CINÉCLUB 2021 2022 - Université Paris 8
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Université Paris 8 Vincennes à Saint-Denis Master Valorisation des Patrimoines Cinématographiques et Audiovisuels 2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis Cedex 02 Métro ligne 13 / Saint-Denis Université
Programme conçu et élaboré dans le cadre du Master Valorisation des Patrimoines Cinématographiques et Audiovisuels Grégoire Quenault Programmer / Montrer des films Emna Mrabet Mise en œuvre du programme / Gestion du ciné-club Avec Laure Balka, Rémi Chazot, Aurore Fleutot Hovezak, Vincent Jondeau, Violette de La Forest, Inès Leenhardt, Lila El Mahouti, Marie Palaffre, Solène Payet, Angie Sembach, Charline Toulza, Pim Verkleij Assistance technique Delphine Rives, Gaël Le Pemp, Romain Lambert et Jean-Pierre Cazes Nous remercions également Annick Allaigre, Camille Herfray, Nadia Taoussi, Viviane Ferran, Emmanuelle Sruh et le service de reprographie de l’Université Paris 8 Le Multiple CINÉCLUB 2021−2022 MERCREDI 12 h 45 > A ttention : horaire pouvant être avancé à 12 h 30 ou 12 h 15 Salle de projection Bleue Nuit Tropicale A1 181 – Bâtiment A
Introduction Le multiple. Ou plus exactement l’un et le La vie s’organise en mondes parallèles depuis multiple, tels que leur articulation est posée dans des millénaires dans certaines sociétés tribales, l’histoire de la philosophie dès la Grèce antique et la notion d’univers multiples est quant à elle par Parménide et Héraclite. Pour le premier, toute formulée en occident dès le 6e s av. JC par Anaxi- multiplicité se comprend dans la permanence de mandre. Ils sont, comme les échelles ou les l’unité. Pour le second, le temps, affectant toute mondes multiples, également appelés en chose, rend impossible cette résolution : physique plurivers ou multivers où ils désignent « comme un fleuve, qui semble toujours iden- la coexistence de plusieurs univers dissemblables tique mais où l’eau n’est jamais la même, nous aux connexions marginales. Ces notions sont changeons ainsi que les choses ». L’affirmation associées à la grande question irrésolue de la du multiple est cependant en soi une manière de physique moderne qui depuis la fin du XIXème et le poser l’unité. Car s’il est vrai que tout est mouve- début du XXème siècle, cherche à rapprocher la ment perpétuel, le changement s’apprécie à mécanique quantique de Planck (décrivant le l’aune de ce qui demeure. Le multiple est toujours comportement des particules atomiques et suba- le multiple de quelque chose. Ainsi en est-il de la tomiques) et la théorie de la relativité générale multiplication en mathématique qui assoit dans d’Einstein (analysant le comportement de la chacun de ses multiples la permanence de l’unité. matière ainsi que le mécanisme de la gravité à l’échelle cosmique). Ces deux théories appa- Il n’en va pas autrement au cinéma, et ce jusque raissent absolument inconciliables, en ce qu’elles dans son principe fondateur. Il n’y a de mouve- fonctionnent sur des règles a priori sans rapports, ment visible que parce que l’essentiel demeure ou plutôt, dont les rapports sont encore inconnus, d’une image à l’autre, qui permet non seulement ou incompris. Leur unification reviendrait à la stabilité des formes et des figures mais, para- découvrir le fonctionnement global de l’univers, doxalement, également la perception du change- à unifier le multiple… ment, du différentiel. Dès ses débuts industriels, soit comme nous l’apprend Benjamin à l’ère de la Alice au pays des merveilles, formidable conte reproductibilité technique, le cinéma met fin – littéraire et mathématique, est en soi une fable avec la photographie – au principe d’unicité et canonique du plurivers, dont les inspirations d’aura de l’œuvre d’art, ouvrant la voie du éclectiques du mathématicien Lewis Caroll multiple dans toute discipline artistique. La passaient aussi par l’actualité d’une physique qui simplicité de la production et de la reproduction n’allait plus tarder à devenir moderne. Le récit est mécanisées, ainsi que celle des interventions sur une conjecture qui préfigure déjà l’imminence de les objets qui en découlent, va dès lors autoriser Planck et surtout d’Einstein. Ainsi, la chute la prolifération – pour de multiples raisons quasiment inertielle d’Alice dans un trou noir, si (commerciales, idéologiques, accidentelles, elle est fantastique est moins absurde qu’il n’y malveillantes...) – d’occurrences distinctes de paraît. Ce véritable trou de ver, raccourci l’original. Sur ce point, les vingt-deux versions spatio-temporel comme le sont encore les diffé- du Napoléon d’Abel Gance ont peu d’équivalent. rentes portes et serrures du récit, mène vers le monde blanc du lapin à qui le temps échappe désormais, et où s’emboîtent des espaces extra- vagants, disparates et d’échelles incompossibles.
