Du travail La pandémie change les visages - DOSSIER SPÉCIAL 150 ANS DE LA COMMUNE - NVO
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nvo.fr LE MAGAZINE DES MILITANTS DE LA CGT MARS 2021 La pandémie change les visages du travail DOSSIER SPÉCIAL 150 ANS DE LA COMMUNE
ÉDITORIAL BAPOUSHOO Au temps des cerises 00 26 U TARDI/CASTERMAN ne semaine après le début de l’occupation Dossier spécial 150 ans de la Commune du théâtre de l’Odéon à Paris le 4 mars dernier, le mouvement 10 fait tache d’huile. Théâtres de la Colline 24 46 à Paris, de Strasbourg, de Nantes ou Pau… vivent, à l’appel de la CGT Spec- PORTRAIT AIDES PUBLIQUES tacle, au rythme de la mobilisation des Nadège Azuara, AUX ENTREPRISES artistes et techniciens, travailleuses et ENQUÊTE aide-soignante Quel contrôle travailleurs de la culture, élèves, inter- mittents ou non, avec ou sans papiers, et Les nouveaux par le CSE ? ont déjà reçu de nombreux soutiens. visages du 38 Depuis un an, ils subissent la fermeture 48 des lieux culturels et l’annulation des travail festivals… La culture ? « Ce qui a fait de ENTRETIEN CHÔMAGE l’Homme autre chose qu’un accident de Tardi et 16 TABLE RONDE La Commune Quels droits en temps de crise ? l’univers », disait André Malraux ; mais une activité non-essentielle, visiblement, pour l’actuel gouvernement. « Face à l’en- de Paris Regards croisés gorgement des hôpitaux, conséquence d’une casse systématique du système public de de militants 42 49 santé, le choix du gouvernement est clair : il privilégie la production, les lieux de grande 20 RÉPRESSION LUXEMBOURG Un paradis fiscal INFOGRAPHIE L’index de consommation tandis qu’il maintient fer- més les lieux de vie, de création et de socia- l’égalité salariale bilité », disent les occupants de l’Odéon. SYNDICALE comme un autre Le 6 mars, Roselyne Bachelot est venue Un cap franchi leur dire son amour de la culture. Mais 44 50 ils préfèrent les preuves d’amour et les actes concrets aux déclarations. Or le 22 HÔTELS CAMPANILE PLAN HERCULE FORMATION SYNDICALE 2 mars, Elisabeth Borne annonçait, en dépit du rejet unanime des organisa- tions syndicales, la mise en œuvre, au Employés Le dessous des La lutte des moins en partie, de la réforme de l’assu- internalisés cartes classes rance chômage au 1er juillet, réduisant encore plus les droits des privés d’em- ploi. Les militants, réclamant la réouver- La Nouvelle Vie Ouvrière ture des lieux culturels dans le respect 263, rue de Paris, case 600, 93516 Montreuil Cedex. Fax : 01 49 88 68 67 n Service diffusion Le bimédia NVO mensuel/nvo.fr n Rédactrice en chef technique n Annonces légales des règles sanitaires, exigent aussi Tél. : 01 49 88 68 50 e-mail : contact@nvo.fr n Rédacteurs en chef adjoints Véronique Gérardin 8,50 € la ligne / N° 3597 l’abrogation de la réforme et « une pro- Copyright : ISSN 1628-674 X n Rédaction Isabelle Avran, Frédéric Dayan n Premier maquettiste Philippe Fœsser n Commission paritaire longation de l’année blanche, son élargisse- n Assistante de la rédaction Tél. : 01 49 88 68 82 e-mail : redaction@nvo.fr Patricia Bounnah n Maquette Cécile Bondeelle, 0322 I 79805 n Dépôt légal à parution. ment à tous les travailleuses et travailleurs n Direction n Rédaction Marie Alaman, Claire Ilaé Roc, Rémi Gadéa n Imprimé et routé par Rivet Presse Édition, 24, rue Claude précaires, extras et saisonniers, entre Président, directeur de Blondet (chef de service), Mélanie n Secrétariat de rédaction publication : Jacques Eliez, Carles, Nathalie Carmeni (chef de Cécile Bondeelle, Anne Lamblin, Henri Gorceix, 87280 Limoges autres […] ». D’entrée de jeu, la place du Directeur général : n Couverture Stéphane Puifourcat. service), Régis Frutier (chef de service), Aude Le Mire, Erwan Serveau Photo : Riccardo Milani/Hans Lucas théâtre s’est faite agora des luttes. n Tarifs du journal 3 € le numéro, 76 € l’abonnement d’un an Dominique Martinez (chef de n Photo (chef de service) Tatiana Mattelart-Markoff Illustration : Tardi/Casterman. À ce numéro est joint un encart de huit Luttes contre la précarité, pour l’emploi, service), Laurent Milet (directeur (60 € pour les syndiqués CGT). Abonnement en ligne sur nvo.fr des publications juridiques), n Ont contribué à ce numéro pages numérotées de I à VIII pour les abonnés d’Île-de-France. pour des salaires décents, pour l’égalité Bastien Brun, Patrick Chesnet, n Régie publicitaire Christine Morel (chef de service), Estelle Suire Sophie Eustache, Alexia Fondée en 1909 par un groupe de syndicalistes animé par Pierre des droits, la justice sociale, la dignité. Audience créative Tél. : 01 55 82 84 15 n Éditeur numérique Eychenne, Ludovic Finez, Monatte, Alphonse Merrheim et Alfred Rosmer. Responsable de la La vie. Lennie Nicollet Bénédicte Valicourt Directeur : Franck Chéron n Édition, réalisation n Conception rédaction dans la clandestinité Isabelle Avran, Directrice de publicité : Joanne pendant l’occupation hitlérienne : rédactrice en chef adjointe nvo 3 Postolle-Gaspard Directeur : Stéphane Puifourcat Naja presse / Susanna Shannon Benoît Frachon. mars 2021
