SURVIVRE AU SUCCÈS D'UNE INNOVATION DE RUPTURE - Comment passer au deuxième acte - Harvard Business Review ...
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ANALYSES INNOVATION SURVIVRE AU SUCCÈS D’UNE INNOVATION DE RUPTURE Comment passer au deuxième acte… PAR LARRY DOWNES ET PAUL NUNES ILLUSTRATIONS : CHRIS BUZELLI 84 HARVARD BUSINESS REVIEW JUIN-JUILLET 2018
ANALYSES INNOVATION EN JUILLET Dès la fin de l’été, les petites bêtes s’étaient évapo- rées et avec elles environ 6,7 milliards de dollars pour Nintendo, copropriétaire des personnages cédés sous licence à Niantic, le développeur. Alléchés par un chiffre d’affaires de 35 millions de dollars généré au cours du premier mois, les investisseurs ont ajouté 23 milliards 2016, UNE de dollars à la capitalisation boursière de Nintendo, laquelle a été réduite à néant dès le mois d’août. Pokémon Go n’est pas le seul phénomène de ce genre à s’être achevé de la sorte. Les innovateurs de rupture comme Fitbit, GoPro, Zenefits et TiVo ont connu une ascension fulgurante avant de chuter ÉPIDÉMIE presque aussi rapidement. C’est parce qu’ils n’étaient L’IDÉE EN BREF pas prêts à lancer leur innovation suivante. Les entre- prises dans cette situation peuvent donc se retrouver LA QUESTION sans solution pour réaliser à nouveau du chiffre d’af- Pourquoi si peu faires ou encore avec des ressources dédiées à un d’entreprises réussissent produit devenu obsolète. Avec bien souvent pour ré- à l’étape suivante? MONDIALE Elles connaissent trop sultat un effondrement brutal et total. souvent une croissance Cet essor fulgurant suivi d’une chute dramatique fulgurante avant de rappelle la phrase célèbre de Francis Scott Fitzgerald : dégringoler presque « Il n’y a pas de deuxième acte dans une vie […]. » L’écri- aussi vite. La durée de vain faisait référence à l’incroyable brièveté du succès vie moyenne des entreprises du S&P500 est passée de dans l’industrie du cinéma au début du XXe siècle, alors en plein essor, mais le constat est le même aujourd’hui A ÉCLATÉ. 67 ans dans les années 1920 à 15 ans aujourd’hui. dans de nombreux secteurs très dynamiques. La bonne nouvelle, c’est que le déclin précoce de LA RÉPONSE tant de jeunes entreprises facilite l’étude des causes Les nouveaux produits sous-jacentes aux échecs d’aujourd’hui et des moyens saturent rapidement le marché, les ventes d’y remédier. Une base de données recensant plus de explosent puis chutent 300 innovations disruptives dans de multiples secteurs brutalement. Les De petits monstres appelés Pokémon sont soudaine- nous a permis de tirer des enseignements importants technologies digitales ment apparus dans le monde entier, menaçant d’utili- sur la façon de passer avec succès au deuxième acte. rendent les produits ser leurs pouvoirs fantastiques pour mener des raids Dans cet article, nous nous concentrons sur la rapidement obsolètes. Suivant la philosophie dans les parcs, les quartiers et les maisons. Fort heu- période de crise vécue par les start-up, mais cela ne de leur direction en matière reusement, une armée de volontaires dévoués s’est signifie pas que l’incapacité à passer à l’étape suivante de priorité stratégique, rapidement formée pour capturer et domestiquer ces ne concerne que les grands innovateurs. Même les les cadres restreignent créatures en utilisant une technologie encore peu entreprises les plus respectées et les plus prospères les ressources à celles connue, intégrée à leurs smartphones. du monde survivent rarement à leur première crise, qui sont nécessaires pour réaliser une seule mission, Pokémon Go a été le premier succès de ce qui sera quel que soit le moment où celle-ci survient. La durée puis ils luttent pour trouver probablement une nouvelle génération de jeux mul- de vie moyenne des entreprises de l’indice une nouvelle source tiparticipants sur smartphone, basés sur la réalité Standard & Poor’s 500 est passée de soixante-sept ans de revenus. augmentée, cette technologie qui superpose des dans les années 1920 à seulement quinze ans au- images numériques sur le monde réel. Ce fut égale- jourd’hui. Selon Richard Foster, dirigeant exécutif en LA SOLUTION ment ce que l’on appelle une « innovation disrup- résidence au Yale Entrepreneurial Institute, les trois Les auteurs identifient des points communs aux tive », c’est-à-dire un nouveau produit qui demeure quarts des entreprises qui feront partie du S & P 500 entreprises qui risquent le leader incontesté durant une période souvent plus en 2020 étaient inconnues en 2010. de traverser une crise courte que celle des produits traditionnels (voir « La Ce cycle de vie écourté résulte principalement de la existentielle et affirment rupture version Big Bang », HBR édition française, diffusion rapide des innovations numériques dans des que plusieurs tactiques juin-juillet 2014). secteurs largement épargnés par la première vague de peuvent l’éviter : abandonner les produits Dans le cas de Pokémon Go, cette période n’a duré transformation numérique, notamment le secteur in- à succès avant qu’ils