Pourquoi les professeurs ouest-africains s'approprient-ils l'internet ?
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Document généré le 14 juil. 2022 17:26 Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire International Journal of Technologies in Higher Education Pourquoi les professeurs ouest-africains s’approprient-ils l’internet ? Kathryn Toure, Thierry Karsenti, Michel Lepage et Colette Gervais Volume 11, numéro 3, 2014 Résumé de l'article Pourquoi des professeurs de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest URI : https://id.erudit.org/iderudit/1035704ar s’approprient-ils les technologies de l’information et de la communication DOI : https://doi.org/10.7202/1035704ar (TIC)? Cette question est abordée à travers une interprétation socioculturelle d’itinéraires de six professeurs. Les résultats montrent l’intégration active et Aller au sommaire du numéro progressive des TIC dans la pratique pédagogique, entre autres, par la mise en ligne des cours et l’interaction à distance avec les étudiants. Ils mettent aussi en lumière des aspirations plus profondes comme la participation africaine au monde scientifique et la transformation des relations humaines et de la Éditeur(s) culture. Dans le processus d’appropriation, les professeurs sont amenés à CRIFPE remettre en question leurs approches pédagogiques, à franchir des frontières entre différents univers de traditions et connaissances et à proposer de ISSN nouvelles approches d’apprentissage, de production des savoirs et de construction de l’identité africaine. Ces résultats contextualisés viennent en 1708-7570 (numérique) complément de ceux sur l’utilisation des TIC à l’université et fournissent une base épistémologique pour l’intégration des TIC dans l’éducation en Afrique. Découvrir la revue Citer cet article Toure, K., Karsenti, T., Lepage, M. & Gervais, C. (2014). Pourquoi les professeurs ouest-africains s’approprient-ils l’internet ? Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in Higher Education, 11(3), 68–86. https://doi.org/10.7202/1035704ar Tous droits réservés © CRIFPE, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
RITPU • IJTHE Kathryn Toure Pourquoi les professeurs kathryn.toure@gmail.com Thierry Karsenti ouest-africains thierry.karsenti@umontreal.ca Michel Lepage michel.lepage@umontreal.ca s’approprient-ils l’internet? Colette Gervais colette.gervais@umontreal.ca Recherche scientifique avec données empiriques Résumé Abstract Pourquoi des professeurs de l’enseignement su- Why do teachers of higher education in West Africa périeur en Afrique de l’Ouest s’approprient-ils les appropriate information and communications tech- technologies de l’information et de la communi- nology (ICT)? This question is addressed through cation (TIC)? Cette question est abordée à travers a sociocultural interpretation of ICT itineraries of une interprétation socioculturelle d’itinéraires de six professors. The results show the active and pro- six professeurs. Les résultats montrent l’intégration gressive integration of ICT in teaching, for exam- active et progressive des TIC dans la pratique péda- ple via online courses and remote interaction with gogique, entre autres, par la mise en ligne des cours students. They also reveal deeper aspirations such et l’interaction à distance avec les étudiants. Ils as enhanced African participation in scholarly pro- mettent aussi en lumière des aspirations plus pro- duction and the transformation of human relations fondes comme la participation africaine au monde and culture. In the process of appropriation, teach- scientifique et la transformation des relations hu- ers question their pedagogical approaches, cross maines et de la culture. Dans le processus d’appro- the boundaries between different worlds and tradi- priation, les professeurs sont amenés à remettre en tions of knowledge, and propose new approaches question leurs approches pédagogiques, à franchir to learning, knowledge production and the con- des frontières entre différents univers de traditions struction of African identities. These contextual- et connaissances et à proposer de nouvelles appro- ized results are in addition to those on the use of ches d’apprentissage, de production des savoirs et ICT in higher education and provide an epistemo- de construction de l’identité africaine. Ces résultats logical basis for the integration of ICT in education contextualisés viennent en complément de ceux sur in Africa. l’utilisation des TIC à l’université et fournissent une base épistémologique pour l’intégration des TIC dans l’éducation en Afrique. Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la licence cc $ = Creative Commons Attribution - Pas de Modification 2.5 Canada http://creativecommons.org/licences/by-nd/2.5/ca/deed.fr 68 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU Introduction leur pédagogie et proposent de nouvelles façons La société africaine a été déstabilisée par l’éduca- d’interagir avec soi et les autres. Après cette intro- tion coloniale qui a mené à une aliénation profonde, duction, nous aborderons les concepts de la culture une glorification de l’oppresseur et un avilissement et de l’appropriation. Puis, nous justifierons l’utilisa- de la culture africaine (Moumouni, 1998). L’école tion d’une méthodologie qualitative et présenterons coloniale a essayé d’effacer la personnalité africai- et discuterons les résultats de la recherche avant de ne. Une façon de penser et de voir le monde a été conclure. imposée et les jeunes devaient jeter leur africanité par la fenêtre pour porter d’autres habits (voir Ales- Concepts de culture et sandri, 2004). Des processus d’adaptation et de réé- d’appropriation des technologies quilibration sont toujours en cours. Venant également de l’extérieur pour la plupart, les Nous utiliserons les concepts de culture et d’appro- théories relatives à l’intégration pédagogique des priation afin de comprendre l’emploi des nouvelles