actualité PÉTITION Pas de profit sur la pandémie L a CGT est partie prenante de l’initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « No Profit on Pandemic » À L’AGENDA (Pas de profit sur la pandémie) qui vise à faire signer un million de citoyens de l’Union pour obtenir de la Commission 16/03 une législation afin de faire des vaccins Pour protester contre la précarité étudiante et et des traitements antipandémiques un réclamer un « filet de sécurité », quatorze syndicats étudiants et bien public mondial, accessible à tous. mouvements de jeunesse appellent à une mobilisation le 16 mars. Cette ICE demande que « les droits de propriété intellectuelle, brevets compris, n’entravent pas l’accessibilité ou la 18/03 Les célébrations 19 au 28/03 disponibilité de tout vaccin ou traitement futur contre la Covid-19 ». Mais aussi que « la législation de l’UE relative à du 150e anniversaire de la La galerie Le Fil Rouge et la l’exclusivité des données et à Commune de Paris débutent, revue Histoire & Histoires du 13e l’exclusivité commerciale ne limite pas à 8 h 30, par une performance organisent une exposition sur l’efficacité immédiate des licences les 150 ans de la Commune, obligatoires délivrées par les États sur la butte Montmartre. membres ». Et d’« instaurer des à la galerie, 4, rue Wurtz Ainsi, 50 silhouettes grandeur (Paris, 13e arr.). Cette obligations juridiques pour les nature de communeuses, rétrospective est accessible bénéficiaires de fonds de l’UE en ce qui concerne le partage de connaissances, communeux et leurs canons en semaine de 10 heures à de propriété intellectuelle et/ou de seront déployés sur les 19 heures, et le week-end de données sur les technologies de la marches du Sacré-Cœur. 16 heures à 19 heures. santé liées à la Covid-19 dans le cadre d’une communauté de brevets ou de technologies ». F.D. 22/03 au 4/04 Près de 5 millions de salariés des très petites entreprises sont appelés à s’exprimer pour le syndicat https://noprofitonpandemic.eu/fr/ de leur choix. Leurs voix comptent pour déterminer la représentativité VIOLENCES SEXISTES des organisations syndicales lors des quatre prochaines années au plan national, territorial et dans les branches d’activité. Elles contribueront Un guide pour aussi à définir, pour chaque organisation, le nombre de représentants l’encadrement dans les commissions paritaires régionales et de conseillers prud’homme. F ruit d’un travail entre le collectif confédéral Femmes-Mixité de la CGT 2/04 Vernissage de l’exposition « Nous la Commune ! » réalisée par l’artiste Dugudus sur les grilles de l’hôtel de ville de Paris. Cette et l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict-CGT), le guide Prévenir les violences sexistes et sexuelles exposition sera ensuite accrochée aux grilles de la mairie du 3e arrondissement, au travail (en accès libre sur le site de du 2 au 18 avril, puis sur celles de la gare de l’Est, du 20 avril au 9 mai, l’Ugict) est « un outil concret pour aider celles du parc des Buttes-Chaumont, du 11 au 27 mai et, enfin, sur l’ensemble des cadres et professions celles du musée de l’Armée, aux Invalides, du 9 au 27 juin prochains. intermédiaires, à partir de leur place particulière dans le processus de travail, 12 et 13/04 L’Ugict-CGT organise une à faire reculer les violences sexistes et sexuelles au travail ». L’Ugict estime que « la mise en place d’un environnement de formation syndicale de deux jours sur le thème : travail sans violences nécessite la « Quelle stratégie syndicale face au “Wall Street mobilisation et la vigilance de tout le management” ? » L’objectif de cette session est collectif de travail ». Les salariés en responsabilité, qui peuvent être amenés à d’amener les syndicats à intégrer la question superviser le travail d’autres et à encadrer de la transformation du travail dans leur activité des équipes ont, de ce point de vue-là, des syndicale ; de permettre aux militants de monter responsabilités particulières. Qu’ils soient ou non en situation d’encadrement dans leur entreprise des initiatives autour des d’équipe, ils peuvent avoir, par leur travail, besoins de transformation des modes de un impact sur les autres salariés, les clients management ; d’aider à la syndicalisation des et usagers. Ils sont donc susceptibles de jouer un rôle « déterminant pour faire ingénieurs, cadres et techniciens (ICT) à partir disparaître les violences ». F.D. de leur place et de leur rôle dans le travail. ugictcgt.fr/violences-sexistes-et-sexuelles/ 4 nvo mars 2021
8 MARS EN FINIR AVEC LES CORVÉES ET LES VIOLENCES CONJUGALES ! C omme chaque 8 mars – Journée internationale des droits des femmes – depuis plusieurs années, la CGT et nombre d’associations féministes appelaient à la grève à partir de 15 h 40, heure à compter de laquelle les femmes travaillent gratui- tement – leurs salaires étant toujours inférieurs de 26 % à ceux des hommes. Mais parce que, depuis un an, les femmes sont en première ligne dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, ce 8 mars 2021 était particulier. « La crise sanitaire et le confinement ont été des miroirs grossis- sants des inégalités de genre, explique Rachel Silvera, économiste et maîtresse de conférences à l’univer- sité Paris-Nanterre. En applaudissant, chaque soir à 20 heures, les professions qui maintenaient la conti- nuité économique et sociale du pays, nous applaudis- sions en réalité une très grande majorité de femmes : des infirmières (87 % de femmes), des aides-soignantes (91 %), des aides à domicile et aides ménagères (97 %), des agentes d’entretien (73 %), des caissières et des ven- deuses (76 %), des enseignantes (71 %). Emmanuel Macron invoque l’article de la Déclaration des droits de l’homme selon lequel “les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”, mais n’est pas du tout au rendez-vous lorsqu’il s’agit de la reconnaissance salariale – même symbolique – de ces métiers dont l’utilité a été révélée depuis un an. » Bien que le gouvernement ait annoncé, au-delà de la prime Covid-19, de vraies négociations, pas une de ses initiatives n’intègre le genre de ces emplois. Alors que les violences conjugales explosent en rai- son du contexte sanitaire, la revendication de leur lien avec le travail est un autre sujet majeur de revendication. « C’est une double peine, explique Sophie Binet, dirigeante confédérale CGT chargée de l’égalité femmes-hommes, dans l’ouvrage Le Genre au travail *. Ces femmes peuvent être licenciées, contraintes de démissionner et perdre leur emploi, alors que c’était leur planche de salut pour leur indépen- dance économique. » Raison pour laquelle la CGT exige que la France ratifie, enfin, la convention 190 adoptée en 2019 par l’Organisation internationale du travail contre les violences et le harcèlement au travail, et qu’elle se saisisse des recommandations de ce texte quant à l’impact des violences intrafami- liales sur le travail pour se doter, comme l’Espagne, des meilleurs standards internationaux. CLÉMENT MARTIN Dominique Martinez * Le Genre au travail – Recherches féministes et luttes de femmes, du réseau Mage, Éditions Syllepse, février 2021, 341 p., 20 €. mars 2021 nvo 5
