Nouveautés Québec français - Érudit
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Document generated on 11/10/2021 10:08 p.m. Québec français Nouveautés Number 68, December 1987 URI: https://id.erudit.org/iderudit/45085ac See table of contents Publisher(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital) Explore this journal Cite this review (1987). Review of [Nouveautés]. Québec français, (68), 89–96. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 1987 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
WMEftflfe tiigrç tchaïkovski Nina BERBEROVA Actes Sud, Paris, 1987, 219 p. la vie de liszt est un roman Zsolt HARSANYI Actes Sud, Paris, 1986, 533 p. de léopold à constance. wolfgang amadeus Rttotsngso Maurice BARTHÉLÉMY Actes Sud, Paris, 1987, 220 p. Les biographies (ou autobiographies) de personnages illustres ont toujours compté parmi les meilleurs vendeurs de l'édition in- ternationale. Cette vogue ne cesse de s'ac- croître. A preuve, l'immense succès remporté qui ne se contentait pas d'effeuiller la mar- par VAmadeus, affabulation biographique, de guerite en compagnie d'une jeune fille. D'où vient donc l'allure à la québécoise? Peter Shaffer, porté à l'écran de façon gran- Avoir de l'allure était donc synonyme de diose par le cinéaste Milos Forman. Profitant être déluré et aussi de être allure; ces L'analogie de sens évidente entre allure, de cette mode, l'éditeur d'Actes Sud, Hubert deux adjectifs ont été extrêmement cou- allure et déluré fournit une piste pour l'ex- Nyssen, fait paraître coup sur coup la biogra- rants dans les parlers de France au XIXe phie de trois des plus importants compositeurs plication des origines de l'emploi québé- des XVI lie et XIXe siècles: Mozart, Liszt. Tchaï- siècle, avec les sens de « vif, habile, dé- cois. Allure vient étymologiquement du kovski. gourdi, rusé»; seul déluré a été admis verbe aller; cette filiation est encore re- Écrivaine très réputée depuis la parution en dans les dictionnaires du français, il y a connaissable dans le sens français de 1986 de son roman le Laquais et la Putain, cent ans, alors que allure continue sa « manière de se déplacer, de se tenir, de se toujours chez Actes Sud, Nina Berberova re- carrière dans certaines régions de France. présenter». Elle ne l'est plus dans le sens prend en français un texte écrit depuis vingt- québécois, qui se situe sur le plan de cinq ans, mais qui, malgré le temps écoulé, a Entre la vivacité d'esprit et l'effronterie, conservé toute sa saveur. Le Tchaïkovski de entre la débrouillardise et la ruse, entre la l'intelligence, du jugement. Il faut faire entrer en scène une autre famille de mots, Berberova est une biographie traditionnelle, hardiesse et le dévergondage, il n'y a qu'un superbement écrite, conçue à partir de docu- pas ; c'est pourquoi ces mots se colorent celle de leurre. Le verbe leurrer a d'abord ments d'époques, esentiellement la corres- différemment selon la situation ou la per- été un terme de fauconnerie et signifiait pondance et le journal du compositeur, com- sonne évoquée. Si, autrefois, un jeune « dresser le faucon » ; aleurer et alurer, qui plétés par des témoignages de contemporains homme avec de l'allure, donc entreprenant, avaient le même sens, ont donné le parti- de Tchaïkovski, parents ou amis (Praskovia était admiré et envié, une jeune fille à cipe adjectif aleuré, aluré signifiant « dressé Vladimirovna Tchaïkovski, Glazounov, Rach- (en parlant du faucon) », d'où « habile, dé- maninov), rencontrés dans le Paris des années l'allure était simplement une dévergon- trente et quarante. L'excellence du livre réside dée... gourdi ». C'est ce sens qui a influencé le mot allure. Par la suite, leurrer a pris le surtout dans l'art que Berberova a d'exprimer sens figuré de «duper, tromper», et un l'âme du compositeur russe. autre verbe est apparu, déleurrer Comme le Tchaïkovski de Berberova, la Vie de Lisztestun roman n'est pas un écrit récent, Les Belges aussi ont ben dïallure ! « détromper» ; de là vient le populaire ad- mais paraît pour la première fois en français, jectif déluré... chez Actes Sud. Zsolt Harsanyi, son auteur, Celui qui a de l'allure, que ce soit l'a- Revenant à notre époque, mais tout en moureux entreprenant du XVIIIe siècle, le restant dans les « vieux pays », on remarque jeune apprenti belge du XXe siècle, ou que les Belges utilisent l'expression avoir mon chum québécois, c'est toujours quel- de l'allure dans le sens de « avoir du savoir- qu'un qui a le tour... faire, de l'ordre, dans son activité ménagère ou manuelle » ; on dira d'un apprenti doué qu'/7 a déjà de l'allure ; par contre, un sans- allure est mal organisé, négligent, peu soigné, maladroit, désinvolte, lourdaud... Pour qualifier quelqu'un qui n'a pas d'allure, dites-vous que c'est un pas d'allure ou un La survivance de ces emplois presque sans-allure (ou les deux, indifféremment) ? identiques au Québec et en Belgique (où l'expression ne se dit que des personnes) Adresse: Enquête TLFQ, Langues et lin- guistique, Faculté des Lettres, Université permet de supposer que avoir de l'allure a Laval, Québec G1K7P4. eu cours dans ce sens, aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans une partie de la France, et ' Le groupe du Trésor de la langue française au Québec est subventionné principalement par le qu'il a été supplanté ensuite par les adjectifs Conseil de recherches en sciences humaines allure et déluré. du Canada. Numéro 68, décembre 1987 /Québec français/ 89