technologies de l’information et de la communica- technologies par des professeurs de l’Afrique de tion (TIC) doivent être abordées avec précaution. l’Ouest. La mobilisation de ces concepts sert, en Pour mieux comprendre l’intégration de ces tech- examinant l’utilisation d’une innovation, à compren- nologies dans les pays africains, il est important dre les expériences et aspirations des professeurs d’étudier leur appropriation du point de vue des uti- en prenant en compte leur contexte socioculturel et lisateurs africains, et ce, en prenant en compte les historique. La culture est la vie créatrice du peuple spécificités culturelles. En étudiant l’utilisation des qui transforme le milieu naturel et social (Ki-Zerbo, TIC dans les universités ivoiriennes, Bahi (2006) 2010a). Elle est organique et vivante; elle se déve- conclut que l’individualisme et le carriérisme du loppe et subit des changements qui équivalent par- monde scientifique occidental dominent plutôt fois à une véritable métamorphose (Fonlon, 2010). qu’un esprit de développement collaboratif. À la La culture ne prospère pas dans un environnement différence des études focalisées surtout sur l’accès stérile ou coercitif, elle nécessite plutôt la liberté et à l’internet et l’usage d’internet et recommandant le contact fructueux (Fonlon, 2010, 2012). L’histo- l’accès amélioré et la formation (Adika, 2003; Ah- rien burkinabè Joseph Ki-Zerbo a enseigné qu’il ne mad et Usman, 2013; Al-Ansari, 2006; Hadagali faut pas « dormir sur la natte des autres », c’est-à- et Kumbar, 2011), une étude dans une douzaine dire qu’il faut s’enraciner et entrer en contact avec d’universités en Afrique de l’Est (Anthony et Mu- l’autre en toute connaissance de soi. liaro, 2008) s’est intéressée aussi à la nécessité des Le développement est […] un passage « de initiatives TIC d’être imprégnées des aspirations soi à soi-même à un niveau supérieur » par des utilisateurs de ces innovations. Dans le cas rejet ou assimilation organique et histori- contraire, l’éducation continuera à diviser et à alié- que d’éléments internes et externes dans ner plutôt que de faciliter le plein épanouissement la mesure où on ne peut pas s’enfermer sur de la personnalité africaine (voir Société africaine soi, mais s’ouvrir à partir d’une véritable de culture [SAC], 1965). connaissance de soi. (Ki-Zerbo, 2010b, L’objectif de ce texte est de comprendre pourquoi p. 22) des enseignants du supérieur en Afrique de l’Ouest Zakhartchouk (2005) exprime cette idée d’enracine- s’approprient les TIC, en particulier l’ordinateur et ment et d’ouverture afin de faire évoluer sa culture l’internet, dans leur enseignement. Nous partons du en disant qu’il faut en même temps l’assumer et s’en postulat qu’en adaptant les TIC aux défis et aux op- arracher. Est-ce que ce n’est pas en étant bien enra- portunités de leur contexte et en y investissant leurs ciné, bien implanté qu’on peut grandir, s’ouvrir sur valeurs et expériences, les enseignants font évoluer le monde et offrir ses fruits? 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(3) 69 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE 2000; Lund, 2009), mais son utilisation créative et Le processus culturel est un processus créatif stratégique qui permet d’atteindre les objectifs des d’appropriation constante. Quand un individu ou utilisateurs (Michiels et Crowder, 2001; Surman et un peuple s’approprie une langue, il l’adapte à sa Reilly, 2003). culture et aux idées à exprimer. Les langues colo- Les enseignants s’approprient les TIC quand ils niales sont domestiquées par l’usage créatif local adaptent leur utilisation aux défis particuliers de (Nyamnjoh et Shoro, 2011). La langue est soumise leur contexte, afin de résoudre des questions straté- à des approches, à des perceptions et à des objectifs giques (Surman et Reilly, 2003). Ils y investissent différents de ceux de ses concepteurs. Celui qui uti- activement leurs intentions, leur personnalité et lise la langue l’investit de ses intentions (Bakhtin, leur culture. Le processus peut remettre en ques- 1981). Les Africains créolisent leur héritage lin- tion les rôles et les relations entre enseignants et guistique en mélangeant les langues africaines et étudiants, amener l’enseignant à coordonner des les langues européennes. Celui qui s’approprie les activités à travers l’espace et le temps, amener des TIC les investit aussi de ses intentions. changements dans les perceptions, les connaissan- Le processus d’appropriation s’effectue au niveau ces et les compétences (Lund, 2009) et contribuer de l’individu et de la société. Il est caractérisé par à une réinvention de la culture (Taylor, 1998). Le un questionnement du statu quo et même par la ré- processus d’appropriation est coloré par le milieu sistance à la domination culturelle, mais aussi par socioculturel, politique et économique en même une réappropriation des connaissances sociales et temps qu’il influe sur le milieu. du génie culturel afin d’imaginer d’autres possibi- Afin d’enrichir le patrimoine culturel africain lités sociales et de se projeter dans l’avenir. Il faut avec des réalisations durables, il faut encourager absorber puis « digérer les nouvelles acquisitions le génie; il doit y avoir restauration, de soi et de culturelles pour qu’elles deviennent partie inté- l’histoire, mais aussi intégration de la nouveauté grante de la substance de son être » (Fonlon, 2010, (Fonlon, 2010). En précisant pourquoi les profes- p. 81). En combinant de façon intuitive, créative et seurs ouest-africains interviewés s’approprient des stratégique ce qui existe avec ce qui est nouveau, technologies, un va-et-vient créatif et dynamique de nouvelles options culturelles sont proposées. La se dégagera entre restauration et intégration, entre synthèse des traditions de plusieurs sources peut le passé, le présent et le futur, entre ce qui existe et dynamiser et enrichir la culture (voir Appadurai, ce qui est nouveau. 