actualité ÉNERGIE INDUSTRIE Une alternative La CGT part en campagne à Hercule L ’ intersyndicale CGT, CFE-CGC, CFDT, FO des industries électriques et gazières a demandé à Emmanuel Macron, dans un communiqué commun, de mettre en place une commission « chargée d’établir le diagnostic de la situation d’EDF, de faire le bilan de vingt ans de dérégulation du marché de l’électricité et de proposer des pistes pour bâtir l’avenir d’EDF ». Un précédent courrier intersyndical du 7 janvier était resté « lettre morte » alors que « les négociations entre le gouvernement et la Commission européenne semblent s’enliser autour des fondements mêmes du projet Hercule », déplore cette nouvelle BAPOUSHOO missive. « L’avenir du groupe EDF et les solutions alternatives à Hercule, L plus pertinentes au plan industriel, stratégique et sociétal, méritent une concertation et un dialogue social exemplaires, mais aussi un véritable débat démocratique avec la Nation », a CGT a décidé de porter et y compris d’investissements pour de estime l’intersyndicale dans son haut et fort ses propositions nouveaux produits. Par ailleurs, nous courrier. F.D. avec AFP pour une relance industrielle réclamons une conditionnalité des aides et d’engager une série d’initiatives publiques, avec le cas échéant la possibilité dans les filières et territoires. Celles-ci d’exiger leur remboursement. Et en PRESSE devraient avoir lieu au rythme d’une par matière démocratique, nous réclamons la Bolloré perd mois durant toute l’année 2021. Une première action de cette nature création de comités inter-entreprises pour que les représentants des salariés de la en appel contre s’est tenue à Decazeville (12) le 21 février autour de la SAM et de la sous-traitance puissent avoir une visibilité de la stratégie des grands groupes et inter- Mediapart filière fonderies. Trois jours plus tard, Philippe Martinez, secrétaire général venir » précise Philippe Martinez, qui enjoint le gouvernement à travailler les B olloré a perdu en appel le procès qu’il avait intenté contre Mediapart en 2016, à la suite d’un article révélant de la CGT accompagné de douze secré- taires généraux des fédérations CGT expliquait devant le ministère de l’Éco- filières industrielles. « Si on ne redresse pas l’industrie, on ne redressera pas l’éco- nomie. La preuve, l’Allemagne ne s’est pas comment le groupe avait ruiné nomie à Bercy que la CGT entendait désindustrialisée, or nous avons délocalisé deux entrepreneurs camerounais. « Cet multiplier les actions pour développer au point de ne plus pouvoir fournir de article pourrait amener son auteur et une stratégie industrielle alternative masques et autres. Ce modèle de dévelop- Mediapart devant un tribunal, le groupe aux politiques suicidaires caractérisées pement est incompatible avec la réponse Bolloré ayant pris l’habitude de poursuivre par les délocalisations massives, une aux besoins sociaux et incompatible avec les médias qui soulèvent des questions dépendance industrielle et la perte de les défis environnementaux. On délocalise potentiellement gênantes pour lui », 750 000 emplois ces dix dernières alors que les besoins sont ici » enchaîne prévenaient les premières lignes années. Dernier avatar de cette poli- Marie-Claire Cailletaud, présidente du de l’article signé Fanny Pigeaud. En effet, tique, la pénurie de composants électro- groupe CGT au CESE. Bolloré attaque et le 8 janvier 2019, le niques fabriqués en Chine, que Frédéric Lors de la conférence de presse, les res- tribunal de Nanterre condamne le journal Sanchez, secrétaire général de la FTM- ponsables des différentes fédérations en ligne et la journaliste, arguant de leur CGT identifie comme générant déjà des CGT ont fait part de toute une série de « mauvaise foi » et remettant en cause ruptures de chaîne dans l’industrie projets industriels portés par la CGT ; le « travail d’enquête ». La journaliste a (automobile notamment). le plan d’avenir sur les industries du le souvenir d’une audience « très violente » Verre et céramique, les treize proposi- et d’un jugement « très sévère et injuste ». Changer de modèle tions pour le fret ferroviaire, le projet Changement de ton complet dans l’arrêt de développement imagerie médicale pour la santé, le pro- du 10 février, qui la relaxe au regard de sa « Nous demandons que les aides publiques jet d’avenir de la centrale de Gardanne, « bonne foi », de la « base factuelle des ne soient pas uniquement destinées aux les propositions pour l’automobile, l’aé- documents produits » et de son enquête grands groupes, mais soient fléchées ronautique, la filière papier, etc. « sérieuse et suffisante ». L.F. envers des PME-TPE en matière de R&D Régis Frutier 6 nvo mars 2021
