Fiction Nuit blanche - Érudit
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Document generated on 12/09/2021 8:41 a.m. Nuit blanche Fiction Number 79, Summer 2000 URI: https://id.erudit.org/iderudit/20827ac See table of contents Publisher(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (print) 1923-3191 (digital) Explore this journal Cite this review (2000). Review of [Fiction]. Nuit blanche, (79), 13–31. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2000 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
COMMENTAIRES F i c T i o N chanalyse, que l'on décrie pourtant si souvent. Si le pari de Leslie Kaplan était de mon- trer ce rapport de forces, car c'en est bien un - avec son cortège d'angoisses, de rêves et de défenses -, elle l'a gagné ! NICOLAS LE FILS DU NIL pour les garçons seulement, il Ce livre, à mi-chemin entre Mona Latif-Ghattas fera peindre une feuille accro- nouvelles et roman, dépasse lui Trois, Laval, 1999, chée à sa branche de l'arbre aussi les catégories déjà fixées. 195 p. ; 20 S généalogique. Nicolas devra Sylvie Trottier user sept paires de chaussures à Née en Egypte en 1946, Mona suivre Joe, avant de pouvoir Latif-Ghattas a quitté son pays l'épouser. Les fruits marquent LA MACHINE pour cette « terre d'érables et les saisons ; les oranges l'hiver, À DÉPLIER LE TEMPS de neiges » en emportant le Nil puis les abricots, les mangues Max Dorra dans ses bagages. Elle vit à et enfin, les dattes à l'automne. Flammarion, Paris, 2000, Montréal depuis 1966, très Après la mort de Nicolas, les 215 p.; 24,95$ présente parmi les écrivains. ouvriers de l'usine feront Ce texte a été écrit en 1979 et pousser leur barbe pendant Étrange, ce petit livre qu'on publié au Caire en 1985, à 40 jours. Il faut prendre le qualifie de « romans » sur la compte d'auteur, pour soutenir temps de lire lentement, de page de couverture. Pourquoi la construction d'une maison reprendre souvent le texte, de le pluriel ? Et pourquoi pas de retraite pour les aînés se laisser peu à peu pénétrer « récits » ? Au décousu d'une demeurés seuls, après l'émi- par les mots pour en saisir tout prose plutôt réussie s'ajoute, gration de leurs enfants à tra- le poids humain. en filigrane, un penchant vers le monde. Une cinquan- Monique Grégoire certain pour la psychanalyse. taine d'exemplaires avaient été Les thèmes évoqués tournent diffusés au Canada. En 1999, LE PSYCHANALYSTE autour de la mémoire, du les éditions Trois publient cette Leslie Kaplan passé - donc du temps -, de nouvelle édition du texte ori- P.O.L, Paris, 1999, l'angoisse à surmonter, des ginal, augmenté d'une courte 463 p. ; 34,95 $ peurs... Défilent également postface. C'est l'histoire d'une dans ces courts textes plusieurs lignée familiale, dont un fils Des personnages singuliers, personnages célèbres : Magritte, s'appelle Nicolas toutes les comme nous en sommes tous Gould, Mozart, Proust, Papon, deux générations. Après des en quelque sorte, un psycha- Céline et j'en passe ! jours florissants, l'avenir de nalyste à l'attention flottante, Une histoire d'amour, pré- l'Egypte bascule. Le roi Farouk avec ses « Oui ? » et ses texte à tous ces récits, les part vers l'Italie. Les Anglais « Mmm », une auteure qui appelle, les uns après les autres, quittent le canal de Suez. Les découpe son texte en un s'y intercalant. Chronique Israéliens font la guerre, on chassé-croisé de récits qui d'une liaison passée qui ne doit défendre les frères arabes. pourraient presque se lire nous apprend pas grand-chose Nasser décide de rendre le pays comme des nouvelles... bref, des protagonistes, si ce n'est au peuple et c'est la révolution. Le psychanalyste, troisième une partie de leur histoire par Les scellés sont mis sur les tome d'une trilogie, est un livre les textes qu'elle inspire. Un portes de l'usine de tissage de un peu long mais étonnant. Ce bilan ? Le testament d'un Nicolas ; elle appartient doré- que Leslie Kaplan arrive à amour ? « [U]ne lettre de navant aux ouvriers. Comme rendre, dans cet assemblage rupture et d'amour », nous beaucoup d'autres, la fille de peu commun de textes, c'est dit-on en quatrième de cou- Nicolas part vers un pays loin- l'unicité des êtres. Par petites verture. Une phrase peut d'une tain. Après la mort de Nicolas, touches, comme des séances certaine manière présenter le son épouse prend la relève de d'analyse bien ponctuées, elle On nous dit, dans ce roman projet - s'il en est un - de La l'usine. Elle rejoindra enfin ses nous donne à lire des tranches qui n'en a pas vraiment la machine à déplier le temps : enfants sur la terre des neiges. de vie qui, comme dans une forme, que la psychanalyse « Tels les contes des Mille et L'écriture de Mona Latif- psychanalyse ou un photo- est « de la pensée, rigoureuse, Une Nuits, les histoires se Ghattas est tout imprégnée de montage, nous montrent les dont l'objet ne se définit pas à trouvaient alors enchâssées poésie, le récit se développe personnages sous différents travers une distinction entre dans une autre narration qui comme une longue mélopée. Y aspects. Passablement diffé- des catégories déjàfixées,entre leur imposait des thèmes, leur reviennent de petites phrases, rents, Eva, Josée, Louise, normal et pathologique, entre dictait des mots, les enfermait que l'écho reprend comme un Jérémie, Edouard et les autres, santé et maladie, mais qui est dans sa tonalité. » Vu sous cet refrain lancinant. On découvre pourtant, se ressemblent. Ils l'inconscient d'un sujet unique angle, La machine à déplier le la patrie d'origine, ses coutu- cherchent tous, chacun à sa que le psychanalyste cherche à temps peut présenter un mes, comme autant de reflets manière, à vivre avec leurs rencontrer, dont l'enjeu de tra- intérêt. Déroutants, tout de de la douceur de vivre dans ce contradictions et à atteindre vail n'est pas la connaissance même, ces « romans » qui tien- pays. À chaque naissance, le cette part de soi qui peut d'un cas, mais le rapport d'un nent davantage des nouvelles père offre un bijou à la femme prendre les commandes et se sujet à sa vérité ». Voilà une que du roman proprement dit. qui le range dans un coffret ; diriger du côté de la vie. belle description de la psy- Car à l'ambiguïté du genre •U I T B L A N C H E . 1 3
