LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ

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LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES

                                                                               no 18 – novembre 2017

                                                   LE GUIDE DES

                    Sur le marché
                    Grenelle
                    dans le 15e.
L 11719 - 18 - F: 4,90 € - RD

                                      VOITURIERS                         CANAL DE L’OURCQ
                                      VALETS DES         ENQUÊTE         LES PÉNICHES CONTRE
                                    BEAUX QUARTIERS   PARIS PUE-T-IL ?      LE SABORDAGE
LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
ÉDITO
                                                                                                            – n 18                      o
Mon marché n’a pas rendu les armes
Le bon vieux marché parisien résiste... À la grande distribution qui envahit la capitale en douce, estampillée
« market », « city » ou « express » ; à la vente en ligne et ses cadors, tel Amazon, lequel nous livrera sans doute
un jour nos pains au chocolat ; aux circuits courts, marotte des Parisiens et fer de lance de la bioéconomie…
Dans nos rues, le marché, dressé un jour sur trois sur les trottoirs de la ville, est une tradition.
Du solide. Les week-ends, l’attente est plus longue pour y acheter une botte de radis qu’une bière dans un festival
branché, c’est dire... Paris compte 82 marchés alimentaires plutôt bien achalandés. Du plus chic (pour ne pas
dire plus cher), où les fruits sont présentés comme des diamants dans leur écrin, aux plus économiques dans
les quartiers populaires, où les légumes peuvent faire grise mine. Mais le marché va plus loin : depuis toujours,
c’est un lieu de vie. Un endroit convivial où se croisent personnes âgées, militants politiques tract en main,
familles ou étudiants de retour de soirée.
C’est aussi un espace en perpétuelle évolution, qui s’adapte peu à peu aux nouvelles envies des habitants-clients.
Et qui pourrait bien finir, lui aussi, dématérialisé, pour le meilleur et pour le pire. La Ville vient d’ailleurs de lancer
un service de livraison de produits (Mon panier du marché). Même si le service n’est pas encore parfait, l’envie
de coller aux nouvelles pratiques des consommateurs est bien là. Pour y voir clair et comprendre les nouvelles
tendances, Soixante-Quinze vous propose son guide des marchés, sa sélection, afin de vous orienter dans
le dédale de la consommation alimentaire locale.

David Even, rédacteur en chef

Retrouvez toutes nos actualités sur www.soixantequinze.paris et sur       soixantequinzelemag      SoixanteQuinz         soixantequinze.paris

                                          Webmaster Ecaterina Croitor              ah@annehartenstein.com                      Donateurs fondateurs
                                          Ont collaboré à ce numéro                Publicité David Even                        Mathias Deray, Quentin Gadala,
                                          Textes Clarisse Briot, Jean-Laurent      publicite@soixantequinze.paris              Laurence Matuchet
Magazine mensuel édité                    Cassely, Clémence Cochan                                                             Abonnés à vie Serge Aregian,
par Arrondiss’Presse,                     (librairie Le Comptoir des lettres),     Diffusion kiosque MLP                       Sabine Buben, Pascale Comoretto,
SARL au capital social de 50 000 €        Claudine Colozzi, Margaux Dzuilka,       Installation et réassort diffuseurs         Jean-Marc Even, Christian Huck,
77, rue Albert, 75013 Paris               Christian Eudeline @ Douar Skrill,       sur www.direct-editeurs.fr                  Bettina et Martin Schaller, Yabon
RCS 52780708500040 - APE 5813Z.           Charlotte Fauve, Jérôme Hoff,
                                          Julien Tissot                            Gestion des ventes au numéro
RÉDACTION                                 Photos Hugo Aymar, Magali Cohen,         À juste titres, 04 88 15 12 48
Contact Soixante-Quinze                   Constance Decorde                        (réservé aux diffuseurs et dépositaires)
77, rue Albert, 75013 Paris               Partenaires club d’affaires Carbao
E-mail redaction@soixantequinze.paris     Montparnasse, agence Hans Lucas,         Impression Senefelder Misset,
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Photos mathieu@soixantequinze.paris                                                Imprimé sur du papier PEFC
                                          ADMINISTRATION
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Philippe Schaller, Virginie Tauzin        Actionnaires Philippe Bordier,
Responsable photo Mathieu Génon           David Even, Financière Gaspard,          Dépôt légal à parution
Rédacteur en chef du site web             Virginie Montenol, Jérémie Potée,        ISSN 2493-0512                              Gestion des abonnements
Philippe Bordier                          Philippe Schaller                                                                    et relation abonnés
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Isabelle Lendaro-Gradt                    Relations presse et partenariats         sans autorisation de l’éditeur.             PROCHAIN NUMÉRO
Stagiaires Dylan Briard, Livia Garrigue   médias Anne Hartenstein                  © 2017 Arrondiss’Presse SARL                En kiosque le mardi 28 novembre 2017
LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
Une ville, trois regards #1

Chaque mois, trois clichés
qui respirent la capitale
sélectionnés par le collectif
de photographes Hans Lucas.

                                                                     UN CAFÉ...
Place Édith-Piaf (20e)
                                                                     NORMAL, SVP !
                                                                     Par Constance Decorde

30 septembre 2017. L’ancien président
de la République, François Hollande, est attablé
au café de la place Édith-Piaf. J’habite porte
de Bagnolet, un quartier à l’ambiance de village
à nul autre pareil. Le café de cette place est
un des lieux où les habitants se retrouvent pour
partager un moment, un verre. Apprenant
par un ami que François Hollande allait
y passer ce samedi matin, je m’y suis rendue
et ai réalisé ce cliché sur lequel il ressemble
à n’importe quel familier des lieux. Un habitué
qu’il va peut-être devenir, puisqu’il devrait
s’installer prochainement à la Campagne à Paris,
un quartier tout proche.

4-5                                                Soixante-Quinze                           www.soixantequinze.paris
LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
Une ville, trois regards #2

1 001                                                               La Cartoucherie (12e)
                                                                    Le 7 janvier 2015, un attentat terroriste décimait

DANSES
                                                                    l’équipe de Charlie Hebdo. Le soir même, la danseuse
                                                                    et chorégraphe Nadia Vadori-Gauthier (au centre)
                                                                    entrait en résistance et décidait d’offrir aux Parisiens
                                                                    comme aux internautes du monde entier une minute
                                                                    de danse par jour. Depuis, elle n’a cessé de répondre
                                                                    présente à ce rendez-vous, où qu’elle se trouve :
                                                                    sur les quais du RER, dans les couloirs de l’aéroport,
                                                                    à Cuba, dans le bureau de la maire de Paris...
                                                                    Le 9 octobre dernier, à la Cartoucherie (12e),
                                                                    la performeuse dansait pour la millième et
Par Mathieu Génon                                                   avant-dernière fois, aux côtés du chorégraphe
                                                                    Benoît Lachambre et de la musicienne Isabelle
                                                                    Duthoit. Un moment empreint d’émotion au cœur
                                                                    du bois de Vincennes. Le lendemain, elle mettait
                                                                    fin à sa série artistique, à Gentilly (94), avec la même
                                                                    discrétion qu’au début de son hommage.

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LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
Une ville, trois regards #3

Rueil-Malmaison (92)                                                       PASSION
                                                                           NAPOLEON
24 septembre 2017. Jubilé impérial. Tous les deux ans, la ville
de Rueil-Malmaison célèbre un épisode marquant de l’histoire
napoléonienne. Cette année, il s’agit de la reconstitution
des traités de Tilsit entre la France, la Russie et la Prusse.
Passionnée de costumes, cela fait de nombreuses années
que j’assiste à des événements historiques. Voilà deux jours
que j’échange avec les reconstitueurs qui campent dans le parc             Par Magali Cohen
de Bois-Préau, mais je n’ai toujours pas rencontré l’empereur.
Je sais que c’est un Américain, Mark Schneider, qui vit en Virginie
et qui rêvait déjà tout petit d’incarner Napoléon. Ces derniers
participent à tour de rôle aux reconstitutions.
Le dimanche matin, on peut encore circuler facilement dans
le parc. Après avoir suivi la cavalerie, qui manœuvre dans
les sous-bois, je tombe nez à nez avec l’empereur. Accompagné
de ses généraux, il se prépare à la grande parade. Accessible,
il n’est pas encore submergé par la foule de passionnés venus
de toute l’Europe.