SANTÉ AU TRAVAIL ASSURANCE CHÔMAGE Loi dangereuse et scélérate L’État passe L en force a proposition de loi LREM « pour renforcer la préven- le principe selon lequel chacun doit se prendre en charge. « Une loi scélérate À partir du 1er juillet, plus de 800 000 personnes – parmi lesquelles les plus précaires tion en santé au travail », a pour les travailleurs » s’indigne la CGT : (intérimaires, saisonniers, extra été adoptée en première lecture à l’As- elle « vise, surtout, à déresponsabiliser les hôteliers…) – sont susceptibles de semblée nationale le 17 février. Dès son employeurs […] La création d’un passeport subir une baisse de leurs allocations intitulé, le texte suscite la méfiance tant prévention qui recenserait toutes les forma- chômage. Au beau milieu d’une crise il rappelle celui de 2017 promettant « le tions suivies en santé et sécurité au travail sanitaire à l’issue incertaine et alors renforcement du dialogue social ». Il a, en est un réel transfert de responsabilités sur que le taux de chômage flambe « le réalité, provoqué « l’affaiblissement » les travailleurs eux-mêmes, qui devront se gouvernement isolé et déconnecté des instances représentatives du per- plier aux consignes apprises, même si l’or- des réalités, passe en force », sonnel via leur fusion, la mise en place ganisation du travail ne le permet pas ». s’indigne la CGT. Unanimement, les du CSE et… la suppression du CHSCT, organisations syndicales (CFDT, CFE- préfiguration de l’affaiblissement de Un risque de dégradation CGC, CFTC, CGT, FO) affirmaient, toute la « prévention en santé au travail ». de la santé au travail le 23 février, leur « profond désaccord C’est vers cela que s’oriente la nouvelle En affaiblissant la prévention en la avec le principe fondateur de cette proposition de loi qui transpose l’ac- matière, beaucoup de dispositions de la réforme selon laquelle la baisse des cord national interprofessionnel (ANI) proposition de loi GrandJean-Lecocq allocations chômage inciterait à du 10 décembre 2020, que seule la CGT risquent d’entraîner une dégradation de un retour plus rapide à l’emploi […] n’a pas signé. Ce dernier n’a créé aucun la santé au travail. La réorganisation de L’assurance chômage doit être nouveau droit pour les salariés, ni aucune la médecine du travail prévoit ainsi que adaptée à la situation des obligation pour les employeurs. les missions et fonctions du médecin demandeurs d’emploi pour améliorer puissent être déléguées aux infirmiers leurs droits. » Le gouvernement Des employeurs voire aux médecins de ville qui, par compte faire économiser jusqu’à déresponsabilisés exemple, méconnaissent les conditions un milliard d’euros par an sur le dos Non seulement les employeurs ne sont de travail. Autre motif de préoccupation, des demandeurs d’emploi… (Voir nos guère prompts à prévenir les risques l’employeur pourra demander à rencon- pages juridiques p. 48). C.M. professionnels, mais la prévention n’est trer un salarié en arrêt maladie ou acci- pas le fort de notre système de santé au dent du travail avant sa reprise et avant travail : preuves en sont données par la le médecin du travail. La CGT alerte sur CULTURE persistance des troubles musculo-sque- lettiques ou par le nombre de personnes le fait « qu’il existe, ici, un risque de pres- sion sur les travailleur.euse.s avec, à terme, Mouvement encore licenciées pour inaptitude. De surcroît, travaillant de plus en plus une multiplication des licenciements pour inaptitude ». La proposition de loi pas- de colère vieux, les salariés sont davantage expo- sés aux risques professionnels. La santé au travail n’est pas bonne et ce nouveau sera au Sénat au printemps et ses dispo- sitions devront entrer en application au plus tard avant le mois d’avril 2022. P lusieurs milliers de professionnels du monde de la culture – artistes, auteurs, techniciens, personnel texte ne prévoit aucune mesure tangible « Nous resterons vigilants ! » affirme la administratif et d’accueil du public… – ont pour y remédier. Comme beaucoup de CGT qui craint de nouveaux reculs. manifesté en France, le 4 mars dernier, lois de ce quinquennat, il fait même sien Christine Morel un an après les premières mesures sanitaires de fermeture de lieux culturels. « La profession a besoin en urgence de travailler pour permettre à chacun d’avoir des conditions dignes d’existence et de garantir les droits sociaux, alerte le communiqué de la fédération CGT du spectacle, le gouvernement doit réagir ! » À la fin de la manifestation parisienne, des dizaines d’acteurs de la culture investissaient le théâtre de l’Odéon pour l’occuper jusqu’à l’obtention d’une réunion avec le Premier ministre, réclamant la réouverture des lieux ÉMILE LOREAUX/HANS LUCAS culturels, un plan d’aides à la culture et la prolongation jusqu’à août 2022 du dispositif de « l’année blanche ». Un mouvement qui pourrait s’étendre : le 9 mars, des intermittents du spectacle venus de Bayonne, Pau ou Tarbes occupaient un théâtre de Pau. C.M. mars 2021 nvo 7
actualité HARCÈLEMENT HÔPITAUX DE PARIS Lidl visé par Grève gagnante des une enquête sous-traitants du ménage L es gendarmes ont perquisitionné le 16 février la plateforme logistique Lidl de Ploumagoar (Côtes-d’Armor), près de Guingamp, et placé l’intégralité de l’encadrement en garde à vue, dans le cadre d’une information judiciaire pour « harcèlement au travail ». « On fait face à une direction autoritaire avec un management toxique et sans pitié pour les salariés », explique Arnaud Rouxel, délégué syndical CGT, qui a lui-même porté plainte pour discrimination syndicale. Déjà, lors d’un mouvement de grève sur cette plateforme logistique, les syndicats dénonçaient les conditions de travail NATHAN LAINÉ/HANS LUCAS au sein du groupe et l’épuisement des équipes. « On a alerté le procureur fin juillet, lui expliquant l’ambiance, la dégradation des conditions de travail, les salariés