Trimestriel d'actualité d'art contemporain: avril, mai.,juin, 2018 N 76 3€ - Flux News
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Belgïe-Belgique P.P. bureau de dépôt Liège X 9/2170 Trimestriel d’actualité d’art contemporain : avril, mai.,juin, 2018 • N°76• 3€
S o m m a i r e E d i t o Ce numéro s’inscrit sous le signe de la disparition. demi-heure à pied pour découvrir ce que les En marge de la Foire de Bruxelles qui fête cette Napolitains appellent le “Bronx”. Un quartier po- 2 Edito. année ses cinquante ans se pose la question de la pulaire. Le dépaysement vaut le détour par la ri- 3 Liège, Expo ROMA à la Boverie, un texte d’Alain Delaunoy. Roel Goussey vraie place de l’art aujourd’hui? Dans les Foires chesse des rencontres improvisées qui jalonnent la d’art, chez les collectionneurs privés? Ou dans la ballade. C’est là, que Jorit Agoch, un street artist à la galerie Flux. rue comme la photo de couverture nous le dé- napolitain a choisi d’ériger deux portraits géants 5 La collection Rikkers en exposition, interview des collectionneurs. montre? sur les façades aveugles de deux complexes im- 6 Un texte de Yoann Van Parys sur une expo de Jana Euler. Nashima est une petite île de pêcheurs au large du mobiliers de type cages à poules. L’artiste est sur- Japon. C’est là que le richissime collectionneur nommé le Caravage des street artistes parce qu’il 7 Un texte de Véronique Bergen sur l’oeuvre de Sophie Podolsky Soichiro Fukutake présente dans son musée des aime sortir de l’anonymat des visages issus du 8 Saâdane Afif au Wiels, un texte d’Aurélia Declerq. Expo Re pulsion, artistes japonais et internationaux. Raya Baudinet peuple en leur offrant un surcroît de dignité artis- un texte de Thibaut Wauthion. qui revient de ce lieu idyllique nous parle de l’idée tique. On y voit d’un côté le visage du dieu 9 Interview d’Eric Van Hove dans son atelier à Marrakech par Lino de disparition au Japon au regard de trois artistes humain napolitain, le footballeur Maradona japonais: Sugimoto, Kudo et Kawabata. Comme accolé au visage grand format d’un jeune autiste. Polegato et Bruno Mottard. chacun le sait la tradition esthétique japonaise liée Quel est le but? Une célébration de l’humain 10 Recensement d’un festival experimental à Zurich par Marion Tampon à la disparition se rattache à la dimension cyclique portée par la transformation des périphéries en Lajariette. de la nature avec son renouvellement annuel. musée ouvert? 11 Giovanni Bosco, artiste brut contemporain, un texte d’Annabelle Pour ceux qui ne peuvent s’offrir le luxe d’une Quoi qu’il en soit, une tentative singulière qui en- évasion au pays du Soleil-Levant, il reste la possi- semence la périphérie en rendant un supplément Dupret. Lynchage Médiatique au Luxembourg, un livre vient de sortir sur bilité de découvrir les sites oubliés dans le sud de de dignité et d’importance à des quartiers totale- l’affaire Lunghi/RTL l’Europe. Lors d’un récent voyage en Italie, nous ment dévalorisés par la violence d’une architec- 12 Le Cirque Divers s’expose à Liège, un texte de Céline Eloy. avons eu le bonheur de faire la visite des an- ture urbaine. L’humain au centre c’est aussi ce ciennes Thermes de Baia. Situé non loin de que véhicule Eric Van Hove, artiste belge rési- 13 Je suis atoll, exposition à l’Ikob d’Eupen par Romain Masquelier. Naples, le lieu nous offrait la possibilité de faire dant et travaillant à Marrakech avec sa petite tribu Les Noirs de Denise Gilles par Francis Feidler. connaissance avec une des merveilles de l’archi- d’une dizaine d’artisans sur un projet totalement 15 Sur l’oeuvre d’Adel Abdessemed , un texte de Véronique Bergen. tecture antique. Quel est le lien avec Nashima? fou, la création d’une moto électrique marocaine: 16 -19 Esthétique de la disparition au Japon, un texte de Raya Baudinet Notamment une imposante construction architec- la Mahjouba. L’origine du mot désigne un voile turale constituée d’une demi-sphère. En plein que l’on met sur ce qui est sacré. Cette moto Lindberg. milieu de sa coupole est percé un oculus qui nous considérée comme une oeuvre d’art sera compo- 17 Nicolas Schoeffer au LAM, un texte de Michel Voiturier. rattache au bleu du ciel et dont l’ombre portée se sée de matériaux recyclés et symbolisera pour son 20 David Lachapelle au BAM Mons, un texte de Michel Voiturier. dessine sur le plan d’eau et sur les parois. Une in- auteur le passage à une nouvelle ère: le post for- 21 Exposition Tino Sehgal à Turin, un texte de Luk Lambrecht. tervention qui fait directement référence à l’instal- disme. Pour Eric Van Hove la finalité du projet est lation que James Turell a implantée sur l’île d’insuffler aux artisans l’esprit d’entreprise afin 22 Une déambulation performative à Genève, un texte de Marion Tampon japonaise. Rien de neuf sous le soleil? Peut-être qu’ils pensent la forme autrement. L’utopie et Lajariette. Essai poétique de Joseph Orban sur l’oeuvre photographique l’écho. A Baia, l'écho y est très important, le bruit l’idéal d’un art sans concessions est toujours d’ac- de Lucia Radochonska. de vos pas se répercutent sur les parois. Juste à tualité. côté, depuis le centre d’une voûte, pousse vers le Cette action émancipatrice de l’art subsiste tou- 23 Exposition de M.Delmotte et Karinne Marenne au MAAC bas, racines vers le haut, un figuier sauvage. jours dans le coeur, le feu couve encore. Ce n’est 24 Sur l’oeuvre de Michael Matthys, un texte d’Annabelle Dupret. Autres réceptacles pour l’art. Restons à Naples. pas Enrico Lunghi forcé à la démission de son 25 Sur une exposition d’Adriano Altamira, un texte de Michel Clerbois Au niveau de l’art urbain vous avez le métro local poste de directeur à la tête du MUDAM qui me 26 Antoine Van Impe chez Croxhapox, un texte de Ludovic Demarche. et ses stations décorées par les plus grands artistes contredira. Le livre qui vient de sortir intitulé contemporains. Epoustoufflant! A quelques km du “Lynchage médiatique” édité à compte d’auteur 27 Sur le dernier Livre d’artiste des Guido Lu, un texte d’André Stas. centre de Naples en pleine banlieue populaire. Il est là pour en témoigner. Echos de la côte par Jean Pierre Giovanelli. faudra compter sur un court voyage en train et une 28 La Chronique d’Aldo Guillaume Turin 30 Le Tour des Expos par Louis Annecourt.
