LA MISE EN VALEUR DES PAYSAGES ET LEUR PROTECTION - 17No
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LA REVUE ANNUELLE DE L’ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC No ○ 17 LA MISE EN VALEUR DES PAYSAGES ET LEUR PROTECTION
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07 – 55 56 – 75 Éditeur Association des architectes LA MISE EN VALEUR RÉPERTOIRE paysagistes du Québec 420, rue McGill, bureau 406 DES PAYSAGES DES ANNONCEURS Montréal (Québec) H2Y 2G1 ET LEUR PROTECTION — Direction éditoriale et de production 07 Mot de la présidente Louise Vachon 76 – 95 Catherine Fernet — 10 Collaboration NOUVELLES Révision des textes 12 Points de vue sur le paysage DE L'ASSOCIATION Sylvie Lemay — CHANTAL PRUD’HOMME Soutien administratif 79 Mot de la directrice générale Nancy Bond 14 Désignation et catégorisation — Direction artistique des paysages culturels patrimoniaux 80 Conseil et comités AAPQ et design graphique ISABELLE GIASSON Le Séisme 81 Activités 2021 — 18 Les quatre défis de la pratique Page couverture du grand paysage pour 85 Nouveaux membres et illustrations Julien Posture, illustrateur l’architecte paysagiste — LOUIS-PHILIPPE ROUSSELLE-BROSSEAU 86 Lauréats 2021 Impression Héon et Nadeau 22 Potentiel panoramique — 92 Répertoire des bureaux Publicité du contrefort appalachien, 514 526-6385 MRC d’Arthabaska info@aapq.org CÉLINE BONNOT Recevoir vos commentaires, questions 26 Connaître la valeur économique et suggestions est toujours un privilège. Écrivez-nous ! des paysages pour en assurer info@aapq.org la protection et la mise en valeur — SOPHIE DEBLOIS facebook.com/pageaapq Tous droits réservés 30 La mise en valeur et la protection ISSN 1911-8554 de paysages ÉLAINE GENEST Reproduction interdite sans l’autorisation de l’AAPQ. PAYSAGES, la revue annuelle 34 Superpositions, connexions de l’Association des architectes paysagistes du Québec, est publiée une fois par année. et médiations, la réémergence La publication dans ses pages d’annonces de d’un grand parc urbain type publireportage et de publicités ne signifie JONATHAN CHA pas que l’AAPQ recommande ces produits et/ou services. Les opinions et idées contenues dans les articles n’engagent la responsabilité 38 Un campus au futur antérieur : que de leurs auteurs. quand l’étude du patrimoine oriente le développement La couverture est imprimée sur du papier CAMILLE PLOURDE-LESCELLEUR RollandOpaqueMC contenant 30 % de fibres recyclées postconsommation, fabriqué à partir d’énergie issue du biogaz, procédé ECF, certifié 42 La conservation et la mise en valeur FSC®. Les pages intérieures sont imprimées sur du patrimoine comme moyens du papier HUSKY OFFSET 140M, certifié FSC®. de révéler l’identité de nos paysages MIRA HAIDAR, MICHELINE CLOUARD, JULIE ST-ARNAULT 46 Le paysage culturel de Wendake : valoriser et célébrer l’identité MARIE-FRANCE TURGEON 50 Le paysage humanisé de L’Île-Bizard SABINE COURCIER 53 Quelques enseignements à tirer de l’observatoire photographique des paysages de Memphrémagog GÉRALD DOMON ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 5
MOT DE LA PRÉSIDENTE NOS PAYSAGES, NOTRE FIERTÉ Cette année s’annonce très chargée en émotions à la perspective de la parution PRÉSIDENTE DE L’AAPQ au printemps de la première Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire au Québec. CATHERINE FERNET L’AAPQ a assisté à de multiples rencontres ces derniers mois, tant dans le cadre du comité consultatif mis sur pied par le gouvernement pour recueillir les commentaires des parties prenantes qu’auprès de l’Alliance ARIANE pour la préparation du Sommet québécois de l’aménagement du territoire tenu en janvier dernier. Notre implication a permis d’échanger sur plusieurs sujets liés au paysage, entre autres l’intégration architecturale, les changements climatiques, la conservation du patrimoine paysager, et l’identité culturelle et territoriale liée aux paysages. Bref, nous avons pu nous prononcer sur l’importance de ces enjeux pour informer le gouvernement et l’appuyer afin d’en arriver à une vision commune en matière de paysage. Quels paysages voulons-nous admirer lorsque nous nous déplaçons tant en milieu urbain qu’en milieu agricole ? Quelles interventions sur le paysage vous semblent inappropriées ? Quel est un bon projet d’intégration architecturale ou d’infrastructure ? Quelle est la valeur du paysage ? Il est primordial que chacun d’entre nous puisse répondre à ces questions si nous voulons que les paysages du Québec évoluent vers des paysages qui nous représentent, qui se distinguent par les caractéristiques de chacune de nos communautés et qui reflètent ce que nous voulons montrer au reste du monde ! Vous trouverez dans cette édition de la revue PAYSAGES une partie des réponses à ces questions. Les articles qu’elle contient vous captiveront et vous éclaireront sur la manière dont les architectes paysagistes identifient les transformations qui s’opèrent sur le territoire québécois et sur la façon dont ils entrevoient la cohabitation de la mise en valeur, de la protection des paysages et du développement. Je vous laisse donc à vos lectures, chers collègues et amis, et vous invite à vous mobiliser et à vous faire entendre sur l’importance de servir les intérêts de nos paysages, car ils contribuent à forger notre identité territoriale collective. Bonne lecture ! ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 7
LA MISE EN VALEUR DES Section ① PAYSAGES ET LEUR PROTECTION ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 9
