8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette

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8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
I/O — WWW.IOGAZETTE.FR      — LA GAZETTE DES FESTIVALS —    18 JUILLET 2018 — N°87 — GRATUIT

                                                     n°87

                          Festival d’Avignon
         #87 / Vandalem — Paugam — Allegret — Laujol —Chahrour — François
             Dacosta — Rencontres d’Arles — Carthage Dance — CPH Stage

© Claire Soubrier
8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
— LA GAZETTE DES FESTIVALS —
                                                                                                                                                                                                                                                18 juillet 2018                                                      WWW.IOGAZETTE.FR

                                                                            JAMAIS SEUL           ORPHÉE APHONE
                                                                            MOHAMED ROUABHI
                                                                            PATRICK PINEAU
                                                                                                  VANASAY
                                                                                                  KHAMPHOMMALA
                                                                                                                                                                                              ÉDITO                                                                               SOMMAIRE
                                                                                                                                                                                                     —                                                                                          —
                                                                            9 > 13 OCTOBRE        9 > 15 JANVIER                                                                      «TANT VA LA CRUCHE À L’EAU…»                                                                     FOCUS PAGES 4-6
                                                                            LA CHARTREUSE         SAGA                                                                                                                                                                           Anne-Cécile Vandalem: Arctique

                                                                                                                          P
                                                                            DE PARME              JONATHAN                         uisque 42 est la réponse à toutes les interrogations de l’Uni-
                                                                                                                                                                                                                                                                                       Lena Paugam: Hedda
                                                                                                                                                                                                                                                                       Yan Allegret: On prend le ciel et on le coud à la terre
                                                                            OU SE FOUTRE          CAPDEVIELLE                      vers, à quoi bon triturer sans cesse ce qui habite ou déserte les
                                                                                                                                   intentions des metteurs en scène? Un constat de plus en plus                                                                                                 —
                                                                            CARRÉMENT DE TOUT     29 JANVIER                                                                                                                                                                           REGARDS PAGES 8-9
                                                                                                                                   présent anime nos discussions tardives, les bibles (mot correct
                                                                            STENDHAL              > 2 FÉVRIER             pour dire «programmes de salle», NDLR) ne sont-elles pas souvent plus                                                                                    Denis Laujol: Pas pleurer
                                                                            SOPHIE GUIBARD                                pertinentes (amusantes, décadentes…) que leur concrétisation sur les                                                                          Ali Chahrour: May he rise and smell the fragrance

                                                                            ÉMILIEN               HORIZON                 plateaux? Question délicate à laquelle Douglas Adams nous offre une                                                                    Hélène François: Les désespérés ne manquent pas de panache

                                                           SAISON 2018/19   DIARD-DETŒUF          ALEXANDRE FINCK         réponse sous forme de nuit sans retour qui, avouons-le tout de go, nous
                                                                                                                          (vous?) épargne un cortège de théorisations qui auraient pu dégénérer
                                                                                                                                                                                                                                                                                    Yann Dacosta: Qui suis-je?
                                                                                                                                                                                                                                                                                                 —
                                                                            17 > 19 OCTOBRE       ADRIEN FOURNIER         au consensuel ou, pire, au réactionnaire. Nous garderons comme un plai-                                                                                         EN BREF PAGE 10
                                                                                                  5 > 7 FÉVRIER           sir coupable la délectation des discours improbables qui se gargarisent                                                                                    Hanane Hajj Ali: Jogging
                                                                            LE JOUR OÙ LES                                de mots et de concepts réjouissants, caressant dans le sens du poil notre                                                                                   Olivier Maurin: Illusions
                                                                            FEMMES ONT PERDU      BÉRÉNICE                besoin d’entre-soi. Puisque la programmation officielle tend à promou-                                                                  Dag Jeanneret: Mon grand-père (partait tous les ans en Italie...)
                                                                            LE DROIT DE VOTE      JEAN RACINE             voir des propositions plus «grand public», ces plongées de pédanteries
                                                                                                                          restent le seul îlot de snobisme, oasis dans notre désert estival.
                                                                                                                                                                                                                                                                                    Eric Domenicone: Romance

                                                                            KEVIN KEISS           CÉLIE PAUTHE                                                                                                                                                           Fabienne Barbier: Ma vie! Un poing c'est tout!

                                                                            DIDIER GIRAULDON      27 FÉVRIER                                                                                                                                                         Kevin Keiss: Ô ma mémoire, portrait de Stéphane Hessel
                                                                                                                                                                                                                                                                                                 —
                                                                            22 > 27 OCTOBRE       > 9 MARS                                                                                                                     La rédaction
                                                                                                                                                                                                                                                                                 RENCONTRES D'ARLES PAGE 12

                                                                            À QUOI RÊVENT         FESTIVAL WET°                                                                                                 Prochain numéro le 21 juillet
                                                                                                                                                                                                                                                                                       Une colonne de fumée
                                                                                                                                                                                                                                                                                          Jonas Bendiksen
                                                                            LES PANDAS ?          4E ÉDITION                                                                                                                                                                                     —

                                                                            DOULCE MÉMOIRE        22 > 24 MARS                                                                                                                                                                         REPORTAGES PAGE 15
                                                                                                                                                                                                                                                                                      Carthage Dance (Tunis)
                                                                            THÉÂTRE D’OMBRES      MEPHISTO                                                                                                                                                                           CPH Stage(Copenhague)
                                                                            DU HUNAN              {RHAPSODIE}
                                                                            30 > 31 OCTOBRE       KLAUS MANN
                                                                            LA NOSTALGIE          SAMUEL GALLET
                                                                            DU FUTUR              JEAN-PIERRE BARO
                                                                            PIER PAOLO PASOLINI   2 > 6 AVRIL
                                                                            GUILLAUME LE BLANC    LA TRUITE
                                                                            CATHERINE MARNAS      BAPTISTE AMANN                                                                  RODRIGO GARCÍA (ES)
                                                                                                                                                                                  Encyclopédie de phénomènes paranormaux Pippo y
                                                                            6 > 10 NOVEMBRE       RÉMY BARCHÉ                                                                     Ricardo sous l’autorité de la confrérie Logia Lautaro

                                                                            LA RÉUNIFICATION      23 > 27 AVRIL                                                                   FORCED ENTERTAINEMENT (UK)
                                                                                                                                                                                  Real Magic
                                                                            DES DEUX CORÉES       BLABLABLA                                                                       GURSHAD SHAHEMAN (IR/FR)
                                                                            JOËL POMMERAT         JORIS LACOSTE                                                                   Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète

                                                                            JACQUES VINCEY        EMMANUELLE LAFON                                                                SOROUR DARABI (IR/FR)
                                                                                                                                                                                  FARCI.E
                                                                            19 > 24 NOVEMBRE      15 > 18 MAI
                                                                                                                                                                                  PAULA PI (FR)
                                                                            LE BRUIT DES ARBRES   SUITE Nº 3 « EUROPE »                                                           Alexandre

                                                                            QUI TOMBENT           JORIS LACOSTE                                                                   ALESSANDRO SERRA (IT)
                                                                                                                                                                                  Macbettu
                                                                            NATHALIE BÉASSE       PIERRE-YVES MACÉ
Malte Martin atelier graphique | avec Vassilis Kalokyris

                                                                            4 > 8 DÉCEMBRE        21 > 25 MAI               PHOTO: MARTA GÓRNICKA: Hymn to love © Magda Hueckel
                                                                                                                                                                                  KRYSTIAN LUPA (PO)
                                                                                                                                                                                  Le Procès

