Le bitcoin Une monnaie sans banques, ni banque centrale - CEMI Ehess
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Le bitcoin Une monnaie sans banques, ni banque centrale. Assen SLIM et Maël ROLLAND présentation CEMI-EHESS 22-05-2015 « There is no reason, in principle, why final settlements could not be carried out by the private sector without the need for clearing through the central bank. The practical implementation of such a system would require much greater computing power than is at present available. But there is no conceptual obstacle to the idea that two individuals engaged in a transaction could settle by a transfer of wealth from one electronic account to another in real time. Pre-agreed algorithms would determine which financial assets were sold by the purchaser of the good or service according to the value of the transaction. And the supplier of that good or service would know that incoming funds would be allocated to the appropriate combination of assets as prescribed by another pre-agreed algorithm. Eligible assets would be any financial assets for which there were market- clearing prices in real time. The same system could match demands and supplies of financial assets, determine prices, and make settlements. » Challenges for Monetary Policy: New and Old. Discours donné par Mervyn King, Gouverneur adjoint de la Banque d'Angleterre. 27 Août 1999 1. Introduction Penser idéellement l’avènement d'un système de paiement et de règlement décentralisé, sans banques, ni banque centrale (BC), où la confiance se trouverait garantie hors sceaux de tiers crédibles1 est possible et même intellectuellement distrayant. Voir annoncée sa réalisation effective est déconcertant. Mais asséner, comme le fait King (1999), qu'il n'y a priori, aucun problème de principe à l'efficacité d'un système de règlements interindividuel privé reste une hypothèse forte qu'il faudra démontrer. Si la théorie économique semble ne pas avoir été en mesure jusqu'ici d'affirmer ou d'infirmer de telles propositions, peut-être est-ce encore une fois du côté de la pratique qu’émergeront de nouveaux éléments de réponse. Le bitcoin, une monnaie virtuelle de nouvelle génération promet de rendre effectif un tel système. Inscrite dans des filiations théoriques et philosophiques plus larges et anciennes, à la confluence de visions monétaires et philosophiques situées (Free banking, Cypherpunks ou Crypto-anarchisme), cette réalisation pionnière propose de les dépasser. Son architecture par biens des cotés est novatrice et pourrait impliquer des décentrements monétaires importants. Toutefois, pour révolutionnaire qu’il soit, ce nouveau dispositif de confiance appelle à la prudence et doit être nuancé en raison des « imperfections » que donne à voir la pratique actuelle (problèmes liés à la sphère de réalisation effective : acteurs, usages, transactions, volatilité). L'histoire monétaire et financière n'est pas avare d'innovations et elles en constituent les variables d'évolutions clefs. Elles marquent les changements à l’œuvre, tant dans les représentations que dans les conditions institutionnelles qui portent l'espace monétaire unifié. Générant frictions et discrépances entre les sphères institutionnelles hétérogènes constituant l'espace monétaire, elles peuvent en remettre en cause la stabilité et l'unicité 1 N'étant adossé ni à aucune marchandise ni à un passif émis par une personnalité tiers (physique ou morale). 1
(Kindelberger, 2004)2. Ces innovations relèvent et entraînent des adaptations institutionnelles et particulièrement politiques. Aussi, de par ce statut particulier qu'elles ont dans la théorie comme la pratique, elles se font éléments spécifiques d'une compréhension plus générale de ce que recouvre l'argent3. Le bitcoin, comme la monnaie de crédit en son temps, ne correspond pas parfaitement aux représentations usuelles (juridiques et académiques) et comme elle, il est l'occasion d'un débat renouvelé sur la monnaie, son statut, son rôle comme celui des autorités souveraines. Les décentrements que pourrait opérer ce système monétaire virtuel, affranchit à des degrés divers des circuits hiérarchisés traditionnels et de leurs contraintes (réglementations et supervisions), posent question. Cette autonomisation, comme le pseudo anonymat des utilisateurs conduit l'attention à se porter sur les risques émergents : ceux liés directement aux utilisateurs (payeurs et payés) et ceux relatifs aux institutions politiques et monétaires et à leurs capacités réelles d’action (fraude fiscale, financement d'activité