Quelle agriculture pour demain ? - Climat - le temps presse - Pain pour le prochain
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Climat – Un travail dangereux, le temps presse mais important Page 3 Pages 12 – 13 Quelle agriculture pour demain ? L’agroécologie pourrait nourrir l’humanité. Qu’est-ce qui freine le changement ?
Éditorial Contenu 2 Politique 5 Une action en ligne victime Chère lectrice, cher lecteur, de la censure Vue du Sud Le climat, les gens n’ont plus que ça à la bouche, à juste titre 6 L’agroécologie pour un car c’est la base de notre subsistance qui est en jeu. Les avenir durable et équitable paysan·ne·s du Sud en font l’amère expérience : sécheresses, En transition inondations et violentes tempêtes compliquent leurs activi- 7 Un engagement tés agricoles. Les vagues caniculaires et la sécheresse posent diversifié et durable problème aux agriculteurs et agricultrices ici également. Dossier 8 « Les engins jaunes Émettant près d’un tiers des gaz à effet de serre dans le monde, ont tout détruit » l’agriculture, notamment industrielle, est certes victime des changements climatiques, mais elle y contribue aussi largement. 14 À quelle agriculture aspirons-nous ? Il est urgent que notre politique climatique et l’agriculture industrielle amorcent un tournant, raison pour laquelle Pain 16 Écologie et compétitivité sont antinomiques pour le prochain défend l’initiative pour les glaciers et une agriculture durable. Nous promouvons une agroécologie qui exploite les ressources naturelles avec parcimonie et p rotège le climat, tout en préservant la diversité des moyens de subsistance de l’humanité et de la faune, pour plus d’égalité entre le Nord et le Sud, mais aussi entre les générations. Nous vous remercions d’agir avec nous pour plus de justice. Photo: Patrik Kummer Bernard DuPasquier Impressum Image de couverture: GettyImages Publication Pain pour le prochain, 2019 Directeur de Pain pour le prochain Rédactrice en chef Pascale Schnyder (pst) Rédaction Lorenz Kummer (lk), Daniel Tillmanns (dt) Mise en page et réalisation Crafft AG, Zürich Travail sur les photos Schellenberg Druck AG Impression Druckerei Kyburz AG, Dielsdorf Tirages 28 700 DE / 6500 FR Paraît quatre fois par an Prix CHF 5.– par donateur / donatrice sont utilisés pour l’abonnement Contact Pain pour le prochain, ppp@bfa-ppp.ch, 021 614 77 17 Perspectives 3 / 2019
Initiative pour les glaciers 3 Les bâches isolantes sont censées protéger le glacier du Rhône de la fonte. Le temps presse prochain milite pour une politique climatique plus incisive puisqu’à ce jour cette dernière est loin de garantir que la Suisse réduise notam- ment à zéro ses émissions nettes de CO2 d’ici 2050 – des objectifs que l’initiative pour les Tandis que nos glaciers reculent, les habitants du Sud glaciers entend rendre contraignants. La plupart des personnes à qui j’ai parlé se doivent se faire à l’élévation du niveau de la mer. Il est grand rendent compte qu’il faut intensifier la pres- temps que la classe politique agisse. sion et signent. Au bout de quelques heures, je rentre chez moi regonflé à bloc et rempli d’espoir. — Miges Baumann Quelques mots suffisent pour récolter des si- des milliers d’habitants du Sud dont la vie est Walhi, partenaire de Pain pour le prochain en gnatures : Pain pour le prochain en récolte menacée par l’élévation du niveau de la mer. Indonésie, milite pour davantage de justice cli- pour l’initiative pour les glaciers car les gens matique. Avec les habitants de l’île de Pari et du Sud sont les plus touchés par les change- Former et informer ! des militants, Pain pour le prochain et Walhi ments climatique. Ça m’impressionne. Dès 2007, Pain pour le prochain a fait de la jus- œuvrent à l’élaboration de mesures visant à La Suisse et les autres pays riches ont beau tice climatique son affaire. Depuis 2009, nous protéger les populations. être les principaux responsables des change- avons dispensé 35 formations sur l’adaptation ments climatiques, ceux-ci affectent surtout climatique à des organisations partenaires les populations pauvres : des communautés dans 21 pays, les aidant par ailleurs à se faire Signez l’initiative sur Photo: Patrik Kummer côtières frappées par des typhons toujours entendre de leur gouvernement. Nous abor- gletscher-initiative.ch et plus fréquents, des paysan·ne·s subissant de dons la question sous l’angle de la justice et Lire et participez à la manifestation sévères épisodes de sécheresse, des voisins qui évoquons la part de responsabilité de la Suisse. agir nationale du climat le 28.09 se disputent âprement l’accès aux pâturages, Membre de l’Alliance climatique, Pain pour le à Berne : klimademo.ch Perspectives 3 / 2019
