REVUE DES GUIDES # 2 - Dialogue en Route
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Index 10 Edito 3 Le Blog des Guides Juliette Salzmann Lia Ludwig Assistante de direction Co-coordinatrice du réseau des La diversité racontée par des 4 et co-coordinatrice du réseau guides Suisse romande jeunes des guides Suisse romande Le réseau de guides en chiffres 6 Pour la deuxième année sur le Blog ? Rappelons quelques événements qui consécutive, « Dialogue permettent d’éclairer une préoccupation actuelle. Rencontre avec les nouvelles 8 en Route » a le plaisir de En juillet 2020, la statue de David de Pury, située guides vous proposer la lecture sur une place éponyme au centre de Neuchâtel, est de sa Revue des Guides ! retrouvée couverte de peinture rouge, symbolisant Le Blog des Guides 10 Dans cette édition, vous le sang versé d’esclaves. En effet, l’homme d’affaires trouverez 6 nouveaux du 18ème siècle, qui a légué sa fortune à la ville, s’est articles ainsi que quelques enrichi grâce à la traite d’humain·e·s. Entre-temps, 40 « Intersectionnalité » : inédits, tels que la sous la pression de l’opinion publique, la statue s’est penser la discrimintion au pluriel. 12 série « Le Mot du mois », vue dotée d’une plaque explicative. Que faire du publiée sur les réseaux passé esclavagiste de personnalités glorifiées et visi- Au sujet de la nature humaine : quel lien entre sociaux ces douze der- bilisées dans l’espace public ? Le débat a été ouvert. racisme et sécularisation ? 16 niers mois (page 36). Certain·e·s demandent que ces monuments soient Le Mot Le Blog de « Dialogue retirés, d’autres avancent qu’il faut, au contraire, les laisser sur place, au nom du respect de l’histoire. Compte-rendu de la table ronde « Les minorités en Islam : chrétien·ne·s, juif·ve·s, femmes savantes du mois en Route » donne la possibilité aux guides D’autres propositions sont faites : offrir des parcours pédagogiques au grand public et ainsi mettre en et hérésies » 22 de faire entendre leur contexte, débaptiser les noms des places ou des voix sur une plateforme rues, placer ces figures dans les musées et autres Être non-civilisé·e·s en 2022 26 publique. En partageant espaces moins visibles ou encore, transformer ces des récits personnels, statues, les faire dialoguer avec le regard d'artistes des réflexions ou le contemporain·e·s Représentation de personnalités controversées résultat de recherches dans l’espace public – quel paysage académiques, ils et Ces mobilisations, dans la lignée du mouvement commémoratif pour la Suisse ? 30 elles communiquent « Black Lives Matter », doivent perdurer. En effet, leurs points de vue et le racisme est encore à observer en de nombreux Minorité religieuse rime-t-elle toujours connaissances quant à lieux ; il prend aussi d’autres formes, par la mobilisa- des sujets de société. tion de plus en plus fréquente d’arguments culturels avec discrimination ? 36 ou religieux. Nos guides décident d’évoquer ces lieux Dans les écrits qui de mémoire, le racisme institutionnel et celles et suivent, vous remarque- ceux qui le subissent et proposent des réflexions qui Le Mot du mois 40 rez que des thématiques s’inscrivent dans la mission générale de « Dialogue reviennent de façon en Route » : prévenir les préjugés et les stéréotypes La norme pénale anti-discrimination 58 récurrente. C’est le cas qui peuvent émerger d’une méconnaissance de notamment de celles du l’autre. Cette mise en mots, bien qu’insuffisante, racisme et de l’héritage est certainement essentielle. Que cette réflexion en Appel à candidature 60 colonial. Comment expli- faveur de l’égalité perdure – à travers vous peut-être quer l’intérêt des Guides aussi. Bonne lecture ! Contact et faire un don 62 à traiter de ces questions
4 5 La diversité racontée par des jeunes Pour faciliter la prise de contact et la transmission, ce sont principalement de jeunes guides, formé·e·s à la médiation, qui transmettent des connaissances à d’autres jeunes. Il paraît essentiel de viser avant tout ce public car ils et elles De gauche à droite : María Chacón, Lia Ludwig, Violette Marbacher, sont les citoyen·ne·s de demain. Camille Aeschimann, Elsa Saliba, Sarah Osman, Claire Robinson Photo : © Eyeshot En 2014, IRAS COTIS initie un projet novateur de – lors des visites pour des classes d’école et autres médiation culturelle et définit des objectifs et des groupes. « Dialogue en Route » est pensé comme un mesures en consultant des personnes clés issues projet collaboratif dans lequel les guides ont un rôle des milieux culturels, religieux, éducatifs, de l’inté- central. Les guides sont impliqué·e·s dans son orga- gration et de la jeunesse ; « Dialogue en Route » voit nisation, son développement et son évaluation. Ainsi, alors le jour. chacun·e est libre d’amener de nouvelles idées et de proposer des sous-projets. En outre, le réseau de Les « Guides en Route » constituent un réseau guides – du fait de sa diversité – est déjà lui-même national de jeunes d’horizons culturels et de milieux conçu comme une plateforme d’échange intercultu- sociaux variés dont le rôle principal est d’animer des rel et d’échange de connaissances. Il permet à des offres de sensibilisation à la diversité culturelle et jeunes de toute la Suisse d’être en lien et d’échanger religieuse – qui va dans le sens d’une déconstruction autour de thématiques qui les touchent. des stéréotypes et d’une prévention des préjugés
Le réseau guides agé·e·s de 6 7 de guides 22 à 30 ans en chiffres appartenant à 7 confessions différentes guides en Suisse romande Des personnes qui 18 s’engagent pour un meilleur vivre ensemble langues représentées au sein du réseau 11 Des étudiant·e·s en sciences des religions, relations internationales, histoire de l’art, études muséales et sciences humaines communautés impliqué·e·s dans 6 et nationalités les domaines de différentes l’intégration de la culture de la pédagogie basé·e·s dans cantons différents
