                 thétique et souvent tout simplement indicative.
sentiments authentiques et des images sugges-                                                                        Deux de ses études en résument l'essentiel:
tives, portés par le rythme des mots dans les-           L'édition Lacourcière est à l'origine d'un véritable        Nelligan et les remous de son subconscient'3 et
quels vibre surtout la musique. La Durantaye, on         culte de Nelligan. Les articles de circonstances            Le Complexe parental chez Nelligan".
le voit, indique le chemin à Bessette. Celui-ci, en      paraissent dans les journaux; les comptes ren-
effet, jeune étudiant à l'Université de Montréal,                                                                   En même temps que le livre de Bessette sur les
                                                         dus se multiplient: le meilleur exemple en est             images poétiques paraissait à Ottawa notre ou-
préparera en 1946 une thèse de maîtrise, « Les           celui d'Yves-Gérard Le Dantec dans La Revue
Images chez Nelligan » dont un extrait sera pu-                                                                     vrage intitulé Émile Nelligan, sources et origina-
                                                         des deux mondes, en juillet 1954. Mais il faut             lité de son oeuvre". Ce n'est pas une tâche facile
blié dans L'Action nationale'. Bessette est attiré       attendre l'année 1960 pour assister à la naissan-
par le problème « formel » de la poésie: nature                                                                     que de parler de sa propre étude! Je voudrais
                                                         ce de deux études d'envergure: Les Images en               donc me contenter d'indiquer dans quel esprit
et fréquence des tropes, affinités structurales          Poésie canadienne-française de Gérard Bes-
des images qui existent entre Nelligan et certains                                                                  elle a été conçue et comment elle se situe face à
                                                         sette et Émile Nelligan, sources et originalité de         l'univers de Nelligan. Préparé par mes études en
poètes français. Cette méthode, Bessette l'appli-        son oeuvre de Paul Wyczynski. Ces deux ouvra-
quera bientôt à la poésie et analysera sous cet                                                                     Europe, je me suis senti à l'aise parmi les auteurs
                                                         ges furent d'abord conçus comme des thèses de              du XIXe siècle, avec plus d'assurance encore
angle le Jardin d'antan, démarche qui s'avère à          doctorat: le premier en 1950, le deuxième en
l'époque neuve et prometteuse10.                                                                                    dans le pâmasse et le symbolisme, bref dans le
                                                         1957. On commence alors à parler de la critique            courant poétique qui déferlait pendant un bon
Les approches de La Durantaye et de Bessette             universitaire et on n'y trouve rien de péjoratif           demi-siècle en Belgique, en France, en Angleter-
annoncent des voies nouvelles. Nous les notons           excepté l'envergure des recherches et la minutie           re, en Allemagne, en Pologne, en Russie... Dans
volontiers comme indices importants dans une             de l'exécution.                                            cette optique, Nelligan qui se réclamait ostensi-
époque qui va de 1902 à 1952, et où tout fonc-                                                                      blement de Verlaine, de Rimbaud, de Baudelai-
tionne selon la méthode historique de Mgr Camil-         La thèse'? de Bessette reprend le sujet antérieu-          re, de Rodenbach, de Rollinat, d'Edgard Poe
le Roy, malgré quelques tentatives de rénovation         rement étudié dans sa thèse de maîtrise, mais              devint pour moi très vite un sujet de lecture,
de la Relève et de Marcel Dugas. Dans ce demi-           avec plus d'ampleur, d'exemples et de compa-               d'étude et de recherche. Pendant cinq ans je me
siècle, une vingtaine d'autres études — celles           raisons. Sa méthode d'étudier la fréquence et la           suis donné la peine de lire pratiquement tout ce
d'Ernest Choquette, de G. A. Dumont, de Lionel           nature des images découle du système de Caro-              qu'on a écrit sur ce poète. J'ai scruté attentive-
Léveillé, d'Harry Bernard, de Thomas-Marie La-           line Spurgeon, auteur de Shakespeare Imagery.              ment les trois thèses qui lui ont été consacrées'6.
