La Co-narration religieuse du Corona - Raja Sakrani - Recht als Kultur

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The Corona Crisis in Light of the Law-as-Culture Paradigm
                           http://www.recht-als-kultur.de/de/aktuelles/

                       La Co-narration religieuse du Corona
                                         Raja Sakrani

À l´aube de 2020, chacun poursuivait sa course : hommes de pouvoirs et citoyens sans pouvoirs,
géants de l´économie et petites gens sans le sou, guerriers et réfugiés, destructeurs de la planète
et défenseurs des couleurs et des odeurs, de tout ce qui bouge encore dans l´univers du vivant.

Alors que les machines et les machinistes s´activaient de plus belle - au quatre coins du globe -
quelques récits vagues provenaient de Chine. Un virus inconnu se présente comme mystérieux,
insaisissable et « peut-être » dangereux. Soudain, c´est à peine que le nouveau protagoniste
prend une dimension globale et se propage à la vitesse de l´éclair, que tout s´est arrêté net. On
se croyait incapable de freiner, de stopper les mécanismes installés et les plaques tournantes
sans répit. Individus, familles, institutions et États s´arrêtent d´un coup, comme par magie
inimaginable. C´est que la fin de la deuxième guerre mondiale est loin, et que l´Homo Sapiens
se croyait déjà invincible, maître dans son contrôle des terres et des cieux, des morts et des
vivants.

Seulement, le voilà détrôné par un virus virulent qui frappe fort jusqu´à la mort, et qui s´attaque
au delà du corps humain et ses fonctions vitales, au corps social dans son ensemble. Un
disfonctionnement phénoménal a eu lieu. Le rapport du soi à l´autre est plus que jamais
interpellé. Les institutions « qui pensent », communiquent, organisent et coordonnent, sont
désorganisées, débordées, catastrophées. De l´hôpital à l´école, de l´université au tribunal, du
ministère à l´usine, de l´aéroport à la base militaire…tout, absolument tout, est désormais
déstabilisé et affecté.

Situation incroyable ? Pas tout à fait, et l´histoire de la médecine le prouve. L´œuvre de
globalisation réalisée par les virus est connue depuis que l´humain est frappé par les épidémies
tout au long de son histoire. Néanmoins, une différence de taille s´est imposée avec le
Coronavirus. On a vu que la réaction de chaque État, de chaque société en fonction de son
économie, de son système de santé et de sa culture varie sensiblement. De Trump et ses
électeurs qui accusent l´hystérie médiatique et le complot « viral » des démocrates et de la
Chine, à Macron qui active son lexique de guerre, aux orthodoxes religieux – toutes tendances
confondues – qui bradent les mesures de confinement et implorent l´intervention divine pour
éradiquer le virus diabolique ; partout, l´effervescence psycho-sociale semble à son comble et
la capacité du Corona à déjouer les narrations nationale ou globale est assez stupéfiante.

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Ironie de l´histoire, au bout de quelques semaines seulement, médecins, infirmières et aides
soignants qui manifestaient ou démissionnaient en masse pour se battre contre l´application des
lois du marché à la santé, et les conditions indignes de leur travail, se transforment aux héros
des nations. Quand à la politique, elle se voit obligée de changer son discours, de justifier auprès
des juristes et des gardiens des constitutions la mise en cause des droits fondamentaux,
l´intervention de la police et de l´armée pour faire respecter les limites imposées aux libertés.
Plus encore, la légitimité de la narration politique semble parfois perdue entre les spécialistes
des épidémies et les professionnels de la science.

Sommes-nous en face d´un mode de narration qui éclate ? Et si c´est oui, pour aboutir à quel
nouveau mode narratif ?

En plein discours sur l´après Corona qui ne sera certainement pas celui d´avant, sur la normalité,
le retour à la normale ou même la formule du « neu normalität » qui revenait en boucle dans la
bouche de certaines personnalités politiques allemandes, qu´adviendra-t-il de notre narration
individuelle et collective ? De notre identité culturelle d´après le Covid-19 ? Seront nous plus
égoïstes ou plus solidaires ? Plus consommateurs ou plus protecteurs de la nature et de la vie ?
Plus narrateurs par nous mêmes ou plus les esclaves des géants de la nouvelle communication
et des machines qui fabriquent les récits et formatent les esprits ?