Page 3 Liege YAN PEI-MING ET LE VOYAGE A ROME Depuis le 17e siècle, les artistes euro- par Bacon, de l’omniprésence du sujet demain, lorsque du passé il aura été péens effectuent le « Voyage à religieux à Rome. L’histoire récente fait table rase… « L’histoire se répète Rome » : c’est le thème de l’exposi- des souverains pontifes, l’artiste chi- toujours. Un sujet contemporain peut tion Viva Roma ! au musée de La nois la saisit également à bras-le-corps ainsi faire écho aux œuvres anciennes. Boverie à Liège. et en grand format, peignant une scène Il faut capter l’instant tragique, sa Et l’histoire de la Ville éternelle de la tentative d’assassinat, en mai théâtralisation », confie encore Yan continue de fasciner les artistes 1981, sur la place Saint-Pierre au Vati- Pei-Ming. « J’aime énormément les contemporains, tels Yan Pei-Ming, can, du pape Jean-Paul II (Jean-Paul II peintres anciens. Caravage, je le peins Johan Muyle ou encore Eva Jospin. blessé), suivie par les Funérailles du pour le peintre, pour apprendre Pape (en mai 2005), établissant ainsi l’humilité face à son talent. Pour com- Après le succès de En plein air, pour la une autre échelle de rapport entre les prendre aussi la lumière et les ombres. réouverture du musée de La Boverie images photographiques des actualités À partir de la peinture, c’est l’histoire en mai 2016, l’exposition Viva Roma ! et la pratique picturale. En terminant de Rome qui se joue. Papes, assassi- est le nouveau fruit du partenariat noué ce chapitre pontifical par le portrait de nats, la fontaine de Trevi, la Mamma entre Liège et le musée du Louvre, qui l’actuel pape François, Yan Pei-Ming Roma de Pasolini, les migrants... apporte à ce projet d’envergure la qua- relit – et relie – à la fois l’histoire de J’interprète les images, les photos. lité de ses collections. Et si près de 170 l’art, et l’histoire de son temps. Car ce sont des faits, des réalités : la œuvres sont présentées à La Boverie, peinture que je réalise est la peinture toutes ne proviennent pas uniquement Car la relation au temps est, pour de mon temps. Je peins en noir et du Louvre. Une quarantaine de musées l’artiste, une méthode de travail (com- blanc pour éviter de copier les grands et d’institutions internationales contri- ment se confronter aujourd’hui aux peintres. Je veux par là me trouver, buent également à l’enrichissement de chefs-d’œuvre de la peinture d’his- grâce au travail de la lumière et de cette exposition : la Ville éternelle, vue toire) autant qu’un questionnement l’ombre. Et montrer l’angoisse des par les artistes européens. personnel sur sa répétition tragique ruines. » L’attrait pour Rome s’explique en (quand il semble bien que l’on ne grande partie par la grandeur de son puisse que constater, en tous lieux, le Alain Delaunois passé historique et artistique, mais Yan Pei-Ming, Ruines du temps réel, toile n°2. Huile sur toile, 220 x 220 cm/toile. bégaiement de l’histoire du monde.) aussi par la situation extrêmement pré- Photographie A. Morin. Copyright Yan-Pei-Ming, ADAGP Paris, 2018. Yan Pei-Ming donne alors à sa (1) Propos recueillis par Geoffrey servée, jusqu’à la fin du 19e siècle, de démonstration la forme d’un triptyque Schoefs pour l’exposition, Dijon, ce qui constitue son territoire urbain : angoissant, les Ruines du temps réel, février 2018. sites, monuments et sculptures Yan Pei-Ming (°1960), le belge Johan est posé sur une civière d’hôpital, d’un trois grandes peintures de format carré. antiques, palais prestigieux, églises, Muyle (°1956), et la française Eva Jos- rouge-orange très vif. Dans des tonalités bleues, noires et Viva Roma !, au musée de La Bove- cité vaticane, places, petites ruelles, pin (°1975). Ancienne pensionnaire à grises, d’où émergent à peine quelques rie, parc de la Boverie 3, à 4020 quartiers populaires… tout contribue à la villa Médicis, Jospin réalise des ins- Né à Shanghai en 1960, mais installé à fumeroles blanchâtres, l’artiste modèle Liège. Du 25 avril au 26 août, du faire de Rome un lieu de séjour excep- tallations en référence à la nature, Dijon depuis 1986, l’artiste Yan Pei- sa vision crépusculaire du monde. Sur mardi au dimanche de 10 à 18h. tionnel, à la fois idéal et fantasmé, structurées à partir de couches de car- Ming n’avait pas encore l’aura interna- la toile centrale, on distingue les ruines Fermé le lundi. Infos :www.labove- pour les artistes venus des quatre coins ton, qu’elle assemble de manière à tionale qui est la sienne, lorsqu’il du forum de la Rome antique. Les rie.com de l’Europe. L’exposition rappelle créer différentes épaisseurs de volume. exposa à Liège, en 1991 aux anciens toiles de gauche et de droite évoquent ainsi qu’au fil des décennies, Rome, Ce sont des œuvres qu’elle dessine au Etablissements Sacré, puis lors de des immeubles abandonnés ou dévas- fantastique lieu d’inspiration et de for- préalable, comme dans Grotto, une l’exposition Continental Shift à La tés, dans on ne sait quelle ville sinis- mation, a accueilli des artistes renom- encre sur papier réalisée à la villa Boverie, en 2000. Yan Pei-Ming a trée d’aujourd’hui : elle pourrait être més de l’histoire de l’art, tels les Fran- Médicis, et qui s’attache à la grotte, séjourné un an comme pensionnaire à Alep, Palmyre ou même la Rome de çais Hubert Robert, Jean-Auguste thème propice aux évocations imagi- la villa Médicis, en 1993. Il en a tiré Dominique Ingres, Jean-Baptiste naires. une série remarquable de cent vingt Camille Corot, le Danois Berthel Thor- portraits monumentaux d’hommes, de valdsen, l’Allemand Franz Von Lem- Le plasticien et sculpteur Johan Muyle format identique, qu’il intitula Les 108 bach, le Gallois Thomas Jones, l’Ecos- a également séjourné à Rome. Dans brigands, d’après un roman de la litté- sais Roberts David… mais aussi des une installation toute récente (2017), il rature classique chinoise. Quelque artistes liégeois, comme le paysagiste revisite à sa manière ironique un clas- vingt ans après, en 2015, l’artiste est Gilles François Closson, ou encore sique de la statuaire antique : Le Tireur invité à réaliser une exposition Adrien de Witte. d’épine, et le transforme en « vanité » d’œuvres nouvelles, à l’occasion du contemporaine. L’œuvre originelle, un 350 e anniversaire de la création de Rome, destination touristique très pri- bronze datant sans doute du 1er siècle l’Académie de France à Rome. sée de nos contemporains, se révèle av.J.