Réflexion sur l'implication de la population face à un accident nucléaire majeur en France - Directeur de recherche : Professeur Patrick ...
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Réflexion sur l’implication de la population face à un accident nucléaire majeur en France Directeur de recherche : Professeur Patrick LACLEMENCE Mémoire de recherche présenté par Jean-Pierre LAMADE Janvier 2018 1
Sommaire Résumé…………………………………………………………………….page 3 Abstract…………………………………………………………………….page 3 Remerciements………………………………………………………...page 4 Répertoire des figures……………………………………………….page 5 Liste des abréviations………………..…………………………..….page 6 Table des matières……………………..…………………………..…page 7 Bibliographie……………………………………………………………..page 97 Sommaire des annexes……………………………………………..page 99 2
Résumé A ce jour, 58 réacteurs électronucléaires sont en exploitation sur le territoire français. Le 11 mars 2011, la catastrophe de Fukushima Daiichi au Japon a une nouvelle fois bouleversé l’approche de la sureté nucléaire dans notre pays. Une des conséquences directes a été à l’échelle gouvernementale, la réalisation d’un plan national interministériel de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur (SGDN-2014). Ce plan préconise entre autre l’augmentation des rayons de dangers autour des centrales nucléaires et ainsi élargir ceux-ci de 10 à 20 km. A ce jour, selon une étude de l’ASN, seulement 50 % de la population a fait l’effort de se procurer des comprimés d’Iode stable mis à disposition par les exploitants. La population est-elle aujourd’hui sensibilisée et impliquée autour de la conduite à tenir face à un accident nucléaire majeur sur notre territoire ? Sommes-nous bien préparés à subir une telle situation et surtout la population est-elle prête ? Pour répondre à ces questions, ce mémoire traite dans une première partie du comportement de la population face aux situations de crise. Une seconde partie est ensuite consacrée à la compréhension du manque d’implication de la population et de son ressenti sur la question du risque nucléaire qui divise les français. Cette étude s’attache également à trouver des pistes et des axes de recherche afin de mieux préparer la population en l’impliquant pleinement dans le dispositif d’information et de préparation afin de faire face à un accident nucléaire majeur sur notre territoire. Mots clés : risque nucléaire, implication de la population, information du public. Abstract To date, 58 nuclear power reactors are in operation in France. On March 11, 2011, the Fukushima Daiichi disaster in Japan once again upset the approach to nuclear safety in our country. One of the direct consequences has been, at the government level, the completion of a national interdepartmental response plan for a major nuclear or radiological accident (NWMO-2014). This plan advocates, among other things, the increase of danger radii around nuclear power plants and thus widen them from 10 to 20 km. To date, according to an ASN study, only 50% of the population made the effort to obtain stable iodine tablets made available by the operators. Is the population made sensitive and involved in a major nuclear accident on our territory today ? Are we prepared to undergo such a situation and especially to a population she is ready ? To answer these questions, this report deals with a first part of the behavior of the population in front of crisis situations. A second part is then dedicated to the understanding of the lack of involvement of the population and the sound of the issue of the nuclear risk which divides French. This study also seeks to find avenues and research axes in order to better prepare the population by fully involving them in the information and preparation system in order to deal with a major nuclear accident on our territory. Key words : nuclear risk, involvement of the population, public information. 3
