Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?

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Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Le magazine de la
No 3                                  Société des Médecins
juin 2018                               du Canton de Berne

Sujets de cette édition

Un conseiller fédéral
à l’auberge

Entretien avec
Esther Hilfiker

An App a day keeps
the doctor away ?

                          doc.be 03/2018 Editorial      1
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Progrès technologique et professions
                               libérales – une contradiction ?

                               Il y a déjà un bon moment que les patientes et patients ont commencé à
                               surveiller leur santé à l’aide d’applis mobiles. Apparemment, le m
                                                                                                ­ édecin
                               ne sert plus qu’à entériner le traitement déjà décidé pour pouvoir se
                               le faire rembourser par la caisse maladie. Ou bien pour ce qu’on a­ ppelle
                               une seconde opinion. Quelles sont, de ce fait, les conséquences du
                               ­progrès technologique pour le corps médical libéral ?

                               C’est un fait que la numérisation fera partiellement apparaître de
                               ­nouveaux modèles économiques qui modifieront la conception classique
                               de toutes les professions libérales. Mais pour maîtriser avec succès
                               la numérisation, l’automatisation ne suffit pas à elle seule. Il faut ­parvenir
                               à mieux intégrer les patients en s’aidant des moyens de communication
                               modernes, à les aborder plus directement et ainsi à développer
                               ensemble un nouveau standard de collaboration.

                               Se rapprocher des patients signifie que de nouvelles formes de publicité
                               et de rencontre seront possibles. L’organisation de réunions adéquates
                               permettrait aux nouveaux patients de se confronter à l’expérience
                               et l’opinion positive de la patientèle. Dans ce cas, « Put yourself in the
                               client’s shoes » pourrait signifier que le médecin de premier recours
                               ­organise pour les patients existants et potentiels une série de Meetup,
                                c’est-à-dire des séances d’information à intervalles réguliers portant sur
                                des sujets de santé actuels. Vous me pardonnerez qu’­exceptionnellement,
                                je ne m’attarde pas sur la légalité de telles manifestations, car les
                                ­évolutions de ce genre ne pourront être stoppées.

                               Or, un point est capital : le domaine-clé de la compétence médicale re-
                               quise, qui ne repose pas seulement sur un savoir théorique mais surtout
                               sur l’empathie et l’expérience, n’est absolument pas touché par les évo-
                               lutions mentionnées, ou seulement de manière marginale. De ce fait, le
                               progrès technologique et l’industrialisation de processus reproductibles
                               représentent certes un mal nécessaire. Toutefois, en y regardant bien,
                               cette nécessité relève du domaine administratif et ne représente donc
                               pas de danger pour les professions libérales et l’exercice d’une m
                                                                                                ­ édecine
                               libérale en toute âme et conscience.

                               Thomas Eichenberger, docteur en droit
                               Secrétaire de la Société des Médecins du Canton de Berne

2   doc.be 03/2018 Editorial
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Contenu                                     DOCUPASS – le dossier pour
                                                 les dispositions personnelles

4    La politique risque de détruire
     ce qui fonctionne bien
                                                 Avec le dossier DOCUPASS pour les dis-
                                                 positions personnelles, Pro Senectute
                                                                                              consultation de Pro Senectute du canton
                                                                                              Berne ou en le commandant par mail,
     La nouvelle présidente de la SMCB,          propose une solution globale reconnue        télé­phone ou sur la boutique en ligne.
     ­Esther Hilfiker, veut promouvoir le        pour tous les domaines susceptibles
     dialogue.                                   d’être régis par un tel document, des        Pro Senectute se tient à votre disposition
                                                 directives anticipées au testament. Le       pour remplir les formulaires et répondre

7    Un conseiller fédéral à
     ­l’auberge
                                                 ­DOCUPASS vous permet de consigner
                                                  individuellement tous vos besoins, de-
                                                                                              à vos questions.

     Entré par hasard en politique au niveau     mandes et souhaits en lien avec la ma-       T 031 924 11 00
     national, Ignazio Cassis est aujourd’hui     ladie, la dépendance, la fin de vie et le   info@be.prosenectute.ch
     ministre des Affaires étrangère de la       décès. Saisissez vous aussi cette op-        www.be.prosenectute.ch
     Suisse. Médecin ou homme politique, il      portunité et formulez en temps utile vos
     s’agit d’appréhender les attentes et        dispositions personnelles ! Vous trouve-
      l’état d’esprit.                           rez de plus amples informations sur le
                                                  DOCUPASS dans le prospectus ci-joint

9    Le compte à rebours a
     ­commencé : en 2020, le DEP
                                                 ou sur le site www.docupass.ch.

      doit être prêt                             Vous pouvez vous procurer le DOCUPASS
      2018 est une année décisive pour           pour CHF 19.– dans tous les bureaux de
      l’introduction du dossier électronique
      du patient : il y va de la mise en œuvre
      concrète au sein des communautés
      de référence.

11   Précisions concernant le DEP
     D’autres exemples d’améliorations à
     propos la Stratégie Cybersanté Suisse

12   Le sucre : une douce tentation
     Nous mangeons trop de sucre, ce qui
     nous rend malades. Différents acteurs
     veulent réduire la consommation de
     sucre – mais comment ?

16   An App a day keeps the d
     away ?
                                      ­ octor
                                                                                              Mentions légales
     Le nombre d’applis santé ne cesse
     de croître. Quels sont les dangers, les                                                  doc.be, organe de la Société des Médecins du
     opportunités de cette évolution ?                                                        Canton de Berne ; éditeur : Société des Médecins
                                                                                              du Canton de Berne, Postgasse 19, 3000 Berne 8 /

18   Une distinction pour
     la passion
                                                                                              paraît 6× par an ; responsable du contenu :
                                                                                              comité directeur de la Société des Médecins du
     La pathologiste Yara Banz élue Teacher                                                   Canton de Berne ; rédaction : Marco ­Tackenberg,
     of the Year 2018.                                                                        Simone Keller et Markus Gubler, service de
                                                                                              presse et d’information de la SMCB, Postgasse 19,

21   Préparer la troisième phase
     de la vie en toute sérénité
                                                                                              3000 Berne 8, T 031 310 20 99, F 031 310 20 82 ;
                                                                                              tackenberg@forumpr.ch, keller@forumpr.ch,
     La fondation Pro Medico propose aux                                                      gubler@forumpr.ch ; annonces : Simone Keller,
     médecins libéraux des modèles de                                                         keller@forumpr.ch ; conception / layout : ­Definitiv
     prévoyance attractifs et adaptés aux                                                     ­Design, Bern ; impression : Druckerei Hofer
     besoins.                                                                                 ­Bümpliz AG, 3018 Berne ; photo de couverture :
                                                                                              Martin Bichsel

                                                                                              doc.be 03/2018 Quoi de neuf ?                          3
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
La politique risque
                               de détruire ce qui
                               fonctionne bien
                               Présidente de la Société des Médecins du Canton
                                de Berne depuis bientôt 100 jours, Esther ­Hilfiker
                               veut des structures permettant aux femmes de
                               ­s’engager ainsi qu’une discussion sur la politique
                                de la santé qui n’oublie pas l’utilité.