-C., est conservée au musée du La thématique de ce nouveau projet, encore et toujours une référence artis- Capitole à Rome. Elle a fait l’objet de intitulé Roma, a été entièrement tique majeure pour les artistes des 20e multiples copies et variantes au fil des conçue à partir des lieux et de l’his- et 21e siècles. L’artiste américain Cy siècles. Muyle, dont on connaît le goût toire de la Ville éternelle, dans un Twombly en fit sa ville d’élection pour les systèmes électro-mécaniques mélange de temporalités qui donne durant un demi-siècle (au point d’y de précision, est parti d’un moulage en paradoxalement à l’ensemble toute la être enterré à son décès, en 2011.) plâtre. A l’aide d’un dispositif tech- cohérence nécessaire. « Au départ, Grand admirateur des maîtres de la nique, un mouvement extrêmement j’avais le projet de représenter tous les peinture ancienne, Balthus fit restaurer lent plonge une épine en argent dans le papes de Rome. Cet intérêt pour les la villa Médicis lorsqu’il était directeur pied de l’adolescent, l’en retire, et l’y papes est né du fait que c’est un sujet à de l’Académie de France à Rome, reloge à nouveau. Absorbé par sa la fois ancien et contemporain, entre 1961 et 1977. Pour souligner tâche, celui-ci ne semble pas s’être puisque les papes existent encore de cette attirance toujours vive, l’exposi- aperçu qu’une flèche, en or cette fois, nos jours », explique l’artiste. (1) Il en Johan Muyle, "De Spinario/Le Tireur d'épine", 2017. tion Viva Roma ! a placé en évidence lui a transpercé le dos… La relecture résulte une série d’œuvres qui traitent, copyright photo: J. Muyle. dans son parcours le travail de trois de Muyle se complète d’un dispositif à partir du Portrait du pape Innocent X contemporains : l’artiste franco-chinois de présentation où le socle traditionnel par Velasquez, également réinterprété A tribute to Jan Vercruysse A l’occasion de son exposition “Etat des Choses à la galerie Flux à Liège , Roel Goussey a voulu rendre un hommage à Jan Verruysse récemment disparu. “A Tribute to Jan Vercruysse” est une installation que j’ai voulu réaliser à la Galerie Flux en mémoire de cet artiste belge récemment décédé. La structure de base est la grille peinte en blanc, existant à l’intérieur de la galerie devant une baie vitrée. Cette “trame” est devenue le support de deux séries de volumes bleus et noirs. Cela résulte en un jeu de lignes horizontales et verticales, de couleurs et de lumière, d’intérieur et d’extérieur, de pleins et de vides. Mise en valeur par cette intervention, la grille a redéfini une nouvelle lecture de l’espace. “Chacun doit re-créer le monde selon sa propre vision”, voilà un adage de Jan Vercruysse qui m’a inspiré pour réaliser cette oeuvre. Roel Goussey “Etat des Choses”, Roel Goussey Expo du 13/04 au 5/05/2018 Galerie Flux Roel Goussey, vue de l’intervention de Roel Goussey en hommage à Jan Vercruysse. 60 rue Paradis, 4000 Liège
Page 4 STAND E - 06 LA GALERIE DU TRIANGLE BLEU PRÉSENTE UN SOLO DE ROMAIN VAN WISSEN FluxNews 76 est vendu sur le stand du Triangle Bleu Angela Detanico / Rafael Lain Lise Duclaux Maria Friberg STAND A - 12 Pierre Gerard Yoann Van Parys FluxNews 76 est vendu sur le stand de la galerie LMNO
Page 5 Pour la première fois à Liège, la collection Rikkers - Helsmoortel en exposition. Liège est une véritable pépinière bert et qui est en en elle même une d’artistes de qualité, les spécialistes œuvre d’art. Bien conçue et bien le savent. Comment s’en sortent-ils, implantée, la lumière la pénètre de tous économiquement parlant ? Les les côtés. C’est une œuvre qui a des quelques galeries sur la place contraintes particulières. On ne dispose peuvent témoigner d’un semblant de pas de murs utilisables pour l’accro- renouveau dans le secteur des collec- chage des œuvres, puisque le système tionneurs d’art contemporain. De de chauffage réside dans les cloisons. nouvelles têtes se pointent. Les in- Ne pouvant accrocher de manière tra- conditionnels, eux, restent fidèles au ditionnelle, il nous faut faire preuve poste. Parmi ceux-ci, le couple d’imagination. Rikkers Helsmoortel fait partie des habitués des vernissages et des Lino Polegato : Une petite visite visites d’expositions en Belgique et s’impose… ailleurs. Ils ont décidé ensemble de Catharina Helsmoortel : On peut com- passer à l’acte en présentant à Liège mencer par le bas avec la salle Ranson- dans le courant du mois de mai une net (Ransonnet room) C’est une salle partie importante de leur collection. particulière, il n’y a que des œuvres de Parmi la cinquantaine d’artistes Ransonnet des années 70 jusqu’à montrés, une majorité d’artistes lié- aujourd’hui. geois, toute générations confondues, Jean-Marie Rikkers : Les pièces seront présents Charlier, Lizène, anciennes de l’artiste, plus concep- Boulanger, Ransonnet, Pol Pierart, tuelles, ont été achetées récemment et elles sont extraordinaires. Nous possé- Delaleau, Vaiser, Fabian Rouwette, dons des œuvres de sa période bleue. Ludovic Demarche, “Le dormeur du Val”, dessin à l’encre parker , 2010 Pierre Gerard mais aussi l’artiste al- Une série de grands dessins peintures lemand Thorsten Brinkmann et dédiés à son lieu de prédilection : La Philippe Van Wolputte, un artiste du marché de l’art mais c’est dans une notre voyage aux Etats- Unis, alors pierre de la Falhotte. flamand. Dans le parcours, on Lino Polegato : Y aura-t-il un fil optique de placement. C’est un inves- nous sommes entrés dans la galerie. Et pourra découvrir l’installation Tea rouge dans votre exposition ? tissement. Je n’ai rien contre. Il vaut Manette Repriels nous a embarqués Lino Polegato : Je me souviens avoir Time with Lewis de Caroline Purgal Catharina Helsmoortel : Il y aura une mieux qu’ils le fassent dans l’art que dans le monde de l’art contemporain. vu il y a quelques années lors d’une associée aux grands dessins d’ours certaine cohérence… dans autre chose, mais c’est une autre Nous sommes allés voir des expos visite cette série combinée avec des de Michael Dans. Un voisinage qui Jean-Marie Rikkers : Je pense qu’à la approche. La Flandre a beaucoup de avec