Remerciements Je tiens ici à remercier : Le Colonel Hors Classe Olivier BOLZINGER, Directeur Départemental des Services d’Incendie et de Secours de la Drôme jusqu’en juin 2017, et Benoit GABRIEL, chef de la mission sureté du CNPE de Tricastin pour m’avoir autorisé à suivre cette formation, Monsieur Philippe KESSLER, expert incendie au sein de l’UNIE-GPSN du groupe EDF, pour son aide précieuse à la réalisation de mon projet de Master, Le Professeur Patrick LACLEMENCE, responsable de la spécialité Ingénierie te Management en Sécurité Globale Appliquée de l’Université Technologique de Troyes, directeur de mémoire, le Docteur Guillaume DELATOUR et au Doctorant Paul Henri RICHARD pour leurs conseils précieux et le suivi de ce travail, Au Lieutenant-Colonel Mohamed KARHAZE, responsable des formations sur la gestion de crise et la formation des élus à l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers et au Commandant Eric DUFES pour leur aide précieuse, Au Colonel Bertrand DOMINEGHETTI de la Mission d’Appui aux Risques Nucléaire au sein de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crise, pour son aide, A Madame Marie-Hélène EL-JAMMAL, responsable du « Baromètre IRSN » au sein de l’IRSN, pour ses conseils avisés, sa disponibilité et son aide, A Madame Céline FABRE, chargé de mission au Conseil Départementale auprès des CLI du Département de la Drôme, pour ses conseils et son aide, A Monsieur David ANTOINE, chef du SIDPC du Département de la Drôme pour son aide, A Madame Véronique FERDINAND, responsable du service communication du CNPE de Tricastin, pour son aide, A Madame Aurélie GAMON, auditrice au sein de la mission sureté du groupe EDF, pour son aide précieuse, ses conseils avisés, sa disponibilité et son soutien sans faille, A Laurence, pour sa patience… Que toutes ces personnes trouvent ici, toute ma reconnaissance. 4
Répertoire des figures Figure 1 : Cartographie des centrales nucléaires en France à ce jour……………………..…..page 14 Figure 2 : Plan d’ensemble de l’entrepôt « Loiret et Haentjens »………………………………..page 21 Figure 3 : Photo de l’incendie du 29 octobre 1987 à Nantes…………………………………..…..page 23 Figure 4 : Cartographie du sinistre de Nantes et de ses communes avoisinantes………..page 24 Figure 5 : Le cycle de vie d’une crise selon E. Dufes et C. Ratinaud – 2016……………….…page 33 Figure 6 : Le modèle 3D d’E. Dufes et de C. Ratinaud – 2013………………………………………page 35 Figure 7 : Typologie des comportements humains observées au sein des zones d’impact et de destruction selon la temporalité de la catastrophe – Dubos, Paillaud, Provitalo – 2012………………………………………………………………….……………………….page 37 Figure 8 : Dynamique posturale des individus face à une situation de crise E. Dufes – 2016………………………………………………………………………………….………………………page 39 Figure 9 : L’échelle INES : principaux incidents et accidents enregistrés – IRSN…………..page 43 Figure 10 : Diagramme crédibilité/compétence du Baromètre IRSN en 2016…………..…page 55 Figure 11 : Tableau des cooccurrents de communication selon Valérie Delavigne 1995…………………………………………………………………………………………………………..……………….page 58 Figure 12 : Schémas et photos de la catastrophe de Tchernobyl le 26 avril 1986……..…page 63 Figure 13 : Perception des risques – Schéma constructiviste – Pages et al. 1988………..page 72 Figure 14 : Exemple d’information donnée au public lors des campagnes d’information de la Préfecture de l’Isère et du CNPE de St Alban – 2016…………………...page 76 Figure 15 : Diagramme d’un programme évolutif d’exercices Ministère de l’Intérieur – 2008…………………………………………………………….…………………….page 92 5
Liste des abréviations AFP : Agence France Presse AIEA : Agence Internationale de l’Energie Atomique ANCCLI : Association Nationale des Comités et Commissions Locales d’Informations ASN : Autorité de Sureté Nucléaire CLI : Commission Local d’Information CNRS : Centre National de Recherche Scientifique CRIIRAD : Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité DDRM : Dossier Départemental sur les Risques Majeurs DGSCGC : Direction de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises DICRIM : Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs INES (échelle) : Echelle internationale de classement des évènements nucléaires (Intenational Nuclear Event Scale) IPSN : Institut de Protection et de Sureté Nucléaire IRSN : Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire MARN : Mission d’Appui à la gestion du Risque Nucléaire OPRI : Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants ORSEC : Organisation de la Réponse de Sécurité Civile PCS : Plan Communal de Sauvegarde PPI : Plan Particulier d’Intervention PPRT : Plan de Prévention des Risques Technologiques PUI : Plan d’Urgence Interne REP : Réacteur à Eau Pressurisée SDIS : Service Départemental d’Incendie et de Secours SGDSN : Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale UNGG : Uranium Naturel Graphite Gaz 6
