LE GUIDE DES - PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES - VOITURIERS - CNAJMJ
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PORTRAIT DE QUARTIER LES HALLES no 18 – novembre 2017 LE GUIDE DES Sur le marché Grenelle dans le 15e. L 11719 - 18 - F: 4,90 € - RD VOITURIERS CANAL DE L’OURCQ VALETS DES ENQUÊTE LES PÉNICHES CONTRE BEAUX QUARTIERS PARIS PUE-T-IL ? LE SABORDAGE
ÉDITO – n 18 o Mon marché n’a pas rendu les armes Le bon vieux marché parisien résiste... À la grande distribution qui envahit la capitale en douce, estampillée « market », « city » ou « express » ; à la vente en ligne et ses cadors, tel Amazon, lequel nous livrera sans doute un jour nos pains au chocolat ; aux circuits courts, marotte des Parisiens et fer de lance de la bioéconomie… Dans nos rues, le marché, dressé un jour sur trois sur les trottoirs de la ville, est une tradition. Du solide. Les week-ends, l’attente est plus longue pour y acheter une botte de radis qu’une bière dans un festival branché, c’est dire... Paris compte 82 marchés alimentaires plutôt bien achalandés. Du plus chic (pour ne pas dire plus cher), où les fruits sont présentés comme des diamants dans leur écrin, aux plus économiques dans les quartiers populaires, où les légumes peuvent faire grise mine. Mais le marché va plus loin : depuis toujours, c’est un lieu de vie. Un endroit convivial où se croisent personnes âgées, militants politiques tract en main, familles ou étudiants de retour de soirée. C’est aussi un espace en perpétuelle évolution, qui s’adapte peu à peu aux nouvelles envies des habitants-clients. Et qui pourrait bien finir, lui aussi, dématérialisé, pour le meilleur et pour le pire. La Ville vient d’ailleurs de lancer un service de livraison de produits (Mon panier du marché). Même si le service n’est pas encore parfait, l’envie de coller aux nouvelles pratiques des consommateurs est bien là. Pour y voir clair et comprendre les nouvelles tendances, Soixante-Quinze vous propose son guide des marchés, sa sélection, afin de vous orienter dans le dédale de la consommation alimentaire locale. David Even, rédacteur en chef Retrouvez toutes nos actualités sur www.soixantequinze.paris et sur soixantequinzelemag SoixanteQuinz soixantequinze.paris Webmaster Ecaterina Croitor ah@annehartenstein.com Donateurs fondateurs Ont collaboré à ce numéro Publicité David Even Mathias Deray, Quentin Gadala, Textes Clarisse Briot, Jean-Laurent publicite@soixantequinze.paris Laurence Matuchet Magazine mensuel édité Cassely, Clémence Cochan Abonnés à vie Serge Aregian, par Arrondiss’Presse, (librairie Le Comptoir des lettres), Diffusion kiosque MLP Sabine Buben, Pascale Comoretto, SARL au capital social de 50 000 € Claudine Colozzi, Margaux Dzuilka, Installation et réassort diffuseurs Jean-Marc Even, Christian Huck, 77, rue Albert, 75013 Paris Christian Eudeline @ Douar Skrill, sur www.direct-editeurs.fr Bettina et Martin Schaller, Yabon RCS 52780708500040 - APE 5813Z. Charlotte Fauve, Jérôme Hoff, Julien Tissot Gestion des ventes au numéro RÉDACTION Photos Hugo Aymar, Magali Cohen, À juste titres, 04 88 15 12 48 Contact Soixante-Quinze Constance Decorde (réservé aux diffuseurs et dépositaires) 77, rue Albert, 75013 Paris Partenaires club d’affaires Carbao E-mail redaction@soixantequinze.paris Montparnasse, agence Hans Lucas, Impression Senefelder Misset, Piges piges@soixantequinze.paris réseau de librairies Librest ABONNEMENT Doetinchem, Pays-Bas Photos mathieu@soixantequinze.paris Imprimé sur du papier PEFC ADMINISTRATION Rédacteur en chef David Even Directeur de la publication Offres d’abonnement Rédacteurs en chef adjoints David Even page 51 Philippe Schaller, Virginie Tauzin Actionnaires Philippe Bordier, Responsable photo Mathieu Génon David Even, Financière Gaspard, Dépôt légal à parution Rédacteur en chef du site web Virginie Montenol, Jérémie Potée, ISSN 2493-0512 Gestion des abonnements Philippe Bordier Philippe Schaller et relation abonnés Directrice artistique et graphiste Chargée de développement Commission paritaire 0421 D 93043 56, rue du Rocher, 75008 Paris Nastasia Godefroy Mathilde Azerot Toute reproduction, intégrale (abonnement@soixantequinze.paris) Secrétaire de rédaction (mathilde.azerot@soixantequinze.paris) ou partielle, est strictement interdite Isabelle Lendaro-Gradt Relations presse et partenariats sans autorisation de l’éditeur. PROCHAIN NUMÉRO Stagiaires Dylan Briard, Livia Garrigue médias Anne Hartenstein © 2017 Arrondiss’Presse SARL En kiosque le mardi 28 novembre 2017
Une ville, trois regards #1 Chaque mois, trois clichés qui respirent la capitale sélectionnés par le collectif de photographes Hans Lucas. UN CAFÉ... Place Édith-Piaf (20e) NORMAL, SVP ! Par Constance Decorde 30 septembre 2017. L’ancien président de la République, François Hollande, est attablé au café de la place Édith-Piaf. J’habite porte de Bagnolet, un quartier à l’ambiance de village à nul autre pareil. Le café de cette place est un des lieux où les habitants se retrouvent pour partager un moment, un verre. Apprenant par un ami que François Hollande allait y passer ce samedi matin, je m’y suis rendue et ai réalisé ce cliché sur lequel il ressemble à n’importe quel familier des lieux. Un habitué qu’il va peut-être devenir, puisqu’il devrait s’installer prochainement à la Campagne à Paris, un quartier tout proche. 4-5 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
Une ville, trois regards #2 1 001 La Cartoucherie (12e) Le 7 janvier 2015, un attentat terroriste décimait DANSES l’équipe de Charlie Hebdo. Le soir même, la danseuse et chorégraphe Nadia Vadori-Gauthier (au centre) entrait en résistance et décidait d’offrir aux Parisiens comme aux internautes du monde entier une minute de danse par jour. Depuis, elle n’a cessé de répondre présente à ce rendez-vous, où qu’elle se trouve : sur les quais du RER, dans les couloirs de l’aéroport, à Cuba, dans le bureau de la maire de Paris... Le 9 octobre dernier, à la Cartoucherie (12e), la performeuse dansait pour la millième et Par Mathieu Génon avant-dernière fois, aux côtés du chorégraphe Benoît Lachambre et de la musicienne Isabelle Duthoit. Un moment empreint d’émotion au cœur du bois de Vincennes. Le lendemain, elle mettait fin à sa série artistique, à Gentilly (94), avec la même discrétion qu’au début de son hommage. 6-7 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