                               Interview : Marco Tackenberg et Simone Keller,         Vous êtes en fonction depuis bientôt
                               service de presse et d’information                     100 jours. Comment avez-vous vécu ce
                               Photo : Martin Bichsel                                 début ?
                                                                                      Pour moi, cette nouvelle fonction est excitante et
                               doc.be : Vous êtes présidente de la SMCB               je suis par conséquent également excitée. Bien
                               depuis mars dernier. Qu’est-ce qui vous a              des choses se sont avérées comme je l’attendais,
                               incitée à vous engager sur cette voie ?                puisque j’avais déjà travaillé sur la plupart des dos-
                               Esther Hilfiker : Pour moi, l’attrait de cette mis-    siers comme vice-présidente. Ce qui est nouveau,
                               sion réside dans le fait qu’on peut faire bouger les   c’est que j’ai la direction ; j’ai pu toutefois au pré-
                               choses. L’aspect politique corporative est un élé-     alable évaluer en gros ce que cela signifie. Mais je
                               ment essentiel, non spécialisé, de notre travail qui   n’aurais pas envisagé que de nombreux groupes de
                               gagne de plus en plus en importance puisque nous,      travail attendent que la SMCB soit toujours repré-
                               les médecins, nous retrouvons de plus en plus sou-     sentée par la présidente. J’essaie de m’opposer à
                               vent au cœur de la politique. Je pense par exemple     cette tendance car la présidence n’est pas une fonc-
                               aux diverses propositions de loi au niveau tant can-   tion à plein temps. Au comité de direction, nous
                               tonal que fédéral. A chaque session sont discutées     formons une équipe. Nous travaillons ensemble et
                               des interventions ayant trait à la politique de la     nous voulons le faire savoir à l’extérieur.
                               santé pour lesquelles nous nous engageons à diffé-
                               rents niveaux, ce qui nous permet de faire bouger
                               un peu les choses. Le dernier exemple est le pro-      « La notion de solidarité
                               gramme d’assistanat au cabinet. Nous ne pouvons        se perd de plus en plus en
                               obtenir de tels résultats qu’en tant qu’association,
                               qu’équipe.
                                                                                      politique. »

                               Et personnellement ?
                               Personnellement, deux aspects m’ont motivée à          Une chose qui m’a également surprise, c’est le
                               m’engager : premièrement, à chaque réunion, j’ap-      court-termisme : parfois sans annonce préalable,
                               prends quelque chose ; c’est un formidable enrichis-   des sujets complexes doivent être discutés et des
                               sement et cela élargit mon horizon. Deuxièmement,      solutions présentées immédiatement. Je ne trouve
                               j’ai en moi un peu d’esprit compétitif. Je veux me     pas cela correct ni sérieux. En revanche, j’ai été
                               prouver que j’en suis capable.                         agréablement surprise des nombreux retours posi-
                                                                                      tifs et encourageants que j’ai reçus après mon élec-
                                                                                      tion. Je me rends compte que l’on est bienveillant à
                                                                                      mon égard ; cela me conforte et me motive.

4   doc.be 03/2018 Interview
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Esther Hilfiker n’est pas        Comment abordez-vous la fonction de                        et les spécialistes qu’entre les jeunes médecins qui
une combattante solitaire :      présidente de la SMCB ? Sur quels axes                     débutent leur carrière et les médecins plus âgés.
« Je suis certes à la tête       mettez-vous l’accent ?
de l’association, mais j’ai      La ligne directrice de mon action est le bien-être         La promotion des femmes tenait parti­
une bonne équipe motivée         des patientes et patients, c’est ma priorité absolue.      culièrement à cœur à votre prédécesseur
derrière moi. Au comité          C’est pourquoi je porte une attention particulière à       Beat Gafner. Vous engagez-vous aussi
de direction, nous travaillons   une haute qualité de la prise en charge avec un ser-       dans cette voie ?
ensemble. »                      vice médical de base fort mais aussi une médecine          La féminisation de la médecine est un fait ; la ma-
                                 spécialisée et universitaire, là où elle est nécessaire.   jorité des diplômés sortants sont déjà des femmes.
                                 Je suis présidente de tous les médecins du canton          Je pars du principe que nous ressentirons cette ten-
                                 de Berne, des spécialistes autant que des médecins         dance également dans la politique corporative. Il
                                 de premier recours.                                        est essentiel que les femmes soient représentées au
                                                                                            sein de l’association professionnelle. Nous devons
                                                                                            adapter nos structures de sorte que les femmes
                                 « Lorsque les discussions                                  puissent s’engager. Il conviendrait que la politique
                                 qui n’aboutissent pas,                                     corporative ne soit pas éternellement une tâche
                                                                                            supplémentaire, mais qu’elle puisse en partie être
                                 il faut savoir tirer un trait. »                           exercée en lieu et place de l’activité professionnelle.
                                                                                            Ce n’est possible que si l’engagement en politique
                                                                                            corporative est rémunéré équitablement. Mais pour
                                 Vous arrivez à le concilier ?                              ce qui est du recrutement de nouveaux membres du
                                 Je suis consciente que je me trouve dans un champ          comité de direction, les premiers critères seront
                                 de tensions et que les deux côtés m’observent de           toujours pour moi la qualification et l’intérêt pour
                                 façon critique. J’espère avoir un petit avantage du        la cause, et non le sexe de la personne.
                                 fait que je suis moi-même spécialiste et que je dis-
                                 pose d’un bon réseau. Mais cela reste une tâche qui        Quels sont selon vous vos points forts que
                                 n’est pas aisée.                                           vous pouvez apporter dans cette fonction ?
                                                                                            J’apporte une nouvelle conception, une conception
                                 Que voulez-vous changer au sein de                         féminine. Les femmes fonctionnement différemment,
                                 la SMCB ?                                                  se comportent autrement avec les gens et sont plus
                                 Je souhaite atteindre une plus grande solidarité entre     enclines à se remettre en question. Elles sont plus
                                 les médecins. Moi-même, je me conçois comme une            sensibles, notamment lorsque quelque chose ne va
                                 jeteuse de ponts qui recherche et promeut le dia-          pas. Un autre point fort est que je suis très focalisée.
                                 logue : autant entre les médecins de p
                                                                      ­ remiers recours     Je n’aime pas les discussions sans fin où l’on tourne