Table des matières Préambule…………………………………………………………………………………………………………………………page 11 La société moderne et ses contraintes de sécurité…………………………………………………….…………..page 11 Quelle est la place du nucléaire dans la sécurité globale ?.........................................................page 13 Introduction……………………………………………………………………………………………………………………..page 15 Le nucléaire français, ou en est-on aujourd’hui ?.......................................................................page 15 A quoi peut-on s’attendre en terme d’impact sur la population et sur l’environnement en cas d’accident nucléaire majeur sur un CNPE ?....................................................................page 15 Les acteurs, vecteurs d’information et de désinformation…………………………………….……………….page 18 1ère partie : Le comportement de la population face aux situations de crise………………..page 20 1. Une étude de cas : l’incendie du dépôt d’engrais de Nantes le 29 octobre 1987 Une première en France dans l’évacuation massive des populations…………………………page 20 1.1 Le contexte général du site et de son environnement………………………………….………page 20 1.1.1 Etat des lieux du stockage de l’entreprise le 29 octobre 1987…………….…page 21 1.1.2 Le contexte réglementaire de l’entreprise en 1987………………………….……page 22 1.2 Une situation accidentelle qui évolue vite en situation de crise……………………..…….page 22 1.2.1 Les premières actions……………………………………………………..…………………….page 22 1.2.2 Constitution d’une cellule de crise…………………………………………………………page 23 1.3 La gestion de l’évènement par les autorités…………………………………..…………………….page 25 1.3.1 L’organisation des secours en 1987………………………………………….…………..page 25 1.3.2 La gestion proprement dite………………………………………………..…………………page 26 1.4 Pourquoi un déclenchement du Plan ORSEC ?.........................................................page 28 1.4.1 Les raisons historiques………………………………………………………….………………page 28 1.4.2 Les informations en possession des autorités………………………………..……..page 29 1.5 Que pouvons-nous en retenir ?................................................................................page 30 1.5.1 La remontée d’information et la perception des enjeux……………………....page 30 1.5.2 La problématique d’information de la population………………………………...page 30 2. Le comportement de la population, aide ou gène dans la gestion de crise ?.................page 31 2.1 Faire face à une situation de crise…………………………………………………………………………page 31 7
2.1.1 Qu’est-ce qu’une crise ?.............................................................................page 32 2.1.2 Le cycle de vie d’une crise…………………………………………………..………………….page 32 2.2 Le management des situations de crise…………………………………………………………………page 34 2.2.1 Les premières modélisations………………………………………………………..………..page 34 2.2.2 Le modèle 3D……………………………………………………….………………………………..page 34 2.3 La place de l’humain dans la gestion de crise………………………………………………………..page 36 2.3.1 L’acronyme « HOME »………………………………….…………………………….………….page 36 2.3.2 Le volet humain……………………………………………………………………………..………page 36 2.4 Le comportement des populations en situation de crise…………………………….…………page 37 2.4.1 Typologie des comportements humains……………………………….……………….page 37 2.4.2 Les différentes postures des individus…………………………………………………..page 39 2.5 L’auto-organisation de la population en situation de crise…………………………….………page 40 2.5.1 Des difficultés d’approche……………………………………………………………………..page 41 2.5.2 Une phase indispensable, la rupture d’équilibre…………………………………….page 41 3. Peut-on appliquer ces phénomènes à un accident nucléaire majeur sur le territoire français ?..........................................................................................................................page 42 3.1 L’absence de retour d’expérience sur le territoire français………………………….…………page 42 3.1.1 La caractérisation des évènements, l’échelle INES……………………………….