La science-fiction américaine des années 1950 De l’un au multiple donc. Mais aussi de la multi- vient, avec la conquête spatiale, précisément plication à l’uniformité et à la conformité, selon cristalliser l’expression de ces incertitudes qui les principes du clonage comme dans l’inquiétant ont gagné notre monde physique, celles de la Body Snatchers de Don Siegel, ou selon ceux place de l’humanité dans ces échelles sans fin de d’une sorte de matrice extra-utérine extra- l’univers où il est devenu probable qu’elle n’est terrestre dans Le Village des damnés de Wolf plus seule. Richard Matheson – à qui l’on devait Rilla. La division n’est par ailleurs qu’un miroir déjà Je suis une légende – est également l’auteur inversé de la multiplication, comme le montre la de L’Homme qui rétrécit, formidablement réalisé multiplication des cellules par la division cellu- ici par Jack Arnold. Il inspire et écrit de nombreux laire, et le retour à l’idée d’unité dans la gémel- scénarios pour la série The Twilight Zone du non lité et le puissant Faux-semblant de David moins célèbre Rod Serling, qui a pour sa part Cronenberg. institué l’exploration télévisuelle de la « quatrième dimension ». Pour autant, il y a aussi de la variété dans la production en série. C’est le principe même de la L’informatique a récemment fait apparaître reprise, qui dès les Sortie(s) de l’usine Lumière comment les structures parentales des Abori- est l’occasion de déclinaisons telles qu’elles sont gènes sont construites sur le modèle du cube ou visibles dans les mises en abîmes de la « Trilogie de l’hypercube, suggérant la troisième, la de Koker » d’Abbas Kiarostami et plus particuliè- quatrième et parfois la cinquième dimension1. rement dans Au travers des oliviers. Ce sont Sans connaître les nombres, certaines civilisa- encore les potentialités narratives que cherche à tions datant du paléolithique ont donc su inventer épuiser Alain Resnais dans ses Smoking et No des systèmes et des structures relevant des Smoking, remettant sans cesse sur le métier son mathématiques modernes 2. Les Aborigènes récit et qui seront proposées au choix aux spec- vivent au quotidien avec la présence d’un monde tateurs lors d’une séance dédiée. Enfin, la répé- spirituel, simultané et invisible, d’où ils reçoivent tition et ses variations peuvent devenir tout lors de l’activité onirique – à l’origine de la terre, simplement hypnotisantes, qui se déroulent et un peu comme Alice – des messages-guides selon les principes analogues de la musique permettant de maintenir le monde d’ici-bas à minimale dans le cultissime Crossroads de Bruce l’image de celui du « Temps du Rêve », symétri- Conner. quement situé sous la surface de la terre. Conception d’un endroit et d’un envers du monde Grégoire Quenault qui n’est pas si éloignée de celle d’Amenabar articulant celui des vivants et des morts dans Les Autres. Et pour les Indiens Hopi, qui ont inspiré à Godfrey Reggio son sublime film gigogne Koyaa- nisqatsi, le monde était également multiple – même si successif – bien qu’ils n’aient pas eu de mots pour dire le temps… 1 Cf. les travaux de l’anthropologue Barbara Glowczewski, par ailleurs cinéaste expérimentale et ancienne étudiante du département Cinéma de Paris 8. 2 Betty VILLEMINOT, « Regard sur la civilisation aborigène », Les Cahiers jungiens de psychanalyse, 2002/1, n°103, p. 81-94.
Semestre 1 20 octobre 2021 Alice au pays des multiples Alice in Wonderland 24 novembre CINÉ-CONCERT Cecil M. Hepworth & Percy Stow, Multivers 1903, 8 min. 30. Koyaanisqatsi Alice au pays des merveilles Godfrey Reggio, 1982, 87 min. Clyde Geronimi, Hamilton Luske & Wilfred Jackson, Studios Disney, 1er décembre 1951, 75 min. Stille Nacht II : Are We Still Married ? The Twilight Zone Quay Brothers, 1992, 3 min. The Time Element Stille Nacht IV : Can’t Go Wrong Without You Rod Serling & Allen Reisner, Quay Brothers, 1993, 4 min. 1958, 60 min. La petite fille perdue 27 octobre Paul Stewart, 1962, 25 min. Les trois fantômes Simultanéité des temps Douglas Heyes, 1959, 25 min. Meshes of the Afternoon Maya Deren, 1943, 14 min. 8 décembre Ritual in Transfigurated Time Maya Deren, 1946, 15 min. Unité Conformité Uniformité Hill of Freedom Rhythm Hong Sang-Soo, 2014, 66 min. Len Lye, 1957, 1 min. Tango 10 novembre Zbigniew Rybczynski, 1981, 8 min. Le Village des damnés Vie(s) des fantômes Wolf Rilla, 1960, 77 min. Les Autres Alejandro Amenábar, 15 décembre 2001, 104 min. Alter ego 17 novembre Faux-semblants David Cronenberg, 1988, 116 min. L’Univers infini L’Homme qui rétrécit Jack Arnold, 1957, 81 min.
Semestre 2 9 mars Répétitions / Variations Hommes nus (mouvements divers) Étienne-Jules Marey, 1891-93, 4 min. Ballet mécanique 2 février 2022 Fernand Léger , 1924-25, 18 min. Body Snatching Film-Montagen II Peter Roehr, 1965, 7 min. L’Homme orchestre Home stories Georges Méliès, 1900, 2 min. Matthias Müller, 1991, 6 min. The Playhouse Berlin Horse Buster Keaton, 1921, 23 min. Malcolm Le Grice, 1970, 9 min. L’Invasion des profanateurs de sépultures Péribole Don Siegel, 1956, 80 min. Marc Plas, 2007, 2 min 20. Crossroads 9 février Bruce Conner, 1976, 36 min. Di-Versions 16 mars Sortie(s) de l’usine Lumière Louis & Auguste Lumière, quatre versions, Polyvision 1895-97, 4 min. Napoléon Anémic Cinéma Abel Gance, 1927, multi-projection. Marcel Duchamp, 1925, 8 min. Le Lion des Mogols Jean Epstein, 1924, 106 min. 23 mars Des points de vue 16 février Nowa ksiaska Reprises Zbigniew Rybczynski, 1975, 10 min. Dans la peau de John Malkovich Au travers des oliviers Spike Jonze, 1999, 113 min. Abbas Kiarostami, 1994, 103 min. 30 mars 23 février I Contain Multitudes À Choix multiple(s) I’m Not There Smoking / No smoking (film au choix) Todd Haynes, 2007, 135 min. Alain Resnais, 1993, 140 min. ou 145 min. 16 avril Toutes les femmes Cet obscur objet du désir Luis Buñuel, 1977, 105 min.