8-9                                                      Soixante-Quinze                      www.soixantequinze.paris
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SOMMAIRE
                                                                                      – n 18             o
                 04
      une ville, trois regards
     Photos XXL décalées qui respirent
                                                                                            24
                la capitale.                                                           en couverture
                                                                             Marchés de Paris, le guide

                14 - 17
              chroniques
         Les tendances capitales,
             l’inconnue du 75
          et l’atelier de Miss.Tic

                18
       portrait de quartier
          – Les Halles, un an après
         Le nouveau visage du cœur
      de Paris (1er) suscite satisfaction,
        scepticisme ou indifférence.

                                                                                           38
                                                                                     reportages longs
                                                                                     – La capitale dans l’œil
                                                                                      des voituriers (p. 38)
                                                                                Postés devant les hôtels de luxe
                                                                              ou les restaurants chics, ils côtoient
                                                                               un monde qui échappe à la crise.

                                                                                   – En piste avec les rats
                                                                                      de l’Opéra (p. 54)
                                                                                 Immersion dans la fabrique
                                                                             à danseurs étoiles de Nanterre (92).

                       Couverture : Mathieu Génon - Photographies sommaire : Mathieu Génon, Hugo Aymar

10                                               Soixante-Quinze
LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
44                                                                                      Evadez-vous de votre
                                                                                                         quotidien avec Sept!
          reportages courts
         – Avis de tempête au bassin
              de la Villette (p. 44)
      Trois péniches associatives doivent
        quitter le canal de l’Ourcq (19e),
                                                                                                         en kiosques et librairies
          mais refusent le sabordage.                                                                    ou sur www.sept.info
          – Nouveau look pour la tour
              Montparnasse (p. 64)
                                                                                70
     Un collectif d’architectes veut rendre                                  histoire
     l’édifice du 14e transparent et écolo.
                                                                – Paris malade de ses ilôts insalubres
                                                                    La Ville a mis un demi-siècle
                                                                 à détruire et rénover ces quartiers
                   52                                               de vétusté et de promiscuité.
                 enquête
                – Paris pue-t-il ?
     La ville a mauvaise haleine. Pourtant,
      l’histoire est formelle : les odeurs
                                                                          76 - 81
       de Paris ont aujourd’hui disparu.                            nos coups de cœur
                                                                        Une chef, une pièce,
                                                                      une expo, de la musique
                    66                                               et un livre pour l’automne
                  portrait
           – Muriel Ighmouracène,
               coworking girl.

                                                                               82
                                                                            portfolio
                                                                 – Le 19e, dernier bastion populaire

                                                                       90
                                                         les rendez-vous Soixante-Quinze

12                                            Soixante-Quinze
LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
Par Jean-Laurent Cassely                                                                                                                        Par Charlotte Fauve

                            LES TENDANCES CAPITALES                                                                                                                                      L’INCONNUE DU 75

             LA VOITURE AU CŒUR                                                                                                                                                                   SYLVANA
           DE LA LUTTE DES CLASSES                                                                                                                                                        Rue des Poissonniers (18e)

Amusez-vous à lancer lors d’un dîner parisien une                        de « l’écologie punitive » ni de la vengeance sociale dans cette
                                                                                                                                               Sonner au numéro 75 d’une rue
discussion autour d’Anne Hidalgo et l’assistance se divisera             quête d’un espace public débarrassé de la voiture et « rendu          de Paris, tous les mois,
                                                                         aux piétons et aux cyclistes » [voir l’interview d’Anne Hidalgo
automatiquement en deux groupes. Le premier défendra la
chasse à la voiture instaurée par la maire de Paris et fustigera         dans le précédent numéro de Soixante-Quinze, pages 26-36].
                                                                                                                                               et raconter la vie d’un habitant.
des automobilistes bourgeois, pollueurs accrochés à leurs
petits privilèges qui refusent de suivre le sens de l’histoire.          Pour le chercheur, Paris accueille de plus en plus
Le second accusera, au contraire, la municipalité de mener               de travailleurs qualifiés qui exercent des professions                Sa première boutique se trouvait là, rue des Poissonniers,
une guerre sectaire aux conducteurs par pur racisme social.              intellectuelles dans les secteurs créatifs peu gourmands              dans le 18e arrondissement, entre un bar tabac et un café.
Chacun aura en tout cas l’impression d’être dans le camp des             en superficie tels les startups, la recherche ou les médias.          Sous l’enseigne African Queen, peinte en larges lettres roses,
opprimés, face à l’arrogance et au cynisme du camp adverse.              Un électorat privilégié d’Anne Hidalgo souvent qualifié de            on y découvrait un bric-à-brac de perruques, de breloques,
                                                                         « bobo ». Ces professionnels peuvent travailler en centre-ville       de dorures et de rouleaux de wax multicolores… C’était dans
Et voilà un livre qui ne va pas arranger les choses. Parue à             et se passer des zones d’activités périphériques s’étendant           les années 1990, le quartier était chaud, mais on pouvait                                                                                   © MG
la rentrée, l’enquête des journalistes Airy Routier et Nadia             en grande banlieue, accessibles en voiture. Ils sont donc             encore y faire de l’argent. Aujourd’hui, Sylvana aime toujours
Le Brun, Notre-Drame de Paris (éd. Albin Michel), prend la               logiquement moins demandeurs et moins consommateurs                   autant le rose, mais son magasin a déménagé quelques mètres
défense de l’équipe des provoitures. Les auteurs s’en prennent           de voies de circulation et de places de parking, et prêts à           plus loin : un grand local tout en haut de la rue « Doudo’ »
                                                                         les « sacrifier » au bénéfice d’autres usages. En d’autres            [Doudeauville]. Même capharnaüm bariolé en vitrine,
                                                                         termes, la politique du zéro bagnole serait une banale affaire        et à l’intérieur, une tenace odeur de vernis et de shampooing,         entré, aussitôt parti. Le niveau d’œstrogènes de la pièce est
                                                                         de défense des intérêts des habitants, ce que les urbanistes          dans un brouhaha de conversations et de bruits                         sans doute trop élevé. Cependant, Sylvana est déprimée.
     Chacun a l’impression                                               appellent le Nimby [pour « Not In My Back Yard », littéralement       de sèche-cheveux. La coiffeuse s’accroche à son affaire                Par trois fois, déjà, elle a essayé d’acheter son fonds de
                                                                         « pas dans mon arrière-cour »] et qui s’illustre aussi avec           autant que la Goutte-d’Or à sa réputation, celle du plus               commerce, mais le propriétaire refuse de le céder. Le loyer
       d’être dans le camp                                               d’autres thèmes comme le refus de vivre à proximité d’une             grand marché africain d’Europe : « Le problème provient                augmente, tandis que son chiffre d’affaires, lui, baisse. Depuis