que quelques mois. La première semaine, 7,5 millions dustriel (imprimantes 3D et Internet des objets), l’agri- ne s’essoufflent, élaborer de joueurs ont téléchargé le jeu. A son apogée, une culture (drones et capteurs), les transports (véhicules une plateforme ou proposer semaine plus tard seulement, 28,5 millions de per- autonomes) et les services (intelligence artificielle). une offre de services plutôt sonnes y ont joué en moyenne une heure et quart par Même si les crises du deuxième acte ont plus d’impact que de produits et acquérir des entreprises disruptives jour. Mais dix semaines plus tard, le jeu avait été com- dans les start-up, les entreprises établies de longue avant que l’activité initiale plètement délaissé. Pokémon Go a perdu 15 millions date auraient, elles aussi, tout intérêt à comprendre ne soit dépassée. de joueurs en seulement un mois. pourquoi elles surviennent et comment les éviter. 8 HARVARD BUSINESS REVIEW JUIN-JUILLET 2018
HBRFRANCE.FR POURQUOI Y A-T-IL UNE CRISE DU DEUXIÈME ACTE achètent est désormais déterminée par le rythme L’accélération des progrès technologiques a modifié le ultrarapide des évolutions technologiques plutôt que rythme auquel les innovations pénètrent les marchés. par celles des normes industrielles. Représenté sous la forme d’un graphique, le cycle d’adoption des innovations par le marché ressemble aujourd’hui à un inquiétant aileron de requin, et non LES SEPT HABITUDES DES ENTREPRISES plus à la traditionnelle courbe de diffusion de l’inno- TRÈS VULNÉRABLES vation, en forme de cloche, d’Everett Rogers (voir l’en- A chaque nouvelle opportunité d’achat, les consom- cadré « L’aileron de requin de l’innovation »). Les cinq mateurs peuvent opter, et c’est ce qu’ils font souvent, segments de marché d’Everett Rogers ont été ramenés pour une offre encore meilleure. Pourquoi tant de à seulement deux : les testeurs, qui contribuent à dé- start-up mettent-elles donc du temps à reconnaître velopper le produit, et tous les autres. Les produits cette tendance à l’aileron de requin et le danger que disruptifs et les entreprises créées pour les promou- cela représente pour la pérennité ? voir connaissent un essor fulgurant avant de décro- cher, puis de disparaître presque aussi rapidement. Deux forces ont comprimé la courbe en cloche d’Everett Rogers. La première est liée au fait que de plus en plus de marchés sont saturés quasi instantané- L’AILERON DE REQUIN DE L’INNOVATION ment de nouveaux produits (d’abord dans les biens de Autrefois, la manière d’adopter les innovations technologiques répondait à un processus consommation et les logiciels, mais aussi de plus en bien défini. Les testeurs et les premiers adeptes étaient en première ligne, suivis par un plus dans les biens industriels et durables à technolo- groupe bien plus large de consommateurs plus classiques, puis par un plus petit groupe gie numérique). La transmission de l’information via de retardataires. Depuis peu, ce modèle a été ramené à deux étapes, plus courtes. les réseaux sociaux et autres canaux numériques a considérablement réduit les coûts de transaction pour LES TESTEURS TOUS LES AUTRES les consommateurs potentiels, ce qui aboutit à ce que l’on appelle une « information de marché quasi par- faite ». C’est-à-dire que les acheteurs connaissent déjà parfaitement votre produit lors de son lancement, parfois même avant (et ils savent notamment ce que les autres acheteurs aiment et n’aiment pas). Ceux qui veulent ce produit l’achèteront immédiatement et les autres segments d’Everett Rogers ne se manifesteront jamais. Les moins convaincus se contenteront d’at- tendre que vous, ou un nouveau venu sur le marché, lanciez un meilleur produit, moins cher. En 2016, Tesla a prévendu presque 400 000 Model 3 dans les deux semaines ayant précédé la présentation très attendue de cette voiture, et la plupart au cours des trois premiers jours. Mais contrairement à ce qui a déjà pu se produire par le passé, cela ne signifiait pas que des bataillons d’acheteurs (la majorité précoce et INNOVATEURS PREMIERS ADEPTES MAJORITÉ PRÉCOCE MAJORITÉ TARDIVE RETARDATAIRES la majorité tardive d’Everett Rogers) attendaient en coulisses. La plupart d’entre eux sont apparus dès SOURCE : EVERETT ROGERS (COURBE EN CLOCHE) l’annonce du produit. Et, conformément à l’aileron de requin, le rythme des commandes a chuté dès la troisième semaine ; depuis, seules 200 000 com- Dans notre étude des entreprises ayant connu une mandes ont été enregistrées. Celles-ci vont être lon- crise du deuxième acte, nous avons découvert que, iro- gues à satisfaire (les expéditions n’ayant débuté qu’à niquement, la principale cause de mort prématurée est la fin 2017), mais il ne s’agit que des commandes en due à l’adoption enthousiaste par les dirigeants des der- cours et non d’une nouvelle demande. nières idées de management en vogue. Au nom de La seconde force est l’obsolescence rapide des concepts tels que le « design thinking » ou le développe- technologies digitales, de plus en plus répandues