                                                                                                                  doc.be 03/2018 Interview        5
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Esther Hilfiker est la première      en rond. Lorsque les discussions n’aboutissent             On dirait que vous êtes une combattante
femme à la tête de la SMCB           pas, il faut savoir tirer un trait. J’en suis c­ apable.   solitaire.
depuis sa fondation il y a plus                                                                 On pourrait le penser, mais j’aime bien travailler
de 200 ans.                          A votre avis, quels sont les actuels défis                 en équipe. Autrefois, j’ai joué au volleyball. Mais,
                                     en termes de politique de la santé dans le                 en tant que médecin avec des horaires irréguliers
                                     canton de Berne ?                                          et des plans de service fixes, on devient un jour ou
                                     La notion de solidarité se perd de plus en plus en         l’autre un combattant solitaire.
                                     politique. Le canton de Berne s’obstine à pour-
                                     suivre une politique d’économies dont profite prin-
                                     cipalement la majorité qui est en bonne santé. De
                                     même, on oublie parfois de discuter de qualité et          Nouveaux membres du comité de direction
                                     d’utilité. La politique risque de détruire ce qui fonc-    Lors de l’assemblée des délégués du 15 mars 2018, deux
                                     tionne. Car nos patients sont très satisfaits de notre     nouveaux membres ont été élus à l’unanimité au comité de
                                     système de santé. Certes, il coûte plus cher qu’autre-     direction de la Société des Médecins du Canton de Berne.
                                     fois, mais nous nous portons mieux aussi. Les gens
                                     deviennent de plus en plus âgés. Aujourd’hui, prati-       Le Dr François Moll est le nouveau vice-président de la
                                     quement plus personne ne meurt d’un infarctus. La          SMCB. Il est titulaire d’un titre de médecin spécialiste en
                                     stratégie du canton en termes de santé ne traduit          psychiatrie et psychothérapie. M. Moll a un cabinet privé à
                                     pas ces avancées médicales. Mais nous ne pouvons           Bienne et s’engage depuis 2008 comme président du cercle
                                     pas nous soustraire au progrès de la médecine !            médical Bienne-Seeland. Depuis 2012, il représente le cercle
                                                                                                médical Seeland au sein du comité de direction de la SMCB.
                                      Outre votre engagement dans la politique
                                     corporative, vous travaillez aussi comme                   Le Dr Doris Zundel-Maurhofer représentait jusqu’à présent
                                      radiologue. Vous reste-t-il encore du temps               l’Association des pédiatres et médecins de premier recours
                                      pour votre vie privée ?                                   de Berne VBHK au sein du comité de direction de la SMCB
                                     Je prends le temps nécessaire pour ma vie privée           (sans droit de vote). Elle vient d’être élue représentante du
                                      parce que je le veux et que j’en ai besoin. Des           CM Emmental. Elle est spécialiste en médecine interne gé-
                                     ­activités communes avec mon partenaire et le sport        nérale. Chargée d’enseignement en médecine de premier
                                      me tiennent particulièrement à cœur. Je suis pas-         recours à l’université de Berne, Mme Zundel-Maurhofer a
                                      sionnée de jogging. J’ai toujours mes chaussures de       un cabinet de groupe à Bätterkinden.
                                      jogging avec moi quand je suis en voyage. Le jog-
                                     ging me permet de me déconnecter et de reprendre
                                      des forces. Ce qui est bien avec le jogging, c’est que
                                      je peux en faire seule et quand cela me convient.

6         doc.be 03/2018 Interview
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Un conseiller
­fédéral à l’auberge
En mars, Beat Gafner présidait sa dernière r­ éunion
 du comité de direction. Pour cette occasion
­particulière, il avait invité le conseiller fédéral
Ignazio Cassis.

Texte : Marco Tackenberg et Sandra Küttel,                c­liniquement, avaient besoin de médicaments,
­service de presse et d’information                        mais il n’y avait pas de médecine pour les multiples
Photos : Martin Bichsel                                   difficultés de la vie quotidienne. » L’actuel ministre
                                                          des Affaires étrangères renonça à l’époque à une
A la Société des Médecins du Canton de Berne, on           place de formation postgrade dans une clinique
ne manque pas d’aplomb. Il peut par exemple lui           ORL de Zurich. Il opta pour une place à l’Institut
venir l’idée d’inviter un conseiller fédéral à une réu-   de médecine sociale et préventive de l’université de
nion du comité de direction à l’auberge ­Schönbühl.       Lausanne où il obtint son doctorat.
Il y a plus d’une dizaine d’années, le ministre de
l’Intérieur de l’époque, Pascal ­Couchepin, s’était       Médecin cantonal au Tessin
hasardé dans la grotte des ours. Lors de la réunion       A l’âge de 35 ans, un nouveau défi professionnel
de mars de cette année, c’est le conseiller fédéral       se présenta : Ignazio Cassis posa sa candidature
Ignazio Cassis qui a répondu à l’invitation de notre      pour le poste de médecin cantonal à Bellinzone.
président. Il est vrai que le ministre des Affaires       Il était l’unique candidat dans le canton à dispo-
étrangères se trouvait en terrain connu. Depuis           ser des formations continues requises. Et aussi le
de nombreuses années, les sympathies sont ré-             seul sans soutien politique. C’est pourquoi il a été
ciproques. L’actuel conseiller fédéral a participé        élu, malgré une faible expérience professionnelle.
plusieurs fois par le passé à des journées de ré-         Durant onze ans, Ignazio Cassis fut donc médecin
flexion de la SMCB. En 2009, celui qui était alors        cantonal au Tessin. Un défi, car « il n’existe pas de
conseiller national nous avait fait l’honneur de ve-      manuel didactique pour les médecins cantonaux »,
nir aux festivités du bicentenaire de notre société       comme le souligne le conseiller fédéral. Venant de
à Berthoud. Les présidents de la SMCB Schlup et           l’université, le jeune médecin était habitué à tra-
Gafner échangeaient régulièrement avec Ignazio            vailler sur la base de données probantes. Mais en
Cassis durant toutes ces années.                          tant que médecin cantonal, il se retrouvait dans un
                                                          univers fonctionnant totalement différemment. Il
Accompagné de son assistante personnelle, Anna            lui fallut adapter sa façon de penser.
Fazioli, et de son chauffeur, le conseiller fédéral
Ignazio Cassis a retracé son parcours en politique.       Son entrée dans la politique national fut le fruit du
En 1987, il obtenait à la fin de ses études de méde-      hasard : le président cantonal du PLR m’a appelé
cine l’examen d’Etat à Zurich. Fin des années 1980,       et déclaré carrément que les autres partis avaient
il commença à s’occuper de malades atteints du            des médecins sur leurs listes du Conseil national et
SIDA. Il proposait des consultations VIH à Lugano         qu’il en fallait également un pour le PLR. Ignorant
et constata l’importance de la dimension sociale          tout d’une campagne électorale, Ignazio Cassis ac-
de la médecine : « Les patients étaient malades           cepta. Il ne fut certes pas élu en 2003, mais arriva

