TOUS VÉGÉTARIENS ? - XTC world innovation
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20 ENQUÊTE 21 A L I M E N TAT I O N T O U S V É G É TA R I E N S ? Serions-nous tous en train de devenir herbivores ? Écologie, économie et démographie obligent, les Français réduisent leur consommation de viande. Un déclin inexorable qui mobilise la filière viande et l’oblige à se repenser en profondeur. Heureusement, rares sont les vrais végétariens : la tendance, aujourd’hui, est au flexitarisme. Ni 100 % veggie, ni 100 % viandard. Une opportunité de marché pour les marques et les distributeurs qui surfent sur le phénomène… Parfois à l’extrême. Insectes, algues et viande artificielle sont autant de pistes explorées par les industriels mais qui devront passer à l’épreuve de la loi… et de l’acceptation © Serghei Velusceac - fotolia des consommateurs européens. PAR CÉCILE BUFFARD N°1187 - 25 janvier 2016 - www.pointsdevente.fr www.pointsdevente.fr - 25 janvier 2016 - N°1187
22 ENQUÊTE Alimentation | 23 Tous végétariens ? N e cherchez plus la viande dans le de plus !” Idem pour la charcuterie, dont La mondialisation, le déclin de la consom- menu du Plaza Athénée, le res- la consommation, évaluée à 36 grammes mation et un mauvais positionnement taurant parisien d’Alain Ducasse, par jour, se situe en deçà du seuil des 50 commercial ont contraint, depuis dix ans, vous ne la trouverez pas. Cela fait un an grammes recommandés. Mal connus, les la filière viande française à détruire des que le Chef trois étoiles a supprimé cet chiffres de la consommation sont souvent emplois. “Ses prix de vente à la distribu- aliment de sa carte, expliquant à l’AFP confondus avec ceux de la production, tion ne font que baisser alors que ses coûts que notre planète avait “des ressources mesurés au niveau des abattages. Une stagnent, ou augmentent, selon les années. rares”, qu’il fallait donc “la consommer erreur d’interprétation qui se transforme La compétition avec les voisins est forte”, plus éthiquement, plus équitablement”. en bad buzz pour la filière. “Les discours observe Françoise Gorga, directrice inno- Depuis, d’autres Chefs (Thierry Marx, culpabilisants sur la viande minent le moral vation à l’Ania. Concurrencée par le Brésil, Joël Robuchon) lui ont emboîté le pas. des éleveurs, accusés d’être, à la fois, des les États-Unis et l’Argentine, la France Si seuls les gastronomes au porte- empoisonneurs et des pollueurs”, déplore souffre d’un manque de compétitivité… feuille bien rempli peuvent s’émouvoir Marc Pagès, directeur général d’Interbev. Et de remise en question. “Il y a beaucoup de ce revirement culinaire, c’est bien Des campagnes d’affichages comme celle d’inertie dans la filière viande. Quand vous l’ensemble des Français qui, dans leur menée dans le métro par l’association avez investi des millions d’euros dans l’éle- quotidien, s’interrogent sur leurs habi- L214 contre l’élevage bovin, à l’occasion vage intensif, il est difficile de changer de tudes de consommation : et si nous de- de la COP21, contribuent à fragiliser un modèle”, note Jean-Louis Rastoin, direc- venions tous des végétariens ? Oubliés, peu plus un secteur sous tension. teur de la Chaire Unesco et du réseau la chasse et l’instinct prédateur, Unitwin en alimentation du monde, pour l’homme deviendrait un bienveillant qui la seule stratégie possible pour la GMS herbivore, soucieux du bien-être de ses France passe par une montée en gamme confrères animaux et de la nature qui des produits carnés. Cette démarche a été l’entoure. On estime entre 1 % et 3 % initiée par les professionnels du secteur le nombre de végétariens dans la popu- Toujours moins de viande qui rencontrent, cependant, quelques en- lation française. Pas de quoi affoler les traves. “On ne peut pas demander à toute La montée en puissance de la éleveurs – la viande continue de repré- une filière de changer son mode de produc- consommation de steaks hachés senter 20 % du panier alimentaire des tion si, en face, le consommateur n’est pas (généralement issus de vaches de Français en 2014, selon l’Insee – si ce là pour acheter le produit ou s’il ne trouve réforme, avec des portions restreintes) n’est que la consommation de produits pas la qualité dans les points de vente”, au détriment des pièces “nobles” carnés ne cesse de baisser. Entre 1998 argue Marc Pagès. Guerre des prix d’un issues de races à viande, plus chères et 2014, on est passé de 94 kg de côté, faiblesse de l’animation de l’autre, et souvent plus généreuses en termes viande par personne à 86 kg, indique les enseignes cèdent plus facilement à la de grammage, a participé à la baisse FranceAgrimer. Pour Céline Laisney, di- tentation de la promotion qu’à celle de la de la consommation de viande en rectrice d’AlimAvenir, il ne s’agit pas du valorisation. Certes, l’attractivité du rayon France, révèle FranceAgrimer. Idem © sergeyshibut - fotolia tout d’un effet de mode : “l’inflexion a viande en libre-service entre DLC courtes, pour les produits “prêts à l’emploi” qui commencé dès les années 80 et se pour- obligation d’un bac réfrigéré et packa- proposent moins de viande et plus de suit. Elle est observable dans la plupart gings sommaires, relève de l’exploit mais légumes (moins coûteux à élaborer). des pays développés qui connaissent elle est essentielle. “Il faut maintenir un pic de consommation de la viande à partir duquel celle-ci décroît”. C’est le du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et 2008, doublée du traumatisme du scan- le tollé général, l’OMS s’est fendue d’un fameux “Peak Meat”. le Surpoids (G.R.O.S). Après les Trente dale de la vache folle en 1998, ont freiné communiqué