l’association AAP dans un pre- œuvres de Ludovic Demarche et de prouve l’envie de faire dialoguer les réflexion il y aura effectivement une bons artistes qui arrivent parfois à se mier temps et puis on a commencé à le Lætitia lefevre, deux jeunes artistes œuvres entre elles. Si la tendance gé- cohérence qui apparaîtra dans l’exposi- faire connaître plus facilement à faire par nous-mêmes. Actuellement, liégeois… nérale reste malgré tout ancrée dans tion. Il est clair qu’au fil du temps l’étranger qu’en Belgique. Quand je j’y consacre toujours pas mal de temps Jean-Marie Rikkers : Aujourd’hui, on la peinture, une partie de plus en l’intérêt pour des œuvres plus concep- vois Kris Martin, il a fait carrière en en dehors de mon travail. l’a mise en relation avec une pièce de plus importante est liée à des Sylvie Macias Diaz, la maquette du tuelles reste présent et constant. On a Amérique et en Allemagne et il a percé travaux plus conceptuels, vidéos, parlé de Ludovic Demarche, je pour- très difficilement à Gand. Idem pour Catharina Helsmoortel : Une fois que Grand Bazar, une installation qui sons, qui seront également mis en rais ajouter Olivier Foulon et Raphaêl Borremans, Tuymans et Fabre. la passion est là, elle ne vous quitte reprend le profil en L de l’immeuble valeur. Van Lerberghe, Laetitia Lefevre. Il y a Jean-Marie Rikkers : Si on pense aux plus. C’est pour le restant de mes du Grand bazar, une pièce qui est eu une évolution, mais ce qui me artistes francophones, ils ont peut-être jours ! constituée de cageots. Ca fonctionne Lino Polegato : Quel est votre regard frappe dans cette constance, c’est peur de sortir de leur zone de confort. Jean-Marie Rikkers : Les arts plas- très bien ensemble. Durant l’exposition sur les pièces de votre collection ? l’omniprésence de cet attrait pour la Mais quand ils parviennent à le faire, tiques sont très proches d’autres les travaux de Sylvie seront mis en Jean-Marie Rikkers : Il y en a peu que peinture et le dessin. Surtout la pein- ça réussit. Je pense à Xavier Mary. La formes d’art. La musique me donne relation avec ceux de Ransonnet, on y je considère comme moyennes. 99 % ture. Alors que j’aime beaucoup les pièce que nous avons pu voir dans un aussi beaucoup d’émotions comme la associera « Superflux » la petite supé- des pièces méritent d’êtres montrées coups de cœur raisonné, l’exemple parcours d’artistes dans la Zwalm pré- lecture et la poésie. Il y a quelque rette de Jérémy Moeremans. dans un cadre d’exposition. Ce n’est type c’est Ludovic Demarche. sentée dans le fond d’un garage était chose de commun entre les différentes pas un bilan, c’est quelque chose qui sensationnelle. formes d’art, j’en suis convaincu. Lino Polegato : Pendant l’exposition va progresser. L’objectif c’est de mon- Catharina Helsmoortel : Nous n’avons Catharina Helsmoortel : Certains Ce qui a été pour moi l’élément fonda- il fera vide chez vous… trer que l’on peut constituer une expo pas peur du nouveau, ni de l’insolite, artistes ne sont pas assez entrepre- teur, c’est l’intérêt que j’ai eu jeune, Jean-Marie Rikkers : Non, comme il y qui est cohérente et de qualité : Premiè- on ose plus qu’il y a trente ans. Nous neurs. Ils ont peur de se lier à des gale- vers 15 ans pour le jazz. Je reste un a des pièces que l’on ne pourra pas rement on est à Liège, deuxièmement, sommes ouverts… ries, c’est contreproductif. Ils devraient fanatique. C’est un élément qui m’a montrer dans l’exposition, on en profi- au fil du temps, avec des moyens limi- faire confiance à de bonnes galeries. amené à être ouvert en art. tera pour les réinstaller chez nous. tés et abordables on peut faire des Je pense que je ferai une installation, Jean-Marie Rikkers : Nous possédons Jean-Marie Rikkers : Qu’ils aillent se bonnes choses. quelques vidéos. Dans l’exposition, présenter dans les galeries, qu’ils fas- Lino Polegato : On pourrait dire que on fera des photos des pièces qui nous avons une pièce sonore de Yan- sent leur pub et que les galeries les vous faites partie d’un monde en seront déménagées et on les remettra Lino Polegato : Qu’est-ce qui fait la nick Franck « Basement continuum » prennent ! voie de disparition : le collectionneur en situation dans l’espace, en les col- valeur d’une œuvre ? On a l’impres- qui fonctionnera dans le même romantique qui a un rapport parti- lant au mur, sur les armoires, ça va être sion que vous pratiquez souvent par contexte qu’elle a été montrée la pre- Lino Polegato : Ce serait intéressant culier à l’œuvre et aux artistes. génial ! coups de cœur raisonné. mière fois, c’est-à-dire que le public ne que votre exposition puisse tourner Aujourd’hui ce type de fonctionne- pourra visualiser l’origine du son. en Flandre, cela pourrait amener un ment a changé depuis internet, les Lino Polegato : Dans votre collec- Catharina Helsmoortel : Le premier des autre regard sur l’actualité. Foires… tion, y a-t-il une pièce qui vous parle critères c’est que l’oeuvre doit nous Lino Polegato : En étudiant la scéno- L’inverse serait profitable égale- Jean-Marie Rikkers : On ne se referme particulièrement ? plaire. Il faut qu’elle nous raconte graphie, vous devenez un peu des ment. Comment est née votre pas- pas sur une région. Quand nous étions Jean-Marie Rikkers : On va faire quelque chose, qu’elle nous émeuve. artistes ? sion pour l’art ? à Knokke, nous fréquentions une petite construire une vitrine pour installer Si le prix est parfois un obstacle, ce Jean-Marie Rikkers : Comme tous les galerie de Wareghem qui nous a com- l’œuvre de Ludovic Demarche compo- n’est pas lui qui nous décide à acheter. commissaires d’expos (rires) On ne va Catharina Helsmoortel : Mon père blés. Il est aussi important de visiter sée notamment d’un herbier et de deux pas se comparer à Szeemann mais aimait beaucoup l’art, il était très les Foires. L’enseignement à retirer de grands dessins. C’est une pièce Jean-Marie Rikkers : J’aime bien la c’est un peu le même type de travail. ouvert et visitait les musées. tout cela, c’est que les artistes qui gra- majeure de notre collection. Je suis notion de coup de cœur raisonné. Un Nous allons d’ailleurs montrer égale- Je suis consciente de m’intéresser à vitent dans notre propre environne- complètement ébahi par cette pièce coup de cœur