8 9 Rencontre avec Sarah les nouvelles Osman (22) guides « L’éducation représente le meilleur moyen de combattre les stéréotypes et les violences qui en découlent. « Dialogue en Route » permet d’abor- der les thématiques liées à la diversité religieuse et culturelle et à la migration qui souvent, parce « Dialogue en Route » a eu le plaisir d’accueillir de qu’elles sont mal connues, sont l’objet de peur ou nouvelles guides en 2021. Elles se présentent en de sentiments négatifs. Ce projet permet donc de exposant leurs motivations à faire partie du projet. créer un dialogue sur ces thématiques, un endroit où des interrogations peuvent être posées et obtenir réponses, et de briser certains stéréotypes. Pouvoir Photo : © Eyeshot participer à ce projet constitue un moyen efficace de contribuer à rendre notre société plus tolérante. » Elsa Saliba (24) Matylda « Je considère que la diversité est une richesse indis- pensable à toute société. Je m’intéresse à explorer comment elle se traduit dans des contextes reli- Florez (25) gieux, artistiques et sociétaux. « Il me semble fondamental de rendre compte de la complexité et de la diversité des expériences vécues Pour moi, le projet « Dialogue en Route » est une pour tendre vers une société plus égalitaire et non invitation non seulement à penser la différence, discriminatoire. mais aussi à comprendre comment elle se mani- feste dans la société. Grâce à ce projet, les élèves Être guide pour le projet « Dialogue en Route » auront l’occasion de découvrir la diversité qui les me permet de réflechir et me questionner avec la entoure d’un point de vue communautaire, spirituel population qui m’entoure. C’est aussi un moyen de Photo : © Eyeshot Photo : © Eyeshot et artistique qui est en même temps divertissant. » partager des connaissances et des points de vue. »
« Intersectionnalité » : Article rédigé par 13 Matylda Florez penser la discrimintion au pluriel. À l’instant où j’écris le titre de cet article, Word le souligne en rouge. Le terme d’« intersectionnalité » est de plus en plus débattu dans les milieux militants et en sciences sociales, pourtant il reste peu présent dans le langage courant. Que signifie-t-il ? Je propose d’en donner une brève définition et de réfléchir à comment l’approche in- tersectionelle peut être mise en pratique afin de ne pas reproduire des formes d’oppressions.
14 Je me bats contre le sexisme bats contre le sexisme dont je suis victime mais 15 dont je suis victime mais mon expérience n’est pas égale à celle d’une femme racisée à mo- mon expérience n’est pas bilité réduite qui subit simultanément des dis- égale à celle d’une femme criminations de genre, de race et de validité. racisée à mobilité réduite Écouter, amplifier la voix, donner la parole qui subit simultanément des Les groupes minoritaires discrimantions de genre, de ont été et sont encore largement représentés race et de validité. par les autres groupes dominants. Il est temps d’écouter et de donner la parole aux personnes concernées et ainsi Photo : « Dialogue en Route » de visibiliser leurs expériences sociales et leur réalité vécue. Ces ses privilèges et de sa position sociale est la pre- Emma DeGraffenreid est une femme noire. En 1976, Mais comment mettre espaces d’expression se mière étape pour tendre vers un monde plus juste. elle attaque en justice une entreprise pour discrimi- en pratique l’approche trouvent dans les discus- nation raciste et sexiste à l’embauche. L’entreprise intersectionnelle ? Je sions quotidiennes, les prouve cependant qu’elle emploie des femmes ainsi propose ici deux élé- débats politiques mais que des personnes noires, ce qui est vrai, seulement ments de réponse qui aussi dans les médias, il s’agit de femmes blanches et d’hommes noirs. La ne sont évidemment les séries, les films, les catégorie sociale de femme noire n’étant pas consi- pas exhaustifs mais qui, livres, etc. C’est entre dérée comme telle, Emma perd son procès face à je l’espère, invitent à la autres en représentant une justice qui ne répond pas à sa double identité réflexion. les groupes minoritaires et à la discrimination raciste et sexiste qu’elle subit et en leur donnant une simultanément. Repenser ses privilèges* voix que leurs expé- riences particulières de C’est en réponse à ce genre de situations qu’émerge Chacun·e d’entre nous discrimination pourront alors le concept d’« intersectionnalité ». Il a été se situe à l’intersection être nommées, prises développé par la juriste et féministe anti-raciste d’un certain nombre en compte et que des afro-américaine Kimberlé Crenshaw en 1989. La de privilèges et d’op- changements pourront définition juridique de la discrimination étant pressions. Se confronter alors avoir lieu. trop réductrice, elle propose d’utiliser le terme à ses privilèges est d’intersectionnalité afin de rendre compte de la essentiel pour prendre Cette notion d’intersec- complexité des expériences de marginalisation des conscience de la place tionnalité a donc pour femmes noires de classes défavorisées. Ce terme est occupée dans la société. but de repenser les aujourd’hui plus largement utilisé pour penser l’ar- Par exemple, la cou- inégalités dans la société ticulation entre les différentes formes d’oppressions leur de peau blanche avec plus de justesse et que les individus subissent en fonction du genre, de n’est que très rarement de pertinence, en accep- la race, la classe, la sexualité, la religion et d’autres discutée en tant que tant et en reconnaissant axes de discrimination. telle ou même nommée les différences. Pour et ne fait pas l’objet cela, chacun·e doit se Le combat de Crenshaw pour la reconnaissance de débats. Le privilège questionner sur sa place des identités plurielles et des discriminations réside alors dans le fait au sein de la société, particulières s’inscrit dans la continuité des mouve- de ne pas avoir à se dans les mouvements ments féministes afro-américains et des féministes questionner sur cette sociaux, mais aussi sur autochtones et indigènes qui luttent depuis bien « blanchité ». Dans mon comment être inclusif·ve longtemps pour leurs droits spécifiques (voir par cas, je me positionne en et concevoir sa place exemple le travail d’Audre Lorde et d’Angela Davis). tant que femme, je suis au sein d’un groupe. blanche et valide. Je me Prendre conscience de
Au sujet de la nature Article rédigé par 17 Claire Robinson humaine : quel lien entre racisme et sécularisation ? Dans cet article, Claire nous éclaire sur les liens entre deux phénomènes centraux à la construction de la Illustration : Mikyung Lee modernité : quelle relation peut-on penser entre racisme et sécularisation ? Comment ces concepts ont-ils impac- té en profondeur notre vision de l’être humain ?