PLANIFICATION DES PAYSAGES PAYSAGE RÉGIONAL COLLABORATION Points de vue sur le paysage Les quatre défis de la pratique du grand paysage pour l’architecte paysagiste Chantal Prud'Homme Louis-Philippe Rousselle-Brosseau Architecte paysagiste de formation, Chantal Prud’Homme a développé une expérience unique Monsieur Rousselle-Brosseau est titulaire en patrimoine et en paysage. Elle a occupé d’un baccalauréat et d’une maîtrise en architec- notamment le poste de vice-présidente du Conseil ture de paysage. Il a développé une spécialité du paysage québécois, réalisé de nombreuses en patrimoine paysager, en caractérisation pay- études dans diverses régions du Québec et col- sagère et en participation citoyenne. laboré à des ouvrages, dont le Manuel de bonnes pratiques, Paysages du Québec pour Paysages estriens et l’Atlas du paysage du mont Royal. ANALYSE DES PAYSAGES Potentiel panoramique du contrefort PATRIMOINE appalachien, MRC d’Arthabaska Désignation et catégorisation des paysages culturels patrimoniaux Céline Bonnot Céline accompagne les collectivités pour bâtir des Isabelle Giasson milieux de vie résilients, conviviaux et ressourçants. Intervenant de l’échelle du site au territoire, elle Isabelle Giasson dirige le département d’archi- accorde une grande attention à l’expérience paysa- tecture de paysage chez EVOQ. En 2021, elle gère des usagers, à l’accès aux lieux de nature, aux devient membre du conseil d’administration paysages nourriciers et à la biodiversité. d’ICOMOS Canada, une organisation dont le mandat vise à améliorer la conservation du patri- moine culturel au bénéfice des communautés. Isabelle possède une bonne connaissance des normes et exigences applicables en architecture PROTECTION DES PAYSAGES de paysage, et maitrise les principes et pratiques Connaître la valeur économique des Normes et lignes directrices pour la conser- des paysages pour en assurer vation des lieux patrimoniaux au Canada. la protection et la mise en valeur À LA UNE La mise en valeur des paysages et leur protection vues par Julien Posture Sophie DeBlois Titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’art et d’une maîtrise en aménagement, option conservation du patrimoine bâti, Sophie œuvre Julien Posture dans le domaine de la culture, de l’éducation et du patrimoine bâti et paysager depuis près de 15 ans. Julien Posture est un illustrateur et chercheur Elle travaille présentement comme chargée basé à Montréal. Il aime créer des images pour de projet de l’Entente sur la mise en valeur et la illustrer des enjeux sociaux et culturels et écrire protection des paysages de la Capitale-Nationale sur la vie sociale et culturelle des images. pour Développement Côte de Beaupré. 10 PAYSAGES — No 17
ANALYSE DES PAYSAGES PATRIMOINE PATRIMOINE La mise en valeur et la protection Un campus au futur antérieur : Le paysage culturel de Wendake : de paysages quand l’étude du patrimoine oriente valoriser et célébrer l’identité Dans le contexte d'études de localisation, de design le développement et d'intégration d'infrastructures majeures au Québec Marie-France Turgeon Camille Plourde-Lescelleur Élaine Genest Marie-France Turgeon dirige les projets de Chargée de projet en architecture de paysage conception et réalisation chez EVOQ. Elle a mené Architecte paysagiste titulaire d’une maîtrise pour la coopérative Les Milles Lieux, madame une quinzaine de projets d’envergure sur des sites en urbanisme, Élaine Genest a développé une Plourde-Lescelleur a contribué depuis 2016 historiques ou patrimoniaux à Québec et à Montréal profonde expérience en matière de design et de à plusieurs projets institutionnels publics de grande pour des municipalités, des universités et des planification du territoire, d’évaluation et d’inser- envergure et se spécialise dans la rédaction communautés autochtones. tion environnementales d’infrastructures diverses, de plans directeurs. Elle complète présentement et de recherches appliquées. Elle est spécialisée sa maîtrise en santé publique. en conception d’outils méthodologiques et en analyse des paysages patrimoniaux. Elle œuvre PROTECTION DU TERRITOIRE au sein de Cima+. Le paysage humanisé de L’Île-Bizard PAYSAGE COMME RÉVÉLATEUR Une approche innovante de protection La conservation et la mise en valeur et de mise en valeur d'un territoire champêtre AMÉNAGEMENT DE L'ESPACE du patrimoine comme moyens Superpositions, connexions de révéler l’identité de nos paysages et médiations, la réémergence d’un grand parc urbain L'approche conceptuelle du Plan directeur de conservation, d'aménagement et de développement du parc Jean-Drapeau 2020-2030 Sabine Courcier Sabine Courcier est détentrice d’un baccalauréat en biologie, d'une maîtrise en environnement et aménagement, et d'un doctorat en aménagement. Elle a travaillé à la Chaire en paysage et envi- ronnement de l’Université de Montréal. Sabine est conseillère en aménagement au Service des grands parcs, du Mont-Royal et des sports de la Ville de Montréal depuis 2008. Jonathan Cha Docteur en aménagement de l’espace et urba- nisme, urbanologue, architecte paysagiste et Mira Haidar, Micheline Clouard, conseiller principal en aménagement au parc Julie St-Arnault PAYSAGES EN ÉVOLUTION Jean-Drapeau, où il a été un acteur de première Quelques enseignements à tirer ligne du Plan directeur de conservation, d’aména- Depuis 1999, Vlan paysages développe une démarche paysagère qui procure des expériences de l’observatoire photographique gement et de développement 2020-2030. Il a réalisé de nombreuses études patrimoniales sensorielles et cinétiques et construit des projets des paysages de Memphrémagog et paysagères sur le territoire montréalais et siège engageants et signifiants. La firme œuvre fré- à plusieurs comités d'experts en matière d’archi- quemment au sein d’équipes multidisciplinaires tecture, d’urbanisme, de patrimoine et de et accorde une importance primordiale au paysage culturel. contexte social, biophysique, naturel, urbain, culturel et social du projet pour assurer une pratique expérimentée du design en matière d’architecture de paysage. Gérald Domon Gérald Domon est professeur associé à l'École d'urbanisme et d’architecture de paysage et directeur scientifique associé de la Chaire en paysage et environnement. Il est un spécialiste reconnu en matière de caractérisation, de protec- tion et de mise en valeur des paysages ruraux. ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 11