                                             doc.be 03/2018 Réunion du comité de direction de mars 2018       7
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Ignazio Cassis, c
                ­ onseiller      premier des « viennent-ensuite », ce qui lui permit       deux professions, la prévention occupe une place
­fédéral : « Nous devons         d’entrer au Conseil national en 2007. Dix ans plus        centrale : il s’agit de prévenir les problèmes avant
nous défaire de l’idée que       tard, l’Assemblée fédérale l’élisait au gouverne-         qu’ils ne surgissent. Mais le travail de prévention
quelqu’un résoudra les           ment. Sa carrière professionnelle prenait ainsi une       est ingrat. Pour Ignazio Cassis, administrer une pi-
­p roblèmes à notre place.       autre direction.                                          lule est souvent plus apprécié que lutter contre les
C’est à nous à le faire. »                                                                 causes. Dans les deux professions, il s’agit d’appré-
                                 Beaucoup moins de liberté                                 hender les attentes et l’état d’esprit.
                                 Dans quelle mesure l’actuelle fonction d’Ignazio
                                 Cassis se distingue-t-elle de l’activité d’un « mili-      Conseils
                                 cien » en politique corporative ? En tant que conseil-     Quels conseils le conseiller fédéral Ignazio Cassis
                                 ler fédéral et ministre des Affaires étrangères, je        peut-il donner aux médecins engagés dans la po-
                                 suis moins libre de mes mouvements, déclare-t-il.          litique corporative, lui qui connaît aussi bien les
                                 « Quand j’étais parlementaire de milice, je pouvais        organisations de milice que la politique hautement
                                 exercer différentes fonctions. En tant que chargé          professionnalisée ? Comment parvenir à faire
                                 d’enseignement à l’université, fonctionnaire d’asso-      ­valoir ses causes ?
                                 ciation et président d’un groupe parlementaire, je
                                 me déplaçais avec le sac à dos et je travaillais dans     Pour le ministre des Affaires étrangères, le travail
                                 le train. Mon bureau, c’était la Suisse entière ! »       politique est semblable sur un point à l’activité
                                 Même dans sa fonction de ministre des Affaires            de médecin : au début, on procède à une analyse
                                 étrangères, il n’oublie pas les sujets de politique in-   précise du problème. En médecine, le diagnostic
                                 térieure tels que les dépenses de santé et la révision    s’établit aussi après l’anamnèse. Vient ensuite la
                                 de Tarmed. Selon Ignazio Cassis, chaque conseiller        première question : qui est vraiment compétent ?
                                 fédéral doit se pencher sur tous les sujets du gouver-    Puis la deuxième question : comment nous impli-
                                 nement lors des réunions hebdomadaires.                   quer dans le processus de réalisation ? Nous devons
                                                                                           nous défaire de l’idée que quelqu’un résoudra les
                                 En politique, un placebo a parfois la même fonc-          problèmes à notre place. C’est à nous à le faire. Nous
                                 tion qu’en médecine, estime le conseiller fédé-           avons besoin de personnes actives et qualifiées pour
                                 ral. Selon lui, on peut prétendre qu’une mesure           les différents organes. La troisième question que
                                 est absolument inefficace, si elle est présentée de       nous devons nous poser est la suivante : qui est apte
                                 manière crédible, elle peut entraîner un effet po-        à organiser le processus opérationnel ? Pour ce faire,
                                 sitif. Les conseillers fédéraux comme les médecins        il faut des collègues compétents, des personnes qui
                                 doivent répondre aux attentes. Ils ont pour mis-          connaissent notre travail quotidien et pas des fonc-
                                 sion de résoudre les problèmes et d’éliminer les          tionnaires. Enfin, n’oublions pas que les processus
                                 troubles – avec des pilules ou bien des lois. Dans les    doivent être coordonnés et surveillés.

8         doc.be 03/2018 Réunion du comité de direction de mars 2018
Un conseiller fédéral à l'auberge Entretien avec Esther Hilfiker An App a day keeps the doctor away ?
Le compte à
rebours a
commen­cé :
en 2020, le DEP
doit être prêt
Lors du Forum Swiss eHealth à Berne, le secteur
de la santé a discuté de la situation à propos de
la mise en œuvre de la LDEP d’ici 2020. Cela se
concrétise.