expliquant que ces travaux Alors que les pays en voie de développe- Glorieuses, la viande a cessé d’être un les achats de viande rouge. “ne demandaient pas aux gens d’arrêter ment mangent de plus en plus de viande, produit de luxe. Ce qui n’en fait pas une de manger de la viande transformée” mais en quête de statut social et de diversité denrée accessible pour autant. À en SUS À LA VIANDE ! indiquaient “que réduire la consommation alimentaire, l’Europe et les États-Unis croire l’étude sur les 50 ans de consom- Il ne manquait plus que le rapport publié de ces produits pouvait réduire le risque mettent la pédale douce. “Dans les pays mation alimentaire réalisée par l’Insee, la par l’Organisation Mondiale de la Santé de cancer colorectal”. Mange-t-on vrai- riches, la viande est devenue moins dési- consommation de viande de bœuf, tout (OMS) en novembre dernier, alertant sur ment trop de viande en France ? “Non”, rable car banalisée. À partir des années particulièrement, reste corrélée au pou- le potentiel cancérogène de la viande répond formellement Pierre-Michel 50, on a parlé de l’ère du bifteck : même voir d’achat. “La hausse du budget des (rouge et charcuterie), pour raviver les Rosner, directeur du Centre d’Informa- les pauvres pouvaient en manger tous les ménages n’augmente pas le volume de soupçons autour d’un aliment déjà honni tion des Viandes (CIV). “Le Crédoc révèle jours ! La viande n’était plus un signe de viande de bœuf achetée mais une baisse va par les défenseurs du végétal. En quelques que le chiffre moyen de consommation de richesse et l’appétence des consomma- l’impacter”, commente Nathalie Morer, jours, manger de la viande est devenu viande rouge est de 52 grammes par per- teurs s’est effritée”, raconte le psychiatre responsable de la section consommation un acte aussi dangereux pour la santé sonne et par jour, alors que le PNNS préco- © DR Plat cuisiné de la Boucherie Végétarienne. Gérard Apfeldorfer, président d’honneur des ménages. La crise économique de que fumer ou boire de l’alcool. Devant nise d’en manger 70 grammes, soit 40 % N°1187 - 25 janvier 2016 - www.pointsdevente.fr www.pointsdevente.fr - 25 janvier 2016 - N°1187
24 ENQUÊTE Alimentation | 25 Tous végétariens ? l’effort de présentation des viandes pour un cahier des charges si l’on veut continuer et appâter les intermittents avec l’argu- redonner l’envie aux gens de consommer”, à bénéficier de son appellation”, indique ment plaisir. “Les flexitariens ne font au- soutient le directeur général d’Interbev. Morgane Estève-Saillard. Certaines sau- cune concession à l’appétence”, assure Ce discours trouve aujourd’hui peu d’écho cisses à griller, par exemple, de type Richard Vavasseur, directeur des marques auprès de GMS qui lorgnent plutôt le mar- “chipolata” peuvent recevoir jusqu’à 2 % premium chez Carrefour. Pour 80 % des ché du végétal. de protéines végétales, le quota imposé Français, le plus important c’est de se par la profession des charcutiers pour faire plaisir en mangeant… Même si 44 % VÉGÉTAL SUPERSTAR conserver l’appellation. L’autre frein à l’ir- des gens veulent éviter les sucres et les Il faut dire qu’il est difficile d’y échapper. Blé, résistible ascension du végétal, et pas des graisses, indique un sondage Starcom soja, fève, pois, lupin… Le végétal est par- moindres, reste le goût. “On rencontre une Mediavest France. Face à l’attitude para- tout. 2016 a même été proclamée par les difficulté, sur le plan organoleptique, pour doxale des consommateurs français par Nations Unies l’année des légumineuses. tous produits 100 % végétaux”, concède rapport à leur alimentation, tout le jeu du “En deux ans, le nombre de produits ali- la déléguée générale. Certaines protéines marketing va être de marier les contraires. mentaires contenant des protéines végé- végétales, au goût très prononcé, sont dif- “On est en quête d’une réconciliation entre “LA POPULATION FRANÇAISE tales a progressé de 18 %. Et chaque an- ficiles à introduire dans les produits alimen- la notion de plaisir, très puissante dans AIME TROP LE FOIE GRAS née, ce chiffre augmente, y compris dans taires”. Sans plaisir, le végétal n’est rien. notre capital culinaire et la recherche de ET LA BLANQUETTE DE VEAU les produits animaux !”, observe Morgane produits sains”, explique Laurent Capion, POUR S’IMAGINER UN AVENIR Estève-Saillard, secrétaire générale du À L’ÈRE DU FLEXITARISME directeur du planning stratégique du UNIQUEMENT COMPOSÉ Groupe d’Étude et de Promotion des Dans une société française qui porte haut groupe. Les nouvelles alternatives ali- DE VÉGÉTAUX” Protéines Végétales (GEPV). Sont parti- les valeurs de la gastronomie, le bascule- mentaires, dès lors qu’elles apportent de Gérard Apfeldorfer, psychiatre © Catherine CLAVERY - fotolia culièrement concernés les produits de la ment vers le tout végétal n’est donc pas la gourmandise, ouvrent aux industriels et et président d’honneur du Groupe boulangerie-viennoiserie-pâtisserie (bis- pour demain. “La population française aux distributeurs des perspectives de mar- de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids cuits, snacks, céréales), les charcuteries et sera probablement la dernière à devenir ché. Et pour ne pas perturber les usages (G.R.O.S) préparations à base de viandes, le rayon végétarienne. Elle aime trop le foie gras des amateurs de viande, certains optent traiteur ou encore l’alimentation infan- et la blanquette de veau pour s’imaginer pour le me-too : l’illusion de la viande. © sergeyshibut - fotolia tile. Pourquoi un tel engouement pour un avenir uniquement composé de végé- le sociologue de l’alimentation Jean-Pierre “Les Français sont attachés à la