illégale, indépendance et efficacité des politiques monétaires). Saisir la portée pratique et théorique du bitcoin, telle est la problématique générale de cet article. Une première partie s’attache à présenter les aspects techniques de cette nouvelle monnaie tout en rappelant ses fondations intellectuelles. Une deuxième partie met en lumière ses apories pratiques et dessine les contours de ce qui lui manque « encore » pour faire argent. Enfin, un troisième temps de la réflexion propose une mise en perspective théorique du bitcoin perçu comme le résultat d’une grappe d’innovation (Schumpeter) marquant une étape supplémentaire dans l’évolution historique du continuum monétaire (Simmel). 2. Le bitcoin : révolution pratique et fondations théoriques. L’idée d’une monnaie libérée de tout contrôle, particulièrement politique, n’a pas attendu le bitcoin pour voir le jour. Il se trouve même que ses préconisations pratiques reposent sur des considérations théoriques anciennes, et même dominantes en économie. 2.1. Des fondations théoriques à la confluence de corpus économiques et politiques anciens... Historiquement, les débats monétaires ont offert une place de choix aux questions relatives au statut de la monnaie et ses effets. La question d'une monnaie neutre « en soi » est centrale et elle interroge toujours l'opportunité de règles contraignantes intangibles permettant de la protéger des interférences politiques qui essayeraient de l'en détourner4. L’émergence et le développement des monnaies de crédits (à support papier) détachées de leurs liaisons 2 Kindelberger fait des innovations monétaires et financières l’une des clefs de sa théorisation des crises. Par les assouplissements monétaires qu’elles permettent (effet levier, desserrement des contraintes financières et monétaires, décloisonnement, nouveaux acteurs), elles consti- tuent l’un des facteurs principaux de l'apparition des bulles. Ces innovations concourent à la fois à la phase d'euphorie et à l'intensité des conséquences de leurs éclatement : contagion des phases de panique, dissémination des risques, interdépendance, etc. (Kindelberger, 2004) 3 C'est précisément la démarche que suit Simmel dans sa « Philosophie de l'argent (2009). Partant des bouleversements monétaires de son temps, et en particulier l'émergence de la monnaie de crédit et des monnaies papier, il construit un continuum monétaire unique dont la même essence est la confiance mais dont les ressorts connaissent, historiquement, des décentrements importants. Il prend ainsi le contrepied des interprétations qui opposent la nature des monnaies de crédit à celle des monnaies marchandises (et particulièrement celles adossées aux métaux précieux). Pour lui, aucune de ces formes n'est précieuse « en elle-même » et leurs valeurs respectives sont toujours tirées de la relation, à double sens, de l'individu à la totalité sociale considérée. 4 Comme le rappelle Tutin (2009), déjà en 1360, Nicolas Oresme se demandait si le fait de diminuer le numéraire des monnaies était légitime et si ce pouvoir pouvait être raisonnablement confié au prince. Cette vision préfigure la théorie quantitative de la monnaie dont les interpré- tations contradictoires structures les écoles économiques. Pour les uns, seule la stabilité de l'unité de compte se doit d'être assurée, tandis que pour les autres, il s'agit aussi d'assurer la viabilité du système de paiement en le garantissant contre le risque d'insolvabilité et d'illiquidité. Ces lignes de fracture son récurrentes dans l’histoire de la pensée monétaire : déjà présentes dans les débats préclassiques, on les retrouve dans les controverses entre Banking School et Currencies School, entre keynésiens et monétaristes (Kindelberger, 2004; Tutin, 2009). Aujourd'hui, le Nouveau Consensus Monétaire (NMC) marque la victoire des tenants d’une vision quantitativiste de la monnaie (Galbraith 2008). 2