est mort en 1943. Encore une fois, le temps faite lisibilité, reliure souple et maniable), de- raires» publiée à l'Hexagone. Lues à Radio- n'a pas affecté l'œuvre, pas plus qu'il a terni vant les nombreux articles cernant « les diffé- Canada, en mars et avril 1987, à l'émission l'œuvre de Liszt. Ce roman — car il s'agit bien rentes composantes du phénomène littéraire » «les Belles Heures», ces lettres nous font d'un roman — d'Harsanyi fait illusion. Le lec- (biographies, méthodes critiques, institution découvrir une femme sensible, enjouée, tendre teur se surprend constamment à croire aux littéraire, modernité, terminologie...), je ne et passionnée. dialogues, pourtant fictifs, entre le compositeur peux m'empêcher de manifester encore de Avec ses Lettres d'Italie, Denise Boucher et sa mère, entre Liszt et Beethoven ou Chopin. vives réticences et de vifs regrets devant la nous entraîne à travers les villes et les villages Fortement documenté sur la vie culturelle de «couverture» limitée du corpus québécois. d'une Italie qu'elle redécouvre en même temps l'Europe du XIXe siècle, le romancier en fait Est-ce dû aux deux seuls consultants, — d'o- qu'elle l'offre aux destinataires de ses lettres une impressionnante reconstitution avant le rigine étrangère, — Auguste Viatte et Paul (Gaston Miron, Pauline Julien, Patrick Stra- «plus grand pianiste du monde» comme pro- Zumthor, — à l'ignorance ou à des partis pris, ram...) : « Descendre du train et trembler cha- tagoniste. Il faut également rendre hommage au caractère encore très centripète de l'insti- que fois, comme au début de chaque histoire à la traduction de Françoise Gai qui fait oublier tution littéraire française malgré des efforts d'amour » (p. 29). Toutefois, il faut reconnaître que ce roman a d'abord été écrit en hongrois. évidents des Éditions Larousse pour remédier que c'est plutôt à un voyage intérieur qu'elle Contrairement à Berberova et à Harsanyi, à cet état de fait, il reste que la littérature nous invite: «Le chemin n'était plus droit, je Barthélémy est un musicologue qui a publié québécoise est mal traitée (en deux mots) et devait partir. [...] Au milieu de la vie, attendre de nombreuses études musicologiques. Mais incorrectement identifiée. Que l'on persiste, est un malheur. Et marcher, c'est vivre » (p. 17). son Wolfgang Amadeus n'est pas pour autant en 1986, à « Québec (littér.) » à renvoyer laco- Parsemée de citations d'écrivains, de réflexions un ouvrage spécialisé susceptible de plaire niquement à « Canada (littér.) » relève du parti sur la peinture, sur l'architecture, sur l'âme de aux seuls initiés. Il s'agit, comme le souligne pris ou de l'ignorance. Depuis 1960, nous certaines villes, chaque lettre est un petit bijou son éditeur, d'un « raconté avec passion » où avons nommé notre littérature « québécoise ». de style, aux limites du réel et de la confi- les œuvres de Mozart sont bien «articulées Ceux, quels qu'ils soient, qui ont la prétention dence. aux événements de sa vie». de l'analyser, devraient avoir la décence élé- J'ai toujours éprouvé de la difficulté à parler En plus de leur intérêt intrinsèque, ces trois mentaire d'utiliser les mêmes appellations. d'un livre que j'apprécie au plus haut point et biographies ont l'estimable avantage d'être Quant aux consultants, malgré leurs lettres c'est le cas ici, puisque rarement j'ai lu un publiées chez un éditeur (Hubert Nyssen) qui de noblesse, passées ou présentes, il nous volume avec autant de plaisir. Lettres d'Italie a compris qu'un livre doit être aussi un bel semble qu'on devrait désormais recourir à séduit aussitôt le lecteur tant par le style objet. des spécialistes contemporains connaissant souple aux accents poétiques que par la viva- Guy CHAMPAGNE à fond le corpus québécois récent et aptes à cité de la description et la richesse de l'infor- le faire connaître. Le croiriez-vous ? On ne dit mation. Un livre que je ne saurais trop recom- mot d'un manifeste clef de notre littérature, mander. « # ^ Refus global, on ignore Gilbert La Rocque, W® Rina Lasnier, Paul Le Jeune, Wilfrid Lemoine, Hélène MARCOTTE Françoise Loranger, Louise Maheux-Forcier, Jacques Poulin... (assez ! assez !), alorsqu'on accorde une bonne place à un écrivain se- condaire, au style rudimentaire, Jean-Jules dictionnaire historique, thématique et Richard, par exemple. Voilà comment ce pré- technique des littératures. cieux instrument de consultation perd en qua- la conférence inachevée Littératures française et étrangères, lité, en intérêt et en crédibilité, faute de rigueur Jacques FERRON anciennes et modernes. documentaire. VLB éditeur, Montréal, 1987, 239 p. Jacques DEMOUGIN (sous la direction de), Gilles DORION Larousse, Paris, t. 2 [L-Z], 1986, La quatrième de couverture présente la I 863 p. [pagination continue]. Conférence inachevée comme « le testament littéraire de Jacques Ferron ». Même si je sous- Comme je l'ai affirmé en analysant le premier cris d'emblée à cette affirmation pour bien tome, présenter un Dictionnaire historique, des raisons qui tiennent surtout à l'extraordi- thématique et technique des littératures en naire qualité d'écriture de ces témoignages et deux volumes même totalisant 1 863 pages récits, j'ajouterais deux qualificatifs indispen- relève de la naïveté ou de la présomption, en < # & > sables, soit « médical » et « social », le premier même temps que d'intentions fort généreuses ! « étant compris dans le second. En effet, cet II est matériellement impossible de « couvrir» ouvrage posthume, au caractère indiscuta- l'ensemble de tous ces corpus sans qu'on soit blement autobiographique, se lit d'abord obligé de pratiquer (même avec discerne- lettres d'Italie comme une sorte de pamphlet dénonciateur ment !) des « coupes sombres » à de nombreux Denise BOUCHER des pratiques (et des praticiens) de la médecine endroits (époques, écoles, courants, écri- l'Hexagone, Montréal, 1987, 107 p. psychiatrique dans le Québec des années vains...). Bien que je demeure franchement soixante-dix. Il tourne même, paradoxalement, admiratif devant la présentation technique de Auteure de la célèbre pièce de théâtre les pour peu qu'on découvre le sens des mots, à ce dictionnaire (qualité remarquable des il- Fées ont soif, Denise Boucher inaugure, avec un doux «éloge de la folie» que n'aurait pas lustrations, typographie élégante et d'une par- Lettres d'Italie, la collection « Itinéraires litté- dénié Érasme satiriste. La dimension sociale Jacques Perron La paa d* Caaalln •t nutria r-abits trtlnc» da Plarra laAmtoneover Ilttémtum J ^ 90 /Québec français/ Numéro 68, décembre 1987