18 Pour commencer, humain et de sa valeur ; une question centrale à 19 une tentative de dé- laquelle, de tout temps, les différentes traditions finition s’impose. La religieuses ont répondu. sécularisation décrit le processus de différencia- La reconnaissance d’une dimension transcendan- tion ou transformation tale à l’existence humaine a fait partie des visions des sphères institution- du monde de toutes les civilisations qui nous ont nelles du « religieux » précédées. Dans la pensée européenne médiévale, (institutions ecclésias- l’être humain était un être fondamentalement tiques et Églises) et théomorphe, créé à l’image de Dieu. Cette essence du « séculier » (État, était inférée par sa faculté intellectuelle (Ogunnaike économie, science, art, 2016 : 786). Influencé par les philosophes grecs, et etc.), de déclin réel ou en particulier Aristote et Plotin, l’intellect (noûs en supposé du « religieux » grec et intellectus en latin) était considéré comme la et de privatisation de faculté la plus élevée, divine et intuitive, permettant la pratique religieuse à l’être humain de percevoir directement Dieu et les (Casanova 2009 : 1050). vérités divines. L’intellect se différenciait donc de la Le terme, basé sur la faculté rationnelle (dianoetikón ; ratio), limitée à la formule de Max Weber pensée discursive et spéculative, et donc inférieure de « désenchantement (ibid. : 789). Un autre concept hérité des doctrines du monde », peut aussi grecques était la grande chaîne des êtres (scala na- signifier une capacité turæ), qui a continué d’être centrale dans la pensée croissante à donner occidentale. Elle représente l’idée que tout dans le des explications cosmos est ordonné selon une hiérarchie. Dans la « non-religieuses » période médiévale, Dieu se trouvait au sommet et (Calhoun 2012 : 337-338). était donc la mesure de toute chose. Le rang oc- Quant au racisme, il cupé dans cette hiérarchie était alors défini par la est défini comme une participation à la nature du Bien et par le degré de croyance en l’existence conformité à l’image de Dieu. Conséquence de la naturelle de « races » doctrine de l’Imago Dei, qui conférait à tout·e un·e et d’une hiérarchisa- chacun·e sa dignité propre, l’être humain était pensé tion de ces dernières comme la plus haute créature vivante sur terre, (Ogunnaike 2016), au-dessus des animaux, des plantes et des minéraux comme un ensemble (Ogunnaike 2016 : 788-789). Mais une hiérarchie de de techniques visant l’humanité existait tout de même, basée sur l’im/ à gérer les différences perfection spirituelle (ibid. et Wynter 2003 : 287) (Lentin 2020) ou encore de chaque individu. La centralité de la spiritualité comme un système de dénuait les aspects matériels ou physiques de toute domination. Ces deux importance (Ogunnaike 2016 : 790), contrairement à légitimant ainsi leur mise en esclavage (Ogunnaike phénomènes consti- la nouvelle hiérarchie « raciale » qui allait émerger. 2016 : 797 et Wynter 2003 : 269). tutifs de la modernité ont émergé en Europe En effet, la date clé de 1492 amorça une véritable Avec le déclin progressif de l’autorité et du pouvoir dans des contextes rupture. La question fondamentale sous-jacente temporel de l’Église et la nécessité de justification historiques, sociaux, éco- aux rencontres européennes avec l’« Autre » dans des pratiques racistes, la conception théocentrique nomiques spécifiques. les Amériques, exemplifiée par la controverse de de l’être humain a graduellement été remplacée Autant complexes que Valladolid, était de savoir ou de redéfinir ce que par une conception séculière ou désacralisée leurs développements signifie « être humain ». Les deux hommes d’Église - degodded (Wynter 2003). Elle a ensuite été théo- soient, un aspect en espagnols, Las Casas et Sepúlveda, débattirent risée de manière successive et systématique. Les particulier, celui de leur de la nature et donc du statut des habitant·e·s penseurs de la Renaissance ont fait revivre le culte relation, me semble indigènes des nouveaux territoires coloniaux gréco-romain du corps, en partie en conjonction avoir été peu abordé espagnols. Las Casas argumenta en faveur d’une avec la tendance à un intérêt accru pour le monde – voire reste méconnu nature théocentrique (chrétienne) et d’une mission matériel. Ceux de la période des Lumières, aussi – lorsqu’il est question d’évangélisation. Il s’opposa à une mise en esclavage appelée l’« âge de la raison », ont insisté sur le fait