parce qu’il faut que l’on ment une pièce de Selcuk Mutlu la l’art depuis l’âge de 13-14 ans. ment sont des artistes de qualité. Le que je trouve extraordinaire. Non seu- se sente en relation avec l’œuvre mais série des autoportraits. seul « défaut » qu’ils ont c’est de lement dans sa facture mais aussi dans c’est aussi raisonné : il faut que la (N.D.L.R. : que Szeemann a eu l’occa- Jean-Marie Rikkers : Si on parle d’art n’être pas suffisamment connus. Mais la puissance qu’elle dégage. pièce nous dise quelque chose par rap- sion de voir lors de son passage à plastique, j’avais un prof de Rétho ce sont des artistes de qualité incontes- port à ce que l’on aime dans l’art, par Liège) super cultivé qui avait vécu en Italie, il tablement. Il n’y a aucun doute. Nous Lino Polegato : Au niveau de rapport à ce que l’on recherche, par nous a ouvert à la peinture italienne. nous sommes construits des références. l’espace, vous arrivez bientôt à satu- rapport à ce que l’art nous apporte au Lino Polegato : Comment expliquez- Pour parler de l’art contemporain, c’est Nous savons de quoi nous parlons. Ce ration… Y aura-t-il encore de la jour le jour. On essaie de vivre un vous ce manque de rayonnement des tres identifiable. Avec Odette, on sera un vrai plaisir de faire partager place pour l’acquisition de nouvelles maximum au milieu de nos œuvres. artistes Liégeois, dans le nord du s’intéressait à l’art classique et notre collection à tous. pièces ? Jean-Marie Rikkers : C’est déjà comme pays et à l’étranger ? moderne. En 76, on a fait un voyage Catharina Helsmoortel : Il y en a par- Catharina Helsmoortel : Je vis à Liège aux Etat-Unis qui nous a conduit vers “Collection” du 28/04 au 27/05/2018 ça depuis longtemps. tout dans la maison… depuis deux ans. Il y a un potentiel les musées à NewYork et Washington. 1,3,5 Place des Déportés, 4000 Liège Catharina Helsmoortel : Ça ne nous extraordinaire. S’ils sont si peu connus On a découvert les peintres abstraits vernissage: 28/04, 18h. Du jeudi au empêche pas de continuer d’acquérir. Lino Polegato : Vous ne faites pas dans le nord c’est dû au manque américains. Nous avons été fascinés samedi 17à21h Dimanche de Jean-Marie Rikkers : Ce sera l’occa- partie des collectionneurs qui vivent d’ouverture réciproque. Les galeristes par ce type de peinture. Quand nous 11hà15h sion quand elles reviendront d’en faire entourés de caisses… se rencontrent sur les Foires mais il n’y sommes revenus à Liège, nous sur rdv: tourner d’autres, d’en montrer d’une Jean-Marie Rikkers : On vit avec. Je a pas d’échanges. Ils ne prospectent sommes passés devant la galerie de info.rdv.collection@gmail.com autre manière. Nous avons deux voudrais parler tout d’abord de la mai- grandes toiles de Pol Pierart, les réunir, pas. En Flandre, il y a bien sûr plus de Manette Repriels. Je pense que c’était son qui a été dessinée par Jean Engle- ça va être fabuleux. collectionneurs qui achètent au niveau un Soulages qui nous reconnectait à
JE Page 6 déjà sourciller. Il y a quelque chose de temps économique et le temps social. tabou là-dedans, mais Jana Euler va De savoir quand il faut travailler et au-devant de ce tabou avec un sens quand il faut s’arrêter. Et puis il faut consommé de la provocation. Elle le reprendre avec le peu de forces qu’on pousse à l’avant-plan comme on pous- arrive à rassembler, à presque se traî- serait un meuble lourd pour bloquer ner sur le sol. Jana Euler dans un une porte. Pour que la porte de la psy- réflexe de presque-peintre futuriste ché que nous portons/supportons ne se nous parle bien de ce temps-là. Elle referme pas. Parce que comme une s’excite, et nous avec, sur la vitesse. Il chirurgienne de l’âme et du corps, les y a une étude picturale de la vitesse qui deux étant mêlés absolument, elle veut est déployée dans cette exposition de regarder dedans. Elle veut regarder en 2018. Elle fait des fonds brossés. Elle face les méandres de la matière grise, peint des chevaux de courses, et titre de l’identité sexuelle et émotionnelle ; « compétition ». Elle peint un lièvre en elle veut regarder les boyaux, le sys- pleine course, des hommes/chevaux tème digestif, reproductif : toute cette lancés dans une course d’obstacles. petite usine au travail que nous trim- Elle prend pour sujet l’impensable, ballons entre le supermarché et la sta- l’informe, le visqueux : une limace. Si vous avez vécu sur la lune ces der- tion de métro, entre le parc et le bar, Une authentique limace (soit tout ce nières années, sans nouvelles de la pla- entre la chambre et la cave. Ce sac de que nous sommes en dedans de nous, nète Terre – ce qu’on peut du reste chair, cette masse d’émotion… C’est en chair et en esprit). Cela lui donne vous souhaiter, eu égard à certains avec ça qu’on se définit. Parce qu’il l’occasion de peindre un « morceau de tristes spectacles qui ont lieu ici bas – faut se définir… Comment cette masse bravoure » comme on dit. De faire éta- vous ne connaissez peut-être rien à réagit-elle aujourd’hui, plongé dans le lage d’une prodigieuse technique de Jana Euler, une artiste allemande qui bain du présent ? Il y a des tas d’écrans peinture réaliste, à la quasi Dürer. vit à Bruxelles et qui a fait une entrée faisant que le je ne sait plus où donner Mais aussitôt peint de façon virtuose, ultra fracassante dans le milieu de l’art de la tête. Faisant que le je est totale- aussitôt, paf, on tombe sur un autre national et international ultimement, à ment livré à son propre sort. Le je est tableau « très mal fait ». Puis sur des la manière – pour parler en des termes un adolescent (ce serait le je de collages impossibles, hideux. Ces qui vous seront plus familiers – d’une l’humanité, entré dans un jeune âge, allers-retours entre le bien peint et le météorite. dans son adolescence) qui se retrouve mal peint, entre la bad painting comme À ceci près qu’elle dure, la météorite, seul dans la maison des parents, sans on l’a nommé une fois et ce qui serait qu’elle ne fait pas que passer, ou plus de parents. Il y a beaucoup, beau- théoriquement l’inverse, soit la good exploser. Elle dure. Jana Euler est un coup de place libre pour le narcis- painting font tout l’art de la drama- phénomène astral. Elle peint, elle fait sisme. Et personne ne dit que c’est turge qu’est