                                                                            VILAIN !              ILS N’ONT RIEN VU                                                               HETPALEIS EN SONTAG / LIES PAUWELS (BE)
                                                                                                                                                                                  Truth or Dare, Britney or Goofy, Nacht und Nebel,
                                                                            ALEXIS ARMENGOL       THOMAS LEBRUN                                                                   Jesus Christ or Superstar
                                                                            18 > 22 DÉCEMBRE      4 > 7 JUIN                                                                      MARTA GÓRNICKA (PO)
                                                                                                                                                                                  Hymn to love

                                                                                                                                                                                  BERLIN (BE)
                                                                                                                                                                                  True Copy

                                                                                                                                                                                  OSKARAS KORSUNOVAS (LT)
                                                                                                                                                                                  Wedding

                                                                                                                                                                                  NATURE THEATRE OF OKLAHOMA (US)
                                                                                                                                                                                                                                                                          45 SPECTACLES INTERNATIONAUX
                                                                                                                                                                                  Pursuit of Happiness
                                                                                                                                                                                                                                                                          INFO / TICKETS
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8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
— LA GAZETTE DES FESTIVALS —
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                                                                                ERRANCE DU TEMPS
                                                                         — par Jean-Christophe Brianchon —
C’était au mois de janvier, il y a deux ans. Anne-Cécile         bitera que les erreurs du temps passé. De l’Homme au             boue devenue la matière même de nos larmes, qui colle
Vandalem créait «Tristesses», nous laissant alors la           Monde, comme un double processus de rejet de l’autre et          aux pieds pour mieux nous rappeler à chaque pas que
découvrir, elle et le destin de son œuvre, aujourd’hui           de croyance en une seule chose: le Théâtre. Car c’est peu       l’idée même du futur est en train de fondre sous nos
entourée d’un succès dont on craignait qu’il ne l’as-            dire qu’il en faut, de l’ambition et de la foi pour penser que   yeux. Une idée à laquelle viennent se confronter à plu-
somme. C’était bien mal la connaître.                            sur les planches d’un plateau peut se refléter la destinée       sieurs reprises les élans de croyance en un possible des

«N
                                                                 d’un monde entier.                                               personnages de ce drame, et en particulier du groupe
                 i tout à fait la même, ni tout à fait une                                                                        de musiciens, qui occupent le fond du plateau comme
                 autre», elle est revenue, celle que le petit                                                                    pour nous interpeller alors qu’ils posent cette question
                 monde du théâtre européen attendait                  Hanter les eaux gelées de nos cœurs fondus                  simple: «Anyone?» Parce que oui, y a-t-il quelqu’un, tout
                 tant, avec pour point de départ, toujours,                                                                       de même, pour essayer une dernière fois? Pour essayer
cette ville de Bruxelles, de laquelle la pièce s’en est allée    Il en faut, et ce d’autant qu’Anne-Cécile Vandalem fait          de nous faire pardonner cette faute originelle que l’on
déjà pour une tournée qui s’annonce une fois encore in-          le choix de n’en rien montrer sur la scène, et de faire se       traîne depuis tant de siècles, qui nous amène aujourd’hui
humaine. Mais alors, que reste-t-il de cette si belle tris-      dérouler la totalité de la pièce en un huis clos dont on ne      à reproduire les comportements de cette gourmandise
tesse, qui était celle de ceux qui restent quand plus rien       pourra s’extraire que par un procédé scénographique              égoïste qui déjà en son temps faisait disparaître l’Éden et
ne subsiste? L’enfer des larmes, toujours, mais bien plus       déjà utilisé chez Ivo van Hove dans «Kings of War», mais       mourir Caïn? C’est donc bien que, malgré le désert qu’elle
encore. De l’Arctic Serenity, ce bateau errant dans les          dont l’utilisation se révèle ici peut-être plus belle encore,    nous montre, Anne-Cécile croit certainement encore un
eaux du pôle Nord, naufragé par deux fois et symbole de          quand le hors-champ de la scène, filmé en direct et pro-         petit peu, allez savoir… Reste qu’au terme de ce voyage
l’incapacité des hommes à apprendre de leurs erreurs, le         jeté, explique aux spectateurs le fruit du comportement          d’une élégance scénographique et dramaturgique rare ne
spectateur voit bien plus ici que la tristesse de ceux qui       des hommes et les raisons de leur fuite. De ce hors-champ        subsistera que ce bateau de malheur qui, tel le passé qui
l’habitent. De l’Homme, définitivement déclaré incapable,        s’échappe alors une certitude: cette arche de Noé des           n’est plus, ne cessera de hanter les eaux gelées de nos
l’auteure et metteuse en scène s’extrait pour nous laisser       temps modernes dérive sur les eaux du royaume de ce              cœurs fondus.
assister à un spectacle bien plus ambitieux encore: celui       qui n’est plus et ne sera plus jamais. À l’image des neiges
de la désertification du monde, que plus rien d’autre n’ha-      éternelles de l’Arctique, plus rien ne subsiste ici que cette

                                              DOUBLE FOCUS —
                                                                        IN
                                                                               ARCTIQUE
    MISE EN SCÈNE ANNE-CÉCILE VANDALEM / LA FABRICA JUSQU'AU 24 JUILLET, À 18H00 (Vu au Théâtre National de Bruxelles en février 2018)

                                                «2025. Quelque part dans les eaux glacées internationales. Intérieur nuit. Froid.
                                                   Salle de réception d'un paquebot de croisière. Extérieur plus froid encore.»

                                                                                       TITANIC II
                                                                                    — par Lola Salem—

Deux ans après «Tristesses», Anne-Cécile Vandalem              ne nous est montré que la pièce centrale, et où l’étrange        la metteuse en scène peine à tirer toute la substance. Ce
continue sa mise en récit des infinies désillusions de           se mêle au suspense. Mais la menace qui pèse sur les             trop-plein de réalisme donne alors naissance à quelques
l’humanité. C’est encore et toujours sur le fil d’un réa-        personnages mystérieusement réunis à bord de l’Arctic            moments d’humour absurde qui explosent inopinément
lisme revisité par l’emploi de la caméra sur scène que la        Serenity est elle-même prise comme dans un étau par              à la manière de petites soupapes de décompression. La
metteuse en scène s’attaque à une nouvelle fable, cette          les choix dramaturgiques. Gagne-t-elle à n’être qu’une           démarche serait bienvenue si elle n’était pas amenée
fois-ci d’anticipation.                                          ombre, intimidante précisément parce qu’elle ne s’in-            avec maladresse, en forçant à tel point le trait sur l’au-