de racisme. En effet, systématique des indigènes, les percevant toujours que seule la faculté rationnelle pouvait mener à l’idée même de « race » comme des congénères et potentiel·le·s chré- la connaissance, éclipsant ainsi la faculté intellec- implique une certaine tien·ne·s. Sepúlveda prit position pour la conception tuelle et l’accès et le lien directs de l’être humain philosophie de laquelle émergente humaniste et ratiocentrique de l’être à la transcendance. Enfin, les intellectuel·le·s du découle une concep- humain, identifiant les indigènes comme n’étant courant humaniste se sont focalisé·e·s sur le génie tion spécifique de l’être pas en pleine possession de la faculté rationnelle et de l’être humain ;
20 21 « l’homme est la mesure de toute chose » étant une Cette rupture dans la citation devenue l’un des symboles de cette pen- conception de l’être sée (Ogunnaike 2016 : 792 et Wynter 2003). Aussi, humain a eu des effets en conséquence de cette sécularisation, tant de la empiriques majeurs sur nature humaine que de la connaissance, la grande « l’émergence de l’Eu- chaîne des êtres a subi une trans(dé)formation rope » et sa construction majeure (ibid.). Certes, Dieu est toujours présent en en tant « civilisation arrière-plan, mais en termes d’univers connaissable, mondiale » d’un côté perceptible et intelligible des philosophes et des et de l’autre, la mise en scientifiques, l’homme a pris sa place (Ogunnaike. : esclavage de l’Afrique, 791). Il ne s’agit pourtant pas de n’importe quel les conquêtes des homme ou quelle femme : « être humain » est Amériques et l’asservis- devenu synonyme d’homme blanc, européen et sement de l’Asie (Wynter rationnel. La place de l’être humain dans cette nou- 2003 : 263). Enfin, il est velle hiérarchie n’est plus informée par son degré important, outre la d’im/perfection spirituelle mais plutôt par son degré question du racisme, de d’ir/rationalité (Wynter 2003 : 287) et par sa confor- se questionner sur les mité à celui ou celle qui se trouve au sommet. C’est effets de la sécularisa- ainsi que la construction du concept de « race » a tion. Ce phénomène est permis à l’Occident, alors en expansion mondiale, de à penser non en terme répondre à la question de ce que signifie « être hu- d’absence – un monde main » (Wynter 2003 : 264). Alors que jusque dans la dépourvu du « religieux », période médiévale les personnes noires étaient per- mais plutôt en terme de çues comme païennes/non-chrétiennes, inférieures présence : il façonne nos mais toujours humaines, après la Renaissance et les imaginaires sociaux, qui Lumières, elles ont été considérées comme irra- à leur tour contribuent tionnelles et donc moins/pas tout à fait humaines à construire le monde (Ogunnaike 2016 et Wynter 2003). (Calhoun 2012 : 335, 360).
Compte-rendu de la table ronde Article rédigé par 23 « Les minorités en Islam : chrétien·ne·s, Sarah Ziadé juif·ve·s, femmes savantes et hérésies » Sarah nous propose un compte-rendu de la table ronde « Les minorités en Islam : chrétien·ne·s, juif·ve·s, femmes savantes et hérésies » qui a eu lieu dans le cadre du festival « Histoire & Cité » à Lausanne. Lors de cette table ronde, quatre intervenants ont mis en lumière le rôle de différentes minorités sociales dans le développement de la pensée islamique. Photo : « Dialogue en Route »
24 La pauvreté ne serait donc musulman. De par ce statut, ils·elles étaient 25 pas corrélée au christianisme reconnu·e·s comme juri- diquement inférieur·e·s dans le pacte d’Umar, mais plutôt aux chances de un traité passé entre le calife Umar et les naître dans une famille plus monothéistes non-mu- sulman·e·s en l’an 717. ou moins aisée. De nombreuses discri- minations y figuraient telles que l’interdiction de construire de nou- veaux édifices ou encore l’obligation de porter un signe distinctif. Ils et elles étaient en contre- partie protégé·e·s par les musulman·e·s. ses femmes partageaient plus de temps avec lui et Blain Auer nous a parlé avaient une espérance de vie plus longue que les de la communauté mu- hommes, ce qui leur donnait un grand avantage sulmane Ahmadiyya qui pour enseigner l’Islam après la mort du Prophète. L’Islam est aujourd’hui régulièrement au cœur des croire que leur pré- trouve ses origines en Mais le temps passant, les femmes ont perdu leur discussions sociétales. Les mêmes sujets reviennent carité était due à une Inde à la fin du 19ème rôle de transmettrices et interprètes. La femme encore et