Poussés au-delà de nos limites - RAPPORT - Une année de lutte contre la plus vaste épidémie d'Ebola de l'Histoire - Médecins Sans ...
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RAPPORT Poussés au-delà de nos limites Une année de lutte contre la plus vaste épidémie d’Ebola de l’Histoire
Sommaire Au cours des douze derniers mois, des milliers de travailleurs 5 Tirer la sonnette de la santé ont risqué leur vie pour venir en aide aux patients d’alarme et lutter contre l’épidémie d’Ebola tout en étant confrontés à la 9 Une coalition mondiale stigmatisation et à la peur au sein même de leur communauté. de l’inaction La vulnérabilité du personnel médical à Ebola est une double tragédie car le virus tue les personnes censées enrayer sa 14 Dernier espoir de progression. À ce jour, près de 500 travailleurs de la santé ont contrôler l’épidémie succombé à Ebola en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. 17 Pas de remède… mais des soins À travers ce rapport, nous rendons hommage à nos 14 collègues de MSF qui ont perdu la vie en Guinée, en Sierra Leone et au 22 Et ensuite ? Libéria au cours de l’épidémie. Leur disparition est une grande 24 Carte de la région perte et nous tenons à exprimer notre plus profonde sympathie à leurs familles et à leurs amis. Patients Ebola Centres Ebola Dépense 'HSXLVOHGpEXWGHO·pSLGpPLHHQ$IULTXHGHO·2XHVW06) (Q06)DGpSHQVp euros dans sa lutte 8.351 personnes admises dans les centres a mis sur pied FHQWUHVGHSULVHHQFKDUJHG·(ERODHW FRQWUH(EROD GHSULVHHQFKDUJHG·(ERODGH06) de transit* Sierra Leone Guinée Libéria Libéria Sierra Leone Guinée 4.962FDVG·(ERODFRQÀUPpV 2.329 personnes guéries dans nos centres GHSULVHHQFKDUJHG·(EROD * Les centres de transit accueillent, pour une courte durée, 789 668HXURVRQWpWpGpERXUVpVSRXUOH0DOLOH1LJpULD les patients attendant leurs résultats sanguins. Si les et le Sénégal. tests se révèlent négatifs, ils peuvent partir ; dans le cas contraire, ils seront transférés dans un centre de prise en FKDUJHG·(EROD PHOTO DE COUVERTURE 5 octobre 2014, centre de traitement de Monrovia, au Libéria. Revêtu d’un équipement de protection, un membre du personnel médical de MSF porte un enfant soupçonné d’être atteint d’Ebola. © John Moore/Getty Images |2
s’ajoutant aux décès directement impu- Introduction tables à Ebola. Un an plus tard, le climat de peur et l’am- pleur de la désinformation continuent à limiter la capacité du personnel soignant à éradiquer le virus. En Sierra Leone, Un an après le début de l’épidémie d’Ebola la plus meurtrière des foyers actifs persistent, tandis qu’en Guinée, le personnel de santé a essuyé de l’Histoire, au moins 24.000 personnes ont été infectées par de violentes attaques en raison de la le virus et plus de 10.000 d’entre elles ont perdu la vie. Ebola a méfiance et de la peur toujours bien pré- détruit des vies et des familles, laissant de profondes cicatrices, sentes au sein de la population. Fait plus et a déchiré le tissu social et économique de la Guinée, du Libéria encourageant : parmi les pays touchés, le Libéria a enregistré le plus net recul et de la Sierra Leone. du nombre de cas. Toutefois, le risque Le virus a fait son chemin à travers ces Malgré cette tragédie, le monde a, dans d’une nouvelle flambée subsistera tant trois pays, atteignant une propagation un premier temps, ignoré les appels à qu’Ebola continuera à se propager en géographique sans précédent. La peur l’aide, puis s’est décidé à réagir sur le Guinée et en Sierra Leone, pays voisins. et la panique se sont abattues sur la po- tard. Dans l’intervalle, plusieurs mois pulation, les malades et leurs familles ont été perdus et de nombreux malades Un défi d’envergure nous attend encore. ont sombré dans le désespoir et le per- sont morts. Nul ne connaît le nombre Pour pouvoir déclarer la fin de l’épi- sonnel de santé national ainsi que les exact de décès provoqués par l’épidémie. démie, nous devons identifier jusqu’au équipes de MSF se sont retrouvés dé- En effet, suite à l’effondrement – consé- dernier cas. Il nous faut pour cela faire bordés et épuisés. Les soignants, qui ne cutif à l’épidémie – des services de santé, preuve d’une méticulosité pratiquement disposent d’aucun traitement pour com- les décès dus aux cas de paludisme non inédite dans le domaine des interven- battre la maladie, ne sont ni formés ni traités, aux accouchements compli- tions humanitaires médicales sur le ter- préparés au fait de perdre au moins 50% qués et aux accidents de la circulation rain. Nous ne pouvons nous permettre ni de leurs patients. ont considérablement alourdi le bilan, erreurs ni complaisance, car le nombre de nouveaux cas par semaine reste plus Centre de traitement de MSF à Kailahun, en Sierra Leone. Une équipe médicale s’apprête à élevé que lors de toutes les épidémies entrer dans la zone à risque. précédentes. Les succès engrangés © Sylvain Cherkaoui/Cosmos 3|
dans une zone, en termes de recul du nombre de cas, peuvent se voir rapide- UNE ANNÉE TRISTEMENT EXCEPTIONNELLE ment anéantis par une recrudescence Bien que MSF ait contribué à endiguer, avec d’autres, les épidé- subite et inattendue dans une autre région. mies d’Ebola dans neuf pays au cours des 20 dernières années, l’épidémie qui sévit en Afrique de l’Ouest s’est révélée d’une Beaucoup de questions mais peu ampleur catastrophique, unique dans l’histoire. Depuis un an, de réponses simples MSF a été poussée au-delà de ses limites et a dû déployer une Un an après le début de l’épidémie, de réponse marquée par un grand nombre de mesures inédites très nombreux points d’interrogation subsistent. Comment l’épidémie a-t- pour l’organisation, bien souvent prises dans des circonstances elle pu devenir si incontrôlable? Pour- tragiques et difficilement descriptibles. quoi la communauté internationale a-t- Pour la première fois : elle tant tardé à prendre conscience de la gravité de la situation et à réagir ? Que ∙ Nous avons perdu autant de patients ∙ Lorsque les services nationaux peut-on mettre sur le compte de la peur, à cause d’ Ebola (2.547 décès). Cette d’inhumation ont été débordés par de l’absence de volonté politique et d’ex- hécatombe a été un véritable choc le nombre de décès, nous avons pertise, ou d’une combinaison funeste pour les équipes de MSF. Même acheminé et construit des inciné- de ces trois facteurs ? Les choix opérés dans la plupart des zones de guerre, rateurs pour brûler des corps à par MSF étaient-ils les meilleurs ? Com- perdre un si grand nombre de Monrovia. ment notre organisation aurait-elle pu patients en si peu de temps est inouï. ∙ Nous avons distribué à près de faire plus et sauver davantage de vies ? ∙ Nous avons vu des collègues de MSF 600.000 habitants de Monrovia Qu’avons-nous appris de cette épidémie infectés par Ebola. 