A
                                                                 carne jamais tout à fait? Ou apparaît-elle au grand jour,       todérision qu’on ne sait jamais exactement si elle sert
           vec «Arctique», il sera question de guerre cli-     prenant le risque de défaire, du même coup, l’ensemble           de justification au propos ou d’excuse. Anne-Cécile Van-
           matique, fruit des tergiversations politiques et      du dispositif qui lui avait donné vie? Anne-Cécile Vanda-       dalem y régurgite un univers fantastique tenu à mi-dis-
           médiatiques qui entraînent le destin commun           lem choisit cette seconde voie, et c’est ce geste même           tance pendant l’ensemble de la pièce et qui explose en
           des hommes en même temps que celui des                qui semble aussi bien problématique que déceptif.                vol lorsque le fil de l’intrigue se dénoue, que la menace
quelques individus en présence. Sur la base de ce sujet                                                                           se dévoile et que l’univers sombre dans un sordide gé-
d’actualité, cette «éco-tragédie» aux allures de thriller                                                                       néralisé. On s’embarrasse de ces bulles d’absurde en
et aux bonnes intentions s’embourbe pourtant dans                                   Exutoire ou scorie?                          ne sachant comment les aborder: exutoire ou scorie?
ce qui se présente comme d’inévitables écueils. Trop                                                                              «Arctique» est loin de décevoir toutes les attentes: il y
grand, trop gros, trop lourd. Le sujet comme son dispo-          L’image, comme le texte, sert une dimension exclusi-             a, dans ce jeu entre un univers fabuleux et une prétention
sitif écrasent tout, laissant le spectateur indécis devant       vement narrative de l’intrigue qui se trouve inlassable-         à ressasser les périls du monde une forme de fragilité
la profusion des éléments théâtraux, vidéographiques,            ment confrontée à nos habitudes vis-à-vis du médium              attendrissante. Pourtant, la prétention à s’émanciper des
voire devant le sens global de l’œuvre au parfum dysto-          cinématographique. Or, «Arctique» semble échouer à             qualités formelles de la scène n’éclôt sur rien de fonda-
pique. Les dédales des couloirs, des pontons et des cales        opérer un quelconque dépassement, une transcendance              mentalement convaincant. Quel horizon Anne-Cécile
déploient les coulisses tentaculaires du bateau, dont il         ou bien un retournement de cet emploi de la vidéo, dont          Vandalem souhaite-t-elle donc dessiner?

RES FACILES. LE SIROP LAISSE DES NAUSÉES.                                                                                                                                                         «Arctique» Mise   en scène Anne-Cécile Vandalem © Christophe Hengels
8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
— LA GAZETTE DES FESTIVALS —
  6                                                                                    18 juillet 2018                                                                WWW.IOGAZETTE.FR

                                                                            OFF
                                                                                     HEDDA
                                                                     MISE EN SCÈNE LENA PAUGAM
                                                              LA MANUFACTURE JUSQU'AU 26 JUILLET, À 14H45

                            «Sigrid Carré Lecoindre et Lena Paugam inventent les mots pour dire la coexistence de la détresse et de l'amour.»

                                                                                      AMOUR BLEU
                                                                                    — parVictor Inisan—

Très librement inspiré de l’affaire Hedda Nussbaum,               nètre le cadre sans prévenir, en mordant aux flancs: la       Hedda fatiguent et s’épuisent… Et la violence s’immisce à
«Hedda», qui consacre la collaboration entre Sigrid             première droite est violente d’abord par son surgisse-         l’intérieur du texte surchargé, fougueux, presque bavard
Carré Lecoindre et Lena Paugam (après «Les Cœurs té-             ment… Le coup lui-même n’est qu’un enzyme incomplet            de l’autrice. La violence charrie son double de neige: il y
taniques» créés au T2G en 2016), élabore une renversante         et sensible de l’incommensurable inattendu. Peu à peu,         a celle qui pénètre violemment le cadre – la brusque vio-
dramaturgie de la violence conjugale.                             la souff rance de Hedda s’emmure: chaque fois, le poing       lence – et l’autre, insidieuse, lénifiante, qui contamine les

H
                                                                  de l’homme est plus confortable dans le cadre. Il troue        mots et l’amour, celle qui fait bégayer Hedda la tragique.
           edda est d’abord une histoire d’amour contre           moins le champ et plus les joues, tandis que Hedda, len-       Deux espaces de la violence que Sigrid Carré Lecoindre
           laquelle la violence, odieusement, s’écrase.           tement, sort du cadre lors de ses errances nocturnes,          articule avec un brio antimanichéen (qu’elle commente
           Une formidable relation passionnelle lente-            qui sont autant de douloureuses et incoercibles fuites.        malheureusement un peu trop parfois): la grisaille incer-
           ment érodée par la souffrance et le silence de         Alors l’horreur, seulement, s’épanouit avec le goût sai-       taine l’emporte sur toute morale.
Hedda, qui s’engonce pareillement dans le renoncement             gnant de l’habitude.                                           L’interprétation de Lena Paugam (qui signe également la
et dans son gilet en laine – s’étouffant peu à peu sous                                                                          mise en scène), porte-parole de l’histoire et incarnation
les coups. Hedda réfléchit autant qu’elle se réfléchit…                                                                          de la protagoniste, est à l’antithèse de la douleur: une
Son être se diffracte: texte (pluralité des personnages),                        Douceur déconcertante                          douceur déconcertante émane de son sourire… C’est
scénographie (évocation d’un intérieur avec une salle                                                                            Hedda amoureuse qui s’adresse au spectateur; l’intention
de bains en point de fuite), lumières (multiples espaces          La violence est comme la lumière: partout, mais on ne         slalome entre les obstacles du pathos. Ce gouffre éclatant
d’apparition)… Un solo morcelé pour espace schizoïde              la remarque tristement que lorsqu’elle rencontre une           entre le propos et le jeu n’est autre que l’endroit de l’émo-
dans lequel Lena Paugam excelle – l’ADN meurtrie de               surface. Sigrid Carré Lecoindre a l’intelligence manifeste     tion bâti par la dramaturgie: la lucarne poétique fuyant la
Hedda s’accrochant désespérément aux murs de l’inté-              du thème: la violence est inscrite sur les membres de         grossière illustration. Au coin de cette lucarne glisseront
rieur kitsch quand elle perd le contrôle de ses émotions.         Hedda. Elle ne s’écrit pas toujours avec un V majuscule:      peut-être les larmes du spectateur, qui n’auront, il faut le
«Hedda» parle de la «violente violence»; sa manière          dans «Hedda», son corps est une surface mutilée de           dire avec enthousiasme, aucunement été forcées.
abrupte et cruelle de surgir. La violente violence pé-            bandages. À chaque reprise de coups, les neurones de

                                                                       FOCUS —
       OFF
                ON PREND LE CIEL ET ON LE COUD À LA TERRE
                                                                                                                                                                                                              CRÉATION
                                                          MISE EN SCÈNE YAN ALLEGRET / LES HALLES, À 22H30

                                                                                                                                                                                                   NON SOlO MeDeA
                                  «L'acteur/metteur en scène Yan Allegret et le musicien Yann Féry invitent le public à faire un pas de côté,
                                                            pour entendre les mots simples de Christian Bobin.»
                                                                   L’ENTÊTEMENT À CHERCHER LES CLAIRIÈRES
                                                                             —par Marie Sorbier—
                                                                                                                                                                                                         EMIO GRECO
«J’écris, je ne fais rien. J’aime cette vie-là, pauvre en évé-   en scène qui ne soit ni redondante ni inutile; comment        plainte évidente du sombre et du «sans espoir». Bien               PIETER C SCHOLTEN
nements. J’attends mais ce n’est pas pour attendre. Je me         imaginer un passage au plateau qui ait du sens? Com-          sûr, ce lyrisme paysan, vestige lumineux d’une France
tais, je ne fais rien, et dans ce rien d’une soirée, j’apprends   ment préserver la légèreté tout en offrant le poids des        des campagnes, pourra paraître désuet voire réaction-
lentement à nommer ce qui me comble et m’échappe.»               mots? C’est donc avec courage et un peu d’inconscience        naire, mais l’anachronisme et l’insouciance de surface
Quoi qu’on en dise, Christian Bobin est un poète d’au-            que Yan Allegret, metteur en scène, acteur et auteur par       n’empêcheront pas l’accès à cette écriture malgré tout
jourd’hui, même s’il a cette faculté, propre aux êtres des        ailleurs, s’y lance, accompagné par le son planant et in-      patrimoniale et qui invite humblement à la contempla-
alpages, de demeurer hors du temps.                               carné de Yann Féry. Un bouquet de fleurs des champs,           tion. «Il y a une joie élémentaire de l’univers, que l’on