              des opprimés,                                              centrale nucléaire, d’une prison ou d’une déchetterie.                des Chinois et des Pakistanais, qui font tomber les boutiques
                                                                                                                                               afro, s’inquiète Sylvana. Ah c’est sûr, ils vendent de l’afro,
                                                                                                                                                                                                                      les attentats, les gens ont pris peur, ils sortent moins à Paris.
                                                                                                                                                                                                                      Et puis, il y a tous ceux qui n’ont pas de papiers et qui
         face à l’arrogance                                              Le milliardaire américain Warren Buffett a un jour déclaré que        mais pas du vrai : ce sont des copies à 60 centimes                    redoutent de se faire appréhender dans ces quelques rues
                                                                         la lutte des classes existait... et que les riches étaient en train   qui viennent d’Asie. »                                                 quadrillées par la police. « À quoi ça sert de bosser ? J’ai
              et au cynisme                                              de la gagner. Démonstration à Paris, où deux bourgeoisies                                                                                    l’impression de ne pas travailler pour moi, je ne fais que

          du camp adverse.                                               s’affrontent, et où la nouvelle est en train de remporter la
                                                                         mise sans violence, mais en se payant le luxe de présenter son
                                                                                                                                               Sylvana est fille d’ambassadeur. Dans le passé, elle a été
                                                                                                                                               modèle, avant d’avoir un fils. Au-dessus des miroirs de son
                                                                                                                                                                                                                      payer. » Sylvana redresse les épaules, réajuste son manteau.
                                                                                                                                                                                                                      Le soir, elle s’échappe loin du vrombissement des
                                                                         mode de vie comme un bienfait pour l’ensemble de l’humanité.          salon, l’une de ses photos est restée affichée, sur laquelle           sèche-cheveux. Prier dans le calme. Sur la ligne 12, non loin
                                                                                                                                               elle fixe l’objectif avec de grands yeux légèrement étonnés,           de Saint-Germain, il y a cette église qu’elle adore, où
dans ce pamphlet à une « Reine des bobos » clivante et une                                                                                     en robe moulante. Sur le mur d’en face, il y a un poster               la qualité de silence est telle qu’en y songeant, elle en retrouve
« enfumeuse » obsédée par la com. Ils dénoncent au fil des                                                                                     du Christ, couronne d’épines et tunique blanche. C’est                 le sourire. Un sourire éclatant, un sourire de mannequin.
pages l’équipe municipale. À leurs yeux, des « idéologues                                                                                      le seul homme du salon : le lieu appartient aux femmes
fanatiques, coupés de la réalité » tout occupés à faire souffrir                                                                               et à leurs cheveux crépus. Ici, on coiffe, on natte, on coupe          *La dynastie togolaise des Lawson existe depuis le début du xixe siècle.
un maximum de banlieusards et de Parisiens motorisés qui                                                                                       et on peigne. Au milieu des coiffeuses, trône Sylvana, sanglée
n’ont pas la chance de passer leur temps à « faire de la                                                                                       dans son manteau bleu pétrole. La reine du salon, c’est elle.
balançoire sur les berges de la rive droite », mais aspirent plus                                                                              Celle qui tient la caisse.
simplement à vivre leur vie… Caricatural ? Un peu.
                                                                                                                                               Ça l’étonne toujours un peu, que les Français ne connaissent
En effet, au-delà des clivages, il existe sans doute une réflexion                                                                             pas la famille Lawson* du Togo : « En Afrique, on nous appelle
politique, voire sociologique. Dans un article publié en 2015,                                                                                 Prince et Princesse ! » explique-t-elle afin de rappeler son
l’économiste Gilles Saint-Paul a tenté d’expliquer les choix                                                                                   ascendance royale, suggérée dans le nom de son commerce.
politiques des nouveaux habitants de Paris d’un point de vue                                                                                   Un réduit chatoyant où les femmes règnent sans partage dans
purement économique et rationnel, sans chercher à identifier                                                                                   la brume des laques. Parfois, un clampin passe la porte, avant
des gentils ou des méchants. Car il n’est pas nécessaire de voir                                                                               de la refermer aussitôt, sous les moqueries féminines : aussitôt

14 - 15                                                   Soixante-Quinze                                                                                                                       www.soixantequinze.paris
LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
Par Mathieu Génon

                                                                                          MISS.TIC
                                                                                                                                                 Elle explore la ville qui, en trente ans, a bien changé :
                             L’ATELIER                                                                                                           « C’est plus clinique maintenant. Moi, j’aime
                                                                                                                                                 quand ça sent mauvais. »
                                                                                                                                                 D’abord graphiste, Miss.Tic pose son premier pochoir sur un
                                                                                  RUE HENRI-MICHAUX (13e)                                        mur du 14e, en 1985. Son style est déjà là, et ne la quittera
                                                                                                                                                 plus : « Un texte, une image, une signature. » Dans son
Fameux ou non, ils ont tous leur petit coin à eux, où vient l’inspiration.                www.missticinparis.com                                 travail, la femme tient les premiers rôles ; l’homme est, lui,
        Chaque mois, un artiste parisien dévoile son atelier.                                                                                    secondaire : « Je ne savais pas vraiment comment illustrer les
                                                                                                                                                 textes au départ... et très vite est venue l’image de la femme,
                                                                                                                                                 d’abord à travers des autoportraits. Mais je m’en suis vite
                                                                             L’entretien vient à peine de commencer que Miss.Tic nous            lassée. Alors je suis partie de l’image de la femme donnée
                                                                             met en garde sur ce qui peut être écrit à son sujet sur             par les médias, jeune et sexy », comme pour se jouer des
                                                                             Internet ou dans les médias. On peut lire, par exemple,             stéréotypes de la femme séductrice.
                                                                             qu’elle est née à Montmartre (18e arr.), mais l’artiste corrige     Ses débuts, elle les fait aux côtés de Speedy Graphito, des
                                                                             l’erreur : « Cela faisait probablement plus chic, le son            Frères Ripoulin, de Jérôme Mesnager, avec pour grand frère
                                                                             de l’accordéon, le Sacré-Cœur, la place du Tertre. Mais             un certain Zloty. Son premier atelier sera dans le 11e, avant
                                                                             je suis née à Barbès, dans le 18e également. Chez nous,             de déménager pour le 13e. En 1999, elle est arrêtée et écope
                                                                             c’était plutôt raï, danse du ventre et couscous. »                  d’une amende de 4 500 euros pour « détérioration d’un bien
                                                                             À l’âge de 6 ans, elle et sa famille quittent leur logement         par inscription ». Depuis, elle demande pour chacune de ses
                                                                             insalubre pour un logement HLM de la cité des Aviateurs,            interventions une autorisation.
                                                                             Orly (94). À ses 10 ans, un drame familial bouleverse à jamais      Personnage incontournable de la scène artistique parisienne,
                                                                             sa vie : elle est la seule rescapée d’un accident dans lequel       Miss.Tic est fière de ce qu’elle a pu réaliser avec l’aide
                                                                             périssent sa mère, son grand frère et sa grand-mère. Sa             d’artistes de sa génération. « Nous avons fait émerger un
                                                                             reconstruction, elle la démarre à l’Hôpital Necker-Enfants          vrai mouvement. Nous le clamions depuis le début, mais
                                                                             malades. Elle se plonge alors dans la littérature.                  aujourd’hui, le voilà reconnu comme tel. » Pour la plasticienne,
                                                                             À 15 ans, dès qu’elle le peut, Miss.Tic retourne à Paris :          c’est Bansky qui a fait naître le mouvement. « À partir de là, les
                                                                             « Je déteste la banlieue », confie-t-elle. Ses quartiers            galeristes français ont entendu le bruit des écus. »
                                                                             d’attache sont alors Saint-Michel et Saint-Germain, pour            Sur l’avenir de cet univers pictural, Miss.Tic s’interroge :
                                                                             leur histoire, l’ambiance estudiantine et les librairies. Elle se   « Plus rien ne m’étonne aujourd’hui : il y a beaucoup de “à la
                                                                             souvient des années 1970 et du RER qui l’y déposait :               manière de”, de reprises, etc. Je suis curieuse de voir quel
                                                                              « C’est là que j’ai commencé à zoner. »                            sera le prochain mouvement. »