2013; Baillette et Kimble, 2008; Devisch, 2011; Ela, 2006; Fonlon, 2010, 2012; Hountondji, 2002; Jouët, 2000; Lund, 2009; Michiels et Crowder, Méthodologie 2001; Muchie, 2004; Nyamnjoh, Durham et Fo- kwang, 2002). Pour comprendre pourquoi les professeurs ouest- africains s’approprient les technologies, une mé- La technologie – soit les langues, soit les TIC – fait thodologie qualitative avec une approche interpré- partie de la culture et doit favoriser l’humanisation; tative a été utilisée, ce qui permet d’apprécier leurs elle peut construire ou blesser selon son utilisation orientations et choix pédagogiques. Un tel travail (Fonlon, 2010). De la même façon qu’un individu demande au chercheur – et au lecteur – d’aligner ou un peuple le fait avec une langue, il peut s’appro- sa perception sociale, culturelle et politique avec prier les TIC. Quand on les adapte au milieu, leur celle des personnes interrogées et observées (Gupta utilisation est contextualisée en même temps qu’el- et Ferguson, 1997). L’approche interprétative dif- les transforment les utilisateurs, leurs habitudes et fère de l’utilisation des enquêtes dans la recherche leur environnement. Elles deviennent parties pre- quantitative. Elle n’est pas contre la théorie ni les nantes d’une personne, d’un peuple. L’appropria- généralisations, mais elle prend en compte les com- tion n’est pas la maîtrise de la technologie (Jouët, plexités de la vie – dans l’étude présente de l’ensei- 70 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU gnant, du système éducatif, et de l’environnement dans lequel l’enseignant et le système évoluent. Les sur l’utilisation du téléphone mobile au Mali, nous généralisations ont un sens par rapport aux spécifi- avons effectué un travail de terrain même lorsque cités du contexte (Geertz, 1973). Dans l’approche nous étions géographiquement éloignés. L’interpré- interprétative, on ne recherche pas un échantillon- tation des données ne recherche pas une loi générale, nage représentatif de la population générale, mais mais la signification de ce qui se dit (Geertz, 1973); plutôt une participation qui donnera des réponses à il s’agit d’identifier les thèmes qui ressortent et de la question de recherche (Savoie-Zajc, 2011). les lier à l’approche conceptuelle. Nous avons or- Notre étude porte sur six enseignants d’univer- ganisé la discussion sur les résultats autour de deux sité, identifiés à travers notre réseau personnel et de ces thèmes : a) intérêt pour les TIC et découverte professionnel, utilisant depuis plusieurs années de leurs possibilités pédagogiques et, b) aspirations les TIC dans l’enseignement. Il s’agit de femmes profondes pour leur utilisation. Dans la présentation et d’hommes, de francophones et d’anglophones, des résultats et dans la discussion, les noms des pro- de musulmans et de chrétiens qui enseignaient les fesseurs et certains détails de leurs itinéraires ont été humanités, les sciences humaines, ou les sciences modifiés afin de respecter l’anonymat. naturelles dans quatre différents pays ouest-afri- cains. Ils avaient entre 40 et 55 ans lorsque nous Résultats avons conduit des entretiens semi-structurés avec eux dans lesquels nous avons abordé des thèmes Les résultats de recherche sont présentés dans cette comme la familiarisation aux TIC, l’utilisation des section sous forme de six itinéraires TIC dans les- TIC, les comportements face aux TIC, et la moti- quels la personnalité professionnelle de chaque pro- vation pour leur utilisation dans l’enseignement. fesseur transparaît. L’approche vise à permettre au Les entretiens ont été conduits en face à face (avec lecteur d’entrer dans le vécu des professeurs et de une exception, par Skype), pendant deux à quatre mieux comprendre leur utilisation des TIC de leur heures chacun, et en s’inspirant des approches eth- point de vue. Deux des six itinéraires sont en an- nographiques et des récits de vie, entretiens de glais; chacun comporte une synthèse, en français, de type biographique (Pilote et Garneau, 2011). Nous la conception des TIC du professeur. Les itinéraires avons pris des notes pendant ces échanges qui ont sont discutés dans la section subséquente. duré de deux à quatre heures. Nous avons recoupé certaines informations en consultant les curriculum Itinéraire TIC de Sidi vitae des professeurs, leurs sites internet et leur ma- tériel pédagogique. Sidi commence son expérience avec le calcul infor- matique au milieu des années 1980. « En France, Pour commencer l’interprétation des données, j’ai continué. Il y avait un laboratoire avec des or- nous avons développé pour chaque professeur un dinateurs et quelqu’un qui faisait les calculs pour les « itinéraire TIC » qui relate sa rencontre et son in- autres profs. Mais moi, j’ai pu utiliser l’ordinateur teraction avec les TIC. Nous l’avons partagé avec directement. Les gens étaient étonnés de voir que chaque personne concernée, par courriel, en 2011 j’utilisais l’ordinateur et que je venais d’Afrique. J’ai pour apporter des corrections, insérer des commen- toujours aimé travailler avec l’ordinateur. Au départ, taires et ajouter des informations complémentaires. c’était dur ». Alors, comme Pelckmans (2009) dans sa recherche N’étant pas en mesure de s’offrir un ordinateur, il Les récits de vie, plus utilisés en histoire, ont été insti- a acheté une calculatrice de poche programmable. tutionnalisés en sociologie à partir des années 1920 par « J’ai fini en 10 ou 12 minutes ce que les autres fai- des chercheurs comme Robert Park de l’Université de saient en deux heures de temps. J’entrais avec la ma- Chicago et à la suite des évènements de mai 1968 en France par un groupe de chercheurs autour de Daniel chine lors des examens. Les gens pensaient que ce Bertaux (Sanseau, 2005). n’était qu’une machine à calculer ». 