COMMENTAIRES F I C T I O N s'ajoute aussi celle des per- urétral autorise la voix du sonnages qu'on connaît à sperme. Son poème, rigueur de peine plus à la fin qu'au début l'arc, peut alors énoncer une de la lecture. parole-glaire, ou serait-ce une Sylvie Trottier parole-larme ? Depuis si longtemps - depuis déjà Je en fait, il y a 35 ans - le poète à L'URINE DES FORETS jamais jeune creuse sa solitude Denis Vanier incandescente, sachant mieux Les Herbes rouges, que quiconque de quel Montréal, 1999, « sperme noir » il est tel Sade 83 p. ; 12,95 $ issu, aussi noir que les « étrons blancs » de la chambre de lecteur n'y croira -, Nikolai' Ne serait-ce que pour L'urine des forêts, c'est un femme dans laquelle il pénètre Dejnev use de démons et « cela », il faut lire ce Quatuor triptyque qui laisse géné- ici un instant furtif... d'anges, du ciel et de l'enfer astral, quitte à ne relire que reusement suinter les exsudats Puisque l'homme vit de ses pour brosser une histoire certains passages qui pour- les plus juteux dans le cres- tatouages, absolus infimes, d'amour et de haine - tragique, raient vous suivre toute votre cendo du rêve. Parce que la inscrits par Cain, la peau rouge il va de soi ! - unissant trois vie. pisse sent bon l'or et guérit aimante « percée / par les hommes et une femme à tra- Jean Pettigrew depuis la nuit des temps, il faut astronautes de Satan ». Marqué vers le temps, et dont les réin- la lire et la boire, gueule grande au fer du désir, le corps signe carnations successives et les ouverte sur soi. Ha ! Si vous par la justice indélébile l'ins- accointances surnaturelles RECITS SPORTIFS saviez comme elle coule, l'eau cription de son effacement. auront toujours à voir, il va Louis Hémon théologale, coude à coude avec D'où la conclusion du livre : sans dire, avec la grande mère Édition préparée, le sang, la morve, le pus et les « [0]n me filme pendant que Russie et son rejeton satanique, présentée et annotée glaires. j'écris : / il s'agit de la dispa- l'URSS. par Aurélien Boivin Quête enthousiaste du très- rition d'un corps. » Poète nu Or, malgré l'intérêt du style Guérin, Montréal, 1999, haut mal d'où nous provenons orné d'absence, suprême beauté - ironique, expansif, parfois 384 p.; 12,95$ peut-être, ce recueil de poésie du jour. tonitruant, voire exalté - , laisse tomber des pièces fécales, Michel Peterson malgré les élans poétiques Louis Hémon, on le sait, n'est précises, limites. Parfois infini- superbes et les nombreux pas- pas que l'auteur de Maria ment, parfois superbement sages où la lucidité pessimiste Chapdelaine. Ses Œuvres quétaine (Rabelais et Rimbaud QUATUOR ASTRAL de l'auteur sur les années complètes, réparties en trois dans le lit de Colette...), cette Nikolai Dejnev noires du bolchevisme ouvre volumes totalisant plus de écriture cherche à exister à Trad, du russe sous nos pieds de sombres 2 300 pages, ont été publiées partir de l'instant de la mort, par Christine abîmes d'angoisse, l'inutile par Aurélien Boivin de 1990 à de la vie de la mère, avec Zeytounian-Beloùs complexité de l'intrigue et le 1995. Du deuxième de ces trois l'extrême violence du cri Robert Laffont, Paris, 1999, difficile mariage du fantastique tomes, celui-ci extrait aujour- primai, volubile. L'image est 285 p. ; 39,95 $ et de la science-fiction - asso- d'hui les Récits sportifs, qui TOUT. Par exemple dans cette ciation inévitable compte tenu avaient fait l'objet d'une lettre, vulve sapide et bavante, La littérature russe, malgré les de l'ampleur du sujet - nous première édition en 1982. Ces adressée à Rina Lasnier : continuelles tragédies qui égarent dans des voies sans 53 textes ont pour la plupart « Goûte à cette cire des can- bouleversent le pays - ou peut- issue, des pages sans intérêt. Et été rédigés à Londres et publiés délabres / c'est l'érection de être justement à cause d'elles - pourtant... dans des périodiques français Dieu / qui se figera bientôt ». demeure l'une des plus riches Et pourtant demeurent les entre 1904 et 1913 ; une L'émeute braillarde de l'infini du monde. Réduite pendant grandes interrogations, les dizaine d'entre eux, dont respect et de la moiteur de plus d'un demi-siècle à sa seule pensées sublimes, et toujours quatre ont paru dans La Presse l'ironie. Le goût, vocation des fonction de glorification de la remarquable lucidité de de Montréal, furent composés sens, moyen de tuer la peur de l'idéal d'un parti, la voici qui l'auteur qu'il place trop sou- au Québec, où l'auteur était la chair par la langue, prodigue explose, fontaine prolixe que vent, à la manière russe, dans arrivé en octobre 1911. du double : « Prenez et mangez d'aucuns avaient, bien à tort, la bouche de personnages Comme le souligne à bon / car ceci est poison », poison cru asséchée pour toujours. imbibés de vodka. Or, tout droit Aurélien Boivin dans sa guérisseur, le sait-on assez ? Si Quatuor astral, de Nikolai « cela » n'est rien d'autre que présentation, c'est une véri- et seulement si glands et Dejnev, est un roman au pro- l'expression la plus pure d'un table philosophie du sport qui clitoris affluent à la peau. pos déroutant. Renouant avec esprit remarquable ayant se dégage de ces écrits. Lui- Chez Denis Vanier, écrire les grandes traditions fantas- souffert, beaucoup souffert, même adepte de la marche, de vient de l'expression « bander tiques de la littérature russe - d'une conjoncture historique la course à pied, de l'aviron et la queue et les yeux ». Chaque sans cependant délaisser le qui a occulté son peuple et sa de la boxe, Louis Hémon fois que s'amorcent des tra- réalisme scientifique ou qui se littérature le temps de trois croyait aux innombrables vaux et des jouirs, le canal veut tel, car pas une seconde le générations. vertus de l'athlétisme et de la N° 7 9 . N U I T B L A N C H E . 1 -*