N
                                                                  magnifiquement simple lui aussi, lévite et tournoie            assombrit chaque fois que l’on prétend être quelqu’un,
           ous ne parlons pas de l’ivresse des cimes              au-dessus de la scène. Il est à lui seul l’incarnation de      ou savoir quelque chose. De cette joie, vous ne vous êtes              12 AU 14 jUillet 2018
                                                                                                                                                                                                            Teatro Grande - Pompéi
           mais des hauteurs de la matière poétique               cette beauté quotidienne qui émeut autant qu’elle élève,       jamais exilée, et je ne sais ce qui me plaît le plus en vous:            Pompeii Theatrum Mundi
           qu’il sublime comme on hume un bouquet                 il est aussi allégorie de tous les thèmes de prédilection      votre insouciance qui vous permet de veiller à l’essen-
           de chardons sauvages. Chaque été, le Festi-            de Bobin, de l’émerveillement de l’éclosion à la finitude      tiel, ou votre intelligence qui vous fait accueillir la vie                 27 jUillet 2018
                                                                                                                                                                                                      Théâtre Antique - Vaison-La-Romaine
val d’Avignon nous offre son lot de mises en scène et             certaine mais non redoutée.                                    comme elle vient, à son heure. C’est une belle chose que
                                                                                                                                                                                                                 Vaison Danses
d’adaptations plus ou moins heureuses de cet écrivain                                                                            d’écrire: c’est, par l’extrême solitude, toucher à l’extrême
qui souffre de cette image catho de droite qui colle aux                                                                         présence. Le solitaire est celui qui n’est plus jamais seul.
chaussures plus sûrement qu’un chewing-gum tenace.                             Joie élémentaire de l’univers                     Il est comme une petite maison dans la forêt, si ouverte
C’est donc avec appréhension que la petite chapelle du                                                                           au silence que les bêtes sauvages ne craignent pas d’y
théâtre des Halles se remplit à la nuit tombée, fébrile           Un bouquet assez banal pour sublimer la magie du               entrer. Mais il est vrai qu’à force d’écrire, l’on finirait par
d’entendre ces mots que les amateurs aiment lire et re-           presque rien et une voix qui se laisse traverser par les       croire que l’on a trouvé quelque chose: de cette erreur,
cevoir. Car il faut être dans un état d’accueil, ouvert aux       mots du poète; l’acteur ne tente rien, il ne joue pas, il     votre rire m’épargne, et je ne saurai jamais assez vous

                                                                                                                                                                                                                                            @ ALWIN POIANA
nuances chantantes de son vocabulaire pour accéder au             est présent et, comme les vitraux d’une église, s’illumine     en remercier.»
plaisir simple de son monde. Et comme pour toutes les             en laissant passer la lumière. Lui aussi, il «préfère l’en-
langues imagées, il est difficile alors de penser une mise        têtement à chercher des clairières» plutôt que la com-
8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
— LA GAZETTE DES FESTIVALS —                                                                                                                                                                                 — LA GAZETTE DES FESTIVALS —
     8                                                                                 18 juillet 2018                                                              WWW.IOGAZETTE.FR                                                                                                              18 juillet 2018                                                            WWW.IOGAZETTE.FR

                                                                                                                                                                         OFF
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                                                                                                                                            MISE EN SCÈNE DENIS LAUJOL / THÉÂTRE DES DOMS JUSQU'AU 26 JUILLET, À 14H30

IN     MAY HE RISE AND SMELL                                                                                                                   «Un récit intense sur la guerre d’Espagne dont s’empare la comédienne Marie-Aurore d’Awans
                                                                                                                                                        (saluée par les Prix de la Critique belge 2017) et la musicienne Malena Sardi.»

           THE FRAGANCE                                                                                                                                                              ÉLAN DE JEUNESSE ESTIVAL
                                                                                                                                                                                         —par Julien Avril—

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   QUI SUIS-JE ?
                                                                                                          A
                   CHORÉGRAPHIE ALI CHAHROUR                                                                                                             de l’entretien d’embauche, est comme                                                      sûr. Ici, le paysage de la révolution dans
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           OFF
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            THÉÂTRE BENOÎT-XII JUSQU'AU 17 JUILLET, À 15H00                                                        scène Denis Laujol signe une belle     une allumette jetée sur un fétu de paille:   nistes de cette épopée espagnole de         le cœur de cette jeunesse se corrompt
                                                                                                                   adaptation du roman de Lydie           l’étincelle de la révolte dans le cœur de     1936. Virtuosité de cette incarnation des   peu à peu, la guerre broie les corps et les
          «Du plateau plongé dans l'obscurité, entre-deux crépusculaire,                                 Salvayre «Pas pleurer», prix Goncourt         Montse. De ce premier acte de résistance      personnages, enchevêtrés en poupées         espérances. La parole de Georges Ber-                                          MISE EN SCÈNE YANN DACOSTA
         une voix de femme s'élève. Chant profond. Attirés par cette prière,                              2014. C’est l’histoire d’une émancipation,      découle sa nouvelle relation au monde:       russes. La musicienne Malena Sardi,         nanos décrit, dans une anaphore coup                                         11 GILGAMESH BELLEVILLE, À 14H40
                      un danseur et deux musiciens entrent.»                                             celle de Montse, la mère de l’écrivaine qui,    inverser les rapports de domination, re-      assise à la cour parmi ses amplis et ses    de poing, l’escalade de la violence. La
                                                                                                          à l’été 1936, sent sa vraie vie commencer       fuser l’apitoiement et le diktat de la né-    pédales de distorsion, accompagne le        petite histoire rejoint la grande histoire.                  «Vincent est en classe de troisième. Quelque chose se passe en lui :
                                                                                                          quand elle refuse un poste d’employée           cessité, inventer une nouvelle vie. L’été     récit en créant tour à tour des nappes      Une adaptation très juste qui, sans rien
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            il est tombé amoureux... d'un autre garçon.»
     CHANT POUR L’ENFANT DISPARU                            ET IN ARABIA EGO
       —parNoureddine Mahjoub —                        —parAugustin Guillot—                        dans une maison bourgeoise pour re-             commence et la jeune fille de quinze          sonores qui posent l’atmosphère adé-        ôter à la puissance littéraire du texte, y
                                                                                                          joindre son frère et les mouvements col-        ans va y découvrir la politique, l’ivresse    quate ou bien tricote une mélodie qui       ajoute ce qu’il faut de jeu, de couleurs et                                         NAISSANCE DE L’AMOUR
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        —parAudrey Santacroce—

 A                                                L’
                                                                                                          lectivistes révolutionnaires qui ont fleuri     des mouvements collectifs et bien sûr la      devient peu à peu chanson épique pour       de vie pour faire exulter en nous cet élan
          près les éblouissants «Fatmeh» et             espace est noir et dépouillé comme
                                                                                                          en Espagne, vague d’espoir fauchée par          douceur des premières amours. Ce récit        clore en apothéose tel ou tel épisode.      de liberté et de joie qui naît à l’adoles-