Albert Camus, le savait déjà en 1941, en pleine deuxième guerre mondiale, fascisme européen
et colonisation brutales des pays arabes africains, lorsqu´il écrit : « Mais une fois les portes
fermées, ils s’aperçurent qu’ils étaient tous, et le narrateur lui-même, pris dans le même sac et
qu’il fallait s’en arranger. (.…) La peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus de destins
individuels, mais une histoire collective qui était la peste et les sentiments partagés par tous ».
Car, une épidémie n´enferment pas uniquement les individus chez eux, elle les contraints à
suspendre l´expérience communicationnelle de sentir ensemble, déguster ensemble, se
regarder, se toucher et surtout parler ensemble. Le Corona frappe les corps, mais aussi la parole.
La narration collective se voit, donc, contrainte de s´arrêter, ou de se métamorphoser.

En plein confinement qui s´est généralisé partout dans le monde, le combat contre le nouveau
virus s´est vu obligé de quitter les espaces hospitaliers pour prendre une autre couleur : celle du
combat spirituel.

Sacré mois d´avril !

Toutes les grandes fêtes monothéistes étaient au rendez-vous : Pâques pour les chrétiens
catholiques, protestants et orthodoxes, pâque juive, et le ramadan qui s´annonce pour la dernière
semaine d´avril. Coronavirus et mesures de confinement obligent, les messes, les célébrations
et les prières ont été annulées et remplacées généralement par d´autres formes de
communication digitale. L’image du pape marchant seul pour rejoindre l’église San Marcello,
au centre de Rome, et transmise au monde entier, avait touché les âmes et marqué les esprits :
du jamais vu. Deux semaines plus tard, il prie seul, en plein milieu de la place Saint-Pierre,
déserte et désolante. À Jérusalem, pour la première fois en plus d'un siècle, le Saint-Sépulcre
est fermé durant le weekend pascal. L´histoire communale d´une religion, des groupes ou des
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individus croyants se dessine, ainsi, depuis les chambres et les espaces privés, depuis des récits
fragmentés et disparates, mais qui se rejoignent pour tisser une co-narration collective. Co-
narration, ou presque. Car ces limitent et ces privations d´une sociabilité religieuse « normale »
n´ont pas été du gout des courants plus fondamentalistes comme les ultra-orthodoxes chrétiens
et juives, les évangélistes et les extrémistes musulmans. Une contre co-narration s´est alors
profilée. Pendant le week-end pascal, le curé de la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet à
Paris, a organisé une messe nocturne ouverte. Sur le site de la paroisse un message incitant à la
présence physique a été adressé aux fidèles: „la retransmission vidéo de la messe dominicale
ne remplace ni ne dispense de l’obligation d’assister physiquement à la messe pour ceux qui le
peuvent“. Pour les chrétiens orthodoxes, et hormis une majorité qui a suivit les offices à la
maison, des résistances de certaines autorités aussi bien religieuses que politiques ont été
observées au Belarus, en Géorgie ou en Ukraine. Le journal Le Monde avait déjà relaté qu´au
mois de mars, le chef de la laure des grottes de Kiev a appelé les fidèles à „se précipiter dans
les églises“. Rien d´étonnant, si ce lieu de culte est devenu un des importants foyers de
contamination avec près d’un cinquième du total des contaminations à Kiev.

Un schéma similaire se reproduit pour les festivités juives. En Israël, où la totalité des lieux de
culte des trois religions monothéistes sont fermés, une polémique s´est désormais déclenché en
divisant les rabbins. Le débat Durkheimien sur le profane et le sacré retrouve légitimement sa
place ici. Le problème n´est autre que celui de savoir si: l´utilisation d´une application de
visioconférence pour permettre à la famille de se réunir autrement pourrait substituer les
communions collectives. Certains rabbins n´ont pas trouvé une difficulté à s´adapter à une
situation d’urgence en acceptant le recours à ce medium pour célébrer la fête. Le grand rabbinat
d’Israël s’est, toutefois, opposé. Selon lui, il est hors de question de « profaner » un jour sacré.