…page 42 3.1.2 L’accident de St Laurent des Eaux en 1980……………………………………………..page 43 3.2 La préparation de la crise nucléaire vu par les pouvoirs publics et les exploitants….page 44 3.2.1 Plus de 30 années de sûreté nucléaire………………………………………..………….page 44 3.2.2 Des avancées notables depuis les années 2000………………………………………page 45 3.3 La prévention et le contrôle des installations…………………………………………..…………….page 46 3.3.1 L’autorité de Sureté Nucléaire………………………………………………………………..page 46 3.3.2 L’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire………………………………page 47 3.4 Les outils de planification actuelle pour gérer une situation d’exception de nature radiologique………………………………………………………………………..………………………………………page 47 3.4.1 Les outils prévisionnels…………………………………………………………..………………page 47 3.4.2 Les outils opérationnels………………………………………………..………………………..page 48 3.5 La communication française face aux accidents nucléaires internationaux : l’évolution des discours……………………………………………………………………………………………….page 55 3.5.1 La crédibilité et les compétences……………………………………………………………page 55 3.5.2 Le rôle des mouvements antinucléaire…………………………………..………………page 57 3.5.3 Le discours des exploitants…………………………………………………………..………..page 58 8
2ème partie : La perception du nucléaire influence-t-elle les individus ?...............................page 62 1. Tchernobyl : perte de la confiance de la population envers les décideurs ?...................page 62 1.1 L’impensable devient soudain réalité……………………………………………………………………page 62 1.1.1 L’installation nucléaire « Lénine »………………………………………………….……….page 62 1.1.2 L’engrenage tragique………………………………………………………………………………page 62 1.2 La communication autour de l’accident…………………………………………………..…………….page 64 1.2.1 Le panache radioactif au-dessus de la France…………………………..…………….page 65 1.2.2 Une communication désastreuse………………………………………..………………….page 65 1.2.3 Les controverses et les polémiques autour du panache radioactif……….…page 66 1.3 Quelles conséquences sanitaires sur le territoire français ?......................................page 68 1.3.1 Augmentation du nombre de cancers de la Tyroïde ?...............................page 68 1.3.2 Des estimations imprécises…………………………………………………………………….page 69 1.4 La position des autorités, controverse et perte de confiance…………………………………page 70 1.4.1 Le temps des mises en examen……………………………………………….……………..page 70 1.4.2 Le débat reste d’actualité…………………………………………………………..…………..page 71 2. La perception du risque nucléaire en France aujourd’hui………………………….………………..page 71 2.1 Le nucléaire et les français…………………………………………………………………………………….page 71 2.1.1 Les facteurs propre à l’individu…………………………………………….…………………page 71 2.1.2 Le « Baromètre IRSN »…………………………………………………………………..……….page 73 2.2 Les efforts de communication, d’information et de concertation de la population..page 75 2.2.1 L’information par les exploitants……………………………………………….……………page 75 2.2.2 L’information par les autorités……………………………………………….………………page 76 2.2.3 L’information par les autorités de contrôle et les experts (ASN et IRSN)…page 77 2.2.4 L’information par les Commissions Locales d’Informations (CLI)…………....page 78 2.3 Pourquoi ce défaut d’implication de la population sur le risque nucléaire ?............page 79 2.3.1 L’irrationalité du risque………………………………………….………………………………page 79 2.3.2 La perte de confiance des autorités et des exploitants…………………………..page 80 2.3.3 Les aspects secrets et cachés de l’industrie nucléaire…………………..………..page 81 2.3.4 Le fatalisme autour du risque nucléaire………………………………………………….page 81 3. Des pistes de travail…………………………………………………………………………..………………………..page 82 3.1 L’information du public en amont…………………………………………………………………………page 82 3.1.1 L’aspect réglementaire et les obligations……………………………..………………..page 82 3.1.2 Une information transversale…………………………………………………………………page 83 9