Actualités 4 769 km #pourlajusticeclimatique De la parole 2 aux actes Le nouveau Parlement devrait s’enga- de forêt tropicale ont été défrichés ger en faveur d’une meilleure protec- tion du climat, de la justice climatique au Brésil en juin 2019 – 60 % de plus et de l’engagement de la Suisse dans que l’année précédente. Source: www.spiegel.de la coopération internationale. C’est pourquoi Pain pour le prochain appelle les candidat·e·s à communiquer leurs objectifs via les médias sociaux avec le hashtag #pourlajusticeclimatique. De Coopération internationale cette façon, nous pouvons observer si Pain pour le pro- les paroles sont suivies d’actes. chain prend position Maroc Le Conseil fédéral veut réorienter la coopération internationale. Dans sa prise de position, Pain pour le prochain réclame de donner plus de poids à la Violations des droits humains lutte contre la crise climatique internationale et au Le Groupe marocain OCP pollue l’air avec ses usines d’engrais, nuisant renforcement de la société civile. Surtout pour la mise ainsi à la santé de ses salariés et des populations. Selon un rapport (06.2019) en oeuvre des mesures climatiques il faut des moyens de Swissaid, Pain pour le prochain et Action de Carême, au moins onze financiers additionnels, qui ne doivent pas être puisés négociants suisses de matières premières ont des relations d’affaires avec dans le budget de la coopération internationale, l’OCP et sont donc impliqués dans des violations des droits humains et déjà modeste. Une mesure serait par exemple la taxe des pollutions environnementales au Maroc. Cela montre bien l’urgence de sur les billets d’avion. La consultation sur le message l’initiative pour des multinationales responsables. www.voir-et-agir.ch/medias sur la coopération internationale s’est terminée fin août et le parlement va le traiter en 2020. www.painpourleprochain.ch/positionCI Bonne nouvelle Laboratoire commun Le laboratoire de transition intérieure porté par Pain pour le prochain (PPP) sera désormais co-animé avec Action de Carême. L’ambition est de rayonner plus largement en Suisse romande, « y compris auprès des catholiques ». Il souhaite réussir à toucher plus « Le changement climatique menace largement de militants et militantes en de détruire tous les progrès réalisés quête d’intériorité et les membres des Églises qui ne trouvent pas forcé- en matière de développement, de ment d’écoute ou de nourriture spiri- santé et de réduction de la pauvreté tuelle pour cheminer sur ces questions dans leur propre communauté. À Photo: Pain pour le prochain au cours des 50 dernières années ». terme, Michel Maxime Egger aimerait faire émerger « un parcours du méditant-militant » sur une année, afin de former une série d’acteurs Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies qui pourraient multiplier les interventions dans ce domaine. sur l’extrême pauvreté et les droits humains Perspectives 3 / 2019
Politique 5 Une action en ligne victime de la censure 30 ans après le massacre de Tian’anmen, le gouvernement chinois réprime de nouveau fortement les détracteurs du régime, muselant ainsi les organisations qui défendent les droits des ouvriers. La Chine est le pays qui produit le plus de biens ne convient pas au régime, dont le cap actuel de consommation, surtout dans l’électronique. est à davantage de centralisation et à la mise Une nouvelle loi fait Les ouvrières fabriquent à la chaîne nos appa- sur pied d’une nouvelle Route de la soie par pression sur les ONG reils quotidiens, notamment nos smartphones, laquelle il aspire à devenir une puissance dans des conditions extrêmement précaires. d’ordre mondial. 30 ans après le massacre de En 2017, la Chine a adopté une loi Une ancienne ouvrière m’a expliqué que ses Tian’anmen, toute revendication à rebours de dite de gestion des ONG étrangères, pauses étaient parfois si courtes qu’elle n’avait cet élan est réprimée. Les autorités sont parti- compliquant l’assistance qu’ap- même pas le temps d’aller aux toilettes. Tout culièrement à cran dans le contexte actuel de porte Pain pour le prochain à ses retard est sanctionné ! guerre commerciale avec les États-Unis, qui partenaires chinois. Afin de ne compromettre personne, nous avons La situation des travailleuses migrantes affecte surtout l’industrie de l’électronique. Le renoncé à publier les noms, lieux, de l’arrière-pays chinois est particulièrement danger est grand que les collaboratrices et col- photos et détails des activités. préoccupante. Recrutées et licenciées par des laborateurs des organisations partenaires de Nous ne communiquons plus que agences à la dernière minute, elles arrivent à Pain pour le prochain soient poursuivis pour par voie sécurisée. Nous suivons peine à gagner de quoi vivre. Contrairement des motifs politiques. Les activités bénéficiant régulièrement l’évolution de la aux employées locales plus qualifiées, elles aux ouvrières ont déjà dû diminuer à un mo- situation. Mais il serait inconcevable n’ont pas la possibilité de faire valoir leurs ment où ces dernières auraient bien besoin à nos yeux de nous désengager tant que nous avons une chance droits. L’essor de nouveaux mégacentres du d’aide, étant donné le risque croissant d’abus d’améliorer le sort des ouvrières high-tech relègue ces travailleuses migrantes, auxquels elles sont exposées. — Karin Mader défavorisées qui travaillent pour les et la main-d’œuvre bon marché de façon géné- sous-traitants des grandes rale, au secteur informel : vente de rue, marques de l’informatique, dont ménage, voire prostitution. certains fournissent le marché suisse. Répression au nom de la guerre commerciale Un partenaire de Pain pour le prochain entre en contact avec elles pour leur donner des in- formations et des conseils, tant sur des ques- tions d’ordre professionnel que privé, par le biais d’une plateforme en ligne spécialement conçue à cet effet, mais aussi via les réseaux sociaux. Des milliers d’ouvrières et de travail- leuses migrantes ont profité de cette ressource jusqu’à ce que les autorités chinoises la fassent fermer. Depuis 2018, l’État chinois a en effet durci sa répression des minorités ethniques, Karin Mader, responsable Photo: Patrik Kummer droits humains dans des critiques du régime, des organisations de le secteur électronique. défense des droits humains, mais aussi des étudiant·e·s solidaires des ouvrières défavori- sées et exigent davantage de démocratie. Cela Perspectives 3 / 2019