Il va sans dire que le confinement imposé en Israël a été très compliqué à mettre en place chez
les ultra-orthodoxes. Ceux-ci comptent pour 50% des malades atteints du Covid-19 alors qu'ils
ne représentent qu'environ 10% de la population israélienne. Certains d’entre eux sont aussi très
religieux et ne font absolument pas confiance en l’État d’Israël. La seule autorité à laquelle ils
se réfèrent est le rabbin. Le 17 mars dernier un mariage ultra-orthodoxe a réuni plus de 120
personnes dans le quartier de Beth Shemesh à Jérusalem, défiant ainsi les règles de confinement.
Quelques jours plus tard, c’est à Bnei Brak, près de Tel Aviv, que des centaines de personnes
se sont rassemblées pour les funérailles d’un rabbin.

Bien évidemment, de telles attitudes ne se justifient pas toujours par des motifs proprement
religieux. Le premier Ministre britannique Boris Johnson est tombé malade lui aussi du Covid-
19, après avoir affiché au début de la pandémie un comportement négationniste en refusant les
mesures de confinement, et en prônant un récit narratif qui consiste à favoriser le renforcement
du système immunitaire en s´exposant au virus. Une politique qui s´est volée en éclat suite à la
multiplication rapide des personnes contaminées et des victimes décédées. Néanmoins, c´est la
trame narrative et l´argumentaire déployé qui fait la différence. Ainsi, le ministre de la santé
israélien, l´ultra-orthodoxe Yaakov Litzman, avait déclaré dans une interview le 19 mars :
"Nous espérons que le Messie arrivera avant Pâques (...). Je suis sûr qu'il viendra nous sauver,

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comme Dieu nous a sauvés pendant l'Exode d'Égypte". Il est tombé lui-même malade après
avoir participé à un culte le jour de shabbat malgré la fermeture des synagogues.

L´argument messianique juif, prend un autre détour ailleurs. Chez les évangélistes, tout comme
chez beaucoup de musulmans, il s´agit plutôt de forces diaboliques qu´il convient de combattre
autrement que par la médecine. Remarquons au passage, que si l´une des spécificités majeures
de l´islam est l´absence de clergé capable de prendre en main la régulation normative cultuelle,
l´évangélisme ignore à son tour toute régulation : chaque pasteur détient pratiquement son
propre « pouvoir déontique ». Aux Etats-Unis, où les évangélistes représentent un soutien
incontournable de Donald Trump, les exemples ne manquent pas. En Floride, le pasteur
évangélique Ronald Howard-Browne, a été arrêté pour avoir célébré plusieurs messes avec des
centaines de fidèles en faisant fi des mesures de confinement. Il a accusé les médias de susciter
"la haine et l’intolérance religieuse", au moment où les églises, estime-t-il, représentent un
moyen de lutte essentiel contre les pouvoirs diaboliques du Corona. Du diable au charlatan,
l´écart n´est pas loin. C´est ainsi que le richissime Kenneth Copeland, l’un des télévangélistes
les plus riches, a promis sur sa chaîne de télévision, qu’il pouvait guérir le Coronavirus à travers
l’écran, il suffit de poser sa main sur le téléviseur ! L´ami politique et évangéliste, le Brésil,
n´en manque pas non plus de narration anti-diabolique. Jair Bolsonaro, président d´extrême
droit, soutenu par les évangélistes lors de son élection, n´a même pas hésité de publier un décret
pour inclure les églises évangélistes dans la liste des secteurs essentiels ne pouvant être touchés
par les mesures de confinement. Début avril, il proposait de mettre en place une journée de
jeûne religieux pour "délivrer le Brésil du mal" du Corona. Silas Malafaia, à la tête de l’une des
églises les plus importantes du pays, avait d’abord déclaré : "Mes amis, ne vous inquiétez pas
à cause du Coronavirus. C’est une tactique de Satan, il s’alimente de la peur". Sa narration
aussi, d´ailleurs.