du recueil se trouve en un certain sens confir- rigueur de la démarche de cette analyse et d'auteurs différents sont désormais engagés mée par les quinze textes qui suivent « le Pas l'accumulation de données précises inclinent dans une carrière internationale. Des écrivains de Gamelin» dans lesquels le médecin cède le lecteur à s'interroger avec plus de sérieux aussi connus que Marie-Claire Biais, Nicole le pas au conteur et au mystificateur, tantôt sur le quotidien de la personne pauvre. Brossard, Jacques Renaud, Gaétan Brulotte ironique ou humoristique (souvent), tantôt Yvon BELLEMARE et Gilles Pellerin collaborent à ce numéro tendrement lyrique (à l'occasion). Après les sous-titré «Spécial Québec». La multiplicité flèches légèrement empoisonnées décochées des orientations thématiques et formelles pri- à la profession et aux confrères, sans agressi- vilégiées dans le recueil montre à l'évidence vité, il va sans dire, mais en une manière de que les nouvellistes québécois œuvrent dans constat un peu résigné, sinon désabusé, Ferron tous les champs de la prospection créatrice. nous promène dans la région de son enfance, Le délicieux «Sucre à la crème», de Daniel puis dans les différents coins du Québec où il Gagnon, aromatisé à la Cortâzar, mérite, as- a exercé. Cela nous vaut de savoureux surément, une dégustation.» Premierjuillet», «contes», «sornettes» et «récits» du «pays «... onne pas» et «Au fond du miroir», tous incertain » où la dénonciation sociale fait place trois de construction habile, laissent sourdre venir au monde au merveilleux et se rapproche du fantastique. cette variété troublante d'inquiétude, propre Marie-Francine HÉBERT En refermant le recueil, écrit dans un style au fantastique, occasionnée par une conver- illustrations de Darcia Labrosse aisé et superbe, pétillant d'humour et ponctué gence du réel et du présumé non-réel. La Courte Échelle, Montréal, 1987, déclins d'œil sans malice, on ne peut s'empê- « Appétissante Création » et « le Regard différé » livret + jeu. cher de penser qu'il aurait peut-être été préfé- se signalent par leur recherche formelle; rable de le publier comme un recueil de récits Avec Venir au monde, Marie-Francine Hébert «Tendresse», «Soleil couchant» et «la Tris- et de contes, quitte à éditer à part la première répond à la sempiternelle question des enfants : tesse voilée de bleu», par leur ton intimiste. partie, sans doute avec la «lettre d'amour «Comment on fait ça un bébé?». Le livre Deux autres nouvelles dénoncent des absur- soigneusement présentée » qui accompagnait s'adresse aux jeunes de cinq ans et plus et se dités politiques: «Samina» — sur le mode les Roses sauvages. Il faut lire absolument la lit aisément. réaliste — et « Der Fisch » — sur le mode « préface » de Pierre Vadeboncœur, qui consti- D'abord un homme et une femme se ren- humoristique. tue une solide analyse du livre, dont elle sou- contrent, s'aiment et se marient. Un jour, ils Enfin, pour compléter le dossier, la direction ligne la gravité sereine et détachée devant la se disputent et, lors de la réconciliation, ils de Brèves joint aux nouvelles la transcription mort, la condition humaine et la démence. font l'amour. I l y a alors émission du sperme d'entrevues réalisées auprès des responsables Gilles DORION et, grâce à l'union d'un ovule caché dans le de la revue XYZ et de la maison d'édition ventre de la mère et d'un spermatozoïde qui L'instant même. se trouve dans les testicules du père, ils conçoi- Lise MORIN les nouveaux visages de la pauvreté vent un enfant. Si le texte est simplifié à l'ex- sous la direction de Madeleine GAUTHIER trême de manière à permettre une meilleure Institut québécois de recherche sur la culture, compréhension, l'humour dont fait preuve Dar- Québec, 1987, 258 p. cia Labrosse dans ses illustrations le rehausse mourir comme un chat (Collection «Questions de culture», n° 12) parfaitement: «Darcia a le côté un peu plus Claude-Emmanuelle YANCE romantique que moi. Il me fallait un illustrateur L'instant même, Québec, 1987, Les bouleversements sociaux de toutes qui fasse passer la rondeur, la tendresse des sortes laissent dans leur sillage des démunis 118 p. (12,95$) choses», m'avoue Marie-Francine. au visage marqué par l'inégalité. Au Québec, Bien que le produit fini, c'est-à-dire le coffret les études des vingt dernières années asso- Au mois d'avril dernier, Claude-Emmanuelle (livre, jeu et guide), puisse sembler très facile Yance a mérité le prix Adrienne-Choquette ciaient davantage la pauvreté à une carence a concevoir, il a fallu près de trois ans aux reliée à l'éducation et à l'instruction, alors que pour son recueil de nouvelles Mourir comme deux femmes pour aboutir à ce résultat: «Les un chat. Je ne connaissais pas l'auteure. Pour- le présent ouvrage rappelle que la décennie gens sont plus ouverts en 1987 qu'il y a dix ou quatre-vingt présente des facettes peu relui- tant, la nouvelle éponyme a été retenue au vingt ans. Mais il y a encore beaucoup de concours de nouvelles de Radio-Canada et santes des défavorisés côtoyant l'opulence tabous. C'est très facile de choquer », m'affirme sans en jouir effectivement. diffusée en 1986, alors que « l'Arbre qui avait Marie-Francine aussitôt appuyée par Darcia : sept petites filles » et « Rien n'a de sens sinon Les quatre parties de cette étude brossent « Trouver le ton juste, créer des personnages un tableau de ces nouvelles figures de la intérieur» ont été respectivement publiées qui soient complets, des parents qui corres- dans Brèves et XYZ en 1985 et 1987. pauvreté. La première section relève quatre pondent à la réalité, bref, faire une image de situations bien concrètes où la pauvreté s'ins- l'amour qui ne soit pas politique, cela demande crit dans le quotidien : des femmes monopa- énormément de travail ». rentales aux jeunes gens sans emploi sans L'auteure et l'illustrateure avaient déjà tra- oublier les personnes handicapées et certaines vaillé ensemble à l'élaboration du Voyage de catégories d'Indiens. À cela s'ajoutent des la vie, un magnifique album qui reprend l'his- témoignages qui n'ont rien de l'artifice. Les toire de la création, du poisson à l'être humain. réfugiés et les requérants au statut de réfugié A nouveau cette équipe a réalisé des mer- vivent une pauvreté d'autant plus douloureuse veilles: le souci du détail, du mot juste, de qu'elle est moins visible, mais elle est non l'image adéquate fait de Venir au monde un moins enviable que celle des « nouveaux soli- outil indispensable pour les parents. taires » qui forment la catégorie de la popula- tion la plus touchée par la pauvreté car le Hélène MARCOTTE faible revenu de ces gens auquel s'ajoute souvent un équilibre mental précaire favorise une honteuse exploitation, surtout dans les centres-villes. La troisième partie dégage les éléments d'une nouvelle problématique en milieu urbain que parrainent des organismes ou des associations charitables. Enfin, les dernières études tentent de déterminer où se tôWJ!tf> abU situe le seuil de pauvreté et comment elle se développe. brèves, spécial quebec La brochette de spécialistes qui auscultent EN COLLABORATION ce mal qu'est la pauvreté offre un diagnostic Atelier du Gué, 1987, 152 p. peu réjouissant de ce phénomène. En effet, la démonstration générale laisse entendre que Retenus par la revue française Brèves en les visages de la pauvreté actuelle ressemblent qualité d'échantillons de la production peu à l'image traditionnelle du pauvre. La «nouveUistique «d'ici, vingt textes québécois Numéro 68, décembre 1987 /Québec français/ 91
Les dix nouvelles qui composent le recueil femme transcendée, Reine. L'Ouest, ce cime- de la quête du centre. L'auteure livre ici diffé- varient quant aux thèmes : liaison amoureuse, tière perpétuel du soleil, appelle pour ainsi dire rentes versions de cette quête d'identité, dif- correspondance mystérieuse, tourments d'une la figure du chasseur quasi barbare qui, à cha- férents parcours qui mènent à la rencontre de bossue, partie de Parchési... Cependant, huit que automne, abat incontinent l'orignal trompé. soi. L'approche est variée d'une nouvelle à d'entre elles se terminent soit par le départ, Enfin, la blancheur oppressive du Nord suggère l'autre: métaphysique dans «le Traversier», soit par la mort du protagoniste. L'auteure le froid sournois et presque meurtrier de l'hiver. sociologique dans « le Labyrinthe », esthético- affectionne les dénouements malheureux. De À l'image d'un janus inspiré par le passé et symbolique dans «la Double Jonction des plus, dans tous ses récits, elle parvient, grâce regardant résolument vers l'avenir, ces courts ailes » et « Dans la forêt de vitrail ». à une recherche stylistique marquée (utilisation textes imbibés des faits heureux d'un hier vrai- L'image du labyrinthe, qui permet le passage de la phrase brève, de l'ellipse...), à créer des semblable se tournent cependant vers une d'un univers à un autre, est une belle repré- climats particuliers. En fait, elle suggère plus source inspiratrice illuminée par le merveilleux. sentation du monde tel que le conçoit l'auteure. qu'elle ne décrit ou plutôt elle suggère ce Les couleurs retenues pour chaque point cardi- Il favorise l'échange, l'ouverture aux autres et qu'elle décrit: «Tu t'es tournée vers elle. nal donnent vie aux quatre saisons toutes char- à la différence. Ses personnages se proposent Comme dans une glace, en face de toi, se gées de souvenirs. Cette vision des choses, cer- d'ailleurs comme des intermédiaires ou des dessine, monte, éclate un grand rire. Un rire tes riche en symboles, est cependant entachée passeurs sans en être vraiment conscients, ce qui n'en finit plus. Un rire de bras tombés, par des négligences assez graves au niveau de qui les protège contre les excès du prosély- d'épuisement. Incontrôlable. Et dedans, une l'écriture, ce qui, malheureusement, ternit pas- tisme et les pièges de l'exercice du pouvoir complicité jusqu'alors inconnue» (p. 10). sablement la qualité de l'ouvrage. politique. L'originalité de Claude-Emmanuelle Yance La plus récente nouvelle, «la Nappe de ne tient pas seulement à son écriture que l'on Yvon BELLEMARE velours rose», présente toutefois un person- peut qualifier de moderne et à la construction nage féminin qui assume des fonctions de particulière de ses nouvelles, mais aussi au leader charismatique. Cette volonté d'enga- fait que l'auteure « ne laisse pas les circons- gement social traduit une nette évolution chez tances déterminer toutes les actions des per- ni le lieu ni l'heure les personnages de Rochon comme si cette sonnages. Elle accorde plutôt une part déter- Gilles PELLERIN maturité coïncidait avec celle de l'auteure minante aux décors (intérieurs et extérieurs), L'instant même, Québec, 1987, 172 p. dans le développement de son œuvre. ce qui a pour effet de créer des atmosphères La conclusion qui s'impose à la lecture de envoûtantes, voire troublantes». Pour toutes Rédacteur en chef de la revue Nuit blanche, ce recueil, c'est que la rédemption humaine ces raisons et bien d'autres encore, Mourir Gilles Pellerin, qui avait publié en 1982 les est toujours possible à condition de savoir comme un chat est un livre qu'il faut absolu- Sporadiques aventures de Guillaume Untel, trouver le chemin de son centre personnel. ment se procurer. revient avec un autre recueil de nouvelles, Ni Cette quête intérieure peut être plus ou moins le lieu ni l'heure. Divisé en trois parties res- longue et ardue mais ne saurait être infruc- Hélène MARCOTTE pectivement intitulées : « la Faveur de la nuit », tueuse. Sinon, cela reviendrait à nier l'existence «Incidents groupés» et «les Lignes de leurs de l'âme, position inconciliable avec l'œuvre mains», le recueil regroupe trente nouvelles d'Esther Rochon dont