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LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
Portrait de quartier #10                                       Les Halles (1er)

Par Clarisse Briot
Photographies Mathieu Génon

                                                      LES HALLES
                                                      UN AN APRES
Le cœur de la capitale offre un nouveau visage.
Parisiens de passage, commerçants, habitants
et jeunes de banlieue s’y croisent et s’approprient
chacun à leur façon cette transformation, entre
satisfaction, scepticisme et indifférence.
18 - 19                       Soixante-Quinze
Portrait de quartier #10                                                                                                                                                                                                                                                          Les Halles (1er)

                                                                                                              le samedi, c’est la banlieue :
                                                                                                              on se croirait dans une cité de
                                                                                                              Seine-Saint-Denis. » Détaillant
                                                                                                              les passants qui évoluent sous
                                                                                                              l’immense structure de métal et
                                                                                                              de verre aux reflets verdâtres, le
                                                                                                              banlieusard de l’Ouest parisien
                                                                                                              insiste : « Regardez, il n’y a que
                                                                                                              des touristes et de la “racaille”. »
                                                                                                              Mais alors, qu’est-ce qui peut
                                                                                                              bien le pousser à venir flâner en
                                                                                                              ce lieu si peu fréquentable à ses
                                                                                                              yeux, hormis son intérêt pour
                                                                                                              les noisettes bio ? « J’y reviens
                                                                                                              de temps en temps, par fidélité.
                                                                                                              Comme tous les gens de mon âge,
                                                                                                              j’ai connu les Halles Baltard... »
                                                                                                                  Depuis que le fameux « ventre
                                                                                                              de Paris » n’est plus, nombre
                                                                                                              de Parisiens snobent ce péri-
                                                                                                              mètre, certes situé au cœur de
                                                                                                              la capitale, mais qu’ils traversent
Débuté en 2011, l’aménagement du jardin et des voiries                                                        sans même remonter à la sur-           À la sortie du métro, une perspective s’ouvre sur l’église Saint-Eustache.
de surface devrait prendre fin en 2018.                                   face. Le « hub » de Châtelet-les-Halles voit se croiser chaque
                                                                          jour 750 000 passagers sur trois lignes de RER et cinq de métro.
                                                                          Heureusement, tous ne font pas que « penduler ». Une partie

                                                                                                                                                           « J’y reviens
                                                                          d’entre eux s’égaille, en fin de semaine, dans les allées du Forum,
                                                                          l’immense temple du shopping qui a gagné des enseignes à la faveur

                                                                                                                                                            par fidélité.
                                                                          de sa rénovation. Une autre, qui préfère la lumière naturelle, refait
                                                                          surface dans le vaste patio de la Canopée et peut alors admi-

                                                                                                                                                             J’ai connu
                                                                          rer la perspective ouverte sur l’église Saint-Eustache et profiter
                                                                          du nouveau jardin.

                                                                          « Après minuit, il faudrait des flics »                                          l’époque des
                                                                          On y trouve aussi, n’en déplaise à Gérard, des habitants du coin, à
                                                                          l’instar de Dominique, venue y lire en voisine, depuis son appartement          Halles Baltard. »
                                                                          de la rue Rambuteau. « Tout a changé ici, il y a plein d’endroits pour                                                                                    Coup de jeune généralisé
                                                                          s’asseoir, c’est vaste, aéré. Et la Canopée est juste incroyable ! » se                                  Gérard, retraité
our un futur jardin, il y a beaucoup de béton, vous ne trouvez pas ? »    félicite la quadragénaire. « Je suis vraiment contente de ce que devient                                                                                  D’autres sites en chantier promettent de donner un coup
commente Gérard en faisant la moue. Gérard est l’un de ceux qui           le quartier, même si sa mauvaise réputation n’était plus tellement         Tout ce que je souhaite, c’est que les touristes se sentent à l’aise ici,      de jeune à ce secteur. La Bourse de commerce est couverte
aiment jouer les inspecteurs des travaux finis. Tournant le dos à         justifiée. » Mais la mue est récente. Convalescents comme après une        avec une belle sortie de métro et un beau petit bistrot. » Son acolyte         d’échafaudages depuis des mois. Cet édifice du xixe siècle
la Canopée, il examine les ouvriers qui donnent forme au jardin           lourde opération, certains éprouvent encore une lassitude. « Sept          cravaté, sceptique, complète : « La rénovation du quartier, c’est bien.        accueillera en 2019 une partie des collections d’art
Nelson-Mandela. Son achèvement doit signer la fin de l’opération          ans qu’on a un chantier devant notre porte... », soupire le gérant         Mais ça ne suffit pas. Il y a un sentiment d’insécurité ici. Le soir, il n’y   contemporain du milliardaire François Pinault. Non loin de là,
de transformation des Halles, démarrée en 2011. Le retraité, qui          du Bistrot des Halles. Attablé à sa terrasse avec un homme en cos-         a qu’à voir, les commerçants ne travaillent pas. Il faudrait des flics         entre la rue de Rivoli et la Seine, le chantier de la Samaritaine
coule des jours paisibles à Neuilly-sur-Seine (92), a profité d’une       tume-cravate, le restaurateur en a gros sur le cœur. Heureusement,         après minuit ! » Pour s’occuper, entre autres, des « Roumains » qui,           se poursuit afin de proposer un immense programme mixte :
belle après-midi pour se lancer dans une de ces grandes virées à          sa clientèle de quartier ne l’a pas laissé tomber et la sortie de métro    dit-il, effraient les consommateurs aux terrasses, et des groupes              un grand magasin, un restaurant gastronomique, un hôtel
pied qu’il justifie par quelques futiles emplettes : « J’avais envie de   à quelques mètres de là est flambant neuf. C’est la rue des Halles         d’« Antillais » qui étanchent leur soif bruyamment dans le secteur.            de prestige, une centaine de logements, une crèche et des
noisettes, alors je me suis dit que j’irais les acheter chez Causses. »   que l’on réaménage désormais. « Sans oublier que les deux théâtres         « Avec la fin des travaux, les gens ont peur que la racaille revienne...       bureaux. L’ouverture est prévue pour lin 2019, début 2020.
C’est sous la Canopée que l’enseigne bobo a choisi d’installer sa         du Châtelet sont fermés pour rénovation, en même temps, et que la          On espère un endroit convivial. »                                              Enfin, rue du Louvre, la Poste, connue pour être ouverte
troisième échoppe, à côté du Champeaux – la nouvelle adresse              piétonnisation des berges nous enlève des clients, maugrée le gérant.          « Ah... l’avenir des Halles ! » s’exclame Claude, un ancien restau-        24 h/24 et 7 j/7, est en rénovation. Elle accueillera, outre le
gastronomique d’Alain Ducasse – et du plus vaste Monoprix d’Île-          On veut vraiment faire souffrir les commerçants ! » Le bout du tunnel      rateur emblématique de la rue Berger, issu de la famille auvergnate.           courrier, un hôtel de luxe, des commerces, un commissariat,
de-France. « La mairie essaie de rendre le quartier branché, mais         est pourtant proche. « J’espère que la Samaritaine et la Bourse de         Lui a vécu dix-huit années de chantier sur les quarante passées                des logements sociaux et une halte-garderie.
ça ne marchera pas, prédit Gérard. C’est un lieu de passage, et           commerce [voir encadré] amèneront une clientèle d’hôtel, poursuit-il.      ici. « Des travaux qui ont coûté très cher, et on démolit tout