① Planification des paysages POINTS DE VUE SUR LE PAYSAGE Chantal Prud’Homme Architecte paysagiste Malgré l’ampleur de ce qu’il reste à accomplir dans la valorisation des paysages au Québec, l’année 2021 a été riche en dénouements avec la reconnais- sance du paysage humanisé de L’Île-Bizard et du paysage culturel patrimonial des Pointes-aux-Iroquois-et-aux-Orignaux à Rivière-Ouelle. Comme j’ai travaillé, depuis plus de 40 ans, à de nombreux dossiers, La petite taille d’un village ne le met pas pour autant à l’abri de trans- des études d’impact aux analyses paysagères en passant par les formations malheureuses. Au contraire. Un seul geste peut défigurer évaluations patrimoniales, l’idée m’est venue de faire part de mes un ensemble cohérent, alors qu’un ensemble varié, le long d’une rue réflexions et points de vue sur le paysage. Quelle place prend le ou dans un quartier par exemple, pourra supporter plus aisément paysage dans l’ensemble de nos actions ? des insertions contrastées. Bien sûr, il y aura toujours les partisans du contraste architectural, quel que soit l’endroit ! Mais c’est la Depuis un an, j’habite Saint-Vallier, un village de Bellechasse au notion d’ensemble qui m’interpelle en relation avec le paysage. bord du fleuve. J’avais le goût d’un milieu de vie à petite échelle plus humaine et un goût de beauté, car Saint-Vallier fait partie de la liste DÉCODER LA VALEUR DE L’ENSEMBLE des 40 plus beaux villages du Québec 1. L’endroit m’a conquise par ET AGIR EN COHÉRENCE le soin porté à la préservation du cadre bâti, à ses quelques amé- nagements publics bien faits, à l’affichage soigné et à la proximité L’appartenance d’un lieu à un plus grand ensemble devrait être privi- du fleuve, avec son aspect sauvage non contrôlé et ses trois accès légiée et surtout mieux comprise. Les unités de paysage pourraient publics riverains. devenir un soutien à cet égard : paysages de plaines, de plateaux ou de collines constituent autant de réalités physiographiques diffé- À quoi tient la qualité paysagère de ce village ? Un Plan d’implanta- rentes auxquelles correspondent un relief, une organisation du réseau tion et d’intégration architecturale (PIIA) y régit les transformations hydrographique et des dépôts de surface particuliers qui influent sur des éléments bâtis existants et les nouvelles insertions. Comme la structure paysagère et l’occupation des sols; l’assise des paysages partout ailleurs, cet équilibre demeure fragile; il dépend de la qualité est avant tout géographique ! Le Cadre écologique de référence du des analyses et de la compétence des membres qui composent le Québec (CERQ) me semble nettement sous-utilisé alors qu’il peut Comité consultatif d’urbanisme (CCU), ainsi que de la confiance servir d’outil pour mettre le paysage en relation avec des paramètres accordée par le conseil municipal en respect des recommandations de protection de l’environnement, dont la biodiversité. faites par le CCU. Mais les membres du CCU sont-ils suffisamment outillés pour juger des futures transformations de leur paysage ? 12 PAYSAGES — No 17
Les unités de paysage correspondent à des portions représen- disgracieuses sont préoccupants. Pour chaque projet, quand la tant généralement un assemblage organique du territoire. Mais notion de paysage intervient-elle ? Comment s’articule le dialogue le découpage d’unités de paysage pose un défi de taille en ce qui à l’échelle du paysage pour mettre les éléments bâtis (architecture, a trait à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme. En effet, le structures de génie, de transport, etc.) en relation les uns avec les cadastre constitue l’outil de référence en matière de découpage de autres et avec les attributs naturels du paysage ? Les simulations la majorité des affectations et zonages; il demeure un système qui visuelles réalisées à partir de points de vue collectifs, illustrant les se superpose souvent au relief et qui peut en faire totale abstraction. transformations générées par un projet à l’échelle du paysage, ne Il en résulte des règlements qui peinent à prendre en compte, entre sont pas suffisamment utilisées. autres, les dimensions d’espace et de relief du territoire essentielles à la découverte et à l’appréciation des paysages. Le défi du paysage requiert une sensibilité et Au Québec, diverses études et la mise en place de chartes de une expertise des équipes dans la réalisation paysage 2 ont suscité la participation de nombreux intervenants. de projets signifiants, car la prise en compte D’autres études ainsi que des atlas ont servi, quant à eux, à docu- du paysage exige de sortir du cadre étroit menter la connaissance de paysages du Québec. L’atlas réalisé pour le territoire de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) 3, des limites du site. certainement l’un des premiers à avoir été élaboré au Québec, a permis de reconnaître 44 unités de paysage d’intérêt métropo- Les donneurs d’ouvrage et les directives qui encadrent les mandats litain pour lesquelles les intéressés sont assujettis à des mesures doivent pouvoir exiger cette expertise, et ce, de façon spécifique. relatives à leur protection, leur mise en valeur, leur aménagement et leur planification dans le cadre de la révision du Plan métropo- La densification, essentielle d’ailleurs, en milieu urbain, périurbain litain d’aménagement et de développement de la CMQ de 2021 4. ou villageois compromet le devenir de nombreux espaces libres Pour nourrir cette réflexion, une synthèse des transformations des (parcs, boisés) ou ouverts qui, tout en permettant à la trame bâtie de paysages de la CMQ au cours de son histoire5 a été réalisée. On respirer, peuvent constituer des espaces d’appropriation collective peut y constater à quel point les paysages d’aujourd’hui diffèrent ou des points de vue collectifs sur le paysage. La recherche effrénée des paysages d’autrefois. de sites avec points de vue sur le paysage par les promoteurs raréfie de plus en plus l’accessibilité aux points de vue à partir de l’espace De même, les principes directeurs énoncés dans l’Atlas du pay- collectif de la route ou de la rue. sage du mont Royal s’avèrent toujours d’actualité afin d’orienter les interventions pouvant avoir une incidence sur le paysage de la Peu d’études documentent la valeur économique des espaces montagne : contribuer à la valeur de l’ensemble et à la valorisation ouverts. On peut