sanctionnés de manière L discriminatoire et les pressions sur le droit de grève » explique le militant CGT. F.D. CARREFOUR es agents de propreté de Moins par moins… Challancin, société sous-trai- ça fait plus La deuxième tante intervenant dans les hôpitaux parisiens, se mis sont en grève D’autant qu’à cette baisse annoncée des effectifs, s’ajoute la fin de l’application ligne au front le 1er mars. La faute à l’AP-HP qui, à force de tirer les prix vers le bas, met des accords de site passés avec les sala- riés et donc des acquis obtenus. « À Nec- À l’initiative du collectif CGT Carrefour, quelque deux cents salariés ont manifesté le 5 mars devant le siège du en danger ses structures hospitalières. « En pleine crise sanitaire et alors que l’on demande des moyens pour que les agents de ker, on a réussi à obtenir un quator- zième mois de salaire et une prime de panier, mais dans d’autres hôpitaux, il y a groupe à Massy pour exiger des propreté travaillent dans de bonnes condi- des salariés qui sont là depuis plus d’un ou augmentations de salaire et protester tions, on vient encore nous massacrer ! deux ans et qui n’ont pas même de trei- contre le passage en location-gérance On n’est pas d’accord », peste François zième mois », explique le représentant de trente à quarante magasins Market et Ngiangika, secrétaire général des agents syndical qui revendique « le maintien des une dizaine d’hypermarchés. « Nous de propreté, entouré ce lundi 1er mars effectifs et des acquis et l’harmonisation demandons l’arrêt du mode de location- au matin par une centaine de ses col- des salaires pour tous ». gérance et la réouverture des lègues venus protester devant l’hôpital « L’AP-HP tire les prix vers le bas et cela a négociations annuelles obligatoires », Cochin, à Paris. La mobilisation touche des impacts sur la qualité des prestations explique Philippe Allard, délégué CGT du six autres établissements parisiens de de propreté et sur les conditions de travail groupe, qui dénonce une dégradation l’Assistance publique des Hôpitaux des agents », confirme Isabelle Callec, des conditions de travail. « Il y a aussi une de Paris (Necker, Georges Pompidou, secrétaire CGT à l’hôpital Saint-An- forte colère parmi les salariés, après Saint-Antoine, Hôtel Dieu, Corentin et toine, qui « soutient à fond » les grévistes. l’annonce par la direction d’une Diderot) et réunit au total plusieurs cen- La CGT de Cochin, quant à elle, a écrit à augmentation de salaire de 0,5 % » – qui taines de salariés. « Dans le cadre de son la direction de son établissement pour correspond à 1,40 euro par semaine pour dernier appel d’offres, l’AP-HP demande à s’inquiéter des dangers que peuvent un salaire de 1 200 euros. Alors que les Challancin de baisser ses prix de 30 % », entraîner ces baisses d’effectifs. salariés du commerce n’ont toujours pas dénonce François. « En conséquence, la Forts de ces soutiens des syndicats obtenu la reconnaissance salariale société a pris la décision de ne pas prolon- CGT de l’AP-HP, les travailleurs de promise par le gouvernement pour ceux ger les CDD, dont certains là depuis plus de Challancin ont finalement obtenu satis- de la « deuxième ligne », la colère est deux ans, et face cette diminution d’effec- faction au terme de cinq jours de grève. décuplée après les annonces des tifs, ils se mettent à muter le personnel d’un Ils sont arraché, notamment, le trei- meilleurs résultats de Carrefour depuis endroit à l’autre en fonction des besoins. Et zième mois pour tous, une majoration vingt ans et du versement de 393 millions comme l’AP-HP exige aussi des prestations les dimanches et jours fériés, une prime d’euros de dividendes aux actionnaires plus importantes, on demande encore plus d’assiduité ainsi que le maintien de en 2020, contre seulement 95,3 millions de travail à encore moins de travailleurs. leurs acquis et de tous les effectifs. de participation aux salariés. F.D. Ça fait beaucoup. » Patrick Chesnet 8 nvo mars 2021
MYANMAR BÉLARUS Les syndicats La contestation face à la junte militaire ne faiblit pas M algré l’hiver rigoureux et une C répression brutale – trente mille arrestations dont des syndicalistes –, la protestation contre Alexander Loukachenko, douteusement élu pour inq semaines après le birmans, appelait « à un blocage total de un sixième mandat en août dernier, ne coup d’État perpétré par l’économie à partir du 8 mars pour sau- cesse pas : chaque week-end, des les militaires, la mobilisa- ver la démocratie ». « marches des voisins » rythment la vie tion contre le putsch ne faiblit pas, sou- des quartiers. « La revendication tenue par le Mouvement de désobéis- Des gangsters en uniforme principale, que l’oligarchie autour de sance civile (MDC) initié par le corps Une pression à laquelle la junte répond, Loukachenko quitte le pouvoir, n’est médical qui a gagné toutes les couches depuis le dernier week-end de février, pas satisfaite », explique Pierre Coutaz, de la population. En témoignent les en recourant à la chasse aux opposants, conseiller confédéral au Pôle Europe/ manifestations et les grèves générales au sens propre du terme. Au 7 mars, on International, pour qui le dirigeant qui paralysent maintenant quasi quoti- recensait ainsi cinquante-quatre morts bélarusse mixe « technocratie diennement le pays. par balles et près de deux mille arresta- antisociale et régime politique à la Kim « Tout le secteur de l’énergie, raffineries tions, lesquelles, pour les leaders, se Il-sung ». Mais cette tragédie sociale et pétrolières, production de gaz, est à l’arrêt font surtout la nuit sans témoins. démocratique se déroule dans une et plus aucun train ne circule », confirme Il est vrai (comme l’a rappelé la CGT) grande