ALICE AU PAYS DES MULTIPLES 20 OCTOBRE 2021
Alice in Wonderland CINÉ-CONCERT ! Cecil M. Hepworth & Percy Stow Alice au pays des merveilles Clyde Geronimi, Hamilton Luske & Wilfred Jackson Stille Nacht II : Are We Still Married ? Stille Nacht IV : Can’t Go Wrong Without You Quay Brothers Les aventures d’Alice au pays des petite, elle change incessamment de ALICE IN WONDERLAND merveilles, roman de Lewis Caroll taille, alors que les espaces semblent Cecil M. Hepworth et Percy Stow paru en 1865, a connu d’innombrables juxtaposés les uns aux autres, les adaptations cinématographiques. temporalités mouvantes et que les 1903, Royaume-Uni On comprend dès le premier Alice instances diégétiques se multiplient. 9 min., n&b et teinté, sil. in Wonderland de 1903, signé Cecil Au sein du rêve, chaque nouvel élément ALICE AU PAYS DES MERVEILLES Hepworth et Percy Stow, comment (ALICE IN WONDERLAND) semble avoir sa réalité. Le « moi trans- la complexité du récit d’Alice trouve cendantal », qui fait du Je le point de Clyde Geronimi, Wilfred dans les effets nouveaux du cinéma un Jackson, Hamilton Luske départ de toute connaissance certaine, (Studios Disney) terrain d’expression inédit et fertile. est envisagé comme étant malléable Le studio Disney, armé de la puis- et transformable. Ainsi, l’espace et 1951, États-Unis, 75 min., coul., sonore sance démiurgique sans limites de le temps deviennent des instances Son : C.O. Slyfield son industrie entreprend lui aussi, en plurielles et flottantes et les choses Musique originale : Oliver Wallace 1951, d’adapter l’œuvre aux multiples deviennent réelles à partir du moment Montage : Lloyd Richardson histoires et lectures. Avant que les où elles sont vécues par Alice. De plus, Production : Walt Disney Pictures frères Quay, figures emblématiques chaque réalité semble être contenue en Distribution : RKO Pictures de l’animation des années 1980-90, puissance dans celle vécue. C’est ainsi Avec (voix) : Sterling Holloway, finissent plus d’un siècle après sa que l’on fête les non-anniversaires, Ed Wynn, Jerry Colonna, Richard Haydn, création par en proposer quelques que des roses blanches deviennent Verna Felton, J. Pat O’Malley, déclinaisons, libres et musicales, où le rouges une fois repeintes… Bill Thompson lapin intercède dans un autre univers, gothique et non moins étrange. Alice au pays des merveilles est donc STILLE NACHT II : un voyage initiatique au pays des ARE WE STILL MARRIED ? Tombée dans les pays de son rêve, multiples, de la recherche de soi et Stephen & Timothy Quay Alice, fillette d’une bonne famille d’un imaginaire en déconstruction et anglaise, les explore au gré des 1992, États-Unis, 3 min., n&b, sonore construction permanentes. soubresauts de son imaginaire. Le récit entraîne le spectateur à travers Laure Balka, STILLE NACHT IV : la découverte des mondes mentaux Rémi Chazot, CAN’T GO WRONG WITHOUT YOU d’Alice, qui semble toujours s’étonner Violette de La Forest Stephen & Timothy Quay et Angie Sembach des situations qu’elle crée elle-même 1993, États-Unis, 4 min., n&b, sonore au sein de son rêve. À la fois grande et
SIMULTANÉITÉ DES TEMPS 27 OCTOBRE 2021
Meshes of the Afternoon Maya Deren Ritual in Transfigurated Time Maya Deren Hill of Freedom Hong Sang-Soo Les films se trouvent ici à une frontière « le film est un art d’espace-temps »1, MESHES OF THE AFTERNOON imperceptible entre passé et présent, qu’il s’agit de produire dans toute Maya Deren dans des lieux suspendus et multi- sa singularité, et un « cinéma des ples où la distinction temporelle, ou a corps »2, où gestes et chorégraphies 1943, États-Unis minima sa continuité, a perdu sa perti- trouvent à s’exprimer selon des durées 14 min., n&b, sonore nence. Ils nous mènent au croisement spécifiques. du rêve et de la réalité, dans un espace RITUAL IN TRANSFIGURED TIME Dans Hill of Freedom, Hong Sang-Soo où la véracité des faits et des gestes se Maya Deren raconte l’histoire de Mori, un jeune confond avec leur virtualité, où l’in- japonais, se rendant à Séoul afin de 1946, États-Unis certitude laisse place à la potentialité. retrouver la femme qu’il aime. Mais 14 min., n&b, sil. Aussi nous plongent-ils dans un voyage celle-ci est absente. Il attend son non seulement spatio-temporel mais HILL OF FREEDOM retour en lui écrivant, et en déambu- métaphysique. lant dans les lieux qu’elle a l’habitude Hong Sang-Soo Maya Deren, pionnière de l’avant- de fréquenter. Dans ce récit épisto- 2014, Corée du Sud garde cinématographique américaine laire, nous découvrons la vie de Mori 66 min., coul., sonore des années 40, réalise plusieurs courts à travers la lecture postérieure des métrages emblématiques du patri- lettres faite par Kwon, l’amie aimée. Scénario : Hong Sang-Soo moine expérimental dont Meshes of Mori promène également un livre, inti- Photographie : Park Hong-yeol, the Afternoon et Ritual in Transfigured tulé Le temps, qui cristallise sa concep- Yi Yuiheang Time. Chacun de ces films incarne un tion (et celle du film) d’une temporalité Musique originale : Jeong Yong-jin univers poétique au rythme et à la arbitrairement pensée comme continue logique propre, déclinant des théma- et linéaire. Romain Lefebvre, souligne Montage : Hahm Sung-won tiques récurrentes comme l’identité, qu’« il s’agit de mettre le temps en jeu, Production : Jeonwonsa Film Co. les mythes, les rituels. Elle y explore de en incorporant une forme de multipli- Disctinction : Montgolfière d’Or 2014 nouvelles expériences visuelles et cité »3. L’interprétation de la nature (Festival des trois continents, Nantes) déconstruit les codes de la narration des événements s’appréhende dès lors hollywoodienne. Dans ses textes théo- subjectivement dans une construction riques, la cinéaste affirme sa volonté illusoire du réel. de penser les films en termes visuels et Lila El Mahouti et non verbaux. Aussi, ne se définit-elle Grégoire Quenault pas comme une surréaliste. Pour elle, 1 DEREN Maya, Lettre à James Carr (1955), « New Directions in Film Art », dans Essential Deren – Collected Writing on Film by Maya Deren, édition et préface de B. R. McPherson, Kingston, New York, Documentext, 2005, p.190-191 2 TRIVELLI Anita, « La dimension onirique dans le cinéma de Maya Deren », dans Rêve et cinéma, Mouvances théoriques autour d’un champ créatif, dir. M. Martin et L. Schifano, Presses Universitaires Paris Nanterre, Paris, 2012, p. 159-176 3« Hill of Freedom, Hong Sang-Soo, Maintenant ou jamais », Débordements, Critique, 2015.
