Illustration : Sophie Brodin - Les Allumés du Jazz

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Illustration : Sophie Brodin                                                                        LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
2I        encyclopédie

Texte d’Albert Lory
Illustrations de Matthias Lehmann, Gabriel Rebufello, Jeanne Puchol, Johan de Moor

Bug                                                                                                  Acter
Dans le nouveau monde puissamment numérisé où l’humanité s’éteint furtivement,                       Actée, jeune esclave affranchie, devint la maîtresse de Néron sous les encouragements
le terme bug ne vient nullement d’un obscur acronyme. En 1945, l’ancêtre de l’ordinateur,            de Sénèque (sorte de Séguéla de l’époque) et contre l’avis d’Agrippine, mère de l’empereur
l’ENIAC (financé par l’armée américaine), connut sa première panne : un insecte s’aventura           que tous ces gens s’empressèrent de faire assassiner ventrem feri. Affaire actée ! Acte
dans la machine et provoqua des courts-circuits. Il y perdit la vie et laissa son nom générique      apparaît en 1388 dans son sens juridique, repris plus tard pour « action d’éclat » : les religieux
(bug, « insecte » en anglais familier). La logique informatique dominant la vie moderne,             actes de foi ou actes des martyrs, les façons de faire acte d’autorité ou encore le répondre
tout dysfonctionnement, perte de mémoire, accident, erreur, est uniformisé bug. Le terme             de ses actes de nos amis duellistes. Le dénominal et peu seyant acter aurait dû se contenter
insecte, d’insecare « couper », décrit en son origine latine les formes étranglées de corps          du domaine juridique. Mais désormais, on acte à tour de bras, suite à une rencontre,
de petites bêtes. Le tout numérique pourrait bien conduire au grand étranglement.                    une réunion, une discussion. Le monde de l’infinitif étouffe ses ouvertures à coup de définitif,
Dira-t-on alors, comme un certain lapin : « What’s up, bug ? »                                       bafouant l’entracte, ventrem feri.

Porteur de projet                                                                                    Challenge
Issus des porterres et porteors, nous avons eu, en mille ans, des porteurs d’eau, de bagages,        Pour l’origine du mot, la gageure est grande. Challenge a trois matrices : l’anglais challenge
des porteurs de contraintes, des porteurs de germes, des piliers porteurs, des gros et petits        « défi », l’ancien français chalenge « contestation », calenge « accusation », le latin calumnia
porteurs, des porteurs de titres (pas toujours déposés à la Sacem), des porteurs de rogations,       « calomnie ». D’abord utilisé par le très international monde sportif, challinge-coupe en 1857
des mères porteuses, des triporteurs, Cole Porter, des murs porteurs, des porteurs du pénitencier,   devient challenge cup en 1876, avant que la coupe, sans doute pleine, ne s’égare et que
des reporteurs, des rats porteurs, des chaises à porteurs, des Sherpas, des porteurs de flamme       challenge triomphe au XXIe siècle aux côtés des mots-guillotines (remplaçants des mots-valises)
olympique, des porteurs de cercueils… Voilà que les institutions culturelles rejoignent              fixant les règles pour l’homo-economicus-premier-de-cordus. C’est même le nom d’un magazine
les champions des startups et s’entichent des porteurs de projet. Plus d’œuvre, mais des projets,    créé en 1982 où le président François Mitterrand déclara : « Les Français commencent à
plus de musiciens, de producteurs, mais des porteurs. Remise des chèques aux porteurs,               comprendre que c’est l’entreprise qui crée la richesse, qui détermine notre niveau de vie
en espérant ne pas voir se pointer les porte-flingues après les porte-monnaie.                       et notre place dans la hiérarchie mondiale. » Ce fut dit un 1er mai, ça aurait dû être un 1er avril.

                                                                                                                                                                        LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
panser la musique aujourd’hui                      I3

La beauté du monde :
                                                                                                                                         « On va vous aider les artistes ! » qu’ils clament
                                                                                                                                         encore et encore…
                                                                                                                                         « Comment ? »
                                                                                                                                         « Bah, c’est simple. Tu vas passer tout ton temps
                                                                                                                                         à gratter plus et mieux qu’les autres, à expli-
                                                                                                                                         quer ta démarche plus et mieux qu’les autres,

subventionner l’ennui
                                                                                                                                         et après quand on t’aura lâché trois clopinettes
                                                                                                                                         tu mettras not’ logo sur ton affiche car ton métier,
                                                                                                                                         c’est aussi d’assurer not’promo, mon petit… »

                                                                                                                                         Dans l’temps, les zartistes, y z’étaient entourés
                                                                                                                                         de professionnels pour les aider à diffuser leurs
                                                                                                                                         œuvres… Maintenant, non ! Ça n’existe plus
                                                                                                                                         les producteurs, les tourneurs, les managers, ils
                                                                                                                                         doivent tout faire tout seuls, les zartistes. C’est
                                                                                                                                         le nouveau modèle du « zartiste-Auto-entrepre-
                                                                                                                                         neur-de-lui-même » !
Texte de Yoram Rosilio rapportant les propos du « Plimj »1 . Illustration de Julien Mariolle                                             Et les chèvres dans tout ça ?
                                                                                                                                         Et quand est-ce qu’on leur demande de remplir
                                                                                                                                         des dossiers de subs aux chèvres ? Pour avoir le
J’vais t’dire… Ça m’arrive parfois de cuisiner                                                                                           droit de brouter de l’herbe, ou de bégueter ?
des trucs… Et puis généralement, attention, c’est                                                                                        Ou d’avoir des poils et des cornes ? Et des beaux
bon ! Mais parfois la p’tite, ou bien sa mère, me                                                                                        yeux doux ?
dit que c’est trop épicé…
« Quoi ? Sérieux ? » (« Was? Wirklich? » en bon                                                                                          Tiens et puis t’sais quoi ? T’sais pas c’qu’y fe-
allemand) que je réponds avec la sincérité la                                                                                            raient si y pouvaient ?
plus sincère, devenant la Sincérité elle-même…                                                                                           Y z’iraient voir les p’tits oiseaux dans la forêt puis
Mais vraiment, moi… Je ne vois pas… Je me dis                                                                                            ils leur diraient : « Tiens ! C’ pas mal ton cuicui, là !
même que j’aurais pu y aller un peu plus…                                                                                                On va faire un truc : maintenant t’auras le droit de
Plus de machins poudrés qui sentent bons et                                                                                              cuicuiter mais seulement dans des lieux dédiés (théâtres,
qui viennent d’ailleurs… Oui… Dieu-Piment,                                                                                               smac, mjc…), et seulement sous contrats, puis faudra
Dieu-Cumin, Dieu-Cardamome, Dieu-Noix-de-                                                                                                qu’tu l’mérites, tiens, commence par nous gratter ce
Muscade !!! En aurais-je un jour assez de vous ?                                                                                         p’tit dossier pour nous expliquer ta démarche et ton
Je voudrais vous avoir purs et enivrants jusqu’à                                                                                         concept de cuicui ! Et puis, si t’es pas content, c’est
l’étourdissement autour de moi partout, dans                                                                                             pareil ! J’m’en vais te coller un trouble à l’ordre public
mes narines, sur mes papilles…                                                                                                           si tu continues tes cuicuitages sauvages ! »
                                                                                                                                         Puis, par ailleurs, y’aurait d’autres gens bien in-
Ne sommes-nous pas supposés nous enivrer ici-bas ?                                                                                       tentionnés qui viendraient enregistrer les p’tits
Qu’est-ce que la vie sans la sensation de l’extrême ?                                                                                    oiseaux, et les grands, suivis de gros connards
Est-il raisonnable de ne vivre qu’à moitié ?                                                                                             qui numériseraient tout ça pour l’éternité et
                                                                                                                                         foutraient ça dans les smartphones de tout
Toutes ces choses magnifiques et uniques qui                                                                                             l’monde ! Et hop ! Plus besoin d’oiseaux ! Et
existent ?                                                                                                                               plus besoin de forêt non plus ! Hop hop hop,
L’eau, la profondeur, les montagnes, les gouffres,                                                                                       bétonnez-moi tout ça ! Faisez-moi un skate park
les rochers, tous les rochers du monde, de l’univers,                                                                                    ou un steak house ou un sex-shop, ou un super-
les étoiles, les milliards d’étoiles, les consistances,                                                                                  markekette ou un temple ou une banque, ou
les gaz, les fleurs, les pommes, les fleurs qui                                                                                          une usine, ou une pompe à merde géante ou
donnent des pommes, les pommes qui donnent                                                                                               une république… pour intégrer les jeunes dans ce
des fleurs… Les générations de pommes… Les                                                                                               beau monde, qu’ils s’occupent, et surtout dans
oiseaux !! Les millions d’oiseaux ??? Les générations                                                                                    le respect de chartes d’égalité de façade…
de millions d’oiseaux… Tous différents… Tous
millénaires… Tous cent-millioné-naires ????!!                                                                                            Bientôt, c’est plus l’Art qui sera subventionné,
Et qu’est-ce qu’on oublie dans tout ça ?                                                                                                 mais la vie elle-même… Car on bousille toute
                                                                                                                                         beauté pour mieux sanctuariser son impossible
On oublie la magnifique et sainte                                                                                                        fétiche, en tirer propriété, bénédictions et sur-
ADMINISTRATION, bien sûr…                                                                                                                tout profits exclusifs…