aux métaux précieux, avait déjà été l'occasion de rouvrir vigoureusement le débat de la « bonne gestion » de la monnaie par les banques et les BC. Pour les tenants de la neutralité, la liaison au métal ne devait en aucun cas être remise en cause car elle érigeait des contraintes exogènes à la politique monétaire et particulièrement à la création monétaire. La thèse du Free Banking constitue à cet égard l’un des développements les plus radicaux en faveur de la protection de la monnaie contre les gouvernements et les BC. Ces derniers, toujours prompts à céder aux diverses pressions, sont jugés responsables de l’inflation et du sous-emploi des facteurs de production du fait même du monopole qu’ils détiennent sur l’émission et la régulation monétaire (Hayek, 1976). L'État disposerait d'un droit illégitime dans le monnayage (quantité de monnaie émise et taux d'usage), qu'il faudrait annihiler par la mise en concurrence de toutes les monnaies dans un espace mondial concurrentiel. Dans ce free banking mondial, tout émetteur serait contraint au maintien d'une stabilité « parfaite » de son étalon5, sous peine de voir son usage se réduire. Un tel système, reposant sur l'hypothèse d'une absence totale de rigidités et donc sur une modification en profondeur de l’architecture monétaire et financière internationale, permettrait de se passer de l’intervention des gouvernements et de leur capacité de nuisance monétaire tout en favorisant l’émergence d'un prix universel (ibid.). Dans une telle épistémologie, qui réduit l'échange marchand aux seules relations interindividuelles contractuelles hors toute épaisseur sociale, la monnaie n'est pas différentes des autres marchandises et sa demande, comme celle de n’importe quel autre bien, doit être recherchée dans l'utilité individuelle qu'elle procure (facilité des paiements, baisse des coûts de transaction, etc.). Ceci explique alors l'impensé, par les tenants de la neutralité de la monnaie, du passage de l'individu au(x) collectif(s)6 – pourtant la seule clef ouvrant la serrure de compréhension de l'argent –et que les corpus concurrents viennent à mettre en avant.7 2.2. … et techniques et philosophiques contemporains. De tels corpus épistémologiques semblent converger vers d'autres qui pourtant ont émergé dans des groupes et des espaces sociaux différents. Les avancées technologiques dans le domaine de l'information et de la communication ont obligé les ingénieurs à trouver des solutions aux problèmes de sécurité et d'identification qu'elles impliquaient logiquement. Dans de tels domaines, les questions de protection des données transmises et de la vie privée des utilisateurs ont pris une place centrale et ont été à l’origine de solutions techniques (architectures en réseaux décentralisés ou hybrides, cryptographie). Celles-ci, accompagnées d'une augmentation concomitante de la puissance de calcul, des capacités de stockage et de la bande passante sur Internet, semblent rendre pratiquement réalisable ce qui n'était jusqu'alors que théoriquement pensable. De cette communauté ont émergé des réflexions philosophiques et politiques concernant la place de telles avancées dans la société et leurs risques potentiels. Un 5 Cette stabilité « parfaite », non précisément définie, est la condition même de l'attractivité de la devise et le gage de sa bonne gouvernance. À l'inverse de la loi de Gresham, les bons émetteurs chasseront les mauvais (sans préciser les bonnes recettes de fabrication). « The reputation of financial righteousness would become a jealously guarded asset of all issuers of money, since they would know that even the slightest deviation from the path of honesty would reduce the demand for their product. ». Hayek souligne d'ailleurs (avec une nostalgie explicite) l'impact positif qu'avait l'étalon-or sur la stabilité de l'unité de compte, puisque les contraintes de production s'imposaient au gouvernement (Hayek, 1976). 6 Voir Aglietta et Orléan (1998) ou Simmel (2009). Ce dernier fait de la dialectique individu-totalité sociale le cœur des phénomènes moné- taires comme celui de leur compréhension. L’auteur s'intéresse en premier lieu aux formes des relations interindividuelles (base de sa socio- logie) qui ne sont toujours que sociales : partant de la psychologie du sujet il développe une vision holistique reposant dans l'individu. 7 Les modèles à génération imbriquée, bien qu’imparfaits, en sont une bonne illustration. Ces derniers tentent de prendre en compte, sur des bases individualistes, la notion de transmission intergénérationnelle. Toutefois, ces modèles ne parviennent pas à apporter une réponse complètement satisfaisante puisque l'acceptation de la monnaie d'une génération à l'autre renvoie à des équilibres multiples dont certains se situent hors de la sphère monétaire. Il reste donc à trouver une explication convaincante à l'élection et à l'acceptation d’une monnaie (ou à sa destitution et à son refus). De fait, ces difficultés semblent dessiner, en négatif, les déterminations extra-économiques et supra-indivi- duelles qui pourraient prendre part à l'explication des phénomènes monétaires. Voir Orléan (2002). 3