viande, “LES DISCOURS CULPABILISANTS ces protéines vertes ? “Elles ont un aspect taux”, affirme Gérard Apfeldorfer. De Poulain. Plus facile à intégrer dans les habi- nous leur proposons donc des produits SUR LA VIANDE MINENT LE MORAL fonctionnel, en tant qu’ingrédient, puisque fait, peu de Français se déclarent prêts tudes de consommation françaises, cette végétariens qui y ressemblent le plus pos- DES ÉLEVEURS, ACCUSÉS D’ÊTRE, leur capacité à créer un réseau protéique à supprimer la viande de leur régime ali- tendance forte crée une ligne de facture sible, dans l’aspect et dans le goût”, indique À LA FOIS, DES EMPOISONNEURS et à retenir l’eau permet la création de gel, mentaire. La vraie lame de fond, c’est le avec les végétariens purs et durs. Philippe Conte, directeur de la Boucherie ET DES POLLUEURS” émulsion et conserve la sensation de moel- apprendre davantage sur les protéines vé- flexitarisme : la consommation de viande Les pionniers de l’offre végétarienne tels Végétarienne, à Paris. Comme Carrefour, Marc Pagès, directeur général d’Interbev leux”, explique la secrétaire générale. Leur gétales. “D’un point de vue nutritionnel et par intermittence. “Le flexitarien, c’est que Triballat qui officie sur le marché de- cet importateur exclusif de produits vé- second atout est nutritionnel : “en enrichis- commercial, il se crée une opportunité pour le végétarien à temps partiel. Cette caté- puis plus de 25 ans n’ont pas de problème gétariens provenant des Pays-Bas estime sant un produit en protéines, on améliore 60 % provenant des protéines animales. les sources alternatives de protéines. Elles gorie regroupe des comportements assez à s’adresser aux puristes. Mais pour les que la marge de progression est grande le ratio protéines-lipides souvent utilisé en Une proportion que la filière végétale ai- ont des défis à relever auprès du consom- variés, du militant qui décrète une journée nouveaux entrants, la cible flexitarienne sur le marché français, comparé aux restauration scolaire et collective”, ajoute- merait amener à 50-50. Reste à séduire les mateur en matière d’attractivité, de goût et sans viande au végétarien qui, de temps en est bien plus large (et lucrative). Carrefour Royaume Uni où la part des végétariens t-elle. Bien que de plus en plus présentes consommateurs. de digestibilité”, annonce Françoise Gorga. temps, s’octroie le droit d’en manger quand vient de lancer, en octobre dernier, sa atteint les 12 %. dans notre alimentation, les protéines vé- Les distributeurs en sont conscients. Le Les offres en tofu et soja, par exemple, il va au restaurant”, décrit Céline Laisney. gamme “Veggie”. Casino y travaille. Leur gétales ne représentent aujourd’hui que GEPV affirme même que des directeurs s’élargissent dans les linéaires et, déjà, Bien que difficile à identifier, ces végéta- objectif : draguer les clients végétariens STEACK OU INSECTES ? 40 % de nos apports protéiques, contre de magasins manifestent leur envie d’en l’industrie agroalimentaire planche sur riens souples représenteraient une par- qui ne fréquentent pas les hypermarchés Pour tout nouvel ingrédient arrivant sur les protéines du futur. Dans le cadre du tie non négligeable de la population. “Un le marché se pose, toutefois, la question projet “Alimentation intelligente”, piloté quart des Français se passent de viande et de l’acceptabilité. Sommes-nous prêts à Smart Food Paris Flexitariens par l’Ania, une feuille de route sur l’accom- de poisson une fois par jour et 30 %, une fois manger des insectes, des racines ou des pagnement à l’innovation des entreprises par semaine : ce sont eux, les flexitariens”, algues ? “La mondialisation n’est pas syno- françaises devrait être rendue à la fin du informe la directrice d’AlimAvenir. Soit nyme d’uniformisation de l’offre alimen- L’open innovation alimentaire mois de février. Des verrous demeurent, un tiers des consommateurs. On est loin Nouveaux végétariens taire. Certains produits venus d’ailleurs cependant. La substitution de protéines des 3 % de végétariens ! Sans compter les censés remplacer la viande ne fonctionne- Les Food Tech s’installent à Paris. La plateforme Smart Food Paris, lancée Le terme “flexitarien” a été animales par des végétales est réglemen- générations futures qui auront pris le pli ront pas chez nous”, avertit Xavier Terlet, le 13 janvier dernier a pour ambition de réinventer notre manière inventé par le chroniqueur culinaire tée. L’histoire de la start-up américaine d’une alimentation moins carnée que leurs le président d’XTC, rappelant l’échec pa- de s’alimenter. Ce programme d’open-innovation porté par la Ville de Paris, américain Mark Bittman (The New Hampton Creek, attaquée par le lobby de aînés. “Manger de la viande tous les jours tente en France de Quorn, une marque de le groupe Up, Carrefour, Danone et Elior, favorisera l’émergence des startups York Times magazine), pour désigner l’œuf pour avoir inventé une mayonnaise apparaît comme un modèle post-deuxième substituts de viande à base de mycopro- qui réfléchissent aux nouveaux usages de consommation et de production tous ceux qui ont décidé de réduire sans œuf, à base de farine de pois, en té- guerre mondiale. Les consommateurs irrégu- téine, produit à partir d’un champignon, alimentaire. Un premier appel à candidature est ouvert jusqu’au 23 février. leur consommation de viande. Un moigne. “Quand on incorpore des protéines liers peuvent constituer un nouveau modèle distribuée par Carrefour. Quant aux in- Les startups retenues bénéficieront d’un accompagnement matériel et financier. végétarien intermittent, en somme. végétales dans un produit, il faut respecter où la viande ne serait pas au centre”, note sectes comestibles, son verdict est N°1187 - 25 janvier 2016 - www.pointsdevente.fr www.pointsdevente.fr - 25 janvier 2016 - N°1187