indifférence, regrette-t-il. « L’UE Maung Maung, président de la Confé- que « la position d’Aung San Suu Kyi face est mal à l’aise avec un mouvement qui dération des syndicats birmane. Idem à l’armée a été ambiguë, notamment face appelle au blocage de l’économie, aux dans les banques, les usines de textile au génocide à l’encontre des Rohingyas ». grèves massives. » La CSI comme la de la banlieue de Rangoon, désormais Pour autant, la CGT, de même que la CGT exhortent « la communauté fermées, chez les fonctionnaires, y com- Confédération syndicale internationale internationale à soutenir fermement la pris certains éléments de la police ou de (CSI), a vivement condamné ce coup volonté des travailleurs, voire de l’armée, qui eux aussi, avec les étu- d’État militaire, et fait part de sa solida- l’ensemble de la population du pays. » diants et les organisations de la société rité aux militants du mouvement social, P.C. civile, soutiennent largement le MDC. souhaitant « que l’intervention des orga- Pour exiger la libération des prison- nisations internationales comme la CSI, MARTINIQUE niers politiques et le respect du résultat des législatives de novembre dernier l’OIT et les Nations Unies aideront à ramener la démocratie, pour toutes les Inadmissible entérinant la large victoire, à plus de 80 %, de la Ligue nationale pour la populations de Birmanie. » Et Maung Maung de proclamer : « Il faut que l’on impunité démocratie (LND). Et ce n’est qu’un début, prévient Maung Maung dont l’organisation, en en finisse avec ces gangsters en uniforme et leur politique du “On fait ce qu’on veut parce qu’on a des armes”. » L e 27 février, six mille personnes défilaient à Fort-de-France à l’appel de plusieurs associations et syndicats. compagnie de dix-sept autres syndicats Patrick Chesnet « Un premier coup de semonce », prévient Gabriel Jean-Marie, secrétaire général de la CGTM. « Selon les juges d’instruction LE TRAIT DU MOIS qui suivent le dossier du chlordécone depuis quatorze ans, l’on s’oriente vraisemblablement vers un non-lieu ou un classement sans suite. Il y aurait prescription et des pièces ont disparu du dossier ». Alors que les effets de ce pesticide largement utilisé dans les bananeraies dans les années 1970-1990 sont catastrophiques et que « 92 % de la population est contaminé avec un fort taux de cancers de la prostate chez les hommes et du sein chez les femmes avec des problèmes d’endométriose », déplore-t-il, sans oublier « les terres à dépolluer et la pêche côtière interdite ». Le collectif exige que les responsables du désastre, « patrons békés, ministres, élus » soient jugés, « les travailleurs du secteur » protégés, et de recenser « les personnes contaminées pour les orienter vers un fonds d’indemnisation ». P.C. mars 2021 nvo 9
Ces douze mois de pandémie ont bouleversé notre société, affecté les individus, mis à mal les rapports sociaux, modifié notre rapport au travail. Ils ont remis les services publics au centre de nos vies et révélé l’utilité sociale de millions de travailleurs. Ils ont aussi précipité des changements dans notre façon de travailler, qui seront durablement au cœur d’affrontements sociaux. ANGE L e 17 mars 2020, il y a un an, le pays expérimentait dans la douleur et l’improvisation le confinement, premier acte d’une crise écono- mique et sociale cette fois provoquée par des décisions politiques et non, comme en 2008, par une faillite du système financier. Depuis plu- TRAVAIL sieurs semaines, les premiers indicateurs de cette crise étaient déjà évidents avec, par exemple, les blocages de production d’entre- prises très dépendantes des échanges commer- ciaux avec l’Asie, ainsi qu’une pénurie de masques de protection ou un déficit de certaines TESSON/ANDIA.FR molécules banales. Le système hospitalier était embolisé et le confinement s’imposait comme seule parade à la propagation du virus. « Près d’un an après le début de la pandémie, nous sommes mars 2021 nvo 11
enquête confrontés à une tragédie humaine et à une urgence de santé publique, humanitaire et de développe- ment », a récemment alerté le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans un discours. « Nous sommes confrontés à la plus grande réces- sion mondiale en huit décennies », a-t-il ajouté. Un profond mal-être Déjà inscrite comme l’une des pires crises écono- miques et sociales, la pandémie de Covid-19 va laisser des traces pour l’ensemble de la planète et aussi d’incalculables conséquences sur les rela- tions sociales, la psychologie des individus. Res- trictions des libertés de circuler, relations sociales et familiales empêchées, impossibilité de faire des projets à court ou moyen terme, menaces sur l’emploi, télétravail en mode dégradé, baisses des revenus sont quelques-unes des causes d’un mal- être profond dont quelques sondages permettent de mesurer l’ampleur. Ainsi, celui de l’institut Gece à propos de l’impact des restrictions sani- taires sur le moral des Français publié le 4 février, nous dit que « 40,5 % des Français ont vu leur moral baisser durant la crise sanitaire ». Les répondants à cette enquête mettent en avant les restrictions à la vie sociale telle que la fermeture des restau- rants, mal vécue par 87 % des personnes interro- gées ou celle des cinémas, invoquée par 71,5 %. Plus de 8 personnes sur 10 (81 %) se disent mora- lement touchées par la fermeture des lieux cultu- rels (cinéma, théâtres, salles de concerts et musées). Cette enquête confirme celle publiée par le Cevipof, le centre de recherche de Lors des confinements, Sciences Po : « Lassitude », « morosité » et le télétravail, cumulé augmentation des pressions morales, des s ituations « méfiance » n’ont jamais autant taraudé le moral