Vue du Sud 6 1996 Guyrlain Tiwa est agronome. Il travaille comme encadreur technique et contrôleur interne pour TerrEspoir. Année de la création L’agroécologie pour de TerrEspoir dont le credo est la un avenir durable et équitable valorisation de la personne et de son travail comme clé La diversification du système agricole prônée resterie (arbres et cultures sur les mêmes du développement. par les agricultrices et agriculteurs de Terr- parcelles de terre), le stockage naturel de 80% Espoir Cameroun, le respect des cycles de l’eau, les cultures intercalaires, l’utilisation croissance des cultures et de leurs synergies de fumier biologique ou encore le mélange constituent les modes de production agricole culture-bétail. Toutes ces techniques ont de ce groupement de petits producteurs et as- pour caractéristique commune l’absence sure la sécurité alimentaire sur des parcelles d’intrants extérieurs (engrais chimiques et de petite taille. Les vergers écologiques sont pesticides). Les techniques culturales, comme aussi de véritables écosystèmes entièrement le semis direct, permettent notamment de re- comestibles, où plusieurs variétés de fruits et nouveler les sols en encourageant l’usage des agriculteurs de légumes se côtoient étroitement et se ren- de phytosanitaires naturels (neem, tephrosia, camerounais forcent mutuellement. Les agricultrices et cendres de bois, …). Ces méthodes favorisent agriculteurs du groupement TerrEspoir Came- aussi une fertilisation organique, la constitu- sont de petits roun sont régulièrement certifiés agriculture tion de haies vives abritant la biodiversité ou producteurs culti- biologique. Ils sont également certifiés com- encore le reboisement des surfaces. merce équitable FLO afin d’assurer un revenu À côté de ces petits agriculteurs et agri vant en moyenne équitable et un commerce durable, comme en cultrices membres du groupement TerrEspoir 0,2 hectare. témoigne Jean Bosco Tchankoue : « Au début Cameroun sévi une triste réalité : la dérégula- de mon activité, la commercialisation n’était tion des marchés et la mondialisation des Zéro pas bonne. Je vendais tous mes fruits sur le échanges ont généré une grande volatilité des marché local à des prix qui ne couvraient prix qui a considérablement accru la variabili- même pas mes frais de production. Mais au- té du revenu. jourd’hui, grâce à TerrEspoir, chaque semaine je peux compter sur des commandes assurées La fondation TerrEspoir a été cofondée par de mes fruits. La culture d’ananas est pour moi Pain pour le prochain en 1996. Les 130 familles un métier. C’est grâce à ce métier que j’ai pu bâtir une grande famille, construire une habi- de petits producteurs exportent leurs fruits savoureusement équitables en Suisse et vous intrants extérieurs, tation agréable, envoyer mes enfants à l’école pouvez en commander en ligne à l’adresse : tels qu’engrais et leur fournir les soins nécessaires. » www.terrespoir.ch L’agroécologie associe le développement chimiques ou pes- de l’agriculture à la «protection-régénération» ticides, pour les de l’environnement naturel. Les techniques utilisées par les agricultrices et agriculteurs de cultures TerrEspoir. TerrEspoir Cameroun incluent le contrôle bio- Photo : Guyrlain Tiwa logique (lutte contre les maladies et les indési- rables par des prédateurs naturels), l’agro-fo- Perspectives 3 / 2019
En transition 7 Un engagement diversifié et durable Engagé pour l’initiative multinationales responsables, Mark est également à l’origine de projets aussi durables que variés. « Entrepreneur » ou « promoteur » sont des termes fréquemment associés au monde du travail et à l’économie du profit. Pourtant, ils Nous avons besoin de ont instantanément repris leur sens premier et votre soutien ! leur noblesse au cours de la discussion que j’ai eue avec Mark Haltmeier dans les locaux de Nous organisons trois soirées de son entreprise Ecodev à Neuchâtel. En effet, formation sur l’initiative pour des multinationales responsables. Mark initie les projets puis s’implique dans Les participant·e·s pourront se leur développement. Mais plus que la quantité, familiariser avec des concepts utiles c’est la qualité des projets, leurs buts et leurs pour le débat politique autour de valeurs qui méritent un coup de projecteur. cette initiative, mais aussi sur d’autres objets de votation. Plus Habiter, consommer, travailler – autrement d’infos : Le petit dernier, c’est l’épicerie participative www.voir-et-agir.ch/events – 23 septembre, Lausanne « Chez Emmy » à St-Blaise (chez-emmy.ch). – 26 septembre, Yverdon Embryonnaire en septembre 2018, elle a déjà – 30 septembre, La Tour-de-Peilz réussi à mobiliser pas loin de 10 % de la popu- lation du village comme sociétaire ! La gestion Soutenez l’initiative en rejoignant est collaborative et les coopératrices / coopéra- l’un des 250 comités locaux ou teurs donnent de leur temps pour le fonction- Mark Haltmeier, fondateur d’Ecodev et initiateur en créant le vôtre. Le secrétariat de nement de l’épicerie. Les produits sont bios, de nombreux projets porteurs de sens. l’initiative soutient les comités locaux en proposant des idées et locaux, vendus en vrac et éthiques. Le but n’est en mettant du matériel à disposition. pas de grandir ni de générer du profit, mais Certains organisent des projections d’améliorer la cohésion sociale et d’offrir des sens. À moyen terme, l’économie ne pourra