Une ville, trois regards #3 Rueil-Malmaison (92) PASSION NAPOLEON 24 septembre 2017. Jubilé impérial. Tous les deux ans, la ville de Rueil-Malmaison célèbre un épisode marquant de l’histoire napoléonienne. Cette année, il s’agit de la reconstitution des traités de Tilsit entre la France, la Russie et la Prusse. Passionnée de costumes, cela fait de nombreuses années que j’assiste à des événements historiques. Voilà deux jours que j’échange avec les reconstitueurs qui campent dans le parc Par Magali Cohen de Bois-Préau, mais je n’ai toujours pas rencontré l’empereur. Je sais que c’est un Américain, Mark Schneider, qui vit en Virginie et qui rêvait déjà tout petit d’incarner Napoléon. Ces derniers participent à tour de rôle aux reconstitutions. Le dimanche matin, on peut encore circuler facilement dans le parc. Après avoir suivi la cavalerie, qui manœuvre dans les sous-bois, je tombe nez à nez avec l’empereur. Accompagné de ses généraux, il se prépare à la grande parade. Accessible, il n’est pas encore submergé par la foule de passionnés venus de toute l’Europe. 8-9 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
SOMMAIRE – n 18 o 04 une ville, trois regards Photos XXL décalées qui respirent 24 la capitale. en couverture Marchés de Paris, le guide 14 - 17 chroniques Les tendances capitales, l’inconnue du 75 et l’atelier de Miss.Tic 18 portrait de quartier – Les Halles, un an après Le nouveau visage du cœur de Paris (1er) suscite satisfaction, scepticisme ou indifférence. 38 reportages longs – La capitale dans l’œil des voituriers (p. 38) Postés devant les hôtels de luxe ou les restaurants chics, ils côtoient un monde qui échappe à la crise. – En piste avec les rats de l’Opéra (p. 54) Immersion dans la fabrique à danseurs étoiles de Nanterre (92). Couverture : Mathieu Génon - Photographies sommaire : Mathieu Génon, Hugo Aymar 10 Soixante-Quinze
44 Evadez-vous de votre quotidien avec Sept! reportages courts – Avis de tempête au bassin de la Villette (p. 44) Trois péniches associatives doivent quitter le canal de l’Ourcq (19e), en kiosques et librairies mais refusent le sabordage. ou sur www.sept.info – Nouveau look pour la tour Montparnasse (p. 64) 70 Un collectif d’architectes veut rendre histoire l’édifice du 14e transparent et écolo. – Paris malade de ses ilôts insalubres La Ville a mis un demi-siècle à détruire et rénover ces quartiers 52 de vétusté et de promiscuité. enquête – Paris pue-t-il ? La ville a mauvaise haleine. Pourtant, l’histoire est formelle : les odeurs 76 - 81 de Paris ont aujourd’hui disparu. nos coups de cœur Une chef, une pièce, une expo, de la musique 66 et un livre pour l’automne portrait – Muriel Ighmouracène, coworking girl. 82 portfolio – Le 19e, dernier bastion populaire 90 les rendez-vous Soixante-Quinze 12 Soixante-Quinze
Par Jean-Laurent Cassely Par Charlotte Fauve LES TENDANCES CAPITALES L’INCONNUE DU 75 LA VOITURE AU CŒUR SYLVANA DE LA LUTTE DES CLASSES Rue des Poissonniers (18e) Amusez-vous à lancer lors d’un dîner parisien une de « l’écologie punitive » ni de la vengeance sociale dans cette Sonner au numéro 75 d’une rue discussion autour d’Anne Hidalgo et l’assistance se divisera quête d’un espace public débarrassé de la voiture et « rendu de Paris, tous les mois, aux piétons et aux cyclistes » [voir l’interview d’Anne Hidalgo automatiquement en deux groupes. Le premier défendra la chasse à la voiture instaurée par la maire de Paris et fustigera dans le précédent numéro de Soixante-Quinze, pages 26-36]. et raconter la vie d’un habitant. des automobilistes bourgeois, pollueurs accrochés à leurs petits privilèges qui refusent de suivre le sens de l’histoire. Pour le chercheur, Paris accueille de plus en plus Le second accusera, au contraire, la municipalité de mener de travailleurs qualifiés qui exercent des professions Sa première boutique se trouvait là, rue des Poissonniers, une guerre sectaire aux conducteurs par pur racisme social. intellectuelles dans les secteurs créatifs peu gourmands dans le 18e arrondissement, entre un bar tabac et un café. Chacun aura en tout cas l’impression d’être dans le camp des en superficie tels les startups, la recherche ou les médias. Sous l’enseigne African Queen, peinte en larges lettres roses, opprimés, face à l’arrogance et au cynisme du camp adverse. Un électorat privilégié d’Anne Hidalgo souvent qualifié de on y découvrait un bric-à-brac de perruques, de breloques, « bobo ». Ces professionnels peuvent travailler en centre-ville de dorures et de rouleaux de wax multicolores… C’était dans Et voilà un livre qui ne va pas arranger les choses. Parue à et se passer des zones d’activités périphériques s’étendant les années 1990, le quartier était chaud, mais on pouvait © MG la rentrée, l’enquête des journalistes Airy Routier et Nadia en grande banlieue, accessibles en voiture. Ils sont donc encore y faire de l’argent. Aujourd’hui, Sylvana aime toujours Le Brun, Notre-Drame de Paris (éd. Albin Michel), prend la logiquement moins demandeurs et moins consommateurs autant le rose, mais son magasin a déménagé quelques mètres défense de l’équipe des provoitures. Les auteurs s’en prennent de voies de circulation et de places de parking, et prêts à plus loin : un grand local tout en haut de la rue « Doudo’ » les « sacrifier » au bénéfice d’autres usages. En d’autres [Doudeauville]. Même capharnaüm bariolé en vitrine, termes, la politique du zéro bagnole serait une banale affaire et à l’intérieur, une tenace odeur de vernis et de shampooing, entré, aussitôt parti. Le niveau d’œstrogènes de la pièce est de défense des intérêts des habitants, ce que les urbanistes dans un brouhaha de conversations et de bruits sans doute trop élevé. Cependant, Sylvana est déprimée. Chacun a l’impression appellent le Nimby [pour « Not In My Back Yard », littéralement de sèche-cheveux. La coiffeuse s’accroche à son affaire Par trois fois, déjà, elle a essayé d’acheter son fonds de « pas dans mon arrière-cour »] et qui s’illustre aussi avec autant que la Goutte-d’Or à sa réputation, celle du plus commerce, mais le propriétaire refuse de le céder. Le loyer d’être dans le camp