28 sont tombés quelques 70.000 kits de protection et et que faudra-t-il faire différemment à malades et 14 ont succombé au virus. désinfection à domicile. l’avenir ? Beaucoup de questions mais ∙ Nous avons dû refuser d’admettre ∙ Nous avons distribué des médica- peu de réponses simples. des malades atteints d’Ebola, ments contre le paludisme à plus de lorsque notre centre de prise en 650.000 personnes à Monrovia et à Les équipes de MSF sont encore absor- charge de Monrovia a été saturé par 1,8 million de personnes à Freetown. bées par la lutte contre l’épidémie. Il est le nombre de patients. ∙ Nous avons construit un centre de difficile de tirer des conclusions défini- ∙ Nous avons répondu à une épidémie maternité spécialisé pour accueillir tives sans avoir le recul nécessaire pour de fièvre hémorragique virale les femmes enceintes souffrant procéder à un examen critique détaillé d’une ampleur sans précédent dans d’Ebola. de la situation. Ici nous présentons les plusieurs pays en même temps : ∙ Nous avons entrepris le plus vaste premières réflexions sur l’année écoulée Ebola en Guinée, en Sierra Leone, effort de transfert de connaissances et décrivons les moments clés et les au Libéria, au Nigeria, au Mali et au de l’histoire de MSF en dispensant, principaux défis d’après le point de vue Sénégal, plus une épidémie d’Ebola, dans nos sièges, une formation aux du personnel de MSF. Des analyses plus sans lien avec l’épidémie principale, procédures sécurisées de prise en approfondies suivront très certainement. en République Démocratique du charge d’Ebola à 800 membres du Congo et une épidémie de fièvre de personnel de MSF ainsi qu’à 250 Ce rapport repose sur plusieurs di- Marburg en Ouganda. membres du personnel d’autres zaines d’entretiens, qui nous ont permis ∙ Nous avons répondu à une épidémie organisations, comme l’Organisation de recueillir des instantanés de la réa- d’Ebola couvrant une zone géo- Mondiale de la Santé, le Center for lité vécue par nos équipes sur le ter- graphique si vaste et touchant des Disease Control (CDC) américain, rain et au niveau du siège depuis un an. centres urbains densément peuplés. et d’autres organisations comme Nous avons été mis à l’épreuve, poussés ∙ Nous avons dû détacher des IMC - International Medical Corps, au-delà de nos limites, et nous avons ressources humaines d’autres GOAL, Save the Children et la Croix- commis notre part d’erreurs. projets d’urgence MSF. Le personnel Rouge française, entre autres. Des international et national détaché du centaines d’autres personnes ont par Un autre constat s’impose : personne siège et d’autres projets MSF dans ailleurs été formées sur le terrain. n’était préparé à la propagation ni à le monde s’élève à 213 personnes sur ∙ Nous avons démarré des essais cli- l’ampleur cauchemardesques de l’épi- les 1.300 volontaires internationaux niques de traitements et de vaccins démie d’Ebola. Sa nature exception- déployés pour combattre Ebola. expérimentaux en pleine épidémie. nelle a montré l’inefficacité et la len- ∙ Nous avons ouvert un centre de ∙ Nous avons pris la parole devant teur des systèmes de santé et de l’aide prise en charge d’Ebola doté de l’Assemblée Générale des Na- humanitaire dans leur réponse aux ur- 250 lits. Par le passé, le plus grand tions Unies, pour alerter les États gences. Sous les yeux du monde entier, centre que nous avions construit pour membres sur le fait que le monde les pratiques habituelles ont vite révélé répondre à une épidémie d’Ebola était en train de perdre la bataille leur insuffisance, une inadéquation de d’envergure comptait 40 lits. contre Ebola. moyens qui s’est soldée par des milliers de morts. Quelles leçons pourrons-nous tirer de ces erreurs ? |4
Tirer la sonnette d’alarme « Sans précédent », « hors de contrôle » : la guerre des mots Une « mystérieuse maladie » plus approfondi, j’ai dit à mes collègues : formation du personnel médical local Le 14 mars, le Dr. Esther Sterk, du bu- Nous avons manifestement affaire à une aux mesures de protection personnelle, reau de MSF de Genève, est informée fièvre hémorragique virale. Nous de- sensibilisation au virus dans les commu- d’une « mystérieuse maladie » dont fait vrions nous préparer à une épidémie nautés locales, enterrements sécurisés état le ministère de la santé guinéen. d’Ebola, même si cette maladie n’a ja- et organisation d’un service d’ambu- Plusieurs membres du personnel mé- mais été signalée dans cette région. » lances. Peu après, le Dr. Van Herp rejoint dical ayant traité les malades sont dé- l’équipe pour initier le dépistage, recher- cédés et la mortalité est très élevée. Trois équipes d’urgence de MSF sont dé- cher les cas suspects dans la région et Soupçonnant un foyer de fièvre hémorra- ployées sur-le-champ, une de Genève surveiller la propagation du virus afin de gique virale Lassa, elle transmet le rap- et une de Bruxelles, les deux dotées de de la contenir. port décrivant les symptômes des cas au renforts et de matériel. La troisième, une Dr. Michel Van Herp, épidémiologiste en équipe de MSF basée en Sierra Leone et Le 21 mars, tard dans la