C’est plus trop une affaire de saveurs, là… Ou                                                                                           Les espèces rares, inadaptées au diktat de la masse
alors une petite saveur de merde peut-être ?                                                                                             hu(rb)maine seront parquées au loin, dans des
Je me demande comment le Zeitgest nous conduit                                                                                           réserves naturelles, car rien ne doit arrêter le
à tant de moisissure de mort à nous coltiner…                                                                                            grand goudronnage des esprits.
Vraiment ? N’y a-t-il vraiment que ça à faire sur
cette damnée terre ? De l’administration ?                                                                                               Tout va bien citoyens-zartistes, réduisez votre
Ouah!                                                                                                                                    empreinte carbone et grattez-moi ces putains de
Moi, c’est marrant, je déteste tellement gratter                                                                                         dossiers pendant qu’on vide les océans, qu’on
ces « feuquine » dossiers de subs (ou devrais-je                                                                                         rase les forêts, grattez-moi ces dossiers pour avoir
dire ces « autorisations officielles d’exercer le                                                                                        le droit d’survivre et l’impression d’exister pen-
métier d’artiste ») que je répugne encore plus à                                                                                         dant que tout s’écroule… Affichez nos logos
demander à quelqu’un de le faire à ma place…                                                                                             comme la médaille légitime de notre bienveillant
                                                                                                                                         et magnanime pouvoir ! Grâce à nous, vous
Did you know? Your destiny was to « grat some                                                                                            pouvez créer un peu plus en survivant à crédit,
dossier d’sub ».                                                                                                                         tout cela pour notre propre crédit…

Ça fait combien de litres que tu grattes des « dossié                                                                                    Avis à la population ! La révolution est reportée
d’sub »? Plutôt que de gratter ton instru hein ?                                 Coltrane ou Bird… Fini ton rêve de chamane,             pour raisons sanitaires,
Combien d’heures de vie de perdues ?                                             de révolutionnaire, de clown, de provocateur            bien sûr,
                                                                                 de rêves… Enterrée la radicalité, enfouie la dé-        temporairement,
C’était pas trop ça le rêve initial de la belle vie                              mesure... C’est fini tout ça !                          ensuite, nous reviendrons à l’État d’Urgence
d’artiste, n’est-ce pas ? Tu voulais justement pas
passer ton temps derrière un bureau ? Tu vou-             Rentre chez toi !     Rentre chez toi ! Faut que tu grattes ton dossier
                                                                                                                                         habituel…

lais pas perdre ta vie à la gagner ? Tu voulais                                  d’sub pour ta prochaine « création ».
être en dehors ? Prendre du recul sur le monde ?           Faut que tu grattes                                                           (1) Le Plimj est le « Pochtron Lunaire Illuminé
À moitié ermite ? Pactiser avec un bon vieux diable
ou connaître une bonne flopée de jnouns pour               ton dossier d’sub     Y’a un nouveau moule à création qui vient de sortir
                                                                                 pour les artistes moulés qui font des gaufres
                                                                                                                                              du Métro des Léthargiques du Jazz ».

être capable de les convoquer, consacrer ton
précieux temps à la guérison du monde ?                    pour ta prochaine     créatives tartinées de nutela de merde bien moulés
                                                                                 démoulés de remoulade molle pour moules mo-

Et ben non, ton nouveau pacte, c’est pas avec le
                                                           « création ».         lasses fadasses de réchauffé de fausse révolution
                                                                                 artistique pré-chiée par les appels d’offres…
                                                                                                                                               À écouter
                                                                                                                                              Disponible aux Allumés du Jazz
Diable que tu vas le passer, c’est avec l’adminis-                               Non mais, sérieux !? T’imagines deux secondes                Tikkun
tration française, mon gros lapin…                                               si Sun Ra avait dû écrire des dossiers de subs               Dawn ceremony for dreadful days
Finis tes rêves d’expérimenter l’extrême, les                                    pour expliquer sa démarche artistique et avoir               (LFDS - 2021)
drogues, la folie, l’amour… Comme Hendrix,                                       le droit de la représenter en public ?

LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
4I         complexion communale

La musique et la Commune
                                                                                                                                                           de musique de la ville, en vue de réformer l’organisation musicale :
                                                                                                                                                           cinq seulement répondent à l’appel, essentiellement pour l’avertir
                                                                                                                                                           qu’il risque sa tête… La prophétie s’avéra exacte : conscient des
                                                                                                                                                           risques, Salvatore Daniel participe aux combats de la Semaine
                                                                                                                                                           Sanglante, et est fusillé par les Versaillais le 24 mai. Il n’apparaît
                                                                                                                                                           toujours pas dans les listes officielles des directeurs du Conserva-
                                                                                                                                                           toire de Paris.