                                                                                                                                                                                                                                                                                                          V
          «Leila se meurt», présentés il y a            si le tombeau était déjà là. Assis,
                                                                                                          la guerre et la montée du franquisme.           se dévoile petit à petit, par couches, ou     Entre elles, comme une caisse de ré-        cence et qui irrigue tout une vie, malgré
          deux ans au cloître des Carmes,                 immobile, éclairé par une trouée                                                                                                                                                                                                                        incent est en troisième, n’est pas      d’avoir l’air d’un gros dur qui fait tomber
                                                                                                          Tout part d’une petite phrase: «Elle est      par niveaux. À jardin, au micro, la comé-     sonance, un fond blanc sur lequel des       les plus dures épreuves.
 Ali Chahrour proposait cette année la            lumineuse à la pâleur funèbre, le corps                                                                                                                                                                                                                         très populaire mais survit comme        les filles. Yann Dacosta et Thomas Gornet
                                                                                                          bien modeste.» Cette humiliation pri-          dienne Marie-Aurore d’Awans interprète        images abstraites projetées ouvrent un
 dernière partie de sa trilogie autour du         sans vie d’un homme. Sa tête est renversée                                                                                                                                                                                                                      il peut à la méchanceté des ado-        ont choisi de traiter de ce sujet sensible
                                                                                                          maire, lancée par le maître de maison lors      l’écrivaine, qui devient à son tour sa        champ plus grand, métaphysique bien
 deuil. Disons-le tout de go: celle-ci est       en arrière, sa gorge exhibée – cette gorge                                                                                                                                                                                                              lescents et du prof de sport, entouré de        avec beaucoup de délicatesse et d’hu-
 sans doute la moins construite des trois         offerte des morts que l’on transporte et                                                                                                                                                                                                                ses deux meilleurs amis. Sauf que voilà,        mour, avec un Vincent délicieux de drô-
 spectacles du jeune Libanais, qui semble         dont les yeux éteints regardent le ciel. Et à                                                                                                                                                                                                           non content de devoir gérer le lycée            lerie incarné par Côme Thieulin. Sautant

                                                                                                                                                           REGARDS
 cette fois privilégier un enchaînement           ses côtés, non pas une figure mariale, mais                                                                                                                                                                                                             qui s’annonce, Vincent va aussi devoir          par-dessus tous les écueils de l’adulte
 de tableaux à une dramaturgie globale            un étrange bourreau. Un musicien dont les                                                                                                                                                                                                               faire face à l’arrivée d’un nouvel élève        jouant un adolescent comme par-dessus
 plus propice à emporter le spectateur.           mouvements d’archet, comme une scie                                                                                                                                                                                                                     dans sa classe. Et dans un collège où le        des flaques d’eau, il emporte l’adhésion
 On pourrait le déplorer si cela empiétait        à hauteur de cou, symbolisent un geste                                                                                                                                                                                                                  mot «pédé» revêt le caractère d’insulte       d’un public qui ressort de la salle avec
 ne serait-ce qu’un tout petit peu sur son        de décollation. L’image est saisissante.                                                                                                                                                                                                                suprême, pas facile de s’avouer que,            l’envie de l’appeler «bonhomme» en
 incroyable pouvoir suggestif, mais ce-           Quelque chose comme une décapitation                                                                                                                                                                                                                    ce nouvel élève, Vincent en est tombé           lui ébouriffant les cheveux. À la fin de
 lui-ci, malgré tout, reste parfaitement          du Caravage. Où le mort chante. Non par                                                                                                                                                                                                                 amoureux. Adapté de son propre roman            la pièce, on a le sentiment de s’être fait
 intact. Construit comme un long oratorio         la bouche, mais par la gorge profanée, c’est                                                                                                                                                                                                            par Thomas Gornet, épaulé par le met-           un nouveau copain. Cette belle équipe
 tenu de bout en bout par la musique d’Ali        le son du buzuq et des percussions. Et si la                                                                                                                                                                                                            teur en scène Yann Dacosta, «Qui suis-         s’est adjoint les talents du dessinateur
 Hout et Abed Kobeissy, et la voix trans-         bouche du mort, elle, ne peut plus rien dire,                                                                                                                                                                                                           je?» marche sur les traces élégantes de       Hugues Barthe pour représenter l’uni-
 cendante de Hala Omran, «May he rise
 and smell the fragrance» réussit presque
                                                  c’est que la parole ne peut venir que des vi-
                                                  vants. Ici, celle de Hala Omran, dans le rôle
                                                                                                         OFF
                                                                                                                LES DÉSESPÉRÉS NE MANQUENT PAS DE PANACHE                                                                                                                                                 grands auteurs jeunesse qui ont eux aussi
                                                                                                                                                                                                                                                                                                          traité le thème de l’homosexualité. Il y a
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          vers dans lequel évoluent Vincent et ses
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          camarades. Projetés en fond de scène,
 instantanément à nous plonger dans cet           de la mère du défunt. La parole chantée de                                                                                                                                                                                                              bien sûr du Marie-Aude Murail, mais aussi       des portraits, mais surtout des décors
                                                                                                                                                                                                                                                                                                          du Christophe Honoré et du Gudule dans          avec lesquels les comédiens interagissent
 état de presque transe propre aux rituels        la mère est chant des vivants adressé aux                                                              MISE EN SCÈNE HÉLÈNE FRANÇOIS / THÉÂTRE DES VENTS, À 20H50
 de tradition chiite, où le chorégraphe           morts, tandis que le chant sans parole des                                                                                                                                                                                                              le texte de Thomas Gornet, ce qui, a-t-on       grâce à leur ombre, tantôt devant, tantôt
 puise son inspiration. Ali Chahrour aime         instruments est voix des morts adressée                                                                                                                                                                                                                 besoin de le préciser, est un grand com-        derrière l’écran. Faisant la part belle à
                                                                                                                        «Dans ce spectacle, chaque personnage en état de crise se raconte au travers de situations "limites" pour essayer de tenir le coup.»
 dire que la danse n’est pas forcément un         aux vivants. Alors pourquoi, malgré ces                                                                                                                                                                                                                 pliment. Sans jamais juger, «Qui suis-je?»   chacun, «Qui suis-je?» apparaît comme
 langage international, mais qu’elle est          fulgurances, ce sentiment de déception par                                                                                                                                                                                                              invite chacun à questionner ses propres         un vrai spectacle de troupe, une œuvre
                                                                                                                                                                                      NÉVROSES MAÏEUTIQUES                                                                                                stéréotypes, la façon dont il peut rejeter      polymorphe piochant autant dans la
 toujours ancrée dans un contexte cultu-          rapport aux deux précédents volets de ce
                                                                                                                                                                                      —par Mariane de Douhet—                                                                                           quiconque ne lui ressemble pas trait pour       bande dessinée que dans le cinéma ou la
 rel: celui qu’il nous propose est le sien, et   triptyque sur les rites de deuil? Tentative
                                                                                                                                                                                                                                                                                                          trait, à l’âge où le plus important c’est       musique pop.