marche, de Louvigny de Montigny, d'Alfred Des-           Déjà dans l'introduction de son Analyse d'un               J'ai lu tous les journaux et revues de l'époque
Rochers, de Germain Beaulieu, de Joseph Mé-              poème de Nelligan (Le Jardin d'antan), Bessette            pour reconstituer avec exactitude le climat socio-
lançon, d'Hermas Bastien, par exemple — sont             a défini son point de vue sur la critique littéraire; il   culturel et l'atmosphère littéraire que respirait
certes à citer, mais il reste qu'elles suivent tou-      y voit trois variantes principales: la critique
Nelligan devant la critique - Paul Wyczynski Québec français - Érudit
se et effort, obscurité impénétrable et éclairs          Comme résultat, on publie, en 1969, un livre —           poète, j'ai toujours soutenu que son originalité
d'une lucidité effervescente. Limiter la recherche       Nelligan: poésie rêvée, poésie vécue" —, qui             consiste surtout et avant tout dans le « secret
au seul dépistage des sources, littéraires et au-        regroupe les textes de huit conférences pronon-          musical » de ses formes poétiques. Je reprends
tres, fût-ce de manière exhaustive, c'est vouloir        cées lors du colloque. Presque tous ces textes           ici ce sujet attrayant et complexe. Il faut dire au
ressembler à un horticulteur qui, préoccupé du           sont des discours de circonstance, sans qu'on            préalable que la poésie et la musique ne sont
climat, du sol et des rayons de soleil, oublierait       puisse y trouver du neuf sur Nelligan. Ici et là la      guère les variantes du même processus créa-
les plantes, les arbres et leurs fruits. L'oeuvre        réflexion critique s'annonce intéressante, mais          teur: la poésie se sert de mots, la musique, de
vivra par son originalité L'originalité authenti-        elle s'estompe presque aussitôt dans les dis-            sons. Mais il y a la musique dans les mots et la
que, selon R. Polin, exige quelque chose de plus:        cours, car plusieurs conférenciers se contentent         poésie dans les sons. Ces deux registres de
« elle réclame la présence concrète d'une liberté        d'une connaissance insuffisante du sujet. Par            communiquer la vie se rapprochent, voire se
en acte" «. Voilà le sens même de mon intitulé:          conséquent, les textes sont très inégaux; il arrive      confondent, par les effets qu'ils produisent sur
Émile Nelligan, sources et originalité de son            même, à plusieurs reprises, que le commentaire           notre savoir, notre sensibilité: un joli poème fuse
oeuvre.                                                  soit supérieur à la conférence sur laquelle il           « musicalement » vers l'âme; une sonate bien
                                                         s'élaborait. Une seule étude est à retenir, celle        exécutée au piano « poétise » le moment
D'autre part, l'oeuvre d'art originale n'exclut point    du père Yves Garon: « Louis Dantin, précurseur           d'écoute et d'accueil. Il va de soi que la similitude
la possibilité des imitations et des influences. Au      et frère d'Emile Nelligan ». À partir d'une docu-        des effets vient directement de la similitude des
demeurant, pareille entreprise appliquée à l'oeu-        mentation exacte et scrupuleusement pesée, le            formes qui se font au niveau — parfois déroutant
vre de Nelligan se révèle très intéressante. Sa          jugement du père Garon s'élabore sûr autant              —, des suggestivités ambivalentes. Il faut donc
poésie n'est qu'une ébauche d'adolescent, le             que nuancé, respectueux du sujet, étudié à mi-           entrer dans l'univers de Nelligan pour y saisir les
premier jet d'un artiste en voie de formation On         chemin des faits connus et des faits probables;          signes dans l'écart entre le signifié et le signi-
se croit, parfois, impressionné par la brusque ap-       par approches dénuées de parti pris et de faus-          fiant. Il importe d'insister sur les « noeuds musi-
parition des images suggestives, pour découvrir          ses prétentions, l'article situe admirablement           caux » dans l'organisation des poèmes et les
par la suite, dans ses rythmes et ses strophes,          l'amitié littéraire entre Nelligan et Dantin à l'épo-     •< pulsions profondes » : c'est la musique de rap-
des emprunts et des impressions mal tamisées.            que des cinq dernières années du XIX" siècle.            ports qui se répercutent d'un poème à l'autre. Le
Mais il arrive aussi qu'une poésie authentique,                                                                   mot suggestif devient mot « musicalisé ». La
bien à lui, surgit d'une manière inattendue dans         Parmi les articles qui prolongent les manifesta-         poésie profonde se lira donc à un niveau de
les canaux qui vont directement à Verlaine, à            tions commémoratives de 1966, un seul devrait            résonance qui se superpose au champ sémanti-
Rodenbach, à Rollinat. Sous cet angle, les ana-          être retenu et recommandé: La signification de           que. Dans le troisième chapitre — « l'oeuvre et la
lyses de Dantin, de Charles ab der Halden, de            Nelligan" de Réjean Robidoux. L'auteur s'adon-            résonance de ses profondeurs » — j'analyse
Bessette et de Lacourcière m'ont paru nettement          ne ici à prouver l'authenticité de l'aventure créa-      sous cet angle cinq poèmes de Nelligan: Clair de
insuffisantes et souvent erronées. J'ai donc             trice de Nelligan au niveau imaginaire et verbal.         lune intellectuel. Le jardin d'antan. Musiques
voulu éclairer l'oeuvre de Nelligan sous cet as-         Cette remarquable singularité de vivre et de              funèbres, La Romance du Vin et Le Vaisseau
pect d'une façon quasi définitive Pour ce faire,         « faire » la poésie au sens grec du mot, se               d'Or. (L'ouvrage contient quelques pièces d'ico-
j'ai respecté la chronologie de l'oeuvre et je l'ai      confirme dans plusieurs poèmes de Nelligan où             nographie originales, entre autres: « Les parents
regroupée selon ses principaux thèmes: ceux de           une véritable incantation rehausse le langage à          d'Emile Nelligan », a. Emile Nelligan et ses
 l'idéal, du rêve, de la religion et du noir J'en suis   un émouvant et profond cri d'artiste. Et toute            soeurs, Éva et Gertrude », « Une lettre inédite
ainsi venu à préciser à ma façon l'originalité de        cette opération qui engage au même degré la vie          de Mme David Nelligan », « Un autographe du
l'oeuvre, ce que j'appelle « le secret musical ».        névrosée de Nelligan et ses techniques d'écrire           Vaisseau d'Or ».)