26 ENQUÊTE Alimentation | 27 Tous végétariens ? TROIS QUESTIONS À scientifiques se révèlent, en outre, extrê- mement coûteux, en temps comme en Dominique Desjeux, anthropologue et sociologue, professeur d’anthropologie sociale et culturelle à Paris V Sorbonne argent. “Reproduire artificiellement une structuration fibreuse consomme beau- “La viande reste le signe du vrai repas” coup d’énergie pour des rendements mé- diocres” souligne Pierre-Michel Rosner. tains groupes sociaux. Les femmes, en Ne plus offrir de viande, c’est prendre Et d’ici à ce que les consommateurs aient particulier, et les CSP- devront passer le risque de briser le lien social dans les moyens de s’acheter un steack haché plus de temps dans la cuisine pour l’imaginaire des gens. à 250 000 €, de l’eau aura coulé sous les éplucher et cuisiner ces légumes. Cela ponts… Il n’empêche que les aliments du va bouleverser l’ordre social. Problème • À quoi va ressembler notre alimenta- futur constituent un vrai business pour qui, toutefois, se résoudra avec l’âge et tion, demain ? les investisseurs. Dans la Silicon Valley, la retraite. Ce qui est intéressant, c’est de regar- les Foodtech explosent depuis deux ans. der où habitent les gens. La grande Twitter, Microsoft ou Google financent • Pourquoi oppose-t-on toujours la tendance mondiale est l’urbanisation des entreprises spécialisées dans les viande au végétal ? et cela modifie nos comportements. commercialiser ces produits, les entre- protéines végétales, parmi elles : Beyond “LES FRANÇAIS PRÉFÉRERONT Dans les mouvements anti-viande et Privés de jardin, d’accès direct, donc, prises devront passer par une procé- Meat et Impossible Food. ÊTRE VÉGÉTARIENS PLUTÔT pro-légumes, il y a une forme d’an- à la nourriture, nous ne développons dure de demande d’autorisation euro- Quoique spectaculaire, la viande arti- QUE DE MANGER DES INSECTES” goisse face à la vie. On désigne la pas le même rapport à l’alimentation. péenne simplifiée (qui ne sera effective ficielle n’est pourtant pas le concept le Xavier Terlet, le président d’XTC viande comme l’ennemi et le légume Pour prévoir ce que l’on mangera, il qu’en 2018) et qui passera directement plus intéressant pour la filière. Selon © DR comme le sauveur. Ce couple antago- faut regarder quels seront les lieux de par l’Efsa et non plus par les autorités Jean-François Hocquette, les chantiers • La France va-t-elle devenir végéta- niste danger/sauveur, diable/ange production de demain et, notamment nationales (Anses). Le délai d’autorisa- menés sur l’élevage durable pour amé- rienne ? est récurrent dans nos sociétés. Les comment se structure notre société tion a, ainsi, été réduit de trois ans à 18 liorer la compétitivité des exploitations Une chose est sûre, c’est que l’on doit marques s’engouffrent dans la brèche autour de l’agriculture. On peut, par mois. Une bonne nouvelle pour les candi- agricoles tout en répondant aux attentes actuellement vivre avec deux grandes du tout végétal, les changements de exemple, imaginer le succès d’inven- dats… si ce n’est que le coût d’un dossier sociales et écologiques des consomma- maladies mondiales : le cholestérol, du comportements créant un nouveau tions hors sol que l’on ramènerait dans de demande d’autorisation peut s’élever teurs sont bien plus prometteurs que la à un excès de gras et le diabète qui marché. Toutefois, il ne faut pas négli- le sol, ou encore, des fermes urbaines. jusqu’à 10 M€ ! ”On a tendance à penser fausse viande : ”Un courant de pensée provient du sucre. Il est donc fort pos- ger que pour une partie des Français, Dans tous les cas, il faudra envisager que les gros opérateurs vont être favorisés consiste à dire que la viande est devenue sible que pour des raisons de santé, la viande reste le signe du vrai repas. le scénario d’une société où la viande par rapport aux petits, dans la mesure où trop banale, que l’on n’en maîtrise plus la de vieillissement de la population et de Invitez des amis et supprimez cet ingré- est importée. Les plus aisés pourront la demande d’autorisation doit reposer sur qualité, y compris gustative”, constate le politique publique, les gens se mettent dient de votre plat principal, vous pas- toujours se payer les produits issus des des études scientifiques poussées”, anti- chercheur. Pour pallier ce problème de © kwanchaichaiudom - fotolia à manger davantage de légumes. Cela serez, au mieux, pour un nul en cuisine, circuits courts et de proximité mais les cipe Kathie Claret avocate associée chez qualité, des scientifiques australiens ont ne sera pas sans conséquence. En effet, au pire, pour un radin qui n’accorde plus pauvres devront se contenter de Bryan Cave. La question se pose d’autant établi un système de prédiction de la qua- © Tim UR - Alekss- fotolia l’une des hypothèses de l’augmentation pas d’importance (ni d’amour) à ses plats préparés produits sur de grandes plus que ce sont souvent des start-ups qui lité sensorielle de la viande sur le principe de la consommation de légumes, c’est convives. Il existe, ainsi, des évidences séries et commercialisés par la grande se positionnent sur les marchés de niche qu’il faut vendre la viande au juste prix. À que leur préparation va peser sur cer- invisibles, symétriques du végétarisme. distribution. des nouveaux aliments”. Et force est de partir d’une combinaison “muscle x mode constater que les demandes d’autorisa- chercheurs se tournent vers la viande de cuisson” et en compilant plusieurs in- tion se font rares – cinq ou six tout