lire dans une récente revue de littérature que « les du paysage, respecter le génie du lieu, satisfaire aux plus hautes espaces ouverts liés aux milieux hydriques (rivières, ruisseaux, normes de qualité et intervenir avec une vision à long terme 6. étangs) figurent au nombre des milieux naturels qui possèdent la plus grande valeur ajoutée sur les prix de vente des propriétés pri- Ces démarches contribuent grandement à une sensibilisation au vées ». La proximité physique avec un espace ouvert, son accessibi- paysage. Mais le paysage demeure-t-il confiné à un objet de connais- lité, son niveau d’entretien, de même que la qualité et la profondeur sance ou à de longues démarches de sensibilisation pendant que de la vue représentent des variables qui influent sur le prix de vente le territoire continue à se transformer en réponse à des règlements de telles propriétés privées 7. caducs ou en retard de plusieurs années sur les enjeux qui font dis- paraître ses qualités ? Alors que le paysage résulte d’un ensemble À l’heure de l’urgence climatique, le défi d’usages, le succès ou l’harmonisation de cet effet d’ensemble sont confrontés à de nombreux intervenants de différents domaines dont du paysage ne devrait pas être mis en les responsabilités et objectifs peuvent diverger ou même s’oppo- opposition dans la balance des options pour ser : agriculture, patrimoine, développement immobilier, transport, contrer les changements climatiques, alors culture, tourisme, forêt, industrie, environnement, etc. Qui se soucie de la qualité et de la valeur de l’ensemble, de ce tout qui est plus qu’il se révèle plutôt un allié. grand que la somme de ses parties ? La diminution des gabarits résidentiels, l’atténuation d’une suren- Certes, le paysage peut servir de formidable sujet de concertation chère sur l’éclairage extérieur, la mise en place de trames vertes le pour un territoire donné, mais devant l’absence d’une loi sur le pay- long des rivières, ponctuées d’accès collectifs favorisant la connec- sage au Québec et la faible prise en considération du paysage dans tivité des paysages ou la limitation du déboisement des lots dans les la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, des actions concrètes pentes et sur les sommets ne sont que des exemples parmi d’autres, doivent être menées. favorables à une meilleure qualité paysagère et à une meilleure pro- tection de l’environnement, alors que le Groupe d’experts inter- MIEUX MAÎTRISER L’ÉVOLUTION DES PAYSAGES gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) aborde l’idée de décroissance. Au delà de la protection des paysages remarquables, Les campagnes, les villages, les quartiers et les villes se transfor- le souci de la qualité du paysage interpelle notre manière de créer ment plus vite que les réflexions et actions menées sur leurs pay- et de transformer nos milieux de vie et nos paysages du quotidien. sages. La perte de paysages identitaires, le manque de nuances dans l’emplacement, le gabarit et le caractère architectural de nou- veaux bâtiments en relation avec leur milieu d’insertion, la perte de points de vue collectifs sur le paysage et le mitage de versants et Accédez aux références de cet article : de sommets par des déboisements importants créant des trouées bit.ly/35fN9Fe ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 13
Jamie Robertson ② Patrimoine DÉSIGNATION ET CATÉGORISATION DES PAYSAGES CULTURELS PATRIMONIAUX Isabelle Giasson Architecte paysagiste, associée AAPC EN COLLABORATION AVEC Sarah Debs Étudiante en architecture et architecture de paysage 14 PAYSAGES — No 17
« Le patrimoine désigne tout d’abord la relation de l’Homme à son milieu, son appréciation de celui-ci. C’est l’harmonie entre le "naturel et le construit, entre l’ancien et le plus récent, entre vivant et matière inerte" ». LAHOUD, 2020 Le paysage culturel patrimonial englobe tout lieu qui, de par sa En 2008, on raffine encore plus la définition en ajoutant deux « signification esthétique, historique, scientifique, culturelle, sociale sous-catégories au paysage évolutif. La première est appelée « pay- ou spirituelle » (ministère de la Culture et des Communications, sage relique », c’est-à-dire dont le processus évolutif s’est arrêté 2021), témoigne de l’identité locale et de la valeur paysagère d’une subitement ou graduellement, mais dont les caractéristiques prin- région. La catégorisation de « paysage culturel patrimonial » vient cipales restent encore visibles; la seconde est appelée « paysage donc de cette volonté de préserver ces fragments naturels qui forgent vivant », c’est-à-dire dont la société contemporaine est en relation les communautés et de les protéger de l’intervention de l’Homme. avec les valeurs et le mode de vie traditionnels, tout en s’adaptant aux conditions actuelles. Le paysage témoigne toutefois encore de Plusieurs éléments apparaissant au sein du paysage peuvent se son évolution progressive au cours des siècles. révéler utiles quant à sa caractérisation de paysage culturel, par exemple les matériaux, la localisation, l’organisation spatiale, les Au Québec, ce n’est qu’en 2012 que le texte de la Loi sur le patri- connotations spirituelles, lesquels, une fois retirés du lieu, défi- moine culturel inclut la notion de paysage culturel. Or cette loi ajoute gurent sa valeur patrimoniale. certains concepts à la définition proposée par l’UNESCO afin d’en- courager « la connaissance, la protection, la mise en valeur et la Actuellement, le processus de désignation d’un paysage demande transmission du paysage culturel sous toutes ses formes » (minis- de la patience et de la persévérance. Il est ardu, certes, mais tère de la Culture et des Communications, 2021). nécessaire à la bonne préservation des communautés actuelles, ancestrales et futures occupant le lieu. Le présent article traite des Le ministère de la Culture et des Communications du Québec décrit catégorisations, du processus de désignation et des pistes d’in- le patrimoine ainsi : « tout objet ou ensemble, matériel ou immaté- tervention de mise en valeur des paysages culturels patrimoniaux. riel, reconnu