soirée, arrive la chef pour les fièvres hémorragiques vi- ayant déjà eu à traiter des fièvres hémor- confirmation du laboratoire ayant ana- rales au siège de MSF à Bruxelles. ragiques, est redirigée de l’autre côté de lysé les échantillons envoyés en Eu- la frontière. Équipée de matériel de pro- rope. Le 22, le ministère guinéen de la « Dans ce rapport médical, l’élément tection, elle est la première à arriver à santé déclare officiellement l’épidémie qui a tout de suite attiré mon attention, Guéckédou, en Guinée, le 18 mars. d’Ebola. c’était les hoquets, un symptôme ty- piquement associé à Ebola », se sou- Se fiant à ses premières impressions, Une propagation sans précédent vient le Dr. Van Herp. « Après un examen l’équipe lance immédiatement les acti- Le travail d’enquête des épidémiolo- vités prioritaires prévues en cas d’épi- gistes révèle certaines chaînes de trans- Le centre de traitement d’Ebola de MSF à démie d’Ebola : prise en charge des mission sans lien entre elles dans dif- Kailahun, en Sierra Leone. malades à l’hôpital de Guéckédou, férentes zones de la Guinée forestière. © Sylvain Cherkaoui/Cosmos
© Amandine Colin/MSF Guinée, 31 mars. des épidémies antérieures et n’est pas d’identifier les cas et de mener une en- non plus sans précédent. quête. Les symptômes peuvent être fa- Qui plus est, une grande partie des per- cilement confondus avec ceux d’autres sonnes infectées a de la famille au Li- « Nous avions affaire à l’espèce Zaïre, la maladies, comme le choléra et le palu- béria et en Sierra Leone, pays voisins. souche d’Ebola la plus mortelle, qui se disme, et les experts formés pour recon- propageait dans une région non pré- naître Ebola sont rares, tant au sein de « Nous commencions à comprendre que parée, alors que les malades et leurs MSF que dans le monde en général. la propagation de cette épidémie était proches se déplaçaient à une échelle tout à fait inédite. Quelques jours après que nous n’avions jamais vue aupara- Toutefois, les épidémies antérieures mon arrivée, nous avons reçu une alerte vant. Même les défunts étaient trans- étaient apparues, pour l’essentiel, dans faisant état de cas suspects de l’autre portés d’un village à l’autre », se souvient des villages isolés de l’Afrique centrale côté de la frontière, à Foya, au Libéria le Dr. Van Herp. ou de l’Est, où elles étaient plus faciles Ensuite, la situation a évolué de mal en à contenir. Cette nouvelle épidémie pis : neuf jours plus tard, un cas confirmé « Nous avons mis en balance le risque d’Ebola est quant à elle apparue aux est apparu à 650 km de Guéckédou – à d’accroître encore la panique par rapport frontières entre la Guinée, le Libéria et la Conakry, capitale de la Guinée », raconte à la certitude que cette épidémie serait Sierra Leone, frontières perméables que Marie-Christine Ferir, coordinatrice des beaucoup plus difficile à contrôler que les habitants des trois pays franchissent urgences à MSF. toute autre épidémie passée », explique régulièrement. le Dr. Van Herp. « Je n’avais quant à moi Le 31 mars, MSF déclare publiquement aucun doute quant à l’ampleur sans pré- La peur et la suspicion face à un virus in- qu’il s’agit d’une épidémie « sans précé- cédent de cette épidémie : toutes nos connu, les pratiques funéraires propices dent » en raison de la dissémination géo- sonnettes d’alarme s’étaient déclen- à la transmission du virus, la méfiance graphique des cas. Ce qui aujourd’hui pa- chées dès le départ. » vis-à-vis des politiciens, des cas passés rait évident est jugé, à l’époque, comme sous silence ou des malades cachés et la exagéré et alarmiste par beaucoup. Un virus sans frontières faiblesse du système de santé publique, Depuis plus de trois mois, Ebola se pro- qui n’a pas les moyens de diagnostiquer Le 1er avril, l’Organisation mondiale pageait sans attirer l’attention. Mais il Ebola et d’y répondre efficacement : au- de la santé (OMS), par le biais de son n’est pas rare que cette maladie reste tant de facteurs qui ont contribué à la porte-parole principal à Genève, est la non diagnostiquée pendant un certain flambée du virus dans toute la région. première organisation à mettre en doute temps. Lors des huit précédentes épi- la déclaration de MSF, arguant que la dy- démies d’Ebola, près de deux mois en namique virale ne diffère pas de celle moyenne avaient été nécessaires avant |6
Déploiement des équipes MSF en ordre dispersé Pendant les deux premières semaines, LES SIX MESURES CLÉS POUR PARVENIR À plus de 60 travailleurs internationaux CONTRÔLER UNE ÉPIDÉMIE D’EBOLA de MSF ont été déployés en Guinée et ont mis en place trois centres de prise en charge Ebola à Guéckédou, Macenta 1. Isoler les patients dans des centres de de prise en charge d’Ebola dotés de et Conakry, tout en vérifiant les cas sus- personnel formé, dispenser des soins de soutien et offrir un soutien psycho- pects et en essayant de mener toutes les social aux patients et à leurs familles. autres activités prioritaires « standard » 2. Assurer et promouvoir des inhumations sécurisées au sein des prévues lors d’une épidémie d’Ebola (voir communautés. encadré « Les six mesures clés pour par- 3. Mener des activités de sensibilisation à grande échelle afin d’aider les com- venir à contrôler une épidémie d’Ebola). munautés à comprendre la nature de la maladie, les mesures de protection et la façon dont elles peuvent aider à freiner sa propagation. Ces activités sont « Au début, le problème n’était pas le plus efficaces lorsqu’elles prennent en compte la culture et les traditions des nombre de cas mais la dissémination des communautés. foyers sur de nombreuses zones. Par le 4. Mener et promouvoir une surveillance active et précise de la maladie afin de passé, comme Ebola restait confiné dans localiser les nouveaux cas, d’assurer le suivi des voies de transmission pro- la même zone, nous étions en mesure bables et d’identifier les sites qui nécessitent une désinfection méticuleuse. d’organiser