la portée spirituelle est d'inégales longueurs et de thèmes variés. Onze constamment inscrite en filigrane. C'est sans après l'éden ont déjà paru dans diverses revues. doute pour cette raison aussi que s'y révèle Marcel GODIN l'Hexagone, Montréal, 1986, 102 p. (11,95 $) Pellerin manie avec adresse les tons et les une sérénité émouvante chez les person- styles: réalisme, ironie, humour... se marient nages. Le huitième livre de Godin renferme huit nou- avec bonheur dans les diverses nouvelles: Claude JANELLE velles présentées sous forme d'un diptyque. «... cette rotation des chemises, des culottes, «L'Endroit» de la première section collé à la vie des caleçons, des linges à vaisselle sur eux- se complète dans «l'Envers» de la seconde que mêmes doit avoir une haute signification phi- le rêve nourrit. De la fièvre productrice suscitée losophique, genre le-serpent-qui-se-mord-la- un singulier amour par le printemps à l'exaltation et à l'hystérie queue, le flux cosmique, l'éternel retour, l'alpha Madeleine FERRON qu'inspire l'Est, se situent des souvenirs où se et l'oméga» (p. 77). De plus, le rythme de Boréal, Montréal, 1987, 195 [2] p. mêle l'artifice de la fable. En effet, l'évocation l'écriture varie tout au long du recueil : retenu des quatre saisons du premier volet peut se ra- dans la première partie, il devient enlevé dans «Pourquoi s'embarrasser d'écriture et de battre aisément sur les visions surréalistes des la seconde. Les textes, jamais banals, tiennent questions métaphysiques ? », se demande Ma- points cardinaux de l'autre. Le premier sentiment le lecteur captif du début à la fin puisque, bien rie, la narratrice de l'une des nouvelles («le de liberté où l'on apprend les éléments de la que puisant son inspiration dans la vie de Matin ») du dernier recueil de Madeleine Fer- condition humaine, sorte de printemps de la vie, tous les jours, l'auteur parvient à surprendre ron. Pour le plaisir du lecteur, me suis-je dit, n'est guère étranger à l'Est, le paradis des para- le lecteur par des chutes habilement menées. pour lui faire partager avec contentement les doxes. Si l'été des ouragans découvre une Marie Les dénouements des nouvelles ne se laissent sentiments et les émotions d'une auteure en mystérieuse et envoûtante, le Sud évoque la jamais pressentir. J'ai particulièrement ap- pleine possession de ses moyens. Madeleine précié « Perrault au lavoir », « La ramener quel- que part», «Filature» et «la Confession d'un bibliomane», où le protagoniste conserve le fl/VDELEINE FERROfl nom et l'emploi de l'auteur. Ni le lieu ni l'heure nous révèle donc un écrivain en pleine pos- session de ses moyens et mérite d'être lu par JN SINGULIER tous les amateurs de bonne littérature. AMOUR Hélène MARCOTTE le traversier Esther ROCHON La Pleine lune, Montréal, 1987, 188 p. WJ Le Traversier, qui regroupe neuf nouvelles de science-fiction, est une excellente intro- duction à l'œuvre d'Esther Rochon. En effet, BORÉAL ces nouvelles sont très représentatives de son imaginaire, de ses préoccupations et de son écriture. Les quatre premières nouvelles font partie du Cycle du labyrinthe, un univers imaginaire qui s'articule autour du concept bouddhique 92 /Québec français/ Numéro 68, décembre 1987
Ferron, qui a déserté sa Beauce natale pour ractère approprié des mots employés. De plus, habiter la ville («Quand le malheur frappe, claaila'ttca;ift.ua Sll»eiîfs l'auteur est, à notre avis, trop laconique sur la ceux qui le peuvent bouclent leurs valises»), façon d'interpréter ces indices selon les ni- a modifié sa vision des êtres et des choses, et veaux scolaires, les types de discours, les a perfectionné son écriture. Les petits tableaux Les projets d'en fonts, thèmes conversationnels, les situations de qu'elle nous offre dans Un singulier amour, un chemin production... Enfin, on pourra toujours s'in- son meilleur recueil, à mon avis, car elle a ijiii a du cœur terroger sur la conception des échelles basées mûri, comme le bon vin, sont souvent issus de uniquement sur les fréquences d'utilisation. banals faits divers qu'elle filtre à travers son Des critères sémantiques généraux contri- imaginaire et qu'elle rend sans trahir ni cacher bueraient à répartir autrement des niveaux ses émotions. Un jeune homme lance son lexicaux trop hétérogènes. Le seul critère com- camion blindé dans un centre commercial plémentaire utilisé (qui tente de considérer pour protester, comme le vieux Menaud avant l'emploi des mots) dénote une attitude nor- lui, contre l'envahisseur qui a détruit, tel un mative par rapport à certains «anglicismes» vulgaire vendale, le paysage de son enfance comme steak, relish, slush, score, etc. que («le Vendeur du temple»); une femme d'un l'auteur «pénalise» en leur attribuant un certain âge — les héroïnes ont vieilli chez Trnwignaava Jcdiaraïaaira «token» équivalent aux mots les plus fré- Madeleine Ferron — fait un voyage en train en U'JUIT ,niiitxr;tl
certains de ces contenus linguistiques à des Le second recueil ne rejoint le premier que «qu'elle se mortalisedans le corps» (p. 25)..., fins d'enseignement auprès d'élèves de 9 et par l'usage d'expressions anglaises qui sont qui donne une dimension nouvelle au discours. 