Texte : Benjamin Fröhlich, service de presse             soient connectés au système. Tous les hôpitaux de
et d’information                                         la région ainsi que la plupart des foyers médicalisés
Photo : zVg                                              sont désormais membres d’eHealth Südost. Dans le
                                                         secteur ambulatoire, ils sont encore peu nombreux
2018 est une année décisive pour l’introduction du       à avoir adhéré. Afin de rendre la communauté
dossier électronique du patient (DEP) : il y va désor-   de référence plus attrayante pour les médecins, il
mais de la mise en œuvre concrète au sein des com-       est maintenant possible d’adhérer sans obligation
munautés de référence. En 2015, les parlementaires       d’utiliser le DEP.
de la Confédération adoptaient la loi fédérale sur le
dossier électronique du patient (LDEP). Cette der-       Une enquête auprès des membres a en effet révélé
nière oblige les hôpitaux et les foyers médicalisés      que pour nombre d’entre eux, le DEP n’est pas le
à tenir des DEP, tandis que les médecins exerçant        processus le plus important d’eHealth. Les partici-
dans le secteur ambulatoire ainsi que les patients       pants à l’enquête considèrent l’envoi et la réception
peuvent encore choisir s’ils veulent passer au DEP.      de e-rapports comme beaucoup plus importants,
                                                         suivis des e-transferts. Le DEP n’arrive qu’en troi-
Les réseaux DEP ne sont pas organisés au niveau          sième position.
national mais régional, ce qui, jusqu’à présent, est
très bien accueilli. Chaque région forme ainsi un        C’est la raison pour laquelle la mise en place
laboratoire fédéral et les bons modèles peuvent          d’eHealth Südost se concentre sur les processus
être exportés d’une région à l’autre.                    B2B (business to business), c’est-à-dire des pro-
                                                         cessus entre les différents prestataires, l’introduc-
Les médecins grisons sont plus critiques                 tion du DEP n’étant que la deuxième priorité. On
que leurs hôpitaux                                       espère ainsi améliorer petit à petit l’échange de
Lors du Forum eHealth, Richard Patt du canton            données et rallier les médecins du secteur ambu-
des Grisons a expliqué comment un réseau hospi-          latoire à la communauté de référence. Toutefois,
talier répond à la LDEP et met sur pied un système       beaucoup de médecins de premier recours sont
DEP d’ici 2020.                                          critiques. Ils n’y voient aucune plus-value pour eux,
                                                         mais seulement une charge supplémentaire.
R. Patt est chargé de la constitution de la commu-
nauté de référence eHealth Südost. Comprenant            Les patients genevois sont plus lents
les cantons de Glaris et des Grisons, cette région       que leur région
se caractérise par un réseau très ramifié de petits      Adrien Schmid, responsable du secrétariat
hôpitaux de vallée. Spécialement face à une telle        d’eHealth Suisse, a, quant à lui, souligné l’impor-
structure, il est capital que l’ensemble des acteurs     tance de la constitution des régions eHealth. Pour

                                                         doc.be 03/2018 Dossier électronique du patient     9
Les cantons sont le moteur       lui, l’organisation au sein des régions est essentielle.   Eviter les traitements inutiles,
du DEP, tandis que               Actuellement, on a connaissance de onze commu-             assurer les urgences
les médecins sont les plus       nautés de référence, la Confédération ayant reçu           Lukas Golder de gfs.bern peut confirmer que la po-
critiques. Ces derniers          dix demandes d’aide financière. Les préparatifs qui        pulation n’a toujours que très peu connaissance du
­redoutent des conséquences      ont déjà eu lieu ont révélé que des améliorations          DEP, comme le révèlent les enquêtes menées début
et des frais imprévisibles.      techniques sont nécessaires dans de nombreuses             2018. Cependant, la disposition à ouvrir un dossier
                                 régions. L’important est que les régions mettent           électronique du patient augmente. L’étude identifie
                                 maintenant les travaux internes en route. Le mieux         d’ailleurs les nombreuses applis santé comme étant
                                 est de commencer avec la certification et d’adapter        la source d’une plus grande réceptivité vis-à-vis du
                                 en revanche les dispositions d’exécution plus tard.        DEP. Toutefois, les patients ne souhaitent pas par-
                                                                                            tager leurs contenus avec n’importe qui, mais en
                                 Selon A. Schmid, il ne faut pas s’attendre à une           premier lieu avec leur médecin. Ils ont également à
                                 intégration rapide des patients dans le système            ce sujet des exigences claires, comme par exemple
                                 eHealth. Lancée dès 2014, la communauté de ré-             un fichier des rendez-vous en ligne.
                                 férence de Genève comptait 31 600 patientes et
                                 patients en 2017. Certes, ce chiffre correspond à          L’enquête de gfs.bern met aussi en lumière ce qui a
                                 800 nouvelles adhésions par mois, mais ne repré-           déjà été évoqué plusieurs fois dans doc.be : les can-
                                 sente qu’une petite partie de la population (à peine       tons sont le moteur du DEP, tandis que les méde-
                                 16 % des 500 000 habitants). Pour Adrien Schmid,           cins sont les plus critiques. Ces derniers redoutent
                                 cela tient avant tout au fait que, la plupart du temps,    des conséquences et des frais imprévisibles. Tant
                                 les gens prennent connaissance du DEP au cours             les médecins que les patients affichent cependant
                                 d’un traitement alors que dans la société on en            les mêmes attentes en termes d’utilité : éviter les
                                 parle à peine. Mais comme il n’existe pas de pres-         traitements inutiles et avoir les informations et l’in-
                                 criptions concernant le degré d’intégration des pa-        frastructure nécessaires en cas d’urgence.
                                 tients aux communautés de référence d’ici 2020, la
                                 lenteur du ralliement des patients ne pose toutefois       Le présent article a été rédigé dans le cadre d’une
                                 pas de problème.                                           coopération entre doc.be et le Swiss Dental Journal
                                                                                            SSO.
                                 En outre, ajoute A. Schmid, Genève a enquêté sur
                                 les motifs conduisant les patients à adhérer à la com-
                                 munauté. La principale raison était l’accès à leurs
                                 propres données, suivie d’un espoir d’une meilleure
                                 coordination des prestataires de traitement.

10       doc.be 03/2018 Dossier électronique du patient
D’autres précisions
concernant le DEP
  Comme annoncé dans la dernière édition (doc.be 2/18), vous
­trouverez ci-après d’autres exemples d’améliorations ou de
 ­précisions obtenues au comité consultatif eHealth Suisse à propos
  du rapport « Stratégie Cybersanté Suisse 2.0, 2018–2022 ».