20 - 21                                                     Soixante-Quinze                                                                                                                                       www.soixantequinze.paris
Portrait de quartier #10                                                                                                                                                                                                                                                                           Les Halles (1er)
trente-cinq ans plus tard pour tout refaire ! C’est qu’on doit être                       « C’est un lieu de rencontre, c’est tout ! » lâchent, entre deux                                                                                    Tentative (forcée ?) de faire dialoguer les populations qui se
très riche alors, s’amuse-t-il. La tour Eiffel, on la repeint, on ne                  boutades, les membres d’un groupe posé là depuis plusieurs heures.                                                                                  croisent aux Halles – à l’image du conservatoire Mozart qui fait face
la démolit pas ! » Mais Claude a le sourire, comme si, au fond, le                    Melik, Toufik, Adam, Mélina, Maeva, Melvyn viennent « du 91, du 93,                                                                                 au centre de hip-hop –, ou bien volonté de normaliser un espace
dossier ne lui importait plus tellement, à présent qu’il s’est retiré                 du 77, du 78... ». Ces adolescents se sont rencontrés sur les réseaux                                                                               depuis longtemps propice aux marginalités : la transformation en
des affaires. Il désigne la Canopée en disant « la bête », avec une                   sociaux. « On a plusieurs groupes sur Twitter, explique Mélina, une                                                                                 cours semble balancer entre les deux visées. Selon Lorenzo en tout
pointe de tendresse. Puis, il fait mine de s’effrayer : « Parfois, il                 petite brune qui ne lâche pas son Smartphone, au moins quinze                                                                                       cas, qui déplie sa tente chaque soir rue du Pont-Neuf, le quartier
m’arrive d’imaginer que toute la banlieue va débarquer ici en                         en fait. Le groupe de Châtelet, le groupe des “chômeurs”... ». Les                                                                                  rénové est devenu clairement moins hospitalier. « Avec les travaux,
moins de trente minutes et provoquera une émeute, une sorte                           Halles sont leur point de ralliement dans la « vraie vie ». « Certaines                                                                             ils ont viré pas mal de SDF, explique le quadragénaire émacié,
de ruée vers Paris pour tout casser... C’est tellement propice,
tellement ouvert ! »
                                                                                      fois, j’arrive à réserver un Airbnb, et on peut tous passer la nuit du
                                                                                      samedi ensemble », raconte Melvyn, 18 ans, à la coupe afro, qui
                                                                                                                                                                   De chantiers en chantiers                                              originaire de Reims (51), qui vit dans la rue depuis 1993. Avant, on
                                                                                                                                                                                                                                          dormait sur la terrasse du Forum, à une vingtaine. Quand ils ont
                                                                                      vient d’une petite cité de Saint-Michel-sur-Orge (91). « On partage                                                                                 tout cassé, on a dû partir. » Les anciens jardins, avec leurs petits
Le groupe de Châtelet                                                                 des bons moments, on rigole, on se comprend », explique Adam, un             1971 	Démolition des pavillons Baltard,                               bosquets et recoins, permettaient de se poser. La future « prai-
Figure d’épouvantail dans le quartier pour Gérard et pour d’autres,                   adolescent chétif appuyé sur une béquille. Toufik, 17 ans, brosse                   laissant place au « trou des Halles ».                          rie » qui les remplace ne lui dit rien qui vaille. « Dans le Forum,
la jeunesse des banlieues a ses habitudes aux Halles. Les mer-                        son parcours, que les autres découvrent : orphelin, il squatte chez          1977 Inauguration de la station de RER.                                c’est une chasse aux SDF partout, ajoute Lorenzo. Avant, on était
credis et samedis, des bandes de garçons et de filles investissent                    des gens qu’il connaît à peine, à la Courneuve (93). « Mais ça va, je        1979 Ouverture du Forum.                                               tolérés ; maintenant, c’est plus possible, ça donnerait une mauvaise
le secteur. lls déambulent dans le Forum, squattent la fontaine                       me débrouille, je travaille dans une boulangerie, j’ai une copine... »,      2002 	La mairie de Paris décide
des Innocents, traînent dans les restos grecs, les friperies, les                     les rassure-t-il. Il est l’heure pour ce groupe hétéroclite, qui tient              de rénover les Halles.
tatoueurs et les sex-shops de la rue Saint-Denis. Ils se chambrent,                   plus de l’agrégat de solitudes que de la bande de durs à cuire, de           2016 Inauguration de la Canopée.
s’interpellent, se draguent, se provoquent. Le chantier, puis l’ir-                                                                                                2018 	Livraison de la dernière partie
ruption de la Canopée dans ce paysage aux codes familiers, n’ont                                                                                                          du jardin, signant la fin de
                                                                                                                                                                          la transformation des Halles.
                                                                                              « Ici, c’est has
pas eu l’air de bouleverser leurs rituels. La plupart, d’ailleurs, sont
trop jeunes pour avoir connu autre chose. « C’est plus grand, plus

                                                                                              been. Dire de
propre, ça donne plus envie d’aller dans les magasins », avancent
Saly et Chris-Lynn, deux lycéennes qui passent leur après-midi à

                                                                                             quelqu’un qu’il
manger des chips en papotant.

                                                                                             est de Châtelet
                                                                                               c’est pas un                                                     se séparer. Les filles, surtout, vont reprendre

                                                                                              compliment. »
                                                                                                                                                                leur RER sans tarder, « parce qu’on est des
                                                                                                                                                                filles ». Et du genre sage, visiblement.
                                                                                                                                                                     « Il n’y a pas un bon mélange ici »,
                                                                                                   Gary, créateur de vêtements streetwear                       tranchent Gary, Jean-Yves et Yashi, la ving-
                                                                                                                                                                taine bien sonnée, look urbain décontracté,
                                                                                                                                                                qui tchatchent devant McDo. D’habitude,
                                                                                                                                                                leur coin à eux, c’est plutôt « Répu », où                                Pablo (à gauche) et Lorenzo, SDF, ne se sentent plus tolérés dans le Forum.
                                                                                                                                                                la mayonnaise entre « gars de banlieue,
                                                                                                                                                                skaters, hippies, bobos » prend vraiment. « Ici, je gère des meufs,       image aux touristes. C’est bien de faire des trucs propres, agréables,
                                                                                                                                                                c’est tout, se marre Yashi. Les Halles, c’est Tinder. » Gary, qui vient   mais nous, on pourra bientôt plus faire un pas devant l’autre... »
                                                                                                                                                                d’un quartier pavillonnaire de Champigny-sur-Marne (94), a fondé              Avec Pablo et d’autres sans-abri, Lorenzo s’occupe de l’accueil
                                                                                                                                                                sa propre marque de vêtements « streetwear » baptisée Walk                des SDF qui viennent entreposer leur barda aux Mains libres, une
                                                                                                                                                                in Paris. Sa source d’inspiration : le hip-hop, la rue, la jeunesse       bagagerie gérée par les utilisateurs eux-mêmes, en association
                                                                                                                                                                et les valeurs du partage, du mélange et de l’ambition. Et à l’en-        avec des riverains bénévoles. Des « ADF » comme ils les appellent,
                                                                                                                                                                tendre, ce n’est pas aux Halles qu’il la puise. « Culturellement,         pour « avec domicile fixe ». Depuis les travaux, la structure a
                                                                                                                                                                y a rien ici. C’est has been. Quand on dit de quelqu’un que c’est         déménagé à quelques rues des Halles. Investi à la bagagerie,
                                                                                                                                                                un gars de Châtelet, c’est pas un compliment... ».                        Lorenzo ne se voit pas changer de quartier. Il y a ses habitudes,
                                                                                                                                                                                                                                          le week-end, auprès de couples et de familles de la rue Montor-
                                                                                                                                                                « Que de la façade »                                                      gueil qui le dépannent d’une pièce. Il y a surtout son centre de
                                                                                                                                                                Ni la nouvelle boutique « flagship » de Nike logée dans la Canopée        domiciliation, où il reçoit son courrier : l’association Aides, qui
                                                                                                                                                                ni le centre culturel hip-hop que la Ville de Paris a ouvert pour         le suit pour ses problèmes médicaux, ou encore Saint-Eustache
                                                                                                                                                                mettre à l’honneur les pratiques artistiques de cette jeunesse des        avec sa traditionnelle distribution de soupe. « Les nouvelles Halles,
                                                                                                                                                                quartiers populaires ne le séduisent. « C’est “fake”, surfait. On         c’est un désastre, estime Pablo. Un projet capitaliste, fait pour
                                                                                                                                                                met des Ghetto-Blasters pour faire genre, mais ça sonne faux. Les         certains et pas pour d’autres. Le bon temps, c’est fini… » Lorenzo
                                                                                                                                                                vrais danseurs de hip-hop dansent dans la rue, ou ailleurs. » Et la       hausse les épaules : « Ça ne m’empêchera pas de dormir ce soir. »
                                                                                                                                                                médiathèque, juste à côté, qui consacre des rayons entiers aux            Il en a vu d’autres.
                                                                                                                                                                cultures urbaines ? « Le street art, c’est bien dans les bouquins,
                                                                                                                                                                mais dès que c’est sur les murs, bizarrement, ça ne plaît plus,
                                                                                                                                                                s’agace encore Gary. Pour moi, la Canopée, c’est que de la façade,                  Le mois prochain, portrait du quartier Passy (16e).
Selon Yashi, Gary et Jean-Yves (au premier plan), les Halles sont « fake ». Un cliché urbain qu’ils jugent sans âme.                                            du cliché. C’est à l’image des gens ici : que de l’apparence. »