encore sur la place publique concernant distribution inégale siècle. La principale était vue comme séductrice et incapable de gérer les nombreuses controverses que l’on connait à des richesses qui favo- mésentente entre cette les questions religieuses. En effet, la société patriar- cette religion. Mais qu’en est-il des sujets dont risait les musulman·e·s, communauté et les cale prenant le dessus, les femmes sont restées à personne ne parle ? Une conférence, qui s’est tenue en réalité certain·e·s musulman·e·s chiites la maison tandis que les hommes enseignaient et le 2 avril 2022 à Lausanne dans le cadre du festival musulman·e·s étaient et sunnites repose sur apprenaient en voyageant. Aujourd’hui cependant, « Histoire & Cité », avait pour objectif de mettre en tout autant pauvres. La la croyance au Messie quelques voix féminines se soulèvent afin de récla- lumière les « invisibles » de cette religion. Les in- pauvreté ne serait donc Mirza Ghulam Ahmad mer leur place dans le domaine de la connaissance tervenants, Blain Auer, Amir Dziri, Wissam Halawi pas corrélée au chris- qui prétendait être un religieuse. Nous ne pouvons qu’espérer que ces voix et David Hamidovic ont, chacun à leur tour, voulu tianisme mais plutôt guide pour les musul- soient suffisamment fortes. mettre en avant quelques minorités qui ont influen- aux chances de naître man·e·s. Le Pakistan, cé l’histoire de l’Islam. dans une famille plus ou reconnaissant ce L’influence que portent certaines minorités n’est moins aisée. Il a rappelé courant comme une donc pas toujours visible sur le moment. C’est David Hamidovic a commencé par faire un bref ensuite que la méde- hérésie, a décidé de lorsque l’on regarde rétrospectivement le chemin résumé de l’influence des juif·ve·s sur l’Islam. Pour cine arabe, bien connue punir quiconque pré- parcouru que l’on parvient à mettre en place toutes ce faire, il a mis en lumière les liens très étroits entre de nos jours, avait tendait être ahmadi tout les pièces du puzzle. Certaines sont plus grosses ces deux religions. En effet, le Coran parle à de comme premier·ère·s en étant musulman·e·. que d’autres mais sans les petites, le puzzle serait maintes reprises des Israélien·ne·s et des juif·ve·s. docteur·oresse·s les Aujourd’hui, cette incomplet. Vers les 10 et 11ème siècles, musulman·e·s et juif·ve·s chrétien·ne·s arabes. communauté compte étaient souvent confronté·e·s les un·e·s aux autres, Ces dernier·ère·s ont entre 10 et 20 millions de L’Histoire nous enseigne de multiples leçons que ce qui n’a guère engendré d’acculturation mais un traduit les livres de fidèles dans le monde l’on peut retenir mais l’humain·e a parfois simple- transfert de cultures, d’échanges et de négociations. Gallien, un médecin et détient la première ment décidé de se focaliser sur les grandes lignes en David Hamidovic a fini par donner l’exemple des grec renommé du 2ème mosquée construite en ignorant, voire niant, le rôle historique des minorités karaïtes, un courant du judaïsme fondé sur la Bible siècle après J.-C. qui a Suisse. Elle est située à ethniques, de genre ou religieuses. hébraïque et rejetant la loi orale, s’opposant de ce laissé derrière lui des Zürich. L’Ahmadisme fait aux rabbanites. Les karaïtes ont établi un dia- écrits sur la médecine n’est pas reconnu logue avec les musulman·e·s pour leur demander d’une grande moder- comme un courant de une protection vers le 10ème siècle. Ils·elles se sont nité pour l’époque, et l’islam par la plupart des installé·e·s dès lors à Constantinople et en Égypte, ont transmis le savoir musulman·e·s. cohabitant avec les musulman·e·s. qu’ils renfermaient. Les chrétien·ne·s avaient Enfin, Amir Dziri nous Wissam Halawi a continué l’exposé en se rappro- le statut de dhimmi - a parlé du rôle des chant du point de vue chrétien. Il a commencé par terme qui désignait les femmes au début de rappeler que les chrétien·ne·sétaient, globalement, citoyen·ne·s non-mu- l’Islam. A l’époque du dans une situation précaire. Bien que l’on pourrait sulman·e·s dans un État Prophète Muhammad,
Être non-civilisé·e·s Article rédigé par 27 Elsa Saliba en 2022 Depuis le début de la guerre en Ukraine, les médias relayent de nombreux discours qui comparent les réfugié·e·s ukrainien·ne·s aux réfugié·e·s issu·e·s de pays extra-européens. Dans cet article, Elsa nous livre une réflexion sur la différence de traitement des réfugié·e·s selon leur origine et leur soi-disant degré de « civilisation ».