avec la fermeture de souffrance au travail. En 2018, c’était 5 % des des Français (voir infographie). des restaurants problématiques entendues lors des permanences de et des commerces notre union locale. En 2020, c’est trois fois plus », Les visages du travail changent non-essentiels, observe Damien Girard, pour l’union locale CGT a réduit les interactions Ce mal-vivre est profond et n’affecte pas les sociales et développé de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), cité dans travailleurs que dans la sphère privée, comme le d’autres habitudes les colonnes de Ouest-France. Il a aussi constaté constatent les militants syndicaux : « On sent une de consommation. une évolution de la tranche d’âge : « On recevait des salariés de 40-49 ans. On a eu une forte aug- mentation des plus de 55 ans ». La crise du Covid-19 affecte aussi le moral des L’état d’esprit des Français cadres inquiets pour leur carrière : 35 % ont peur de perdre leur emploi (52 % des moins de 35 ans), Parmi les qualificatifs suivants, quels sont ceux qui et 36 % d’être “déclassés” ou “placardisés” dans les mois à venir indiquait, fin janvier, le dernier baro- caractérisent le mieux votre état d’esprit actuel ? mètre CFDT Cadres – Kantar. Les craintes pour l’emploi minent aussi les professions intermé- diaires, interrogées par l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict-CGT) juste avant le deuxième confinement. Ainsi 30 % des techniciens et agents de maîtrise placent la sécurité de l’emploi parmi leurs trois priorités, « une augmentation de 6 points qui confirme le chan- tage à l’emploi. Ce chiffre atteint 37 % dans l’indus- trie, un record depuis l’existence de ce baromètre », relevait l’organisation spécifique de l’encadre- ment qui alertait aussi sur le « mal travail » domi- nant dans la fonction publique, avec 55 % des fonctionnaires « qui estiment ne pas pouvoir faire un travail de qualité… Conséquence directe des sup- pressions de postes dans la fonction publique, der- rière ce chiffre se cache la maltraitance institution- nelle et le fossé entre les missions de service public et SOURCE : OPINIONWAY/CEVIPOF - FÉVRIER 2021 la capacité des agents à les rendre effectives ». 12 nvo mars 2021
Travail à distance : vers un mode hybride S elon la deuxième enquête “Work Reworked” de Microsoft publiée en octobre 2020, le téléravail expérimenté dans la contrainte devrait perdurer, sous une forme « hybride ». L’étude menée auprès de 9 000 salariés et dirigeants d’entreprises de 15 pays européens, dont la France, montre que si 15 % des entreprises, ou organisations, avaient mis en place le travail à distance en 2019, le chiffre a bondi à 77 % un an plus tard à la faveur de la pandémie. Cette montée en puissance du télétravail s’est opérée en « mode dégradé », avait estimé l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict-CGT) au printemps 2020 FRANCOIS LAURENS/HANS LUCAS en raison, notamment, de la rupture des liens des collectifs de travail. Quelques mois plus tard, cette enquête de Microsoft plaidait pour une évolution vers un modèle « hybride » à mi-chemin entre « présentiel » et « distanciel » plébiscité par près de neuf chefs d’entreprise sur dix. Mais cette transition n’a de sens que si les méthodes d’animation des équipes changent. S’il s’instaure un management basé Nouvelle normalité ? sur la confiance et non sur la supervision. Les « process » de travail, la perception du tra- « Le télétravail doit être un moyen pour gagner vail, le système de production et de distribution de l’autonomie sur le contenu de son travail et ont été bouleversés, chamboulés par l’arrêt des sur son organisation. Le domicile étant un lieu activités, les adaptations qu’il a fallu mettre en privé, les systèmes de surveillance doivent place. À la peur de perdre son emploi s’ajoutent, être bannis (excès de reporting…) », préconise pour des millions de travailleurs, les mesures de ainsi la CGT de l’encadrement. gestion de la crise sanitaire (confinement, F.D. couvre-feu, distance entre les individus, port du masque, montée en charge du télétravail) qui ont allongé le temps de travail, qui l’ont intensi- avec des semaines de travail atteignant les fié et qui ont aussi fragilisé, voire détruit, les col- 60 heures. Cette expérimentation souvent dou- lectifs de travail. « Avant la pandémie, il y avait loureuse et chaotique du télétravail a au moins déjà beaucoup de discussions autour des répercus- permis aux organisations syndicales françaises sions de la technologie sur l’avenir du travail », rap- d’imposer au patronat une nouvelle négociation pelle Susan Hayter, conseillère technique princi- nationale interprofessionnelle sur le télétravail. pale sur l’avenir du travail à l’Organisation Qui a débouché, selon la CGT, sur un « non- internationale du travail (OIT). « Cet avenir est accord qui se veut ni prescriptif, ni normatif et, arrivé plus tôt que prévu, car de nombreux pays, ainsi, non contraignant pour les employeurs. » Un entreprises et travailleurs se sont tournés vers le texte qui, pour la confédération, n’apporte pas travail à distance pour enrayer la transmission du de progrès en matière, par exemple, de « préven- Covid- 19, ce qui a radicalement changé notre façon tion des violences sexistes et sexuelles, de prise en de travailler. » Et désormais tout le monde se charge des équipements de travail par l’employeur, demande si ce changement dans nos habitudes d’effectivité du droit à la déconnexion et d’introduc- de travail va devenir la nouvelle normalité, si tion de plages d’indisponibilité. […] Des mesures qui nous allons passer d’une réponse à la crise à une auraient constitué autant d’avancées attendues par révolution pérenne du travail. Probablement, les salariés qui aspirent à un meilleur équilibre car cette pandémie et les épisodes de confine- entre la vie privée et la vie professionnelle ». ment ont accéléré des mutations du travail déjà entamées dans les dix dernières années avec la La fin de « la vie de bureau » digitalisation. Le développement du télétravail Avec cette montée en puissance soudaine du dans de nombreuses activités a brouillé les fron- télétravail germe l’idée de la fin de « la vie de tières entre travail et vie privée avec non seule- bureau ». C’est sans doute exagéré. L’Organisa- ment l’annexion de fait du domicile, mais aussi tion internationale du travail (OIT) estime que, mars 2021 nvo 13