                                                                                                         S
 sa présence charismatique (il est le seul        de mue vers une plus grande abstraction:
 danseur sur le plateau), tout en finesse         épure monochrome de la scène et décon-                        i on a eu très peur au démarrage,         car on apprécie l’acuité avec laquelle        chétypes une familiarité qui n’est jamais   tacle: son ton est tellement libre qu’il
 et en simplicité, irradie la scène et nous       struction dramaturgique (ou son absence).                     à écouter un panda raconter sa vie        Poitevin saisit les attitudes corporelles,    totale, de sorte que la caricature propo-   ne s’agit même plus de refuser le politi-
 perce droit au cœur.                             Tâtonner un nouveau langage pour donner                       de raté, on s’est laissé surprendre       les tics de langage de figures qu’on          sée conserve une part d’étrangeté, et       quement correct, il y est spontanément
                                                  forme aux mêmes obsessions – les âmes, les              par le charme pétaradant de Thomas              devine (un jeune homme plein d’en-            donc de complexité. Qui a-t-on recon-       indifférent (sorte de post-politiquement
                                                  larmes, les limbes –, comme si on assistait à           Poitevin, qui interprète avec une énergie       train mais complètement fracassé, une         nu? On se plaît à se poser la question.    correct), totalement décrassé de tout
                                                  l’épuisement d’une recherche qui planterait             de caméléon sous acide un répertoire            cagole débrouillarde, un commercial gay       Si le spectacle met du temps à décoller,    filtre. Les désespérés qu’il interprète ont
                                                  déjà les prémices de sa propre résurrection.            de loosers même pas magnifiques, au             bardé de mimiques, une sexagénaire            que le texte est inégal selon les per-      la force (consciente ou pas) de ne pas
                                                                                                          point que ce spectacle se trouve être l’un      solitaire mais dynamique, et même une         sonnages, et que le rire est sporadique,    doubler leur désespoir d’une conscience
                                                                                                          des plus attachants et malins du OFF.           table Ikea), sans être toutefois totale-      l’interprétation flamboyante de Poitevin    du désespoir: ils sont ici, plus ou moins
                                                                                                          Disons-le d’emblée: c’est un spectacle         ment certain de les reconnaître. C’est la     renverse complètement l’impression un       abîmés, mais pas désabusés parce que
                                                                                                          d’humour, mais on n’a pas ri (à la diffé-       force de ce seul-en-scène: interpréter       peu réservée de départ et donne, au fur     pas étouffés par leur propre image, et là
                                                                                                          rence d’une salle particulièrement en-          des clichés en ménageant toujours une         et à mesure des prouesses mimétiques        est peut-être leur panache, celui de vivre
                                                                                                          thousiaste ce soir-là). Mais peu importe:      zone d’échappement, créer avec ces ar-        du comédien, un charme fou au spec-         quoi qu’il arrive le présent tête baissée.

 IL NOUS FAUDRA CEPENDANT DÉFENDRE DES                                                                                                                                                                        ŒUVRES DIFFICILES. LA MISSION DU THÉÂTRE
8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
— LA GAZETTE DES FESTIVALS —
 10                                                                                      18 juillet 2018                                                             WWW.IOGAZETTE.FR

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                                                                                             —
                                                                   C’est une silhouette vêtue de noir, aux cheveux dissimulés
                                                                   derrière un hijab, que l’on peut croiser sur la corniche de
                                                                   Beyrouth, au lever du soleil. Une coureuse quinquagé-
                                                                   naire, perdue dans ses pensées, qui parle toute seule entre
             OFF      ILLUSIONS                                    deux foulées et trois étirements. Elle laisse échapper des        OFF
                                                                                                                                           MON GRAND-PÈRE (PARTAIT
                          —                                        bribes de mots, des fragments d’histoires. Les mots de                  TOUS LES ANS EN ITALIE...)                                                                                                            Georg Büchner / Simon Delétang
                                                                   toutes les femmes silencieuses de Beyrouth, de celles qui                         —
Le théâtre d’Ivan Viripaev garde toujours une dimension            perdent leurs fils à la guerre et de celles qui tuent leurs en-
énigmatique pour celui qui le lit. Il est clair dans ses propos,   fants par désespoir d’aimer, de celles qui sont confrontées       Adapté du récit de Valérie Mréjen, «Mon grand-père
dans son écriture, et pourtant la dramaturgie questionne,          chaque jour à leur échelle au visage du tragique. Obsédée         […]» met en miroir la forme fragmentaire du texte et
pleine de faux-semblants et de chausse-trapes: on peut            par le personnage de Médée, par l’amour niché au cœur             la mise en scène. Construisant un roman familial par
souvent se perdre dans ses nombreuses non-indications.             du monstre, la comédienne Hanane Hajj Ali interroge dans          touches impressionnistes, anecdote après anecdote,
Fort heureusement, cette mise en scène d’Olivier Maurin            «Jogging» ce que les faits divers libanais viennent dire de     Stéphanie Marc installe le décor tout en parlant, petit
réussit à ne pas s’y noyer et propose un dispositif immer-         la société et de la condition féminine. Convoquant éga-           bout par petit bout. À mesure que le récit se déroule,
sif qui, s’il peut légèrement interroger au début, finit par
s’avérer très juste et efficace. Le texte d’«Illusions» y ré-
                                                                   lement sa propre histoire et son rapport à la maternité,
                                                                   l’artiste livre une performance brute et sobre, savamment
                                                                                                                                     le salon où se prépare une réception prend forme, et
                                                                                                                                     c’est l’accumulation de ce qui peut sembler insignifiant
                                                                                                                                                                                                                   14 JUILLET AU 26 AOÛT 2018
sonne alors avec tout son humour, et sa profondeur n’y             référencée et remarquablement interprétée. Un portrait            qui fera en fin de compte surgir une vie entière. «Mon
fait également pas défaut. Et si le potentiel de jeu proposé       du Liban moderne traversé par les tragédies antiques. Un          grand-père […]» est une invitation au souvenir, portée                                                                                          Molière / Gwenaël Morin
par l’écriture de Viripaev est parfois sous-exploité par des       Liban qui aurait le visage d’une femme, éperdue de dou-           par une interprétation délicate. Un moment tranquille,
comédiens quelque peu inégaux, il en reste néanmoins               leur, de révolte et d’amour. A.C.                                 presque contemplatif, qui invite chacun à écouter son
que cet «Illusions» est un bien agréable moment de                                                                                 propre écho familial. L’album de famille feuilleté une
                                                                                                                                                                                                                                                                                   Théâtre du Peuple Maurice Pottecher
théâtre, dont on ressort amusé et enthousiaste. N.M.                        MISE EN SCÈNE HANANE HAJJ ALI                            heure durant, s’il peut décontenancer au premier abord,
                                                                             —LA MANUFACTURE, À12H50—                             n’en reste pas moins touchant de modestie. A.S.                                                                                                 40, rue du Théâtre 88540 Bussang
          MISE EN SCÈNE OLIVIER MAURIN                                                                                                                                                                                                                                       +33 (0)3 29 61 50 48 / www.theatredupeuple.com
       —11 GILGAMESH BELLEVILLE, À17H05                                                                                                    MISE EN SCÈNE DAG JEANNERET
                                                                                                                                                 —ARTÉPHILE, À 16H20—