10 ans. Ces derniers utilisent déjà quelques- on ne peut plus déplorables dans une littérature Ainsi la recherche (réussite) stylistique et for- unes de ces variantes soutenues en situation qui se bat toujours pour la survie de sa langue. melle de même que la richesse du vocabulaire formelle. Cependant, la plupart de ces variantes Outre cela, le volume est excellent. L'auteure font de ce volume un livre particulier, réservé ne sont pas suffisamment utilisées par le cherche à «voir et voir une seconde fois au à un public restreint, mais qui vaut la peine groupe. Par ailleurs, on constate que des cœur des frontières intimes» (p. 30) afin de d'être lu. activités d'ordre métalinguistique ont conduit saisir la réalité. Toutefois, elle n'y parvient Hélène MARCOTTE à une plus grande utilisation de la plupart des pas réellement, pas plus qu'elle ne réussit à variantes de registre soutenu en situation for- assumer sa liaison amoureuse qui se réduit à melle. « un vidéo cheap pour projection privée » Cette publication a bien sa place dans le (p. 22). Une quête éperdue, lucide, voire cadre de la formation des maîtres. La présen- amère ; une écriture moderne bien maîtrisée ; tation d'un contenu linguistique apporte un un recueil à lire. complément de structuration utile au pro- gramme de français oral. La description de la Hélène MARCOTTE ^\$J recherche exploratoire fournit également une aide précieuse à tout didacticien soucieux d'élaborer une démarche pédagogique pour développer la conscience métalinguistique $ f t xyz, la revue de la nouvelle des élèves du 2 e cycle. En COLLABORATION Evelyne TRAN XYZ, Montréal, n° 11, 1987, 94 p. la fille de Suzhou Denis AUBIN X y z est un médium dynamique. Après avoir récemment lancé une collection consacrée à 1 La Nouvelle Barre du jour, la «novella» (longue nouvelle), voilà que les Montréal, 1987,78 p. # > * éditions XYZ offrent, pour la onzième parution Avec la Fille de Suzhou, Denis Aubin tranche de la revue du même nom, un numéro spécial radicalement avec ses autres textes, dont Eros de nouvelles... courtes! fiction-nuit brun, publié en 1981. Le volume se démarque Au sommaire : quatre-vingt-onze nouvelles Claudine BERTRAND surtout par l'écriture, mi-prosaïque, mi- d'une page au maximum, écrites par autant Éditions du Noroît, Saint-Lambert, 1987,69 p. poétique : une narration poétique, en fait, qui d'auteurs. La distribution est imposante: à voyante oblige à une lecture attentive, parfois ardue. peu d'exceptions près, les meilleurs nouvel- Louise LAROSE La fille de Suzhou est une «épopée singu- listes québécois y sont — de Donald Alarie à Éditions du Noroît, Saint-Lambert, 1987,61 p. lière, amoureuse, en lutte contre l'espace, le Claude-Emmanuelle Yance, en passant par temps, trafiquée par la mémoire des sens, les André Berthiaume et Monique Proulx — et les En avril dernier, les Éditions du Noroît pu- paramnésies de l'écriture». Le narrateur tente textes présentés proposent autant de visions bliaient plusieurs recueils de poésie, dont de retrouver une fille imaginaire ou réelle, — il différentes du genre. Morceaux de vie, frag- deux ont retenu notre attention : Fiction-nuit ne lésait pas trop bien lui-même,—en Chine, à ments d'univers, instantanés parfois violents, de Claudine Bertrand et Voyante de Louise Suzhou plus précisément. La police retarde ses souvent douloureux, la nouvelle format com- Larose. Divisé en trois parties respectivement recherches et lui cause quelques ennuis pour pact semble posséder plus d'impact pour éton- intitulées «Textes des îles», «la Chambre en une raison qui demeure obscure. De toute façon, ner le lecteur, le déranger, voire l'agresser. soi (13 arcanes retournés)» et «les Cher- chasseur ou proie, les deux rôles semblent lui L'action y est condensée, concentrée dans cheuses d'images », le premier volume manque plaire. Fuite et poursuite, fugue et recherche: une écriture réduite à sa plus essentielle ex- d'unité. L'auteure tente d'abord d'exploiter un « Mais ce n'est pas tant la fuite qui [le] hante, pression. Si l'exercice est exigeant, certains exotisme un peu douteux: «nehinei noana que l'évasion » (p. 69). textes se révèlent comme de véritables modèles holoholo/kaumaka luuluu » (p. 25), puis diva- Bien que le récit soit quelque peu herméti- du genre: je pense notamment aux récits gue sur les thèmes du Tarot de façon plutôt que, l'auteur charme le lecteur par la poésie d'Aude et de Marc Sévigny (pour ne nommer convaincante, pour se rallier finalement à la de son texte : « Dans le soudain, irrémédiable, que ceux-là), qui sont parmi les plus courts cause féministe et délirer sur les femmes qui sifflerait vent d'un long silence, vide, et plus de la revue. écrivent : « le je féminin pluriel/jusque dans le rien n'y aurait échappé. N'importe où. Per- Avec ce numéro d'automne 1987, XYZ pour- < masculin grammatical e > » (p. 68). Bref, un re- sonne.» (p.7). De plus, Denis Aubin joue suit de belle façon la promotion d'un genre à cueil décevant tant au niveau stylistique, for- parfois sur un registre humoristique et réaliste la popularité toujours grandissante. mel, que thématique. à la fois : « chloroformer aux usages » (p. 24), Claude GRÉGOIRE Denis Aubin Réjean Bonenfant A l i i ,""' Louis Jacob LA FILLE D E Automne 1987 N" 11, M Les Trains SUZHOU aé^L* d'exils aAMr9£*< w/m- Roman _M+Jr\f' i y^ tu a < ^ f l 4C. TLyjf MtMfc wcmii rai «Çr \r l'Hexagone 94 /Québec français/ Numéro 68, décembre 1987
qui, pour avoir vécu « des siècles de soumission Le héros oscille sans cesse entre la réalité et de rage contenue, de souffrance et de et le rêve, le vécu et l'appréhendé, le naturel et flCflïfc dignités ravalées. Mais aussi des siècles de l'artificiel. Dans cette succession d'états réels t sagesse et de savoir [...], se sont « retranchées dans ce silence comme dans une zone proté- gée [...] afin de tisser à leur aise les racines d'un nouveau monde dans lequel elle trouverait leur juste place» (p. 136). Pour Emma tout et irréels, de pauses reflexives et d'hypothèses, de certitudes et de questionnements, l'usage constant de la phrase nominale, à rythme court, n'arrive pas à enrichir la structure for- tement analeptique du roman, ni à assurer ou les trains d'exils cela a commencé le jour de l'exécution de la à maintenir le climat d'ambivalence, de dé- Réjean BONENFANT et Louis JACOB reine Marie Stuart à laquelle elle s'est long- doublement et d'équivoque manifestement re- l'Hexagone, Montréal, 1987,199 p. temps identifiée. cherché. (Coll. Fictions) Seulement voilà que son fils Roger est parti Car il est souvent question de miroir dans le depuis quelques jours, s'enliser dans le marais texte. On y parle aussi à plusieurs reprises de L'Europe. La Deuxième Guerre