3.2 Quel message délivrer ?.............................................................................................page 83 3.2.1 Une sensibilisation indispensable…………………………………………………………..page 83 3.2.2 Sur quels aspects doit porter la sensibilisation ?........................................page 83 3.2.3 Qui doit informer ?.....................................................................................page 85 3.2.4 Comment informer efficacement ?........................................................page 86 3.3 Gagner la confiance de la population……………………………………………………………..……..page 86 3.3.1 La transparence avec la Loi 2006-686 du 13 juin 2006, dite Loi « TSN »….page 86 3.3.2 L’implication de la population par le biais des CLI…………………..………………page 87 3.3.3 L’expertise indépendante………………………………………………..……………………..page 88 3.4 Mieux préparer la population à un accident nucléaire majeur……………………………….page 88 3.4.1 La communication…………………………………………………………………..……………..page 88 3.4.2 La pérennisation des discours et de l’information de la population………..page 90 3.4.3 S’entrainer avec des exercices appropriés…………………………………..………….page 91 Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………..page 93 Le nucléaire « made in France »……………………………………………………………………………..………………..page 93 Des axes de progrès à développer……………………………………………………………………………………………page 95 Les limites de l’étude et de nouvelles perspectives………………………………………………………………….page 96 10
Préambule La société moderne et ses contraintes de sécurité : La société actuelle, complexe, pluridisciplinaire, multiculturelle en pleine évolution et changements, se transforme. Une des principales inquiétudes des citoyens composants les sociétés modernes occidentales fortement industrialisées est la question de la place de sa sécurité au quotidien. De tous temps, l’homme a cherché à assurer sa propre sécurité. Mais que cache le véritable sens du mot « sécurité » ? Qu’entend-on par ce terme faisant partie du langage courant ? Le sentiment de sécurité chez les individus correspond, selon sa définition littéraire, à « une situation dans laquelle quelqu’un ou quelque chose n’est exposé à aucun danger, à aucun risque, en particulier d’agressions physique, d’accidents, de vol ou de détérioration ». En d’autres mots, le sentiment de sécurité chez les individus correspond à une situation, un sentiment, où l’être se sent à l’abri d’un danger, où il se sent rassuré. Depuis la nuit des temps, le sentiment de sécurité fait partie intégrante de la survie des individus. Durant la Préhistoire, le besoin de sécurité de l’homme résidait principalement dans l’interaction qu’il pouvait développer avec son environnement. Sa propre sécurité était assurée par la présence de nourriture de façon suffisante, par la mise à l’abri et la protection de son foyer des intempéries et des agressions extérieures, qu’elles soient de d’origines naturelles, animales ou humaines. Dans l’antiquité, le mot sécuritas en latin issu du mot securus, « libre de soins et de soucis » signifiait « absence de souci, la tranquillité, la sureté » (Née, 2009). La perception des dangers et des menaces chez l’homme et le sentiment d’insécurité, évolue très vite au cours des siècles. De la préhistoire jusqu’à la fin du XVIIème siècle, les fléaux et catastrophes étaient considérés comme une punition divine. Les hommes acceptaient ces calamitées, comme une fatalité, sans pour autant agir pour les éviter, puisque ces évènements étaient une punition de la main du ou des Dieux. La croyance en Dieu, la bonne conduite et les prières pouvaient uniquement conduire à une protection salvatrice afin de se sentir en sécurité. A partir du siècle des Lumières, au début du XVIIIème siècle, le courant de pensée littéraire et culturel en vogue à cette époque, chez les intellectuels et les philosophes, était d’encourager les sciences et les échanges de pensées s’opposant ainsi à la superstition, à l’intolérance et aux abus de l’Eglise. Les origines mystiques des calamités, famines, intempéries, séismes, déluges, maladies et guerres commencent à disparaitre dans les esprits de chacun. Nous pouvons de ce fait devenir acteur pour éviter ces phénomènes catastrophiques qui ne sont plus, dans la pensée collective, une fatalité punitive. La perception de la sécurité va elle aussi évoluer en associant l’idée de prévention des risques, c’est-à-dire d’instaurer une volonté de mieux les comprendre, avec les avancées de la science, pour mieux les appréhender et ainsi mieux s’en protéger. D’une manière générale, le sentiment de sécurité des individus est un sentiment indispensable à la vie et au maintien psychologique apaisé de l’état mental. Il participe grandement au bien-être de l’homme dans sa globalité. 11