rapidement les opérations 5. Conduire et promouvoir un traçage actif et méticuleux des personnes à dans la zone en question afin de contenir risque car ayant été en contact avec des malades. Si les contacts ne sont pas l’épidémie », explique le Dr. Armand cartographiés et suivis, l’efficacité de toutes les autres mesures est compro- Sprecher, spécialiste de santé publique mise et la maladie continue à se propager. chez MSF. « Cette fois, les gens se dépla- 6. S’assurer que des soins médicaux restent accessibles pour les patients çaient beaucoup plus et Ebola a voyagé ayant besoin de soins non liés à Ebola (paludisme, maladies chroniques, avec eux. Nous devions donc reproduire soins obstétriques, etc.). Cette mesure nécessite la mise en œuvre de me- nos interventions à différents endroits et sures de protection et de politiques strictes pour les services de santé et leur déplacer nos quelques soignants expéri- personnel, en particulier dans les zones où des contacts sont possibles avec mentés tels des pions d’un jeu d’échec, des patients atteints d’Ebola. en tâchant d’évaluer où ils seraient les mieux placés pour agir rapidement. » Le 31 mars, des cas sont confirmés au Libéria. L’une des équipes de MSF en Guinée est redirigée sur place afin de créer des centres d’isolement à Mon- rovia et à Foya, et de former le personnel de santé. Douze cas seulement sont dé- clarés en dix jours et, à la mi-mai, la si- tuation semble être sous contrôle au Li- béria. Après 21 jours sans nouveaux cas et une fois le personnel médical local © Joffrey Monnier/MSF formé, l’équipe de MSF quitte le pays pour aller prêter main forte aux équipes de Guinée. « Bien que, en mai, nous ayons éga- lement constaté un recul du nombre de cas en Guinée forestière, nous res- tions vigilants, craignant des chaînes de transmission cachées », commente le Dr. Van Herp. « Les épidémies d’Ebola sur- Gbando, en Guinée. Le Dr Michel Van Herp, épidémiologiste chez MSF, explique ce qu’est viennent souvent par vagues. On peut Ebola, comment s’en protéger et éviter la transmission. très bien constater une accalmie dans une zone et, plus tard, voir le nombre de confirmés de l’autre côté de la frontière auraient pour origine la Sierra Leone. cas repartir à la hausse. Tant que le suivi avec la Sierra Leone. MSF alerte immédiatement le minis- du dernier contact n’a pas été mené à tère de la santé et l’OMS à Freetown pour bout, on ne peut pas crier victoire. » Un début d’épidémie passé qu’ils puissent suivre la situation. inaperçu en Sierra Leone Pendant ce temps, tout le monde s’in- Au milieu et à la fin du mois de mars, on Dès le début de l’épidémie, l’entreprise terroge face à l’étrange absence de cas découvre en Guinée des cas d’Ebola qui américaine de biotechnologies Metabiota 7|
et l’université de Tulane, partenaires de l’hôpital de Kenema, en Sierra Leone, aident le ministère de la santé de Sierra Leone à enquêter sur les cas suspects. Leurs analyses de laboratoire concluent à l’absence d’Ebola, tandis que leurs ac- tivités de surveillance continue semblent ne pas avoir détecté les cas d’Ebola qui se sont déclarés dans le pays. « Nous avions concentré nos res- sources sur les zones présentant des cas confirmés en Guinée et au Libéria », explique Marie-Christine Ferir. « Nous © Julien Rey/MSF ne pouvions pas vraiment nous per- mettre de mettre en doute les informa- tions officielles provenant de Freetown et selon lesquelles les investigations ne révélaient aucun cas confirmé en Sierra Leone. » Le centre de traitement d’Ebola de MSF à Guéckédou, en Guinée. Puis, le 26 mai, le premier cas confirmé conclusion. Malgré cela, MSF n’était « Le 21 juin, nous avons à nouveau tiré est déclaré en Sierra Leone et le minis- pas préparée à faire face à une situation la sonnette d’alarme en déclarant pu- tère de la santé demande à MSF d’inter- aussi inédite, à la fois en termes d’am- bliquement que l’épidémie était hors de venir. MSF donne la priorité à la mise pleur de l’épidémie et du rôle de premier contrôle et que, seuls, nous ne pouvions en place d’un centre de prise en charge plan dans la lutte contre Ebola qu’elle pas gérer le grand nombre de nouveaux d’Ebola à Kailahun, l’épicentre de la serait appelée à jouer. cas et de foyers d’infection », se rappelle flambée en Sierra Leone à ce moment-là. le Dr. Bart Janssens, directeur des opé- Les équipes étant déjà dispersées, et le Hors de contrôle rations à MSF. « Nous demandions le dé- nombre de cas étant élevé, MSF n’a plus À la fin du mois de juin, les équipes de ploiement de personnel médical qualifié, assez de capacités pour assurer simul- MSF constatent que le virus se transmet l’organisation de formations et l’intensi- tanément des activités de proximité es- de façon active sur plus de 60 sites de fication des mesures de sensibilisation sentielles, comme la sensibilisation et la Guinée, du Libéria et de Sierra Leone. et de suivi des contacts. Malheureuse- surveillance. Confrontées à une épidémie exception- ment, rien de tout cela ne s’est concré- nellement virulente et incapables de tisé après notre appel à l’aide. Nous « Quand nous avons démarré nos ac- faire face à tous les besoins, les équipes avions l’impression de prêcher dans le tivités à Kailahun, nous nous sommes cherchent à limiter les dégâts et dédient désert. » rendu compte que c’était déjà trop tard. Il l’essentiel des ressources à la gestion y avait des malades partout. Nous avons des centres Ebola. Mais elles ne peuvent En dépit de la gravité évidente de la si- construit un centre de 60 lits, et non de pas déployer l’éventail complet des acti- tuation, MSF est une nouvelle fois taxée 20, comme celui avec lequel nous avions vités de lutte contre l’épidémie sur tous d’alarmisme pour avoir déclaré que commencé à travailler en Guinée », ra- les sites concernés. l’épidémie est hors de contrôle. Dans le conte Anja Wolz, coordinatrice du projet même temps, les autorités