d’autres thèmes comme le refus de vivre à proximité d’une grand marché africain d’Europe : « Le problème provient augmente, tandis que son chiffre d’affaires, lui, baisse. Depuis des opprimés, centrale nucléaire, d’une prison ou d’une déchetterie. des Chinois et des Pakistanais, qui font tomber les boutiques afro, s’inquiète Sylvana. Ah c’est sûr, ils vendent de l’afro, les attentats, les gens ont pris peur, ils sortent moins à Paris. Et puis, il y a tous ceux qui n’ont pas de papiers et qui face à l’arrogance Le milliardaire américain Warren Buffett a un jour déclaré que mais pas du vrai : ce sont des copies à 60 centimes redoutent de se faire appréhender dans ces quelques rues la lutte des classes existait... et que les riches étaient en train qui viennent d’Asie. » quadrillées par la police. « À quoi ça sert de bosser ? J’ai et au cynisme de la gagner. Démonstration à Paris, où deux bourgeoisies l’impression de ne pas travailler pour moi, je ne fais que du camp adverse. s’affrontent, et où la nouvelle est en train de remporter la mise sans violence, mais en se payant le luxe de présenter son Sylvana est fille d’ambassadeur. Dans le passé, elle a été modèle, avant d’avoir un fils. Au-dessus des miroirs de son payer. » Sylvana redresse les épaules, réajuste son manteau. Le soir, elle s’échappe loin du vrombissement des mode de vie comme un bienfait pour l’ensemble de l’humanité. salon, l’une de ses photos est restée affichée, sur laquelle sèche-cheveux. Prier dans le calme. Sur la ligne 12, non loin elle fixe l’objectif avec de grands yeux légèrement étonnés, de Saint-Germain, il y a cette église qu’elle adore, où dans ce pamphlet à une « Reine des bobos » clivante et une en robe moulante. Sur le mur d’en face, il y a un poster la qualité de silence est telle qu’en y songeant, elle en retrouve « enfumeuse » obsédée par la com. Ils dénoncent au fil des du Christ, couronne d’épines et tunique blanche. C’est le sourire. Un sourire éclatant, un sourire de mannequin. pages l’équipe municipale. À leurs yeux, des « idéologues le seul homme du salon : le lieu appartient aux femmes fanatiques, coupés de la réalité » tout occupés à faire souffrir et à leurs cheveux crépus. Ici, on coiffe, on natte, on coupe *La dynastie togolaise des Lawson existe depuis le début du xixe siècle. un maximum de banlieusards et de Parisiens motorisés qui et on peigne. Au milieu des coiffeuses, trône Sylvana, sanglée n’ont pas la chance de passer leur temps à « faire de la dans son manteau bleu pétrole. La reine du salon, c’est elle. balançoire sur les berges de la rive droite », mais aspirent plus Celle qui tient la caisse. simplement à vivre leur vie… Caricatural ? Un peu. Ça l’étonne toujours un peu, que les Français ne connaissent En effet, au-delà des clivages, il existe sans doute une réflexion pas la famille Lawson* du Togo : « En Afrique, on nous appelle politique, voire sociologique. Dans un article publié en 2015, Prince et Princesse ! » explique-t-elle afin de rappeler son l’économiste Gilles Saint-Paul a tenté d’expliquer les choix ascendance royale, suggérée dans le nom de son commerce. politiques des nouveaux habitants de Paris d’un point de vue Un réduit chatoyant où les femmes règnent sans partage dans purement économique et rationnel, sans chercher à identifier la brume des laques. Parfois, un clampin passe la porte, avant des gentils ou des méchants. Car il n’est pas nécessaire de voir de la refermer aussitôt, sous les moqueries féminines : aussitôt 14 - 15 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
Par Mathieu Génon MISS.TIC Elle explore la ville qui, en trente ans, a bien changé : L’ATELIER « C’est plus clinique maintenant. Moi, j’aime quand ça sent mauvais. » D’abord graphiste, Miss.Tic pose son premier pochoir sur un RUE HENRI-MICHAUX (13e) mur du 14e, en 1985. Son style est déjà là, et ne la quittera plus : « Un texte, une image, une signature. » Dans son Fameux ou non, ils ont tous leur petit coin à eux, où vient l’inspiration. www.missticinparis.com travail, la femme tient les premiers rôles ; l’homme est, lui, Chaque mois, un artiste parisien dévoile son atelier. secondaire : « Je ne savais pas vraiment comment illustrer les textes au départ... et très vite est venue l’image de la femme, d’abord à travers des autoportraits. Mais je m’en suis vite L’entretien vient à peine de commencer que Miss.Tic nous lassée. Alors je suis partie de l’image de la femme donnée met en garde sur ce qui peut être écrit à son sujet sur par les médias, jeune et sexy », comme pour se jouer des Internet ou dans les médias. On peut lire, par exemple, stéréotypes de la femme séductrice. qu’elle est née à Montmartre (18e arr.), mais l’artiste corrige Ses débuts, elle les fait aux côtés de Speedy Graphito, des l’erreur : « Cela faisait probablement plus chic, le son Frères Ripoulin, de Jérôme Mesnager, avec pour grand frère de l’accordéon, le Sacré-Cœur, la place du Tertre. Mais un certain Zloty. Son premier atelier sera dans le 11e, avant je suis née à Barbès, dans le 18e également. Chez nous, de déménager pour le 13e. En 1999, elle est arrêtée et écope c’était plutôt raï, danse du ventre et couscous. » d’une amende de 4 500 euros pour « détérioration d’un bien À l’âge de 6 ans, elle et sa famille quittent leur logement par inscription ». Depuis, elle demande pour chacune de ses insalubre pour un logement HLM de la cité des Aviateurs, interventions une autorisation. Orly (94). À ses 10 ans, un drame familial bouleverse à jamais Personnage incontournable de la scène artistique parisienne, sa vie : elle est la seule rescapée d’un accident dans lequel Miss.Tic est fière de ce qu’elle a pu réaliser avec l’aide périssent sa mère, son grand frère et sa grand-mère. Sa d’artistes de sa génération. « Nous avons fait émerger un reconstruction, elle la démarre à l’Hôpital Necker-Enfants vrai mouvement. Nous le clamions depuis le début, mais malades. Elle se plonge alors dans la littérature. aujourd’hui, le voilà reconnu comme tel. » Pour la plasticienne, À 15 ans, dès qu’elle le peut, Miss.Tic retourne à Paris : c’est Bansky qui a fait naître le mouvement. « À partir de là, les « Je déteste la banlieue », confie-t-elle. Ses quartiers galeristes français ont entendu le bruit des écus. » d’attache sont alors Saint-Michel et Saint-Germain, pour Sur l’avenir de cet univers pictural, Miss.Tic s’interroge : leur histoire, l’ambiance estudiantine et les librairies. Elle se « Plus rien ne m’étonne aujourd’hui : il y a beaucoup de “à la souvient des années 1970 et du RER qui l’y déposait : manière de”, de reprises, etc. Je suis curieuse de voir quel « C’est là que j’ai commencé à zoner. » sera le prochain mouvement. » 16 - 17 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