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(3) 71 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE comme si le disque dur devenait une extension du C’est en 2005-2006 qu’il a mis un cours en ligne. cerveau. Le processus l’a obligé à mieux le structurer, en in- « Ne pas être à l’origine de la technologie n’est pas diquant des objectifs spécifiques et en fournissant gênant. Mais il est désagréable de ne pas utiliser les d’emblée les exercices et les autoévaluations en nouvelles possibilités ». Sidi insiste sur le fait que même temps que le contenu. Cela prend beaucoup même si les forces derrière les innovations technolo- de préparation et de travail pour mettre un cours giques ne viennent pas de l’Afrique, les Africains ne en ligne, mais une fois fait, cela facilite la vie de peuvent pas les ignorer. « Elles conduisent à une cer- l’enseignant – et aussi de l’apprenant. Le processus taine “industrialisation” de l’enseignement. Person- d’apprentissage, qui était chronologique et rigide, ne ne pourra l’arrêter ». Les enseignants en Afrique devient modulable et flexible. « La documenta- doivent suivre et aussi bâtir leur chemin. Ils doivent tion est facile, et pour eux, et pour moi. Ils peu- sérieusement apprendre et s’approprier les TIC afin vent accéder à l’ensemble d’un programme dès le d’être doublement « présents » pour leurs étudiants. début. C’est appréciable. Normalement, l’étudiant Mais aussi pour participer aux débats et à la construc- ne pouvait pas connaître la dernière leçon avant la tion des savoirs sur le continent et dans le monde. première. Les évaluations et le contenu sont pré- sentés en même temps. Chaque cours est accompa- « Maintenant, le défi est de transformer l’informa- gné d’objectifs précis. Les TIC t’obligent à mieux tion en savoir. L’intérêt est vu par tous par rapport structurer. Ils t’obligent à préparer ». Les étudiants à l’ancien système. Mais l’accès à internet est dif- ont beaucoup plus de liberté dans la poursuite de ficile. Et tout le monde n’a pas les compétences leur apprentissage. « Même pour un seul cours – technologiques ». Il faudrait investir beaucoup plus que l’étudiant a intégralement devant lui –, la prise dans les enseignants – pour les former et aussi les de notes n’est pas fidèle. Après la prise de notes, « transformer ». Sinon « les étudiants du continent l’étudiant peut aller à quelque chose de construit, continueront à consommer le plaisir et les loisirs et quelque chose qui reste. Le cours en ligne devient deviendront culturellement pauvres plutôt que d’en- une deuxième présence du prof auprès de ses étu- trer dans la société du savoir. L’enjeu est de ne pas diants ». De plus, « les perturbations sur le campus être analphabète dans une telle société, autrement n’impactent pas un cours en ligne ». tu seras laissé de côté. Nous devrons agir… Pour se positionner en TIC, il faut des compétences en TIC. Ainsi l’enseignant se sent moins fatigué et plus Pour être présents, nous devrons avoir les compéten- léger. « Ce que je transportais régulièrement dans ces de produire du numérique ». Il estime que seu- mon sac, je ne l’ai plus ». lement 3 formateurs d’enseignants sur 100 dans son Les étudiants ont deux types de réactions face aux pays utilisent les TIC dans leurs enseignements. « Il cours en ligne, selon Sidi. Certains les ont appré- y a des solutions aux résistances, par exemple, pour ciés alors que d’autres ont eu peur et ont résisté. insérer les TIC dans la formation initiale. Mais com- « Comprenant la nécessité de faire face au refus, ment transformer les professeurs déjà en service? » j’ai rassemblé les deux types d’étudiants dans des « Nous, nous n’étions pas au centre de l’information. petits groupes de travail ». C’était le maître et seulement le maître. Il y avait une En théorie, ayant créé une plateforme d’appren- autre conception de la connaissance. Nous devrons tissage et un espace de collaboration, l’enseignant produire nos connaissances, ne pas nous comporter devrait avoir plus de temps – pour faire de la re- comme nos parents. Nous devrons écrire, laisser des cherche et écrire. « Sur l’ordinateur, tu peux ouvrir traces, rompre un peu avec ce passé. La tendance plusieurs thèmes. Tu ouvres, tu notes, tu oublies. nous oblige à être présents sur ce terrain, comme Tu peux travailler sur beaucoup de choses en même pour défendre notre personnalité, notre culture ». temps, faire progresser plusieurs projets en même temps, pour capitaliser tes connaissances ». C’est 72 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU Synthèse de sa conception des TIC : Selon Sidi, les TIC sont un raccourci pour se mettre au même au tableau! ». Elle a aussi découvert le Web et a niveau que les autres (ou les devancer). Tout com- « créé un site sur la littérature. Mon site aidait les me il se sentait un peu malin quand les gens en étudiants à naviguer ». France le regardaient – lui, un Africain – manipuler Avec les TIC, « on a pu finir le programme en juin, un ordinateur, il voudrait que les Africains utilisent même quand l’année scolaire a débuté en retard – de façon stratégique les TIC pour apprendre et pro- en janvier! ». Et Kadijatou a commencé à encadrer duire des connaissances. Il semble convaincu que des étudiantes habitant en dehors de la capitale qui cette action peut transformer positivement la so- trouvaient contraignant de faire le trajet jusqu’à la ciété et aussi contribuer quelque part à un réaligne- ville en raison de leurs responsabilités de parents. ment des relations de pouvoir. Cette appropriation des TIC passe par une rupture avec le passé afin de Elle était frustrée de voir qu’au « niveau du secon- « se lancer sur la scène des innovations », rénover daire, les élèves utilisaient plus l’ordinateur qu’au et défendre la culture africaine. supérieur ». Mais « seulement ceux qui ont étudié à la capitale utilisaient l’ordinateur, pas les autres ». Itinéraire TIC de Kadijatou Elle n’enseigne pas seulement sa matière, « mais Kadijatou a grandi dans une grande famille. « J’étais aussi les thèmes qui sont des défis nationaux et les