de films en lien avec la thématique, prix justes, tant aux clients qu’aux partenaires. survivre si l’on exploite, jusqu’à l’agonie, les d’autres des stands de signature. Il y aussi le club nautique Ichtus en mode de ressources tant naturelles qu’humaines dont Toutes les infos sur www.initiative- gouvernance partagée (ichtus.ch), l’Atelier du nous dépendons pour (sur)vivre. multinationales.ch/comites-locaux Ruau qui développe le goût de la sobriété heu- Vous pouvez également publier reuse (atelierduruau.org), un projet d’habitat Les racines votre témoignage sur le site groupé sur les starting-blocks (chene.org) et Mark a grandi dans une famille sensible à la www.kirchefuerkovi.ch/fr et inciter l’entreprise informatique Ecodev où l’être hu- beauté de la nature, à l’entraide et à l’écoute. Il votre paroisse à faire de même. main prime sur la structure (ecodev.ch). enracine ces valeurs durant sa scolarité, no- tamment grâce à un enseignant engagé. Ado- Multinationales responsables lescent, deux pasteurs intéressés par le sport et Comme si cela ne suffisait pas, Mark s’engage les dynamiques sociales laissent aux jeunes sur le plan politique, toujours pour les mêmes l’espace nécessaire et bienveillant pour expé- valeurs. Il fait partie du comité de soutien à rimenter et faire émerger leur créativité. l’initiative pour des multinationales respon- Un terreau fertile propice à la compréhension Photo : Mme Haltmeier sables. Il appuie également l’initiative aux des liens qui tissent la toile du vivant et l’im- côtés de sa paroisse (kirchefuerkovi.ch/fr) car, portance de prendre soin de nos terres inté- pour lui, il s’agit surtout d’éthique. Aux yeux rieures afin de pouvoir prendre soin de la de l’entrepreneur, c’est une question de bon Terre. — Daniel Tillmanns Perspectives 3 / 2019
Dossier Les plantations d’hévéas de Socfin au Libéria s’étendent sur de vastes surfaces. Le village de Yassa Mulbah a été détruit dans l’expansion des plantations. Perspectives 3 / 2019
Dossier 9 « Les engins jaunes ont tout détruit » Infractions au droit foncier, expropriations, violences : au Libéria, la société luxembourgeoise Socfin, qui y gère des plantations, et ses filiales suisses sont impliquées dans de graves violations des droits humains. Y assa Mulbah marche entre de longues rangées d’hévéas au feuillage sec et s’arrête mon- trant une colline du doigt : « Les engins sont venus de là-haut accompagnés de tout un tas d’hommes armés de machettes, comme pendant la guerre civile. Ils ont ensuite tout détruit. » Les bulldozers ont démoli près de 30 maisons, y compris celle de ses parents. « J’ai grandi ici. » raconte- t-elle.« Les enfants jouaient là ; les voisins habitaient cette maison. » On ne voit plus que des alignements d’hévéas. « J’ai dit à ces gens qu’on avait un titre de propriété et que le terrain nous appartenait, » explique Binda Katter, un paysan, à l’émission télévisée Rundschau, qui, en février 2019, a diffusé un reportage sur les activités dans les plantations d’hévéas de la firme luxembourgeoise Le caoutchouc est la matière première Socfin au Libéria. Personne n’y a prêté attention et les pour la production de pneus. 200 habitants de Tartee ont alors dû abandonner leurs maisons et leurs champs pour fuir. Au moins 25 villages affectés L’expropriation des habitants de Tartee n’a rien d’excep- pays tropicaux, surtout en Asie, mais de plus en plus tionnel. En février 2019, Pain pour le prochain et souvent aussi en Afrique, notamment au Libéria. Green Advocates, nos partenaires libériens, ont publié De 2000 à 2016, les surfaces dédiées à l’hévéa dans le Photos: Pain pour le prochain, SRF Rundschau, iStock un rapport qui expose ce qui s’est passé en 20 ans, monde ont doublé pour atteindre près de 13 millions depuis que Socfin a acquis deux concessions de planta- d’hectares, soit trois fois le territoire suisse. tions d’hévéas au Libéria : au moins 25 communautés ont perdu tout ou partie de leurs terres ou ont vu leur Des dédommagements insuffisants village détruit à cause de l’expansion du périmètre des Socfin n’a pas fait de sentiment lors de l’extension de ses plantations d’hévéas. plantations. Beaucoup de villageoises et villageois, Le caoutchouc est en effet lucratif : polyvalent, il est insuffisamment informés de cette extension, n’y ont pas utilisé pour produire des pneus, des préservatifs, des consenti. Certains, comme à Tartee, ont été violemment vêtements d’extérieur ou encore des matelas. La majori- chassés de terres qui leur appartenaient pourtant au té du caoutchouc provient de monocultures dans des titre du droit coutumier. Les rares personnes à avoir Perspectives 3 / 2019
Dossier 10 été indemnisées l’ont été, la plupart du temps, insuffi- samment pour compenser leurs pertes. Des forêts et des sépultures ont été profanées. Sur d’anciens cimetières poussent désormais des hévéas. Plusieurs communautés ont vu leur source d’eau détruite par l’expansion des plantations. Une multitude de villageois·e·s racontent par ailleurs que leur eau a été souillée par les pesticides utilisés sur les cultures, faisant état de diarrhées et d’éruptions cutanées après chaque pulvérisation. « Nous sommes des paysans sans terres ; nos enfants ne vont pas à l’école car nous n’avons pas d’argent. » Les victimes montrent leurs documents Paysan de Garjay relatifs aux droits fonciers qui ont été ignorés par Socfin et le gouvernement. Les premières victimes sont les femmes Sans accès à l’eau, ni aux terres, la situation alimentaire d’une majorité de personnes s’est dégradée. Ce sont les Les ouvriers ramassent le latex à partir de l’entaille. Photos: Pain pour le prochain, Green Advocates Perspectives 3 / 2019