Texte de Pierre Tenne . Illustration de Nathalie Ferlut                                                                                                    D’un point de vue esthétique, la Commune n’entraîne pas non
                                                                                                                                                           plus de révolution musicale majeure, si ce n’est peut-être dans les
                                                                                                                                                           thèmes mis en musique et en scène pendant ces 72 jours (délai un
Sans doute ne faut-il pas trop faire parler les dates,                        siciens sont dans leur grande majorité anti-communards ou indif-             peu court pour faire date de ce point de vue). Ainsi, le jeune Raoul
qui sont des symboles trop faciles. Il est parfois difficile de se retenir.   férents. Ces derniers, comme le rappelle Laure Godineau4, sont la            Pugno, pianiste et compositeur qui fut l’un des rares communards
                                                                              cible de la presse communarde qui les désigne comme « francs-                à faire carrière après 1871, avait-il prévu pour le 28 mai une Alliance
Comme bien d’autres occupations de théâtres en France par des                 fileurs », oubliant parfois injustement un soutien timide aux révoltés       Universelle pour chœur et orchestre qui ne fut jamais jouée à l’Opéra.
artistes, celle de l’Odéon a été accompagnée d’un imaginaire                  par l’intermédiaire des représentations bénéficiant aux familles de
communard assez rare ces dernières années : suites des Gilets                 blessés de la Garde Nationale.                                               La Commune révèle ainsi plutôt le corporatisme fermement ancré
Jaunes ? Effet du 150e anniversaire de la Commune ? Peut-être                                                                                              des musiciens professionnels de 1871, qu’ils viennent d’ailleurs du
tout cela à la fois. Toujours est-il que le 19 mai, le président1 ayant       Ces représentations, notamment les concerts des Tuileries, regroupent        Conservatoire ou des musiques populaires. Largement dépolitisés,
en son palais décidé de la réouverture des terrasses et lieux de              selon l’historienne environ une centaine d’artistes dont bien peu sont       plutôt conservateurs, les musiciens s’emparent, sauf exception,
culture, le théâtre occupé de façon autorisée (étrange concept)               des communards convaincus. Parmi ces derniers, les musiciens                 de la Commune essentiellement à travers des concerts de soutien
sera vidé de ses occupants. À deux jours près, l’anniversaire de la           forment une poignée d’individus identifiables, dont les carrières seront     aux Parisiens et Parisiennes. La présence de la musique est plus
Semaine Sanglante aurait eu une belle commémoration…                          durablement brisées par la répression postérieure. Mademoiselle              de l’ordre du quotidien de la Commune que de ses projets.
                                                                              Agar5 chante vraisemblablement « La Marseillaise » le 21 mai, à la
Lissagaray2 entamait d’ailleurs le récit des sept jours de répression         manière de Rosa Bordas6 qui, lors des funérailles de Victor Noir,            C’est d’ailleurs d’après ce quotidien insurgé et réprimé que la mémoire
versaillaise par la mention d’un concert aux Tuileries en l’honneur des       quelques jours avant la proclamation de la Commune, se rendit                musicale de la Commune continue de rayonner jusqu’aujourd’hui,
veuves et des orphelins, donné le 21 mai 1871. Hasard des dates,              célèbre grâce à la chanson « La Canaille », au refrain on ne peut            à travers un imaginaire porté par les chansons : « Le Temps des
encore une fois, qui pourrait donner l’impression que la Commune              plus clair : « Eh bien ! J’en suis ! » Son engagement, jamais démenti        Cerises », « L’Internationale », « La Semaine Sanglante » (« Ça branle
et la musique sont, depuis 150 ans, solidaires d’une histoire politique       et toujours en chanteuse, pour la Commune rendit après la Com-               dans le manche »), « La Commune n’est pas morte »… Eugène
et sociale de la musique insurgée. Une telle impression ne résiste            mune sa carrière impossible, alors que la presse d’extrême droite            Pottier, ouvrier et poète, trouve, dans nombre de ses chansons,
ni à l’épreuve des discours actuels, où la musique est un symbole             l’affublait du surnom de « Muse du Pétrole » - attestant d’une application   une postérité révolutionnaire extraordinairement persistante.
largement non musical à l’exception de certaines de ses chansons,             au domaine musical de la misogynie à l’œuvre dans le sentiment
ni à celle de l’histoire des héritages musicaux laissés par ces 72 jours      anti-communard, où le mythe des pétroleuses continue d’agir.                 Les chansons de la Commune, réinterprétées, chantées, sorties sur
de 1871.                                                                                                                                                   disque par d’étonnants détours de l’histoire (Jean-Marie Le Pen a
                                                                              Le faible nombre de musiciens engagés pour la Commune explique               produit un album des chansons de la Commune par les Quatre
Les artistes du spectacle créent une Fédération artistique au moment          le peu de réalisations concrètes, hormis ces concerts dont l’importance,     Barbus)7, incarnent la mémoire la plus vivace de la musique com-
exact où Courbet3 crée avec d’autres la Fédération des artistes               réelle, a pu être exagérée. Un exemple de ces difficultés peut être fourni   munarde, qui est également celle qui a le plus suscité l’intérêt des
plasticiens (6 avril), dont l’importance esthétique et politique est          par l’itinéraire de Francisco Salvador Daniel, professeur de musique         musiciens depuis : on entend à nouveau « La Semaine Sanglante »
majeure. L’adhésion des peintres et sculpteurs à la Commune est               d’origine espagnole et passé par l’Algérie – il fut l’un des premiers        dans les manifs et dans certains concerts, rares, depuis quelques
la plus majoritaire parmi les différents métiers d’artistes : les écrivains   auteurs à s’intéresser à la musique arabe et fut l’un des premiers           années. Cela dit, on peut y voir un quiproquo à deux égards : ces
sont massivement et violemment anti-communards, comme le rappelait            Français à écrire sur la musique kabyle. Salvador Daniel est nommé           chansons ont le plus souvent été composées après 1871, ou pendant
Paul Lidsky (Les Écrivains contre la Commune), comédiens et mu-               directeur du Conservatoire et convoque le 13 mai tous les professeurs        la répression versaillaise. Surtout, elles permettent de maintenir l’espoir
                                                                                                                                                           en partie fantasmé d’une musique populaire et insurgée où pourraient
                                                                                                                                                           se rejoindre les musiciens et les luttes, au prix d’un oubli rarement
                                                                                                                                                           évoqué dû au fait que les musiciens professionnels d’alors furent
                                                                                                                                                           bien peu nombreux sur les barricades, et que l’imaginaire artis-
                                                                                                                                                           tique communard a disparu des horizons contemporains.

                                                                                                                                                           « Tout ça n’empêche pas, Nicolas, que la Commune n’est pas
                                                                                                                                                           morte », et qu’elle continue de nous agiter, sans faire oublier
                                                                                                                                                           qu’en musique, les Communes sont devant nous.

                                                                                                                                                           (1) Emmanuel Macron, 25e président de la République Française élu
                                                                                                                                                               le 14 mai 2017.
                                                                                                                                                           (2) H
                                                                                                                                                                ippolyte Lissagaray, journaliste, auteur de L’Histoire de la Commune de 1871.
                                                                                                                                                           (3) Gustave Courbet, l’un des plus décisifs peintres du XIXe siècle,
                                                                                                                                                                défricheur du mouvement réaliste. Artiste célèbre, alors et
                                                                                                                                                                maintenant, profondément investi dans la Commune de Paris.
                                                                                                                                                           (4) Auteure de La Commune de Paris par ceux qui l’ont vécue
                                                                                                                                                                (Éditions Parigramme, 2010).
                                                                                                                                                           (5) Marie Léonide Charvin (1832-1891), dite Mademoiselle Agar,
                                                                                                                                                                célèbre tragédienne de la fin du XIXe siècle.
                                                                                                                                                           (6) Marie-Rosalie Martin (1840-1901), épouse Bordas, chanteuse populaire.
                                                                                                                                                           (7) Lire in Les Allumés du Jazz n° 40 (page 18) : « Des disques politiques »
                                                                                                                                                                par Jonathan Thomas où l’auteur revient sur l’étrange activité
                                                                                                                                                                de producteur de disques du politicien d’extrême droite.