22 - 23                                                               Soixante-Quinze                                                                                                                               www.soixantequinze.paris
En couverture

Sortie en famille ou vrai mode de consommation, le marché alimentaire résiste
dans la capitale. On compte aujourd’hui plus de 80 « ventres de Paris »,
répartis dans chaque arrondissement, tous les jours de la semaine. À la clé,
une diversité d’offres, de qualités et de prix. Le marché demeure, à l’heure
de la supérette impersonnelle, un lieu de convivialité et d’échanges. Un
symbole du Paris d’antan, qui se renouvelle grâce à de nouvelles formes telles
que l’Amap ou la Ruche qui dit oui ! Saisissez votre panier en osier, nous avons
déniché pour vous les meilleurs marchés de Paris, du plus grand au plus chic,
du moins cher au plus bio.
Par Clarisse Briot, Philippe Schaller et Virginie Tauzin
Photographies Mathieu Génon

                                          LE GUIDE DES

                                                                                   Sur le marché Grenelle
                                                                                   dans le 15e.

24 - 25                                                    Soixante-Quinze
En couverture

                                                              Mercredi et samedi matin                                                                                                                                Mercredi et samedi matin

                                                            LE PLUS CHIC                                                                                                                                         LE MOINS CHER

                                  Président-Wilson                                                                                                                                                                  Barbès
                                                                              9                                                                                                                                              2         4
                                                                  Iéna ou Alma-Marceau                                                                                                                                   Barbès-Rochechouart

                                                  Avenue du Président-Wilson (16e)                                                                                                                           Boulevard de la Chapelle (18e)

    E                     n ce jour frisquet d’octobre,
                          le mercure est tombé sous les
                          15 °C. Quelques femmes, sac
                          Louis-Vuitton à l’épaule, ont sorti
les manteaux de vison. Des hommes élégants font leurs
                                                                                                                                                               D                     eux melons pour 1,50 euro, 100 grammes de
                                                                                                                                                                                     crevettes roses pour 1,70 euro, trois pam-
                                                                                                                                                                                     plemousses pour 2 euros, trois avocats pour
                                                                                                                                                                                     1 euro, dix kilos de patates pour 5 euros,
                                                                                                                                                            deux bouquets de menthe pour 0,50 euro... Aucun doute : le marché
                                                                                                                                                                                                                                     métro aérien. Deux sens de circulation se mettent en place avec,
                                                                                                                                                                                                                                     au milieu, les biffins, sacs béants à leurs pieds. On négocie des
                                                                                                                                                                                                                                     tablettes de chocolat, du carpaccio, du shampooing. Les prix se
                                                                                                                                                                                                                                     discutent aussi autour des étals autorisés. « C’est normal, ça fait
                                                                                                                                                                                                                                     partie du jeu », dit Basim, vendeur de fruits et légumes. Ce Syrien
emplettes en costume. Le marché du Président-Wilson,                                                                                                        Barbès est bel et bien le plus compétitif de Paris. La plupart des       assure que s’il veut atteindre son chiffre à la fin de la matinée, il
dans le 16e arrondissement, installé entre la place d’Iéna,                                                                                                 chalands traînent derrière eux des cabas pleins à craquer, ou ont        faut qu’il casse les prix. En face, un primeur est pris d’assaut de
le palais de Tokyo et le musée Galliera, est le plus chic de                                                                                                de lourdes cagettes sur les bras. « C’est rare qu’on vienne ici pour     tous côtés. Des clients partent avec des cagettes remplies. Son kilo
la capitale. Pour ses acheteurs... et ses prix. Ce n’est pas                                                                                                trois courgettes », reconnaît un commerçant, qui vient d’abaisser        de carottes se vend un euro, à présent, « promotion du moment ».
« Jeannot » [photo ci-contre] qui dira le contraire. « En                                                                                                   sa barquette de tomates-cerises de 4 à 2 euros. « À partir de 10h30,     Basim raconte qu’ils ont été ensemble à Rungis le matin même.
début de saison, nos haricots verts, excellents, étaient                                                                                                    on casse les prix », justifie son frère à ses côtés. Sur son stand, on   « On s’entraide, on se parle, mais après, ici, c’est chacun pour soi.
à 30 euros le kilo. Eh bien, ils sont partis en quelques                                                                                                    trouve fraises, tomates, pêches... Pas vraiment des fruits de saison.    Je décide de mes prix librement, en fonction des attentes et de
heures, illustre le vendeur. On a une clientèle qui aime                                                                                                    Le melon est bien mûr ; le raisin pas assez.
les bons produits et qui a la chance d’avoir les moyens,                                                                                                    Mais ce n’est pas pour la qualité et encore
elle aurait tort de se priver ! » Pendant trente-cinq ans,                                                                                                  moins pour du bio qu’on se déplace au mar-
Jeannot a travaillé pour Joël Thiebault, « le maraîcher
des stars », dont la production de fruits et légumes des
Yvelines fournit plusieurs restaurants étoilés parisiens. Le                                                                                                            « C’est rare
                                                                                                                                                                        qu’on vienne
désormais retraité a pris la clé des champs l’an dernier,
mais l’affaire a été reprise par l’un de ses employés,
Valdemar Barreira. Carottes, tomates, poivrons, légumes
oubliés... l’étal est toujours aussi luxuriant et Jeannot                                                                                                              ici pour trois
                                                                                                                                                                       courgettes. »
continue de haranguer la foule huppée et de fournir les belles tables.                Ce mercredi, on est loin de l’agitation du week-end, et de son
Il compte parmi ses clients le chef Pierre Gagnaire ou le Bristol, qui            chiffre d’affaires conséquent. « C’est plus chic le samedi, confirme
s’arrachent ces légumes prodigieux dès les premières heures du jour.              Jeannot, le jour de ceux qui travaillent », au porte-monnaie (encore)
                                                                                  plus épais que celui des retraités de la semaine. « Je ne viens pas là                               Un vendeur
La daurade royale à 40 euros le kilo                                              parce que c’est le plus chic, s’insurge poliment Gilles, un septuagé-                            de fruits et légumes
    À quelques mètres, on trouve la poissonnerie Diget, autre insti-              naire, chemise bleue et veste cintrée, mais parce qu’on y trouve les
tution de ce marché. Pour satisfaire la clientèle exigeante des beaux             plus beaux produits, tout simplement. » Un coup d’œil sur l’étal de       ché Barbès. « Je viens de Saint-Ouen pour
quartiers, pas d’élevage, « que du poisson pêché, local et de qualité,            fruits et légumes de Jeannot et Gilles file s’acheter du poisson à la     faire le plein pour la semaine à un bon prix »,
c’est la marque de fabrique de la maison depuis 1963 », revendique                maison Diget. L’homme habite place Victor-Hugo, juste à côté, il a        raconte Maria, mère de famille, qui estime ses
François, un employé. Les coquilles Saint-Jacques et les moules                   ses habitudes au marché. Celles de la qualité surtout. Pour la trouver,   courses du jour à « une quarantaine d’euros ».
viennent de Normandie, la raie du port de Lorient. François assure                il est même prêt à aller plus loin et à avaler quelques kilomètres,       Dans son chariot, du poisson et de la viande,
que les habitants du chic arrondissement font, eux aussi, attention à             « en voiture, même si ce n’est plus très sérieux à Paris aujourd’hui ».   des légumes et des herbes aromatiques, et
leurs dépenses. Mais, il faut bien l’avouer, on s’arrache ces produits            Ses lieux de prédilection : le marché des Batignolles « pour ses          même des yaourts. Elle ne choisit pas elle-même les produits, mais       ce que fait la concurrence. » Les acheteurs ne s’y trompent pas :
de la mer, quel que soit le prix. « La semaine dernière, j’en avais peu,          œufs et ses volailles du Sud-Ouest, exceptionnelles », Raspail « pour     énumère sa liste au commerçant. « Je vais toujours chez les mêmes,       pour faire de telles affaires, ils viennent de Paris, mais aussi de la
alors j’ai fait la daurade royale à 40 euros le kilo. Et ça n’a posé aucun        le bio », et « de temps en temps, Aligre ». Quand il s’agit de bons       ils me connaissent, alors ça va plus vite », poursuit-elle.              banlieue lointaine, selon Basim et d’autres. « Ça prouve que les
problème... » Non loin, le traiteur italien aurait pour clients Carla Bruni       produits, ce nomade du marché parisien n’hésite pas à sortir de sa            Il vaut mieux, en effet, savoir précisément ce que l’on veut         gens mangent des produits du marché. C’est mieux que des chips,
et l’ambassade du Vatican.                                                        zone de confort... P.S.                                                   acheter quand, au fil de la matinée, l’espace se resserre sous le        de toute façon ! » V.T.