 Celui-ci, c'est dans l'univers nelliganien de la        se fait dans le système de la versification con-
parole que je le cherchais: vocabulaire, mots-           ventionnelle. Alors, la perception sensible d'un         Vient enfin ma Bibliographie descriptive et criti-
clefs, style, correspondance, métaphores et              bohème — qui amalgame à ses visions sons,                que d'Emile Nelligan2'. Je n'avais jamais, aupa-
symboles, harmonie des vers, rythmes, rimes,             couleurs, parfums et formes — se plie aux mots,          ravant, reçu autant de lettres de félicitations qu'à
strophes, poèmes à forme fixe, expressivité des          rythmes, strophes, pour vivre dans un élan dé-           la suite de la publication de cet ouvrage. J'ose
ensembles, suggestivité des signes... Même si            sordonné, et pourtant ordonné dans la coulée             prétendre que celui-ci est le premier du genre au
dans mon ouvrage une partie d'analyses doit for-         d'une prosodie numérique régulière. Nelligan, dit        Canada français. Une bibliographie descriptive
cément relever d'approches et d'hypothèses, j'ai          Réjean Robidoux, « appartient à cette famille de        et critique possède, sur une simple bibliographie
fort bien démontré que Verlaine et Chopin sont à         poètes chez qui se vérifie avec à-propos cette           cumulative, l'avantage d'offrir au lecteur un résu-
 l'origine de la création poétique de Nelligan,          idée chère à Baudelaire: « que le rythme et la           mé précis de l'oeuvre, ainsi que des écrits d'aloi
 suivis de Millevoye et de Pierre Dupont. J'ai            rime répondent dans l'homme aux immortels be-           différent qui lui ont été consacrés. Loin de se
 précisé la part qu'occupent Baudelaire, Rollinat.        soins de monotonie, de symétrie et de surpri-           limiter à une simple enumeration de titres, elle
 Rodenbach et Poe dans le processus de sa créa-          se20 ». Là réside en effet le secret technique de        tend à mettre en place, à décrire et à estimer les
tion artistique, sans oublier d'autres poètes,            pièces comme le fameux Soir d'hiver—
consultation du volume sous le rapport des ques-           " Émile Nelligan, Poésies complètes. 1896-                     çaise et, particulièrement, chez Emile Nelli-
tions spéciales. Ce livre — et je le dis sans                 1899, Montréal et Paris, Fides, /1952/, 331 p.,             gan, Paul Morin, René Chopin et Arthur de
aucune fausse prétention — est indispensable                 Collection du Nénuphar, texte établi et anno-                Bussières », M.A., Université de Montréal,
aujourd'hui à chacun qui s'apprête à aborder                 té par Luc Lacourcière, avec une « Introduc-                 1953, xiii, 127 p. Une autre thèse qui traite
sérieusement l'oeuvre de Nelligan.                           tion » (p. 7-20) et « Chronologie d'Emile Nel-               partiellement du sujet est celle de Michel-J.
                                                             ligan » (p. 31-38).                                          Kieffer, c.s.v., « L'Ecole littéraire de Mont-
Voilà le bilan de la critique qui depuis trois quarts
                                                           2
                                                                Gérard Bessette, Les Images en poésie ca-                 réal », M.A., Université McGill, 1939, 96 p.
de siècle scrute la vie et l'oeuvre de Nelligan. Le
champ est loin d'être exploré! On ne cessera                    nadienne-française, Montréal, Beauchemin,            " R. Polin, De l'originalité dans l'art, dans la
jamais assez de lire et d'examiner cette oeuvre à               1960, 280 p., surtout p. 215-274.                      Revue des Sciences humaines, juillet-sep-
plusieurs égards intéressante, susceptible de              13                                                          tembre, 1954, p. 231.
                                                                Id., Nelligan et les remous de son subcons-
nourrir encore longtemps la curiosité des lec-                  cient, dans L'École littéraire de Montréal,          " /Colloque Nelligan/, Nelligan: poésie rêvée,
teurs et des critiques. Un fait demeure cepen-                  Montréal et Paris, Fides, 1963, p. 131-149,            poésie vécue, Montréal, Le Cercle du Livre
dant certain: le cas de Nelligan est relativement               « Archives des lettres canadiennes », t. 2,            de France, 1969,192 p. « Avant-propos » de
bien cerné comme oeuvre littéraire et abondam-                  repris dans
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