Portrait de quartier #10 Les Halles (1er) Par Clarisse Briot Photographies Mathieu Génon LES HALLES UN AN APRES Le cœur de la capitale offre un nouveau visage. Parisiens de passage, commerçants, habitants et jeunes de banlieue s’y croisent et s’approprient chacun à leur façon cette transformation, entre satisfaction, scepticisme et indifférence. 18 - 19 Soixante-Quinze
Portrait de quartier #10 Les Halles (1er) le samedi, c’est la banlieue : on se croirait dans une cité de Seine-Saint-Denis. » Détaillant les passants qui évoluent sous l’immense structure de métal et de verre aux reflets verdâtres, le banlieusard de l’Ouest parisien insiste : « Regardez, il n’y a que des touristes et de la “racaille”. » Mais alors, qu’est-ce qui peut bien le pousser à venir flâner en ce lieu si peu fréquentable à ses yeux, hormis son intérêt pour les noisettes bio ? « J’y reviens de temps en temps, par fidélité. Comme tous les gens de mon âge, j’ai connu les Halles Baltard... » Depuis que le fameux « ventre de Paris » n’est plus, nombre de Parisiens snobent ce péri- mètre, certes situé au cœur de la capitale, mais qu’ils traversent Débuté en 2011, l’aménagement du jardin et des voiries sans même remonter à la sur- À la sortie du métro, une perspective s’ouvre sur l’église Saint-Eustache. de surface devrait prendre fin en 2018. face. Le « hub » de Châtelet-les-Halles voit se croiser chaque jour 750 000 passagers sur trois lignes de RER et cinq de métro. Heureusement, tous ne font pas que « penduler ». Une partie « J’y reviens d’entre eux s’égaille, en fin de semaine, dans les allées du Forum, l’immense temple du shopping qui a gagné des enseignes à la faveur par fidélité. de sa rénovation. Une autre, qui préfère la lumière naturelle, refait surface dans le vaste patio de la Canopée et peut alors admi- J’ai connu rer la perspective ouverte sur l’église Saint-Eustache et profiter du nouveau jardin. « Après minuit, il faudrait des flics » l’époque des On y trouve aussi, n’en déplaise à Gérard, des habitants du coin, à l’instar de Dominique, venue y lire en voisine, depuis son appartement Halles Baltard. » de la rue Rambuteau. « Tout a changé ici, il y a plein d’endroits pour Coup de jeune généralisé s’asseoir, c’est vaste, aéré. Et la Canopée est juste incroyable ! » se Gérard, retraité our un futur jardin, il y a beaucoup de béton, vous ne trouvez pas ? » félicite la quadragénaire. « Je suis vraiment contente de ce que devient D’autres sites en chantier promettent de donner un coup commente Gérard en faisant la moue. Gérard est l’un de ceux qui le quartier, même si sa mauvaise réputation n’était plus tellement Tout ce que je souhaite, c’est que les touristes se sentent à l’aise ici, de jeune à ce secteur. La Bourse de commerce est couverte aiment jouer les inspecteurs des travaux finis. Tournant le dos à justifiée. » Mais la mue est récente. Convalescents comme après une avec une belle sortie de métro et un beau petit bistrot. » Son acolyte d’échafaudages depuis des mois. Cet édifice du xixe siècle la Canopée, il examine les ouvriers qui donnent forme au jardin lourde opération, certains éprouvent encore une lassitude. « Sept cravaté, sceptique, complète : « La rénovation du quartier, c’est bien. accueillera en 2019 une partie des collections d’art Nelson-Mandela. Son achèvement doit signer la fin de l’opération ans qu’on a un chantier devant notre porte... », soupire le gérant Mais ça ne suffit pas. Il y a un sentiment d’insécurité ici. Le soir, il n’y contemporain du milliardaire François Pinault. Non loin de là, de transformation des Halles, démarrée en 2011. Le retraité, qui du Bistrot des Halles. Attablé à sa terrasse avec un homme en cos- a qu’à voir, les commerçants ne travaillent pas. Il faudrait des flics entre la rue de Rivoli et la Seine, le chantier de la Samaritaine coule des jours paisibles à Neuilly-sur-Seine (92), a profité d’une tume-cravate, le restaurateur en a gros sur le cœur. Heureusement, après minuit ! » Pour s’occuper, entre autres, des « Roumains » qui, se poursuit afin de proposer un immense programme mixte : belle après-midi pour se lancer dans une de ces grandes virées à sa clientèle de quartier ne l’a pas laissé tomber et la sortie de métro dit-il, effraient les consommateurs aux terrasses, et des groupes un grand magasin, un restaurant gastronomique, un hôtel pied qu’il justifie par quelques futiles emplettes : « J’avais envie de à quelques mètres de là est flambant neuf. C’est la rue des Halles d’« Antillais » qui étanchent leur soif bruyamment dans le secteur. de prestige, une centaine de logements, une crèche et des noisettes, alors je me suis dit que j’irais les acheter chez Causses. » que l’on réaménage désormais. « Sans oublier que les deux théâtres « Avec la fin des travaux, les gens ont peur que la racaille revienne... bureaux. L’ouverture est prévue pour lin 2019, début 2020. C’est sous la Canopée que l’enseigne bobo a choisi d’installer sa du Châtelet sont fermés pour rénovation, en même temps, et que la On espère un endroit convivial. » Enfin, rue du Louvre, la Poste, connue pour être ouverte troisième échoppe, à côté du Champeaux – la nouvelle adresse piétonnisation des berges nous enlève des clients, maugrée le gérant. « Ah... l’avenir des Halles ! » s’exclame Claude, un ancien restau- 24 h/24 et 7 j/7, est en rénovation. Elle accueillera, outre le gastronomique d’Alain Ducasse – et du plus vaste Monoprix d’Île- On veut vraiment faire souffrir les commerçants ! » Le bout du tunnel rateur emblématique de la rue Berger, issu de la famille auvergnate. courrier, un hôtel de luxe, des commerces, un commissariat, de-France. « La mairie essaie de rendre le quartier branché, mais est pourtant proche. « J’espère que la Samaritaine et la Bourse de Lui a vécu dix-huit années de chantier sur les quarante passées des logements sociaux et une halte-garderie. ça ne marchera pas, prédit Gérard. C’est un lieu de passage, et commerce [voir encadré] amèneront une clientèle d’hôtel, poursuit-il. ici. « Des travaux qui ont coûté très cher, et on démolit tout 20 - 21 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