enquête dans les pays à revenu élevé, 27 % des travail- Un Ségur et beaucoup d’oubliés leurs pourraient travailler depuis leur domicile, Du coté de l’hôpital et du secteur sanitaire et parce que leurs emplois le permettent et parce social, là aussi les douze mois que nous venons qu’ils ont accès à la technologie et aux infrastruc- de traverser laisseront des traces. D’abord tures de télécommunications. Pour autant, cela parce que, dès les premières heures, la faillite ne signifie pas qu’ils continueront de travailler à de la politique sanitaire nous a sauté au visage. distance, mais plutôt dans un mode hybride (voir Ensuite parce que les personnels qui se bat- encadré). Si nombre de télétravailleurs n’ont pas taient depuis des mois dans les hôpitaux et les échappé à l’hyperconnexion au travail et hors Ehpad pour leurs effectifs, leurs conditions de travail, cette pandémie a mis en évidence et travail et leurs salaires ont été confortés dans aggravé, de manière crue et brutale, les inégali- leurs revendications par une nouvelle percep- tés numériques. Le digital a permis de maintenir tion des enjeux par l’opinion. La vague étant des liens sociaux, mais si pour 80 % des Français trop haute, le gouvernement a dû céder l’ouver- les connexions ont explosé, deux sur dix ont été ture de négociations du Ségur de la Santé et renvoyés à leur précarité monétaire, à leur satisfaire partiellement quelques revendica- « illectronisme » [inhabileté, illettrisme numé- tions. Mais il a aussi créé plus de frustration en rique], aux zones blanches du territoire. négligeant ceux qui se qualifient désormais comme les « oubliés du Ségur ». Reste que les Industrie : quand la bise fut venue réponses salariales ne sauront suffire à régler La crise a aussi mis en évidence l’incapacité les problèmes. Durant quelques semaines, au industrielle de notre pays qui se « trouva fort printemps dernier, les services hospitaliers ont dépourvu quand la bise fut venue ». Incapable de connu une séquence « open bar » où les besoins produire des masques, des molécules aussi sanitaires ont prévalu sur les logiques basiques et banales que du paracétamol, des comptables des agences régionales de santé et respirateurs, des tests, puis de mettre au point des directions. Mais dès la fin mai, les syndi- un vaccin. « Quel gâchis ! », déplorait la prési- cats et collectifs en lutte déploraient un retour dente du groupe de la CGT au Conseil écono- à « l’anormal » confirmé à l’automne par mique, social et environnemental (Cese) dans l’adoption d’un projet de loi de finances de la une tribune à L’Humanité le 4 février 2021. « Les Sécurité sociale qui prévoit encore des millions enjeux de la production industrielle sont devant nos d’euros d’économies au nom de la ratio yeux : regagner notre indépendance pour répondre nalisation et une évolution des dépenses de aux besoins, reconstruire de véritables filières indus- l’assurance maladie trop basse pour couvrir trielles, en France et en Europe, dans une économie celles liées à la pandémie. plus circulaire faisant place aux circuits courts et à La pandémie sert l’usage, produire des objets durables, réparables, de prétexte à Émergence et exigences répondant aux besoins sociaux définis démocrati- l’automatisation de la deuxième ligne quement et permettant à l’homme de vivre en har- des caisses dans la C’est sans doute dans le domaine des activités monie avec la nature, financer la recherche, trans- grande distribution. de service, du commerce et de la distribution former le travail pour répondre à l’aspiration des travailleurs, augmenter les qualifications de toutes et tous, mettre en place des coopérations. Cela nécessite une véritable planification impulsée par un État stratège », assurait ainsi Marie-Claire Cailletaud. Reste que s’il est un changement important de cette année maudite, c’est celui de la prise de conscience par l’opinion et les acteurs sociaux de l’incapacité du marché à réguler toute notre vie. Changement acté – du moins dans le discours – par Emmanuel Macron dès le mois de mars 2020. Hélas, de ce point de vue, le gouvernement, loin d’avoir changé de braquet, s’est contenté ces derniers mois de vœux pieux sur les relocalisations. Pire, il a sorti le carnet de chèques pour voler au secours de filières comme l’automobile alors que, dans le même temps, les deux constructeurs français poursuivent, accé- lèrent les manœuvres de concentration, fusion, rachat, délocalisation. « Partout, nous sommes confrontés à des choix stratégiques des grands groupes qui ont bénéficié de sommes faramineuses. Le plan de relance du gouvernement se traduit sur le terrain par un plan de casse… au lieu de servir à l’emploi, l’argent public sert à délocaliser et fragili- ser les réseaux de sous-traitance », dénonçait à ce propos Frédéric Sanchez, secrétaire général de la fédération CGT Métallurgie lors d’une confé- rence de presse sur l’industrie le 24 février. 14 nvo mars 2021
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