Texte : Beat Gafner, comité de direction        Les auxiliaires tels que les assistants           médicale soient intégrés dans les filières
de la SMCB et comité consultatif eHealth        au cabinet médical ou les aides en                de formation de toutes les professions de la
Suisse                                          pharmacie ont-ils également accès                 ­santé et transmises dans le cadre de forma-
                                                aux contenus du DEP ?                             tions continues. »
Comment dédommager les                          Avant : « Oui. Les professionnels de la s­ anté   Après : « Dans le cadre de leurs compétences
­professionnels de la santé pour                peuvent faire appel à de tels auxiliaires         et en concertation avec les organismes de
 leur travail relatif au DEP ?                  pour pouvoir traiter les données et les do-       formation responsables, la C  ­ onfédération
Avant : « … Ces charges ne peuvent pas non      cuments dans le DEP. »                            et les cantons veillent à ce qu’eHealth ainsi
plus être refacturées à la charge de l’AOS,     Après : « Oui. Les professionnels de la ­santé    que les questions d’application pertinentes
mais doivent être facturées au patient ou à     peuvent faire appel à d’autres personnes          en fonction du groupe professionnel concer-
la communauté de référence du patient. »        pour pouvoir traiter les données et les do-       nant l’utilisation de données médicales nu-
Après : Idem ! Mais tout de même, la ques-      cuments dans le DEP. Ces personnes sont           mériques soient intégrés dans les filières de
tion des mesures incitatives peut être dis-     définies à l’art. 101 CO comme des ‹ auxi-        formation de toutes les professions de la
cutée sans tabou au sein du comité consul-      liaires ›. »                                      santé et abordés dans le cadre de formations
tatif eHealth Suisse. A ce sujet, il est fait                                                     continues et de perfectionnement. »
référence à l’étude de KPMG « Modèles           Dans quelles mesures l’utilisation
possibles d’organisation et de financement      des formats d’échange qui seront                  Avant : « Dans le cadre de leurs compé-
de communautés et de communautés de ré-         définis dans l’annexe 4 de l’ODEP-DFI             tences, la Confédération et les cantons s’em-
férence – Recommandation pour le secteur        est-elle obligatoire ?                            ploient à ce que davantage de professionnels
public – Création d’une structure incitative    Cette question concerne les formats               avec des connaissances approfondies en in-
appropriée dans le secteur ambulatoire ».       d’échange déjà développés qui ne prennent         formatique médicale soient formés (par ex.
                                                pas encore en compte les bases qui viennent       filière master en informatique médicale). »
 Une base légale est-elle requise pour          d’être définies.                                  Après : « Dans le cadre de leurs compétences,
 l’utilisation secondaire des données           « Les modèles adaptés aux traitements dé-         la Confédération et les cantons s’emploient
du dossier électronique du patient              coulent des formats d’échange recomman-           à ce que les professionnels requis pour la
(par ex. évaluation anonyme pour la             dés au niveau national et à développer à          mise en œuvre du dossier électronique du
gouvernance du système de santé) ?              l’avenir et s’inscrivent par étapes dans le       patient soient formés. »
Avant : « Oui, car l’utilisation secondaire     droit d’exécution relatif à la loi fédérale sur
des données du dossier électronique du          le dossier électronique du patient (annexe 4).    Puissent ces exemples vous montrer à quels
­patient n’est pas stipulée dans la LDEP. »     Le groupe de travail « Formats d’échange »        niveaux et autour de quelles questions
Après : Idem ! Tout de même, selon l’OFSP,      dirigé par eHealth Suisse élabore la straté-      complexes les parties intéressées, à savoir
les conditions concernant l’utilisation se-     gie de base et se penche également sur les        les cantons et leurs SCM, la CDS, l’OFSP,
condaire vont être réexaminées en détail.       formats d’échange qui ne font pas partie du       l’OFS, le DFI, eHealth Suisse, les sociétés
                                                DEP. »                                            d’informatique et de logiciels, les sociétés
                                                                                                  d’exploitation et les fournisseurs de plate-
                                                D’autres exemples                                 formes tels que LA POSTE, Swisscom
                                                Avant : « Dans le cadre de leurs compétences,     Health AG, AD Swiss / Health Info net,
                                                la Confédération et les cantons veillent à ce     etc., débattent si possible entre elles de ma-
                                                qu’eHealth et les bases de l­’informatique        nière coordonnée.

                                                                                         doc.be 03/2018 Dossier électronique du patient      11
Le sucre, cette
                           douce tentation
                           Le sucre nuit à la santé. La montée de l­’obésité
                           ­incite de plus en plus de pays à prendre des
                            ­mesures pour réduire la consommation de sucre.
                            Santé publique Suisse a organisé le 26 avril 2018
                            un symposium pour discuter de ces mesures.