28 On entend aussi parler de d’actualité aujourd’hui. Pour quelle raison 29 pays plus « civilisés » que aurions-nous besoin de qualifier « l’autre » de « barbare » quand nous d’autres, classifiant ainsi les avons aujourd’hui tous les moyens nécessaires refugié·e·s de manière iné- pour établir un dialogue entre les différents gale selon leur nationalité. peuples malgré la multi- tude de langues parlées dans le monde ? Cette citation mérite notre at- tention et pourrait jouer un rôle dans la réflexion vis-à-vis des situations où l’on compare les êtres humains et réduit la valeur de leur humanité. Au début de cette année, nous avons été témoins les civilisations occiden- de plusieurs déclarations faites dans les médias et tales pour désigner des sur les réseaux sociaux, comparant les refugié·e·s cultures étrangères. En de continents différents ; selon certain·e·s, les effet, le mot « barbare » citoyen·nne·s de pays proches, qui partagent des fait référence au chant ressemblances physiques avec le peuple du pays incompréhensible des où elles et ils cherchent à trouver refuge, sont plus oiseaux, et le mot « sau- dignes d’être acceuilli·e·s. On entend aussi parler de vage » à la vie animale, pays plus « civilisés » que d’autres, classifiant ainsi les sans culture et sans refugié·e·s de manière inégale selon leur nationalité. morale. Est-il pourtant possible de parler de peuples civilisés En qualifiant quelqu’un·e et de peuples non-civilisés en 2022 ? Quelle est l’ori- de « sauvage » ou de gine de ce débat et que pourrait-il nous apprendre ? « barbare », on vise à le·la déshumaniser. Ce que Le livre Race et Histoire (1952) écrit par Claude la déclaration de Lévi- Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue français Strauss veut mettre en offre une réflexion importante pour notre propos. relief, c’est le fait que, en Dans cet ouvrage, Lévi-Strauss dénonce les préjugés traitant d’autres êtres racistes en faisant une déclaration assez choquante : humains de « barbares » Photo : Ravi Sharma « Le barbare c’est celui qui croit à la barbarie ». pour les déshumaniser, l’individu responsable Lévi-Strauss critique dans son ouvrage les thèses de ce discours montre influencées par le colonialisme (notamment celle son intention qui est de Gobineau) qui classent les êtres humains en assez violente, même races et donnent le droit à certains peuples, qui « barbare » selon l’an- se croient supérieurs aux autres, de prendre à leur thropologue. Pour lui, charge l’éducation et la civilisation des peuples qu’ils alors, l’individu qui traite pensent culturellement inférieurs à eux. les autres peuples de barbares et qui croit à Il explique que la différence entre les races et les la barbarie, manque lui- cultures n’est que le fruit d’une discrimination da- même d’humanité. tant de l’Antiquité, dans laquelle tous les peuples qui ne faisaient pas partie de la culture gréco-romaine Il est assez remarquable étaient considérés comme « barbares ». Les deux qu’un propos daté mots « barbare » et « sauvage » sont employés par de 1952 soit toujours
Représentation de Article rédigé par 31 Claire Robinson personnalités controversées dans l’espace public – quel paysage commémoratif pour la Suisse ? Le 8 juin 2020, je publiais sur ma page Facebook le commentaire suivant : « Colston est tombé à l’eau à Bristol, qui est chaud pour faire subir le même sort à de Pury ? », accompagné d’une émission radio concernant « La face noire de Neuchâtel ».
32 Le même jour, Le tidien ». Des étudiant·e·s noir·e·s ont aussi partagé 33 « Collectif pour la l’impossibilité de « sentir leurs intérêts protégés par Mémoire » déposait à la un établissement [l’Université de Genève] dont les chancellerie communale agissements minimisent le racisme scientifique et une pétition munie de ses conséquences, encore bel et bien réels ». plus de 2500 signatures pour demander le retrait Toutefois, certain·e·s pourraient se demander de la statue de David de pourquoi des statues que personne ne remarque Pury. ou la nomination de bâtiments et de rues posent problème ? Pour réitérer les propos de Mohamed Cet appel à déboulonner Mahmoud Mohamedou en d’autres termes, il est des statues érigées en question ici de choix, par rapport à notre mémoire l’honneur de person- collective, à notre patrimoine, c’est-à-dire à notre nalités controversées, identité collective qui est intrinsèquement liée à du fait de leurs activités des valeurs communes. Bien que la Suisse n’ait pas coloniales, esclavagistes formellement participé à l’entreprise impérialiste et/ou pour la diffusion et coloniale, fait sur lequel on aime insister et qui de théories racialistes, nourrit notre imaginaire collectif, on ne peut pas en sexistes et/ou validistes, dire de même des individus helvétiques de l’époque. a suscité un débat En effet, des recherches académiques sont menées l’année dernière, revi- depuis une quinzaine d’années pour clarifier et faire vifié notamment par lumière sur leurs activités et leurs idéologies, qui le mouvement global s’inscrivent plus largement dans un passé colonial « Black Lives Matter ». suisse. L’entreprise coloniale et impérialiste qui se Certain·e·s, comme l’his- situe à différents niveaux – idéologique, discursif, torien Nicolas Blancel, psychologique et matériel – fait partie de notre considèrent que « dé- histoire. Selon la chercheuse Patricia Putschert, boulonner les statues, « comme