gouverne- d’urgence à MSF. « Comme le ministère Dans les trois pays, des dizaines de mentales et les membres de l’OMS en de la santé et les partenaires de l’hôpital membres du personnel médical local Guinée et en Sierra Leone minimisent de Kenema refusaient de nous commu- succombent à la maladie. Lors d’une l’ampleur de l’épidémie en insistant sur niquer leurs données ou leurs listes de épidémie d’Ebola, lorsque les struc- le fait qu’elle est sous contrôle et en ac- contacts, nous travaillions à l’aveuglette tures de soins ne sont pas dotées d’un cusant MSF de provoquer inutilement la et ce alors que les malades continuaient système approprié de lutte contre l’in- panique. à arriver en nombre. » fection, elles sont souvent des terrains propices à la diffusion du virus, et de- « À la fin, nous ne savions plus quels Après une brève période d’espoir, nourri viennent des lieux dangereux pour le mots utiliser pour secouer le monde et par le recul du nombre de cas en Guinée personnel comme pour les patients. lui faire comprendre à quel point l’épi- et au Libéria en mai, l’épidémie cachée Cette épidémie ne fait pas exception à démie échappait réellement à notre en Sierra Leone commence à prendre de la règle, mais à une échelle jamais ob- contrôle », se souvient le Dr. Janssens. l’ampleur et réactive l’épidémie dans les servée auparavant. pays voisins. Aujourd’hui, décrire l’épidémie comme un événement sans précédent revient à énoncer une évidence mais, pendant des mois, MSF a été la seule à arriver à cette |8
Une coalition mondiale de l’inaction Manque de volonté politique, d’expertise ou simple peur ? Réticences et obstacles la Guinée se plaignant de ce que MSF elles preuve de transparence au sujet de Dans un premier temps, les gouverne- sème la panique dans le but de récolter la propagation des cas, mais ne reçoivent ments de Guinée et de Sierra Leone ont des fonds. En Sierra Leone, en juin, le que peu d’aide de l’extérieur en réponse été très réticents à admettre la gravité de gouvernement ordonne à l’OMS de ne à leurs pressants appels à l’aide. Le gou- l’épidémie, une situation qui a fait obs- faire état que des décès confirmés par vernement est accusé à tort d’alarmisme tacle au déploiement d’une réponse ra- un laboratoire, ce qui, du fait de l’exclu- par sa propre population qui croit y voir pide. Réaction fréquente en cas d’épi- sion des cas probables et suspects, a un stratagème pour l’obtention d’aides démie d’Ebola – et d’ailleurs de toute pour effet d’alléger le bilan des victimes. internationales. autre maladie inféctieuse dangereuse Des obstacles inutiles sont dressés et – les autorités se montrent souvent peu compliquent la réponse des équipes de Un manque de leadership enclines à donner l’alarme immédia- MSF. Celles-ci se voient en effet refuser L’OMS joue un rôle de premier plan dans tement, par crainte de créer la panique l’accès aux listes de contacts et doivent la protection de la santé publique mon- parmi la population, de perturber le partir de zéro pour déterminer quels vil- diale. Il est notoire que son expertise ré- fonctionnement du pays ou de faire fuir lages sont touchés, où et comment elles side dans son travail normatif et dans les les visiteurs et les investisseurs. doivent agir. conseils techniques qu’elle dispense aux pays du monde entier. En revanche, elle Le 10 mai, les médias guinéens rap- Confrontées à l’explosion des cas en été, arrive difficilement à répondre aux ur- portent une déclaration du président de les autorités libériennes font quant à gences et aux épidémies car elle manque de ressources humaines et des capacités Le centre de traitement d’Ebola de MSF à Freetown, en Sierra Leone. de préparation nécessaires pour pouvoir © Yann Libessart/MSF 9|
se déployer rapidement sur le terrain et Tout comme le CDC, avec ses laboratoires Certains membres du personnel recrutés porter assistance aux patients. et ses épidémiologistes spécialisés, localement par MSF sont abandonnés l’OMS a un mandat international pour di- par leur communauté, chassés de leur « Lorsqu’il est devenu évident que ce riger la gestion des urgences mondiales foyer, leurs enfants sont marginalisés et n’était pas simplement le nombre de cas en matière de santé et possède le sa- empêchés de jouer avec les autres. Le qui était préoccupant mais plutôt la pro- voir-faire pour juguler Ebola. Pourtant, dévouement et le travail acharné de ces pagation de l’épidémie, des lignes direc- tant le Bureau régional de l’Afrique que personnes au cours de l’année écoulée trices claires auraient dû être établies et le Siège de l’OMS à Genève n’ont pas ra- méritent une reconnaissance infinie. un leadership aurait dû être assumé par pidement compris la nécessité d’affecter l’OMS », précise Christopher Stokes, di- davantage de personnel au travail de Libéria : un SOS en juin recteur général de MSF. « Il incombait à terrain, ni mobilisé des ressources hu- La fin du mois de juin est marquée par l’OMS, et non à MSF, de combattre Ebola. » maines supplémentaires et n’ont pas une réunion à Genève du Réseau mon- non plus investi à temps des moyens pour dial d’alerte et d’action en cas d’épi- Les informations circulent peu entre les former davantage de personnel. démie (GOARN) de l’OMS, une plateforme pays et leurs fonctionnaires comptent sur clé qui rassemble des ressources tech- l’OMS pour faire la liaison entre eux. Il « Nous avons mobilisé la totalité de nos niques et humaines pour répondre aux faut attendre juillet pour qu’un nouveau spécialistes des fièvres hémorragiques épidémies. À cette occasion, MSF insiste leadership dans les bureaux nationaux et de notre personnel médical et logis- sur la nécessité urgente de déployer une de coordination de l’OMS soit instauré et tique expérimenté, dont beaucoup sont réponse efficace dans la région et lance qu’un centre opérationnel régional soit retournés à plusieurs reprises en Afrique un appel vibrant en faveur d’un