Dossier 11 femmes qui souffrent le plus de ne plus accéder aux forêts et aux champs car c’est à elles qu’il incombe de nourrir la famille. Elles doivent trouver assez d’argent pour acheter de quoi manger ; or, les quelques emplois que créent les plantations sont pour la plu- part limités dans le temps, voire saisonniers. Les familles n’ont donc même pas l’argent pour scolariser leurs enfants. De nombreuses femmes relatent les violences sexuelles qu’elles subissent aux mains des sous-traitants voire des agents de sécurité des plantations. Les nom- breux témoignages de personnes habitant dans les plantations ou aux alentours font généralement état d’un climat de peur. En 2013, un incident particulière- ment grave a vu les agents de sécurité de la plantation Actions de protestation et la police prendre d’assaut le village de Daokai, situé à l’intérieur du périmètre de la concession de Socfin. Selon les témoins, ils y ont pillé les maisons, volé du et plaintes matériel électronique et passé les villageois à tabac. « Socfin, on t’observe » pouvait-on lire sur une banderole que les manifestant·e·s ont déployée en mai 2019 devant le bâtiment de la société de négoce « Nous avons clairement dit de caoutchouc Sogescol à Fribourg. Les organi sations impliquées dans l’action – Pain pour le non. Où sommes-nous censés prochain, FIAN, Attac, Multiwatch et Solifonds – ont aller s’ils nous chassent ? » ainsi clairement indiqué qu’elles continueront à suivre de près les activités du groupe luxembour- Doyen de Zondo geois de plantations de palmiers à huile et d’hévéas et de ses filiales suisses. Une action similaire a eu lieu lors de l’assemblée générale de Socfin à Luxem- Des liens avec la Suisse bourg. Les violations des droits humains autour des planta- Dans le même temps, l’ONG libérienne Green tions libériennes de Socfin concernent aussi la Suisse Advocates avait déposé une plainte auprès de la car Socfin commercialise quasiment tout son caout- Société Financière Internationale (IFC) au nom de chouc libérien par le biais de Sogescol, sa filiale fribour- 22 communautés villageoises. L’IFC est responsable, geoise. Socfinco, une autre filiale sise à Fribourg, au sein de la Banque mondiale, du financement des s’occupe, elle, de la gestion des plantations et de la ques- entreprises privées. En 2008, elle avait accordé, un tion de leur durabilité. Ces sociétés suisses ont ainsi prêt de dix millions de US dollars à la filiale libérienne une influence déterminante sur les plantations, Sogescol, de Socfin, la SRC, pour l’expansion de sa plantation à titre de partenaire commercial exclusif, exerçant d’hévéas. Green Advocates, une organisation même un contrôle de fait. partenaire de Pain pour le prochain, signale de graves Selon les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux violations des droits humains dans les environs de droits de l’homme et aux entreprises (UNGP), c’est à la plantation de la SRC et exige que l’IFC veille à ce Sogescol et à Socfinco d’empêcher que les activités des que les personnes lésées obtiennent réparation. plantations ne portent atteinte aux droits humains. Ailleurs, le groupe Socfin fait également l’objet Il ressort néanmoins clairement du rapport de Pain pour de critiques. En mai 2019, une coalition de dix le prochain que ce n’est pas le cas. L’Initiative pour ONG internationales – dont Pain pour le prochain – des multinationales responsables est indispensable car a intenté une action en justice contre le groupe les normes et mesures volontaires peinent à protéger français Bolloré, qui détient près de 40 % des actions les droits des populations sur place : les sociétés de Socfin. Cette action concerne le non-respect d’un suisses, leurs filiales et les entreprises de facto sous plan d’action dans le cadre d’une plainte de l’OCDE leur contrôle seraient alors contraintes de respecter les dans une plantation de palmiers à huile appartenant à droits humains et les normes environnementales à Socapalm, une filiale de Socfin au Cameroun. Et en l’étranger et obligées d’entreprendre des vérifications à juillet 2019, plusieurs ONG néerlandaises ont déposé cet égard. une plainte auprès de l’OCDE contre la banque — Lorenz Kummer ING, qui avait financé les activités controversées du groupe Socfin dans le secteur de l’huile de palme. (lkr) Perspectives 3 / 2019
Dossier 12 Un engagement L e Libéria est pour moitié constitué de zones de concession. Toute entre- prise ou tout investisseur disposant d’un contrat de concession a le droit dangereux d’exploiter la zone en question pour y installer une plantation ou y exploiter une mine, sans avoir à demander l’avis de celles et ceux qui ont occupé ces terres et les ont mises en valeur depuis des générations, alors qu’ils doivent bien souvent céder leur place à de tels Green Advocates, partenaire de Pain pour le projets. prochain, milite au Libéria pour que les victimes Bien que ces contrats remontent en partie à la période coloniale, une époque où le d’accaparement puissent récupérer leurs droit traditionnel à la terre était méprisé et les propriétaires terriens souvent considérés terres – une action qui lui a valu une distinction comme de simples squatters, ils restent internationale. valables. Le gouvernement en a d’ailleurs conclu d’autres depuis. Un ancien habitant du comté de Margibi raconte : « Les