                                                                                                                                                                 À écouter
                                                                                                                                                                François Tusques
                                                                                                                                                                Intercommunal Music (Shandar - 1971)
                                                                                                                                                                Intercommunal Free Dance Music Orchestra - Vol. 2
                                                                                                                                                                Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre
                                                                                                                                                                (Le Temps Des Cerises - 1974)
                                                                                                                                                                Le Collectif Le Temps Des Cerises
                                                                                                                                                                Dansons Avec Les Travailleurs Immigrés (Le Temps Des Cerises - 1974)
                                                                                                                                                                François Tusques - Serge Utgé-Royo
                                                                                                                                                                Ça Branle Dans Le Manche (Le Temps Des Cerises - 1975)

                                                                                                                                                                Disponibles aux Allumés du Jazz
                                                                                                                                                                Tony Coe
                                                                                                                                                                Les voix d’Itxassou (nato - 1996)
                                                                                                                                                                Tony Hymas
                                                                                                                                                                De l’origine du monde (nato - 2010)
                                                                                                                                                                Emmanuel Bex - David Lescot - Elise Caron - Mike Ladd -
                                                                                                                                                                Géraldine Laurent - Simon Goubert
                                                                                                                                                                La Chose Commune (Le Triton - 2017)
                                                                                                                                                                Yoram Rosilio & Anti Rubber Brain Factory
                                                                                                                                                                Ensueños Burlescos, Peligrosos y Misticos de Tierras Mexicanas
                                                                                                                                                                (LFDS - 2019)
                                                                                                                                                                Tony Hymas
                                                                                                                                                                De Delphes... (nato - 2021)

                                                                                                                                                                                                        LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
complexion communale                       I5

La musique
et l’immune
Texte de Pierre Tenne
Illustration de Thierry Alba
Photographie de Jeanne Bacharach

La Commune revient, comme si souvent, dans les imaginaires
contemporains. Pour jouer aux étymologistes, la question qui agite
aujourd’hui la musique est certainement bien moins celle du commun
que de l’immun. La pandémie de Covid-19 a placé cet enjeu au-devant
des préoccupations des musiciennes, musiciens, programmateurs,
politiques, spectateurs, parfois de manière caricaturale : les Flaming
Lips, en janvier 2021, organisent ainsi un concert où musiciens et
public sont pris dans des bulles de plastique étanches, permettant
de protéger de toute contamination. La distanciation sociale s’évapore,
au profit d’une barrière immunitaire, protectrice, qui autoriserait
chacun à être présent (mais quelle présence ?) à l’autre en res-
tant confiné dans son soi bactériologique et viral.

En s’embringuant dans les fantasmes de monde d’avant et de monde
d’après, le recul a souvent manqué face à ce qu’il se passait. Sans nier
que la pandémie ait constitué un bouleversement inédit, planétaire,
de la vie artistique et donc musicale, il paraît nécessaire de rappeler
que cette logique immunitaire n’est pas neuve, y compris dans les
domaines artistiques. L’immun peut ainsi devenir un biais efficace
pour penser non pas la rupture, tétanisante, de mars 2020, mais plutôt
les continuités, entre l’après et l’avant, pour armer une critique plus
efficace de ce monde musical tel qu’il ne va pas depuis si longtemps.

Le philosophe italien Roberto Esposito consacre depuis plus de vingt
ans d’importants travaux à cette question politique de l’immunité dans
nos sociétés, liant celle-ci à un questionnement sur la communauté :
« la thèse spécifique de Roberto Esposito est que l’immunité est une
réaction à la communauté »1. Les deux termes partagent leur origine
latine et avancent conjointement, selon le penseur, dans une histoire
politique de la modernité qui englobe le droit, l’anthropologie, la
religion et la théologie, la politique et la médecine. Esposito, avec
d’autres, repère dans l’immunitaire un point commun de nos mul-
tiples modernités permettant de traverser les multiples domaines
d’organisation politique. Immunitas, le livre fondateur de cette analyse
immunitaire, date de 2002, soulignant à quel point la question
immunitaire n’a pas émergé en mars 2020, mais nous travaille
depuis bien longtemps.

Peut-on emprunter à cette pensée, cet angle immunitaire, ses outils         Tout cela qui se conçoit comme vivant devient donc mortel : l’im-
pour penser l’organisation politique, sociale, esthétique, des musiques     munité le rappelle constamment.
contemporaines ? Peut-on, par ce biais de l’immun, également
éclairer le présent pandémique en en faisant surgir les continuités         Ce faisant, elle permet de comprendre à quel point la politique
avec des situations antérieures ? Car les bulles des Flaming Lips           musicale et culturelle est conçue in fine exclusivement sous
ne resteront au stade du ridicule que si elles peuvent être isolées         l’angle des droits – des interprètes, des auteurs, des producteurs,
de tendances plus anciennes du devenir de la musique…                       etc. Le droit, si l’on en croit Esposito qui suit sur ce point Simone
                                                                            Weil, c’est en définitive ce qui pense sauver la communauté en la
Mais tout d’abord, contre quoi pourrait-on bien immuniser la musique,       niant. Le droit crée du propre aux dépens du commun, le droit
les musiciens, le public ? De quelle mort pourrait-on bien les protéger ?   personnalise au lieu de mettre en commun. Il crée des sujets et
La politique musicale française, si quelque chose de semblable a            une certaine relation entre eux : « Si l’unique façon de se prémunir
jamais existé, se revendique depuis plus d’un demi-siècle comme             face à la déception d’une attente consiste à se prédisposer à
défense publique des musiques laissées pour compte par les logiques         l’affronter par un rejet, le système immunitaire du droit n’a plus pour
marchandes : les subventions sont de ce point de vue pensées comme          tâche de protéger la communauté des conflits, mais, au contraire,
vaccin pour protéger les musiques et musiciens « légitimes » de la          à travers eux »3.
mort ou de l’impossible existence dans lesquelles ils tomberaient
sans un tel soutien. Dans les discours étatiques, depuis Malraux au         Ce faisant surtout, la logique immunitaire révèle le négatif sur le-
moins, ce ne sont pourtant pas les artistes et les œuvres qu’il s’agit      quel repose cette conception de la musique : artistes, public, cir-
de protéger, mais bien le corps culturel de la société, ou la partie        culation des œuvres importent peu puisqu’il s’agit d’abord de
culturelle du corps social : le danger contre lequel on l’immunise          protéger des vies musicales qu’on invente, en les judiciarisant et
est celui d’une soumission trop forte à des expressions artistiques         en les dotant de droits. Il ne faut donc pas s’étonner de la facilité
jugées néfastes. La subvention de la musique vaccine notre corps social     avec laquelle se fait la transition vers les concerts en streaming,
contre un risque supposé d’appauvrissement de sa culture musicale.          forme technologique achevée d’une relation à l’autre immunisée,
                                                                            et donc de la capacité à exclure les êtres humains de cette vie
Ce qui n’est pas sans poser de nombreux problèmes, entièrement              musicale qu’on dit défendre : d’un point de vue immunitaire, elle
cohérents avec la logique immunitaire. Comme dans le cas d’un               est inscrite depuis longtemps dans une musique qui ne cesse de            (1) Frédéric Neyrat, « Naissance de l’immunopolitique », in Roberto
vaccin, il s’agit d’inoculer l’élément pathogène dans le corps à            se présenter comme vivante en s’éloignant toujours plus des                    Esposito, Communauté, immunité, biopolitique. Repenser les termes
immuniser : le virus menaçant le corps musical étant celui d’une            formes réelles de vie – cette drôle de chose qu’on appelle des                 de la politique, Sesto SG, Mimesis, 2019. Au passage, d’autres auteurs
culture entièrement livrée aux forces de l’argent, on y répond en           êtres, humains ou non. L’immunité, en musique, pourrait bien                   s’intéressent à cette pensée de la politique immunitaire, tels Alain
injectant en lui de l’argent neutralisé par le fait qu’il est public et     politiquement, esthétiquement, socialement être cela, un spec-                 Brossat ou Bjung Chul-Han.
non privé2. Cette conception immunitaire invente la musique                 tacle vivant sans vie dont la forme achevée est aujourd’hui sous          (2) D’autres modèles économiques, notamment anglo-saxons, privilégient
comme vivante et donc mortelle : elle devient un corps, soumis à            bulle ou dans des écrans : la précipitation à rouvrir concerts et              une autre immunisation par le recours au mécénat privé.
des droits propres. Qui voudra voir ici des exagérations abstraites         festivals, bien compréhensible, ne pourra en aucun cas reporter           (3) Roberto Esposito, Immunitas. Protection et négation de la vie, p.77,
et intellectuelles pourra méditer sur le vocabulaire qui imprègne           l’urgence à se poser ces questions, contre une politique bien an-              qui poursuit sur une citation de Niklas Luhmann : « Le droit ne résout
aujourd’hui la musique : spectacle vivant, création, vie musicale, etc.     cienne qui aura hâte de se parer du doux nom de monde d’après.                 pas seulement les conflits, mais les rend possibles et même les produit. »

LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
6I        directions

Lignes occupées
                                                                                                                                                                            LES DIFFICULTÉS DE L’OCCUPATION

                                                                                                                                                                            Marie Meignan : Au début de l’occupation, on parlait
                                                                                                                                                                            beaucoup de la forme, des actions à mettre en
                                                                                                                                                                            place, des manifestations, mais très peu du fond.
                                                                                                                                                                            Il n’y avait pas de réflexion sur la précarité, très
                                                                                                                                                                            peu de gens savaient expliquer la réforme de
                                                                                                                                                                            l’assurance chômage, le régime de l’intermittence.
                                                                                                                                                                            Cela fait trente ans que les gens sont dépolitisés,
                                                                                                                                                                            désinformés, désyndicalisés. Ensuite, il y a eu un
                                                                                                                                                                            débat sur la façon de rencontrer les politiques.
                                                                                                                                                                            Les occupants ne savaient pas du tout comment
Propos recueillis par Cyrielle Belot, le 4 mai 2021. Photographie de bsaz                                                                                                   réagir face aux élus qui ont rapidement cherché
                                                                                                                                                                            le dialogue. Se posait également le problème de la
                                                                                                                                                                            représentativité, car il y a beaucoup de personnes
                                                                                                                                                                            du spectacle vivant et peu de précaires des autres
« Occuper une usine en activité contre sa direction, avec tous les risques que                                   premiers demandaient le retrait de la réforme de           secteurs.
ça comporte, c’est un sacré truc. Occuper un théâtre à l’arrêt avec la bénédiction                               l’assurance chômage, ainsi que la prolongation
                                                                                                                 de l’année blanche, les seconds, la réouverture            Jean-Louis Pommier : Avec les membres de la di-
de la direction et sans risque de se faire virer par les flics, c’est un autre truc. »                           des lieux culturels, ce qui a conduit par la suite à       rection de la Scène Nationale, nous nous sommes
disait un musicien à qui voulait l’entendre sur les marches de l’Odéon, théâtre                                  une confusion des revendications. Parce que l’on           rejoints au moment de l’occupation, mais très vite
parisien où naquirent les occupations des théâtres français. Quelque chose pourtant                              occupe un lieu culturel, les gens pensent que nos          nous les avons dépassés. Poussés par le Syndeac,
                                                                                                                 revendications ne s’intéressent qu’à ce secteur            ils ne demandaient que quelques jours d’occu-
s’est passé en cette sorte d’annonce de fin (provisoire ?) de l’intervalle in tempore                            alors qu’elles concernent les droits sociaux, et           pation et voulaient surtout mettre l’accent sur la
autem coronavirus. Revendications trop corporatistes pour les uns et les unes                                    donc tout le monde.                                        journée du 20 mars. Mais pour les occupants,
souhaitant briser plus énergiquement la digue qui sépare le monde culturel de l’autre                                                                                       cela n’avait que peu d’intérêt.
                                                                                                                 LA PARTICULARITÉ DU MANS                                   Passée cette date, le Syndeac ayant dû avoir le
monde, amorce essentielle pour les autres afin de reconquérir des positions sensées                                                                                         calendrier de réouverture avant nous, ils ont compris
dans ces mêmes mondes. Notre correspondante au Mans est allée à la rencontre                                     Jean-Louis Pommier : En Sarthe, on avait monté un          qu’ils allaient rouvrir. Ils n’avaient donc plus d’in-
de deux occupants bien occupés : Marie Meignan, régisseuse de spectacle                                          collectif de compagnies au moment du 1er confi-            térêt à protester. Pour nous, la reprise est condi-
                                                                                                                 nement, le CIES72. On travaillait déjà sur des pro-        tionnée à l’acceptation de toutes les revendications.
et Jean-Louis Pommier, musicien du collectif Yolk.                                                               positions spécifiques aux problèmes du spectacle
                                                                                                                 vivant. On avait réussi à récupérer des lieux sarthois     LA RELATION AVEC LES POLITIQUES LOCALES
Marie Meignan : Au Mans, le mouvement du Théâtre         Jean-Louis Pommier : Étant donné le travail déjà        et on avait alors amorcé des choses pour échanger
de l’Odéon a éveillé les techniciens du spectacle qui    amorcé en Sarthe, cela aurait eu du sens d’aller        avec les politiques et interpeller les élus avant même     Jean-Louis Pommier : Les élus locaux ne sont pas
se sont rendus compte qu’ils ne pourraient pas           dans les milieux plus ruraux, alors que nous n’avions   le mouvement d’occupation.                                 d’un réel soutien. Il y a beaucoup d’hypocrisie, et
travailler sur les grands événements cet été en raison   que très peu de lien avec la Scène Nationale qui                                                                   pas de considération. Ils semblent être très éloignés
des mesures sanitaires. Un technicien son, travaillant   ne programme pas, ou très peu, les compagnies           Marie Meignan : On est un des premiers départe-            de la précarité et ne comprennent pas ce que les
dans l’événementiel, a alors monté un groupe             locales. Mais nous avions besoin de visibilité et       ments à s’être regroupé en collectif, à avoir monté        gens vivent. Ils ne parlent que de culture et n’en-
Facebook privé. Il a appelé ses amis, ils ont discuté    d’un symbole plus grand, en raison du caractère         des groupes de réflexion sur les problèmes actuels,        tendent pas la première revendication ayant trait
entre eux du mouvement et de la meilleure façon          national du mouvement. Voilà pourquoi la Scène          de diffusion, de structuration de compagnies. Au           au retrait de la réforme de l’assurance chômage.
d’agir. Avec le CICP 72 (Collectif des Intermittents,    Nationale du Mans a été choisie, en sachant             Mans, il y a un manque flagrant d’administrateurs,         D’après eux, avec la réouverture des lieux, tout
Chômeurs et Précaires en Sarthe), nous nous              qu’à ce moment-là, ils nous attendaient.                ce qui fait qu’il y a beaucoup de compagnies qui           va rentrer dans l’ordre. Et quand on leur explique
sommes d’abord renseignés sur les personnes                                                                      vont avoir du mal à survivre car elles ne vont pas         qu’on ne veut pas retourner dans le même système
impliquées, puis nous avons relayé sur nos réseaux.      L’ENTENTE AVEC LE LIEU                                  demander les fonds d’aide. Dans les autres lieux           qu’avant, que ce soit culturel ou sociétal, ils ne
Finalement, le 15 mars, une réunion a été organisée                                                              occupés en France, c’était la première fois que les        comprennent pas.
dans les locaux de la Fonderie, l’idée était de réunir   Marie Meignan : En vérité, c’était une occupation       gens se retrouvaient depuis le début de la crise
les différentes compagnies et personnes de la culture    consentie car, peu de temps avant, le Syndeac           sanitaire, et ils étaient au tout début des réflexions     L’ÉVOLUTION DU MOUVEMENT
de la Sarthe. Ce jour-là, les techniciens du spectacle   (Syndicat national des entreprises artistiques et       sur la culture. En Sarthe, cette réflexion existe depuis
étaient prêts à occuper le théâtre, mais tout le monde   culturelles) avait lancé un appel à manifester le       un an déjà, avec une force de propositions et une          Marie Meignan : La prochaine réunion des lieux
n’était pas d’accord, d’une part, sur les revendica-     20 mars pour la réouverture des lieux culturels.        approche locale qui ont une résonnance au niveau           occupés aura lieu à Orléans après le 20 mai. Pour
tions, d’autre part, sur le lieu à occuper.              Ces deux mouvements se sont alors rejoints. Les         national.                                                  le moment, les occupants de chaque lieu agissent
                                                                                                                                                                            comme ils le peuvent, en fonction de la cohabitation
                                                                                                                                                                            avec la direction des théâtres. La plus grande dif-
27 mars 2021. Occupation du Théâtre de l’Odéon par des intermittents du spectacle et des précaires.                                                                         ficulté réside dans la réouverture des billetteries et
                                                                                                                                                                            dans la protection sanitaire des salariés des lieux
                                                                                                                                                                            occupés qui ne doivent pas, ou le moins possible,
                                                                                                                                                                            être en contact avec les occupants. Mais sur le fond,
                                                                                                                                                                            tant que les revendications n’auront pas abouti, il y
                                                                                                                                                                            aura des blocages. Si l’année blanche est prolongée,
                                                                                                                                                                            peut-être les occupations s’arrêteront-elles, mais
                                                                                                                                                                            c’est difficile à prévoir. Il est clair qu’il n’est pas
                                                                                                                                                                            envisageable de reprendre là où en était la culture
                                                                                                                                                                            avant la crise sanitaire. En Sarthe, les occupants
                                                                                                                                                                            demandent la tenue d’assises culturelles pour le
                                                                                                                                                                            département.