VIE(S) DES FANTÔMES 10 NOVEMBRE 2021
Les Autres Alejandro Amenábar Alejandro Amenábar investit ici une Notamment adapté du roman Le Tour LES AUTRES (THE OTHERS) nouvelle fois les questions liées à la d’écrou de Henry James, l’œuvre met Alejandro Amenábar solitude et aux virtualités de la mort. en scène dans une sorte de jeux de Dans Les Autres, l’imprégnation de ces miroirs ou de trompe-l’œil l’apparition 2001, Espagne, dernières dans celles de la vie n’est de revenants, et donc la porosité entre 104 min., coul., sonore pas sans rappeler la phrase du poète monde des vivants et des morts, privant Scénario et musique originale : romantique Percy Bysshe Shelley qui, le spectateur des repères lui permet- Alejandro Amenábar dans son poème Adonaïs, assure « ne tant de mettre le film « à l’endroit ». Photographie : Javier Aguirresarobe plus jamais laisser la vie diviser ce Ainsi les propositions des différentes Décors : Benjamín Fernández que la mort peut réunir »1. Véritable séquences se contredisent et l’inter- travail d’artisan, le film narre, dans prétation peine à s’enraciner dans une Costumes : Sonia Grande une sobre mise en scène, l’histoire de réalité plutôt qu’une autre. Les Autres Son : Ricardo Steinberg Grace et de ses enfants qui attendent, consiste alors à accompagner les per- Montage : Nacho Ruiz Capillas dans une grande et glaciale maison sonnages dans cette révélation et bourgeoise de Jersey, le retour du père dans l’acceptation d’une réalité, qu’ils Production : Cruise/Wagner de famille, mobilisé sur le front de la découvrent en même temps que le Productions, Las Producciones Grande Guerre. L’unité de lieu esquisse spectateur. del Escorpión S.L., Sociedad General de Cine un film d’atmosphère. Les Autres est Peignant un monde poétique et un huis-clos fantastique doté d’une Avec : Nicole Kidman, Elaine Cassidy, sombre, la multiplicité de l’espace se puissante dimension psychologique, Christopher Eccleston… traduit par cet enchevêtrement de deux où l’intrigue, particulièrement subtile, Prix du Meilleur Film d’Horreur, mondes — liant la vie et la mort dans un délivre au compte-gouttes ses élé- de la Meilleure Actrice et canevas classique des films de maison ments de réponse. de la Meilleure Actrice de Second Rôle hantée. à l’Academy of Science Fiction, Charline Toulza et Fantasy & Horror Films, 2002 ; Aurore Fleutot Hovezak Top Box Office Films à l’ASCAP Film and Television Music Awards, 2002 ; et prix du Meilleur Réalisateur, du Meilleur 1 S HELLEY Percy Bysshe, Adonais: An Elegy on the Death of John Keats, 1821 Scénario Original, et de la Meilleure (traduit de l’anglais « no more let life divide what death can join together »). Image au Cinema Writers Circle Awards, Espagne, 2002
L’UNIVERS INFINI 17 NOVEMBRE 2021
L’Homme qui rétrécit Jack Arnold Jack Arnold, figure majeure du Mais L’Homme qui rétrécit est surtout L’HOMME QUI RÉTRÉCIT cinéma de science-fiction des années un conte philosophique. Nous voya- (THE INCREDIBLE cinquante et pionnier du cinéma en 3D, geons avec le héros, au fur et à mesure SHRINKING MAN) signe en 1957 The Incredible Shrinking de sa descente dans les limbes du Jack Arnold Man. Ses précédentes réalisations, vivant et de la matière. Paradoxale- 1957, États-Unis telles It Came from Outer Space (1953) ment, et contrairement à son appa- 81 min., n&b, sonore ou Creature from the Black Lagoon rence physique, lui ne change pas. Il (1954) avaient suffi à l’inscrire dans la demeure le même dans un monde qui Scénario : Richard Matheson, production américaine de série B, pour- semble se métamorphoser autour de d’après son roman éponyme tant, le célèbre Homme qui rétrécit est lui, exigeant constamment une adap- Photographie : Ellis W. Carter beaucoup plus que cela. tation des modalités de sa survie et Décors : Russell A. Gausman, une reconfiguration de son humanité. Ruby R. Levitt L’œuvre est bien sûr en soi une Cette descente a lieu par avancées prouesse technique. Il décline les dans des strates multiples et succes- Effets spéciaux : Everett H. Broussard, principes de mise en abyme de l’image sives d’échelles dont on comprend Everett H. Broussard notamment déployés dans son Taran- qu’elles ne sont plus inconciliables Son : Leslie I. Carey, Robert Pritchard tula (1955), où il s’agissait d’ailleurs mais qu’elles s’entretissent bien au Musique (supervisée par) : déjà de survivre à une invasion d’arai- contraire les unes les autres sur un fil Joseph Gershenson, Harris Ashburn gnées géantes. Propos politique, le sans fin, liant inextricablement temps film dénonce également la curiosité Montage : Albrecht Joseph et espace, où l’univers est un et où malsaine des médias de masse et l’infiniment petit rejoint l’infiniment Producteur : Albert Zugsmith annonce très précocement l’inconsé- grand. Production : Universal quence écologique de la société indus- trielle. Les déboires de Scott Carey Grégoire Quenault Avec : Grant Williams, Randy Stuart, April Kent, Paul Langton, étant en effet accidentellement initiés Raymond Bailey, William Schallert, par la traversée d’un nuage toxique Frank Scannell, Helene Marshall, évoquent le recours déjà massif aux Diana Darrin, Billy Curtis pesticides de l’agriculture intensive ou des radiations nucléaires de la bombe atomique.
MULTIVERS 24 NOVEMBRE 2021
Koyaanisqatsi Godfrey Reggio Le cinéma est par excellence le médium philosophies éternelles, représentées KOYAANISQATSI qui nous permet de nous échapper par les dessins rupestres des Hopis et Godfrey Reggio temporairement de l’expérience par les quatre éléments fondamentaux, physique par laquelle nous percevons avant de s’accélérer jusqu’au vacarme 1982, États-Unis le monde. Il nous amène à voir plus frénétique des métropoles. Cette accé- 87 min., coul., sonore grand, grâce à sa capacité à nous faire lération n’est pas anodine, selon Ghis- Scénario : Ron Fricke, Michael Hoenig, voyager d’un univers à l’autre en l’es- lain Benhessa et Nathalie Bittinger : Godfrey Reggio, Alton Walpole pace d’un instant. Et si un film illustre « le film exhibe en accéléré la muta- Photographie : Ron Fricke cette idée, c’est bien Koyaanisqatsi tion d’un temps cosmologique immé- Sociétés de production : IRE Productions – ou « Vie en déséquilibre » en Hopi. morial en une infernale cadence méca- et Santa Fe Institute for Regional Ce documentaire expérimental non nique et technologique fragmentée. De Education narratif présente l’univers compre- la genèse à l’apocalypse imminente, nant la terre comme une gigantesque l’œuvre se transforme en parabole Producteurs : Francis Ford Coppola poupée russe. Partant d’échelles trop de la démesure prométhéenne de (producteur exécutif), Godfrey Reggio (producteur), Mel Lawrence, Roger vastes pour être perçues à l’œil nu, l’homme »1. Que l’on partage ou non McNew, T. Michael Powers, Lawrence telles que la galaxie et le cosmos, il le sentiment d’une apocalypse immi- Taub, Alton Walpole (producteurs parvient progressivement à l’infinité- nente, il est certain que Koyaanisqatsi associés) simal – en passant successivement par rend compte de cette accélération du la société humaine et l’individu. temps, conditionnée par la marchan- Montage : Ron Fricke, Alton Walpole disation et l’industrialisation de toute Musique originale : Philip Glass Il met ainsi en exergue la multipli- espèce de transactions humaines, et cité des échelles dont le monde est nous offre un véritable trip planétaire, composé et qui coexistent à chaque que l’on peut qualifier de spirituel, instant. Son trajet ne franchit pas notamment grâce à la musique origi- seulement les frontières de l’espace, nale et minimaliste de Philip Glass. mais également celles du temps. Il s’installe en premier lieu dans les Pim Verkleij 1 BENHESSA Ghislain, BITTINGER Nathalie, « Qu’elle était verte ma vallée » dans Esprit 2018/ 1-2 (Janvier-Février), p. 192.