En 1970, le psychologue Abraham Maslow1 a d’ailleurs hiérarchisé le sentiment de sécurité et de protection de l’espèce humaine en seconde position de sa pyramide des besoins fondamentaux, juste après les besoins physiologiques et biologiques vitaux. Le besoin de sécurité et de protection, de sécurité physique et psychologique implique un environnement social, familial et professionnel stable et prévisible, sans anxiété ni crise, sans agressions extérieures. Par conséquent, assurer la sécurité revient en réalité à tenter de répondre, à une somme de sentiments individuels. Qu’en est-il aujourd’hui de la sécurité dans notre société moderne ? Définissons tout d’abord ce qu’est une société moderne. Une société moderne est un terme des sciences sociales défini par le sociologue Émile Durkheim2 décrivant un type de société particulière par opposition à la société traditionnelle. La société moderne, orientée vers le changement et le progrès, se caractérise par trois grandes idées qui sont l’unité, la liberté et enfin l’efficacité de l’activité humaine. L’unité : les hommes sont « désormais plus étroitement unis entre eux par les liens sociaux, techniques, culturels ». C’est ce que nous appelons la « mondialisation » ou la « globalisation » : les évolutions techniques paraissent conduire inéluctablement à une interdépendance entre les hommes jamais connue ni même imaginée jusque-là. La liberté : au XXème siècle, surtout au sortir des deux guerres mondiales, elle est devenue la grande revendication des hommes, de tous les hommes dans tous les peuples et dans tous les domaines de leur existence : liberté morale, liberté économique, liberté sociale et politique. Les hommes ne veulent plus être conduits comme des enfants mineurs, en aucun domaine. À la source de ces deux caractéristiques de notre société moderne, un fait décisif : l’incroyable efficacité de l’activité humaine. L’homme moderne ne se contente plus de supporter son sort en tâchant de l’améliorer comme il peut, parfois, souvent, au détriment des autres. Cette société moderne dans laquelle nous vivons, est en adéquation avec le monde actuel, global, complexe et interdépendant. Nous allons donc parler de sécurité globale, qui se veut comme le monde actuel, complexe et interdépendant. La sécurité globale se déploie sur l’ensemble des activités qui fondent les bases de notre société. Elle comprend la sécurité sanitaire, la sécurité civile, la sécurité sociale, la sécurité publique, la sécurité environnemental, la sécurité nationale, la sécurité politique, la sécurité humaine, ou bien encore la sécurité économique. 1 Abraham MASLOW (1908-1970) psychologue américain considéré comme le père de l’approche humaniste. 2 Emile DURKHEIM (1858-1917) sociologue français considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne 12
Selon le Professeur LACLEMENCE3 (2005) l’approche globale de la sécurité se caractérise par des réponses qui s’inscrivent dans « une triptyque sécuritaire : l’urgence égalitaire, la proximité affective et la sûreté permanente ». L’urgence égalitaire est de l’ordre institutionnelle, la proximité affective de l’ordre social et territorial et enfin la sûreté permanente est du ressort de la science et des avancées technologiques. Le progrès et les avancées technologiques ont permis d’anéantir un certain nombre de risques. Nous sommes de mieux en mieux armé pour faire face aux catastrophes naturelles, ou bien encore pour faire face aux maladies qui ont pour certaines disparues de notre monde moderne. Pourtant, nous n’avons jamais été aussi préoccupés par les risques qui subsistent. Le sentiment de vivre aujourd’hui dans un monde plus dangereux qu’il n’était autrefois est relativement courant (Slovic, 1987, Beck 1999 et 2001). Nos sociétés modernes cherchent à atteindre le plus haut niveau de sécurité en voulant à tout prix se rapprocher du risque « 0 » de manière très utopique. En contrepartie, le développement économique et les avancées technologiques vont bien sûr aider à éliminer un certain nombre de risques, mais vont aussi générer paradoxalement un accroissement de ceux-ci. Le développement de nos systèmes d’information et de communication permet un partage