dans ment « lean » et « agile », ils ont consacré leurs ressources les produits et les services des entreprises. Les amé- et leur créativité à la fabrication de produits de première liorations continues apportées à ces composants (prix, génération aussi attirants que possible – afin de fournir performance, taille et consommation électrique) ne à chaque utilisateur une expérience client supérieure, font que réduire le cycle des nouvelles versions et voire « exceptionnelle ». Mais ce faisant, ils finissent par innovations. La vitesse à laquelle les clients et les en- restreindre les ressources de l’entreprise à celles qui treprises remplacent pour ainsi dire tout ce qu’ils sont nécessaires à la réalisation d’une seule mission. JUIN-JUILLET 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 8
ANALYSES INNOVATION Ce qui est certain, c’est que, même à l’ère de l’inno- pivot ne sert à rien. La direction doit alors former une vation disruptive, les managers doivent rester concen- équipe pour relancer un nouveau cycle avant qu’il y trés sur les fondamentaux de l’entreprise, notamment ait un phénomène de saturation. Sinon, l’entreprise la gestion avisée des coûts fixes, des ressources finan- entrera dans un cercle vicieux en essayant de satis- cières, des stocks de produits et des hommes. Se foca- faire les besoins de plus en plus nombreux d’un liser de manière excessive sur un seul produit ou un nombre de plus en plus réduit d’anciens clients seul segment de clientèle conduit la plupart du temps enthousiastes, et survivra (peut-être) en se laissant à une crise du deuxième acte. racheter par un concurrent plus diversifié, souvent Notre étude a identifié sept erreurs fréquentes qui pour une bouchée de pain. expliquent pourquoi même des entreprises au succès Prenons l’exemple de Groupon : adepte de la mé- remarquable ont échoué à lancer plus d’une innova- thodologie lean, cette entreprise continue de pivoter tion disruptive. En comparant ces sociétés au nombre autour de sa principale innovation de « social shop- relativement restreint d’entreprises qui ont évité ces ping », qui permet aux clients de tirer parti de l’effet erreurs, nous avons identifié des stratégies qui per- volume pour négocier des remises auprès de commer- mettent de passer au deuxième acte quand c’est çants. En dépit de signes d’essoufflement du social LES ENTREPRISES ÉCHOUENT QUAND ELLES CONSACRENT TOUTES LEURS RESSOURCES À UN SEUL PRODUIT. ncore possible (presque toujours au moment même e shopping, Groupon est resté concentré sur ce concept, où une nouvelle offre connaît le succès). en améliorant méthodiquement son interface, en ac- 1. L’entreprise est trop lean. L’entrepreneur et quérant son concurrent déchu LivingSocial et en éten- auteur américain Eric Ries conseille aux start-up de dant sans grand enthousiasme aux voyages le concept lancer un produit qui soit juste viable, puis de le com- d’achat groupé. Dans le même temps, le fait de ne pas mercialiser à nouveau en se basant sur les nombreux avoir pris en compte les fondamentaux a provoqué retours et réactions de clients recueillis sur les réseaux une hausse des dépenses d’exploitation, ainsi que des sociaux ou par le biais d’autres canaux peu onéreux. heurts avec l’autorité des marchés américains (SEC) Bien que l’approche lean start-up ait eu un fort écho au sujet d’erreurs embarrassantes de comptabilité au sein des entreprises aussi bien anciennes que plus avant et après son entrée en Bourse en 2011. Depuis, le récentes, une société échoue souvent lorsqu’elle groupe a perdu presque 90% de sa valeur. affecte toutes ses ressources à un seul produit (le pre- Mais les entreprises adeptes du lean ne sont pas les mier acte). C’est parce que le marché sature de plus en seules à risquer de manquer leur coup en étant trop plus vite, avec pour conséquence une descente en centrées sur leurs clients. Les fabricants d’applications flèche comme le montre l’aileron de requin. de smartphone, dont le cycle de vie est très court, se Certaines entreprises confondent à tort ce déclin focalisent souvent sur le développement de produits avec l’incapacité de satisfaire les utilisateurs, déclen- qui visent à résoudre le mauvais problème. Zynga, le chant ce que Eric Ries appelle un « pivot », c’est-à-dire créateur à succès de jeux comme FarmVille, a survécu un « changement de cap structuré » dans la concep- de justesse à l’aileron de requin avec son application de tion du produit. Mais si le marché est déjà passé à dessin Draw Something, qui a séduit 16 millions de autre chose et attend la prochaine innovation, le joueurs en quelques semaines avant de disparaître 88 HARVARD BUSINESS REVIEW JUIN-JUILLET 2018