et approprié collectivement, dont la connaissance, la sauvegarde, la transmission ou la mise en valeur présente un IDENTIFICATION ET CARACTÉRISATION intérêt public ». « Apprendre à connaître et à comprendre les lieux dans lesquels On introduit ainsi la notion de sentiment on intervient nous permet d’insérer quelque chose qui n’est pas seulement compatible, mais qui ajoute un sens. » (Corriveau, 2020) d’appartenance au paysage, qui contribue Afin de protéger ces lieux de manière optimale, il importe de se fortement à sa désignation de paysage pencher sur les différentes définitions et de saisir l’essence des culturel. Un paysage peut donc être qualifié paysages culturels patrimoniaux. L’UNESCO qualifie ces lieux d’ « œuvre conjuguée de l’homme et de la nature », faisant partie de de patrimonial si on s’y identifie, si on en l’« identité collective ». À noter que les paysages mentionnés dans est fier. cette définition sont tant « intentionnels » (créés de toute pièce par l’Homme) qu’évolutifs (qui témoignent d’une occupation territoriale Le Canada compte aujourd’hui trois paysages figurant sur la Liste et d’une évolution en fonction des dimensions sociales, culturelles, du patrimoine mondial de l’UNESCO : le Paysage de Grand-Pré religieuses et économiques des communautés, en fonction des (Nouvelle-Écosse), Pimachiowin Aki (Manitoba et Ontario) et conditions environnementales ou culturelles, etc.). Writing-on-Stone (Áísínai’pi) (Alberta). ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 15
DÉSIGNATION D’UN PAYSAGE CULTUREL PATRIMONIAL AU QUÉBEC Le « marais » de Grand-Pré et les vestiges des anciens Même si le processus de désignation d’un paysage culturel patrimo- villages associés constituent un paysage culturel qui nial est complexe, il est primordial d’entreprendre l’intégralité des témoigne d’un effort technique multiséculaire remarquable démarches dans l’optique de préserver ces lieux culturels. En ce qui de poldérisation agricole, dans une situation maritime aux Grand-Pré concerne les paysages, le gouvernement du Québec a le droit, s’il coefficients de marées exceptionnels. Il montre en particu- le juge pertinent, de désigner un paysage culturel patrimonial. La lier la permanence de son système de drainage hydraulique demande de désignation doit lui être adressée. à base de digues et d’aboiteaux et de son usage agricole par le biais d’un système communautaire de gestion fondé Une demande présentée par l’ensemble des municipalités locales par les Acadiens et repris par les Planters et leurs suc- et régionales de comté et des communautés métropolitaines dont cesseurs contemporains. Grand-Pré témoigne également la localisation englobe une partie du territoire à préserver doit être de l’histoire des Acadiens aux XVIIe et XVIIIe siècles et soumise au ministre. Plusieurs informations citées au chapitre II, de leur déportation. Source : whc.unesco.org/fr/list/1404/ section III, article 18 de la Loi sur le patrimoine culturel doivent apparaître dans la demande de désignation; sans ces renseigne- ments, la demande ne pourra être traitée. Parmi les données requises, il importe de préciser : 1. La délimitation du territoire visé; 2. Le diagnostic paysager – qui englobe les analyses quantita- tives et qualitatives caractérisant le territoire, l’exposé de ses caractéristiques, ainsi qu’une démonstration de la reconnais- Jamie Robertson sance du territoire par la communauté concernée; 3. Une charte du paysage culturel patrimonial présentant les actions entreprises pour sa mise en valeur et sa protection. Un mois avant la tenue de la séance du conseil local du patri- moine, les municipalités concernées par la demande de désigna- tion peuvent faire leurs représentations et publier un avis public de cette séance. Ce n’est que 60 jours après la date de l’avis, et après consultation du conseil local du patrimoine, que le conseil de la municipalité peut adopter la résolution relative à la demande de désignation du paysage culturel patrimonial. Après avoir pris l’avis du Conseil du patrimoine culturel du Québec, le ministre décide si la demande se qualifie pour l’élaboration d’un plan de conservation par les demandeurs. Si c’est le cas, la dési- gnation de paysage culturel patrimonial ne sera obtenue que si le plan de conservation élaboré par les municipalités concernées est approuvé par le ministre et respecté par les agents locaux. Les municipalités demandant la désignation d’un paysage cultu- rel patrimonial doivent produire un rapport tous les cinq ans; elles doivent également témoigner du respect et du suivi du plan de conservation en vigueur. Il s’agit donc d’un processus complexe, d’étapes nombreuses et d’une attente considérable avant de pouvoir designer un site comme paysage culturel patrimonial. De surcroît, il est parfois difficile pour les organismes de comprendre les avantages de cette désignation, d’autant plus que la démarche engendre une mobilisation impor- tante de ressources physiques et économiques. 16 PAYSAGES — No 17
CLASSIFICATION DES PAYSAGES CULTURELS PATRIMONIAUX La première désignation de paysage culturel patrimonial Le patrimoine est l’objet de politiques et de règlements à plusieurs à avoir été accordée au Québec l’a été à Rivière-Ouelle, niveaux. En effet, il existe au Canada trois grandes juridictions res- en 2021, une première au Québec ! Ce territoire, formé de ponsables du patrimoine, soit le fédéral, le provincial et le municipal. crêtes rocheuses boisées en bordure du Saint-Laurent, Rivière-Ouelle représente un intérêt historique, emblématique et identi- Au niveau fédéral, les paysages culturels patrimoniaux doivent être taire. Ce nouveau statut représente l'aboutissement de huit des propriétés fédérales, ou des sites d’intérêt national, comme le ans de démarches entre la MRC de Kamouraska, la muni- lieu historique national du Canada des Forges-du-Saint-Maurice. cipalité de Rivière-Ouelle et le gouvernement du Québec. Le Registre canadien des lieux patrimoniaux (RCLP) présente des endroits désignés comme arrondissements historiques ou paysages culturels; ils comprennent souvent