                                                                                                                                                                            Jean-Louis Pommier : Au niveau national, il est ques-
                                                                                                                                                                            tion de blocages de gros événements comme le
                                                                                                                                                                            festival d’Avignon ou celui d’Aix-en-Provence, mais
                                                                                                                                                                            les gens ont envie de travailler, pour des raisons
                                                                                                                                                                            financières, mais aussi artistiques et sociales.

                                                                                                                                                                                 À écouter
                                                                                                                                                                                 Disponibles aux Allumés du Jazz
                                                                                                                                                                                 Clover
                                                                                                                                                                                 Vert émeraude
                                                                                                                                                                                 (Yolk - 2020)
                                                                                                                                                                                 LPT3
                                                                                                                                                                                 Vents divers
                                                                                                                                                                                 (Yolk - 2017)

                                                                                                                                                                                                 LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
confidences                I7

De l’écoute
                                                            et la traversée d’états émotionnels qui émergent         vous ne savez pas comment l’enlever. L’écoute            elle. Elle induit un rapport de réciprocité entre
                                                            de l’intérieur. Évidemment, cette idée s’applique        peut se faire distraite, énervée, exaltée, énergique,    création et réception qui fait que la réception
                                                            beaucoup mieux aux films Netflix, qui sont               déprimée, déplacée, corporelle, éthérée… Parfois,        devient créatrice. Cela n’a rien à voir avec le style
                                                            d’autant plus efficaces qu’ils exigent une cessation     une musique entraîne une virée hors du quotidien ;       évidemment, mais avec les fondations intérieures
                                                            immédiate d’activité intérieure (je le sais bien         pendant le premier confinement, la chanson               de la musique, avec la manière dont elle est conçue
                                                            puisque j’en suis moi-même abreuvée), qu’aux             « Sparring Partner » de Paolo Conte a motivé             et pratiquée. Ce rapport, je ne doute pas que l’on

en temps de
                                                            films d’art et d’essai ou aux tableaux de maîtres.       l’idée d’une soirée italienne, avec poivrons grillés,    puisse le trouver ailleurs, chez certains peintres
                                                            Malgré tout, le son a la faculté de faire naître des     risotto et Spritz sur le balcon. Parfois, vous vous      (Pierre Soulages), chez certains artistes de théâtre
                                                            mondes intérieurs là où l’image appelle plutôt           rendez compte qu’il n’y a pas mieux que Vivaldi          qui jouent avec le cadre et le temps (le Théâtre du
                                                            à se couler dans ceux des autres. Au sortir de la        pour faire le ménage. Parfois, vous découvrez            Radeau de François Tanguy) ou chez certains
                                                            pandémie, je sais encore mieux qu’avant pour-            LE disque de l’année 2020, Expect the Unexpected         écrivains et compositeurs (Umberto Eco a même