renforce- établi à Conakry, en Guinée, dans le but de l’Ouest . Mais nous ne pouvions être ment des équipes au Libéria. de superviser le soutien technique et partout en même temps et notre rôle opérationnel apporté aux pays touchés n’aurait pas dû être de nous charger in- « J’ai achevé ma présentation à la réu- par le virus. tégralement de l’organisation de la ré- nion du GOARN en disant que je recevais ponse », estime Brice de le Vingne, di- chaque jour des appels téléphoniques du Au lieu de se limiter, pendant des mois, à recteur des opérations à MSF. « MSF ne ministère de la santé libérien demandant un soutien consultatif aux autorités na- dispose pas d’une ‘armée Ebola’ avec une de l’aide. J’ai dit aussi que MSF n’avait tionales, l’OMS aurait dû admettre beau- caserne de personnel en stand-by. Notre plus de personnel expérimenté à en- coup plus tôt que cette épidémie néces- organisation repose sur la disponibilité et voyer au Libéria pour répondre à ces ap- sitait le déploiement de moyens plus l’engagement de nos volontaires. » pels », se souvient Marie-Christine Ferir. conséquents sur le terrain. Tous les élé- « Je me rappelle avoir souligné le fait que ments à l’origine de la recrudescence de Pendant ce temps, malgré la stigmati- nous pouvions encore stopper l’épidémie l’épidémie en juin étaient déjà présents sation et la crainte au sein de sa propre au Libéria en y acheminant de l’aide sans en mars, mais l’analyse de la situation, communauté, le personnel médical na- délai. C’était le début de l’épidémie et la reconnaissance de sa gravité et la vo- tional épuisé, relève le défi courageu- nous avions encore du temps. Même s’il lonté d’assumer la responsabilité d’une sement et sans relâche en continuant a été entendu, cet appel n’a débouché sur riposte solide ont fait défaut. le combat quotidien contre l’épidémie. aucune action. » Manque d’expertise et de personnel Étant donné que les précédentes épidé- mies d’Ebola s’étaient déclarées à une échelle beaucoup plus restreinte, le nombre de spécialistes dans le monde n’a pas été suffisant pour endiguer cette nouvelle épidémie. Pour MSF, la limite la plus lourde de conséquences est l’insuffisance en nombre de personnel assez expérimenté pour faire face à une épidémie d’une telle ampleur. Les « vétérans » MSF d’Ebola sont une quarantaine au moment où © Caitlin Ryan/MSF l’épidémie éclate. Ils doivent simultané- ment mettre en place et gérer les opéra- tions en première ligne, tout en assurant la formation du personnel inexpéri- menté. À ce jour, un an après, plus de 1 300 membres du personnel international et 4 000 du personnel national ont été Monrovia, au Libéria. Les équipes de construction bâtissent ce qui deviendra ELWA 3, le plus grand centre de traitement d’Ebola au monde, avec 250 lits. déployés. |10
Je suis horrifié par la taille du centre que nous construisons, par les conditions effroyables qui y règnent et par ce que les gens endurent. C’est horrible de voir ce que notre personnel doit faire, compte tenu des risques et de la chaleur. Nous nous battons pour soigner ces patients si nombreux. Nous essayons © Caitlin Ryan/MSF d’adapter le centre et de l’agrandir au fur et à mesure de l’accroissement des besoins, mais le rythme est impossible à tenir. Nous ressentons Monrovia, au Libéria. Une équipe médicale de MSF discute avec les malades faisant la queue devant les portes du centre de traitement ELWA 3. L’équipe détermine qui peut entrer dans une culpabilité et une honte la zone de triage en vue d’une potentielle admission au centre. terribles de ne pouvoir offrir une réponse adéquate aux Bien que la coordination entre les ac- Fin juillet, deux membres du personnel besoins des patients. teurs soit officiellement organisée à la de Samaritan’s Purse, des Américains, suite de la réunion du GOARN et de la contractent le virus. Leur organisation Brett Adamson, réunion régionale à Accra début juillet, suspend ses opérations dans les deux coordinateur terrain de MSF à Monrovia, on constate un manque évident de lea- seuls centres de prise en charge Ebola août 2014 dership de la part de l’OMS : les décisions du Libéria, à Monrovia et à Foya, dans le ne sont pas prises à l’échelle nécessaire nord-ouest du pays. Personne ne vient en ce qui concerne l’établissement des les remplacer pour aider le ministère de priorités, l’attribution des rôles et des la santé à soigner les patients. ayant reçu seulement deux jours de for- responsabilités, la redevabilité pour la mation intensive. Cela allait être dange- qualité des actions et la mobilisation des Ce retrait suscite de douloureuses dis- reux mais nous devions trouver le moyen ressources requises. cussions chez MSF. Nous estimons que d’intervenir à Monrovia et à Foya. » nous fonctionnons déjà à 100 %, avec des « Les réunions ont eu lieu mais l’action équipes extrêmement dispersées en Les formations s’intensifient au siège de n’a pas suivi », conclut Mme Ferir. Guinée et en Sierra Leone. Nous crai- Bruxelles et sur le terrain. Nous entre- gnons de nous pousser au-delà de nos prenons le plus gros travail de transfert Catastrophe au Libéria limites en reprenant la gestion de ces de connaissances de l’histoire de MSF, Fin juin, Lindis Hurum, coordinatrice des centres. Que se passera-t-il si des er- avec pour résultat, la formation de 1.000 urgences MSF, arrive à Monrovia, au Li- reurs sont commises, que de nombreux personnes. Dans le même temps, une béria. Étant donné le peu de personnel membres du personnel tombent ma- équipe de MSF est déployée à Foya et expérimenté pouvant encore être dé- lades et que le projet s’effondre ? Cela nous commençons à construire le centre ployé, sa petite équipe de trois personnes a déjà été le cas en juillet dans l’hôpital MSF d’ELWA 3 à Monrovia, qui atteindra est envoyée pour dispenser des conseils du ministère de la santé à Kenema, en une capacité de 250 lits. techniques et aider le ministère de la Sierra Leone, ainsi