THE TWILIGHT ZONE 1ER DÉCEMBRE 2021
The Time Element Rod Serling La petite fille perdue Richard Matheson Les trois fantômes Rod Serling « Nous sommes transportés dans une The Time Element est un épisode THE TIME ELEMENT autre dimension… Une dimension sans écrit par Serling pour une autre série 1957, États-Unis, 52 min., n&b, sonore espace, ni temps, mais infinie... ». télévisée, mais dont le succès le pousse Scénario : Rod Serling C’est avec ces mots que Rod Serling, le à créer sa propre série. Le patient dont Réalisation : Allen Reisner créateur et narrateur de ce monument il est question relate un rêve qui l’ob- Diffusion / Chaîne : CBS de la télévision qu’est La Quatrième sède, et qui n’est finalement autre (Columbia Broadcasting System) Dimension, ouvre chacun des épisodes. qu’une brèche temporelle qu’il a acci- Origine : Épisode 6 de la série dentellement pénétrée. Dans Les trois Westinghouse Desilu Playhouse Si Einstein associe le temps à la fantômes, trois astronautes reviennent Date de diffusion : 10 novembre 1958 quatrième dimension dans sa théorie d’une sortie dans l’espace au cours Avec : William Bendix, Martin Balsam, de la relativité 1 , Serling désire de laquelle ils ont disparu des radars Darryl Hickman, Jesse White... esquisser une dimension qui serait plusieurs heures. Ils voient dès leur celle de l’imagination : la Twilight retour leur appartenance à ce monde LA PETITE FILLE PERDUE Zone, titre original (de la série) libre- remise en question. La réalité de leur (LITTLE GIRL LOST) ment traduit en français, qui révélait existence semble se dissoudre, comme 1962, États-Unis, 25 min., n&b, sonore davantage la volonté de Serling de siphonnée, projetée ailleurs, dans une Scénario : Richard Matheson représenter une « zone crépusculaire » sorte de transposition existentielle du Réalisation : Paul Stewart (twilight zone en anglais). trou noir, qu’ils ont peut-être approché Saison 3, épisode 26 là-haut d’un peu trop près… Enfin, Diffusion / Chaîne : CBS Si la suite par épisodes est une des dans La petite fille perdue, une porte Date de diffusion : 16 Mars 1962 caractéristiques du multiple à la télévi- s’ouvre sur une dimension parallèle, Avec : Charles Aidman... sion, La Quatrième Dimension jette par un espace simultané, que franchit ailleurs un regard fasciné sur le monde une fillette, s’égarant du coup dans sa LES TROIS FANTÔMES mystérieux des dimensions multiples, propre chambre. Le tout sur une bande (AND WHEN THE SKY WAS éclairant nos propres interrogations originale composée par Bernard Herr- OPENED) métaphysiques. mann. 1959, États-Unis, 25 min., n&b, sonore Scénario : Rod Serling, d’après Charline Toulza une nouvelle de Richard Matheson Réalisation : Douglas Heyes 1 Cf. MEYERSON Emile, La déduction relativiste, Payot, Paris, 1925, pp. 97-110. Meyerson mentionne Saison 1, épisode 11 dans sa recherche des antécédents classiques de la relativité einsteinienne, cette première idée Diffusion / Chaîne : CBS du temps comme quatrième dimension, ainsi que sa reprise ultérieure par Lagrange. Date de diffusion : 11 décembre 1959 Avec : Rod Taylor, Charles Aidman...
UNITÉ CONFORMITÉ UNIFORMITÉ 8 DÉCEMBRE 2021
Rhythm Len Lye Tango Zbigniew Rybczynski Le Village des damnés Wolf Rilla Multiplication, production en série, tiques, interconnectés et dotés de RHYTHM uniformisation, autant d’explorations pouvoirs surnaturels : ils ne font qu’un. Len Lye conceptuelles qui rappellent la célèbre Nombreux sont les observateurs de dispute entre Parménide et Héraclite, l’époque à avoir vu dans Le Village des 1957, Nouvelle-Zélande entre l’immuabilité et l’imperma- Damnés, de par la sobriété de sa mise 1 min., n&b, sonore nence des choses. Aussi, cette séance en scène et la profondeur esthétique a-t-elle l’ambition d’explorer, dans le de son traitement de l’étrange, une TANGO principe même de multiplication, cette possible ouverture vers un cinéma de Zbigniew Rybczyński philosophie de l’un et du multiple. science-fiction « d’un genre plus litté- 1981, Pologne Rhythm capture, au rythme des ma- raire, substituant au fantastique visuel 8 min., coul., sonore chines, les pulsations de l’usine : lieu un merveilleux purement intellectuel où le moule produit des objets par na- fondé sur des extrapolations sociolo- LE VILLAGE DES DAMNÉS ture uniformes mais étrangers, origine giques, psychologiques ou morales »1. (VILLAGE OF THE DAMNED) matricielle de la toute puissante pro- Wolf Rilla duction en série. Dans Tango, la mul- Rilla prend soin d’introduire, au sein tiplication et le croisement de boucles de sa recherche minutieuse du na- 1960, Royaume-Uni narratives diffusent la sensation que turel, un irrationnel suggestif ne 77 min., n&b, sonore l’on ne se baigne jamais dans la même prenant visuellement corps que Scénario : Stirling Silliphant, image : toujours recommencés, les dans les yeux scintillants de ses jolis Wolf Rilla et Ronald Kinnoch (sous destins des personnages se croisent monstres à l’intelligence pétrifiante. le pseudonyme George Barclay) mais jamais ne se touchent. De son La toute-puissance de leurs regards Photographie : Geoffrey Faithfull côté, Le Village des Damnés instaure uniformes et insensibles, voilà la l’idée inquiétante d’une matrice utérine source de leur inhumanité glaçante. Costumes : Eileen Sullivan, Ivan King extraterrestre, déclinant ainsi à par- Ainsi, confrontés à la lente et inéluc- Son : Cyril Swern tir du concept de multiplication l’idée table uniformisation des têtes blondes Effets spéciaux : Tom Howard d’une uniformisation surnaturelle. et mis face à leur profonde altérité col- lective, les « parents » se retrouvent Musique originale : Ron Goodwin Neuf mois après un inexplicable black- progressivement en proie à une cruelle Montage : Gordon Hales out qui frappe les habitants du village désillusion. Une mise en garde certaine Production : Ronald Kinnoch pour MGM de Midwich, les femmes accouchent face à l’uniformisation des psychés du d’une série de bambins blonds aux monde moderne. Avec : George Sanders, Barbara Shelley, Martin Stephens, Michael Gwynn, caractéristiques physiques iden- Rémi Chazot Laurence Naismith, John Phillips, Richard Vernon, Jenny Laird, Thomas Heathcote, Richard Warner, 1 T ÖRÖK Jean-Paul, « Le Village des Damnés, le massacre des innocents », Positif, n°48, Susan Richards octobre 1962, p.70.