petit nombre d'intervenants8 a participé à la structuration de pensées politiques particulières se regroupant sous les appellations de Cypherpunk9 ou de crypto-anarchistes10. Ces deux familles partagent la centralité accordée tant à la question de l'anonymat (qui n'est pas secret11), qu'à celles d'une architecture décentralisée porteuse d'incitations structurelles permettant la coopération interindividuelle, hors identification intuitu personæ12. Se déclarant eux- mêmes « libertarian », ils affichent une défiance contre toute institution centrale qui, de fait, possède une souveraineté exorbitante. Les cadres technologiques qui émergent de ce mouvement constituent les vecteurs qui rendront obsolète toute entité à prétention orwellienne13. L’État, dont la capacité d’action est considérablement réduite dans ce monde technologique émergent, est particulièrement visé par ces libertarians autoproclamés14. Aussi, il s'avère que malgré la polysémie de ce mot en anglais c'est plus par « libertariens » qu'ils se doivent (bien qu'il subsiste des nuances) d'être qualifiés en français15. Tirant les leçons de la fermeture de Napster (1999-2001), première plateforme centralisée d’échange de fichiers de pair-à-pair (Peer-to-Peer ou P2P)16, ces groupes sont à l’origine des premières tentatives de monnaies électroniques décentralisées. Si des succédanés de monnaies privées avaient émergé dès les années 195017 et que des premières versions électroniques étaient apparues à la fin des années 199018, toutes reposaient encore sur une architecture centralisée qui seule permettait d'assurer les paiements et les règlements. Cette centralité constituait à la fois la condition nécessaire permettant la coordination des parties prenantes et le tendon d’Achille de ces expériences : le centre concentre tous les pouvoirs et l’atteindre et/ou le contraindre à fermer revient à mettre à mal le réseau dans sa totalité, comme l’a démontré la fermeture de Napster. Malgré des problèmes techniques non résolus à l’époque, Wai Day (1998), fasciné par le projet de la crypto-anarchie de T. May, présente, dans une brève note, sa b-money : une monnaie qui serait échangée de pair-à-pair, dans un système décentralisé, fondé sur un réseau non traçable du fait de l’utilisation de clés cryptographiques. Ce protocole P2P permet de fait la construction de réseaux à structure rhizomique non centralisée. Dans le même esprit, un autre projet appelé Bitgold est proposé en 2005 par Nick Szabo. B-money et Bitgold ouvre la voie au Bitcoin. 8 Les principaux fondateurs sont : David Chaum ; John Gilmore ; Timothy C. May et Eric Hughes ; liste non exhaustive. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Cypherpunk (consultation du 15/05/2015). 9 Théorisé dès le début des années 1990 par certaines figures tutélaires de la communauté, cette appellation fait son entrée dans l'Oxford dictionaries en 2006 pour désigner une « personne qui utilise le cryptage lorsqu’elle accède à un réseau informatique dans le but d’assurer la confidentialité et se protéger, en particulier des autorités gouvernementales. Origine datant des années 1990 : sur le modèle des cyberpunks ». Cette définition résume bien la position des théoriciens de ce mouvement. Voir A Cypherpunk's Manifesto (Eric Hughes, 1993). 10 Mouvement porté par les nouvelles technologies qui prétend redéfinir les fondements de la gouvernance (étatique, économique et sociale) sur la base d’une nouvelle approche de la confiance et de l’identité (May, 1992). 11 Cet anonymat est rendu possible par la cryptographie. Il est seul à même de protéger la vie privée des individus face aux grands groupes et aux gouvernements. Il rend possible l'identification et l’accès aux informations mais aux seules personnes explicitement autorisées à y avoir accès (Hughes, 1993). 12 « Deux personnes peuvent échanger des messages, faire des affaires, et négocier des contrats électroniques entre eux sans jamais connaître leurs vrais noms ni leurs identités juridiques. » (May, 1992). 13 Titre de la note de Chaum (1985) : “Security without identification card computer to make Big Brother obsolete”. 14 Dans un monde crypto-anarchiste, « le gouvernement n’est pas temporairement détruit, mais devient inutile et interdit de manière perma- nente. C’est une communauté dans laquelle la menace de la violence est inexistante car la violence n’existe pas, et la violence n’existe pas parce que ses participants ne peuvent pas être identifiés par leurs vrais noms ou leurs adresses. » (Dai, 1998). 