Jana Euler, qui sait tou- des sculptures et des installations avec bien ou mal. C’est comme ça. De toute jours assez formidablement sur- ses mains et c’est inouï. Du 3 mars au façon, il n’y a plus de parents. Il y a prendre, choquer, ébranler son specta- 7 avril 2018, elle présente une exposi- des idoles, certes, mais elles se racra- teur. Elle reste constamment réaliste en tion à la galerie Dépendance à potent aussi quand on s’en approche. tout ça. Une quasi Zola. C’est réaliste Bruxelles qui vaut son pesant de Jana Euler fait des collages en ce sens. parce que le mauvais goût, voire même matière noire. Nous sommes en effet, Elle colle des bouches et des yeux sur – soyons plus franc – le laid, la laideur, avec Jana Euler, et depuis toujours, des photos de stars. Stars clonées, se la vulgarité est venu s’amasser comme dans le monde de l’amertume germa- déformant. Images de stars à notre une mousse sur les plages de notre cul- nique : profonde mélancolie du nord, image de star… Tôt ou tard les parents ture visuelle d’aujourd’hui. Des bile noire, inquiétudes, angoisses. Ces disparaissent, meurent. Ou alors tôt ou masses de mousse jaunâtre, verdâtre, sentiments sont certes des couleurs dis- tard, on se rend compte de l’inexis- mauve… Et il y a une tentative esthé- tantes dans notre histoire de l’art. Mais tence de l’adulte, du mythe que repré- tique de négocier l’ingurgitation de pas uniquement, hélas. Elles se rappro- sente l’adulte. Une fois que l’adoles- cette culture-là dans l’œuvre de Jana chent. Elles vous rattrapent au galop. cent s’approche de cet âge adulte, c’est Euler. On parle vraiment d’ingestion, Elles dégoulinent sur vous, ces cou- comme s’il voyait l’adulte en question de digestion, de gastroentérologie avec leurs. L’anxiété suinte de notre époque rajeunir, s’évaporer, disparaître, ou elle. Des tubes digestifs. Des amibes. exsangue. Elle tombe en pluie fine et pour le dire en des termes plus expres- Un organisme qui ne serait qu’organes. coupante sur les âmes, même abritées. sionnistes et crus chers à Euler se C’est de la cuisine sombre. C’était On ne voudrait pas se retrancher, idéa- racrapoter, se décomposer. Racrapoté sombre au début, et cela l’est encore à lement pas, théoriquement pas : mais l’adulte ! Il ne reste donc plus qu’un la fin. Mais alors, où est l’espoir ? Il en on se retranche quand même. Moi, je seul et unique âge : l’adolescence. Et faut de l’espoir, dans une histoire ! Je ne voudrais pas, mais je me retranche. nous voilà dans cette solitude… C’est pourrais répondre à la place de Jana Je cherche de l’air, j’ai besoin d’air, et l’angoisse. C’est la peur non seulement Euler (je dirais, dans la créativité, la j’étouffe (modestement, car il y a des de l’avenir, mais aussi du présent, et sexualité, la fusion – elle ne renierait situations pires à vivre, de toute évi- du passé. C’est l’angoisse parce que la sans doute pas entièrement cela) dence, des étouffements plus absolus, toile est carrée ou rectangulaire et Edouard Glissant pourrait répondre à mais… moi je, moi je… moi je compte qu’on va butter sans cesse sur ses la place de Jana Euler (il dirait dans aussi, dit le je). Le je est une donnée quatre bords. Et il en va de même de la l’inauguration d’une poétique de la importante pour Jana Euler. C’est pour maison, de l’habitat, du loyer qu’on relation à l’autre, d’une poétique de ça que je me permets de l’utiliser. Elle paie, de la petite parcelle de propriété créolisation, dans un non-système sur- fait une analyse en diagonale de ce qui privée qu’on tente de préserver à coups tout, non prédictible, confiant dans les se passe pour le je. C’est un je certes de temps idiots passés à la financer. opérations d’hybridations gouvernées très occidental, a priori. Mais ça peut C’est l’angoisse parce qu’on est dans par le souffle du chaos). Mais Jana quand même toucher beaucoup de la Totalité-monde, sans en avoir bien Euler elle, que dirait-elle en terme monde. Parce que tout le monde a un conscience, étreint du sentiment de d’espoir ? En quelle conclusion de je. Et que le je occidental exerce une l’absence d’un échappatoire, retranché l’œuvre s’incarnerait-il, cet espoir ? telle fascination sur les autres je du trop souvent sur son identité racine Première hypothèse : en une déesse monde. unique pour utiliser des concepts du indienne aux milles yeux, aux milles toujours génial et visionnaire Edouard visages, nécessairement apaisée. L’exposition à la galerie Dependance Glissant. En l’absence d’échappatoire, Seconde hypothèse : en un animal. s’organise autour de plusieurs pein- taraudé parfois même par l’idée de sui- Jana Euler a de l’empathie pour l’ani- tures qui sont accrochées dans l’espace cide (voir les tableaux représentant de mal. Des êtres qui nous ressemblent. un tantinet labyrinthique de la galerie. grandes prises électriques dans les- Ils apparaissent constamment dans ses L’artiste n’hésite pas à accrocher ses quelles l’adolescent glisserait déses- tableaux : ici limace, cheval, lièvre, toiles de façon biscornue, non conven- péré des doigts mouillés) nous possé- ailleurs chameau, singe… Ces êtres tionnelle : entre deux piliers par dons bien sûr quelques vieux réflexes : vivants aux physiques bizarres, tendre- exemple, ou dépassant d’un bout de l’alcool et les stupéfiants. Aussi rassu- ment bizarres, autorisent une forme mur. Tout est prise de liberté par rap- rant qu’un roman de Jack London. d’empathie qui pourrait être ressentie port à la convention dans le travail de Cela marche encore, rassurez-vous. plus tard pour les proches, puis pour Jana Euler. Souvent, son rapport à Rassurez-vous, jusqu’au lendemain les hommes peut-être. Peut-être… Ou l’espace – tant l’espace de l’exposition matin. Pas jusqu’au lendemain midi. peut-être pas. que l’espace plus circonscrit de Alors là, au-delà de midi, c’est plus l’œuvre – exprime une volonté (une cher, cela va vous coûter plus cher. Et Yoann Van Parys résistance) de s’installer vaille que on ne vous parle même pas de l’argent. vaille malgré le peu de commodité. Il y Cette très négligeable source d’inquié- a un « inconfort ». C’est toujours tude… On vous parle de l’angoisse de inconfortable. L’enveloppe est incon- l’heure, qui fait perler des gouttes de fortable. D’ailleurs, nous parlons sueur au front. d’espace, nous parlons d’enveloppe : c’est aussi immédiatement le corps L’heure est partout. L’heure des dont il est question ; un autre sujet hommes. L’heure du lundi, et du essentiel de l’œuvre de Jana Euler. Le mardi etc. L’heure de Wall street. Le corps, l’inconfort, le je ? Je vous vois