parmi les aînés. On devrait apporter une aide dans compétences qu’il faudra en plus des connaissances l’éducation des frères et sœurs. On devrait être en théoriques ». En fait, pour elle, les « TIC poussent mesure de soulever les défis. Les enseignants, ainsi les étudiants à faire de la recherche et les aident à que ma famille, m’ont toujours poussée et m’ont entrer dans le monde scientifique ». Mais pas seule- fait comprendre que je pouvais très bien faire. En ment cela. « Si un étudiant sort sans utiliser l’ordi, retour, je voulais aider aussi. Donc j’utilise mes il ne peut pas trouver un travail ». Elle cite avec études pour régler des problèmes… à l’université, fierté l’exemple de plusieurs étudiants qui, en sui- dans ma vie, dans les vies de mes étudiants, dans vant ces conseils, ont obtenu des emplois chez eux. la société ». Elle encourage ses étudiants à élargir leurs connais- sances, à poser des questions, à réfléchir et à être Elle a appris l’utilisation de l’ordinateur avec deux ouverts, flexibles et pratiques. autres étudiants aux États-Unis vers la fin des an- nées 1980. « J’ai même fait un petit boulot avec Consciente de la valeur des TIC dans l’apprentis- l’ordinateur » pour gagner de l’argent. « Mais au sage, elle a convaincu le doyen d’ouvrir un labo- retour au pays, pas d’ordinateur ». Elle a dû se ratoire informatique. Kadijatou affirme : « les TIC battre pour que l’administration de son université m’ont ouvert de nouveaux horizons dans l’ensei- puisse acquérir un ordinateur dans les années 1990. gnement parce que j’étais ouverte à apprendre des « Pour la première fois, nous avons pu faire une autres et à étudier comment eux ils règlent leurs centaine de lettres – et sans erreur – dans une seule problèmes ». journée. Mes superviseurs étaient étonnés ». Synthèse de sa conception des TIC Kadijatou a ensuite enseigné. Elle était surprise de voir que « pour les cours magistraux, le niveau des Kadijatou n’hésite pas à apprendre des autres et à étudiants ne leur permettait pas de prendre de bon- adapter les nouvelles connaissances à son milieu. nes notes. À cause de toutes ces difficultés, j’étais Ayant découvert les TIC à l’étranger, au retour au obligée d’écrire mon cours au tableau. Mais mon pays elle plaide pour leur introduction dans l’ad- bras s’ankylosait. Vers 2005, j’ai dit à mes étu- ministration et l’enseignement à l’université. Les diants de créer des adresses courriel. J’ai commen- nouvelles pratiques avec les TIC l’aident à faire ce cé à leur envoyer les cours. Plus besoin d’écrire qu’elle ne pouvait pas faire auparavant : s’écono- 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(3) 73 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE Bakri souligne comment le maniement d’internet miser physiquement, finir le programme même lors rend les étudiants plus actifs dans leur quête de des grèves sur le campus, suivre des étudiants qui connaissances, et moins peureux vis-à-vis des en- sont en dehors de la capitale. Pour elle, les TIC sont seignants. Non seulement ils posent des questions, pratiques. Elles l’aident à préparer les jeunes à ob- mais ils collaborent plus facilement entre eux. En tenir du travail et aussi à apporter leur contribution fait, il semble frustré de voir que les étudiants assi- à la nation et au monde scientifique. La vision de milent plus rapidement les avantages offerts par les Kadijatou d’arrimer dans l’enseignement et l’ap- TIC que les enseignants. Il mentionne l’existence prentissage les connaissances pratiques et théori- de clubs internet pour les étudiants dans différentes ques informe sa façon de s’approprier les TIC. facultés sur le campus, alors que rien de sembla- ble n’est initié par les professeurs. Ce n’est qu’en Itinéraire TIC de Bakri 2010 et 2011 qu’un réseau d’enseignants utilisant internet dans l’enseignement est initié, et ceci par Bakri a été confronté à l’informatique pour la pre- l’UNESCO. En même temps, il déplore le fait mière fois dans les années 1980, dans son pays qu’il n’y ait pas de soutien matériel plus systéma- d’origine, grâce à son université et à des partena- tique pour les élèves travaillant de façon novatrice riats universitaires étrangers (avec la France) et à la avec les TIC, par exemple dans le développement coopération au développement dans l’enseignement de logiciels pour effectuer des calculs mathémati- supérieur (à travers l’USAID). Comme il a été un ques complexes. Et l’accès généralisé aux TIC sur des premiers à s’intéresser à une salle informati- le campus demeure un véritable défi. que nouvellement installée dans l’école de forma- tion des enseignants, il est devenu responsable de Il suggère de revoir ce qui a été appris mais oublié, formation en TIC. Les années 2000 et 2001 ont été et d’en sélectionner ce qu’il faudra combiner avec une période de changements majeurs avec la mise de nouvelles connaissances provenant de diverses à disposition d’internet au campus francophone nu- sources. « La connaissance ne provient pas d’un mérique et aussi, via l’Université de Strasbourg, la seul peuple. Il faut prendre dans chaque invention, formation à distance dans l’utilisation des TIC dans en l’occurrence internet, l’aspect positif, et ce, en l’enseignement. tenant compte des valeurs sociétales. De façon traditionnelle, nous allons vers les autres. Depuis Son utilisation d’internet dans l’enseignement lui toujours, nous aimons échanger, apprendre avec permet de finaliser le programme avec ses étudiants, les autres, avoir le point de vue des autres. Les pa- même quand l’année scolaire est interrompue pour rents envoient leurs fils à Mopti, par exemple, pour une raison ou une autre. Avec internet, alors, le apprendre le Coran auprès d’un guide religieux. » processus éducatif se poursuit, malgré les distances Lui, il a voyagé à Paris pour apprendre les sciences entre lui et ses étudiants, entre son université et une naturelles dans un environnement collaboratif. La université