dans le reste de l’Europe occidentale, la c’est un peu effacer population suisse a appris à regarder le monde l’histoire ». d’une manière coloniale et à se considérer comme supérieure. Cette vision raciste du monde se re- Pour Mohamed trouve dans la culture populaire (…) ». Mahmoud Mohamedou, Image de ©Banksy : La statue d’Edward Colston, un esclavagiste notoire du XVIIème siècle, a été déboulonnée et jetée à l’eau le 7 juin professeur d’histoire Mais alors quelles solutions peuvent être apportées 2020 par des participant·e·s à une marche « Black Lives Matters » à Bristol. L’artiviste Banksy, en réponse aux débats entourant cet internationale à l’IHEID, à la problématique du paysage commémoratif ? évènement, entre celles et ceux qui argumentaient pour le maintien de la statue et celles et ceux qui soutenaient son retrait, a publié sur la question du pay- Comment faire face à notre passé qui a laissé ses son compte Instagram le 9 juin 2020 une solution alternative qui conciliait dans une certaine mesure les deux positions : « What should sage commémoratif traces matériellement mais également mentale- we do with the empty plinth in the middle of Bristol? Here’s an idea that caters for both those who miss the Colston statue and those who concerne plus la démo- ment et psychologiquement ? don’t. We drag him out the water, put him back on the plinth, tie cable round his neck and commission some life size bronze statues of cratie que l’histoire, et protestors in the act of pulling him down. Everyone happy. A famous day commemorated. » il ajoute : « une statue Pragmatiquement, suite à l’appel d’une partie de la c’est une célébration, population concernant la statue de David de Pury, le c’est quelque chose Conseil communal neuchâtelois a décidé de mettre qu’on élève de plus, une plaque explicative concernant ses activités donc qu’est-ce qu’une esclavagistes. À Genève, le projet 100Elles* propose communauté veut de questionner la nomination des rues à travers un reconnaître ? ». Dans ce autre prisme, celui du genre, et a établi une liste de sens, il me semble que cent femmes qui remplissent « les critères officiels en conservant les statues mais en les accompagnant l’on se doit d’écouter pour obtenir une rue à leur nom » et les a mises en de dispositifs, vidéos ou inscriptions par exemple, et de ne pas minimiser avant dans les rues de la ville. Leurs biographies ont « la présence même de cette statue a plus d’intérêts le vécu d’une partie de été publiées et des visites guidées sont organisées. mémoriels aujourd’hui que sa disparition pure et la population qui fait Ailleurs, le maire de Londres a créé une commission simple », à l’exemple de ce que propose Banksy. état de son insécurité chargée de revoir toutes les statues érigées à travers lorsqu’elle marche dans la ville. À Berlin, le musée de la Citadelle de Spandau Enfin, entre celles et ceux qui craignent « l’efface- des rues qui portent abrite les statues qui ont été déboulonnées au XXème ment de l’histoire » et les autres qui revendiquent les noms « de criminels, siècle après la Seconde Guerre mondiale. Enfin, une justice mémorielle, il semble y avoir un consen- de personnes racistes, selon l’historien Pap Ndiyae, il y a énormément de sus : la nécessité de revisiter l’histoire, d’ouvrir le esclavagistes, de colons » possibilités à explorer, au-delà du simple débat entre débat et d’entreprendre une approche pédagogique et qui parle d’une forme déboulonner ou non, qui seraient plus créatives et pour que la population, notamment les jeunes, de « violence au quo- qui détourneraient le sens originel de glorification : connaissent véritablement toutes les facettes de
34 leur histoire et de ses implications aujourd’hui. Poursuivant les mêmes objectifs, « Dialogue en Une nouvelle offre à Genève, 35 intitulée « Les élites locales Route » vous propose un nouveau parcours à Genève, intitulé « Les élites locales et la fabrique des inégalités », qui s’intéresse dans une première visite à certaines figures de la Genève internationale et dans une seconde, aux savants genevois qui ont et la fabrique des inégalités, des monuments à leur nom et qui ont contribué au façonnement des inégalités. parcours guidés entre his- toire et mémoire », propose d’aller à la rencontre des bustes de personnalités his- toriques locales commémo- rées dans l’espace public qui ont contribué à la construc- tion des inégalités à travers les discours discriminatoires, allant du racisme au sexisme en passant par le validisme et le classisme aux 19ème et 20ème siècles. Que doit-on faire de ces personnages commémorés dans l’espace public qui ont contribué à construire des discours discriminatoires et à l’histoire coloniale de la Suisse ? Dans la continuité de la nouvelle offre « Les élites locales et la fabrique des inégalités », Claire propose quelques réflexions autour Photo : « Dialogue en Route » de cette problématique.
Minorité religieuse Article rédigé par 37 Juliette Salzmann rime-t-elle toujours avec discrimination ? Si les discriminations ciblent majoritairement les minorités, c’est aussi souvent vrai lorsqu’il s’agit de minorités religieuses. Mais est- ce forcément toujours le cas ? Pour répondre à cette question, Juliette a questionné notre partenaire Jean-Paul Gloor, membre du Centre bouddhiste tibétain Gendun Drupa à Martigny, sur son vécu en tant que personne issue d’une minorité religieuse en Suisse.