Portrait de quartier #10 Les Halles (1er) trente-cinq ans plus tard pour tout refaire ! C’est qu’on doit être « C’est un lieu de rencontre, c’est tout ! » lâchent, entre deux Tentative (forcée ?) de faire dialoguer les populations qui se très riche alors, s’amuse-t-il. La tour Eiffel, on la repeint, on ne boutades, les membres d’un groupe posé là depuis plusieurs heures. croisent aux Halles – à l’image du conservatoire Mozart qui fait face la démolit pas ! » Mais Claude a le sourire, comme si, au fond, le Melik, Toufik, Adam, Mélina, Maeva, Melvyn viennent « du 91, du 93, au centre de hip-hop –, ou bien volonté de normaliser un espace dossier ne lui importait plus tellement, à présent qu’il s’est retiré du 77, du 78... ». Ces adolescents se sont rencontrés sur les réseaux depuis longtemps propice aux marginalités : la transformation en des affaires. Il désigne la Canopée en disant « la bête », avec une sociaux. « On a plusieurs groupes sur Twitter, explique Mélina, une cours semble balancer entre les deux visées. Selon Lorenzo en tout pointe de tendresse. Puis, il fait mine de s’effrayer : « Parfois, il petite brune qui ne lâche pas son Smartphone, au moins quinze cas, qui déplie sa tente chaque soir rue du Pont-Neuf, le quartier m’arrive d’imaginer que toute la banlieue va débarquer ici en en fait. Le groupe de Châtelet, le groupe des “chômeurs”... ». Les rénové est devenu clairement moins hospitalier. « Avec les travaux, moins de trente minutes et provoquera une émeute, une sorte Halles sont leur point de ralliement dans la « vraie vie ». « Certaines ils ont viré pas mal de SDF, explique le quadragénaire émacié, de ruée vers Paris pour tout casser... C’est tellement propice, tellement ouvert ! » fois, j’arrive à réserver un Airbnb, et on peut tous passer la nuit du samedi ensemble », raconte Melvyn, 18 ans, à la coupe afro, qui De chantiers en chantiers originaire de Reims (51), qui vit dans la rue depuis 1993. Avant, on dormait sur la terrasse du Forum, à une vingtaine. Quand ils ont vient d’une petite cité de Saint-Michel-sur-Orge (91). « On partage tout cassé, on a dû partir. » Les anciens jardins, avec leurs petits Le groupe de Châtelet des bons moments, on rigole, on se comprend », explique Adam, un 1971 Démolition des pavillons Baltard, bosquets et recoins, permettaient de se poser. La future « prai- Figure d’épouvantail dans le quartier pour Gérard et pour d’autres, adolescent chétif appuyé sur une béquille. Toufik, 17 ans, brosse laissant place au « trou des Halles ». rie » qui les remplace ne lui dit rien qui vaille. « Dans le Forum, la jeunesse des banlieues a ses habitudes aux Halles. Les mer- son parcours, que les autres découvrent : orphelin, il squatte chez 1977 Inauguration de la station de RER. c’est une chasse aux SDF partout, ajoute Lorenzo. Avant, on était credis et samedis, des bandes de garçons et de filles investissent des gens qu’il connaît à peine, à la Courneuve (93). « Mais ça va, je 1979 Ouverture du Forum. tolérés ; maintenant, c’est plus possible, ça donnerait une mauvaise le secteur. lls déambulent dans le Forum, squattent la fontaine me débrouille, je travaille dans une boulangerie, j’ai une copine... », 2002 La mairie de Paris décide des Innocents, traînent dans les restos grecs, les friperies, les les rassure-t-il. Il est l’heure pour ce groupe hétéroclite, qui tient de rénover les Halles. tatoueurs et les sex-shops de la rue Saint-Denis. Ils se chambrent, plus de l’agrégat de solitudes que de la bande de durs à cuire, de 2016 Inauguration de la Canopée. s’interpellent, se draguent, se provoquent. Le chantier, puis l’ir- 2018 Livraison de la dernière partie ruption de la Canopée dans ce paysage aux codes familiers, n’ont du jardin, signant la fin de la transformation des Halles. « Ici, c’est has pas eu l’air de bouleverser leurs rituels. La plupart, d’ailleurs, sont trop jeunes pour avoir connu autre chose. « C’est plus grand, plus been. Dire de propre, ça donne plus envie d’aller dans les magasins », avancent Saly et Chris-Lynn, deux lycéennes qui passent leur après-midi à quelqu’un qu’il manger des chips en papotant. est de Châtelet c’est pas un se séparer. Les filles, surtout, vont reprendre compliment. » leur RER sans tarder, « parce qu’on est des filles ». Et du genre sage, visiblement. « Il n’y a pas un bon mélange ici », Gary, créateur de vêtements streetwear tranchent Gary, Jean-Yves et Yashi, la ving- taine bien sonnée, look urbain décontracté, qui tchatchent devant McDo. D’habitude, leur coin à eux, c’est plutôt « Répu », où Pablo (à gauche) et Lorenzo, SDF, ne se sentent plus tolérés dans le Forum. la mayonnaise entre « gars de banlieue, skaters, hippies, bobos » prend vraiment. « Ici, je gère des meufs, image aux touristes. C’est bien de faire des trucs propres, agréables, c’est tout, se marre Yashi. Les Halles, c’est Tinder. » Gary, qui vient mais nous, on pourra bientôt plus faire un pas devant l’autre... » d’un quartier pavillonnaire de Champigny-sur-Marne (94), a fondé Avec Pablo et d’autres sans-abri, Lorenzo s’occupe de l’accueil sa propre marque de vêtements « streetwear » baptisée Walk des SDF qui viennent entreposer leur barda aux Mains libres, une in Paris. Sa source d’inspiration : le hip-hop, la rue, la jeunesse bagagerie gérée par les utilisateurs eux-mêmes, en association et les valeurs du partage, du mélange et de l’ambition. Et à l’en- avec des riverains bénévoles. Des « ADF » comme ils les appellent, tendre, ce n’est pas aux Halles qu’il la puise. « Culturellement, pour « avec domicile fixe ». Depuis les travaux, la structure a y a rien ici. C’est has been. Quand on dit de quelqu’un que c’est déménagé à quelques rues des Halles. Investi à la bagagerie, un gars de Châtelet, c’est pas un compliment... ». Lorenzo ne se voit pas changer de quartier. Il y a ses habitudes, le week-end, auprès de couples et de familles de