ALTER EGO 15 DÉCEMBRE 2021
Faux-semblants David Cronenberg « Le monstre c’est l’autre et le comble un : l’une des formes les plus simples FAUX-SEMBLANTS de la monstruosité c’est bien enten- et primaires de la multiplication se re- (DEAD RINGERS) du l’altérité absolue qu’est la simili- trouve problématisée dans ce film au David Cronenberg tude »1. Faux-semblants théorise ce travers de ces figures à la fois profon- rapport à la dualité monstrueuse, à dément humaines et monstrueuses par 1988, Canada 116 min., coul., sonore travers l’histoire d’Elliott et Beverly, leurs actes et leur interchangeabilité. jumeaux identiques tous deux joués Les jumeaux sont eux-mêmes déchi- Scénario : David Cronenberg par Jeremy Irons, qui est dédoublé à rés entre aspiration à la séparation et et Norman Snider, d’après le roman l’image grâce à un artifice technique impossibilité de se détacher l’un de Twins de Bari Wood et Jack Geasland apparenté au split-screen, mais que l’autre. Photographie : Peter Suschitzky l’on s’efforce de rendre invisible. Le Ici, le multiple est organique, issu de Costumes : Denise Cronenberg film évoque ce que Freud théorise la division cellulaire (développant Musique originale : Howard Shore en 1919 comme étant « l’inquiétante des jumeaux au moment de la ges- étrangeté »2, ce sentiment d’inquié- Montage : Ronald Sanders tation) et de la division de l’écran (le tude provoqué par une impression de split-screen). Le monstrueux n’est Production : The Mantle Clinic II (David familiarité légèrement détournée, à Cronenberg & Mark Boyman), Morgan pas spectaculaire, comme on a l’ha- l’instar du motif du doppelgänger : le Creek Productions, TELEFILM Canada bitude de le voir dans d’autres films sosie, le double. Les jumeaux vivent de de Cronenberg qui usent volontiers de Avec : Jeremy Irons, Geneviève Bujold, manière très fusionnelle, partageant nombreux trucages très matériels, mais Heidi von Palleske, Shirley Douglas, vie professionnelle, appartement, bien minimaliste, à l’image du mode de Barbara Gordon, Stephen Lack amantes… La possible indistinction ou multiplication. Le multiple est médical, Grand Prix du Festival du film confusion des deux personnages donne clinique, évoquant à la fois la vie... et fantastique d’Avoriaz 1989, Prix Génie lieu à la dimension proprement anxio- la mort en puissance. du meilleur film 1989 par l’Académie gène du film. Une fois deux ou deux fois canadienne du cinéma et de la Violette de La Forest télévision, Prix du meilleur acteur (Jeremy Irons) au festival FantasPorto 1 G RÜNBERG Serge, Entretiens avec David Cronenberg, Éditions de l’Étoile/Cahiers du cinéma, 1989 Paris, 2000, p. 110. 2 C f. FREUD Sigmund, L’inquiétante étrangeté, Gallimard, Paris, 1985.
BODY SNATCHING 2 FÉVRIER 2022
L’Homme orchestre Georges Méliès The Playhouse Buster Keaton, Edward Cline L’Invasion des profanateurs de sépultures Don Siegel Cette séance, centrée sur le multiple ultime dans les années 1950 : la colo- L’HOMME ORCHESTRE comme duplication visuelle, finit par nisation par une forme de vie venue Georges Méliès relier les films au principe du clonage, d’une autre planète. investigué magistralement et sans 1900, France Représentation d’un monde ambigu et 1 min., n&b, sil. doute pour la première fois de manière inquiétant dans L’invasion des profa- explicite dans la fameuse Invasion des nateurs de sépultures, sensible et THE PLAYHOUSE profanateurs de sépultures de Don comique dans The Playhouse, pure- Siegel. Mais les infinies possibilités Buster Keaton, Edward Cline ment formel dans L’homme orchestre, du dédoublement permettaient déjà à ces films interrogent, par la repro- 1921, États-Unis Georges Méliès, campant un facétieux duction à l’identique de la personne 23 min., n&b, sil. chef d’orchestre, de se multiplier afin humaine, non seulement le statut de former un ensemble musical. Elles L’INVASION DES PROFANATEURS du double mais le rapport des autres permettaient aussi à Buster Keaton DE SÉPULTURES (INVASION personnages à ce dernier. dans The Playhouse de jouer de ses OF THE BODY SNATCHERS) propres doubles, s’appropriant tout à Mais comme le prévient l’un des Don Siegel la fois la scène et le public d’un théâtre. personnages du film de Don Siegel en déclarant : « demain, tu seras 1956, États-Unis Adapté d’un récit paru dans un maga- identique à tous les autres », dans 80 min., n&b, sonore zine, Invasion of the Body Snatchers le clonage, ou la substitution, s’il n’y Scénario : Daniel Mainwaring dépeint l’histoire d’un médecin qui a pas de transformation, il y a une réalise que la population de sa petite Photographie : Ellsworth Fredericks modification ; où il s’agit de gagner, ou ville est progressivement remplacée Décors : Joseph Kish surtout de perdre, quelque chose : une par des doublons extraterrestres. Le identité. Son : Ralph Butler film, sorti aux Etats-Unis en 1956, joue ainsi sur la coexistence de plusieurs Aurore Fleutot Hovezak Effets spéciaux : Milt Rice, univers, et donne forme à une angoisse Don Post (non crédité) Musique originale : Carmen Dragon Montage : Robert S. Eisen Producteur : Walter Wanger Avec : Kevin McCarthy, Dana Wynter, King Donovan, Carolyn Jones, Larry Gates, Jean Willes, Sam Peckinpah
DI-VERSIONS 9 FÉVRIER 2022