au artificielle… Quitte à jouer les appren- formations sur les animaux et les viandes sans appel : ”les Français préféreront Signe que les consommateurs ne sont plus par an – sur l’ensemble du territoire tis sorciers. D’un côté, il y a l’école du (sexe, croissance, poids des carcasses), le être végétariens plutôt que de manger des pas encore enclins à remplacer le steack européen. En l’attente d’autorisation, “in vitro” : l’université de Maastricht Meat Standard Australia (MSA) est ainsi insectes”. par l’insecte. Le développement de ces les entreprises françaises continuent de qui a donné naissance, en 2013, au pre- capable d’établir une hiérarchie qualita- Il n’est d’ailleurs pas le seul à aller dans ce nouvelles alternatives alimentaires est, bénéficier d’une tolérance administrative mier hamburger synthétique fabriqué tive (non satisfaisant, 3*, 4* ou 5*). “Ce sens. “Tout ce qui ressort de nos enquêtes, de toute façon, limité et encadré par le pour vendre leurs produits en magasins à partir de cellules souches prélevées système permet de rémunérer le producteur c’est qu’il y a encore beaucoup de réticences, nouveau règlement européen sur les ou en ligne, illégale puisque non entéri- dans les muscles de bovins. De l’autre, en fonction de la qualité réelle de la viande de la part des consommateurs vis-à-vis des Novel Foods (aliments ou ingrédients née par le texte européen (la DGCCRF celle de l’impression 3D de viande. Ce plutôt qu’au poids de la carcasse”, indique insectes comestibles. Celles-ci tendent tou- alimentaires non consommés dans la retire régulièrement des lots d’insectes procédé de bio-impression a été mis Jean-François Hocquette. Une garantie tefois à diminuer quand l’insecte n’est pas Communauté Européenne avant 1997). du marché)… Jusqu’à quand ? en place aux États-Unis par la société de salaire pour des éleveurs qui peinent à visible”, analyse Céline Laisney, direc- fabriquées à partir de farine d’insectes. Trois catégories supplémentaires ont Modern Meadow. “L’une ou l’autre de joindre les deux bouts et un gage de qua- trice d’AlimAvenir. Audacieuse, la start- “Notre parti pris de départ était de montrer été ajoutées à ce texte révisé le 14 dé- DES NOVEL FOOD À LA FOODTECH ces techniques posent le même problème : lité pour les consommateurs. Devant la up Jimini’s a fait le choix, dès son lance- l’insecte et de jouer sur l’attirance-répulsion. cembre dernier et qui inclut désormais Car remplacer la viande par un substitut celui de l’acceptation d’une viande artifi- montée en puissance des végétarismes, la ment, de commercialiser des insectes Mais nous gardions pour objectif de faire tout aliment possédant une structure reste l’obsession des ingénieurs agro- cielle par les consommateurs”, concède premiumisation du marché de la viande, entiers, grillés et aromatisés pour l’apéri- une gamme destinée au mass market, où moléculaire nouvelle ou modifiée, les nomes. Avec 9,7 milliards de bouches Jean-François Hocquette, directeur de à l’image du vin ou du café, s’impose. Et tif. Désormais installée sur le marché, l’en- l’insecte était masqué”, raconte Bastien micro-organismes, les champignons, les à nourrir en 2050 et des contraintes recherches à l’Inra. Difficilement appré- si manger du bœuf, demain, devenait le treprise propose des barres de céréales Rabastens, cofondateur de Jimini’s. végétaux ou les animaux. Pour pouvoir environnementales grandissantes, les hendables par la population, ces travaux nouveau chic ?n N°1187 - 25 janvier 2016 - www.pointsdevente.fr www.pointsdevente.fr - 25 janvier 2016 - N°1187
28 ENQUÊTE Alimentation | 29 Tous végétariens ? vous avez le logo “Viande de France”, vous le Crédoc. Pour préserver leurs activités, notre consommation, nous nous passe- et à l’environnement”, suggère note Éric pouvez être sûr que la bête a été élevée, les entreprises françaises se tournent vers rions aussi de lait. Le rêve vegan est cher Birlouez, ingénieur agronome et socio- abattue et transformée en France”, assure l’export. “Il suffit de regarder les actions des payé. “Un sol auquel vous n’apportez que de logue. Selon lui, le plus inquiétant pour la Marc Pagès qui souligne, cependant, éleveurs qui ne gagnent pas bien leur vie, l’engrais voit sa production divisée par trois profession n’est pas tant que les Français que les industriels refusent encore d’indi- les abatteurs qui peinent à finir le mois et en dix ans. Sans matière organique, il est basculent dans le végétarisme mais que quer l’origine des viandes sur les produits les distributeurs qui expliquent que le rayon impossible de nourrir la France en céréales”, les générations futures diffusent l’idée, transformés. Chaque année, lors des ren- viande n’est pas le plus lucratif pour com- explique Marc Pagès. Une réorientation de à l’ensemble de la société, que l’on peut contres Made in Viande, la filière s’ouvre prendre que la filière viande est fragile sur la filière est toutefois nécessaire. manger moins de viande. Pour séduire ces à l’extérieur et présente tous les maillons le plan économique”, décrit Marc Pagès. jeunes et marquer les esprits, certains bou- de la chaîne : éleveurs, transformateurs, Selon lui, les associations et les politiques TOUT CE QUI BRILLE chers misent sur le haut de gamme, voire négociants… Rien n’y fait. La suspicion publiques ont leur part de responsabilité Via des systèmes alimentaires territoriali- le glamour. La boucherie Polmard (Paris-VI) sur la viande demeure. L’emballement dans ce déclin en ne soutenant pas suffi- sés (SAT), par exemple. “Leur mission est a intégré les codes du luxe – matériaux médiatique qui s’est créé autour de l’étude samment l’élevage