15 Leur confiance non questionnée dans les rapports interindividuels et surtout dans le mode coordination par le marché est effectivement assez éloignée de la vision libertaire. Dans The Crypto Anarchist Manifesto (1992), Timothy C. May fait explicitement référence à Marx tout en annonçant une révolution technique qui permettrait de tout échanger (même de la drogue et des meurtres) sur des marchés parfaits et totalement liquides. 16 En juin 1999, Schawn Fanning, un étudiant américain de 18 ans lance sur son site download.com le premier fichier d’échange de fichiers intitulé Napster. Suite à une plainte déposée par l’association américaine des artistes (la RIAA), Napster a été contraint à la fermeture en juillet 2001. Il comptait alors 60 millions d’utilisateurs dans le monde. 17 Exemple donné du Diner Club mis en place dès les années 1950 (voir European Central Bank, 2015). 18 Pensons au système de paiement Paypal ou à Monéo par exemple. 4
2.3. Le bitcoin comme tentative de synthèse et de dépassement. a) Des représentations séminales... C'est en 2008 qu'est publié, sous pseudonyme, dans le Cryptography mailing list19, le papier séminal « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System ». On retrouve le même type de canal de publicité (liste de diffusion) mais contrairement aux propositions suscitées, le texte lui n'est pas une simple note. Après avoir brièvement présenté les problèmes que posent les monnaies existantes, il décrit précisément l’architecture technique sur laquelle reposera son nouveau système monétaire. Dans les sources données en bibliographie (au nombre de 8), il est intéressant de noter qu'il fait référence à la b-money de Wai Day (1998) et qu'aucune des sept autres sources n'est spécifiquement économique, politique ou sociologique. Toutes sont techniques et traitent, de serveur horodaté (pour trois d’entre- elles), de chaîne de bit (bit string), de fonction de hachage (hash20), de cryptographie et de probabilité. L'« auteur », Satochi Nakamoto21 dit avoir travaillé sur la question dès 200722 et ce, en réponse à la crise financière et bancaire mondiale. Il prétend résoudre les problèmes posés tant par les monnaies électroniques ("double spending problem"23) que par les monnaies nationales et internationales. Toutes ces monnaies, par la médiation « certifiée » des paiements et règlements qu'elles nécessitent, impliquent l'existence d'institutions tierces à statut particulier, capables de s’ériger en médiateur des conflits (assurer la réversibilité des transactions, gérer l’incertitude) au prix de coûts de transaction élevés. Le bitcoin, au contraire, est conçu dès l’origine comme une monnaie sans intermédiaires bancaires ou financiers, offrant à ses utilisateurs une voie d'autonomie nouvelle (Nakamoto, 2008). Les intermédiaires sont remplacés par une architecture collaborative (protocole distribué P2P) et sécurisée (tenue d'un registre de compte unique et transparent, identification par une clef publique, vérification et traitement des paiements par résolution de calculs informatiques) censée être résiliente tout en assurant les fonctions monétaires et une création monétaire déliée du crédit. Nakamoto exprime explicitement le souhait de fonder un système monétaire « sans confiance », hors de portée du pouvoir des banques centrales et des banques de second rang, dans le but de gagner « une bataille importante dans la course aux armements et d’accéder à un nouvel espace de liberté pour plusieurs années »24. Cette revendication se retrouve même dans la base de données des transactions du réseau bitcoin, dont l’entrée originelle 19 Publié initialement sur le site internet metzdown.com, le texte est à présent diffusé sur le site bitcoin.org : https://bitcoin.org/bitcoin.pdf (consultation du 15/05/2015). 20 Correspond à une fonction cryptographique qui est appliquée aux données brutes entrantes en les encryptant sous la forme d'une em- preinte numérique partielle mais suffisante pour retrouver la donnée initiale. 21 Pseudonyme utilisé par son ou ses créateur(s) lors de la publication et sur les forums. Le mystère reste entier quant à l'identité véritable du ou des concepteurs….Malgré des tentatives incessantes pour percer son identité, nul ne sait à ce jour qui se cache réellement derrière Satochi Nakamoto. 22 Voir https://en.bitcoin.it/wiki/Satoshi_Nakamoto (consultation du 15/05/2015). 23 L'unité monétaire étant numérique, elle pose le problème épineux de sa possible duplication frauduleuse en vue de réaliser plusieurs paiements. Il correspondrait au dilemme des généraux Byzantins qui, pour réussir à coordonner leurs attaques, doivent développer des stratégies de protection de leur chaîne de commandement contre la corruption et la falsification (par des généraux renégats) des messages transmis. Ici, le Bitcoin doit suivre un algorithme afin de protéger son réseau de la corruption (volontaire ou accidentelle) des informations transmises. 24 « A major battle in the arms race and gain a new territory of freedom for several years ». L’auteur rappelle la facilité avec laquelle les réseaux centralisés comme Napster ont pu être fermés et insiste sur l’importance de mettre en place des réseaux « purs » de Peer-to-Peer, c’est- à-dire décentralisés ou hybrides (comme Gnutella ou Tor). 5