Sortie(s) de l’usine Lumière Louis & Auguste Lumière Anémic cinéma Marcel Duchamp Le Lion des Mogols Jean Epstein Non pas une mais des Sortie(s) de fragilisant le concept même d’original. SORTIE DE L’USINE [I] l’usine Lumière. Ainsi la question du Les frères Lumière introduisaient quant (VUE N° 91,1) multiple est-elle partout au cœur des à eux dès leurs premiers films, de SORTIE DE L’USINE [II] débuts industriels du cinéma. D’abord manière innocente et pour différents (VUE N° 91,2) bien sûr, comme nous l’apprend besoins, un autre principe de version : SORTIE DE L’USINE [III] Benjamin, parce que le cinéma met le remake ; commettant sur deux ans (VUE N° 91,3) fin – avec la photographie – au principe quatre occurrences des fameuses SORTIE DE L’USINE [IV] d’unicité et d’aura de l’œuvre d’art à Sortie(s) qui ont fait sur le XXème siècle (VUE N° 91,4) une ère devenue celle de la reproduc- l’objet de tant de questionnements. Louis & Auguste Lumière tibilité technique. Ensuite parce qu’elle La dernière version du Lion des Mogols ouvre une nouvelle époque culturelle. 1895 - 96 - 97, France a été établie à partir d’un négatif La simplicité de la production et de 1 min. environ, n&b, sil. original nitrate acquis par la Cinéma- la reproduction mécanisée, ainsi que thèque Française et d’une copie teintée celle des interventions sur les objets ANÉMIC CINÉMA d’époque en format réduit Pathé Baby1 qui en découlent, va également auto- produite pour une distribution dans Marcel Duchamp riser la prolifération – pour de multi- les pays hispanophones. Le tournage ples raisons (commerciales, idéolo- 1925, 8 min., n&b, sil., France simultané, à plusieurs caméras, était giques accidentelles, malveillantes…) généralement adopté par la société – d’occurrences distinctes de l’original. Albatros productrice du film. Ce proto- LE LION DES MOGOLS C’est notamment l’aventure exemplaire cole de réalisation de multiples simul- Jean Epstein du film de Marcel Duchamp Anémic tanés spécifique à cette époque du Cinéma, dont l’auteur découvre trente- « muet » est d’ailleurs visible dans le 1924, France cinq ans plus tard qu’il circule affublé film lui-même qui prend place dans les 106 min., n&b teinté, sonore de plans inconnus, attribués finalement coulisses du milieu cinématographique Scénario : Jean Epstein, à Eisenstein (!). La malice de l’artiste parisien. d’après une idée d’Ivan Mosjoukine – après qu’il ait le premier institué la Décors : Alexandre Lochakoff Grégoire Quenault pratique du détournement – l’enjoint Costumes : Boris Bilinsky à valider également la contrefaçon, Montage : Jean Epstein Production : Films Albatros Date de sortie : 24 décembre 1924 1 Retrouvée par la Cineteca de la Universidad de Chile Avec : Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko, Camille Bardou, Alexiane, Louis Zellas, François Viguier, Joe Alex, Vouthier, Henri Prestat...
REPRISES 16 FÉVRIER 2022
Au travers des oliviers Abbas Kiarostami Par un enchevêtrement de plusieurs Ainsi le monde proposé au public n’est AU TRAVERS DES OLIVIERS dimensions, la « Trilogie de Koker » ni unifié, ni clivé, mais multiple. À ce (ZIRE DARAKHATAN ZEYTON) d’Abbas Kiarostami semble nous propos, Véronique Campan semble Abbas Kiarostami proposer une forme cubiste profondé- envisager le geste de reprise comme ment cinématographique. Tout part du étant au cœur de la démarche créative 1994, Iran 103 min., coul., sonore premier film, Où est la maison de mon du cinéaste iranien : « On se reprend ami ? (1987) dans lequel nous suivons […] pour s’exercer, pour améliorer Scénario, montage et décors : l’histoire de deux jeunes enfants de une prestation, ou pour en proposer Abbas Kiarostami la région de Koker. Dans le deuxième une approche nouvelle, dans un effort Photographie : film, Et la vie continue (1992), c’est de tendu vers l’accomplissement, la mise Hossein Jafarian, Farhad Saba leur vraie vie dont il est question, sans au point d’une représentation. On Son : Hossein Moradi, Yadollah Najafi, pour autant basculer dans le documen- peut aussi concevoir l’acte de répéter Mahmoud Samakbashi taire. Le troisième film, Au travers des comme l’exploration, sans autre fin oliviers (1994), nous invite à plonger qu’elle-même, des diverses formes Sociétés de production : Abbas Kiarostami Productions, dans le moment du tournage via l’his- que pourrait prendre une œuvre. Ciby 2000, Farabi Cinema Foundation toire d’une union impossible entre les Répéter n’est plus alors un parcours jeunes Tahereh et Hossein. orienté, mais le libre développement Musique : Amir Farshid Rahimian, de versions alternatives »1. Chema Rosas Au sein de cette trilogie, l’entremêle- Avec : Mohamad Ali Keshavarz, ment des espaces diégétiques passe Autrement dit, il s’agit d’envisager Farhad Kheradmand, Zarifeh Shiva, donc par la mise en avant du faux, à ces trois films non pas comme des Hossein Rezai, Tahereh Ladanian savoir de la mise en scène. Cependant, œuvres finies ou univoques mais bien au lieu de proposer une dichotomie plutôt comme une tentative de saisir réel/fiction, c’est-à-dire l’effacement les multiples aspects ou faces d’un d’une dimension d’un monde par une réel dans lequel le processus de créa- autre, Kiarostami préfère maintenir tion cinématographique lui-même est ses films, et notamment Au travers des imbriqué. oliviers, dans une tension irrésolue. Vincent Jondeau 1 C AMPAN Véronique, « Le geste de se reprendre ou la répétition comme méthode dans le cinéma d’Abbas Kiarostami », dans MOUËLLIC Gilles & LE FORESTIER Laurent (dir.), Filmer l’artiste au travail, PUR, Rennes, 2013, p. 209.