Wiels L’ŒUVRE CONVULSIVE DE SOPHIE PODOLSKI Afin d’entrer en contact avec l’œuvre Bolaño convoquera dans ses livres inouïe de Sophie Podolski, il faut « cette jeune fille belge qui écrivait s’arracher aux stéréotypes d’une comme une étoile » (Anvers de époque qui galvaude les vocables de Bolaño), Françoise Collin évoquera sa « visionnaire », d’« irréductible » et où trajectoire de comète. le label « génie » est fabriqué à l’instar de cotations en bourse. Auteure d’une Plasticienne, poète, réalisatrice, Joëlle œuvre graphique et littéraire sans équi- de La Casinière qui a confié à Caroline valent dans le paysage de l’esthétique, Dumalin des centaines de dessins, de de la pensée, l’artiste belge Sophie créations graphiques, des cahiers de Podolski (1953-1974) a inventé au Sophie Podolski, vient de réaliser un cours de quelques années placées sous film Dans la Maison (du Montfaucon le signe de l’intensité un dispositif Research Center). Saluons le Wiels, expérimental où le dessin, la peinture Caroline Dumalin, Joëlle de La Casi- et l’écriture sont intimement liés. La nière d’avoir donné à voir cette œuvre définition du créateur est d’être le fils foudroyante qui n’était jusqu’ici de son temps : qu’il réverbère, devance connue que d’un petit nombre d’ini- ce dernier ou qu’il libère des compo- tiés. santes transhistoriques, des îlots d’éter- nité, il demeure celui qui ne peut sau- Pour conclure, convoquons quelques ter par-dessus son ombre. À cette défi- extraits du livre que Sophie Podolski nition comme à toute définition, à tout écrivit durant l’été 1971 durant un enfermement dans un courant, dans un séjour de deux mois en Suisse avec contexte, Sophie Podolski échappe. Si l’artiste Olimpia Hruska. « Le subjectif son bouillonnement créateur entre entre dans ces formes objectives que l’adolescence et ses vingt-et-un ans sont les stéréotypes par le moyen de s’inscrit pour une part dans l’avant- l’identification (…) Être c’est posséder garde libertaire, dans la contre-culture des représentations de pouvoir pour de la fin des années soixante, la source être quelqu’un — l’individu doit, génésique de ses œuvres est résolu- comme on dit — faire la part des ment podolskienne. Son univers porte choses — ENTRETENIR SES ROLES la marque d’une singularité irréduc- — les polir — les remettre sur métier tible au contexte politico-artistique, à que les usages normés bâillonnent. métries varient, où le principe d’iden- d’ombre de l’Histoire collective, de la — s’initier progressivement jusqu’à l’ancrage dans un humus, fût-il celui L’imaginaire en roue libre qui vertèbre tité est relégué au rayon des acces- psyché personnelle, on injecte un vent mériter la promotion spectaculaire — de l’underground, de Mai 68. Née dans ses dessins, ses écrits met en place un soires, des ailes poussent au bout des de jamais-vu, de jamais lu dans le les usines scolaires — la publicité — une famille d’artistes (son père Michel monde alternatif questionnant les bases bras, une jungle surgit au fond d’une ventre (parfois mou) des avant-gardes, (…) Les fées dans le cabinet des Podolski est musicologue et luthiste, sa de l’existence, cherchant à ouvrir des bouche. Ses œuvres plastiques on fait du Rotring, du Rapidograph le ministres avaient envahi les tables de mère Ann Cape, céramiste, son grand- portes qui mènent à d’autres états de grouillent d’entités fantastiques : un complément de la seringue, on élève le leurs fines jambes — s’emparant des père Stafford Cape, compositeur, sa conscience, à d’autres explorations du « dragon gardien des pluies », une bot- speed-writing, le speed-drawing au micros (…) comme je l’ai écrit à mon sœur cadette, Catherine, deviendra corps, via le sexe, via la drogue, la tine dans une cage, un escargot volant, rang d’arme de résistance au confor- père : je ne suis pas un poète mais bien céramiste), elle fréquentera le collectif connaissance par les gouffres que la des yeux-polypes posés sur des misme. Sophie Podolski ne se contente un poème inachevé. Le tout est de artistique du Montfaucon Reearch came procure. On aurait tort d’y repé- jambes. La récurrence des seringues, pas des formes héritées, du verbe, de la savoir comment un poème inachevé Center dès le printemps 1969, une rer exclusivement un dessin, une écri- des joints, l’invention d’un alphabet couleur et de la ligne. Bien qu’elle peut achever un poème inachevé pour communauté gravitant autour de ture automatiques, une dictée de d’encre, crypté, à usage solitaire (créa- reconnaisse les spécificité de l’espace justement être un poète (…) Il semble Michel Bonnemaison et Joëlle de La l’inconscient placée sous le signe de tion de hiéroglyphes dans Où aller de la lettre et de l’espace du dessin, que l’on n’ait pas tenu compte de nos Casinière. Pour la première fois, qua- l’hallucination et des visions psycho- pour vivre, titre qui pourrait condenser elle n’a de cesse de les bouturer, de les véritables besoins humains (…) mais rante-quatre ans après son suicide, une tropiques, schizophréniques, extra-sen- toute sa trajectoire, toute son œuvre), déstructurer afin de les reconstruire qu’est-ce que cette vie d’écrivain ? exposition lui est consacrée au Wiels sorielles. Ce qui nous frappe avant les créatures hermaphrodites, hybrides, selon des lignes de haute tension. (…) j’ai envie de tant de choses inexis- et Le Pays où tout est permis, son tout, c’est une hyperlucidité, une matu- les bouches de vampires en suspens, la tantes », Sophie Podolski, Le Pays où livre-ovni paru en 1972 grâce à Joëlle rité, une précocité rimbaldienne dans multiplicité de croissants de lunes, les Si elle saute par-delà les règles de la tout est permis. de La Casinière se voit réédité par sa manière de sonder le politique, les croissants lunaires blancs emprisonnés sainte grammaire des formes et des celle-ci. Caroline Dumalin, la curatrice cauchemars de l’Histoire, les questions dans une lune noire, l’ode aux drogues phrases, c’est