                           Texte : Rahel Brönnimann, service de presse             la consommation de sucre ? Ils jouent d’abord la
                           et d’information                                        carte de l’éducation, afin de renforcer les compé-
                           Photo : iStockphoto                                     tences en matière d’alimentation de la population.
                                                                                   Ils veulent aussi améliorer le contexte et faciliter
                           Quels que soient les chiffres disponibles utili-        un choix sain, grâce à des menus équilibrés dans les
                           sés pour le calculer ou l’estimer, le résultat reste    cantines par exemple.
                           le même : nous consommons beaucoup trop de
                           sucre. Selon les recommandations de l’Organi-           Moins de sucres cachés
                           sation mondiale de la santé, la part du sucre dans      En matière de réduction de la consommation de
                           l’apport quotidien d’énergie ne devrait pas dépas-      sucre, la Suisse mise principalement sur des ac-
                           ser 5 % pour préserver sa santé. Pour un adulte         cords volontaires avec l’industrie. En effet, la quan-
                           souvent assis durant la journée, cela représente        tité de sucre consommée peut être réduite en modi-
                           environ 25 g de sucre. Or, nous en consommons           fiant la composition des produits alimentaires. En
                           en moyenne quatre fois plus. L’Office fédéral de        signant la Déclaration de Milan en 2015, plusieurs
                           la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires    entreprises suisses se sont engagées à réduire la te-
                           (OSAV) estime la consommation quotidienne de            neur en sucre des yogourts et des mueslis. Et les
                           sucre en Suisse à 110 g par jour et par personne. Or,   premiers résultats sont là : la part de sucres ajoutés
                           cette forte quantité de sucre rend malade. Caries,      dans les 461 yogourts évalués a diminué de 3 % en
                           obésité, diabète, goutte, hypertension et maladies      moyenne à 16,2 g par pot. Cela représente toujours
                           cardiovasculaires, toutes ces pathologies sont liées    plus de quatre morceaux de sucre ajoutés par pot
                           à une consommation excessive de sucre. C’est            en moyenne, certains pots de 180 g en contiennent
                           pour cela que les organisations de santé et l’OSAV      même plus de huit morceaux. Toutefois, plusieurs
                           veulent réduire la consommation de sucre. Mais ce       nouveaux yogourts affichent nettement moins de
                           n’est pas une mince affaire. En effet, la production    sucre que la moyenne, une évolution réjouissante
                           de sucre est un secteur économique important, en        du point de vue de la promotion de la santé.
                           Suisse également, et l’industrie agroalimentaire n’a
                           aucun intérêt à utiliser et à vendre moins de sucre.    Mais comment les consommateurs peuvent-ils
                           De plus, le sucre est un symbole d’affection, nous      dénicher ceux contenant moins de sucre dans les
                           l’utilisons pour nous récompenser et faire des ca-      longs rayons des supermarchés remplis de toutes
                           deaux. Qu’il s’agisse du gâteau d’anniversaire, des     sortes de yogourts ? Car même en prenant le temps
                           biscuits de Noël ou des lapins de Pâques en choco-      de comparer la liste des ingrédients sur les yo-
                           lat, le sucre joue un rôle essentiel dans quasiment     gourts, encore faut-il savoir reconnaître les sucres
                           toutes les fêtes. Qu’entreprennent donc les gouver-     « cachés ». Certains producteurs évitent le mot
                           nements et les acteurs de la santé pour diminuer        « sucre » en utilisant les sous-catégories saccharose

12   doc.be 03/2018 Colloque consommation de sucre
Anniversaire, Pâques ou        ou glucose, ou encore listent des ingrédients tels         Plusieurs participants au symposium demandent
Noël : quand on fête quelque   que le sirop d’érable ou le jus de pomme concentré,        à l’industrie agroalimentaire des mesures spéci-
chose, on trouve beaucoup      en grande partie composés de sucre. C’est pourquoi         fiques pour mieux protéger les enfants. Nathalie
de sucre sur la table.         Barbara Pfenninger, de la Fédération romande des           Farpour-Lambert plaide entre autres pour un
                               consommateurs FRC, exige un étiquetage clair, en           marketing raisonnable et le renoncement aux pro-
                               couleur, de la quantité de sucre des produits.             messes publicitaires mensongères. Les aliments
                                                                                          riches en sucre ne devraient pas être vendus en tant
                                Les boissons, véritables bombes à sucre                   qu’aliments sains. En outre, il faudrait renoncer à
                               Les boissons sucrées ont un taux de sucre extrême-         placer ces produits à la hauteur des yeux des en-
                                ment élevé. Leur consommation et la prise de poids        fants dans les magasins pour mieux les vendre.
                                sont étroitement liées, comme le montrent 97 %
                               des 30 études réalisées ces trois dernières années
                                sur le sujet. Certains pays, régions ou villes tentent
                               à présent d’endiguer la consommation de sucre en
                                taxant les boissons sucrées. Là où ce type d’impôt
                               est déjà en place depuis un certain temps, les effets
                                sont visibles. A Mexico, Berkeley et Philadelphie,
                                le profil de consommation a changé. La ­population
                               y consomme moins de boissons sucrées et plus
                               d’eau. Depuis 2017, la Catalogne, le Portugal, San
                                Francisco, Seattle, l’Irlande et l’Afrique du Sud
                               ont également mis en place un impôt sur le sucre.
                               ­Nathalie Farpour-Lampert, médecin aux Hôpitaux
                                universitaires de Genève, rappelle toutefois aussi
                                la grande consommation de jus de fruits dans cer-
                                tains pays. Le jus de fruits passe pour une boisson
                                saine alors qu’il regorge de sucre : un demi-­litre
                               de jus de pomme contient quatorze morceaux de
                                sucre. Si moins de boissons sucrées sont consom-
                                mées au profit des jus de fruits, le problème n’est
                               donc pas réglé. La boisson à privilégier est l’eau.
                               Les organisations de santé recommandent de rem-
                                placer par jour au maximum une portion de fruit
                                par deux décilitres de jus de fruits.