que pour Samari- santé à effectuer le suivi des contacts et tan’s Purse au Libéria. Qu’arrivera-t-il « Même si nous savions qu’ELWA 3 était assurer les activités liées à l’eau et à l’as- si, poussée au-delà de ses limites, MSF le plus grand centre de prise en charge sainissement. Elles aident à l’installation perd toute sa capacité à gérer la crise et jamais construit, nous n’ignorions pas d’un centre de 40 lits, dont la gestion doit personne ne vient la remplacer ? qu’il ne suffirait pas. Nous étions déses- être confiée à Samaritan’s Purse, une or- pérés devant notre incapacité à faire plus ganisation américaine d’aide humani- « D’une certaine façon, la décision a été et nous savions exactement ce qu’entraî- taire et commencent à aider le ministère prise pour nous : nous ne pouvions quitter neraient ces limites. Cela signifiait qu’il de la santé à organiser la coopération. Le Monrovia en aggravant une situation y aurait des cadavres dans les maisons virus se répand comme une traînée de déjà effroyable », se rappelle Brice de le et dans les rues. Que des malades n’au- poudre dans la capitale et le centre de Vingne, directeur des opérations de MSF. raient pas accès à un lit du centre et trans- prise en charge d’Ebola est vite saturé de « Nous allions devoir franchir notre seuil mettraient donc le virus à leurs proches », malades. de risque et envoyer sur le terrain des se rappelle Rosa Crestani, coordinatrice coordinateurs sans expérience d’Ebola et de la Task Force Ebola de MSF. 11|
ceux qui en étaient au début de la ma- respond,” says Dr Liu. “Who else could ELWA 3 : des portes fermées, ladie, ou ceux qui mouraient ou étaient step into the breach immediately be- 23,5 heures par jour les plus contagieux. Nous avons tendu fore the epidemic spiralled further out of À la fin du mois d’août, chaque matin, le vers une position intermédiaire. Nous control?” centre ELWA 3 ne peut être ouvert que admettions le plus grand nombre de pendant 30 minutes. Seuls quelques pa- patients qu’un degré de sécurité rai- Le tournant – Ebola traverse tients peuvent être admis pour à leur sonnable permettait, ainsi que les plus l’océan tour occuper les lits libérés par ceux qui malades. Mais nous maintenions des li- Le 8 août, l’OMS annonce enfin que l’épi- ont succombé pendant la nuit. Des gens mites : nous refusions de mettre plus démie constitue « une urgence de santé meurent sur le gravier devant les portes. d’une personne dans chaque lit », pour- publique de portée internationale », une Un père a amené sa fille dans le coffre suit-elle. « Nous ne pouvions offrir que procédure qui permet de débloquer des de sa voiture, suppliant le centre de l’ad- des soins palliatifs de base. Il y avait tant financements et de déployer des experts mettre afin que ses autres enfants ne de patients et si peu de personnel que ce- plus rapidement. À cette date, plus d’un soient pas contaminés à la maison. Il a lui-ci ne pouvait consacrer qu’une minute millier de personnes ont déjà perdu la vie. dû être refoulé. en moyenne à chaque malade. C’était Quelles raisons ont fini par convaincre une horreur indescriptible. » l’OMS de déclarer la situation d’urgence ? « Nous avons dû prendre l’horrible déci- sion de choisir qui serait admis dans le “We were in uncharted waters and could Fin juillet, la confirmation arrive qu’un centre », explique Rosa Crestani. « Nous not wait the two months necessary médecin américain travaillant pour l’or- avions deux ‘solutions’ : laisser entrer for other aid agencies to train up and ganisation caritative Samaritan’s Purse EBOLA FRAPPE LE NIGERIA, LE SÉNÉGAL ET LE MALI Catastrophe évitée grâce à des réponses rapides La crainte d’une épidémie régionale encore plus importante était Mali tout à fait fondée. MSF a aidé les gouvernements du Nigeria, du 8 cas, 6 morts Sénégal et du Mali à contenir et à éviter la transmission d’Ebola Le premier cas d’Ebola, une fillette âgée de deux ans, se déclare au Mali une fois le virus présent sur leur territoire. Comme l’épidémie le 23 octobre. MSF envoie une équipe faisait déjà rage dans les pays voisins, les trois États ont suivi pour participer à la construction d’un de près l’éventuelle propagation du virus. Cette vigilance a centre de de prise en charge d’Ebola à heureusement contribué à l’efficacité de la riposte. Bamako et dans la ville de Kayes, où la petite fille est décédée, ainsi que pour « Comme nos équipes étaient déjà dé- contre l’infection, a clairement permis former le personnel de santé à la prise bordées dans les trois pays les plus d’éviter une épidémie généralisée. en charge des cas, à la surveillance et à touchés, nous nous sommes concen- la mobilisation sociale. trés sur le soutien technique. Le niveau Sénégal de gestion directe assuré par MSF va- 1 cas confirmé, 0 mort Au Mali, MSF a adopté une approche riait selon les capacités locales déjà À la demande du gouvernement du Sé- plus proactive que dans les deux autres existantes », explique Teresa Sancris- négal, MSF organise en avril 2014 une pays, avec notamment la gestion des toval, coordinatrice d’urgence pour MSF. formation sur Ebola. Une partie des deux centres, l’organisation d’enterre- Une stratégie similaire avait été prévue équipes formées s’occupent ensuite du ments conformes au protocole de sé- à Monrovia avant que l’épidémie ne soit cas d’Ebola arrivé à Dakar en août. Une curité ainsi que des activités de sur- hors de contrôle. équipe MSF composée de 2 personnes veillance. Cette réponse renforcée aide aussi le ministère de la santé à s’explique par le fait que le Mali dis- Nigeria mettre sur pied un centre de de prise pose d’un système de santé moins so- 19 cas confirmés, 1 cas suspect, en charge d’Ebola et à former le per- lide et de ressources insuffisantes pour 8 morts. sonnel à la prise en charge des cas, à faire face à l’épidémie, ainsi que par un À la fin juillet, le Nigeria enregistre son l’identification des personnes