parce que ce qu’elle a Véronique Bergen de l’exposition, a conçu un magnifique de l’identité, de la société, de l’ordre, afin de fuir une « planète de cons », les vu, perçu, senti, compris ne peut tenir dispositif en trois salles riches d’une du licite et de l’illicite, du normal et du paradis artificiels contre les cauche- dans les cadres du penser dont elle centaine d’œuvres de Sophie Podolski. pathologique. Dans son œuvre intitulée mars naturels d’un monde oppressif, la hérite. Sophie Podolski a inventé une Sophie Podolski, Le Pays où tout est La coloration synthétique de l’hitlé- poursuite de l’hallucination comme scène de vie-art d’une extrême exi- permis, Éd. Monfaucon Research Comme Artaud, Sophie Podolski risme, où se combinent dessin et écri- méthode a-méthodique et de l’extase gence, où les lieux changent d’échelle, Center, 2017, réédition du livre forme un hapax dans les annales de ture, elle interroge le nazisme, l’assi- comme porte de sortie, l’intrication de où l’humour, le ludisme s’allient aux manuscrit accompagné de dessins l’art, du dicible, du pensable. Si, fabu- milant à une machine de purification- l’humain, de l’animal et du végétal, les jeux d’échos, de distorsion entre le mot publié en 1972, ensuite sous une ver- leusement douée, elle s’imprègne épi- extermination raciale. réseaux mobiles de points, de zigzags, et l’image. Au nombre des compo- sion corrigée et non manuscrite chez dermiquement, avec boulimie et Mue par une sidérante vitesse inté- les écheveaux de lignes enchevê- santes de ses créations, il y a la colère Belfond avec une préface de Phi- urgence, des œuvres de la contre- rieure, elle a capté l’envers de nos trées… autant d’extraordinaires com- contre un monde étriqué, conservateur, lippe Sollers. cuture, de la culture savante, de la cul- décors, les bas-côtés de la raison, elle a positions graphiques qui défient nos liberticide, le souffle de l’insoumis- ture populaire, des situationnistes, de crié l’insupportable, l’impossibilité sens, nos capteurs, la vie, la mort, le sion, le rejet du consumérisme, de Exposition Sophie Podolski. Le Pays l’univers du rock, Jimi Hendrix, Frank d’être là et de ne pas y être, elle a tenté fini. l’abrutissement programmé par le où tout est permis, Villa Vassilieff, Zappa…, si elle intègre les méthodes de porter l’art-existence sur ces crêtes capitalisme, une perception extra-sen- Bétonsalon, en partenariat avec le du cut-up de William Burroughs et dont peu reviennent. Tant ses textes Se laisser percuter par la puissance sorielle de tout ce qui limite les puis- Wiels, dès avril 2018, après l’exposi- Brion Gysin, son effervescence créa- que ses dessins se logent sous le signe graphique de Sophie Podolski, par la sances du vivre, le combat contre les tion qui eut lieu au Wiels du 20 jan- trice témoigne d’un univers idiosyn- de la métamorphose permanente, de sidérante aventure textuelle, physique, gouffres intérieurs. Peu d’artistes vier au 1er avril 2018, accompagnée crasique qu’elle produit et synthétise devenirs qui emportent, déportent la métaphysique du Pays où tout est per- auront dynamité comme elle le fit le d’un catalogue (textes de Lars Bang comme un prolongement d’elle-même, ligne, la phrase. L’identité fuit de mis, c’est recevoir son œuvre dans vocabulaire plastique, le champ poé- Larsen, Jean-Philippe Convert, dans une nécessité absolue, construi- toutes parts ; les mondes, les logiques l’ouvert, sans la tuer, sans la lisser en tique, portant ces derniers vers une Caroline Dumalin, Chris Kraus, sant, dépliant au-dehors l’architecture bifurquent dans des dystopies men- lui accolant l’étiquette schizophrénie, intensité convulsive. Ses gouaches, ses Erik Thys). d’un monde intime parcouru de ten- tales. l’étiquette psychédélisme. D’une fabu- pastels, ses dessins à l’encre, ses textes sions, de déséquilibres, de fulgurances. leuse énergie génésique, cette œuvre extra-terrestres sont traversés par Au travers de sa stupéfiante œuvre gra- Peuplés de créatures fabuleuses, à che- trop vite interrompue par la mort l’extase mais aussi par les crises psy- phique, de ses gravures réalisées vers val sur les contes de fées et la science- forme une galaxie habitée par une chiques, le délitement des repères, un quatorze-quinze ans, de ses céramiques fiction, ses dessins donnent vie à liberté radicale. Cette liberté de créer, désarroi coulé dans des créations orga- datant de ses quatorze ans, de ses Simonis l’unijambiste, à Captain Crab, de crier explose dans Le Pays où tout niques tentant de faire pièce à la remarquables dessins à l’encre, de ses à Snow Queen, la Reine des Neiges, à est permis, machine graphico-littéraire décomposition. Peu de temps avant bandes dessinées érotico-psychédé- des machines à came, produisant du inventant son rythme propre, sorte de son suicide, Sophie Podolski séjourna liques, de ses collages, de ses pastels et LSD, branchées sur le crâne, à des road movie mental explorant un dispo- à la clinique de La Borde où travaillè- gouaches, au travers de ses écrits, elle machines à féconder, à reproduire sitif de l’écrire et du dessiner rythmé rent Jean Oury, Félix Guattari.Si, née renouvelle l’espace de l’image et le (Voie lactée). Les lois physiques n’ont par le stream of cousciousness, les col- apatride, Sophie Podolski devient champ de l’écrit, les tordant dans un plus cours, l’extérieur squatte l’inté- lages, les emprunts situationnistes. On belge à l’âge de vingt ans, ses créa- régime intensif, abolissant les limites rieur, la peau est devenue poreuse. Des est immensément curieux quand on a tions demeurent, quant à elles, résolu- qui enserrent la pensée, la logique, la corps sans organes et des organes sans dix-sept ans et qu’ion danse sous les ment apatrides. La revue Tel Quel de raison, le royaume de la réalité. corps, émancipés de leur propriétaire, arbres à came de la promenade, on Philippe Sollers, la revue Luna-Park La ligne, le trait, le verbe sortent de se baladent, orphelins, autonomes. demande à la vie plus que ce qu’elle de Marc Dachy publieront ses textes, leurs gonds, libèrent des potentialités Dans ce monde quantique où les géo- n’a jamais donné, on fouille les zones ses dessins de son vivant ; Roberto
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