À CHOIX MULTIPLE(S) 23 FÉVRIER 2022
Film au choix Smoking / No smoking Alain Resnais Exercices de style rigoureux et fasci- dans son ouvrage Différence et répé- SMOKING nants dans leur construction, les deux tition, affirme que le choix multiple Alain Resnais films de Resnais sont des exemples est une succession de rythmes, de typiques de « films multiples », propo- musiques ou d’objets qui entretiennent 1993, France sant six fins différentes à un début ensemble un rapport de « temporalisa- 140 min., coul., sonore commun : elle fume / elle ne fume pas. tion » plutôt que de relever de l’addi- Scénario : Agnès Jaoui, Smoking / No smoking, adapté de six tion. Jean-Pierre Bacri des huit pièces du dramaturge anglais Photographie : Renato Berta Magnifique réflexion sur les possibles Alan Ayckbourn, met en scène l’histoire de l’existence, cette forme extraordi- Décors : Jacques Saulnier d’une série de personnages, exclusive- naire de mise en scène met pourtant ment interprétés par deux comédiens Costumes : Jackie Budin en exergue des problèmes ordinaires : (Pierre Arditi et Sabine Azéma), dans Son : Bernard Bats histoires d’amour perdues, qui se un petit village du Yorkshire. Les deux consolent dans l’alcool chez l’un et dans Musique originale : John Pattison œuvres jouent sur le « cela... ou bien l’infidélité chez l’autre. Les person- cela » : chaque décision des person- Montage : Albert Jurgenson nages se cherchent sans vraiment nages devient une bifurcation possible Production : Vega Film AG, Arena Films, se trouver et se croisent sans jamais dans la narration. Se tissent alors Caméra One, France 2 Cinéma, s’apercevoir. Comme si la vie était un autant de possibles qu’il y a de gestes, Canal+, Alia Films, Cecchi Gori long fleuve invariablement compromis. de paroles et de désirs. Avec : Pierre Arditi et Sabine Azéma Laure Balka (jouant tous les personnages), Véritable réflexion sur le temps, cette œuvre se construit comme un arbre se et Peter Hudson (la voix du narrateur) ramifie. Le philosophe Gilles Deleuze, Distinctions : Prix Louis-Delluc (1993) et César du meilleur film (1994) NO SMOKING Alain Resnais 1993, France 145 min. , coul., sonore
RÉPÉTITIONS / VARIATIONS 9 MARS 2022
En présence de Marc Plas Hommes nus (mouvements divers) Étienne-Jules Marey Home Stories Matthias Müller Ballet mécanique Berlin Horse Malcolm Le Grice Fernand Léger & Dudley Murphy Péribole Marc Plas Film-Montagen II Peter Roehr Crossroads Bruce Conner La question du multiple est intrinsè- l’esprit qui la contemple »1. Patrick de HOMMES NUS (MOUVEMENTS DIVERS) quement liée aux principes fonda- Haas avait fait une juste analyse de la Étienne-Jules Marey mentaux du cinéma. Le mouvement première de ces expériences cinéma- 1891-93, 4 min., n&b, sil., France de l’image nait dans celle-ci d’un tographiques 2, expliquant comment BALLET MÉCANIQUE différentiel d’avec l’image précédente. elle revenait à distancier le spectateur, Fernand Léger & Dudley Murphy Pourtant ce qui y change est infiniment le focalisant davantage sur la répéti- 1924-25, 18 min., n&b teinté, moins important que ce qui demeure. tion elle-même, et sur la forme qu’elle sonore, num., France La permanence de l’existant permet prend, que sur les fameuses montées FILM-MONTAGEN II non seulement la stabilité des formes d’escalier ; constatation qui vaut bien Peter Roehr et des figures mais, paradoxalement, la plus encore pour les successions de 1965, 7 min., n&b, sil., 16mm, perception du différend ; ce que parmi publicités des films de Roehr. Allemagne d’autres recherches pionnières les films La répétition est partout, qui se cache HOME STORIES de Marey exemplifient parfaitement. jusque dans la rhétorique hollywoo- Matthias Müller Les expérimentations réalisées dans dienne, comme le montre Matthias 1991, 6 min., coul., sonore, 16 mm, le cadre du cinéma expérimental nous Müller. Et elle procède d’une formi- Allemagne apprennent que le changement absolu dable potentialité plastique et visuelle d’une image à l’autre apporte non pas BERLIN HORSE dès lors que dans le Péribole de Marc Malcolm Le Grice plus de mouvement mais au contraire, Plas ou le Berlin Horse de Malcolm 1970, 9 min., coul., sonore, paradoxalement, des formes spéci- Le Grice, elle accueille les variations 16 mm, Royaume-Uni fiques de mobilités statiques, liant et une série de déclinaisons colo- Musique : Brian Eno autrement le rapport du continu au rées artisanales et chatoyantes. Elle discontinu et déliant celui de l’analyse PÉRIBOLE devient tout simplement fascinante à la synthèse. Marc Plas dans le Crossroads de Bruce Conner, qui 2007, 2 min. 20, coul., sonore, num. Dans une démarche inverse, d’autres agence les prises simultanées de tests France cinéastes ont investi la stricte répé- réalisés par l’armée américaine à l’aide tition des plans. La simple réitération de cinq-cents caméras - jusqu’alors CROSSROADS Bruce Conner du plan fameux de la lavandière de classées « secret défense » - et où 1976, 36 min., n&b, sonore, num,. Montmartre montant ses escaliers dans un gigantesque champignon nucléaire États-Unis le Ballet mécanique de Fernand Léger renait à l’infini. La musique minimale Mus. originale : P. Gleeson et T. Riley avait pour fonction affichée d’exas- américaine, dite en France répétitive, pérer le spectateur. Les Film-Montagen reposant sur des principes analogues, de Peter Roehr tentaient eux d’une accompagne merveilleusement ces 1 Assertion de 1739, commentée par Gilles Deleuze dans Différence et certaine manière de vérifier la formule deux derniers opus pour en faire des répétition (Paris, PUF, 1968) du philosophe David Hume : « la répé- expériences hypnotiques et absolues 2 Patrick DE HAAS in Cinéma intégral, tition ne change rien dans l’objet qui se de cinéma ! de la peinture au cinéma dans les années vingt, éd. Transédition, répète mais change quelque chose dans Grégoire Quenault Paris, 1985, p. 24.
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