contient le message suivant : « The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks »25. Même si le texte fondateur de Nakamoto n’est pas directement relié à la sphère économique (des affaires et/ou académique), certaines des réflexions qu’il y développe traduisent un intérêt et des connaissances des systèmes bancaires et financiers contemporains. Après être resté actif sur les forums jusqu’en 2010, l’auteur a opté pour le silence afin que sa notoriété et les recherches sur son identité ne détournent pas l'attention de ce qui pour lui est le plus important : le bitcoin et ses potentialités. Il donne les codes d’accès au projet26 à Gavin Andresen, actuel scientifique en chef de la fondation Bitcoin, membres du noyau des premiers développeurs du bitcoin. Sous l'appellation générique de bitcoin, il faut distinguer deux choses fondamentalement différentes : d’une part, la pensée sous-jacente et ses extensions technologiques - le protocole et le logiciel lui-même – que nous nommerons bitcoin (petit b), et d’autre part, de la devise émergente elle-même, le Bitcoin (grand B, BTC ci-après), dans ses dimensions de moyen de paiement, d'unité de compte et de réserve de valeur. b) ...à ses conditions matérielles Le point de départ de Nakamoto (2008) est de considérer que la confiance, qui est au cœur des monnaies traditionnelles, est rendue nécessaire par le problème du double paiement27. Le tiers crédible parvient à résoudre ce problème par le clearing qu'il effectue dans le registre qu'il tient. Cette médiation rend possible la réversibilité des transactions, le tiers régulant les conflits potentiels, ce qui ne se fait pas sans coûts. Aussi, rendre l'historique des transactions transparent et accessible à tous permet, d’après Nakamoto, de vérifier la transaction et de valider le règlement : ici tout paiement devient irréversible. Dans cette logique une unité de Bitcoin correspond à une chaîne de signature numérique (un Block) – i.e. une empreinte de la transaction - qui ajoute, cumulativement, la clef publique28 du nouveau propriétaire à la fin de la pièce, qui devient de plus en plus longue. Ce système monétaire repose sur une procédure double, d'annonce publique d'un historique des transactions et d'accord communautaire sur la légitimité de celui qui sera retenu par tous. C'est ce processus qui assure une création monétaire connue de tous (quantité et rythme de croissance)29. La première procédure (annonce publique d’un historique des transactions) est construite autour d'un serveur d'horodatage, permettant de réaliser des empreintes d'informations et de les publier. La deuxième procédure (accord communautaire), passe par la mise en place de preuves de travail (« proof of work », PoW) reposant sur un algorithme de Hash de type SHA 25630. Chaque nouvel horodatage, une fois validé par résolution du hash du nouveau block, se superpose à l'ancien et prouve la validité des informations cumulées contenues. Il s’agit là du 25 « Le Chancelier est sur le point de lancer une deuxième levée de fonds pour sauver les banques », titre en une du Times du 3 janvier 2009. https://en.bitcoin.it/wiki/Genesis_block (consultation du 15/05/2015). 26 Code d’accès à « bitcoin source forge » (site de mise à disposition des codes sources puisque le code est en open source nous y reviendrons) et à l'« alert key » qui peut permettre d'envoyer des messages d'urgence à tous les clients Bitcoin (voir https://en.bitcoin.it/wiki/Alerts). 27 Ce qui se joue au cœur de l'échange est réduit à l'information sur la solvabilité réelle des coéchangistes. Le problème épistémologique ici est qu'une information n'est pas connaissance – cela laisse de côté les questions cognitives et celles concernant les représentations à l’œuvre dans le traitement situé de toutes informations - mais dans les corpus suscités cette distinction est absente. 