gens ont quitté le village les uns après les autres. Comment aurait-on pu rester ? Quand les engins jaunes (bulldozers) arrivent, tu ne peux plus rester ; lorsqu’ils commencent à creuser, tu as peur. » C’est pour ces gens-là qu’œuvrent les défenseurs et défenseuses des droits humains de Green Advocates, un partenaire de Pain pour le prochain : Ils s’engagent aux côtés des victimes d’accaparement des terres pour faire reconnaître leurs droits ancestraux et pour qu’ils puissent eux-mêmes décider de leur sort. Green Advocates se rend souvent dans les villages reculés pour informer les habitants de leurs droits et pour les mobiliser. En effet, le gagne-pain de ces derniers dé- pend de leur accès à leurs terres et de la con- servation de forêts trop souvent perçues comme de simples supermarchés, ce que nous explique très justement une femme. Un droit foncier très progressiste Green Advocates travaille à plusieurs niveaux pour faire avancer les questions environne- mentales et foncières. Avec d’autres orga- nisations et militant·e·s, ils ont réussi à faire en sorte que le Libéria adopte en 2018 une nouvelle loi foncière qui devrait consacrer le droit traditionnel à la propriété. Pain pour le prochain soutient Green Advocates non seulement financièrement, mais aussi dans ses recherches et dans son travail de plaidoyer. En février 2019, nos deux organisations ont publié un rapport, fruit de notre collaboration, qui décrit la vie de ceux qui habitent dans les plantations et aux alentours (cf. pp. 8–13). De telles Larry George de Green Advocates visite avec des victimes l'expansion d'une plantation. publications visent à exercer davantage de pression sur les entreprises pour qu’elles Perspektiven 3 / 2019
Dossier 13 Lors d'une réunion, les villageois se sont plaints auprès de Green Advocates des conséquences de l'expansion de la plantation. Un jeune homme porte deux seaux pleins de latex. donnent suite aux revendications des per- sonnes concernées. Au Libéria défendre les droits humains « Comme ils osent n’est pas une sinécure. Francis Colee de Green Advocates raconte que les entreprises se défendre, dénoncer exploitant les plantations menacent les problèmes et quasi systématiquement les défenseurs et défenseuses des droits humains dans exiger des solutions, les villages. « Comme ils osent se défendre, ils sont surveillés dénoncer les problèmes et exiger des solu- tions, ils sont surveillés par la police locale et par la police locale par les agents de sécurité des plantations et par les agents Photo : Allloycious David, Pain pour le prochain, Green Advocates en permanence. » Le travail de Green Advocates est aussi de sécurité des planta- dangereux qu’il est nécessaire. En mai 2019, tions en permanence. » Alfred Brownell, son directeur, s’est d’ailleurs vu remettre le fameux prix Goldman pour Francis Colee l’environnement, une distinction qui fait chaud au cœur, tout comme les réactions des villageois qui parviennent enfin à se pré- munir contre les tentatives d’accaparement de leurs terres grâce à Green Advocates. Votre don permet à Green — Silva Lieberherr Lire et Advocates de continuer agir sa lutte contre l'accaparement. CCP 10-26487-1 Perspektiven 3 / 2019
Dossier 14 À quelle agriculture aspirons-nous ? Subvient aux besoins de beaucoup Préserve les espaces Les paysan·ne·s sont maîtres vitaux de leur travail ; ils exploitent L’agriculture agroécologique les ressources disponibles repose sur la connaissance localement et produisent une des cycles naturels et des inter- nourriture saine et diversifiée actions entre faune, flore qu’ils vendent sur les marchés et minéraux. Elle mise sur des pour nourrir les populations variétés régionales adaptées sur place. aux conditions et aux spécificités locales qui résistent mieux aux nuisibles et au changement climatique. Utilise l’eau de façon raisonnée Divers systèmes et techniques (permaculture, jardins fores- tiers, etc.) aident à réduire la consommation d’eau sans nuire à sa qualité. Bien qu’elle ait massivement contribué au réchauffement climatique et aux nuisances environnementales, l’agri- culture industrielle progresse partout dans le monde. Il est urgent d’opter pour une agriculture qui préserve notre espace vital, tout comme celui de la faune et de la flore. Perspectives 3 / 2019
Dossier 15 Contribue au réchauffement climatique Parce qu’elle déboise, détruit les sols et recourt aux combustibles fossiles, l’agriculture industrielle émet un tiers des gaz à effet de serre au monde. Préserve le climat L’agriculture agroécologique émet bien moins de gaz à effet de serre et permet même de séquestrer du CO2 dans les sols. Gaspille et pollue l’eau L’agro-industrie utilise de grandes quantités d’eau qu’elle pollue par une utilisation excessive d’engrais, transformant ainsi les lacs et les cours d’eau en zones mortes. Sert les intérêts des multinationales Les paysan·ne·s dépendent de l’agro-industrie dont ils doivent racheter les semences, herbicides et pesti- cides année après année, obligeant les habitants du Sud à s’endetter. Elle s’accapare par ailleurs leurs champs pour ses monocultures. Détruit les espaces vitaux Elle produit toujours plus grâce à des variétés hybrides ou génétiquement modifiées à haut rendement ainsi qu’à l’utilisation d’engrais et de pesticides de synthèse, ce qui nuit aux espaces vitaux des plantes, des animaux et de l’humanité : les marais finissent asséchés, les forêts déboisées et les petits espaces détruits. Épuise les sols et laisse des champs de cailloux dans son sillage Les sols sont compactés par l’action conjuguée des lourdes machines agricoles et des pesticides qui tuent les organismes vivants. L’agro-industrie dégrade la qualité des sols partout dans le monde. Améliore les sols L’apport de compost, de fumier ou d’engrais vert permet aux sols de retrouver leur rôle de source de nutri- ments. La couche arable est ainsi préservée pour les générations futures. Perspectives 3 / 2019