pandémie
                                                            quoi j’ai choisi de mettre au centre de ma vie la        de 79rs Gang, un groupe de La Nouvelle-Orléans           fait un livre sur la question, L’Œuvre ouverte, où
                                                            musique et pas le cinéma : le son (du moins un           qui mêle hip hop et traditions des Black Indians         il prend l’exemple de Stockhausen, Berio et
                                                            certain son) est ouverture, entrée en soi, création ;    (merci Le Grigri radio). À d’autres moments,             Pousseur – haha, laissez-moi rire). Le jazz reste
                                                            l’image (du moins une certaine image) est fer-           un dialogue intérieur se met en place entre une          néanmoins l’un de ses espaces privilégiés.
                                                            meture, échappée de soi, consommation.                   musique et un livre, une musique et une pensée,
                                                                                                                                                                              Aujourd’hui, au moment de la sortie du tunnel,
                                                                                                                                                                              nous avons encore la possibilité d’une « con-
                                                                                                                                                                              nexion », d’une expérience collective, d’une
                                                                                                                                                                              écoute du monde partagée. Comme depuis le
Texte de Raphaëlle Tchamitchian                                                                                                                                               début, elle est un peu forcée, mais elle existe.
Photographie de Karel Reisz et                                                                                                                                                Avec des variantes et des inégalités, on vit tous
Tony Richardson (Free Cinema)                                                                                                                                                 plus ou moins la même chose au même moment.
                                                                                                                                                                              Après ces longs mois d’introspection forcée
Depuis que la pandémie a commencé, les                                                                                                                                        (qu’elle ait été investie consciemment ou pas),
réseaux sociaux et les commentateurs en tout                                                                                                                                  tout reprend brutalement, et forcément, c’est
n’arrêtent pas de répéter que l’art est indispen-                                                                                                                             un peu brouillon. On ne sait plus trop comment
sable, à grands renforts de « Heureusement qu’on                                                                                                                              on s’appelle, on s’énerve peut-être un peu vite,
a la musique » et autres « Imaginez la même chose                                                                                                                             on est peut-être un peu fébrile pour pas grand-
sans le cinéma ! » Inutile de souligner l’ironie et                                                                                                                           chose. Ça part dans tous les sens. On réapprend
la superficialité de ce genre de déclarations quand                                                                                                                           à naviguer entre plusieurs cercles sociaux simul-
on voit comment les artistes ont été traités en                                                                                                                               tanément, à parler à la fois à notre meilleur pote
France par les pouvoirs publics pendant cette                                                                                                                                 et au gars qui ne nous a pas vraiment manqué
même pandémie. D’autant qu’il y a art et art.                                                                                                                                 pendant un an mais qu’on est quand même
L’autre jour, à l’occasion de la Fête de la Radio,                                                                                                                            content de retrouver. Et puis, on se demande
France Culture diffusait dans l’émission « Les Pieds                                                                                                                          aussi comment et pourquoi retourner au concert.
sur terre » les témoignages de deux personnes                                                                                                                                 Soudain, tout rouvre à l’extérieur, mais où est la
qui ont survécu à des situations extrêmes grâce                                                                                                                               nécessité intérieure ? Ça veut dire quoi, faire de
à la radio. La première avait été enfermée chez elle                                                                                                                          l’art dans un monde qui s’en est privé pendant
toute son adolescence par une mère maltraitante,                                                                                                                              un an et qui a prouvé, malgré tout, qu’on pouvait
la seconde s’était retrouvée otage des talibans en                                                                                                                            très bien s’en passer ? Bien sûr, je me fais l’avocat
Afghanistan pendant presque deux ans. Dans les              Photo du film Momma Don’t Allow, de Karel Reisz et Tony Richardson, 1955.                                         du diable, mais, en filigrane, la question se
deux cas, la radio leur a apporté non seulement des                                                                                                                           pose. Il faut retrouver une nécessité intérieure,
informations mais aussi et surtout un réconfort                                                                                                                               réapprendre à se motiver, à se déplacer, à s’as-
et une présence vitale. Le journaliste prisonnier           Le type de création intérieure initiée est bien sûr      comme s’ils résonnaient l’un avec l’autre à un           seoir dans une salle de spectacle, à rester sans
des talibans — il s’agit de Hervé Ghesquière,               différent selon la musique dont il s’agit. On ne         niveau infra-sensible. Nikhil Banerjee et W. G.          bouger. Tout rouvre brutalement à l’extérieur,
qui est décédé en 2017 — raconte notamment                  peut pas mettre sur le même plan les tubes com-          Sebald. Barre Phillips et Charles Juliet. Clara Ysé      et pendant ce temps ça rouvre doucement à
qu’il a découvert la chanteuse britannique Adele            merciaux et la musique de recherche (encore que          et Mona Chollet. Kae Tempest parlerait d’une             l’intérieur. Attendez-moi, j’arrive.
à ce moment-là, alors qu’elle était au début de sa          la tradition noire nous a appris que la distinction      « connexion » entre les œuvres et les êtres –
carrière, et que grâce à elle il a dansé dans sa cellule.   était loin d’être évidente). Confinement ou pas          bref, d’art.
                                                            confinement, ce n’est pas du tout la même chose                                                                   (1) Portrait de la jeune fille en feu, film réalisé par Céline
À l’écoute de ces témoignages, je ne peux pas               de danser sur « Freedom » de Beyoncé à fond,             J’aime le jazz pour de nombreuses raisons, mais               Sciamma, musique de Jean-Baptiste de Laubier et
m’empêcher de penser que, dans ce type de situa-            d’entrer en méditation sur West de Vincent               surtout parce que c’est une musique dans laquelle             Arthur Simonini (2019).
tion, le son est « supérieur » à l’image, parce qu’il       Courtois, de se laisser transporter par la bande         j’ai la sensation de pouvoir me lover. Le jazz est
permet d’entrer dans une posture créatrice. Offerte         originale de Portrait de la jeune fille en feu1, ou de   une musique ouverte, qui ménage un espace à
depuis l’extérieur, l’image a tendance à proposer           réécouter pour la millième fois le Köln Concert de       ses auditeurs, qui offre la possibilité de s’installer
un monde cadré, clos, prêt à consommer. À l’in-             Keith Jarrett parce que le disque est coincé dans        à l’intérieur du son. C’est une expression qui
verse, le son facilite la création d’images mentales        la platine, que vous n’êtes pas chez vous et que         s’ouvre autant à nous que nous nous ouvrons à

                                                                                                 Téléphonie
                                                                                                            Par Zou

LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
8I      disco take

Une ambiance
                                                                                                                                                     durée approximative, réglé le volume d’enre-
                                                                                           Entretien avec Quentin Rollet                             gistrement et du casque en zappant sur le mor-
                                                                                                                                                     ceau pour en connaître l’ambiance et… appuyé
                                                                                           Mars 2020 connaît une mise à l’arrêt inédite à la durée   sur REC.
                                                                                           incertaine. À ce moment-là, te semble-t-il qu’il faille
                                                                                           arrêter comme semble l’imposer le mouvement (ou           Envisages-tu ces pratiques d’enregistrement, nées
                                                                                           le non mouvement), marquer une pause ? Faire              d’une situation exceptionnelle, comme une ouver-
                                                                                           autrement ? Le cas échéant, pour quoi faire ?             ture possible vers d’autres modalités de création et
                                                                                           Ça a été un choc pour moi étant donné que ça              réalisation d’un album ?