28 L'adressage se fonde sur une cryptographie asymétrique avec des clefs publiques et une clef privée (qui se doit d'être protégée et cachée), voir http://www.miximum.fr/tout-savoir-sur-les-adresses-bitcoin.html (consultation du 15/05/2015) 29 Au début et ce afin d'inciter les individus à la construction du réseau naissant, la création monétaire qui n'est autre que la prime (droit de seigneuriage) versée au participant était fixée à 50 BTC. Arrivé à 210 000 BTC en circulation, la rémunération des mineurs et donc l'émission nouvelle de bitcoin est divisée par 2, soit 25 bitcoins/10min. Suivant cette logique elle continuera à diminuer par pallier jusqu'à l'année 2140 où l'émission monétaire atteindra sa limite fixée à 21 millions de BTC. Ensuite, c'est la captation de frais de transaction qui rémunérera les mineurs afin qu'ils continu à soutenir le réseau et sa viabilité. 30 Le type d'algorithme choisi peut varier suivant les crypto-monnaies (SHA-256, Scrypt ou X11). C'est lui qui détermine la difficulté de résolution de puzzle informatique que devront affronter les machines des mineurs. C'est de lui que dépend également le rythme de traitement et d'enregistrement des nouvelles transactions dans le Blockchain, et donc la consommation énergétique qui sera nécessaire à la résolution des nouveaux Block. Enfin, c’est l’algorithme qui détermine l'émission des nouvelles unités ainsi que leur distribution (European Central Bank, 2015). 6
cœur du système qui lie, d'un même acte énergivore, transactions, règlements et émission monétaire. Pour le bitcoin, cette étape est appelée minage (« mining ») et se réalise environ toutes les dix minutes31. Le minage est effectué par des utilisateurs volontaires, les « mineurs », qui dotés d'un logiciel et d’équipements particuliers établissent le registre et son actualisation (clearing distribué). Les coûts que ces derniers supportent sont contrebalancés par la prime potentielle qu'ils se voient octroyer en cas de résolution d’un nouveau Block et sa validation (elle est proportionnée à la puissance, exprimée en hash/s, mise à disposition). C'est un processus en six étapes qu'a élaboré Nakamoto (2008) : via les portefeuilles, les nouvelles transactions sont diffusées à tous les nœuds ; ceux-ci les introduisent dans leur block ; ils se mettent à travailler à la résolution du hash (PoW) pour ce block ; lorsque l'un d’entre eux le résout, il le diffuse à tous ; les autres nœuds n'acceptent ce block que si toutes les transactions qui y sont inscrites sont valides ; chacun exprime sa confiance dans le nouveau block et l’enregistre pour s’en servir de point de départ dans la résolution du block suivant de la chaîne. C'est toujours la chaîne cumulée de blocks la plus longue, incarnant la décision majoritaire, qui est reconnue par tous. Chacun travaille alors à l’extension de cette dernière. Les mineurs32 font travailler leurs machines afin de maintenir collectivement, par la résolution cryptographique coûteuses en ressources, la chaîne des paiements générés par blocks cumulatifs : le "Blockchain"33. C'est ce processus complexe qui permettrait, selon l’expression de Nakamoto, l’émergence d’une monnaie "sans confiance" stable et résistante aux tentatives de fraude, par enregistrement "difficile", décentralisée et collective34. Les simples utilisateurs de bitcoin, s’ils désirent effectuer des transactions, se doivent de télécharger un logiciel (le « portefeuille ») qui leur permettra d'obtenir une clef privée (confidentielle) et des clefs publiques (qui seront transmises à chaque coéchangiste lors des transactions). Après avoir présenté les postulats techniques et la genèse de cette nouvelle monnaie, il nous faut nous questionner plus pratiquement sa capacité réelle à être considérée et utilisée comme de l'argent. C'est que nous traiterons dans la partie suivante. 3. Une monnaie qui n'en n'est pas une ? Les problèmes de définition a priori et les risques potentiels. Une monnaie n’est pas réductible au seul médium (matériel ou non) qui la porte mais correspond bien plus à un état conditionné par un environnement – conditions institutionnelles au sens large allant des plus formelles aux plus informelles (routine et représentation). Il nous faut alors considérer le bitcoin du point de vue de sa sphère réelle d'usage afin de cerner si ses prétentions théoriques (devenir le Bitcoin) se traduisent bien dans les faits par l’émergence d’un système monétaire effectif. 