26 - 27                                                        Soixante-Quinze                                                                                                                                 www.soixantequinze.paris
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                                                   Du mardi au dimanche toute la journée

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                                    Enfants-Rouges                                                                                                                  LE PLUS VILLAGEOIS

                                                                                                                                                                             Monge
                                                              8           11          3
                                                     Filles du Calvaire, Arts et métiers ou Temple

                                                      39, rue de Bretagne (3e)                                                                                                             7
                                                                                                                                                                                      Place Monge

 H
                                                                                                                                                                               Place Monge (5e)

                         ormis aux quelques heures creuses, ce n’est

                                                                                         « On adore
                         pas le mot « marché » qui vient à l’esprit

                                                                                                                                                           C’
                         quand on pénètre dans ce lieu. Certes, il y

                                                                                        l’ambiance,
                         a bien quelques stands de fruits et légumes,
d’autres de fleurs et de fromages, bien fréquentés. Mais la parti-
cularité du marché des Enfants-Rouges, celle qui saute aux yeux,
                                                                                     le côté pousse-                                                                                   est la place du quartier, comme
est que tout est fait pour consommer sur place. Et qu’on y trouve                                                                                                                      d’autres ont leur place du village.

                                                                                       toi-d’là-que-
tous types de traiteurs (dire traiteur plutôt que restaurant, c’est                                                                                                                    Impossible de louper le marché
plus tendance) : italien, libanais, antillais, asiatique, végétarien...                                                                                     Monge, qui se tient ici, trois fois par semaine, entre les beaux

                                                                                      j’m’y-mette. »                                                        immeubles. « Convivial, ce marché ? Oui, c’est bien le mot »,
                                                                                                                                                            lance Michèle, une habituée pour qui, en la matière, tous les
                                                                                                                                                            marchés ne se valent pas. Pour Tarik, qui vend des produits
                                                                                                      Élodie, une habituée                                  d’épicerie fine depuis onze ans, l’agencement des étals y est
                                                                                                                                                            pour beaucoup : « On est sur une place, cela oblige les clients
                                                                                                                                                            à tourner, aller, venir, passer, repasser, se croiser. Quand vous
                                                                                                                                                            allez sur un marché rectiligne, tout le monde avance dans le
                                                                                                                                                            même sens et suit le mouvement. » Mme Leitao, à l’impres-
                                                                               sur demande, avec des produits au choix (8 euros). Au                        sionnant stand de fromages, en a vu grandir, des enfants du
                                                                               fond à gauche, un vrai resto. L’Estaminet, propose, en                       quartier. Et elle n’oublie pas un visage. « Récemment, un client
                                                                               salle comme à l’extérieur, des plats du jour type brasserie                  que je n’avais pas vu depuis dix ans est venu me saluer. Je l’ai
                                                                               parisienne. « Ici, on renoue avec cette vieille tradition                    reconnu immédiatement », raconte-t-elle.
                                                                               de déjeuner avec des copains après le marché, comme                               Comme dans tout village, on assiste à la disparition des
                                                                               dans les halles de petites villes de province », indique un                  plus anciens. Certains trouvent que, tout de même, ce n’est
                                                                               commerçant. Il y a de ça, peut-être, sans le côté impro-                     plus pareil. Que le quartier se vide, globalement, et ce ne
    Les veinards – ou les plus en avance – trouveront des chaises              visé de la rencontre, qui se termine par un apéro et une                     sont pas les touristes asiatiques, se pressant par cars entiers
ou des bancs en bois. Beaucoup d’autres chercheront une place                  dégustation d’huîtres attablés au comptoir du bistrot.                       à la fameuse parapharmacie Monge, qui doperont les ventes.
longuement, en vain parfois, et finiront par se décourager ou par                  Toujours est-il qu’en offrant un large choix et la                       « Il n’y a pas de raison que ce marché attire d’autres visiteurs
changer leurs plans. « Je voulais des pâtes, j’ai eu des accras. Pas           possibilité de consommer sur place, le marché des                            que les habitants. C’est un petit marché de quartier avec tout
moyen d’avoir une place chez l’Italien. Mais c’est bien aussi, les             Enfants-Rouges cultive son côté atypique. Et il a de                         ce qu’il faut, et voilà ! », conclut Michèle. V.T.
accras », plaisante Yann, qui avale son café en vitesse avant de               quoi : il est le plus vieux marché couvert de Paris. Fondé
retourner travailler. Élodie, elle, est une habituée. Sa mère n’habite         en 1615, sous Louis XIII, il fut ainsi baptisé en hommage
pas très loin, si bien qu’elles viennent déjeuner ici régulièrement.           aux pensionnaires d’un orphelinat voisin, habillés de
« On adore l’ambiance, le côté pousse-toi-d’là-que-j’m’y-mette.                rouge. En 1982, il est classé aux monuments historiques.
Il faut être prêt à sauter sur les opportunités. Et encore, là, on est         Mais dans les années 1990, le maire du 3e arrondissement
un mardi ! »                                                                   prévoit de le remplacer par un parking. La fronde des
    Le week-end, le marché des Enfants-Rouges attire une foule de              habitants du Marais est telle qu’ils obtiendront six ans
Parisiens, du hipster à la célébrité. Les touristes y montrent aussi           de travaux et une réouverture, en 2000, du marché dans
leur nez. On se presse dans les allées et on fait une heure de queue           sa tenue actuelle, un Borough Market parisien, distingué
chez Alain Miam Miam pour un sandwich extralarge confectionné                  et gastronomique. V.T.