culture physique : développe- sances géopolitiques, plus un d'éliminer coûte que coûte la ment harmonieux du corps, réel talent de conteur. Je n'irai première ministre indépen- endurance, souplesse, dépasse- pas par quatre chemins : dantiste du Québec qui pré- ment de soi, hygiène corporelle Louna est un excellent thriller pare un troisième référendum. et mentale... Il nous en distille de politique-fiction et d'es- Ce livre est le premier roman le détail à travers des réflexions pionnage, un roman d'action de Lionel Noël. Nous surveille- sur telle ou telle discipline trépidant que j'ai lu d'une rons attentivement les suivants. sportive, des commentaires sur seule traite. Mon agence de Norbert Spehner tel fait d'actualité, ou encore à renseignements personnelle, travers des récitsfictifsderrière qui a des espions dans tout lesquels se cachent volontiers Bouquinville, a découvert que LES FIANCEES DE des expériences personnelles. Lionel Noël serait d'origine LA MAIN SUR FRONTON Ailleurs le moralisme sourd du belge et qu'il réside au Québec OCRE ET CIEL AZTÈQUE texte lorsque le chroniqueur depuis une dizaine d'années. Gail Scott dénonce en douce les athlètes Son éditeur nous apprend Trad, de l'anglais qui ne pensent qu'aux hon- aussi qu'il fait partie des forces par Paule Noyart neurs, les snobs qui méprisent de l'OTAN stationnées dans les Leméac, Montréal, 1999, les sports sans les connaître, les Ardennes. Point n'est besoin 245 p. ; 24,95 $ paresseux qui préfèrent l'auto- d'être agent secret d'ailleurs mobile à l'exercice... Avec une pour constater que l'auteur nements et la succession de C'est un jeu auquel nous nous plume le plus souvent honnête connaît bien la politique morts violentes est compensée sommes tous livrés : se laisser et sur un ton où percent par- internationale, canadienne ici et là, l'espace de quelques aller, dans un lieu public, à de fois l'ironie et l'humour, et québécoise, qu'il traite paragraphes, par un humour libres associations au gré des Hémon est toujours attentif d'armements en expert, et qu'il bien dosé, qui émaille notam- visages, des odeurs ou des aux êtres humains mis en semble bien au courant des ment les descriptions de cer- bruits ; alors les souvenirs se cause et sait pénétrer leur activités de certains services de tains milieux montréalais. Et mêlent aux fantasmes et le psyché. On en oublie dès lors renseignements. Le style de puis la course contre la montre désir devient réalité. Une les coquilles qui apparaissent l'ouvrage est plus journa- reprend de plus belle, avec émission de radio fait resurgir ici et là et dont le texte de 1982 listique que littéraire, ce qui comme enjeu la traque de à la mémoire un parfum, un était exempt. En revanche, n'est pas un défaut, car on ne Louna, alias Vlad Simonescu, bruit rappelle un souvenir l'édition de 1999 est abon- s'ennuie jamais. La tension un ancien de la police politique d'enfance, un mot évoque un damment annotée et Boivin y créée par le tragique des évé- roumaine qui a pour mission paysage, un goût est associé à présente une bibliographie un corps. dont la troisième section, celle Ce deuxième roman de des « ouvrages généraux de l'écrivaine canadienne Gail référence », est pertinemment élaborée. Jean-Guy Hudon Ça Plume d'Oie Scott - le premier, Héroïnes, a été publié en 1987 et traduit en français l'année suivante - est É D I T I O N ainsi fait de digressions que l'auteure assemble, languis- LOUNA 199, des Pionniers Ouest samment, à la manière d'un Lionel Noël Cap-Saint-Ignace (Québec) GOR 1H0 patchwork. L'écriture est Éditions de Beaumont, « flottante », comme en Montréal, 1999, Téléphone et télécopieur: 418-246-3643 apesanteur, portée seulement 277 p. ; 24,95 $ par le regard d'une femme, Courriel : loplume@globetrotter.qc.co Lydia, qui, assise à la fenêtre L'hypothétique accession du d'un café de Montréal, observe Québec au statut d'État souve- les clients, leur invente une vie rain, après un référendum et se soûle d'impressions. De gagnant, est devenu chez nous Montréal à Kingston, d'Halifax un thème abordé dans des à Cuba, dans une chambre, sur romans d'espionnage ou de Il nous fera plaisir d'évoluer une plage ou au restaurant, on politique-fiction, avec plus ou croise des femmes, ses « fian- moins de succès d'ailleurs. votre manuscrit pour une cées », qu'elle a aimées, qu'elle Rappelons Le manoir vert aime ou qu'elle aimerait : (Loraine Lagacé, 1992), L'at- éventuelle publication. Nanette, May, Z, Norma Jean tentat (Pierre Pelletier, 1998) ou Cello et bien d'autres et surtout Trois jours en juin encore, que Lydia rêve les- (Steven Gambier, 1998), un biennes, et qui sont le fil thriller efficace, ancré dans conducteur de cette histoire où une certaine « real-politik », l'intimité des corps et du sexe absente des fantasmes indé- ouvre sur l'espace public. La pendantistes invraisemblables vie privée de Lydia et l'actualité des deux précédents. Ce sujet - celle de Cuba, des Inuits ou (S'Tofrfat&tiJéù' : â écoa/tv e é & teàfacJ de la langue française au pour le moins périlleux exige un sens aigu de l'extrapolation, Québec - se mêlent, offrant doublé de solides connais- un point de vue singulier, IUIT B L A N C H E -t S
COMMENTAIRES F i c T i o N dodécadigital. Loin de le servir, l'index supplémentaire qu'il porte à chaque main semble un signe du malheureux destin qui s'acharne sur lui, comme lorsqu'il se voit disqualifié dans un concours de dacty- lographie. Qui plus est, Ivan, politique parce qu'erotique et de Selena, de sa terrible des- l'amant de sa mère, appartient féministe, sur l'Histoire. cente aux « Enfers ». Sur un à une très vieille société secrète Un titre énigmatique pour plan strictement formel, le russe, les « Demi-Castrés ». un roman qui de façon her- procédé des « textes » dans le Respectant la tradition, il fait métique et décousue se pré- « Texte » n'a rien de fonda- donc procéder à l'ablation du sente comme une tentative de mentalement original ; il est, testicule droit de l'enfant et faire le récit d'un rêve. On a ici, employé intelligemment l'avale. C'est pourquoi, dès son d'abord du mal à entrer dans malgré une certaine lourdeur plus jeune âge, Dimo ressent cette fiction comme