mondiale. malodorant de la Cavée, sur les berges de la « bras invisible », de chenille qui écrit un traité Les trains laissent aller les uns à la mort, rivière Lairet à Limoilou. Roger à qui il n'y a sur l'art de voler et on ne cesse de faire réfé- ramassent les autres. Entre ces allers, ces jamais moyen d'arracher un mot. Son mari lui rence à cet appareil « subliminal » omniprésent retours, il y a la vie et l'amour: à Londres, dit qu'il faudrait faire quelque chose mais dans le catalogue. On dit également de Norbert dans un abri souterrain, Janvier le Québécois Emma ne répond pas, car Emma a toujours qu'il «avait cherché le fil qui traversait tout ce rencontre Vanessa, une Anglaise, et tous deux cherché ses mots. Alors pour garder le contact qu'elle [Marina] écrivait » (p. 124). En vain. Or s'abandonnent momentanément l'un à l'autre avec elle, Lucien, le mari, va se mettre à parler voilà bien ce qui advient en réalité au lecteur : sous le tumulte des bombardements ; en Nor- comme il ne l'a peut-être encore jamais fait. ce qu'il voit en filigrane, dans ce récit à la mandie, Hans, un Allemand, assiste, impuis- Par un fantastique débordement de mots il va texture mal serrée, au réseau d'espionnage sant, au viol par ses compagnons de régiment lui dire ses souvenirs d'enfance, ses souvenirs mal tramé, ce sont... les grosses ficelles du d'une jeune Française, Marie-Josèphe. Ren- secrets et intimes ; son lien avec la terre, avec narrateur! contres brèves mais marquantes, puisque, la Cavée. Puis, il raconte à Roger l'histoire Jean Guy HUDON pour Janvier comme pour Hans, le temps et d'Asthen. S'il a peur pour son fils, il s'inquiète les horreurs de la guerre ne sauraient effacer aussi pour sa femme depuis qu'elle s'est en- en leur coeur et leur mémoire Vanessa et gagée sur le chemin qui mène à la Cavée, Marie-Josèphe. ô hasard, au jour de la Libé- qu'Emma est allée régler ses comptes avec la ration, les trains feront se croiser les destinées reine Marie. Ce n'est pas de sa faute à elle si l'académie du désir des deux couples. elle a accouché d'un garçon, brisant ainsi la Michel KHALO lignée de toutes ces femmes à laquelle elle VLB éditeur, Montréal, 1987, 279 p. Fondamentalement optimiste, ce premier appartient. Roger va lui aussi couper les ponts roman écrit en collaboration par Réjean Bo- avec la reine Marie afin de remodeler son Tard dans la nuit, un homme, assis en face nenfant et Louis Jacob semble malheureuse- corps d'homme pour le vivre cette fois. du Château Frontenac, laisse les souvenirs ment se complaire dans une providence qui refaire surface. Il reconstitue alors «au gré Le lecteur n'a jamais accès directement aux détonne dans le contexte premier. Un récit au des caprices de sa mémoire » (p. 14) une som- pensées d'Emma, ce qui n'est pas le cas du début bien mené et alerte, mais dont le dérou- bre histoire de meurtre. personnage de Lucien qui prend souvent la lement événementiel laisse un peu perplexe. Le premier roman de Michel Khalo, auteur parole, pour livrer son intimité. Par quelle Claude GRÉGOIRE voix Emma va-t-elle exister? Par un très beau québécois d'origine franco-libanaise, n'a pour- jeu d'écriture, un aménagement poétique tissé tant rien du bon vieux polar traditionnel. L'in- avec les mots de l'eau, du feu, de la terre et de trigue policière sert de prétexte à la mise en l'air, Guy Cloutier fait apparaître une femme : place d'événements variés véhiculant un dis- elle luit dans ses mots. C'est ce procédé qui cours diversifié. A travers le roman d'initiation la cavée assure la crédibilité du personnage d'Emma ; amoureuse d'un romantique, lejournal intime Guy CLOUTIER qui fait que ses nuances affectives sont reçues d'un bisexuel sympathique, les allusions, en l'Hexagone, Montréal, 1987, 139 p. aussi fortement comme provenant d'un corps filigrane, aux événements d'octobre 1970 et féminin. les propos de personnages tous désireux de La Cavée, c'est surtout une écriture qui fait vivre, l'enquête du narrateur se transforme en . apparaître au fil du roman des nuances affec- Sophie WAMPACH une interrogation sur sa propre identité: tives appartenant tantôt aux femmes, tantôt «Comment cette vie même est-elle devenue aux hommes. Ainsi tout ce feu que le person- le milieu qui a fait naître mon désir érotico- nage d'Emma couve depuis si longtemps, toute voir le jour mystique de narrateur?» (p. 267). Malheu- cette vie qui lui fait mal et qu'elle tait parce Claire DE LAMIRANDE reusement, la construction du récit, stimulante qu'elle appartient à cette lignée de femmes Québec/Amérique, Montréal, 1986, 213 p. pour l'imagination du lecteur, ne met pas en Voir le jour narre les aventures du Norbert Pérégrin, un physicien de formation mainte- Guy Cloutier nant vendeur d'appareils de laboratoire. Sa femme, Marina, fait à son insu de l'espionnage L^ Cavée industriel, depuis 13 ans. Avec la complicité de son patron, elle disparaît pour forcer son Roman mari à dessiner un mystérieux appareil qu'il a le « don » de voir en filigrane dans le catalogue de la compagnie. S'ensuit un chassé-croisé de fuites et de poursuites au bout desquelles Marina meurt et dont Norbert sort en quelque sorte vainqueur. Malgré ses allures de roman policier, Voirie jour est plutôt un récit onirisé, qui laisse chez J^U le lecteur un arrière-goût d'insatisfaction en raison de coïncidences rocambolesques, de scènes où règne l'illogisme, de «ressem- w l'Hexagone blance[s] hallucinantejs] » qui font sourire (p. 71 ) et de l'utilisation de moyens torturés pour faire passer de précieux renseignements ; sans comp- ter un certain étalage d'érudition et, notamment, le caractère un peu primaire du sous-titre des 26 chapitres. Numéro 68, décembre 1987 /Québec français/ 95