partenaire en France. La virtualité est collaboration, explique-t-il, « fait partie de la so- introduite dans l’enseignement et l’apprentissage à ciété africaine ». l’université. L’accès à internet lui a donné égale- ment la possibilité d’aller au-delà des livres : « Je Synthèse de sa conception des TIC : Bakri s’im- télécharge des ressources et je les imprime, et les plique rapidement dans les projets collaboratifs étudiants les reproduisent. Je peux aussi envoyer intégrant les TIC. Il est impatient et voudrait que mes étudiants consulter des sources particulières ». l’esprit d’innovation soit renforcé. Il pense que Il a également créé pour eux un site internet qui l’intégration des TIC dans l’enseignement et l’ap- fournit par exemple des sources sur l’utilisation des prentissage aidera à restaurer les éléments positifs statistiques. des enseignements traditionnels perdus dans l’ur- UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éduca- USAID : Agence américaine pour le développement tion, la science et la culture / United Nations Educational, international / United States Agency for International Scientific and Cultural Organization Development 74 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU banisation. Cela suggère un véritable dialogue et une construction entre ce qui est appris chez soi et “ICT allows us to redefine relationships in all sorts ce qui vient d’ailleurs, entre le village et la ville, of ways. And we do not necessarily get better re- entre les générations et les cultures. sults, but we can sometimes get closer. I use ICT in learning and exchange of information, and in ICT itinerary of Isadora relationships of learning. With students, we have used internet to look up Bob Marley’s lyrics, in stu- “Oh, I started using ICT a long time ago. I am es- dying what it means to be an African, in trying to sentially a communicative being. Communication understand who lays claim to Africa, attributes of is what characterizes me. geography, attributes of sociability… “I studied in Europe in the late 1980s, about the “With ICT, we tame time and space. We do from a same time internet was coming up. We used it to distance what ordinarily we couldn’t. We can bene- communicate within the university, but not outside. fit from something that would have taken time to We would even telephone people over the compu- get to us. Before you could mail me a letter with a ter – we call that ‘chat’ now.” Isadora explains how photo, and it might takes months to get to me. With she used the computer to type her thesis and also to Skype we consume instantly. I’ve given lectures write stories and make history. “When you write a from Africa, with students in Europe or North Ame- good story that’s published, isn’t that making his- rica asking questions. If you want to illustrate Lady tory?” Gaga and her craziness in a lecture, you go to You- Tube, click, and she appears in the classroom.” Her use of ICT changes gradually, as her knowled- ge changes. “Now I can move around three com- What are the dangers of using ICT in the classroom? puters: one desktop, one laptop, and one notebook “That’s a silly question. I do not see ICT as a set of – copying materials from one to the other, including negatives and positives but as complexity.” audio recordings that are part of my research. Some Do you wish ICT had been invented in Africa? Do frustrations have increased, others dimensioned. you feel you’re using the colonizers’ tools? “ICTs Some of the greatest frustrations are around access. are independent neutral technologies harnessed Availability is not synonymous with affordability. differently by different peoples. Don’t you know “For me, ICT is a set of relationships that hooks me that Silicon Valley is peopled by Asians and that the up with others. Cell phones for example are ways West outsources? I would say we are using the to- to reach out to people, to make yourself available, ols of the colonized. Technology does not belong to an enabling technology. And I use Skype to reach the West. It’s a global ecumen – different religions out to people with something useful for what I’m dialoguing together. studying. I use ICT in relation to other things. I “ICTs are merely dimensions of what has always never use them just for themselves. ICT facilita- been. Virtual space is an intimate and intricate di- tes relationships and encounters, enables connec- mension of reality. Growing up, certain things we tions, disconnections, junctions, disjunctions. It’s a experienced were explained as witchcraft. Now I crossroads. ICT is never autonomous, or all power- know better. They had to do with technology. Yes, ful. Never stands alone. It’s embedded in social re- ICT is like modern witchcraft. With ICT, virtuality lationships.” is ever more present.” You said ICT allows us to cross boundaries? “Yes, social boundaries, and physical boundaries. Boun- daries between magic and reality. Between pover- ties and riches. The poor experience the world of the rich. And poverty enters and agitates rich be- drooms. 