on a du propre à ce type d'approche une haine féroce contre tous mal à s'intéresser aux rêves des romanesque. les tyrans de la terre et se autres. Puis, peu à peu, on Gilles Côté promet de les éliminer (tout arrête de penser pour se laisser, un boulot !...). Avant de pas- tout simplement, griser. Alors ser à l'action, il nourrit son à son tour, on se prend à rêver. JESUS LE DIEU QUI RIAIT intellect (à douze ans, il a déjà Christine Zahar Didier Decoin lu Proudhon, Bakounine et Stock, Paris, 1999, Kropotkine) et entreprend des 319 p. ; 32,95 $ études pour devenir un parfait TROIS FOIS SEPTEMBRE assassin à la Skola Atentora, Nancy Huston Voilà un Jésus qui me laisse dans une école dirigée par nul Babel/Actes Sud, Paris, perplexe. Didier Decoin est un autre que le célèbre colonel 1999, 217 p . ; 11,95$ grand romancier dont j'appré- Dragutin Dimitrijevic, connu cie beaucoup les livres. Mais pour avoir été le fondateur et Écrit directement en français, pourquoi reprendre le récit chef de la Main Noire, mouve- ce roman de Nancy Huston évangélique dont on possède ment terroriste dont l'objectif nous parle essentiellement de déjà quatre versions cano- ultime était l'unification de la quête identitaire. C'est, on le niques à peu près concor- Serbie et de l'Herzégovine. sait, une avenue habituelle- dantes ? Pourquoi en récrire les Aussitôt sa formation ache- ment empruntée par la roman- moments les plus spectacu- vée, il est plongé dans l'action cière. Dans le cas qui nous laires : les noces de Cana, les et c'est alors que la déveine occupe, Solange Vauginas a en multiples guérisons, la ren- s'en mêle, le faisant systé- sa possession des documents contre avec la Samaritaine matiquement échouer dans (journaux intimes, carnets, (que le romancier ne peut chacune des missions rocam- cahiers, correspondances) ayant résister à la tentation d'éro- bolesques qui lui sont confiées appartenu à son amie Selena tiser), le jugement de la femme tout au long de sa ridicule Twick qu'elle a connue lors adultère, la découverte du carrière. Il rate Jean Jaurès tout d'un séjour d'études aux États- tombeau vide par Marie- aussi bêtement que l'archiduc Unis à la fin des années 1960. Madeleine, etc., sans rien y François-Ferdinand et Roose- C'était l'époque d'une contes- ajouter d'autre qu'une certaine velt. En clair, Dimitri n'est tation globale des valeurs de la insistance à souligner la figure jamais là où il devrait être au société occidentale et, surtout, idéale de ce sauveur si pro- moment opportun. Il devait de la guerre du Vietnam. fondément humain ? participer à la bataille de la Le roman a pour moteur la Justement, à la fin, et c'est Marne, il s'égare. Qu'il soit lecture que Solange fait à sa peut-être le but de l'opération, danseur dans un club, qu'il mère Renée - le temps d'un l'auteur a senti le besoin de participe à des mouvements de week-end - des textes hérités rallonger le récit évangélique revendications, joue comme de Selena. Ces derniers mettent par une scène où Jésus fraî- figurant dans Ben-Hur ou au jour des zones troubles chement ressuscité vient à la L'HOMME QUI TUA travaille pour Al Capone, la de l'existence de celle-ci et rencontre de ses disciples- GETÛLIO VARGAS même histoire se répète. d'autres protagonistes dans ce pêcheurs et leur prépare lui- Jô Soares À tel point que le livre en roman axé sur l'intériorité, la même le poisson grillé qu'il Trad, du portugais devient pénible. Jô Soares a quête de sens. La lecture, en partage physiquement avec par François Rosso beau être, comme le précise la révélant des aspects cachés eux, sur un rocher qui s'avance Calmann-Lévy, Paris, quatrième de couverture, une d'une vie, crée en quelque dans la mer. Une façon risquée 2000, 330 p. ; 29,95 $ star dans son pays, cette sorte l'obligation de se de relancer l'épineux débat sur renommée n'en fait pas pour redéfinir soi-même. la double nature de ce Dieu fait Nous sommes dans la pre- autant un bon romancier. À Ce livre, qui retrace le homme. Vraiment, les conver- mière moitié du XXe siècle. lire L'homme qui tua Getûlio parcours d'une courte vie, peut tis vont toujours plus loin que Dimitri Borja Korozec est Vargas, on se demande si on être perçu à la manière d'un les autres ! un anarchiste métis serbo- n'est pas tombé sur un guide roman d'apprentissage : celui Jean-Claude Dussault brésilien, polyglotte, gauche et Michelin qui aurait un défaut 7 9 . N U I T B L A N C H E . 1 «
de fabrication ou sur un mau- son appartement ; il n'a aucun vais manuel d'histoire de doute sur la nature du souffle niveau secondaire. J'entends qui anime encore le corps bien que l'auteur ne se prend inerte qui repose dans la pas au sérieux et qu'il circule chambre 505 du San Francisco entre les strates de l'histoire en Memorial Hospital. connectant des événements à £f si c'était vrai... n'est pas première vue sans rapports un grand roman au sens pour faire surgir des inédits classique du terme, mais il possibles de l'existant. Mais le retient l'attention et pique la farfelu et le bouffon dispa- curiosité. Il invite en outre à raissent sous le côté ronflant et aller au-delà des idées reçues et pédant, rendu insupportable à apprécier chaque seconde de par l'utilisation systématique vie qui passe : « Chaque matin, des trucs narratifs et des clichés au réveil, nous sommes cré- les plus éculés. Même si le dités de 86 400 secondes de vie recul ironique est souligné à pour la journée, et lorsque gros traits rouges, il ne fonc- nous nous endormons le soir il tionne pas et ce, pour une rai- n'y a pas de report à nouveau, son très simple : le narrateur ce qui n'a pas été vécu dans la ne fait pas confiance au lecteur journée est perdu, hier vient de et se croit obligé de désigner les passer. » événements après qu'il les a Marc Levy nous donne un racontés. Vieux réflexe de premier roman fort bien écrit fonctionnaire... Bref, on se et bien mené, qui se lit faci- croirait dans une des mau- lement. Au-delà de l'anecdote, vaises comédies de Hollywood il nous rappelle, sans verser MARC LEVY qui infectent malheureusement dans le