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ANALYSES INNOVATION quelques mois plus tard, alors que son créateur n’avait Les investisseurs qui misent sur une start-up fi- pas eu le temps de lui trouver un remplaçant. nancent souvent le projet suivant du fondateur ; pour 2. La structure du capital de l’entreprise est eux, le départ de ce visionnaire se résume donc vouée à l’échec. La finance d’entreprise reste un presque à un simple changement d’adresse. Mais omaine où le lean peut encore fonctionner. Les en- d pour l’entreprise orpheline, c’est là que le problème treprises privées et les start-up financées par leurs du deuxième acte survient. Les managers expéri- fondateurs, ou par leurs proches et amis, sont les orga- mentés cherchent à améliorer le produit original, qui nisations qui ont le plus de flexibilité pour réorienter subit souvent la concurrence soudaine de nouveaux leur stratégie et leurs ressources vers le produit venus ayant accès aux mêmes technologies mais qui suivant le moment venu, même si ce moment sur- ne subissent pas un business model peut-être de- vient plus tôt que prévu. Les business angels et les venu obsolète. capital-risqueurs (les « smart money ») savent aussi En réaction, l’entreprise se concentre encore da- quels sont les dangers de trop compter sur un seul vantage sur sa stratégie en cours en augmentant le produit, c’est pourquoi ils incitent souvent la direc- risque d’être dépassée lorsque le marché passera à tion à passer au deuxième acte. autre chose. Les investisseurs de Google ont détecté le Mais la tendance à la saturation rapide du marché risque à temps et ont ramené les fondateurs à leurs encourage les entreprises à lever beaucoup plus tôt postes de direction avant que l’entreprise ne devienne que par le passé d’importants capitaux externes desti- trop tributaire d’une croissance insoutenable du réfé- nés à la production et au développement. Les start-up rencement payant. Apple a réembauché Steve Jobs peuvent se sentir forcées de se tourner vers le finance- pour incarner de nouveau et de façon encore plus ment participatif ou vers d’autres investisseurs qui glorieuse l’entreprise, son remplaçant pourtant expé- offrent peu de valeur au-delà de l’argent. Pire, elles rimenté n’étant pas parvenu à lancer les nouveaux peuvent choisir de s’endetter. Or une structure de ca- produits voulus par les clients. Pendant ce temps, pital fortement endettée ne fonctionne qu’en période Yahoo! a vu se succéder des P-DG peu à même de réin- de croissance extraordinaire. Si les marchés se venter le groupe, ce qui a conduit les investisseurs à contractent, même modestement, les créanciers tra- rechercher une sortie de secours. ditionnels deviennent rapidement anxieux, ce qui les 4. L’entreprise est à la botte des investisseurs. encourage ou même les force à se retirer au moment Les investisseurs publics et les analystes qui les même où le fait d’investir dans l’innovation est de- conseillent sont parfois encore plus prudents que les venu essentiel à la survie et au développement futur. créanciers. Les start-up qui ont le vent en poupe et qui Les entreprises qui ne dépassent pas la première tirent profit de leur entrée en Bourse se retrouvent innovation de rupture s’imposent également des freinées par les investisseurs qui affirment vouloir contraintes avant même d’en avoir besoin, ce qui li- plus de ruptures mais qui plombent le cours de l’ac- mite leur flexibilité future. Bien que les start-up ne tion et la direction de l’entreprise lorsque les profits ne disposent généralement pas de conventions collec- sont pas générés assez vite. Le deuxième acte est donc tives, de systèmes de retraite ou d’autres obligations reporté, car les managers doivent d’abord répondre qui contraignent les entreprises plus anciennes, leurs aux exigences des investisseurs. dépenses d’exploitation sont souvent excessives (can- Dans des entreprises comme Snap et Blue Apron, tine, politiques de départ généreuses, crèche gratuite les équipes de direction ont ainsi du mal à trouver un et location de bureaux dans des immeubles de stan- équilibre entre une stratégie dynamique et les de- ding). Ces coûts sont tout aussi dangereux, en particu- mandes du marché public à la suite de leur introduc- lier quand les marchés changent soudainement. tion en Bourse récente et peut-être prématurée. Et si 3. L’entreprise est orpheline. Dans la Silicon plusieurs facteurs ont contribué aux difficultés du Valley, typiquement, les capital-risqueurs laissent aux réseau social LinkedIn, entré en Bourse en 2011, son entrepreneurs visionnaires une liberté considérable incapacité à générer les profits attendus par Wall dans la gestion de leur entreprise, souvent de façon Street a provoqué la chute de son cours cinq ans après. aléatoire, jusqu’au lancement du produit. Mais une fois Cela a fait de LinkedIn une cible de rachat intéressante que la société a acquis des clients réels, ils incitent les pour Microsoft, qui pensait pouvoir redorer l’image responsables aguerris à prendre en charge les opéra- du réseau– mais au prix de son indépendance. tions au jour le jour (voir « When Founders Go Too Far », Modifier sa stratégie pour apaiser les actionnaires de Steve Blank, HBR édition américaine, novembre- peut rapidement menacer la mission même d’une décembre 2017). C’est ainsi que Jerry Yang (Yahoo!) et jeune entreprise et décevoir tout le monde. Lorsque le Evan Williams (Twitter) ont fini par devoir assumer des pionnier des produits faits main Etsy est entré en rôles d’ingénieur très contraignants. Faute de moyens Bourse en 2015, son P-DG Chad Dickerson a limité la ou d’encouragement à poursuivre l’innovation, les fon- participation des investisseurs particuliers à 2 500 dol- dateurs démissionnent rapidement, souvent pour lan- lars, dans l’espoir de s’assurer que les missions so- cer d’autres start-up, emmenant avec eux leurs collabo- ciales et politiques de l’entreprise resteraient une rateurs les plus proches. priorité. Mais après deux années d’augmentation des 90 HARVARD BUSINESS REVIEW JUIN-JUILLET 2018