la rue Montor- « Que de la façade » gueil qui le dépannent d’une pièce. Il y a surtout son centre de Ni la nouvelle boutique « flagship » de Nike logée dans la Canopée domiciliation, où il reçoit son courrier : l’association Aides, qui ni le centre culturel hip-hop que la Ville de Paris a ouvert pour le suit pour ses problèmes médicaux, ou encore Saint-Eustache mettre à l’honneur les pratiques artistiques de cette jeunesse des avec sa traditionnelle distribution de soupe. « Les nouvelles Halles, quartiers populaires ne le séduisent. « C’est “fake”, surfait. On c’est un désastre, estime Pablo. Un projet capitaliste, fait pour met des Ghetto-Blasters pour faire genre, mais ça sonne faux. Les certains et pas pour d’autres. Le bon temps, c’est fini… » Lorenzo vrais danseurs de hip-hop dansent dans la rue, ou ailleurs. » Et la hausse les épaules : « Ça ne m’empêchera pas de dormir ce soir. » médiathèque, juste à côté, qui consacre des rayons entiers aux Il en a vu d’autres. cultures urbaines ? « Le street art, c’est bien dans les bouquins, mais dès que c’est sur les murs, bizarrement, ça ne plaît plus, s’agace encore Gary. Pour moi, la Canopée, c’est que de la façade, Le mois prochain, portrait du quartier Passy (16e). Selon Yashi, Gary et Jean-Yves (au premier plan), les Halles sont « fake ». Un cliché urbain qu’ils jugent sans âme. du cliché. C’est à l’image des gens ici : que de l’apparence. » 22 - 23 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
En couverture Sortie en famille ou vrai mode de consommation, le marché alimentaire résiste dans la capitale. On compte aujourd’hui plus de 80 « ventres de Paris », répartis dans chaque arrondissement, tous les jours de la semaine. À la clé, une diversité d’offres, de qualités et de prix. Le marché demeure, à l’heure de la supérette impersonnelle, un lieu de convivialité et d’échanges. Un symbole du Paris d’antan, qui se renouvelle grâce à de nouvelles formes telles que l’Amap ou la Ruche qui dit oui ! Saisissez votre panier en osier, nous avons déniché pour vous les meilleurs marchés de Paris, du plus grand au plus chic, du moins cher au plus bio. Par Clarisse Briot, Philippe Schaller et Virginie Tauzin Photographies Mathieu Génon LE GUIDE DES Sur le marché Grenelle dans le 15e. 24 - 25 Soixante-Quinze
En couverture Mercredi et samedi matin Mercredi et samedi matin LE PLUS CHIC LE MOINS CHER Président-Wilson Barbès 9 2 4 Iéna ou Alma-Marceau Barbès-Rochechouart Avenue du Président-Wilson (16e) Boulevard de la Chapelle (18e) E n ce jour frisquet d’octobre, le mercure est tombé sous les 15 °C. Quelques femmes, sac Louis-Vuitton à l’épaule, ont sorti les manteaux de vison. Des hommes élégants font leurs D eux melons pour 1,50 euro, 100 grammes de crevettes roses pour 1,70 euro, trois pam- plemousses pour 2 euros, trois avocats pour 1 euro, dix kilos de patates pour 5 euros, deux bouquets de menthe pour 0,50 euro... Aucun doute : le marché métro aérien. Deux sens de circulation se mettent en place avec, au milieu, les biffins, sacs béants à leurs pieds. On négocie des tablettes de chocolat, du carpaccio, du shampooing. Les prix se discutent aussi autour des étals autorisés. « C’est normal, ça fait partie du jeu », dit Basim, vendeur de fruits et légumes. Ce Syrien emplettes en costume. Le marché du Président-Wilson, Barbès est bel et bien le plus compétitif de Paris. La plupart des assure que s’il veut atteindre son chiffre à la fin de la matinée, il dans le 16e arrondissement, installé entre la place d’Iéna, chalands traînent derrière eux des cabas pleins à craquer, ou ont faut qu’il casse les prix. En face, un primeur est pris d’assaut de le palais de Tokyo et le musée Galliera, est le plus chic de de lourdes cagettes sur les bras. « C’est rare qu’on vienne ici pour tous côtés. Des clients partent avec des cagettes remplies. Son kilo la capitale. Pour ses acheteurs... et ses prix. Ce n’est pas trois courgettes », reconnaît un commerçant, qui vient d’abaisser de carottes se vend un euro, à présent, « promotion du moment ». « Jeannot » [photo ci-contre] qui dira le contraire. « En sa barquette de tomates-cerises de 4 à 2 euros. « À partir de 10h30, Basim raconte qu’ils ont été ensemble à Rungis le matin même. début de saison, nos haricots verts, excellents, étaient on casse les prix », justifie son frère à ses côtés. Sur son stand, on « On s’entraide, on se parle, mais après, ici, c’est chacun pour soi. à 30 euros le kilo. Eh bien, ils sont partis en quelques trouve fraises, tomates, pêches... Pas vraiment des fruits de saison. Je décide de mes prix librement, en fonction des attentes et de heures, illustre le vendeur. On a une clientèle qui aime Le melon est bien mûr ; le raisin pas assez. les bons produits et qui a la chance d’avoir les moyens, Mais ce n’est pas pour la qualité et encore elle aurait tort de se priver ! » Pendant trente-cinq ans, moins pour du bio qu’on se déplace au mar- Jeannot a travaillé pour Joël Thiebault, « le maraîcher des stars », dont la production de fruits et légumes des Yvelines fournit plusieurs restaurants étoilés parisiens. Le « C’est rare qu’on vienne désormais retraité a pris la clé des champs l’an dernier, mais l’affaire a été reprise par l’un de ses employés, Valdemar Barreira. Carottes, tomates, poivrons, légumes oubliés... l’étal est toujours aussi luxuriant et Jeannot ici pour trois courgettes. » continue de haranguer la foule huppée et de fournir les belles tables. Ce mercredi, on est loin de l’agitation du week-end, et de son Il compte parmi ses clients le chef Pierre Gagnaire ou le Bristol, qui chiffre d’affaires conséquent. « C’est plus chic le samedi, confirme s’arrachent ces légumes prodigieux dès les premières heures du jour. Jeannot, le jour de ceux qui travaillent », au porte-monnaie (encore) plus épais que celui des retraités de la semaine. « Je ne viens pas là Un vendeur La daurade royale à 40 euros le kilo parce que c’est le plus chic, s’insurge poliment Gilles, un septuagé- de fruits et légumes À quelques mètres, on trouve la poissonnerie Diget, autre insti- naire, chemise bleue et veste cintrée, mais parce qu’on y trouve les tution de ce marché. Pour satisfaire la clientèle exigeante des beaux plus beaux produits, tout simplement. » Un coup d’œil