de parenthèses ?
                                                                                           allait être l’année la plus fournie en dates depuis       Oui, complètement. Chaque endroit amène une
                                                                                           bien longtemps (Centre Pompidou à Paris et                manière de jouer différente. Bien évidemment,
                                                                                           MoMA à New York avec la réalisatrice Narimane             chez moi, je ne peux pas m’exprimer de la
                                                                                           Mari, Budapest et Vilnius avec Ghédalia Tazartès,         même manière que dans un studio insonorisé
                                                                                           Amsterdam et Londres avec Nurse With Wound,               ou dans une salle avec un espace conséquent
                                                                                           entre autres). Après un temps de stupeur, j’ai            qui permet de faire sonner la pièce. On va dire
                                                                                           essayé de me mettre à l’instrument mais au bout           que c’est une contrainte, mais en musique, j’ai
                                                                                           de trois jours, j’ai trouvé cela ridicule et très très    bien l’impression que les contraintes libèrent,
                                                                                           ennuyeux. Je ne suis pas du tout technicien, et           finalement. Je ne suis pas du tout le modèle
Entretien avec Quentin Rollet et Timothée Le Net                                           ne joue pas de musique écrite. Ma voie est l’im-          standard quant à l’activité musicale. Je n’ai ja-
par Christelle Raffaëlli                                                                   provisation, et je ne joue que s’il y a un enjeu :        mais vécu de la musique, ce qui fait que je suis
                                                                                           du public, ou au moins d’autres musiciens avec            totalement libre de faire celle qui me plaît.
Enquête auprès des Allumés du Jazz par Cyrielle Belot                                      qui créer et partager, donc uniquement sur scène          L’enchaînement « résidence - création - tournée »
Illustration d’Emre Orhun                                                                  ou en studio. Mais, le public étant inaccessible,         n’est pas mon modèle. Je joue dans une dizaine
                                                                                           il ne restait que l’option du « studio ». Je n’avais      de projets différents, certains n’ayant jamais fait
                                                                                           à ce moment-là pas du tout de matériel d’enre-            de scène, ou d’autres jamais de studio. On peut
Le mot « confinement » apparaît au Moyen Âge pour signifier l’enfermement, et très vite,   gistrement. Et, comme je ne veux pas m’enre-              dire que mon modèle est le cas particulier.
pénalement, l’emprisonnement, avant de se généraliser au XIXe siècle en isolement,         gistrer sur mon ordinateur afin de ne pas voir la
d’abord pour un captif, puis pour tout le monde, souvent en métaphore abstraite.           musique apparaître sur l’écran (cela perturbe             L’année qui vient de s’écouler a vu se développer
                                                                                           totalement la concentration et le jeu), j’ai dû           une profusion de concerts et prestations en strea-
L’an passé, le terme s’est marbré de sens pandémique qui devait devenir le giratoire
                                                                                           trouver un autre moyen. J’ai donc acheté un               ming et sans public. Comment appréhendes-tu
de nos vies. Alors ! Enregistrer la musique ? Comment ? Pourquoi ? En cette période        enregistreur numérique capable d’enregistrer huit         cette manière de transmettre la musique ?
de sucettes à la niche où sont apparus d’étranges concepts et trop concrètes               pistes à la fois (suffisant pour capter plusieurs         Tant que l’on n’appelle pas cela « concert », ça
abstractions aux intitulés contradictoires (« live stream », « concert sans                instruments simultanément). Et, j’ai demandé              reste une nouvelle manière de transmettre la
                                                                                           à des amis musiciens de m’envoyer des morceaux            musique. Mais ça n’est, en aucun cas, équiva-
public », etc.), Quentin Rollet et Timothée Le Net ont plutôt adapté leur amour            afin d’y ajouter ma touche, aux saxophones sopra-         lent à un concert dans une salle, où l’on peut
du disque aux circonstances, rendant possibles deux albums (trois même),                   nino ou alto ou au synthétiseur Korg Monotron.            « sentir » le public, interagir avec lui, avec la
révélant un espace original, parfaitement remarquable, dans une ambiance                   J’ai reçu des pistes pour neuf projets différents !       pièce même. Cette expérience-là est unique, et
                                                                                           Parfois, juste un morceau, parfois, de quoi faire         peut nous faire ressentir tant de choses, d’émo-
de faits et gestes multicolores, sans sacrifier aux diktats high tech de l’époque.         un album entier (le disque avec Kim Giani, par            tions, de vibrations qui ne pourront jamais être
                                                                                           exemple, ce dernier m’ayant envoyé plein de pistes        transmises au travers d’un écran, d’un casque...
                                                                                           de batterie, ou le disque avec Andrew Sharpley Stock,     De plus, l’écoute est totalement différente selon
                                                                                           Hausen & Walkman pour lequel j’ai envoyé des              que l’on est immergé dans le son, dans une salle
                                                                                           pistes de sax, qu’il m’a renvoyées arrangées à sa         de concert, ou chez soi où l’on peut être déran-
                                                                                           sauce). Et pour arriver à faire tout cela, vu ma          gé à tout moment, faire pause. Je trouve mal-
                                                                                           pratique, j’ai recréé les conditions de l’instantané,     honnête que l’on présente ces streaming comme
                                                                                           de l’improvisation. Je n’ai pas écouté les morceaux       des concerts. Ce sont au mieux des « sessions sans
                                                                                           avant d’enregistrer dessus. J’ai juste noté leur          public ». Mais on ne peut pas parler de « concert
                                                                                                                                                     sans public ». Ça n’existe pas. S’il n’y a pas de
                                                                                                                                                     public, il n’y a pas de concert ! C’est, une fois de
                                                                                                                                                     plus, un nivellement par le bas, par le détourne-
                                                                                                                                                     ment du langage. J’ai participé récemment à
                                                                                                                                                     deux de ces performances filmées. La première,
                                                                                                                                                     en direct sur Internet, depuis le Générateur à
                                                                                                                                                     Gentilly, avec le projet MelmACHello (la poète
                                                                                                                                                     A.C. Hello et le groupe de rock instrumental
                                                                                                                                                     Melmac). Étant donné qu’il y avait une pre-
                                                                                                                                                     mière performance avant nous, que toute cette
                                                                                                                                                     mise en place technique nécessitait pas mal de
                                                                                                                                                     monde et qu’on a pu inviter quelques personnes,
                                                                                                                                                     on s’est retrouvé à jouer pour une quarantaine
                                                                                                                                                     de personnes réellement présentes. Des gens se
                                                                                                                                                     sont mis à danser devant nous, dans tout l’espace
                                                                                                                                                     de la salle, pendant notre set. Il y avait une certaine
                                                                                                                                                     électricité dans l’air. Je crois que ça a fait un bien
                                                                                                                                                     fou à tout le monde de pouvoir interagir direc-
                                                                                                                                                     tement, se laisser guider par ses émotions, et
                                                                                                                                                     s’exprimer tout simplement. La seconde a eu
                                                                                                                                                     lieu hier soir, à Paris, à Lafayette Anticipation.
                                                                                                                                                     C’était la création du projet Parrenin/Weinrich
                                                                                                                                                     sur scène. L’album avait été enregistré en 2019,
                                                                                                                                                     avec en invité Ghédalia Tazartès et moi-même.
                                                                                                                                                     Cette fois-ci, pas de streaming en direct. L’idée était
                                                                                                                                                     plutôt d’avoir une belle performance filmée, dans
                                                                                                                                                     les conditions du live. À la fin, ça ressemblait
                                                                                                                                                     plus à un plateau de télévision qu’à une salle de
                                                                                                                                                     concert. C’était très agréable de pouvoir jouer
                                                                                                                                                     enfin cette musique, mais pour moi, ça n’était
                                                                                                                                                     pas véritablement un concert.

                                                                                                                                                     Entretien avec Timothée Le Net
                                                                                                                                                     Comment as-tu réagi à la mise à l’arrêt de mars 2020 ?
                                                                                                                                                     L’année 2020 a débuté par un voyage à Madagascar,
                                                                                                                                                     bouleversant de vie, d’échanges, de musiques, de
                                                                                                                                                     réalités démesurées, d’histoire triste, d’iniquités,
                                                                                                                                                     de pauvreté, de sourires et de danses. De retour
                                                                                                                                                     en Bretagne, la gorge nouée, la tête encore dans
                                                                                                                                                     les nuages, je n’ai absolument pas vu venir l’épi-
                                                                                                                                                     démie qui allait nous priver de libertés. Les pre-
                                                                                                                                                     miers jours de confinement ont été angoissants.
                                                                                                                                                     De la peur, de la colère. Les concerts qui s’an-
                                                                                                                                                     nulaient les uns après les autres.

                                                                                                                                                                          LES ALLUMÉS DU JAZZ I JUIN 2021
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