HBRFRANCE.FR coûts et de confusion chez les vendeurs artisanaux résulté d’une prise de décision exceptionnelle de la d’Etsy quant à la décision compliquée d’admettre des direction, ce qui n’est qu’une dangereuse illusion. produits manufacturés sur le site, les investisseurs ont C’est ainsi que le succès alimente souvent l’échec. poussé Chad Dickerson vers la sortie, et avec lui 8% du Twitter, qui a terminé sa première journée de cota- personnel. Etsy pourrait à présent perdre son statut tion en Bourse avec une valorisation de 24 milliards d’entreprise B Corp, c’est-à-dire socialement respon- de dollars, est depuis en difficulté pour trouver des sable, et une restructuration en entreprise d’utilité revenus et conserver une croissance soutenue. De publique est peu probable. Au lieu d’aider Etsy à redo- nouvelles fonctionnalités comme les tweets sponsori- rer son image, les investisseurs publics pourraient sés, les sondages, les vidéos en streaming et les mes- finir par en tuer l’âme. sages longs ont perturbé de nombreux utilisateurs de 5. L’entreprise a décroché le gros lot. A une la première heure, qui n’ont pas hésité à tweeter pour époque où les nouveaux produits et services sont se plaindre. Et à la tête de l’entreprise, c’est la valse des conçus de plus en plus rapidement en combinant des dirigeants. En plus d’avoir perdu la moitié de sa matériaux et des logiciels interchangeables, de plus en valeur, l’entreprise a perdu son cap, se demandant plus d’innovateurs de rupture ont vu leur valorisation même si elle en avait vraiment un. privée, et parfois boursière, atteindre des milliards de Les fondateurs qui confondent forte valorisation dollars en un temps record. Les prix de ces « licornes » et génie des affaires peuvent aussi alourdir l’élégant semblent basés non pas sur les fondamentaux de l’in- design d’un produit en ajoutant toutes les fioritures vestissement, mais seulement sur la ferveur des pre- qu’on avait judicieusement laissées de côté dans miers adeptes et la promesse de futurs revenus – le l’offre initiale, s’aliénant ainsi les clients fidèles qui LANCER UN PREMIER PRODUIT QUI SE RÉVÈLE UNE INNOVATION DE RUPTURE PEUT DONNER AUX MANAGERS UN SENTIMENT D’INVINCIBILITÉ. résultat d’une information sur le marché quasi par- avaient plébiscité le produit au départ. Quelques mois faite aboutissant à un seul vainqueur qui rafle tout. seulement après avoir remporté le prix Best of the Certaines des start-up les plus admirées au- Best au Consumer Electronics Show 2014 grâce à son jourd’hui ont simplement eu de la chance – ce qui de- casque de réalité virtuelle (encore à l’état de pro vient évident quand on voit qu’une entreprise échoue totype), Oculus a été acquis par Facebook pour 2 mil- lamentablement à tirer parti de sa popularité de dé- liards de dollars. Mais des excès en matière de design part. Lancer un premier produit qui se révèle être une ont retardé la commercialisation du produit innovation de rupture peut donner aux managers un jusqu’en 2016 et le prix de 800 dollars (pour un casque sentiment d’invincibilité. Trop souvent, l’histoire est entièrement configuré) a refroidi les consommateurs. écrite a posteriori afin de donner l’impression que le Des produits plus simples conçus entre-temps par premier acte réussi (mais accidentel) de l’entreprise a HTC, Sony et Samsung ont largement dépassé les JUIN-JUILLET 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 91
ANALYSES INNOVATION bjectifs du trop attendu Oculus Rift la première an- o qui ralentit les entreprises établies. Avoir recours à des née, ne lui laissant que 4% des ventes totales. conseillers juridiques les rend prudentes. Elles fi- 6. L’entreprise est prise en otage par les régu- nissent aussi par croire qu’elles peuvent utiliser la loi lateurs. Lorsque les consommateurs achètent massi- pour se protéger contre la prochaine génération d’in- vement un produit, au moment du pic de l’aileron de novateurs. Elles peuvent certes remporter cette ba- requin, les entreprises historiques abasourdies se taille réglementaire, mais perdent ainsi leur dyna- tournent de plus en plus vers les autorités de régula- mique et, in fine, le capital sympathie de leurs clients. tion dans l’espoir de mettre des bâtons dans les roues 7. L’entreprise compte sur une clientèle qui aux nouveaux