français. “Pourquoi a- de valoriser les produits dans des filières nobles, jeux de volumes et de couleurs, © carloscastilla - Alekss- fotolia de l’OMS sur le lien entre viande et can- t-on eu besoin de faire une conférence de de proximité, de privilégier une agriculture éclairage subtil – pour mieux sublimer une cer le confirme. “La baisse de la consom- presse pour parler de cette étude de l’OMS familiale et des réseaux de PME et TPE viande d’exception, savamment maturée mation est structurelle depuis 20 ans et qui ne concerne pas les Français ni même agroalimentaires et des circuits alternatifs par la technique “d’hibernation”. Présenter répond à des transformations profondes les Européens puisque leur consomma- de commercialisation permettant de mieux un rosbeef comme un bijou dans un écrin de la société. Mais ce qui est sûr, c’est que le tion de viande est en dessous des normes partager la valeur créée” décrit Jean-Louis n’est pas une pratique réservée aux néo- Viande buzz peut avoir des effets temporaires mais mondiales ?”, s’agace le directeur général. Rastoin, directeur de la Chaire Unesco et bouchers. Mais pour que la grande dis- dévastateurs sur la filière”, déplore Pierre- Le risque, c’est que la France finisse par du réseau Unitwin en alimentation du tribution s’essaie à la valorisation, encore Michel Rosner, directeur du Centre d’In- s’incliner face au Brésil, aux États-Unis monde. Ces nouveaux modèles de produc- faut-il qu’elle sorte de la logique du plus Pourquoi tant de haine ? formation des Viandes (CIV). Les charcu- tiers, également visés par l’OMS, ont vécu un novembre noir. “La météo, très douce et l’Allemagne, tous trois champions de l’élevage intensif à des prix imbattables. “Si l’on continue à dramatiser, un jour, on tion intègrent une gestion des ressources naturelles qui limite l’impact sur l’environ- nement et le gaspillage. “Il est important bas coût. “Depuis trente ans, on a voulu produire le plus de produits possible pour le prix le plus bas possible mais de toute part, Sale temps pour les amoureux consommateur en lui disant que consommer pour la saison, et la mauvaise publicité que sera obligé d’importer ces animaux issus que la filière élevage prenne conscience on voit émerger des positions en faveur de du bœuf. Les végétariens se trop de viande le rendrait malade, que l’éle- nous a fait cette étude n’ont pas encouragé de l’élevage intensif, nourri aux antibio- de la situation. Elle doit être attentive à l’amélioration de la qualité”, observe Pierre- rebiffent et prennent pour cible vage serait nocif pour l’environnement, qu’il les ventes à décoller”, euphémise Robert tiques et aux hormones en permanence”, maintenir des élevages à taille humaine, Michel Rosner. Une réflexion sur la valeur y a des problèmes de maltraitance dans la Volut, président de la Fédération nationale prévient-il. Peut-on imaginer une France valorisant les prairies et mettre en avant ajoutée qui dépasse largement la question une filière viande déjà fragile. filière : je ne suis pas d’accord. Nous, on ne se des industriels charcutiers (Fict). Le chiffre sans élevage ? Si la viande disparaissait de les services que rend l’élevage à la société de la viande. Le plaisir n’a pas de prix. n Il est temps, pour le secteur, positionne pas contre les végétariens. Alors, d’affaires du mois a reculé de -3,6 %. “C’est de se valoriser. Charcuterie qu’ils nous respectent !”, affirme Marc Pagès, la première fois, depuis des années, que les directeur général d’Interbev. Longtemps ventes reculent”, admet-il, loin de prendre Deux morceaux de rumsteck crus désirée, la viande est aujourd’hui attaquée. le phénomène à la légère. Jusqu’alors, la et un titre : “Fondus de fondue”. C’est Pourquoi tant de haine ? charcuterie était la seule catégorie dans La convivialité avant tout la couverture de Beef, magazine destiné l’univers des viandes à progresser. Non, les pâtés d’insectes ne sur le plan de l’offre que du service”, aux hommes qui aiment la viande, lancé DANS LE VISEUR DES VEGGIES viendront pas remplacer le saucisson déclare Robert Volut. Et pour cause : en 2014. La Une carnassière détonne en Accusée d’opacité – l’affaire de la viande de FILIÈRE SOUS PRESSION pour l’apéritif. Du moins pour l’instant. la charcuterie bénéficie d’une place à kiosques aux côtés des journaux vantant le cheval a réactivé les angoisses – la filière Entre 2003 et 2010, les ventes de viande “Les Français aiment la charcuterie, part dans le cœur des consommateurs. nouveau régime citron, sur fond de COP21 plaide pourtant la transparence. “Quand de boucherie ont diminué de 15 % indique toutes générations confondues”, assure et de discours anti-viande. Non, tout le Robert Volut, président de la Fédération Chouchou des Français monde n’est pas végétarien, même si le Veggies contre viandards nationale des industriels charcutiers Selon l’étude OpinionWay réalisée flexitarisme – végétarisme occasionnel – © DR (Fict). Cette tradition française (qui pour la Fict, 95 % des Français est à la mode. Ébranlée par ce phénomène date de l’époque gallo-romaine) est déclarent consommer des charcuteries, européen, la filière se mobilise et multi- La société française semble scindée en deux parties : les pro bien ancrée dans nos habitudes de de préférence en entrée (96 %) et régional et des terroirs pour 61 % plie les campagnes de communication. et les anti-viandes. Alors que tofu et germes de blé s’installent confortablement dans consommation. “S’il peut y avoir des à l’apéritif (91 %). “L’un des points des personnes sondées, les produits En 2015, Interbev a lancé la plate-forme les linéaires de la GMS, les amoureux du bœuf lancent une