genre mélo ou « leçon de plus en plus les écrans du de vie », que ce qui est incon- monde entier. Michel Peterson testable, c'est que la vie s'écoule, inexorablement, et Et si ET SI C'ETAIT VRAI... que les instants de vie passés ne reviennent jamais. Sylvie Trottier c'était vrai. Marc Levy Robert Laffont, Paris, 2000, 268 p. ; 26,95 $ PERSONNE N'EXISTE suivi de LA MORT Sur la couverture du livre, DES MOUCHES l'image un peu floue d'une Guy Perreault jeune femme dont le regard Tryptique, Montréal, 1999, nous interroge d'entrée de 81 p.; 15$ jeu : « Et si c'était vrai... » ? Marc Levy, architecte de L'auteur explore ici tout ce qui profession, signe ici un se rapporte à la finitude : la Et si premier roman qui n'a pas fini de faire parler. On sait que mort de l'individu autant que c'était vrai... celle de l'univers. Steven Spielberg en a acheté les Tout semble donc être sous droits, que le roman sera porté l'emprise de la déchéance et de au grand écran. Nul doute que la désolation. C'est la mémoire l'histoire rocambolesque con- du poète qui - comme toujours «De l'humour, de l'amour, des coctée par Marc Levy fera un - nous amène à une conscience rebondissements, des protagonistes bon film. aiguë de cette perte des signi- sympa ; tout est là pour faire un Victime d'un accident de fications que l'on croyait assu- malheur.» voiture, une femme tombe rées. Tout ce que comprend le Sonia Sarfati, La Presse dans un coma qui se prolonge. concept de « réalité » est, de Un cœur qui palpite, des pou- soi, attiré vers l'Abîme. Et la «Plus important que l'histoire, mons qui respirent, mais un mort va l'emporter sur l'en- toutefois, est l'esprit dans lequel elle corps inerte et le tracé plat chantement : « J'ai vu la terre baigne. Et il y a fort à parier que c'est d'un encéphalogramme font- avec des yeux plus neufs que cet esprit qui a complètement séduit ils pour autant de cette jeune ceux d'un enfant qui vient de naître. / Je l'ai vue avec les yeux Spielberg.» femme un être humain viable auquel on doit consacrer des d'un mourant ». Oui, il « est Jean Fugère, soins coûteux ? Une personne très dur d'être vivant », comme Journal de Montréal demeure convaincue qu'il faut l'a écrit quelque part William maintenir cette femme en vie, Burroughs. Arthur, qui habite maintenant Gilles Côté 7 9 . N U I T B L A N C H E . 1 7
COMMENTAIRES F i c T i o N L'AMOUR MALLARME Guy Moreau VLB, Montréal, 1999, 289 p. ; 24,95$ L'amour Mallarmé de Guy Moreau, récipiendaire du Prix LES ANNEAUX Aurions-nous par exemple su Robert-Cliche du premier DE SATURNE établir le lien entre l'essor de roman en 1999, est un roman W.G. Sebald l'art à une certaine époque de l'adolescence. J'irai même Trad, de l'allemand et la « culpabilité » des pro- jusqu'à dire, sans nécessai- par Bernard Kreiss priétaires de plantations qui rement vouloir être réducteur, Actes Sud, Arles, 1999, florissaient alors ; ou épiloguer un roman pour adolescents, 346 p. ; 34,95 $ longuement sur l'élevage des même si rien sur la couverture vers à soie, les hauts et les bas du livre ne le suggère. Quand on aborde Les anneaux de la pêche au hareng ; suivre Ce livre, qui raconte les de Saturne, il faut presque Conrad aux pires moments de déboires amoureux d'un ado- s'extraire du milieu ambiant, le la colonisation au Congo ? lescent surnommé Mallarmé mettre entre parenthèses, Cette façon de situer, de (parce que, dans sa jeunesse, oublier la fuite en avant de resituer les lieux et les événe- son bégaiement ressemblait au notre époque. Le narrateur, ments à la lumière de contextes crépitement d'une mitrailleuse marcheur infatigable, ce soli- changeants est séduisante et enrayée), est fascinant à bien taire, qui ne l'est jamais car il l'on serait tenté de s'y exercer. des égards. Se mettre dans la est habité par l'innombrable Ne serait-ce pas une belle peau d'un adolescent pour troupe des grands esprits que aventure, par exemple, que de raconter une histoire peut son auteur a fréquentés, crée partir un jour à la recherche de excuser une syntaxe défec- un monde avec son mouve- notre fleuve, de tenter d'en tueuse par moments, mais ment, sa respiration, ses saisir les apparitions multiples l'auteur, par ailleurs père de odeurs, ses sons. Petit à petit au cours des âges, d'en remeu- trois enfants, s'y glisse si bien nous emboîtons le pas au bler les berges au gré de nos que l'illusion semble parfaite. pèlerin d'un univers sans âge, histoires et mémoires, d'en La justesse des sentiments nous nous mettons à son pas, descendre ou remonter le exprimés par le narrateur nous presque au coude à coude avec cours avec les caboteurs et donne réellement l'impression lui, curieux de suivre ce regard autres bateaux de toutes tailles que c'est un adolescent qui qui pénètre la surface des cho- et de toutes provenances ? nous raconte son histoire. Par ses. Avec lui, se recréent des Pouvoir de la littérature ! contre, la psychologie cheva- paysages, des atmosphères, des Blanche Beaulieu leresque de cet adolescent, temps disparus, se relisent des cultures servira à alimenter nouveau représentant de réalités déposées par couches diverses situations cocasses, l'amour courtois rêvant déjà de successives le long des siècles. PAPA PAPINACHOIS que la jeunefilleconfiera à son peupler la terre de nouveaux Ce genre de randonnée à Claude Jasmin papa sous forme de lettres. occupants, a bien failli me travers des temps et des lieux, Lanctôt éditeur, Outremont, Chaque chapitre de Papa donner de nouvelles poussées qui est occasion de vivre et de 1999, 141 p. ; 16,95 $ Papinachois correspond à un d'acné. revivre le monde se construi- échange entre le père et la fille. Ce n'est tout de même pas sant et se défaisant, semble être LA PETITE PATRIE Proche de la chronique, ce dans un « meilleur des mon- la vie même, pour l'écrivain Claude Jasmin roman épistolaire se veut des » couvert de fleurs bleues qui en a créé le code. Mais Typo, Montréal, 1999, proche des réalités typiques de que ce Mallarmé évolue, mais à pour ceux qui sont devenus ses 141 p. ; 9,95 $ notre tournant de siècle : Windsor