28 - 29                                                      Soixante-Quinze                                                                 www.soixantequinze.paris
En couverture

                                                   Du mardi au dimanche toute la journée                                                                                                                             Jeudi et dimanche matin

                                                    LE PLUS BIGARRÉ                                                                                                                                             LE PLUS GRAND

                                                           Aligre                                                                                                                                                Bastille
                                                                          8                                                                                                                                            1            5          8
                                                                   Ledru-Rollin                                                                                                                                                Bastille

                                                          Place d’Aligre (12e)                                                                                                                             Boulevard Richard-Lenoir (11e)

  R                       as-le-bol des simples étals de fruits et
                          légumes ? Foncez place d’Aligre, au marché
                          le plus bigarré de la capitale. En plus de la
                          cinquantaine de stands traditionnels qui
se montent et se démontent dans un ballet réinterprété chaque
                                                                              recherche d’un objet rétro pour sa boutique de bijoux anciens.
                                                                              Il met un point d’honneur à fréquenter le marché et ses bistrots.
                                                                              « Je me nourris Aligre et je vis Aligre, explique le dandy. C’est un des
                                                                              derniers quartiers vivants de Paris, où existe encore une réelle mixité
                                                                              sociale. » Fatih, lui, cherche du matériel hi-fi à revendre. Ce banlieu-
                                                                                                                                                         C’                        est parce que ce
                                                                                                                                                                                   quartier est grand,
                                                                                                                                                                                   fréquenté en per-
                                                                                                                                                                                   manence. Il a besoin
                                                                                                                                                         de ce type de marché », lance Bruno Plai-
jour, une quinzaine de commerçants tiennent boutique sous la                  sard glane des objets du quotidien comme du produit d’entretien ou         sance afin de justifier la taille de celui du
halle Beauvau, le marché couvert                                                                                     des éponges. « J’ai une clientèle   boulevard Richard-Lenoir. Derrière son
plus que bicentenaire. Vous y                                                                                        pour ça », assure-t-il. Et tandis   étalage de pains et viennoiseries, le com-
trouverez aussi le seul marché                                                                                       que des esprits connaisseurs        merçant ne voit pas d’autre explication. Il
forain quasi quotidien (du mardi                                                                                     s’échauffent autour d’une série     aime à le dire : « Bastille, c’est spécial »,
au dimanche) de Paris, sans                                                                                          de monochromes, un vendeur          c’est tout. Près de 120 exposants s’y ins-
oublier les stands consacrés aux                                                                                     s’époumone devant un monti-         tallent deux fois par semaine, « sans oublier
puces, les seules intra-muros.                                                                                       cule de chaussures jetées sur       la bonne dizaine de permanents qui ne font
Trois ambiances qui se côtoient                                                                                      une bâche : « Un euro la pièce !    pas partie de nos abonnés mais qui sont
et « plusieurs clientèles » qui se                                                                                   On part à la retraite à la fin du   là depuis le début », ajoute Alexandre, le placier du marché. Ce
                                                                                                                     mois ! ».
                                                                                                                                                                                                                                           « Ce n’est pas
croisent, souligne Daniel Durand,                                                                                                                        dernier assure le bon déroulement du marché et l’encaissement
le placier. À Aligre, on trouve                                                                                         Au milieu de l’agitation,        pour le compte de la société Cordonnier frères. Et il confirme :

                                                                                                                                                                                                                                         le marché le plus
« des produits modestes à vil                                                                                        assis sur les bancs au pied de      Bastille est le plus grand. « Pas le plus long, car c’est plutôt celui
prix à l’extérieur et de la grande                                                                                   la Petite Mairie défraîchie qui     de la porte Dorée, dans le 12e arrondissement. Même Belleville

                                                                                                                                                                                                                                        long, mais il s’étire
qualité à l’intérieur », résume                                                                                      agrémente la place, des retrai-     s’étire plus. Ici c’est plus ramassé, entre deux stations de métro,
Jacques, un septuagénaire du                                                                                         tés maghrébins égrènent les         mais sur six rangées de stands. » Pour en faire le tour, il faut

                                                                                                                                                                                                                                         sur six rangées. »
quartier qui ne manque jamais                                                                                        heures. « J’ai un marché près       alors faire plusieurs allers-retours entre la Bastille et la station
de venir remplir son panier. Non                                                                                     de chez moi, à Daumesnil,           Bréguet-Sabin.
sans avoir au préalable passé au peigne fin les stands des bro-               explique Abdellah, mais je viens ici tous les jours pour retrouver             « Je pourrais y passer la journée ! » s’exclame en anglais une jeune
canteurs juste à côté. « Je viens tous les jours et, tous les jours, je       mes amis. » Un collègue à lui revient d’un étal avec un sac de             Coréeenne. Elle se réchauffe les mains autour d’une tasse de thé                                        Alexandre, placier
trouve quelque chose de rare ou d’intéressant, s’amuse-t-il. Ici, la          piments verts. « Vous ne trouverez pas ça à Passy ! » plaisante-t-il.      brûlant, tandis que la colonne fond dans le brouillard. Ce qu’apprécie
chose sympathique arrive au moment où l’on ne s’y attend pas... »             Sur le marché forain, Lahcem se targue d’avoir « lancé le bio, en          particulièrement Yon, qui vient régulièrement depuis quelques mois                 Le marché Bastille n’était pas aussi grand à l’origine. Ça, c’est
                                                                              2005 ». Il propose des assortiments de fruits et légumes à des prix        qu’elle étudie à Paris, c’est que « c’est assez grand pour qu’on ait un        monsieur Taieb qui le dit. Mémoire du marché, où il vend ses fruits et
« Vous ne trouverez pas ça à Passy ! »                                        imbattables. « On est sur un des marchés les moins chers de Paris,         choix incroyable ». Elle a déjà beaucoup tourné sur le boulevard,              légumes depuis quarante ans, il se souvient qu’il y a à peine quinze ans,
Fripes, bijoux, vaisselle, objets hétéroclites de plus ou moins grande        alors on s’adapte. Le bio ne doit pas être un luxe. » Derrière, dans la    entre les huîtres et les falafels, les pizzas et les pots de miel, et a        « les étalages s’arrêtaient ici, au départ de la rue Amelot. Le marché
valeur... les puces d’Aligre contentent autant les professionnels que         pénombre feutrée de la halle, épiceries fines, traiteurs, boucheries       acheté une fouta et quelques figues à grignoter dans la matinée.               a au moins doublé et beaucoup de choses non-alimentaires se sont
les amateurs éclairés comme Jacques. Sans oublier promeneurs et               et fromageries ont un peu moins de scrupules à saler l’addition            « Le marché est inscrit dans les guides touristiques, explique Bruno           ajoutées. » Les produits régionaux, surtout, se sont multipliés. Mais
touristes, qui y flânent le week-end venu. Bretelles, nœud papillon           d’une clientèle gourmande et bien nantie. À Aligre, on vous le dit,        Plaisance. Si vous allez au marché Charonne, pas très loin d’ici, vous         aujourd’hui, Bastille ne pourra plus grossir : comble, il laisse déjà
et pantalon blanc, Laurent en fait quotidiennement le tour, à la              il y en a pour tous les goûts à tous les prix. C.B.                        n’aurez que les habitants du quartier. »                                       une belle impression de luxuriance. V.T.

30 - 31                                                     Soixante-Quinze                                                                                                                                   www.soixantequinze.paris
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