des connaissances mais va aussi générer la diffusion et l’amplification des peurs individuelles, face à ces nouveaux risques et nouvelles menaces. Retenons avec ces quelques définitions que dans le monde complexe dans lequel nous vivons, la sécurité ne peut en aucun cas être unilatérale, elle doit s’inscrire dans une organisation complexe, multi champs d’action, dépassant toutes les frontières et les organisations. La sécurité s’inscrit sous toutes ces formes et sous tous les volets de la société, dans un monde où l’information est universelle et extrêmement rapide, et de ce fait difficilement contrôlable. Quelle est la place du nucléaire dans la Sécurité Globale ? La France a lancé son programme nucléaire civil à partir de 1958. Cet ambitieux programme électro nucléaire a débuté par la construction et l’exploitation de 1963 à 1971 de 6 réacteurs Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG). Les conflits géopolitiques du monde arabe comme le conflit israélo- palestinien, la guerre du Kippour en 1973 et le premier choc pétrolier d’octobre 1973 mettent brutalement en évidence la dépendance énergétique des pays occidentaux et leurs fragilités à une période où notre pays connaissait une formidable croissance économique. Les avancées de la recherche sur le domaine de l’atome, ont vite conduit la France à vouloir disposer au plus vite de son indépendance énergétique. Les évènements importants se jouant sur l’échiquier international, ont conduit le pouvoir politique français en place à accélérer encore le programme électronucléaire initié par le Général De Gaulle4. La filière UNGG, vieillissante et dépassée a conduit le gouvernement en place à se tourner vers une technologie américaine des Réacteurs à Eau Pressurisés (REP) sous brevet Westinghouse, qui sera développé sur le territoire par la société Franco-américaine Framatome. Ce ne sont pas moins de 55 réacteurs nucléaires de technologie REP construits dans la période 1972- 1980 pour atteindre un objectif de production de 55 000 MW. L’exploitation s’opérera par Electricité de France (EDF) qui décida de créer un parc nucléaire basé sur des réacteurs de même conception. 3 Professeur Patrick LACLEMENCE enseignant, chercheur et Professeur à l’Université Technologique de Troyes 4 Général Charles De Gaulle (1890 – 1970) militaire, résistant, écrivain et homme d'État français. 13
La technologie et les retours d’expérience aidant, la filière REP française n’a cessé d’évoluer et de s’améliorer par différents paliers successifs des Contrats Programmes5, CP0, CPY, P4 et P4’, pour obtenir une puissance de production de 900 MW, 1300 MW, puis 1450 MW par réacteur. A ce jour, 58 réacteurs sont en service, répartis sur 19 sites sur le territoire métropolitain qui représentaient en 2016, 77 % de la production nationale d’électricité soit une puissance de production de 415 TWh/an. Le dernier réacteur en construction à ce jour est un réacteur de 3ème génération de type EPR (European Pressurized Reactor), construit sur le site de Flamanville situé dans le département de la Manche. Il est une version européenne améliorée du REP de Westinghouse. Sa mise en service est prévue courant 2018 et atteindra une puissance de production de 1600 MW. Les réacteurs nucléaires constituent aujourd’hui la première source de production d’électricité en France. Au nombre de 58, ces unités se situent à proximité des sources de refroidissement, en bord de mer ou sur les rives des principaux fleuves français. Le parc actuel est composé de 34 réacteurs de 900 MW, 20 réacteurs de 1300 MW et 4 réacteurs de 1450 MW. Carte des centrales nucléaires en France. - Wikimedia Commons La France, outre les réacteurs de production d’électricité a également développé une industrie nucléaire assez importante, notamment la filière d’enrichissement et de fabrication du combustible et de retraitement des déchets. D’autres sites sont également présents sur le territoire français, les réacteurs de recherche, les sites d’expérimentations, les anciens sites en déconstruction… Ces industries possèdent leurs propres risques, souvent liés à de l’industrie chimique, comme c’est le cas sur la filière d’enrichissement de l’Uranium sur les usines AREVA de