Hors des lieux de cultes, certains musulmans en Égypte (Alexandrie), au Maroc – et même à
travers une tentative avortée en Tunisie – sont sortis dans les rues invoquant la grandeur du tout
puissant (« Allah aqbar ») pour éradiquer le virus en faisant usage d´une formule puisant dans
le lexique théologique : « li´raf `i balā al-corona ». Un jeune égyptien activiste de la société
civile avait commenté avec humour noir le non sens de la manifestation nocturne à Alexandrie
en insistant sur l´irrationalité et l´ignorance d´hommes qui se tiennent par la main au lieu de
respecter la distance recommandée et rester chez eux. « Pensez-vous – leur a demandé – que le
virus aura peur de vous ? Qu´il vous épargnera lorsque vous vous tenez par la main parce qu´il
s´arrêtera de se propager le soir, par exemple ? ». Le cafouillage total dans l´esprit de beaucoup
de musulmans à travers tout le monde arabe et la non différenciation entre le politique, le
religieux, l´économique, le sanitaire, etc., réduit leur récit narratif sur le corona à une sorte de
caricature macabre et témoigne d´un profond traumatisme collectif lié non seulement aux
épidémies depuis des siècles, mais à tout irruption de l´ennemi extérieur. C´est à juste titre que
le jeune activiste les interpelle en leur demandant à travers les réseaux sociaux : « Pensez vous
qu´il s´agit de la compagne française de Napoléon ou de l´occupation britannique ? Il ne vous
manque plus qu´à crier :« yasqut, yasqut hukm al-vayrus !» (« à bas, à bas le pouvoir du
virus !») un slogan que les manifestants égyptiens usent et abusent depuis le soulèvement
populaire contre Mubarak, Mursi et même le président al-Sisi.
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Drôle d´ambiguïté normative dans cette narration islamique. Mais le politique n´est pas le seul
à s´identifier au religieux. Ou l´inverse. Le scientifique aussi. Rappelons qu´en Iran, le pays
musulman le plus touché jusqu´à présent par l´épidémie, le débat n´a pas tardé d´agiter les
autorités religieuses. Certains leaders religieux n´ont pas hésité à placer le religieux au-dessus
de toute normativité, même celle de la science médicale. L’universitaire et théologien de la ville
sainte de Qom, Moshen Alviri, a déclaré que ce "débat historique entre juristes musulmans
remonte aux premiers temps de l’islam". Il a bien évidemment raison. Sauf que la question
passionnante à laquelle il n´a pas répondu : pour quelle raison les interférences et ambiguïtés
normatives dans des sphères viscéralement différentes l´une de l´autre, continuent d´être si
actives au jour d´aujourd´hui ? Pourquoi la narration religieuse doit imposer sa logique à la
narration politique ou médicale par exemple ? Dans le sillage de cette interrogation, un
ayatollah de Qom, avait déjà appelé les pèlerins depuis le mois de février, à se rendre à la
mosquée qu’il qualifiait de "maison de guérison". Rien d´étonnant ensuite, si le 17 mars, les
confrontations éclatent entre la police iranienne et des fidèles qui voulaient absolument visiter
deux mausolées saints, ou si des chiites en Iraq visitent mausolée al-qādhim malgré les mesures
gouvernementales interdisant les rassemblements.

En cela, l´islam chiite n´est pas isolé. L´islam sunnite lui aussi, invente sa propre narration.
D’une manière générale les autorités religieuses se sont conformées aux décisions politiques en
matière de lutte contre la pandémie. Un symbole : la mosquée de la Mecque est déjà fermée
depuis début mars. Le pèlerinage prévu fin juillet n´aura probablement pas lieu cette année. Des
fatawa venues d´ici et là, appellent les musulmans à prier chez eux et célébrer le mois sacré du
ramadan à la maison. Chose émotionnellement et symboliquement très délicate, puisque
ramadan est l´occasion parfaite pour renforcer les liens familiaux et sociaux, partager les repas,
les veillés nocturnes, les fêtes et les prières. Si pour les musulmans en Europe et dans plusieurs
pays arabo-islamiques, les mesures sont généralement respectées, d´autres pays s´annoncent
déjà comme une bombe à retardement. Au Pakistan, le pays des 200 millions d´habitants, les
mosquées et lieux de cultes sont ouverts depuis début avril, et regorgent de fidèles. Au mois de
mars, les autorités se sont retrouvées désarmées devant des rassemblements monstres de plus
de 100 mille personnes venant de 70 pays du 10 au 12 mars à Lahore, malgré le fait que
l´organisation fondamentaliste al-tabligh, n´a pas obtenu l´autorisation requise. Des cas de
contamination via les participants ont été enregistrés par la suite, non seulement au Pakistan,
mais aussi en Inde, en Turquie et ailleurs.