venus et ainsi de gagner du temps. n’existe pas. Dans le cas du vainqueur qui rafle tout, Dans des secteurs aussi divers que l’aviation (mena- les clients de l’innovation de rupture apparaissent tous cée par les drones), l’hôtellerie (qui subit la concur- en même temps et envoient des signaux confus sur les rence d’Airbnb), la santé (les tests génétiques) et les ventes à venir et l’appétit du marché pour les produits services financiers (bitcoin), les entreprises histo- qui suivront. Comme le montre l’exemple de Tesla, les riques commencent par faire pression pour interdire clients utilisent les réseaux sociaux et d’autres canaux ces innovations de rupture. Mais les consommateurs en ligne pour indiquer si un produit est un incontour- BEAUCOUP D’ENTREPRISES QUI SONT PASSÉES AU DEUXIÈME ACTE ONT MIS AU POINT NON PAS UN PRODUIT, MAIS UN ÉCOSYSTÈME. finissent par s’insurger et les autorités se rabattent nable, ce qui déclenche une ruée soudaine suivie d’une alors sur de nouvelles règles paralysantes, élaborées à dégringolade. La courbe de l’innovation d’Everett la va-vite, sans vraiment comprendre en quoi les nou- Rogers disparaît, laissant place à l’aileron de requin. veaux produits ou services de ces start-up diffèrent de Prenons l’exemple de la montre connectée – en fait ceux des entreprises classiques. un smartphone que l’on porte au poignet. Le premier Les start-up doivent alors réagir en engageant des jour de la commercialisation de l’Apple Watch, la firme conseillers juridiques bien plus tôt qu’elles ne l’avaient a reçu un million de précommandes rien qu’aux Etats- imaginé, ce qui détourne les maigres ressources Unis, alors que le prix était relativement élevé. Mais qu’elles devraient consacrer à développer l’entreprise les montres intelligentes ne semblent pas connaître de vers les relations avec les municipalités et les commis- deuxième acte, qui s’appuierait sur de nouvelles sions des services aux collectivités, et vers les auditions caractéristiques, de nouveaux looks ou de nouveaux parlementaires. Partout dans le monde, Uber, Airbnb et composants, sans parler du cycle rapide de remplace- d’autres entreprises basées sur l’économie du partage ment des smartphones et des tablettes. Les ventes ont se battent avec vigueur pour le simple droit d’exercer donc stagné, conduisant certains analystes à penser leur activité, beaucoup moins pour le droit de le faire que les clients avaient rejeté la montre connectée au sans avoir adopté l’héritage réglementaire des sociétés profit de produits orientés fitness, présentant des de transport et des chaînes hôtelières classiques. caractéristiques similaires. Pour les start-up qui veulent à tout prix rester sur le En pariant sur davantage de clients et de nouveaux marché, cette tendance présente un risque caché : segments de marché, les managers habitués à la elles peuvent à leur tour rapidement devenir dépen- courbe de Rogers mobilisent d’importantes ressources dantes des autorités de réglementation, phénomène pour accroître la production et la distribution de pro- 92 HARVARD BUSINESS REVIEW JUIN-JUILLET 2018
HBRFRANCE.FR duits dont les ventes ne se feront jamais. Pire, ils Avant d’abandonner Blockbuster et son service de constituent des stocks importants qui deviennent location de DVD, par exemple, Netflix a lancé la vidéo rapidement invendables quel que soit le prix. Le créa- à la demande sur Internet en 2007, bien avant que la teur de jeux THQ, qui a connu un grand succès avec vitesse ou le taux de pénétration du haut débit le per- une tablette de dessin pour la console Wii de mette. L’entreprise fut accusée de cannibaliser ses Nintendo, s’est lancé avec enthousiasme dans d’autres propres revenus, mais son P-DG Reed Hastings avait plateformes de jeu en 2010. Mais avec le lancement de compris que la location de DVD n’était qu’une solution l’iPad d’Apple peu après, le marché s’est rapidement provisoire et par ailleurs inefficace. Aujourd’hui, la orienté vers les applications de dessin autonomes. plateforme a tiré parti de sa domination dans le strea- THQ a continué de produire ses tablettes et s’est ming pour se lancer dans la production de contenus retrouvé avec 1,4 million d’unités invendues. L’entre- originaux. Elle compte à présent plus du double prise a dû se déclarer en faillite et ne s’est jamais rele- d’abonnés que le géant du câble Comcast. vée. Son président a admis plus tard : « Je ne sais pas Construisez une plateforme plutôt qu’un pro- trop comment c’est arrivé. » duit. Les entreprises qui survivent au deuxième acte ne lancent pas un seul produit, mais plutôt un écosys- tème qui met en lien les clients, les fournisseurs et les SURVIVRE AU DEUXIÈME ACTE autres parties, et qui tire ses revenus des services Se contenter d’éviter les pièges décrits ci-dessus ne fournis (traitement des paiements, conservation et suffit pas à distinguer les bonnes innovations des analyse des données, résolution des litiges, assurance mauvaises. Il est tout aussi essentiel d’anticiper le pas- qualité). Les