sur l’étal de ché Barbès. « Je viens de Saint-Ouen pour quartiers, pas d’élevage, « que du poisson pêché, local et de qualité, fruits et légumes de Jeannot et Gilles file s’acheter du poisson à la faire le plein pour la semaine à un bon prix », c’est la marque de fabrique de la maison depuis 1963 », revendique maison Diget. L’homme habite place Victor-Hugo, juste à côté, il a raconte Maria, mère de famille, qui estime ses François, un employé. Les coquilles Saint-Jacques et les moules ses habitudes au marché. Celles de la qualité surtout. Pour la trouver, courses du jour à « une quarantaine d’euros ». viennent de Normandie, la raie du port de Lorient. François assure il est même prêt à aller plus loin et à avaler quelques kilomètres, Dans son chariot, du poisson et de la viande, que les habitants du chic arrondissement font, eux aussi, attention à « en voiture, même si ce n’est plus très sérieux à Paris aujourd’hui ». des légumes et des herbes aromatiques, et leurs dépenses. Mais, il faut bien l’avouer, on s’arrache ces produits Ses lieux de prédilection : le marché des Batignolles « pour ses même des yaourts. Elle ne choisit pas elle-même les produits, mais ce que fait la concurrence. » Les acheteurs ne s’y trompent pas : de la mer, quel que soit le prix. « La semaine dernière, j’en avais peu, œufs et ses volailles du Sud-Ouest, exceptionnelles », Raspail « pour énumère sa liste au commerçant. « Je vais toujours chez les mêmes, pour faire de telles affaires, ils viennent de Paris, mais aussi de la alors j’ai fait la daurade royale à 40 euros le kilo. Et ça n’a posé aucun le bio », et « de temps en temps, Aligre ». Quand il s’agit de bons ils me connaissent, alors ça va plus vite », poursuit-elle. banlieue lointaine, selon Basim et d’autres. « Ça prouve que les problème... » Non loin, le traiteur italien aurait pour clients Carla Bruni produits, ce nomade du marché parisien n’hésite pas à sortir de sa Il vaut mieux, en effet, savoir précisément ce que l’on veut gens mangent des produits du marché. C’est mieux que des chips, et l’ambassade du Vatican. zone de confort... P.S. acheter quand, au fil de la matinée, l’espace se resserre sous le de toute façon ! » V.T. 26 - 27 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
En couverture Du mardi au dimanche toute la journée LE PLUS GASTRONOMIQUE Mercredi, vendredi et dimanche matin Enfants-Rouges LE PLUS VILLAGEOIS Monge 8 11 3 Filles du Calvaire, Arts et métiers ou Temple 39, rue de Bretagne (3e) 7 Place Monge H Place Monge (5e) ormis aux quelques heures creuses, ce n’est « On adore pas le mot « marché » qui vient à l’esprit C’ quand on pénètre dans ce lieu. Certes, il y l’ambiance, a bien quelques stands de fruits et légumes, d’autres de fleurs et de fromages, bien fréquentés. Mais la parti- cularité du marché des Enfants-Rouges, celle qui saute aux yeux, le côté pousse- est la place du quartier, comme est que tout est fait pour consommer sur place. Et qu’on y trouve d’autres ont leur place du village. toi-d’là-que- tous types de traiteurs (dire traiteur plutôt que restaurant, c’est Impossible de louper le marché plus tendance) : italien, libanais, antillais, asiatique, végétarien... Monge, qui se tient ici, trois fois par semaine, entre les beaux j’m’y-mette. » immeubles. « Convivial, ce marché ? Oui, c’est bien le mot », lance Michèle, une habituée pour qui, en la matière, tous les marchés ne se valent pas. Pour Tarik, qui vend des produits Élodie, une habituée d’épicerie fine depuis onze ans, l’agencement des étals y est pour beaucoup : « On est sur une place, cela oblige les clients à tourner, aller, venir, passer, repasser, se croiser. Quand vous allez sur un marché rectiligne, tout le monde avance dans le même sens et suit le mouvement. » Mme Leitao, à l’impres- sur demande, avec des produits au choix (8 euros). Au sionnant stand de fromages, en a vu grandir, des enfants du fond à gauche, un vrai resto. L’Estaminet, propose, en quartier. Et elle n’oublie pas un visage. « Récemment, un client salle comme à l’extérieur, des plats du jour type brasserie que je n’avais pas vu depuis dix ans est venu me saluer. Je l’ai parisienne. « Ici, on renoue avec cette vieille tradition reconnu immédiatement », raconte-t-elle. de déjeuner avec des copains après le marché, comme Comme dans tout village, on assiste à la disparition des dans les halles de petites villes de province », indique un plus anciens. Certains trouvent que, tout de même, ce n’est commerçant. Il y a de ça, peut-être, sans le côté impro- plus pareil. Que le quartier se vide, globalement, et ce ne Les veinards – ou les plus en avance – trouveront des chaises visé de la rencontre, qui se termine par un apéro et une sont pas les touristes asiatiques, se pressant par cars entiers ou des bancs en bois. Beaucoup d’autres chercheront une place dégustation d’huîtres attablés au comptoir du bistrot. à la fameuse parapharmacie Monge, qui doperont les ventes. longuement, en vain parfois, et finiront par se décourager ou par Toujours est-il qu’en offrant un large choix et la « Il n’y a pas de raison que ce marché attire d’autres visiteurs changer leurs plans. « Je voulais des pâtes, j’ai eu des accras. Pas possibilité de consommer sur place, le marché des que les habitants. C’est un petit marché de quartier avec tout moyen d’avoir une place chez l’Italien. Mais c’est bien aussi, les Enfants-Rouges cultive son côté atypique. Et il a de ce qu’il faut, et voilà ! », conclut Michèle. V.T. accras », plaisante Yann, qui avale son café en vitesse avant de quoi : il est le plus vieux marché couvert de Paris. Fondé retourner travailler. Élodie, elle, est une habituée. Sa mère n’habite en 1615, sous Louis XIII, il fut ainsi baptisé en hommage pas très loin, si bien qu’elles viennent déjeuner ici régulièrement. aux pensionnaires d’un orphelinat voisin, habillés de « On adore l’ambiance, le côté pousse-toi-d’là-que-j’m’y-mette. rouge. En 1982, il est classé aux monuments historiques. Il faut être prêt à sauter sur les opportunités. Et encore, là, on est Mais dans les années 1990, le maire du 3e arrondissement un mardi ! » prévoit de le remplacer par un parking. La fronde des Le week-end, le marché des Enfants-Rouges attire une foule de habitants du Marais est telle qu’ils obtiendront six ans Parisiens, du hipster à la célébrité. Les touristes y montrent aussi de travaux et une réouverture, en 2000, du marché dans leur nez. On se presse dans les allées et on fait une heure de queue sa tenue actuelle, un Borough Market parisien, distingué chez Alain Miam Miam pour un sandwich extralarge confectionné et gastronomique. V.T. 28 - 29 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