              OFF    ROMANCE
                        —
                                                                           EN BREF                                                      OFF
                                                                                                                                                    MA VIE !
Conçu pour les tout-petits, «Romance» reprend un                                                                                            UN POING C'EST TOUT !
album jeunesse et part d’un imagier pour construire                                                                                                    —                                                                                                                                          PR IX PU LITZE R
une histoire rocambolesque où l’on retrouve pêle-mêle                                                                                                                                                                                                                                                         E
                                                                                                                                                                                                                                                                                                     DE L’Œ UVR
                                                                          OFF
des brigands, une reine ou une sorcière sur son balai. En                 Ô MA MÉMOIRE,                                               Avec le spectacle « Ma vie ! Un poing c’est tout ! »
                                                                                                                                                                                                                                                                                                     THÉATRALE

mélangeant les marionnettes, le théâtre d’objets et la             PORTRAIT DE STÉPHANE HESSEL                                        au théâtre BO, Fabrice Benichou se révèle un véri-
projection vidéo, La SoupeCie offre aux enfants (et aux                                                                               table acteur. Cet ancien boxeur, star mondiale de
adultes, présents en masse dans la salle) une merveil-
                                                                                —                                                     la boxe (trois titres mondiaux et cinq européens)
leuse épopée où l’on retrouve le trait proche de Jacques           Sarah Lecarpentier dresse le portrait de son grand-                nous émeut, non parce qu’il raconte sa vie hors du
Tati de l’auteur Blexbolex. Construit sur un système de            père à travers le prisme de la poésie. Nous voici comme            commun – l’enfance nomade incroyable avec un père
répétitions où, à chaque chapitre, on rajoute un élément           invités dans le salon de ce diplomate, figure de la Ré-            fakir, la gloire puis le dénuement le plus total –, mais
neuf, «Romance» réussit à attendrir les parents tout en          sistance. Il nous parle des poètes et des vers qu’il a             parce qu’il convoque aussi, grâce à des moments de
apprenant des mots aux plus jeunes spectateurs. Une                appris tout au long de sa vie. L’apprentissage par cœur            grande sincérité, celle de tous les damnés qui, par
aventure en forme d’hymne aux grands sentiments, où                du poème est une gymnastique de l’esprit qu’on pra-                le seul fait d’aimer encore, comme Fabrice Benichou
l’enfant peut se projeter en héros tandis que les comé-            tique pour se faire plaisir et se maintenir en forme. Mais         aujourd’hui sur scène, nous donnent une magnifique
diennes jouent, littéralement, sur scène, dans un bel              il peut surtout se révéler salutaire quand la mort vous            leçon de courage. Bravo l’artiste ! A.F.
hommage aux livres que lisaient nos parents lorsqu’ils             frôle ou que la barbarie vous retient dans ses griffes.
étaient petits. A.S.                                               La comédienne bascule entre une incarnation très dé-                    MISE EN SCÈNE FABIENNE BARBIER
                                                                   licate de l’aïeul et l’évocation de ses propres souvenirs          —THÉÂTRE BO JUSQU'AU 15 JUILLET, À 22H30—

                                                                                                                                                                                                                                                                                              ICH BIN
        MISE EN SCÈNE ERIC DOMENICONE                                                                                                                                                                                                       PIERRE                            HERVÉ
                                                                                                                                                                                                 LA MÉNAGERIE
                                                                   d’enfance avec lui. Ainsi, elle déroule le fil de ce destin
           —CASERNE DES POMPIERS                                  formidable dont chaque épisode est ponctué par la sa-
                                                                                                                                                                                                                                            SANTINI                           BRIAUX

                                                                                                                                                                                                 D  E VERRE
        JUSQU'AU 23 JUILLET, À 11H00—                             voureuse récitation en musique d’un Apollinaire, d’un
                                                                   Vigny ou encore d’un Edgar Allan Poe. Hommage plein
                                                                   de tendresse à la mémoire, ce muscle immatériel, ce
                                                                                                                                                                                                 DE TENNESSEE WILLIAMS
                                                                                                                                                                                                                                            DIALOGUE AUX ENFERS
                                                                                                                                                                                                                                            MACHIAVEL                                         CHARLOTTE
                                                                   véhicule tout-terrain de la grâce qui permet la trans-
                                                                   mission de la joie . J.A.
                                                                                                                                                                                                    CRISTIANA REALI - OPHELIA KOLB
                                                                                                                                                                                                  AVEC
                                                                                                                                                                                                                                            M
                                                                                                                                                                                                                                            D E
                                                                                                                                                                                                                                                OMNA TU ER SI CQE UJIOE LUY                   DE           DOUG               WRIGHT
                                                                                                                                                                                                  CHARLES TEMPLON - FÉLIX BEAUPÉRIN                                                           MISE EN SCÈNE STEVE SUISSA
                                                                             MISE EN SCÈNE KEVIN KEISS                                                                                            MISE EN SCÈNE CHARLOTTE RONDELEZ          MISE EN SCÈNE ET ADAPTATION   MARCEL BLUWAL       AVEC    THIERRY LOPEZ
                                                                                — LA MANUFACTURE
                                                                                                                                                                                                  À      PARTIR   DU   4   SEPTEMBRE        À   PARTIR       DU     15     SEPTEMBRE          À    PARTIR            DU   8   SEPTEMBRE
                                                                            JUSQU'AU 14 JUILLET, À19H35—                                                                                                                                                                                    DU MARDI AU SAMEDI 21H - DIMANCHE 15H
                                                                                                                                                                                                  DU MARDI AU SAMEDI 21H - DIMANCHE 17H30   DU MARDI AU SAMEDI 19H - DIMANCHE 15H

                                                                                                                                                                                                 01 45 44 50 21
                                                                                                                                                                                                 75 bd du Montparnasse, 75006 Paris

ET NOUS COUPER POUR UN TEMPS DE NOS
                                                                                                                                                                                                 www.theatredepoche-montparnasse.com
8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
— LA GAZETTE DES FESTIVALS —
 12                                                                                    18 juillet 2018                                                                  WWW.IOGAZETTE.FR
                                                                                                                                                                                                                               1 — 26 AOÛT 2018
                                                                                                                                                                                                                       CRANS –MONTANA (SUISSE)
                                                                                                                                                                                                      PRÉSENTE
                                                       UNE COLONNE DE FUMÉE                                                                                                                                                 CIRQUEAUSOMMET.CH
                                                                                                                                                                                                      L’ÉVÉNEMENT DU
                                                                                                                                                                                                      NOUVEAU CIRQUE
                                                   EXPOSITION / MAISON DES PEINTRES JUSQU'AU 23 SEPTEMBRE
                                                                                                                                                                                                      QUÉBÉCOIS À LA              SPECTACLE SOUS CHAPITEAU
                       «"Une colonne de fumée" présente les travaux d’artistes et de photographes qui, de Diyarbakır à un ghetto d’Istanbul
               en passant par l’Anatolie centrale, racontent la Turquie d’aujourd’hui; un pays aux multiples facettes et aux contradictions apparentes.»
                                                                                                                                                                                                      MONTAGNE                    VILLAGE DU CIRQUE
                                                                                                                                                                                                                                  ATELIERS / ACADEMY
                                                                                 LE FEU AUX POUDRES                                                                                                                               ÉVÉNEMENTS SPÉCIAUX
                                                                                 — parJohanna Pernot—

Outre la froide exposition consacrée à l’humanité aug-           suggère le cartel. Les doigts triturent les pétales, fouillent   failles, ces lignes effacées de la culture et de l’histoire? Aux
mentée, la Maison des peintres accueille «Une colonne de        les recoins, et la rose en boucle renaît. Et le geste reprend,   étages, les images dévoilent des activités secrètes: com-
fumée», qui réunit sur trois étages de nombreux talents         comme un chapelet ou un tesbih qu’on égrène, ou comme            bats de chiens, rixes, mélange des corps. Sur des affiches
de la scène contemporaine turque. Artistique et dissidente       une torture qui jamais ne cesse. La répétition peut expri-       noir et blanc, les gros plans fragmentent nos perceptions
– sous l’ère Erdogan, depuis le coup d’État manqué de juil-      mer le deuil, mais aussi le combat. Dans la salle suivante,      – la brutalité kaléidoscopique de la nuit stambouliote. Cen-
let 2016, les deux sont quasiment synonymes. Comment             Ali Taptik rend hommage à l’acte de résistance des éditeurs      surée, elle aussi. Pourtant, face au pouvoir, les médias et
dire malgré la censure?                                         turcs qui, dans les années 1980, publièrent la décision de       les réseaux sociaux jouent un rôle croissant. Contre l’écran