premier, veillant à n'être jamais l'abandonné ment de Martha. Sa quête d'identité s'appa- de quelqu'un. Dans un style alerte où la chro- rente davantage aux révoltes d'une adolescente nologie ne souffre aucune barrière, il fait bon en proie à une crise de personnalité. d'accompagner cette femme à l'allure libérée Une intrigue amoureuse d'un romantisme dans un Paris sillonné par les cars de police. douteux, un style grinçant aux maladresses En somme, l'écriture percutante de contrastes grossières enlèvent toute crédibilité au narra- volontairement entretenus à laquelle s'ajoute teur. D'autres études doivent certainement le jet rapide des images suggérées inscrit un traiter du thème de l'insertion sociale avec mouvement à l'ensemble, qui tient de l'incan- plus de profondeur que ne le fait ce roman. tation. Danielle PITTET Yvon BELLEMARE \0& t' la danse de l'amante Madeleine OUELLETTE-MICHALSKA La Pleine lune, 1987, 64 p. valeur cette possibilité d'une double lecture. L'écriture au féminin s'attache particulière- Si la structure par analepses exige une atten- ment à la mémoire corporelle. « Le corps amou- tion soutenue et ne permet que de soupçonner reux, sa quête de liberté, ses festivités erotiques «qui est qui» et ce qui les unit dans cette veulent saisir ce qui fuit à jamais ; le commen- académie du désir, l'utilisation excessive de cement de l'amour». Le premier corps où certaines tournures de phrase et surtout celle s'éprouve, pour chacun/e, l'intensité du pre- des jeux de mots d'une subtilité parfois dou- mier amour, l'amour d'avant les mots, la loi ou teuse: «Anussez-vous bien mes enfants.» le temps, c'est le corps de la mère. (p. 168), alourdit le texte, éclipse le narrateur Dans cette dramatique remplie de poésie, ainsi que la quête qui double son enquête. Madeleine Ouellette-Michalska met en scène Dommage. Mais c'est un premier livre. Et une amante philosophe, sorte d'Euguélionne j'ai l'intuition de me plaindre d'un trop-plein des années 1980, dans sa rencontre avec d'énergie qui, dans l'avenir, pourrait se trans- l'homme qui se cherche et qui éprouve un former en une source de plaisir intense pour sentiment d'ambivalence à l'égard de sa mère. le lecteur. A leur tour, le fils et la fille dialoguent avec Christine HAMEL leur mère sur la question de leurs origines et sans bon sang du désir. Conformément aux données de la Annette SAINT-PIERRE Éditions des Plaines, psychanalyse, le rapport symbolique mère- Saint-Boniface, 1987, 246 p. (8,95$) fille y est vu comme plus complexe que la fête des mères relation mère-fils; cependant, cet aspect du Yves NAVARRE dialogue est moins convaincant, aux yeux du Albin Michel, Paris, 1987,216 p. L'engouement récent pour les communautés francophones de par le monde a conquis le lecteur, que tous les autres thèmes explorés : milieu littéraire canadien. Des publications le corps à corps dans le fusionnel, les vies qui A 46 ans, Claire Brévaille, mère de trois nous traversent, l'apprivoisement de la mort, enfants, étouffe dans l'étau de ses vingt-cinq dans la langue de Molière émergent de toutes les parties du pays. Dernièrement, paraissait le bonheur de l'instant. ans de mariage avec Pierre. Elle sent le besoin aux Éditions des Plaines le dernier roman L'auteure a conçu ce livre à la suite d'une de secouer sa vie échouée dans une grande d'Annette Saint-Pierre, co-directrice de cette brève dramatique qu'elle a diffusée à Radio- banlieue cossue non loin de Paris. A la veille maison d'édition située à Saint-Boniface, cen- Canada (automne 1986). Visiblement, la Danse de la fête des mères, elle part donc en laissant tre de la vie francophone au Manitoba. de l'amante ainsi que la postface, très riche, un bout de papier laconique à la maison : « Je Cette fervente adepte du français a consacré de Chantal Chawaf ont été écrites avec beau- reviendrai ». Oubliant son alliance, elle passe en 1975 une étude à sa célèbre compatriote, coup de plaisir, un plaisir qui se transmet lors d'abord chez sa mère, Cléa, qui croit à la Gabrielle Roy, intitulée Gabrielle Roy sous le de la lecture. bonne intention de sa fille en cette période de l'année. Puis, comme une collégienne en va- signe du rêve. Sensibilisée aux problèmes Marie-José DES RIVIÈRES cances, elle savoure les premiers instants af- sociaux du Manitoba, Annette Saint-Pierre friolants de cette nouvelle liberté dans un s'attache à décrire les difficultés d'adaptation hôtel où elle avait rêvé depuis longtemps de des métisses de la province. Sans bon sang revenir. De multiples péripéties les unes aussi décrit les tribulations d'une jeune fille née surprenantes que les autres font surgir des d'une mère québécoise et d'un père auto- réflexions constantes que les souvenirs qui chtone. Martha, poussée par une mère aigrie, affluent ne cessent d'alimenter. Cette femme renie d'abord ses origines amérindiennes. Ob- mûre que le doute ronge et féconde en per- nubilée par ses traits métissés, elle ne parvient manence s'intéresse davantage à son fils Marc pas à s'insérer dans une société aux principes et à son copain Jean-Baptiste qu'à son mari ségrégationnistes. Martha, déchirée par ses avec qui a disparu cette stimulante concor- origines doubles, vacille entre deux modes de dance entre les idées et les émotions. Mêlée à vie en perpétuel conflit. L'image d'un père une aventure amoureuse, elle aura de la diffi- affublé des traits de l'Amérindien déchu culté à semer l'amant intempestif pour enfin condamne la jeune fille à refouler une partie revenir chez elle et apprendre le malheur qui de son identité. Néanmoins, les péripéties de a frappé son compagnon d'un quart de siècle. l'existence l'entraîneront sur le chemin de la Cet ouvrage de Navarre, en reprenant les libération. thèmes qui lui sont chers, emaille le texte de Annette Saint-Pierre, en s'attaquant aux phé- phrases sentencieuses, de maximes qui rap- nomènes raciaux, dévoile une problématique pellent la complexité de cette sorte de jeu complexe difficile à cerner dans un roman. Le humain qui consiste à abandonner l'autre en lecteur ne saisit pas distinctement le déchire- 96 /Québec français/ Numéro 68, décembre 1987
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