En couverture Du mardi au dimanche toute la journée Jeudi et dimanche matin LE PLUS BIGARRÉ LE PLUS GRAND Aligre Bastille 8 1 5 8 Ledru-Rollin Bastille Place d’Aligre (12e) Boulevard Richard-Lenoir (11e) R as-le-bol des simples étals de fruits et légumes ? Foncez place d’Aligre, au marché le plus bigarré de la capitale. En plus de la cinquantaine de stands traditionnels qui se montent et se démontent dans un ballet réinterprété chaque recherche d’un objet rétro pour sa boutique de bijoux anciens. Il met un point d’honneur à fréquenter le marché et ses bistrots. « Je me nourris Aligre et je vis Aligre, explique le dandy. C’est un des derniers quartiers vivants de Paris, où existe encore une réelle mixité sociale. » Fatih, lui, cherche du matériel hi-fi à revendre. Ce banlieu- C’ est parce que ce quartier est grand, fréquenté en per- manence. Il a besoin de ce type de marché », lance Bruno Plai- jour, une quinzaine de commerçants tiennent boutique sous la sard glane des objets du quotidien comme du produit d’entretien ou sance afin de justifier la taille de celui du halle Beauvau, le marché couvert des éponges. « J’ai une clientèle boulevard Richard-Lenoir. Derrière son plus que bicentenaire. Vous y pour ça », assure-t-il. Et tandis étalage de pains et viennoiseries, le com- trouverez aussi le seul marché que des esprits connaisseurs merçant ne voit pas d’autre explication. Il forain quasi quotidien (du mardi s’échauffent autour d’une série aime à le dire : « Bastille, c’est spécial », au dimanche) de Paris, sans de monochromes, un vendeur c’est tout. Près de 120 exposants s’y ins- oublier les stands consacrés aux s’époumone devant un monti- tallent deux fois par semaine, « sans oublier puces, les seules intra-muros. cule de chaussures jetées sur la bonne dizaine de permanents qui ne font Trois ambiances qui se côtoient une bâche : « Un euro la pièce ! pas partie de nos abonnés mais qui sont et « plusieurs clientèles » qui se On part à la retraite à la fin du là depuis le début », ajoute Alexandre, le placier du marché. Ce mois ! ». « Ce n’est pas croisent, souligne Daniel Durand, dernier assure le bon déroulement du marché et l’encaissement le placier. À Aligre, on trouve Au milieu de l’agitation, pour le compte de la société Cordonnier frères. Et il confirme : le marché le plus « des produits modestes à vil assis sur les bancs au pied de Bastille est le plus grand. « Pas le plus long, car c’est plutôt celui prix à l’extérieur et de la grande la Petite Mairie défraîchie qui de la porte Dorée, dans le 12e arrondissement. Même Belleville long, mais il s’étire qualité à l’intérieur », résume agrémente la place, des retrai- s’étire plus. Ici c’est plus ramassé, entre deux stations de métro, Jacques, un septuagénaire du tés maghrébins égrènent les mais sur six rangées de stands. » Pour en faire le tour, il faut sur six rangées. » quartier qui ne manque jamais heures. « J’ai un marché près alors faire plusieurs allers-retours entre la Bastille et la station de venir remplir son panier. Non de chez moi, à Daumesnil, Bréguet-Sabin. sans avoir au préalable passé au peigne fin les stands des bro- explique Abdellah, mais je viens ici tous les jours pour retrouver « Je pourrais y passer la journée ! » s’exclame en anglais une jeune canteurs juste à côté. « Je viens tous les jours et, tous les jours, je mes amis. » Un collègue à lui revient d’un étal avec un sac de Coréeenne. Elle se réchauffe les mains autour d’une tasse de thé Alexandre, placier trouve quelque chose de rare ou d’intéressant, s’amuse-t-il. Ici, la piments verts. « Vous ne trouverez pas ça à Passy ! » plaisante-t-il. brûlant, tandis que la colonne fond dans le brouillard. Ce qu’apprécie chose sympathique arrive au moment où l’on ne s’y attend pas... » Sur le marché forain, Lahcem se targue d’avoir « lancé le bio, en particulièrement Yon, qui vient régulièrement depuis quelques mois Le marché Bastille n’était pas aussi grand à l’origine. Ça, c’est 2005 ». Il propose des assortiments de fruits et légumes à des prix qu’elle étudie à Paris, c’est que « c’est assez grand pour qu’on ait un monsieur Taieb qui le dit. Mémoire du marché, où il vend ses fruits et « Vous ne trouverez pas ça à Passy ! » imbattables. « On est sur un des marchés les moins chers de Paris, choix incroyable ». Elle a déjà beaucoup tourné sur le boulevard, légumes depuis quarante ans, il se souvient qu’il y a à peine quinze ans, Fripes, bijoux, vaisselle, objets hétéroclites de plus ou moins grande alors on s’adapte. Le bio ne doit pas être un luxe. » Derrière, dans la entre les huîtres et les falafels, les pizzas et les pots de miel, et a « les étalages s’arrêtaient ici, au départ de la rue Amelot. Le marché valeur... les puces d’Aligre contentent autant les professionnels que pénombre feutrée de la halle, épiceries fines, traiteurs, boucheries acheté une fouta et quelques figues à grignoter dans la matinée. a au moins doublé et beaucoup de choses non-alimentaires se sont les amateurs éclairés comme Jacques. Sans oublier promeneurs et et fromageries ont un peu moins de scrupules à saler l’addition « Le marché est inscrit dans les guides touristiques, explique Bruno ajoutées. » Les produits régionaux, surtout, se sont multipliés. Mais touristes, qui y flânent le week-end venu. Bretelles, nœud papillon d’une clientèle gourmande et bien nantie. À Aligre, on vous le dit, Plaisance. Si vous allez au marché Charonne, pas très loin d’ici, vous aujourd’hui, Bastille ne pourra plus grossir : comble, il laisse déjà et pantalon blanc, Laurent en fait quotidiennement le tour, à la il y en a pour tous les goûts à tous les prix. C.B. n’aurez que les habitants du quartier. » une belle impression de luxuriance. V.T. 30 - 31 Soixante-Quinze www.soixantequinze.paris
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