À
                                                                 justice condamnant «Tropique du Capricorne», le scan-          de fumée de la dictature, la chaîne YouTube du collectif

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                PHOTOGRAPHIE : © CRANS-MONTANA TOURISME & CONGRÈS / OLIVIER MAIRE
             l’entrée, c’est sur une tornade de sable déme-      daleux roman de Miller, et par là même publièrent l’œuvre        140journos érige une multitude déchaînée d’écrans, qui dé-
             surée que bute le visiteur. La construction de      – les passages licencieux noircis au ruban adhésif. L’instal-    masque le tyran… La «Colonne de fumée» monte comme
             barrages lucratifs sur l’Euphrate, en accentuant    lation met en scène les pages biffées du livre, comme une        la colère. Mention spéciale à la vidéo de Halil Altindere, où

                                                                                                                                                                                                                                                        GRAPHISME : LES ATELIERS DU FACTEUR & FLORIAN PANZICA
             la désertification de l’Irak et de la Syrie, en-    partition à trous ou une mise en abyme rectangulaire, où         de jeunes Roms s’insurgent au son du hip-hop contre la
gendre des tempêtes au milieu du désert: «Une colonne          l’histoire se répète – les autodafés et les mises à l’index.     destruction de leur quartier, avec une ironie et une énergie
de fumée»… L’image liminaire place l’exposition sous le                                                                          folles. Un homme prend feu, on court avec les rebelles sur
signe de la catastrophe. Naturelle, mais surtout humaine.                                                                         les remparts d’Istanbul. Ils se font tirer dessus en dansant –
Rues, décombres, débris: les répercussions de la guerre à                          Mémoire collective                            heureusement, les héros de Sulukule sont immortels. Déci-
la frontière syrienne sont soulignées par la scénographie,                                                                        dément, cette «Colonne de fumée» explore des facettes de
qui exploite les murs délabrés. Pour Mehmet Ali Uysal, les       Preuve que, dans un pays où journalistes et écrivains sont       la Turquie complexes et poétiques. À l’instar des portraits
maisons deviennent cercueils de verre, où poussent des           arrêtés et condamnés, l’art permet encore d’exprimer vérité      de femmes de Nilbar Güres ou de la série «Le monde se
oliviers artificiels. À l’inverse, sur cette vidéo de Volkan     et liberté. Au mur, les zones noires se lisent comme autant      finira-t-il de jour?», qui s’attache à de minuscules détails, à
Aslan, il y a cette rose en gros plan qu’on lave à grande eau,   de ratures sur la mémoire collective – entre elles, la langue    des non-dits signifiants…
comme un rituel. Un acte de purification pour les morts,         minée par la censure éclate. Que se passe-t-il alors dans ces

                                 RENCONTRES D’ARLES
                                                       LE DERNIER TESTAMENT

                                                                                                                                                                                                                       S
                                                                                                                                                                                                               MA S E
                                           EXPOSITION JONAS BENDIKSEN / ÉGLISE SAINTE-ANNE JUSQU'AU 26 AOÛT

                                                                                                                                                                                                             LA DE RR
                                                                                                                                                                                                                    RE
                «"Le Dernier Testament" de Jonas Bendiksen se penche sur sept hommes qui, tous, prétendent être le Messie redescendu sur Terre.»

                                                                                                                                                                                                                   LA
                                                                                LE DERNIER TESTAMENT

                                                                                                                                                                                                           SA UE
                                                                                                                                                                                                                 ND
                                                                                 — par India Bouquerel—

Pendant trois ans, le photographe norvégien Jonas Ben-           conscience de «son identité christique» en 1979. Re-           lorsqu’il présente le Japonais Jesus Matayoshi, persuadé
diksen a parcouru la planète – du Brésil à la Sibérie, en        tranché dans un luxueux compound de la banlieue de               qu’il apportera le royaume de Dieu sur terre par un pro-

                                                                                                                                                                                                                G
passant par l’Angleterre, l’Afrique du Sud, les Philippines,     Brasilia, il propage désormais ses enseignements via une         cessus politique démocratique. Les photographies de
la Zambie ou le Japon – pour rencontrer des hommes qui           chaîne YouTube dédiée et diffuse chaque semaine ses              Bendiksen, organisées en série, dévoilent un Matayoshi
prétendent être le Messie. Avec «Le Dernier Testament»,        sermons sur Facebook Live. Qu’a-t-il de commun avec              qui harangue inlassablement ses compatriotes, perché
il livre l’une des expositions les plus enthousiasmantes des     Jésus de Kitwe, en Zambie, chauffeur de taxi, qui écrit          sur le toit de sa voiture, seul avec son porte-voix, face à
Rencontres d’Arles 2018.                                         ses révélations à la main sur des feuilles A4 pour les dis-      une foule indifférente. De cette exposition, on retiendra

C’
                                                                 tribuer au tout-venant, et qui est régulièrement passé à         enfin l’incroyable plasticité formelle et la beauté des pho-
              est pour «comprendre et explorer ce               tabac par des foules en colère ? Rien ou presque si ce           tographies de Jonas Bendiksen, qu’il consacre le kitsch
              que ressentent les gens qui croient» que          n’est la conviction profonde, depuis de longues années,          religieux de ses sujets, qu’il s’en distancie avec quelques
              Jonas Bendiksen, photographe de l’agence           d’être le Messie.                                                séries plus conceptuelles ou qu’il cède à la fascination,
              Magnum, s’est lancé dans la recherche de                                                                            avec des portraits intimistes tels ceux – magnifiques – du
ces Jésus réincarnés. Dans l’église Sainte-Anne – lieu                                                                            charismatique Vissarion, à la tête d’une communauté de
particulièrement approprié –, l’exposition s’organise en                       Explorer les limites de la foi                     5 000 personnes dans les forêts de Sibérie. Processions
sept chapitres, un pour chaque prophète qu’il a suivi.                                                                            dans la neige, veillées au coin du feu, bains dans des
Ce qui frappe le visiteur, c’est d’abord la qualité docu-        C’est ce critère – la durée et la sincérité de leur engage-      eaux glacées, repas partagés, les images de Bendiksen
mentaire du travail de Bendiksen. Il nous plonge dans            ment – qui a déterminé le choix de Bendiksen. Tous ces           deviennent alors presque féeriques, surnaturelles, reflets
le quotidien de ces messies autoproclamés et de leurs            nouveaux Jésus croient, et tous sont crus aussi puisqu’ils       des interrogations métaphysiques qu’elles semblent sus-
disciples. On découvre ainsi l’existence du brésilien            attirent à leurs côtés des dizaines, parfois des milliers de     citer chez le photographe. Et c’est bien tout l’attrait de
Inri Cristo, couronne d’épines sur la tête, toge blanche,        disciples. Remarquable aussi, la manière dont le photo-          ce «Dernier Testament»: explorer les limites de la foi
barbe respectable, qui se déplace sur un trône poussé            graphe s’est emparé de chacune de ces histoires, avec            religieuse au sein d’un monde qui doute mais qui semble
par de jeunes et belles apôtres. Inri a décidé de consa-         beaucoup de sérieux, de respect et de bienveillance              avoir désespérément besoin de rédemption.
crer sa vie à répandre la bonne parole après avoir pris          pour ses sujets. Avec beaucoup d’humour aussi, comme
8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette 8 Festival d'Avignon - #87 / Vandalem - Paugam - Allegret - Laujol -Chahrour - François - I/O Gazette
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