Surfer sur l´angoisse et l´ignorance collective porte souvent ses fruits. L´imam algérien Shems-
eddine Aljazairi ne cache pas on zèle en écrivant sur Facebook qu´il a: " peur que Dieu nous ait
envoyé ce virus pour qu’on revienne à lui et quand il verra que nous avons fermé les mosquées,
il nous enverra un autre virus plus virulent". Sa prophétie macabre, rime étrangement avec une
fameuse formule qui circule dans tout le monde arabe du Maroc au Yémen : « celui qui ne sera
pas tué par la guerre, le sera par le Coronavirus » !

Est-ce la trame essentielle de la Co-narration arabe au temps du Corona : La peur ? La peur de
la mort. La mort par la guerre, par la pandémie, par Daech, par les révolutions ratées, par un
Islam éclairé qui peine à frayer un chemin de narration différente, plus libre et plus humaine ?
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Surfer sur l´angoisse n´est, toutefois, pas le seul lot des arabo-musulmans, ni celui des
orthodoxes religieux. Il est plus grave, encore, parce qu´il est devenu le moteur d´une narration
globale. La crise du Corona n´est, au fond, qu´une mise à l´épreuve de la machine qui était en
plein labeur. Depuis les années 1990, et la mutation dans l´histoire des médias, les géants de la
communication, du marketing et du management, ont su récupérer l´élan universitaires des
techniques de la narration pour formater les esprits. L´objectif : narrer des « stories » au profit
des gourous du capitalisme avide de consommations interminables, et des élus avides de
transformer les citoyens à des marionnettes électorales. Et, puis à la dictature de la narration
médiatique s´est ajoutée une autre, plus redoutable encore : la dictature sociale. Michel Foucault
l´avait déjà bien identifié dans ses écrits sur les sociétés de surveillance. Or, si la surveillance
est un virus, il se nourrit bel et bien de la peur.

Toute civilisation, chaque culture cultive l´art de raconter des histoires, des récits et des mythes.
La co-narration religieuse est au cœur même du dynamisme social, de « l´effervescence » qui
nécessite la co-présence de l´autre, de ce qui fait de nous des humains. Ce dynamisme a été
fortement déstabilisé par la pandémie et les chercheurs observent déjà une tendance de
radicalisation croissante aussi bien chez les extrémistes religieux que les partisans des politiques
d´extrême droite.

Les angoisses explosent partout.

La peur de contracter le virus et d´en mourir, de ne plus revoir ses proches mourants ni les
enterrer dignement. La peur de perdre son travail, de se retrouver sans toit, sans voix et sans
droit. La peur de la violence qui explose dans les foyers contre les femmes et les enfants et dont
nous ne connaissons pas encore l´ampleur ni les conséquences à venir. Les organisations
mondiales lancent des cris d´angoisse de la famine et de l´appauvrissement qui frapperont des
millions d´êtres humains. Le Coronavirus cache derrière lui bien d´autres encore, et si les
angoisses explosent, il nous reste l´espoir que l´épreuve actuelle que nous traversons tous,
devrait nous servir de signal d´alarme et nous convier à repenser nos valeurs et nos systèmes
pour une humanité plus stable et plus paisible sur cette planète.

Raja Sakrani is a jurist and a cultural science scholar. Since 2009, she is scientific coordinator
at the Käte Hamburger Centre for Advanced Study “Law as Culture” (Bonn) in the
development and shaping of which she has been involved from the project planning stage, via
fund-raising to implementation. Currently, her research focuses on the reciprocal presence of
Islamic traditions in Europe, enlarging the view of how the Other is treated in a complicated
normative situation. She was the co-director of the international and interdisciplinary research
project “Convivencia” with the Max Planck Institute for European Legal History at Frankfurt
(2015-2018). She has conducted research and teaching activities at the Universities of Paris
(Sorbonne), Bonn, Basel and Madrid.

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