PQ, tout près de compagnons de route, c'est Lilianne communique avec Sherbrooke. La quatrième de une expérience, le partage Le roman touristique deviendra son père (resté en France) par couverture du livre nous d'une culture, immense, d'une peut-être une nouvelle ma- de longs messages transmis par apprend que Guy Moreau a réflexion, profonde, qui induit nière de décrire le pays, si l'on courriel, relatant ses impres- écrit l'histoire de cette ville et, un mouvement, une sorte en juge par l'attrait que ce sions de voyage, alors qu'elle fâcheusement, cela se vérifie d'entraînement. Magnifique, genre peut exercer auprès de découvre le Québec et surtout dans le texte. La recherche de cette prise de possession du l'auditoire et surtout des écri- la Côte-Nord, en compagnie la comparaison ou de la méta- monde dans la moindre de ses vains qui l'adoptent volontiers. de son amoureux. phore à tout prix, même à manifestations. On est tenté de Ce livre, le dix-neuvième de Papa Papinachois se lit celui de perdre en pertinence, partir à son tour à la recherche Claude Jasmin, raconte l'his- aisément. Malgré son titre insi- est trop systématique, encore des trésors dont on a raté la toire d'une jeune Française pide et sa couverture hideuse, que de très belles envolées, découverte par inattention ; assez loquace, Lilianne, qui, ce roman léger amusera bon particulièrement dans la par manque de culture aussi, comme tant d'autres de ses nombre de lecteurs. Autre- relation de la révolte ou du mal de moyens de reconstituer des compatriotes, se rend au ment, on pourra savourer la de vivre, ponctuent le récit : liens significatifs. Car il y a Québec pour voir du pays. Elle réédition de La petite patrie, « Ça me faisait peur de sortir. chez notre auteur penseur une tombe rapidement amoureuse publié en 1972, qui demeure Dehors c'était trop grand pour sensibilité imaginative, nourrie d'un Québécois de son âge qui, un modèle inégalé dans l'œu- moi, le plafond était trop haut, de connaissances, d'un savoir de surcroît, a du sang indien vre de Claude Jasmin. les murs trop loin. Me semblait qui multiplie les approches. dans les veines ! Ce choc des Yves Laberge que tout le dehors allait me N U I T B L A N C H E
COMMENTAIRES F i c T i o N passé. « Quelle est donc cette voix qui me parle ? Telle est votre question. » Cette voix n'a de cesse de semer la confusion quant à sa provenance - « [... ] ce n'est pas votre voix, à moins que ce ne soit votre voix [... ] » rentrer en dedans, que j'avais cela certains de ses titres anté- -, juxtapose des sens incom- plus de défense et que je rieurs : Le lait est un liquide patibles - « Comment, exis- pourrais craquer. » blanc, Après, Les voilà quel tant, n'avoir pas vu que vous Bref, un bon livre, qui ne bonheur. Annie Saumont nous n'existiez pas ? » -, construit réinvente rien, mais qu'on donne l'impression d'être en le « thème récurrent de l'ir- pourrait conseiller aux adoles- terrain connu, pour mieux réalité du monde » par un tissu cents ou à leurs parents qui nous faire basculer dans sa de réflexions au sujet des chercheraient à les compren- vision des choses par la suite. « apparences trompeuses », dre un peu mieux. Elle se sert de notre incrédulité de la littérature de fiction, Karl Poulin naturelle, de notre propension « [f]ictions pour entretenir la à tirer des conclusions hâtives, fiction baptisée ' réalité '[...] », comme le judoka recourt au de la vie et de la mort, de la NOIR, COMME poids de son adversaire pour vérité et du mensonge. D'HABITUDE mieux le faire chuter. Sa Roman à teneur philoso- Annie Saumont démarche a quelque chose de phique auquel Jérôme Élie a su Julliard, Paris, 2000, félin, elle se déplace en sou- insuffler une bouffée de légè- 152 p. ; 36,95 $ plesse, entre rapidement dans reté, grâce à un style poétique, le vif des sujets qu'elle aborde, à des jeux de mots et à un Rien n'est laissé au hasard dans épouse les méandres des habile suspense, L'homme qui cette écriture dépourvue d'ar- consciences narratives qu'elle pesait plus lourd nu qu'habillé tifice, qui tisse ses sujets sans investit pour traduire tantôt met à contribution les apti- que jamais un fil ne dépasse. l'hésitation, la peur, la colère, tudes ludiques du lecteur. Lire Annie Saumont, c'est en tantôt la détresse, l'injustice, Pierrette Boivin quelque sorte accepter de la tendresse. Toutes choses traverser un champ que l'on qu'Annie Saumont rend super- sait miné. Chaque phrase est bement. L'EVANGILE tendue comme un ressort, et Jean-Paul Beaumier SELON SABBITHA au moment où on s'y attend le David Homel moins, vlan, Annie Saumont Trad, de l'anglais nous décoche un coup droit en L'HOMME QUI PESAIT par Daniel Poliquin plein plexus solaire. PLUS LOURD Leméac/Actes Sud, Prenons cette nouvelle, NU QU'HABILLÉ Montréal/Arles, 1999, « Anniversaire », qui réunit le Jérôme Elie 333 p. ; 29,95 $ genre de personnages qu'af- La Pleine Lune, Lachine fectionne Annie Saumont : une 1999, 134 p.; 18,95$ « Tout ce qui était interdit est adolescente qui ne demande maintenant permis, annonça qu'à tout plaquer, à commen- Après Dieu en personne, Sabbitha. La transgression cer par sa mère qu'elle croit recueil de nouvelles, et La entraînera l'avènement d'une partie en cavale, et deux vieux morte du pont de Varole, ère nouvelle. » Voilà le pré- qui cherchent à être le moins roman, Jérôme Élie continue à cepte de l'évangile selon encombrant possible, à ne pas manier l'étrangeté et le sens du Sabbitha. Mais d'où vient donc porter ombrage à cette belle mystère. L'homme qui pesait à la jeune femme le pouvoir de jeunesse qui se croit tout plus lourd nu qu'habillé déchaîner les passions tout le permis. Avec pareille mise en raconte des fragments de l'his- long de la Côte du Salut ? situation, on guette inévita- toire d'un personnage énigma- recherche de sens, voire de Sabbitha a vingt ans, elle est blement le faux pas, la phrase, tique. Qui est donc cet homme clés. Dès l'exergue, bizarrerie : belle et sensuelle. Elle vient le mot qui trahirait le bon sen- dont la différence pondérale un passage en français, tiré