                                                                                         doc.be 03/2018 Colloque consommation de sucre     13
L’effet du sucre sur notre                                Ce qui est en revanche difficile, c’est de reconnaître
                                                                                      tous les aliments qui contiennent du sucre. Alors
                            organisme                                                 qu’il est clair que les bonbons, les boissons et pâtis-
                                                                                      series sucrées en contiennent, on s’y attend moins
                            Photo : màd                                               dans les sauces toutes prêtes et les pizzas surgelées.
                                                                                      Les nombreux noms derrière lesquelles du sucre se
                            Une interview de Bettina Wölnerhanssen, Dr med.,          cache compliquent également les choses. Le meil-
                            responsable par interim, St. Clara Forschung AG,          leur moyen d’éviter les sucres dits « cachés » est de
                            St. Claraspital Bâle                                      préparer ses repas soi-même. Cela prend certes
                                                                                      plus de temps, mais en fin de compte, on sait ce que
                            Bettina Wölnerhanssen, notre corps a-t-il                 l’on mange.
                            besoin du sucre de l’alimentation ?
                            Notre organisme a effectivement besoin de sucre.          Le type de sucre que nous consommons
                            Les globules rouges (érythrocytes), par exemple,          fait-il une différence pour l’organisme ?
                            ne peuvent pas fonctionner sans glucose. Mais             Le fructose est-il par exemple plus sain
                            nous n’avons pas besoin de sucre dans l’alimenta-         que le saccharose ?
                            tion. Par chance, nous pouvons produire le glucose        Le sucre double saccharose est rapidement trans-
                            nous-mêmes, à partir de différents substrats des          formé par l’organisme en fructose et glucose, pre-
                            aliments, tels que l’amidon, la graisse ou les pro-       mière étape de son métabolisme. Une consomma-
                            téines. L’homme moderne (Homo sapiens) existe             tion extrêmement élevée de fructose n’entraîne
                            depuis 100 000 ans et l’espèce s’est admirablement        pas d’augmentation de la glycémie, contrairement
                            développée sans sucre. Le sucre ne fait partie de         au glucose. Le fructose augmente en revanche les
                            notre alimentation quotidienne que depuis 150 à           lipides sanguins et n’a, contrairement au glucose,
                            200 ans. C’est un produit de luxe qui ne nous est         pratiquement pas d’effet rassasiant. Certaines
                            absolument pas indispensable.                             études indiquent même que le fructose stimulerait
                                                                                      l’appétit. Une consommation excessive régulière
                            La consommation de sucre est-elle com-                    tant des sucres simples glucose et fructose que du
                            mandée par notre tête ? Pouvons-nous gérer                sucre double saccharose est néfaste pour plusieurs
                            notre envie de sucre par l’autocontrôle ?                 organes. Favoriser un sucre par rapport aux autres
                            Les mécanismes de régulation de l’appétit et de la        n’a donc aucun sens. En principe, il faudrait dimi-
                            satiété dans l’organisme sont complexes. C’est im-        nuer la consommation de tous les sucres. La ten-
                            portant, car l’organisme s’efforce de toujours main-      dance actuelle de remplacer le saccharose par du
                            tenir un équilibre – ni trop ni trop peu d’énergie.       fructose est d’ailleurs une mauvaise idée, car le
                            De même, le niveau de glycémie doit rester dans           fructose s’avère particulièrement néfaste.
                            une fourchette étroite. La plupart des processus
                            impliqués sont inconscients, seule une petite partie      Les édulcorants sont-ils une option ?
                            est consciente et peut être influencée de manière         Autrement dit, le Coca-Cola zero est-il
                            ciblée. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit im-   meilleur pour notre organisme que
                            possible de limiter volontairement sa consomma-           le Coca-Cola ?
                            tion de sucre. C’est difficile au début, mais de plus     La consommation de sucre doit être réduite, sans
                            en plus facile par la suite. Lors d’une consomma-         aucun doute. Le remplacer par d’autres substances
                            tion importante, les papilles gustatives de la langue     au goût sucré qui sont moins nocives est une pos-
                            s’habituent à l’alimentation sucrée et s’émoussent.       sibilité pour se rapprocher de ce but. Cependant,
                            En réduisant le sucre, voire en y renonçant complè-       certaines études sur les édulcorants artificiels
                            tement pendant quelque temps, on constate que les         soulèvent des questions et une consommation
                            mets sucrés paraissent tout à coup beaucoup plus          chronique de grandes quantités devrait au moins
                            sucrés. On est plus rapidement rassasié de sucre et       être considérée comme critique. Il serait éventuel-
                            s’en passer devient plus facile.                          lement plus judicieux d’utiliser une large palette
                                                                                      de différents édulcorants, mais aussi de recourir

14   doc.be 03/2018 Colloque consommation de sucre
plus souvent à des substances naturelles telles que       Pourquoi faut-il particulièrement protéger
l’inuline, le xylitol ou l’érythritol. En principe, il    les enfants ?
faudrait réduire la part des aliments au goût sucré       Les enfants dépendent de nous, ils mangent ce que
sans essayer de simplement remplacer le sucre.            nous leur proposons. Or, ils supportent moins de
                                                          sucre que les adultes, car le volume de leur corps
En conclusion, un verre d’eau est préférable tant         est bien plus faible, mais aussi parce qu’ils y sont
au Coca-Cola zero qu’au Coca-Cola. Mais si je             bien plus sensibles en raison des hormones de
dois choisir entre ces deux derniers, je prendrai la      croissance. Parallèlement, ils sont très réceptifs à
version zero, car les effets néfastes du sucre ne font    la publicité, ce qui est largement exploité. Public
aucun doute.                                              cible de choix, ils sont courtisés de tous les côtés.
                                                          Certains dégâts dus à la consommation de sucre,
Que signifient les produits terminaux de                  comme les caries ou les PTG, perdurent toute la
glycation (PTG), qu’indiquent-ils ?                       vie. Nous avons une grande responsabilité et nous
Quand une protéine baigne dans du sucre, les              devons en faire plus pour protéger les enfants.
groupes « sucre » se lient spontanément à la proté-
ine et forment des complexes stables appelés PTG          Le présent article a été rédigé dans le cadre d’une
(ou AGE en anglais, pour advanced glycation en-           coopération entre doc.be et le Swiss Dental Journal
dproducts). Ces liaisons peuvent limiter la fonction      SSO.
de la protéine. Or, notre corps est constitué de pro-
téines qui baignent régulièrement dans du sucre, le
glucose sanguin. La formation de PTG est en soi
un processus normal du vieillissement. Cependant,
si la glycémie est souvent élevée, plus de PTG s’ac-
cumulent dans l’organisme, ce qui est à éviter. Le
collagène, important pour l’élasticité de la peau et
des vaisseaux sanguins, par exemple, est particu-
lièrement abîmé par ces liaisons avec le sucre. Une
hyperglycémie sur la durée se paye donc par un
vieillissement prématuré de la peau et des parois
des vaisseaux.

Le sucre est-il une drogue ?
Le sucre est une substance psychoactive qui par-
tage quelques propriétés avec certaines drogues.
Sa consommation stimule les récepteurs de la do-
pamine du cerveau tout comme d’autres drogues.            PD Dr. Bettina Wölnerhanssen
De plus, des symptômes de sevrage apparaissent            Depuis 2016, Bettina Wölnerhanssen, docteur et privat-­
quand une personne ayant précédemment consom-             docent, mène des recherches cliniques au St. Claraspital de
mé beaucoup de sucre y renonce soudain complète-          Bâle. Elle a suivi des études de médecine à l’université de
ment. Des changements de dépendance sont aussi            Bâle et obtenu son titre de médecin spécialiste en chirurgie
décrits, comme des alcooliques qui se rabattent sur       en 2010. Ses recherches portent principalement sur les mé-
le sucre. Pendant la prohibition, la consommation         canismes de l’appétit et de la satiété, l’obésité et la chirurgie
de sucre aux Etats-Unis a fortement augmenté.             bariatrique ainsi que sur le sucre et les succédanés du sucre.
Contrairement aux autres drogues, il n’y a toutefois
pas d’effet direct visible, la personne ne ressent pas
d’effet d’ivresse.

                                                         doc.be 03/2018 Colloque consommation de sucre                15
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