plusieurs caractéristiques natu- relles ou faites par l'homme. (Lieux patrimoniaux du Canada, 2021) Au niveau provincial, il existe plusieurs catégories de désignations. Tout d’abord, les sites patrimoniaux déclarés concernent principale- ment des quartiers, des secteurs facilement délimités par une mise en relation du bâti et du paysage. Toute demande d’intervention dans ces lieux doit être adressée au ministère. Les désignations attribuées par le gouvernement concernent généralement de très Le Placoteux grands territoires ruraux pouvant couvrir plusieurs municipalités. Néanmoins, on compte peu de demandes d’intervention pour ces lieux désignés, à part lorsqu’elles sont fortement recommandées par des entreprises expertes en patrimoine. Enfin, certaines dési- gnations accordées par le ministre servent à marquer la signification historique de personnes ou de lieux, sans mesure de contrôle par- ticulière, afin de souligner leur importance. Le fleuve Saint-Laurent en est un exemple pertinent. Le seul endroit au Québec à avoir été désigné paysage culturel patrimonial est Rivière-Ouelle, tel que mentionné précédemment. Au niveau municipal, le classement des sites est semblable à celui du provincial. Une fois l’endroit désigné, il faut entretenir un rapport étroit avec la Ville, et plus précisément avec le Conseil du patrimoine de Montréal, avant de soumettre toute demande d’intervention sur ce genre de territoire. Le Conseil du patrimoine de Montréal est une instance consultative de la Ville; elle n’est pas décisionnelle, contrairement à la Commission d’urbanisme du Québec, mais recommande ou non les interventions auprès du Comité exécutif de CONCLUSION la Ville de Montréal. Depuis 2018, le provincial a délégué son pou- voir d’autorisation au municipal afin de simplifier certains dossiers Les paysages culturels patrimoniaux nous permettent de prendre et accélérer les procédures. conscience de la relation entre l’Homme et son environnement, tout en mettant l’emphase sur l’évolution de ces paysages à travers le Au niveau fédéral, la Commission des Lieux et Monuments temps et les époques. Il existe un guide gratuit intitulé Les normes Historiques du Canada (CLMHC), établie en 1953, a pour mission et lignes directrices pour la conservation des lieux patrimoniaux qui de recenser les lieux historiques les plus importants du pays (ou établit un ensemble pancanadien cohérent de principes et lignes LHN : Lieux Historiques Nationaux). Elle recommande la désignation directrices en matière de conservation. Il met de l’avant une idéologie de plusieurs de ces lieux et fournit au ministre de l’Environnement raisonnée pour la conception d’intervention en milieu patrimonial, des recommandations quant à la désignation de tout lieu, événe- devenant ainsi la référence nationale pour l’évaluation des interven- ment ou personnage historique. Les informations concernant les tions proposées pour les lieux patrimoniaux. Ce guide sert d’outil désignations se trouvent dans l’Annuaire des désignations patrimo- pour faciliter les démarches à entreprendre en matière de conser- niales fédérales, qui en comprend plus de 3600 au Canada. vation par les municipalités et agents qui seraient moins familiers avec la gestion des paysages culturels patrimoniaux. Bien que les démarches de désignation de ces sites soient longues et restent à bonifier, il demeure nécessaire d’élaborer un plan de conservation afin de préserver les ressources naturelles et histo- riques qui font l’identité de ces lieux et en déterminent la valeur. Accédez à la bibliographie : bit.ly/3JN2f48 ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 17
③ Paysage régional LES QUATRE DÉFIS DE LA PRATIQUE DU GRAND PAYSAGE POUR L’ARCHITECTE PAYSAGISTE Louis-Philippe Rousselle-Brosseau Architecte paysagiste Un architecte paysagiste, ça travaille sur quoi ? Ça peut sembler évident, mais au fond, ce n’est toujours pas clair. Depuis une dizaine d’années, j’ai décidé de m’intéresser principalement aux questions de grand paysage et de territoire, comme d’autres praticiens avant moi. Je me suis couramment fait taxer d’ur- baniste (ce que je ne suis pas !), d’aménagiste, de géographe, et on me répète souvent « Ah oui ! C’est vrai, toi tu travailles dans les études... », alors que les études ne représentent qu’une partie de mon travail. ❶ PREMIER DÉFI : L’AMBIGUÏTÉ DE LA NOTION Ces questions d’aménagement du paysage régional sont investies DE PAYSAGE POUR LE PRATICIEN par de nombreux corps professionnels : urbanistes, aménagistes du territoire, ingénieurs, spécialistes du patrimoine et du tourisme, La pratique de l’architecture de paysage s’oriente surtout autour pour ne nommer que les principaux. De cette situation découle une de la conception d’espaces extérieurs publics ou privés, d’échelle question primordiale : l’architecte paysagiste peut-il être considéré souvent limitée au site, et outre les parcs régionaux ou nationaux, le comme un spécialiste du paysage1 ? Un peu, peut-être, mais il existe plus souvent en milieu urbain. Or, le paysage régional est confronté un certain nombre de défis à relever pour que l’architecte paysa- à de nombreux enjeux qui requièrent une attention professionnelle giste puisse devenir le principal praticien de l’aménagement du et pour lesquels les architectes paysagistes pourraient jouer un rôle [grand] paysage. important : résilience face aux changements climatiques, déprise et transformation des paysages ruraux, mise aux normes écologiques Le premier de ces défis émane de la profession elle-même. Il existe des paysages agricoles, requalification des paysages industriels, une marge importante entre définir l’architecte paysagiste comme revitalisation des paysages urbains et villageois, développement un concepteur, ce qui exclut le développement d’une connaissance d’aménagements pour une pratique du tourisme harmonieuse nécessaire au design à grande échelle, et le définir comme un spé- et durable… cialiste du paysage à toute échelle qui mobilise des outils issus du design, de la géographie, du patrimoine, de l’ethnologie, etc., ce qui ouvre un champ de pratique plus englobant orienté autour de l’objet paysage. 18 PAYSAGES — No 17