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(3) 75 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE ment auprès d’un fournisseur. Il voulait que ses étu- Synthèse de sa conception des TIC diants expérimentent, lors de leurs apprentissages, l’autonomie et la proactivité qui ont caractérisé les Pour Isadora, l’utilisation des TIC facilite la mobi- siens. Il a mis ses cours en ligne et a échangé avec lité et la connectivité et permet de franchir les fron- les étudiants par courriel. Le processus pédagogi- tières, y compris entre les individus, et avec plus que est ainsi allé au-delà de la salle de classe. de rapidité. Il se sert de l’ordinateur et de l’internet Il explique comment il combine deux approches d’abord au sein de l’université et aussi pour faire sa thérapeutiques et pédagogiques : ce qu’il a appris thèse. Grâce aux TIC, il écrit et partage l’Histoire de sa grand-mère (guérisseuse traditionnelle d’une et des histoires, des réflexions sur les perspectives grande autorité) et ce que lui a enseigné l’école (la africaines. Et il peut être présent – même dans une non-directivité de Carl Rogers par exemple). Il salle de classe aux États-Unis – sans monter dans compare son enseignement à sa pratique clinique un avion. Le contenu sur internet entre dans la salle hospitalière qu’il poursuit à côté de l’enseignement de classe, par exemple par YouTube, et enrichit les et qui attache du prix à l’écoute. « Il n’y a pas de discussions. Le téléphone mobile et Skype facili- solutions toutes faites. Le médecin en adoptant la tent la communication et les relations. Dans son posture d’un accompagnateur chemine avec le pa- rapport avec les TIC et dans la mobilisation de ses tient pour essayer de trouver une solution appro- réseaux pour la recherche et l’apprentissage, l’oral priée et acceptable pour tous ». Cette approche de est aussi important que l’écrit. On peut dire qu’avec recherche de solutions et d’accompagnement nous les TIC le relationnel est virtuel et intensifié, l’Afri- informe sur sa façon de s’approprier les TIC dans que est plus connectée au monde et plus présente l’enseignement. dans le monde. Synthèse de sa conception des TIC Itinéraire TIC de Kannou L’utilisation des TIC par Kannou et l’incitation de Kannou tire parti des circonstances de la vie. Les ses étudiants à faire de même sont liées à une pro- TIC ont été pour lui une occasion favorable. Il les a fonde soif de savoirs, de construction de connais- investies personnellement et financièrement pour se sances, de promotion professionnelle, de réalisation perfectionner (en suivant des cours d’informatique et de reconnaissance. Kannou semble transmettre à en cabinet privé et à travers l’UNESCO et l’AUF). travers son enseignement et son utilisation des TIC Son initiation à l’utilisation des TIC a visé, dans un des valeurs qui lui ont été inculquées par son édu- premier temps, l’amélioration de la qualité de ses cation. Par exemple, il a appris qu’« il ne faut pas productions écrites (mémoires et rapports mieux tomber dans les considérations trop matérielles ». écrits et avec moins de fautes d’orthographe) et à Il faut résoudre les problèmes et surmonter les dif- être plus autonome par rapport aux prestations d’un ficultés. Il faut aussi la persévérance et le dialogue. secrétaire. J’ai été impressionnée par la manière dont Kannou En second lieu, le recours aux TIC a influencé son prend soin de son ordinateur qui est rangé dans un approche pédagogique. Il a commencé à percevoir sac très ordonné. J’imagine qu’il doit être aussi sa- l’apprentissage non pas comme une accumula- cré pour lui que les outils de travail de sa grand- tion, mais comme un processus de construction de mère, une guérisseuse. connaissances – « les étudiants accompagnés par un enseignant sont actifs dans leur processus d’ap- Carol Rogers (1902-1987) était un psychologue huma- prentissage ». Il a encouragé tous ses étudiants à niste nord-américain. Dans la psychologie clinique et la l’université à acquérir un ordinateur. Pour ce faire, relation d’aide (counseling), il utilisait l’approche centrée il est allé jusqu’à leur négocier des facilités de paie- sur la personne, qui « met l’accent sur la qualité de la re- lation entre le thérapeute et le patient (écoute empathique, AUF : Agence universitaire de la Francophonie authenticité et non-jugement) » (Wikipédia). 76 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
RITPU • IJTHE questions that can be revised and updated at any ICT itinerary of Aaron time.” In a course on cooperative learning, “I stress a lot Before Aaron started using a computer in teaching on micro-teaching. I bring a video camera. I hire in 2003, he used other media in teaching. “We used it. Students pay about 100 CFA francs each. We local materials to produce flip charts, insect boxes, distribute real class topics, like the geography of books of leaves, flannel graphs, etc. We used to a certain country. Then students form groups and produce a lot of it.” Aaron ended up with oodles of arrange when to meet. They create their own Yahoo materials occupying the teachers’ rooms of the two group and build up their topics. When they present universities where he teaches. their work, we videotape them, for the micro-tea- “When the computer came, I switched over.” He ching session. We review their pedagogical prac- bought his own computer when at a conference tices. See what they did well on so they can keep abroad but finally was able to use and manage a on, and where they need to improve, etc.” Micro- computer lab installed at the university. “I showed teaching is made easier; and the storage capacity students how to search the internet. I continued tea- of internet and CDs can be handier than having to ching the instructional design course but moderni- store materials in teachers’ rooms. zed it. We began stocking the lessons produced in In addition to a computer, Aaron also bought him- Yahoo groups, and later in Google groups and on self an overhead projector. “People asked if the moodle.org. The advantage is that students who will university is paying for it. I say no. But it’s what be teachers tomorrow have access not only to their I need. Without it, the work I want done won’t get own modules but also those developed by friends. done. You have to do all to acquire certain things My students produced modules for example for yourself.” It was not obvious to find a video projec- biology that include units on photosynthesis, respi- tor readily available for class time, so Aaron would ration, osmosis, locomotion, etc. The process pro- turn the slides of a PowerPoint presentation he pre- duced good course materials because many people pared for a class into transparencies, which he pro- contributed. Teachers can download, modify, add jected using the overhead projector. and subtract