de d'un village où on se méfie de timent et ferait s'effondrer la évoquée par le titre est attestée The Man who Is Heavier Naked la beauté, où « un homme [a] nouvelle sur elle-même. Et on par les scientifiques bien qu'ils than Dressed, ouvrage attribué intérêt à taire ses passions ». ne voit pas venir le coup. On la jugent impossible ? Que sait- à Olive Sacks, devient par la C'est pourtant là que Sabbitha revient en arrière pour mieux on de lui à part le fait qu'il a, suite un indice que « [l]es a été initiée à l'amour par apprécier la feinte, en se disant un temps, déstabilisé le monde choses ne sont pas ce qu'elles l'oncle Tommy. Quoique qu'on ne nous y reprendra pas, avec son invention, Verity, ma- semblent ». Après le prologue, bourrelé de remords, celui-ci alors qu'on souhaite précisé- chine à détecter les mensonges, une voix narrative en vous - lui « faisait régulièrement ment l'inverse en attaquant la à débusquer les hypocrisies qui confère une sonorité parti- l'amour [...] à la lisière des nouvelle qui suit. sociales et à en mesurer la culière à la narration au passé : champs, sur les berges de la Le titre du recueil, Noir, gravité, au seul son de la voix ? « Aussi vous tûtes-vous » - rivière Sandspur », jusqu'à ce comme d'habitude, illustre Si l'histoire étonne, c'est la s'adresse à l'homme qui vient qu'il déguerpisse au premier bien la démarche d'Annie narration surtout qui entraîne de mourir au volant de son bruit de scandale. Sabbitha, Saumont, et nous rappelle en le lecteur dans une incessante bolide et lui rappelle son elle, violait allègrement le N U I T B L A N C H E
tabou, se disant : « Si j'ai envie des Navahos. Frédéric Jacques [...], ça ne peut être mal. » La Temple parle des retrouvailles fuite de T o m m y le lui fait avec la terre et les humains. considérer « comme un pleutre Il revient à Santa Fe, au bavard, incapable de la moin- Nouveau-Mexique. C'est une dre originalité ». Libre à la vraie « terre d'enchantement », mort de ses parents, elle quitte une sorte de Grèce hispano- son village, sans destination américaine. Ici, les courbes de précise, avec une seule idée en l'histoire se retrouvent dans la tête : exercer le pouvoir que lui magie des symboles. Frédéric d o n n e n t sa beauté et son Jacques Temple évoque ainsi audace. Nathan Gazarra, le les sommets tabulaires de la vieux colporteur juif qu'elle Black Mesa : « Souvent j'ai cru r e n c o n t r e sur une r o u t e voir, au milieu des danseurs déserte, lui en fournira les empanachés de plumes, Achille moyens. L'idée de changer le ou Hector parés pour le com- S T É P H A N E - A L B E R T BOULAIS monde tourmente l'immigrant bat : souvent j'ai croisé Nausi- juif depuis son plus jeune âge. caa, ondulante et brune, à la J E T'AIME, ABIGAIL ! Aveuglé par l ' a m o u r que jambe un peu lourde, puisant ( r o m a n du b i c e n t e n a i r e de Hull) Sabbitha lui inspire et par de l'eau à la citerne avec la l'emprise qu'elle exerce sur les jarre polychrome semblable habitants de la Côte du Salut, il à celles de Mycènes ou de BLISSE - LE CYCLE DES voit en elle le messie dont il Cnossos. La vigne et l'olivier AMOUREUSES espérait tant la venue. Sa rejoignent le maïs, p o r t e u r (contes romanesques) mission ? Détruire l'ancien d'une civilisation stoppée dans monde pour rendre possible son élan, pétrifiée dans son l'avènement du nouveau. Le silence. » Il y a là tout à la fois BLISSE - LE CYCLE DES colporteur se fait prophète. une découverte et une recon- Q u a n t à Sabbitha, elle se naissance : celle du plus grand, CONTEURS découvre « un talent insoup- de l'infïniment grand, de ce (contes romanesques) ç o n n é p o u r le t h é â t r e ». moment ultime où il se lève, L'ignorance, la naïveté, les calme, à la croisée sablonneuse désirs frustrés de l'arrière-pays et argileuse des étoiles de nuit étasunien lui fourniront l'oc- et des sueurs de jour. casion d'exercer son pouvoir C'est donc à l'occasion d'un jusqu'à plus soif. festival D.H. Lawrence que JEAN-PAUL FILION Les premiers chapitres du Temple retourne dans ce pays roman fascinent, mais l'in- qu'il avait déjà arpenté vingt LES C O N T E R I E S trigue s'enlisant, la deuxième ans plus tôt. Il y est accueilli DE J E A N - B E L moitié déçoit. Le t h è m e de par Witter Bynner, un poète (contes) l'œuvre, le style remarquable et octogénaire qui fut l'un des le ton incisif de Homel, on ne amis du romancier anglais. Il y peut mieux servis par la tra- rencontre également, parmi f duction invisible de Poliquin, d ' a u t r e s superbes visages, rachètent cependant le scé- Oliver La Farge, le célèbre lati- ABDELHAK SERHANE nario quelque peu répétitif des niste et défenseur des Indiens, LE SILENCE EST transgressions de Sabbitha et qui devient un peu comme son de ses disciples. mentor. Bref, nous suivons les DÉJÀ T R O P TARD Pierrette Boivin traces d'un pèlerinage con- (poésie) duisant à une sorte d'éveil. Chaque pas qu'il fait, chaque RETOUR A SANTA FE événement auquel il assiste Frédéric Jacques Temple sont p o u r lui l'occasion de Proverbe, Marchainville, retrouver un peu de l'harmo- 1999, 39 p. nie universelle. C'est ainsi que L A MAISON DE LA POESIE, la cérémonie du sand-painting, Un livre de voyage sobre, une le Thanksgiving, les musées, les DES CONTES, DES LEGENDES, écriture mesurée. Un poète églises, les danses et Taos parle, s i m p l e m e n t , du lien Pueblo, tranquillement assis entre le Rio Grande et les mon- DES FABLES ET entre son corps et un environ- n e m e n t m y t h i q u e , de cette tagnes, invoquent ensemble les relation énergétique qui réunit esprits que Lawrence lui-même DES ÉCRITS IN :IMES dans un m ê m e temps fixe, c o n v o q u a i t lorsqu'il vivait cosmologie de la promesse, si dans cette région o u v r a n t bellement figurée par la photo sur la vastitude incarnée du VOYEZ T O U S LES DETAILS DANS NOTRE SI [1 W I II. de couverture qui donne à voir désert. Shiprock, la montagne sacrée www.hautes-terres.qc.ca Michel Peterson IUI I B L A N C H E