Tricastin. Ces installations sont bien définies comme des installations dites « à risques » au sens de leur classement réglementaire en Installations Nucléaires de Base (INB) et soumises aux études de danger. Elles doivent disposer d’un Plan Particulier d’Intervention (PPI). Les rayons de danger de ces sites, bien que conséquent, sont bien inférieurs aux périmètres de danger des centrales nucléaires, qui sont à ce jour de 10 Km, et qui vont selon les préconisations du Plan National Interministériel de réponse à un accident nucléaire ou 5 Contrat Programme : Il s’agit d’évolutions dans la conception même des réacteurs, prenant en compte le retour d’expérience et les évolutions technologiques pour l’amélioration de la sureté. 14
radiologique majeur (n°200/SGDN6/PSE/PSN-édition février 2014), prochainement être augmenté sur un rayon de 20 Km. Nous voyons bien ici par ce bref historique de la construction de l’industrialisation du nucléaire français, la place de cette industrie dans notre société occidentale moderne qui, en pleine croissance et expansion économique début des années 70, recherche à tout prix, au vu du contexte géopolitique de cette période, son indépendance énergétique. 6 SGDN : Secrétariat Général de la Défense Nationale. 15
Introduction Le nucléaire français, ou en est-on aujourd’hui ? Malgré la forte place du nucléaire français à l’échelle mondiale à la fin du XXème siècle, et des retombées économiques florissantes pour notre pays, l’industrie du nucléaire français va petit à petit perdre son blason doré. Sous la pression d’une partie de l’opinion public, des organisations anti- nucléaires, et de l’actualité qui nous a montré que des accidents nucléaires majeurs étaient possibles (Kychtym – URSS – 1957, Three Mile Island -EU- 1979, Tchernobyl – Ukraine - 1986, Fukushima Daiichi – Japon – 2011), la France comme un bon nombre d’autres pays développés se pose la question de l’avenir de la filière énergétique nucléaire et de son mode de remplacement progressif par des énergies renouvelables, plus écologiques et surtout moins dangereuses. Ainsi, la Loi 2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 prévoit de diminuer de 75 à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité nationale. En admettant pour atteindre cet objectif un arrêt et démantèlement futur d’une partie du parc de nos réacteurs à eau pressurisée (REP), ces installations en fin de vie représenterons même à l’arrêt, des risques qu'il conviendra de maîtriser. Les matières radioactives doivent être évacuées, l'installation déconstruite, puis décontaminée et les matériaux stockés en sites spécialisés. Aujourd’hui, l’exploitation de l’énergie nucléaire divise les français, et selon les orientations politiques des différents gouvernements, les perspectives de durée d’exploitation des sites restent incertains. Nous pouvons être pour ou contre l’énergie nucléaire, mais peu importe notre opinion sur la question, l’énergie nucléaire est bien présente sur notre territoire et il faut vivre avec elle. A quoi peut-on s’attendre en terme d’impact sur la population et sur l’environnement en cas d’accident nucléaire majeur sur un CNPE ? Selon la Loi 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la Transparence et à la Sureté Nucléaire, dite Loi TSN, la sureté repose sur quatre grands principes : - La maîtrise de la réaction en chaine - Le refroidissement du combustible - Le confinement de la radioactivité - La protection des populations Les scenarii historiquement considérés comme les plus graves et les plus préoccupants sont sans nul doute les accidents de fusion du cœur. Cette fusion peut intervenir après une élévation importante de température des matériaux constituants le cœur. Elle est la conséquence d’une ou plusieurs défaillances des systèmes de refroidissement par le fluide caloporteur. Ce type d’accident ne peut intervenir qu’à la suite d’un grand nombre de dysfonctionnements, ce qui rend sa probabilité très faible, de l’ordre de 1 pour 106 (objectif probabiliste global défini en 1977 et 1978 par le Service Central de Sureté des Installations Nucléaires (SCSIN) pour la survenue de « conséquences inacceptables »). 16
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