to what has been created. A group of teachers can create open educational resources for A student evaluates Aaron’s course as follows: “The a course they all teach to avoid unnecessary dupli- knowledge I gained from your classes is being ap- cation.” plied when I want to know something which I can- not find in a book. I go to search it in internet. I also Students would send their assignments to the Ya- communicate using Yahoo messenger.” hoo group email address, and Aaron would receive per day almost a couple hundred messages needing Aaron said he noticed how interested student tea- validation before they could be posted. “Someti- chers are in internet. He insists that when students mes students don’t call me teacher but moderator, use media, they understand better and faster and because the person who runs a Yahoo group is a retain better. Media is easy to use, “but it takes moderator.” Le micro-enseignement est la simulation de la pratique de l’enseignement. L’objectif est de donner aux enseignants In a measurement and evaluation course, Aaron la confiance, le soutien et la rétroaction en leur faisant teaches student teachers to use the computer to essayer entre amis ou collègues une courte tranche de ce develop multiple choice questions. He asks them qu’ils comptent faire avec leurs élèves. Source : http://isi- to design 40 multiple choice questions on specific tes.harvard.edu/fs/html/icb.topic58474/microteaching. topics in relation to say a biology course. In the stu- html Voir aussi Crahay, M. (1979). Un essai de micro-ensei- dent work he shared with me, topics included plant gnement : une perspective fonctionnelle. Revue française and animal nutrition and reproduction. “Once they de pédagogie, (48), 21-34. http://dx.doi.org/10.3406/ do it, they post it. Then they have multiple choice rfp.1979.1701 77 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
RITPU • IJTHE Discussion time to plan.” Notes prepared using a computer can be uploaded to a digital platform so students may Nous discuterons les résultats de l’investigation easily access them. Notes can be revised year after qualitative en deux volets : a) comment les pro- year. He explains that those not using technologies fesseurs se sont intéressés aux TIC et ce que leur have not been trained. “You won’t fall into some- utilisation a changé dans leur enseignement, puis thing that you don’t know.” b) pourquoi ils s’approprient les TIC dans leur en- It does not bother Aaron at all that internet comes seignement. from elsewhere “because even the books and pens Attraction aux TIC et découverte de leurs we use come from outside. The cars we drive too, possibilités pédagogiques and no one cares. We are lucky these teaching tools are available nowadays to facilitate the tea- Les professeurs expliquent comment ils ont dé- ching enterprise” and, he adds, that bandwidth is couvert l’ordinateur, de façon générale, au milieu increasing and prices in many cyber cafés are affor- des années 1980 et l’internet à partir de 2000, juste dable. Now even the text messaging and voice mail quelques années après leur commercialisation de features of the mobile phone can help with learning masse. Ils sont partis à la recherche des connais- beyond the classroom. “The important thing is to sances, en voyageant en Europe ou en Amérique du create and access our learning materials easily, and Nord ou grâce aux partenariats étrangers avec leurs upload them in such a way that they are also used universités en Afrique. Cette recherche de nouveaux by outsiders.” horizons commence au foyer familial – souvent au village – et passe par l’école et de multiples autres Synthèse de sa conception des TIC étapes avant la découverte de l’ordinateur au sein de l’université. Ils profitent de voyages à l’étranger Aaron est vraiment à l’aise avec la technologie, et il pour acheter un ordinateur qui devient aussi impor- est convaincu que leur utilisation dans l’enseigne- tant pour eux que la daba ou la houe au paysan dans ment approfondit la compréhension de la matière. son champ. Il intègre, progressivement et aisément, les nouvel- les technologies – y compris le téléphone mobile Tous les professeurs ont exprimé leur appréciation – dans son enseignement, et cela a fait évoluer son du nouveau type de mobilité offert par les TIC. Le rôle vers celui d’un modérateur. Quand cela est jus- monde des connaissances est soudainement plus tifié par le contexte, il valorise aussi les « ancien- vaste et accessible, en même temps que les ensei- nes » technologies, en utilisant un rétroprojecteur gnants se rapprochent de leurs collègues, qu’ils par exemple. La participation – des étudiants et de soient près ou loin, à travers l’utilisation des TIC. l’enseignant – dans le financement de ces technolo- La virtualité entre en scène. Pour Isadora, la mytho- gies est importante pour lui, sachant que le soutien logie et la science, l’ésotérique et le réel coexistent. du système éducatif peut tarder. Le partage aussi Dans un tel environnement, embrasser la virtualité est essentiel : Aaron s’intéresse à l’ouverture de se fait sans problème. Et pour Aaron qui est déjà l’enseignement et de l’apprentissage, à travers la technologiquement branché, les TIC ne sont qu’une mise en commun de leçons et de contenus sur in- continuation d’un domaine qu’il connaît bien. ternet. On sent qu’il serait fier de voir l’expertise et Après l’intérêt initial pour les TIC, avec leur utili- la créativité des enseignants africains mieux parta- sation, la façon d’enseigner et d’apprendre semble gées et consultées. changer. L’apprentissage n’est plus perçu comme une accumulation des connaissances, mais un pro- cessus de construction (Kannou). Celui-ci devient moins linéaire et plus flexible (Sidi) et les façons d’interagir avec les apprenants changent et se di- 78 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(3) www.ritpu.org
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