COMMENTAIRES F i c T i o N LE PORTIQUE soudainement plongé. Le Philippe Delerm propos de Philippe Delerm Du Rocher, Monaco, 1999, demeure ici le même : illustrer 187 p.; 19,95$ la fragilité du bonheur, mais sous l'angle de la perte, de Philippe Delerm a écrit de fort l'incapacité, d'une façon qui belles pages sur le bonheur nous fait davantage sourire que (voir à ce propos Le bonheur, nous apitoyer sur le sort du Tableaux et bavardages publié pauvre Sébastien qui cherche à chez du Rocher), rappelant à alléger le poids de ses inquié- tudes existentielles. juste titre qu'il s'agit avant tout d'une prédisposition à être Et le titre dans tout cela ? Je C'est que, dans ce livre où CHEZ MOI présent aux petites choses qui vous dirai seulement que les « intrusions » - des passages Geneviève Robitaille meublent notre quotidien, et Sébastien, en bon professeur permettant de voyager instan- Triptyque, Montréal, 1999, sans lesquelles ce même quoti- de lettres, s'efforce de mettre tanément d'un monde à l'au- 142 p.; 17 S dien ne revêtirait que l'enve- en pratique la maxime de Vol- tre, mais où le voyageur ne loppe d'ennui et de banalité taire : pour apprécier cédrats peut rien amener, pas même Sous-titré « récit », le premier dont on l'affuble trop souvent. confits et pistaches, il faut son corps - sont légion, Extra- livre de Geneviève Robitaille Le bonheur, pour Philippe cultiver son jardin. Et ne pas terrestres et Terriens se ren- est présenté de façon insistante Delerm, réside avant tout dans bouder son plaisir. contrent, au départ, sans fracas par l'éditeur comme ayant cette capacité de goûter chaque Jean-Paul Beaumier technologique, sans déploie- un rapport très étroit avec la instant, comme il l'a si bien ments de paranoïa ou de vérité. L'œuvre est « terrible- illustré dans La première haine, et qu'une bonne partie ment autobiographique », gorgée de bière et autres plaisirs BEANTES PORTES de l'histoire se passe à la cam- affirme en effet la quatrième de minuscules, dans cette volonté DU CIEL pagne, en pleine savane texane, couverture, elle a été écrite de freiner le fol empressement Robert Reed loin de toute grande ville. De « avec un souci obsessionnel qui rythme nos journées, de Trad de l'américain plus, lorsque nous abordons d'authenticité ». « Tout est capter ces instants d'éternité par Bernard Sigaud les mondes extraterrestres, vrai », y dit-on encore deux avant qu'ils ne s'évanouissent Robert Laffont, Paris, 1999, c'est aussi dans des familles fois. La dédicace et l'exergue sous nos yeux. Il n'y a ici nulle 351 p. ; 42,95 $ que nous aboutissons, certes initial participent de même de recette, mais une invitation déconcertantes, « autres », ce discours à véracité arborée. à s'arrêter et regarder la vie La presse étasunienne a mais où le sentiment est Chez moi raconte le présent autour de soi, les enfants qui souvent rapproché Robert décuplé. mais surtout le passé de jouent dans la rue, l'être aimé Reed du regretté Theodore Le roman Béantes portes l'auteure-narratrice Geneviève- dont la silhouette se découpe Sturgeon. Il est vrai que, tout du ciel est la suite de Voile Marie Robitaille, affectée dans une lumière de fin de comme son illustre prédé- terrestre, mais il peut se lire depuis plusieurs lustres d'ar- journée, l'opinel qui épouse cesseur, Robert Reed a cette indépendamment. De fait, il thrite rhumatoïde et de demi- parfaitement le creux de la volonté de parler plus de propose ni plus ni moins que cécité. Maintenant installée main. « Harmonie » semble l'humain que de la technologie la même histoire, mais vue par dans un appartement donnant être le mot clé chez Delerm. Ce qu'il utilise, de mettre l'accent des personnages différents. sur les plaines d'Abraham, à que le narrateur de son dernier sur les personnages plutôt que Dans la première mouture, Québec, l'héroïne fait défiler roman résume ainsi : « Il avait sur l'« idée » - si chère et si c'est un personnage humain des souvenirs familiaux de tous toujours senti en lui à la fois centrale à toute littérature de qui est accentué - Cornell ordres, parmi lesquels percent cet accord avec les choses de la science-fiction - qui soutient Novak, présent dans les deux ceux qui se rattachent à la vie et la possibilité de prendre l'intrigue. romans. Dans le livre qui nous figure aimée du père, mort avec elles la distance nécessaire Or, si Reed ne déroge pas intéresse ici, l'histoire est vue d'« éthylisme aigu » à 40 ans. pour les goûter en spectateur. » dans Béantes portes du ciel à principalement par les yeux Sont rappelées également les Mais qu'advient-il lorsque cette manière et qu'il raconte d'une extraterrestre, une repré- années de formation scolaire, cet accord se brise, lorsqu'on se avec beaucoup de tendresse le sentante des Infimes - Po-lee- les vacances d'été à Montréal voit soudain en butte à cette destin de quelques personna- een, alias Porshe, devenue la ou à Sainte-Luce-sur-Mer, la « espèce defragilitédésagréable ges extraterrestres issus d'une compagne de vie de Novak. progression de la maladie, la et vaine » qui oblige à conju- race étonnante, les Infimes, consultation des spécialistes... Amour, tendresse, dépayse- guer le bonheur au passé ? j'ai tendance, pour ma part, à D'autres événements externes ment et conception audacieuse, Qu'advient-il lorsque faire la l'associer à un autre grand contribuent aussi à l'authen- quatre éléments primordiaux queue chez le boulanger s'a- disparu du genre, Clifford ticité annoncée. dans l'écriture de Robert Reed, vère au-dessus de nos forces ? Simak, dont plusieurs se rap- autre maître de cet art remar- C'est sous le signe de la Voilà le tourment dans lequel pelleront les chefs-d'œuvre, quable qui consiste à élargir, maturité affective et de l'accep- Sébastien Sénécal, 45 ans, Demain, les chiens et Carrefour encore et toujours, les horizons tation lucide d'une situation professeur de lettres dans un des étoiles, pour n'en citer que de l'imaginaire humain. pour le moins inconfortable collège de province, se trouve deux. Jean Pettigrew que Geneviève Robitaille a -79 . •I T B L A N C H E . 2 8
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