contre-offensive. Le ruptures fortes en cas de crise, on forts de nos produits est qu’ils sont de charcuterie sont moins touchés Bœuf-Lovers, un site de rencontre des burger saignant revient en force, les bouchers deviennent des stars de la télévision. revient toujours à la normale”, note pratiques, ready-to-eat et adaptés à la par la crise de la viande française. amoureux de la viande, sorte de Meetic Un mouvement logique, selon Laurent Capion, directeur du planning stratégique de le président. Les chiffres de l’année consommation moderne”, explique le Ils restent même le dernier bastion de des carnivores. Pour 2016, l’interprofession Starcom Mediavest France : ”dans l’alimentation, les opposés coexistent. Quand 2015, à -0,7 %, sont trompeurs. Si le président. Quoi de plus simple, en effet, consommation de cet univers. Pour réfléchit à des nouveaux axes de commu- il y a une tendance trop forte et continue autour de la santé et de la prévention, rayon traditionnel s’effondre (à -3,1 %), que de poêler une andouillette ou de preuve : 87 % des Français seraient nication. Objectif ? Démentir les propos les consommateurs recherchent la sensation, le grand frisson et prennent le contre- le libre-service se maintient à 0,3 %. faire réchauffer un friand, la spécialité prêts à s’insurger de la disparition des négatifs portés par les végétariens militants pied d’un tout sécuritaire pour se faire plaisir”. À défaut de s’attirer, les contraires “On réfléchit, avec les enseignes, à de charcuterie pâtissière prisée des charcuteries, si cela devait arriver. Aux qui appellent à supprimer la viande dans s’équilibrent… améliorer le rayon traditionnel, tant enfants ? Représentatifs du savoir-faire armes viandards ! nos assiettes. “On essaie de culpabiliser le N°1187 - 25 janvier 2016 - www.pointsdevente.fr www.pointsdevente.fr - 25 janvier 2016 - N°1187
30 ENQUÊTE Alimentation | 31 Tous végétariens ? Glorieuses ont apporté aux Français un ans, tout le monde partageait le même des Anglo-Saxons. “En Angleterre, on pouvoir d’achat suffisant pour pouvoir repas autour d’une table, aujourd’hui, on pense que chacun est responsable de son déguster de la viande à l’envi. “Il est clair mange de plus en plus seul, partout dans le alimentation et mange en fonction de ce que pour une partie de la population, la monde, et chacun y va de son régime parti- qu’il pense devoir manger. On ne partage hausse du pouvoir d’achat s’est traduite par culier”, résume Pierre-Michel Rosner. Plus pas, commente Gérard Apfeldorfer. Il une consommation quotidienne de cette que le végétarisme, c’est vers l’individua- s’agit de décisions alimentaires que l’on veut viande dont elle a été longtemps privée”, lisme et la fragmentation que se dirigent faire respecter et qui vont servir à s’affirmer confirme Pierre-Michel Rosner. L’euphorie nos modes de consommation alimen- en tant que mangeurs dans un groupe”. Je est retombée dans les années 70 où le taires. Une alimentation en solo, inspirée mange donc je suis. n sédentarisme a commencé à prendre le pas sur l’activité physique, les besoins en TROIS QUESTIONS À © Musée de la Chasse et de la Nature, Paris – Sylvie Durand protéines diminuant. “Dès cette époque, on observe chez les CSP+ qui, historique- Gérard Apfeldorfer, psychiatre et président d’honneur du Groupe ment, ont toujours mangé beaucoup de de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (G.R.O.S) Culture alimentaire viande, une baisse de la consommation. Ce sont d’ailleurs eux qui, aujourd’hui, prônent “Les gens qui se sont enrichis une alimentation végétarienne, en vertu de deviennent herbivores” La part du symbolique préoccupations diététiques, sanitaires ou éthiques”, poursuit le directeur. Le végé- tarisme, un combat de riches ? Ce qui est • Pourquoi la viande se sont enrichis deviennent déchaîne-t-elle autant les herbivores. N’oublions pas clair, c’est que l’allégement de l’alimenta- passions ? que l’homme est un omnivore Cachez cette viande que je ne saurais voir ! Les discours anti- rappelle Pierre-Michel Rosner, “la ritua- tion française est d’abord partie de la gas- La viande a toujours eu et qu’il n’est pas, comme viande sont souvent violents. Pourquoi la viande émeut-elle tant ? lisation de la mise à mort et la symboli- tronomie. En pleine époque sixties, les un statut ambigu qui crée le koala, capable de syn- sation de l’animal dès les premières pein- habitués des restaurants en eurent assez Retour sur un aliment hautement symbolique et fondamental une réticence de départ thétiser à partir des feuilles tures rupestres révèlent que l’homme n’a de manger des plats de viande en sauce et dans notre alimentation. jamais considéré que le geste de tuer un une nouvelle cuisine est née, moins robo- parce qu’elle apporte à d’eucalyptus ! Nous devons la fois la force et les nutri- manger varié pour avoir tous animal allait de soi”. La viande pose pro- rative, faisant la part belle aux légumes. ments mais qu’elle provient les nutriments nécessaires à “Alors, il est bon ton morceau de comme dispensatrice de force”, commente blème. Impure, elle nous fait porter la Résultat, à partir de 1980, la baisse de la © DR d’animaux qui nous res- notre santé et la viande est le cadavre ?” Quel amateur de viande n’a Éric Birlouez, ingénieur agronome et so- culpabilité de la mort et nous évoque le consommation de la viande rouge s’est semblent. Quand quelqu’un dit du mal moyen le plus facile pour y accéder. pas, un jour, eu droit au regard furibard et ciologue. L’entrecôte saignante débor- cannibalisme. “Du temps où l’on chassait, amorcée pour l’ensemble de la popula- de la viande, il envoie des messages très à la remarque