❷ SECOND DÉFI : LES TEMPS ET LES OUTILS les autres matériaux du projet de grand paysage. Ainsi, nous pou- DU DESIGN EN GRAND PAYSAGE vons nous asseoir avec les urbanistes et aménagistes régionaux et locaux afin d’intégrer des paramètres paysagers à la réglemen- La pratique du grand paysage s’apparente aux autres disciplines tation (zonage, PIIA, PPU, PPCMOI, etc.), par exemple la réduction du design, dans le sens où elle cherche à créer ou modifier un envi- des marges de recul, l’introduction de zonages mixtes, la défi- ronnement en poursuivant une certaine finalité. On associe à tort nition de matériaux et gabarits de bâtiments en phase avec le cette pratique à une discipline strictement scientifique où les études milieu d’insertion, les paramètres de végétalisation, etc. Comme dominent. L’architecte paysagiste est habitué à l’instantanéité : concepteur, l’architecte paysagiste synthétise donc les désirs l’étude du site débouche sur la conception, suivie des plans et devis paysagers d’une population et les transmet aux professionnels en puis de la construction, le tout en l’espace de quelques mois ou matière de réglementation. À long terme, une fois les règlements quelques années. En grand paysage, le matériau est le paysage lui- en vigueur, le paysage de la grande artère suburbaine changera. même; le concepteur joue avec des matières sociales, culturelles, La conception de ce paysage aura mobilisé une équipe d’archi- géographiques et politiques, des comportements, des usages, des tectes paysagistes, un groupe de citoyens, des aménagistes et savoir-faire et des règlements, entre autres. Pour transformer ou des urbanistes et, par la suite, des architectes, des promoteurs et concevoir un grand paysage, il faut savoir jouer avec ces matériaux des ouvriers de la construction. L’architecte paysagiste est donc et savoir être patient, car le résultat se concrétisera lentement, par un concepteur-médiateur; il sait réfléchir l’espace selon des para- phases. Les parties prenantes autour de la table du concepteur mètres techniques, matériels et sensibles. sont donc plus nombreuses, et surtout plus diversifiées. Le paysage régional est par essence un projet collectif. Il faut donc mobiliser En milieu rural, le processus reste le même. Par exemple, dans le divers processus de co-conception afin de comprendre la relation cadre d’un projet de paysage panrégional, après avoir bien identifié ou les valeurs que la population concernée entretient avec son pay- les dynamiques paysagères en œuvre sur le territoire, par exemple sage comme cadre de vie. l’intensification du paysage agricole ou le mitage des paysages forestiers par le développement résidentiel, il est possible de On cherchera à comprendre quels sont les paysages de grande valeur regrouper une série d’actions à mener au sein d’un plan paysage. et les raisons de cette relation. On voudra aussi comprendre, au Cet outil deviendra la feuille de route à suivre afin de créer le pay- moment présent, quels sont les paysages qu’une population souhaite sage futur collectivement souhaité. Pour chaque action requise par voir se perpétuer ou léguer, et quels sont ceux qu’elle souhaiterait le plan paysage, une série d’outils sont énumérés. Dans l’éventua- voir changer. Des ateliers de ce type permettent de faire ressortir une lité de la création d’un paysage de haies et de bandes riveraines série de paramètres de conception pour le futur paysage régional. en milieu agricole, par exemple, il importera, d’une part, de mener des actions de sensibilisation auprès des agriculteurs et, d’autre Par exemple, il est assez rare que les citoyens que nous avons part, d’identifier un groupe de propriétaires agricoles ouverts au rejoints lors d’ateliers apprécient le paysage commercial subur- projet comme point de départ et, enfin, de faire appliquer la régle- bain, marqué par des aménagements de type strip commercial, mentation. Parmi les outils possibles pour arriver à ces fins sur un de fortes marges de recul, d’imposants stationnements et un horizon de 5 à 20 ans, notons la table de concertation, la création manque de mixité d’usages. Dès lors que nous comprenons les d’une coopérative de gestion des bandes riveraines pour un bassin raisons de cette dépréciation, nous sommes en mesure de mobiliser versant, l’obtention par une MRC de subventions provinciales ou fédérales (p. ex. programme Prime-Vert), etc. ↓ Carte mentale des îles de Verchères / À Verchères, une excursion avec les agriculteurs insulaires a permis de dégager des lieux de grande importance sociale et culturelle insoupçonnés des planificateurs. Louis-Philippe Rousselle-Brosseau, Coopérative Les Mille Lieux ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 19
EXEMPLE DE PLAN PAYSAGE POUR LA MRC DE LA VALLÉE-DU-RICHELIEU Orientations IDENTITÉ ET PATRIMOINE PAYSAGERS 1.1 Reconnaître et protéger les patrimoines paysagers, architecturaux et immatériels des villages jumeaux du Richelieu. 1.2 Préserver le caractère villageois des autres noyaux de la MRC. 1.4 Identifier et protéger les caractéristiques fondamentales des paysages suburbains de grande valeur ou rares. 1.5 Protéger les caractéristiques identitaires des plaines agricoles, et intégrer ces caractéristiques au sein des projets. Coopérative Les Mille Lieux 1.6 Mettre en valeur les pratiques territoriales associées à la pomiculture et à l’acériculture. 1.9 Créer des paysages d’abords autoroutiers qui sont le reflet du dynamisme commercial et entrepreneurial régional. 1.10.1 Aménager des seuils d’entrée dans la région en aménageant les abords des grands corridors routiers. 1.10.2 Aménager des seuils d’entrée dans la région en protégeant les vues d’exception sur les collines montérégiennes. MILIEUX NATURELS ET ESPACES VERTS 2.1 Protéger les corridors forestiers et écologiques actuels. 2.2 Protéger les milieux naturels sensibles du développement. 2.7 Briser la limite franche entre les secteurs habités et les milieux naturels. 2.4 Consolider les corridors forestiers via la trame bleue. 2.5 Renaturaliser les abords des cours d’eau agricole.s 0 2.5 5 km PAYSAGES AGRICOLES ET NOURRICIERS ROSE 3.1 Protéger les paysages de cultures traditionnelles. ET NOIR 3.2 Assurer la protection du territoire agricole à long terme. 3.4 Revaloriser les tiers-paysages (friches) à des fins agricoles. ↑ Chacune des actions du plan paysage est liée à une 3.5 Créer des espaces d’innovation en agriculture série d’outils de tout ordre (réglementaire, financier, et agroalimentaire. participatif, etc.) permettant de la concrétiser. DENSIFICATION HARMONIEUSE 5.3 Adopter des stratégies de densification harmonieuses dans les paysages suburbains. 20 PAYSAGES — No 17