ayant été soutien moindre de la part des autres premier cas d’Ebola : un passager aé- en contact avec des malades et à la mo- partenaires. rien en provenance du Libéria. Bien que bilisation sociale. En une semaine, l’in- le virus ait atteint Lagos (20 millions tégralité des personnes ayant eu des Le Nigeria, le Sénégal et le Mali ont d’habitants) et Port Harcourt (1 million contacts avec les patients est identifiée. tous eu accès à des laboratoires de ni- d’habitants), seules 20 personnes ont Des staff des neuf régions considérées veau international, ce qui leur a permis été infectées au total. La réponse rapide comme plus à risque sont également d’obtenir rapidement les résultats des du gouvernement, qui a déployé notam- formées à la riposte contre l’épidémie. tests. L’expérience dans ces trois pays ment des ressources humaines et fi- souligne l’importance d’une surveil- nancières significatives et mis en œuvre lance rigoureuse et d’une réponse ra- des mesures rigoureuses de lutte pide dès le début de l’épidémie. |12
a contracté le virus. Il sera rapatrié aux méticuleuse est nécessaire pour se pré- Je crois qu’il est États-Unis pour y recevoir des soins mé- parer à ce défi. juste de dire que dicaux. Par après, un premier cas d’Ebola nous sommes des est diagnostiqué en dehors d’Afrique de « Nous avons essayé de souligner que l’Ouest. Le patient, de retour de cette toutes les formes de réponse n’impli- Médecins Sans Frontières, région récemment, est pris en charge quaient pas de porter un « costume de mais pas des médecins sans dans un hôpital de Dallas, aux États- cosmonaute ». L’identification des per- limites. Nos limites, nous les Unis. C’est ensuite au tour d’une infir- sonnes ayant été en contact avec des ma- avons atteintes et c’est très mière espagnole – qui s’était occupée lades, la promotion de la santé, ainsi que frustrant : je constate des d’un concitoyen infecté – de contracter la distribution de savon, de chlore et de le virus : le premier cas de transmission seaux étaient urgemment nécessaires », besoins énormes et je n’ai tout du virus d’homme à d’homme en dehors déclare le Dr. Jean-Clément Cabrol, di- bonnement pas les ressources d’Afrique. recteur des opérations à MSF. « Toutes humaines pour y répondre. les activités ne se limitent pas à la zone Nous avons de l’argent grâce à « Quand on a pris conscience que le virus à haut risque, mais chacune d’entre elles nos donateurs. Nous avons de pouvait traverser l’océan, le manque de doit bien être réalisée par quelqu’un – et volonté politique n’était plus une option », à très grande échelle. » Néanmoins, la la volonté et de la motivation affirme le Dr. Joanne Liu, présidente in- plupart des organisations humanitaires à revendre, mais je n’ai pas ternationale de MSF. « Lorsqu’Ebola est se sont montrées très réticentes face au le personnel pour gérer cette devenu une menace pour la sécurité in- risque perçu de travailler dans le cadre situation. » ternationale et non plus une crise hu- de l’épidémie d’Ebola, car elles crai- manitaire affectant une poignée de pays gnaient de ne pas être capables de pro- Lindis Hurum, pauvres d’Afrique de l’Ouest, le monde a téger leur personnel. coordinatrice des urgences MSF à Monrovia, enfin commencé à se réveiller. » août 2014 MSF ne fait pas exception. L’expérience Facteur de craintes et paralysie d’Ebola acquise par MSF s’est centra- mondiale lisée au fil des ans au sein d’un groupe En août, la communauté internationale d’experts et la prise en charge de cette reconnaît enfin la gravité de l’épidémie, maladie est considérée comme une spé- mais le renforcement de la réponse se cialité. Les sections de MSF ayant peu ou fait toujours attendre. Est-ce la peur du pas d’expérience du virus se sont d’abord virus qui retarde la riposte rapide si dé- montrées réticentes à l’idée d’intervenir sespérément attendue ? immédiatement. MSF aurait dû mobiliser plus rapidement l’ensemble de ses capa- Il est vrai qu’Ebola suscite une peur légi- cités pour répondre à l’épidémie. time et presque universelle rarement ob- servée avec d’autres maladies. L’absence Fin août, l’épidémie avait « explosé » dans d’un traitement efficace, les symptômes les trois pays. À la suite de discussions douloureux et pénibles, ainsi que le taux avec d’autres organisations humani- de mortalité élevé entrainent une inquié- taires, il a été estimé qu’il faudrait au mi- tude publique extrême non seulement nimum deux à trois mois pour les former dans les communautés affectées, mais et pour qu’elles soient prêtes à intervenir. aussi au sein du personnel de santé lui- Le compte à rebours avait commencé et même. Les soignants sont parmi les pre- Ebola était en train de gagner. A ce stade, miers à tomber malades, ce qui décou- le financement n’était plus le principal rage d’autres volontaires de venir porter problème et il était clair que des béné- secours aux populations touchées. voles non formés ne seraient pas suf- fisants pour endiguer l’épidémie. Du Les catastrophes naturelles, comme les personnel formé et bien équipé était né- inondations et les séismes, engendrent cessaire de toute urgence sur le terrain. généralement une mobilisation géné- reuse de ressources et une intervention « Nous étions en territoire inconnu et directe de la part des organisations hu- nous ne pouvions pas attendre les deux manitaires et des États concernés. Mais, mois nécessaires pour que d’autres dans ce cas, la peur de l’inconnu et le agences humanitaires soient formées manque d’expertise concernant la ma- et prêtes à intervenir. Qui d’autre pou- ladie ont paralysé la plupart des orga- vait prendre le train en marche avant que nisations humanitaires et des bailleurs l’épidémie ne soit totalement hors de de fonds. La gestion d’un centre de prise contrôle ? », raconte le Dr. Liu. en charge d’Ebola implique une marge d’erreur si étroite qu’une formation 13|
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