assassine d’un défenseur dant de l’assiette ne fait plus fantasmer. il fallait se faire pardonner le fait d’avoir tion. Dans un premier temps épargnées, forts aux oreilles du consommateur. Par • Le discours végétarien a parfois des de la cause animale ? Jusqu’alors relative- Pis, elle dégoutte et effraie. mangé un animal que l’on a tué”, raconte volailles et charcuteries ont vu leurs exemple, quand l’OMS déclare que la accents tyranniques… pourquoi ? ment en marge de notre société gastro- Gérard Apfeldorfer, psychiatre et pré- ventes reculer dès la fin des années 90. viande est cancérigène, ce n’est pas une Cet autoritarisme alimentaire nous vient nome, les végétariens ne représentent TABOU DE LA MISE À MORT sident d’honneur du Groupe de Réflexion nouveauté – on le sait depuis dix ans – des pays anglo-saxons. D’une façon qu’une infirme partie des consommateurs Car derrière la viande, il y a l’ombre de la sur l’Obésité et le Surpoids (G.R.O.S). Mais L’ALIMENTATION COMME cela provoque de l’inquiétude. Or, tous les générale, on a moralisé l’alimentation. (1 % selon le Crédoc) mais ils se font da- mort. Si chasser fait partie des activités elle symbolise aussi le partage, marque AFFIRMATION DE SOI aliments que nous mangeons sont ambi- Du milieu du XIXe siècle à la moitié du vantage entendre. “Pendant longtemps, il humaines qui remontent à la préhistoire, les grands moments, les événements De là à anticiper la suppression de la valents. Il n’existe pas d’aliments parfaits XXe siècle, c’était la vie sexuelle qui n’était pas facile pour les Français de se dé- le fait de consommer de la chair ani- festifs. “Toutes les sociétés sacrificielles viande dans nos régimes alimentaires, qui seraient tout à fait bons pour la santé était moralisée. Mais après les années clarer végétarien à cause du poids de notre male afflige une partie de la population font de la mort animale un des éléments rien n’est moins sûr. “On peut imaginer que et nourrissants sans comporter d’éléments 70, le sexe s’est banalisé. Avant 1920, culture à l’égard de l’alimentation, qui laisse contemporaine. L’urbanisation de notre du lien social”, note Jean-Pierre Poulain l’inflexion de la consommation de viande de nature négative. Tout aliment a un pou- entrevoir le mollet d’une femme suffi- une place centrale à la viande. Avec l’indi- société contribue à ce rejet. “La popula- qui rappelle que même dans les sociétés dans nos sociétés développées va créer des voir de dangerosité. sait à provoquer une érection chez un vidualisation du rapport à l’alimentation et tion agricole ne représente plus que 2 à 3 % végétariennes, comme en Inde, certains espaces dans les menus, avec la possibilité homme. Aujourd’hui, la voir toute nue à l’animal, cette parole s’est libérée”, ana- de la population active contre 15 % il y a mangent de la viande. d’avoir d’autres plats que la viande. Mais la • Qu’est-ce qui explique la fascination ne lui fait ni chaud ni froid ! Parce que lyse le socio-anthropologue Jean-Pierre trente ans. La question de la mise à mort mutation sera longue avant d’imaginer que pour le végétal ? le sexe excite moins qu’avant, provoque Poulain. Plus sensible aux questions du d’un animal pour le manger, qui n’était déjà EXIT LA CHASSE À COURRE les produits sans viande viennent prendre la Les végétaux ont, c’est vrai, le vent en moins d’émotions, l’alimentation a pris bien-être animal, plus engagée dans la pas anodine dans le monde rural, est encore Et pour cause : c’est un élément de distinc- place des produits carnés”, annonce Jean- poupe parce que l’on a perdu le contact le relais. On parle même de “porn défense de l’environnement, la socié- plus problématique dans une société décon- tion sociale. “La viande, c’est la richesse. Pierre Poulain. Les Français vont-ils résis- avec la nature. La majorité des Fran- food”. Du même coup, on fait davan- té française a modifié son rapport à la nectée de la nature”, affirme Pierre-Michel Pendant longtemps, elle a été réservée aux ter au diététiquement correct (voir entre- çais ne savent plus ce que c’est que de tage la morale sur l’alimentation que viande. “Les représentations de la viande Rosner, directeur du Centre d’Information plus fortunés”, évoque Gérard Apfeldorfer. tien ci-dessous) ? Au Centre d’informations tuer un poulet ou un lapin : l’harmonie sur les comportements sexuels. Il y a ont évolué. Nous ne sommes plus dans une des Viandes (CIV). Que le lion coure après Au Moyen-Âge, seuls les nobles avaient des Viandes, on évoque les travaux du dans la basse-cour ou la forêt est brisée les bonnes personnes (qui mangent des société où la force physique, l’agressivité et la gazelle pour se nourrir passe encore, le droit d’élever et de chasser les bêtes. Et sociologue Claude Fischler, spécialiste et ils traitent les animaux domestiques légumes) et les mauvaises (qui mangent la violence sont célébrées. Le travail devenu mais qu’un boucher dépiaute un lapin sur l’on confisquait plus facilement aux pay- de l’alimentation humaine. “La vraie ten- comme des êtres humains. On a l’im- du bœuf). Le diététiquement correct a moins pénible, la virilité n’est plus une qua- le marché, c’est la ligue de défense des sans les volailles que les légumes. Exit le dance au niveau mondial, c’est l’individua- pression, aujourd’hui, que les gens qui remplacé le politiquement correct. lité survalorisée, et par là même, la viande animaux assurée. Pourtant, comme le temps de la chasse à courre, les Trente lisation de la consommation. S’il y a trente N°1187 - 25 janvier 2016 - www.pointsdevente.fr www.pointsdevente.fr - 25 janvier 2016 - N°1187
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