❹ UN DÉFI POUR L’AVENIR : LA FORMATION DES FUTURS ARCHITECTES PAYSAGISTES À UNE ÉCHELLE DE DESIGN RÉGIONALE, ADAPTÉE AUX ENJEUX CONTEMPORAINS Entre 2011 et 2019, j’ai eu l’occasion d’animer à quelques reprises les ateliers « Espace régional » et « Grand paysage » au baccalauréat et à la maîtrise en architecture de paysage à l’Université de Montréal. Louis-Philippe Rousselle-Brosseau Je constate que la formation évolue en s’ouvrant graduellement vers le projet de grand paysage. Cependant, il est primordial qu’une place de plus en plus importante soit accordée à l’apprentissage de la conception de paysages à grande échelle à l’aide de matériaux non conventionnels, dont les humains et les règlements. Une introduction à la co-conception et aux méthodes de consultation semble incon- tournable, tout comme une introduction sérieuse aux lois, règlements ↑ Activité de co-conception avec des citoyens, des aménagistes et des élus municipaux et statuts qui influencent le devenir des paysages régionaux. Il existe aussi un besoin essentiel, dès la formation à la profession, d’apprendre à collaborer avec les aménagistes, les urbanistes, les géographes, les ethnologues et les spécialistes du patrimoine afin de se former au projet de paysage tout autant qu’au projet d’architecture de paysage, en saisissant bien de quelle manière l’architecte paysa- giste peut ou doit être l’architecte derrière ces projets de conception de longue haleine et porteurs de nombreuses voix. Il s’agit d’une ❸ TROISIÈME DÉFI : LE PAYSAGE EST UN PATRIMOINE condition essentielle pour que la pratique fertile de l’intégration du VIVANT, MAIS TOUT PAYSAGE EST-IL PATRIMOINE ? paysage à l’aménagement du territoire et à ses outils se généralise et que l’on puisse enfin concevoir le territoire comme une mosaïque Au cours des deux dernières décennies, le projet de grand pay- de paysages collectivement partagés et aménagés. sage au Canada s’est surtout manifesté par l’adoption de statuts de protection. En Ontario, l’Ontario Heritage Act (2005) a introduit le statut de Cultural Heritage Landscape 2, alors qu’au Québec, la Loi sur la conservation du patrimoine naturel (2002) a instauré le statut de paysage humanisé 3, et la Loi sur le patrimoine culturel (2012), le statut de paysage culturel patrimonial 4. D’ailleurs, les premiers statuts de paysage humanisé et de paysage culturel patrimonial ont été octroyés en 2021 à L’Île-Bizard (Montréal) et au site des Pointes-aux-Iroquois-et-aux-Orignaux (Rivière-Ouelle). Ces pay- sages exceptionnels seront préservés et feront l’objet de projets impliquant leur collectivité respective. Il est intéressant de constater que tous ces statuts ont le potentiel d’ériger le paysage au rang de patrimoine. D’ailleurs, par définition, le paysage est le produit d’une culture et d’une époque, ce qui l’érige Notes de facto et potentiellement au rang de patrimoine collectif. Toute- 1. Au sens de la définition généralement admise du fois, contrairement aux autres formes de patrimoine, le paysage concept de paysage : une portion de territoire dont n’est pas immuable; il est en fait en constante évolution, et cette l’aspect découle d’interactions entre des humains et évolution découle d’une interrelation changeante d’une population à des facteurs géographiques et naturels. son territoire en fonction de l’époque et de la culture. Si l’on souhaite 2. Cultural heritage landscape: means a defined geo- le protéger, il y a un risque qu’à terme, les facteurs qui maintiennent graphical area of heritage significance which has been ce paysage vivant n’existent plus ou ne soient plus en adéquation modified by human activities. Such an area is valued by avec l’époque. Parle-t-on encore de paysage ? Il y a paradoxe. a community, and is of significance to the understan- ding of the history of a people or place. Bref, la protection du grand paysage ne peut être la seule manière 3. Un paysage humanisé vise la protection de la de le mettre en projet. Les statuts de protection s’attachent à biodiversité d’un territoire habité, terrestre ou aqua- tique dont le paysage et les composantes naturelles l’exceptionnel. Or, nous vivons dans des paysages du quotidien, des ont été façonnés, au fil du temps, par des activités paysages bien vivants, et notre qualité de vie en dépend. Le paysage humaines en harmonie avec la nature. Ce paysage et de l’ordinaire peut servir de cadre ou de porte d’entrée de l’aménage- ces composantes présentent un caractère distinct dont ment du territoire par sa nature visuelle et concrète. Le paysage est le la conservation dépend fortement de la poursuite des pratiques qui en sont à l’origine. reflet du milieu de vie, et tout citoyen peut se l’approprier et émettre des souhaits quant à son devenir. L’aménagement du grand paysage 4. Paysage culturel patrimonial : tout territoire reconnu devient alors un moyen de démocratiser l’aménagement du territoire. par une collectivité pour ses caractéristiques paysa- gères remarquables résultant de l’interrelation de fac- Au-delà des considérations patrimoniales, le grand paysage peut teurs naturels et humains qui méritent d’être conservées avant tout être vu comme un bien commun qu’il importe d’aménager et, le cas échéant, mises en valeur en raison de leur sous l’égide de considérations sociales et environnementales. intérêt historique, emblématique ou identitaire. ASSOCIATION DES ARCHITECTES PAYSAGISTES DU QUÉBEC 21
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