goûts changent et la plateforme s’adapte. sage d’un aileron de requin à un autre. A une époque Les géants du Web (Google, Amazon, Facebook ou marquée par des innovations de rupture, le moment le chinois Tencent Holdings) ont affiné ce principe à la critique pour toute entreprise arrive bien avant le dé- perfection. Tencent, par exemple, s’est appuyé sur sa clin brutal, mais plutôt lorsqu’un marché en pleine plateforme de jeux et son expertise dans les appareils croissance change brusquement de cap. intelligents pour ajouter l’application de messagerie Les rares entreprises qui survivent à un deuxième WeChat, devenue une obsession quotidienne pour acte et qui deviennent véritablement viables sont celles plus d’un milliard de Chinois. WeChat s’est ensuite qui considèrent une innovation de rupture pour ce développée pour inclure les réseaux sociaux et les qu’elle est : un succès à très court terme suivi de paiements mobiles et génère un chiffre d’affaires an- fenêtres d’opportunités encore plus courtes. Les entre- nuel de presque 2 milliards de dollars, dont la majeure prises qui parviennent à lancer un deuxième produit, à partie provient toujours des jeux. pénétrer un deuxième marché ou à mener une La stratégie de la plateforme est aujourd’hui reprise deuxième révolution technique le font car leurs fonda- par des entreprises de l’économie du partage comme teurs les ont structurées non pas comme des organisa- Uber, Airbnb ou TaskRabbit (racheté par Ikea en sep- tions uniquement destinées à résoudre un problème tembre 2017). Ces sociétés qui s’appuient sur les ré- spécifique, mais comme des moteurs d’innovation seaux ne possèdent pas d’actifs physiques, elles capables de générer des centaines d’expériences. Ces mettent seulement en relation les acheteurs et les ven- fondateurs ont également la sagesse de reconnaître deurs tout en cherchant sans relâche à diminuer les quelles expériences sont prometteuses et lesquelles coûts de transaction, qui pèsent sur la rentabilité de doivent, au contraire, être abandonnées rapidement et leurs marchés. Cela offre une incroyable flexibilité aux (relativement) sans heurts. entreprises pour ajouter des services, changer d’inter- Pour vous assurer que votre activité survivra au face et repenser les relations avec les fournisseurs alors deuxième acte, inspirez-vous des tactiques de ces in- que les besoins du marché ne cessent d’évoluer, ce qui novateurs qui ont survécu : réduit considérablement le risque lié au deuxième acte. Abandonnez le produit à succès avant qu’il ne Transformez votre produit initial en service. La s’essouffle. Les entreprises du deuxième acte non valeur réelle d’une innovation de rupture peut être seulement sentent le tsunami arriver, mais elles ont l’infrastructure qui a été construite pour la produire, aussi le courage de passer d’un aileron de requin à un la commercialiser et en assurer le support. A moins autre avant d’avoir extrait toute la valeur du premier qu’il ne s’agisse que d’un produit jetable conçu à la va- acte. Alors que beaucoup d’entre elles se retrouvent vite, ce qui est le cas dans de nombreuses start-up de submergées par la vague et continuent de répondre à logiciels, le deuxième acte peut consister à louer des un nombre décroissant de clients qui n’ont pas opté outils et des processus essentiels à d’autres, peut-être pour des alternatives plus performantes et moins dans des activités et des secteurs très différents. chères, les survivantes partent à la recherche de Depuis 2015, par exemple, le leader des technolo- nouvelles technologies à expérimenter et réaffectent gies de fitness Under Armour a considérablement in- leurs meilleures ressources en ce sens, tout en conti- vesti dans l’Internet des objets et lancé sa propre ligne nuant de générer des revenus pour financer ce de bracelets capteurs d’activité, mis au point en parte- changement de cap. nariat avec HTC. Mais là ou l’entreprise a obtenu de JUIN-JUILLET 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 93
ANALYSES INNOVATION HBRFRANCE.FR meilleurs commentaires, c’est pour sa plateforme l’acquisition du service de messagerie WhatsApp par Connected Fitness, qui permet aux clients d’importer, Facebook pour 19 milliards de dollars ou celle du dans un tableau de bord unique et dans diverses appli- pionnier de l’Internet des objets Nest par Google, cations, leurs données provenant de sources diverses pour 3 milliards de dollars) peuvent laisser perplexe, et de produits tiers, y compris ceux des concurrents il ne s’agit, pour les entreprises qui parviennent au d’Under Armour. En outre, un partenariat avec l’insti- deuxième acte, que de se protéger contre un avenir tution médicale Johns Hopkins Medicine lui permet incertain, peu importe le prix. de prodiguer des conseils de santé basés sur la recherche aux 200 millions de membres de la commu- nauté Connected Fitness. CONTINUER LE COMBAT Quant à Amazon, le géant américain a commencé Plus tôt une start-up à succès accepte que son innova- comme un simple distributeur en