Dossier 16 Écologie et compétitivité sont antinomiques Depuis plus de 15 ans, la journaliste Bettina Dyttrich observe l’évolution de l’agriculture suisse. Elle évoque avec nous les défis, les chances et le rôle de la politique. vivre ? Les multinationales des semences, des population. Il est absurde de vouloir exporter phytosanitaires et des machines agricoles notre agriculture car vu nos coûts, notre tout comme les entreprises de transformation dimension et notre topographie, nous n’arri- et de commerce des produits agricoles vons pas à faire jeu égal avec les exploitations génèrent d’énormes bénéfices. Les pay- de l’UE, sauf pour des produits bien spéci- san·ne·s et les ouvrières et ouvriers agricoles fiques comme le gruyère. La Suisse ne produit sont coincés : ils travaillent beaucoup, que la moitié des calories qu’elle consomme gagnent peu et leur pouvoir d’achat est faible. alors pourquoi se focaliser sur les exporta- L’agriculture écologique induit forcément tions ? un surcroît de travail. Si l’on veut consommer plus de bio, il faut en assumer le prix. Il L’agriculture bio occupe désormais 14 % Bettina Dyttrich, née en 1979, est journa- convient également de changer nos habitudes des champs et les paniers de producteurs liste, écrivaine et rédactrice de alimentaires : prendre conscience que les ont le vent en poupe. Cette tendance l’hebdomadaire WOZ, spécialisée légumes parfaits vendus en supermarché sont marque-t-elle un tournant ? dans l’écologie et l’agriculture. obtenus à grand renfort de pesticides ; réduire Là aussi les tendances se contredisent : d’un drastiquement la consommation de viande, côté, on constate davantage d’intérêt pour L en Suisse et partout dans le monde. Nous une agriculture durable et une alimentation es champs de fleurs, les vaches importons chaque année plus d’un million raisonnée ; de l’autre, Aldi, Lidl et consorts qui paissent, les poules qui de tonnes de nourriture animale cultivée dans continuent à casser les prix. gambadent sont quelques-uns d’immenses champs à l’étranger ; or, ces J’observe toutefois des exemples encou- des clichés de l’agriculture derniers devraient nourrir l’humanité. Dans rageants de groupes, de coopératives et suisse. Qu’en est-il ? le même temps, la biodiversité et la qualité d’individus qui transforment l’agriculture Si la stabulation des vaches était le summum de l’eau pâtissent du système actuel. et tissent des liens directs entre consom de la modernité jusqu’aux années 90, la mateurs / consommatrices et exploitant·e·s. situation s’est légèrement améliorée : plus de Des consultations sur la politique agricole L’État n’est jamais à l’initiative de ce genre 80 % d’entre elles évoluent désormais dans de la Suisse à l’horizon 2022 sont en cours. de projets et jusque dans les années 80, il des prés. La Suisse fait mieux que les autres Un changement de cap est-il en vue ? freinait même activement le développement sur ce point. La majorité des consommatrices La politique agricole est si contradictoire du bio. Ces approches ont pour avantage et consommateurs sont conscients que les que c’est peu probable. Depuis des années, de considérer les agricultrices et agriculteurs poules sont rarement élevées en plein air, on demande à l’agriculture de devenir plus non comme de simples conservateurs de nos mais plutôt en batterie par milliers, avec ou écologique et plus compétitive à la fois, paysages, mais comme des producteurs de sans moyen de sortir. Les Alpes comptent ce qui est antinomique. Un fossé s’est donc nourriture à part entière. En effet, l’enjeu n’est encore des champs de fleurs, mais le Plateau creusé entre des exploitations misant sur pas seulement écologique car il en va de quasiment plus à cause des engrais. des produits écologiques de niche de très notre alimentation. bonne qualité et celles qui tentent de rester — Interview : Pascale Schnyder Photo : mise à disposition À votre avis, quels sont les principaux concurrentielles dans un contexte de pro défis de l’agriculture suisse ? duction de masse. Le défi de la Suisse est le même que le reste de Pour moi, l’objectif doit évidemment être la planète : comment faire une agriculture la qualité et la protection environnementale plus écologique dont les paysan·ne·s puissent pour tous, et non pas pour un petit groupe de Perspectives 3 / 2019