38 « Sa Sainteté le Dalaï Lama années 70 aux États- Unis puis en Europe. En 39 met beaucoup en avant les effet, les concepts de chakras, de karma, de réincarnation ou encore valeurs communes à toutes la figure du Bouddha nous paraissent plutôt les traditions plutôt que ce familiers tant ils ont été intégrés dans le langage qui nous différencie. » et les croyances locales. Malgré la réception globalement positive du bouddhisme en Suisse, lorsque le Centre Gendun Drupa a ouvert ses portes à Martigny en 2008 la communauté a dû faire face à une certaine méfiance de la part de la population lo- cale. En effet, les suicides et assassinats collectifs L’appartenance religieuse peut être un élément met en avant le message de l’Ordre du Temple de rejet et de discrimination, qui va parfois jusqu’à véhiculé par sa religion. Solaire à Salvan (VS) s’institutionaliser, comme le montrent par exemple Selon lui, cette image et Cheiry (FR) en 1994 les votations contre la construction des minarets ou positive du boudd- marquaient encore les curiosité et sympathie, plutôt que méfiance et rejet. le port de la burqa en Suisse. Ces votations exempli- hisme repose d’une esprits. Selon Jean-Paul Faire partie d’une minorité n’implique pas néces- fient bien l’islamophobie qui peut exister en Suisse part sur le message de Gloor, l’usage courant sairement de la discrimination, mais souvent de et la discrimination sur la base de la religion. Alors non-violence prôné par du terme de « gourou » la méconnaissance. Il est vrai que les bouddhistes que l’islam est souvent au centre des débats sur le Dalaï Lama et d’autre dans le bouddhisme ren- semblent bénéficier en Suisse de stéréotypes posi- l’intégration, que le ou la musulman·e converti·e est part, sur une forme voyait à l’imaginaire de tifs qui découlent d’une histoire longue et complexe parfois perçu·e comme un·e « traître·sse », qu’il est d’universalisme : « Sa la « secte » et faisait écho des rapports entre « Orient » et « Occident » qui a difficile pour les femmes musulmanes d’avoir un Sainteté le Dalaï Lama avec l’histoire régionale façonné notre imaginaire. Il me semble important accès serein à l’espace public, qu’en est-il du vécu met beaucoup en avant de ces dérives sectaires de poser la question de la provenance de ces stéréo- d’autres minorités religieuses en Suisse ? les valeurs communes qui avaient tourné au types à travers lesquels nous percevons les autres. J’ai voulu questionner Jean-Paul Gloor, notre parte- à toutes les traditions drame. Afin de désamor- Qu’ils soient positifs ou négatifs, ils ont souvent une naire du Centre bouddhiste tibétain Gendun Drupa plutôt que ce qui nous cer cette méfiance, la grande influence sur nos interactions humaines. à propos de son vécu en tant que membre d’une différencie. » dit-il. En communauté du Centre L’histoire peut nous aider à comprendre d’où nous communauté minoritaire (0,5% de bouddhistes tant que personne Gendun Drupa a tenu à viennent ces stéréotypes et préjugés. Mais, en résidant en Suisse en 2020 selon l’OFS). Lors d’un extérieure à la com- s’impliquer dans la vie attendant de fouiller les archives ou se plonger dans entretien, je lui ai demandé comment il vivait son munauté, j’y vois - en de la ville de Martigny, les livres, nous pouvons aussi nous rencontrer, ap- rapport aux autres en faisant partie d’une minorité plus du message évo- notamment lors d’évé- prendre à se connaitre et atténuer la méfiance par religieuse. Vit-il lui aussi de la discrimination, ou de qué par Jean-Paul qui nements organisés le partage et le dialogue. Voilà en tout cas ce à quoi la méfiance, en raison de son appartenance reli- semble convainquant en collaboration avec aspire « Dialogue en Route ». gieuse ? Comment perçoit-il le regard que les autres – la longue évolution du les paroisses chré- portent sur lui et sa communauté ? Il est important cours de l’histoire et des tiennes, ou le « Festival de noter que Jean-Paul Gloor est un homme suisse, rapports entre « Orient » des 5 Continents » converti au bouddhisme, il n’est donc pas perçu de et « Occident » qui se par exemple. Elle premier abord comme un étranger. Étant un boudd- sont construits avec une s’est aussi investie histe laïc, il ne porte pas non plus de signe distinctif forme d’idéalisation des dans la Plateforme qui signifierait son appartenance religieuse. spiritualités orientales Interreligieuse Valais et une fascination des (PIV) ou a encore orga- Jean-Paul semble être d’accord avec moi sur le fait Occidentaux·ales pour nisé des journées portes que le bouddhisme bénéfice d’une meilleure répu- le bouddhisme (et ouvertes au Centre. tation que d’autres minorités religieuses en Suisse, l’hindouisme), en parti- De manière géné- ce qui le désole profondément. Je lui ai donc de- culier dans les nouveaux rale, les membres du mandé son avis sur les raisons de cette réputation. mouvements religieux, Centre Gendun Drupa En tant que membre de la communauté, Jean-Paul en vogue à partir des de Martigny suscitent
40 41 Le Mot DU MOIS →
Le mot 43 du mois Pendant une année et chaque mois, notre guide Maxime Buonocore, étudiant en histoire des religions et français, nous a proposé la définition d’une notion se situant au cœur du projet « Dialogue en Route ». Ces définitions souhaitent mettre en lumière la com- plexité de certains termes et nous inviter à la réflexion.
44 45 En général, les stéréotypes exploitent des effets de contraste et de hiérarchisation entre les personnes que MARS 2021 le stéréotype STÉRÉOTYPE « représente » et celles qui le véhiculent. Un stéréotype est une idée reçue, une représen- sur la vie des personnes touchées : ainsi, ils peuvent tation caricaturale et relativement stable dans le mener à des discriminations à l’encontre des temps d’un groupe humain, d’une classe sociale femmes ou autres individus dans le domaine pro- ou d’une communauté religieuse, que l’on véhi- fessionnel par exemple, notamment à l’embauche. cule sans nécessairement s’en rendre compte. Les Dans le cadre religieux, les stéréotypes qui visent stéréotypes simplifient la réalité en rapportant les certaines communautés religieuses peuvent donner individus qu’ils sont censés représenter à quelques lieu à des sentiments de peur ou de rejet à l’égard caractéristiques exacerbées ou basées sur des a prio- des individus appartenant à ces communautés. En ri, autant positifs que négatifs. On entend souvent échangeant et en dialoguant avec des personnes de par exemple que les Suisse·sse·s sont ponctuel·le·s sensibilités différentes, on peut prendre conscience ou qu’ils·elles aiment le fromage. En général, les du fait que les stéréotypes sont rarement fondés, stéréotypes exploitent des effets de contraste et de et rendre ainsi l’image que l’on se fait de « l’autre » hiérarchisation entre les personnes que le stéréotype moins superficielle et plus complexe. « représente » et celles qui le véhiculent. D’autres sté- réotypes, plus négatifs, ont des impacts importants
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