ligne, vendant tion de rupture a peut-être davantage résulté d’un d’abord des livres puis pratiquement tout ce qu’il est bon timing que d’une anticipation visionnaire, plus possible d’imaginer. Il a ensuite fait un pas supplé- elle aura de chances de ne pas tomber dans les mau- mentaire en hébergeant d’autres distributeurs. Au- vaises habitudes qui ont fait couler tant d’entreprises jourd’hui, le groupe offre un service de cloud compu- de notre étude. ting aux entreprises et aux particuliers via Amazon Mais il ne s’agit que d’un premier pas vers une nou- Web Services (AWS), devenue la société informatique velle entreprise, plus durable. Même lorsque les clients à la croissance la plus rapide de l’histoire. AWS hé- adoptent avec enthousiasme un premier produit, les berge des logiciels d’exploitation, des données et des managers doivent se préparer à la chute inévitable de processeurs pour des millions d’autres entreprises, ce celui-ci et faire l’effort de créer un programme solide qui fait de lui un fournisseur prédominant aux Etats- bâti sur les fondamentaux du business. Les leaders du Unis. En 2016, il a dégagé un résultat d’exploitation de second acte sont ceux qui résistent à la tentation d’as- plus de 3 milliards de dollars, soit presque trois fois sumer des obligations financières et opérationnelles plus que les services de ventes au détail du groupe. qui ne sont pas nécessaires et qui consacrent leur Etre contraint de développer des services à partir temps à construire une architecture produit pouvant d’un seul et unique produit a été une leçon difficile à être remodelée dès que le marché l’impose. apprendre pour le leader des caméras sportives GoPro, Adopter une telle attitude est fructueux. Les entre- victime d’un ralentissement de son chiffre d’affaires et prises qui survivent à une crise précoce du second d’une chute catastrophique du cours de son action acte deviennent des incubateurs d’innovation centrés (une baisse de 90% en quelques jours). L’entreprise non pas sur un seul produit, ou même un seul marché, avait atteint trop tôt une situation de saturation, dans mais sur une culture d’entreprise qui attire les meil- un contexte d’amélioration constante des caméras in- leurs talents en ingénierie et en marketing, ainsi que tégrées aux smartphones. Malgré de douloureuses les parties prenantes qui favorisent les investisse- suppressions d’emplois, l’entreprise a beaucoup ments à long terme dans des innovations de rupture investi en interne et à l’externe (en faisant des acquisi- reproductibles. Bref, elles développent des marques tions) pour créer de nouveaux logiciels d’édition vidéo qui méritent leurs valorisations record. de pointe pouvant être utilisés quelle que soit la source Aujourd’hui, de telles entreprises sont extrême- des enregistrements. Le P-DG Nick Woodman a récem- ment rares. La plupart se situent dans une sorte de ment déclaré que la stratégie du groupe est de devenir Cocotte-Minute liée à l’écosystème Internet, où l’ins- un hébergeur de vidéos neutre et de confiance, « la tinct de survie constitue, par nécessité, le comporte- Suisse de la création de contenus ». ment entrepreneurial le plus adéquat. Mais, pour Investissez dans des innovateurs émergents ou chaque entreprise qui parvient au deuxième acte, une faites-en l’acquisition. Les entreprises ayant réussi centaine d’autres, pourtant prometteuses, dispa- leur premier acte peuvent se retrouver submergées de raissent purement et simplement. liquidités et de financements relativement bon mar- Et comme nous l’avons dit, cela ne concerne pas ché provenant des capital-risqueurs. S’il est dépensé seulement les start-up qui se retrouvent très vite en rapidement, cet argent peut favoriser un deuxième proie à une crise existentielle. A mesure que l’aileron acte. Tout en continuant à satisfaire les clients d’un de de requin devient réalité dans un secteur, les entre- ses produits populaires, l’entreprise peut investir dans prises historiques peuvent elles aussi avoir subitement la prochaine génération de disrupteurs, ou même en besoin d’une stratégie de second acte, notamment acquérir certains. celles dont le succès le plus récent a déjà bénéficié Cette stratégie de croissance externe est particu- d’une durée de vie assez longue. lièrement privilégiée dans la Silicon Valley, notam- ment par des entreprises comme Qualcomm, Oracle LARRY DOWNES est chercheur chez Accenture Research et Cisco. Mais même des firmes relativement jeunes et coauteur de « Unleashing the Killer App ». PAUL NUNES est directeur général mondial du leadership intellectuel chez s’en sont également inspirées et se sont développées Accenture Research et coauteur de « Jumping the S-Curve ». ainsi. Si les milliards de dollars déboursés pour les ré- Ils ont écrit ensemble « Big Bang Disruption: Strategy in the cents rachats de toutes jeunes entreprises (comme Age of Devastating Innovation » (Portfolio, 2014). 94 HARVARD BUSINESS REVIEW JUIN-JUILLET 2018
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