Dossier 17 À la sortie de La Sarraz en direction de Dizy j’aperçois en contrebas quelques vaches qui paissent librement ainsi que des chevaux. C’est là que je me rends, à la ferme de la famille Iseli où je suis accueilli par Christina de Raad Iseli. Depuis 2003, elle s’occupe, avec son mari et un employé, de la ferme et de ses 30 hectares de surface agricole ainsi que du bétail. Les enfants, tous en formation, donnent un coup de main lorsque leurs études le permettent. Christina serait très heu- reuse si l’un ou l’autre reprenait la ferme et perpétuait les valeurs de l’exploitation familiale. Mais leur avenir leur appartient et ils feront leur choix en fonction de leur désir et non de celui de leurs parents. Ce souhait de ne pas entraver ou forcer se retrouve aussi dans le rapport que la famille Iseli entretient avec son bétail et la terre qu’elle cultive. Une production variée et bio Christina et son mari n’ont pas choisi ce qu’ils allaient produire en fonction d’un revenu potentiel ou du marché mais en fonction de leurs envies et du bon équilibre agronomique de leur exploitation. Les acti- vités de la ferme sont diversifiées et atypiques. Pour la production végétale, on trouve des lentilles, des pois-chiche, de l’avoine (céréale et flocons), du lin (huile et graines), de l’épeautre et lors de rotation agronomique du sarrasin et du blé. Les vaches allaitantes Angus et leurs veaux, les poules pondeuses ainsi que les poulets fermiers composent la production animale. Tous ce qui est produit sur la ferme des Iseli est certifié Bio Suisse et les vaches allaitantes circulent librement entre l’étable et les champs. Vente directe et clientèle locale Pour la famille Iseli, la vente directe correspond clairement à leurs valeurs. Ils vendent leurs produits dans leur magasin à la ferme, dans des petites épiceries, des magasins bio ainsi qu’à des traiteurs et des Les vaches de Christina ne sont pas engraissées et circulent librement restaurateurs. Ils ne travaillent pas avec la grande distribution qui, entre l’étable et les champs. pour la vente de viande au détail, contraint les éleveurs à engraisser le bétail pour atteindre le bon quota en termes de poids et d’âge de l’animal. Les Iseli ne mangent pas de ce pain-là et préfèrent nourrir leurs bêtes avec leur herbe avant de les accompagner à l’abattoir communal à 10 km. Travailler en lien Un précieux savoir-faire pour les générations futures Concernant les légumineuses, la taille de l’exploitation des Iseli est inintéressante pour la grande distribution qui privilégie la ratio nalisation des coûts et, de facto, l’agriculture intensive. « En investis- avec ses valeurs sant dans des machines pour trier nos graines nous-mêmes, nous restons dans un circuit court avec notre clientèle et nous récupérons les graines qui s’y prêtent pour les semer », explique Christina. Ainsi, ils développent un précieux savoir-faire, fondamental pour la souveraineté alimentaire de notre pays. Christina est confiante C’est le choix d’une famille vaudoise en l’avenir et perçoit la génération future comme porteuse de valeurs durables et consciente du réchauffement climatique. Lorsqu’elle en qui travaille depuis 16 années a le temps, elle va en montagne, toujours en contact avec la nature. une surface agricole de 30 hectares — Daniel Tillmanns et propose à sa clientèle des Photo : Daniel Tillmanns produits labellisés Bio Suisse. Perspectives 3 / 2019
Dossier 18 Diversité et L ’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies (FAO) est arrivée avec des camions bourrés de pesticides, d’engrais et de semences brevetées à nous distribuer », raconte un des membres du collectif paysan de non uniformité Concepción de María, au sud du Honduras. Une aide qu’ils ont refusée. Et de poursuivre : « On leur a dit qu’il valait mieux nous aider à installer un système d’irrigation. On veut produire des aliments sains et traiter la nature avec respect. » Depuis quelques années déjà, ses collègues et lui ont réussi à passer à l’agriculture agroécologique et se mobilisent désormais pour défendre leurs Pratiquer l’agroécologie par leurs intérêts. Partenaire de Pain pour le prochain, le Réseau hondurien propres moyens plutôt que dépendre pour la promotion de l’agriculture agroécologique (Anafae) les aide en enseignant les pratiques agroécologiques aux paysan·ne·s. de l’agro-industrie, de ses engrais Par ailleurs, les cours de formation continue dispensés par Anafae apprennent aux familles paysannes à constituer des réserves de et pesticides, c’est ce qu’ont décidé semences, à cultiver les plantes, à planter les semis, à sélectionner de faire des familles honduriennes. les graines et à produire de l’engrais organique. Leur réussite les conforte dans leur Plus résistant à la chaleur et aux parasites Pour se convaincre de la rentabilité de l’agroécologie, il suffit d’une choix. visite dans les montagnes du sud du pays où exploitations conven- tionnelles et agroécologiques se côtoient : les champs cultivés selon des principes naturels sont verdoyants et les températures y sont agréables car ils sont bordés d’arbres ; les parcelles avoisinantes, elles, sont arides et les plantes se flétrissent sous l’effet d’un soleil de plomb. « Nous cultivons toutes sortes de plantes et d’arbres pour protéger les sols de l’érosion et économiser l’eau », nous explique une paysanne. Son voisin doit davantage irriguer ses champs et épandre beaucoup d’engrais de synthèse. Protéger les droits et promouvoir l’agroécologie En plus d’aider les familles paysannes en leur enseignant des méthodes agricoles écologiques, Anafae lutte pour rétablir leur droit à la terre et protéger les semences indigènes. Ces familles ont besoin d’accéder à la terre et aux semences pour pouvoir sub- venir à leurs besoins, mais les grandes exploitations minières et agricoles contestent ce droit ; or le gouvernement semble clairement du côté des grandes entreprises. C’est la raison pour laquelle Anafae exige des lois qui protègent les paysan·ne·s et promeuvent l’agroécologie. — Ester Wolf Photo: Pain pour le prochain Domingo Garcia Nicolas, un agriculteur du Honduras, cultive 76 fruits, légumes et herbes différentes sur sa parcelle. Perspectives 3 / 2019
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