3.1. La sphère monétaire effective du Bitcoin. a) De son déploiement par étapes depuis 2009 à sa sphère effective actuelle 31 Ainsi, toute les dix minutes à lieu : 1- une vérification des transactions effectuées les dix dernières minutes et leurs inscription dans « le grand registre », par superposition du nouveau block sur l'ancien. Et 2/ l'émission du nombre de bitcoins prévus, distribués aux mineurs tirés au sort parmi ceux ayant participé à la résolution du Block (1/). 32Plus exactement, le réseau ne tient pas seulement au mineur mais aussi à des participants ayant décidés d'héberger un nœud complet et valide du registre afin de le relayé. Ceux-ci, ne participant pas directement à la résolution des hash, ne touchent ni prime ni frais de transaction, nous y reviendrons. 33 Le Bockchain est le registre de toutes les transactions, il est directement consultable sur https://blockchain.info/fr (consultation du 15/05/2015). 34 La sécurité et l'intégrité du registre dépend de la part de CPU contrôlée par les nœuds honnêtes. Si un pool de mineur dispose de plus de 51 % de la CPU disponible, la possibilité de falsification existe mais est dissuadée par les incitations existantes (prime très importante au vue de la CPU disponible) comme par la difficulté que cette falsification engendre. 7
La publication du premier logiciel et l'émission des premiers 50 bitcoins par Nakamoto lui-même35 a été réalisée le 3 janvier 2009. À partir de cette émission originelle, toutes les dix minutes sont émis les nouveaux bitcoin (selon l'échéancier prévu36) et distribués aux premiers contributeurs du réseau naissant. Les éléments essentiels à noter ici sont l'importance du rythme de croissance du réseau et sa structuration. Le rythme de croissance du réseau, d’abord, se doit d’être harmonieux et cohérent afin de ne pas remettre en cause la sécurité du réseau (i.e. qu'aucun mineur ne dispose d’une puissance de calcul relativement trop forte par rapport à celle des autres afin de ne pas dépasser la limite des 51% rendant possible la falsification). La structure institutionnelle portant le réseau, ensuite, ne peut relever de la seule bonne volonté des acteurs. C'est Nakamoto lui-même qui souligne ce problème peu de temps avant sa disparition des forums par un post d'une tonalité qui ne lui était pas accoutumée. Il y répondait à des demandes pressantes d'internautes qui souhaitaient que WikiLeaks accepte le paiement en bitcoin pour sa souscription et faisant, étende le réseau de circulation37. Durant sa première année de fonctionnement, le bitcoin est resté strictement confidentiel. La première cotation du Bitcoin se fait en avril 2010 et ce n'est qu'en février 2011 qu'il atteint la parité avec le dollar38. Jusqu’en mars 2013, le BTC s’échange en dessous des 20 dollars. A partir de cette date, le Bitcoin connaît ses premières fluctuations de forte amplitude. Avec la crise chypriote, il acquiert temporairement le statut de valeur refuge et voit son cours bondir à 230 dollars pour finalement retomber à 100 dollars de mai à octobre 201339. Le cours dévisse de nouveau le 2 octobre suite à la fermeture par le FBI du site SilkRoad40. En décembre 2013, le cours remonte fortement pour atteindre les 1000 dollars en fin d’année, aidé en cela par la forte médiatisation de l’audition des promoteurs du Bitcoin par la Commission des affaires et de la sécurité intérieure du Sénat américain41. Depuis 2014, le taux de change du Bitcoin connaît une évolution erratique orientée à la baisse42. Durant ces deux dernières années, l’institutionnalisation du Bitcoin se développe et s’étoffe. Le statut open source des codes originaux permet à de nouveaux intervenants de développer de nouveaux services de logiciel (software) tandis que des avancées considérables sont enregistrées du côté du matériel (hardware). Cela bouleverse l’architecture institutionnelle du Bitcoin. Le minage, cœur de la décentralisation et de la « démocratie », s’industrialise du fait de l’acquisition par de nombreux mineurs d’équipements beaucoup plus puissants qu’auparavant. Là ou de simples ordinateurs de bureau suffisaient à miner du bitcoin, il faut désormais des équipements spécifiquement dédiés au minage de crypto- monnaies permettant d’optimiser la quantité de calculs par énergie consommée. Le minage se professionnalise et l’on assiste progressivement à la disparition des « petits » mineurs amateurs et indépendants. Les ASIC (Application 35 Ce premier block, par convention, à un statut particulier : les premières unités générées de bitcoin, qui ont pour fonction de lancer le processus, appartiennent à Satochi lui-même (Nakamoto, 2008). 36 Voir note 29. 37 Dans sa note, Nakamoto explique que si cette attente est louable, elle ne pourrait pour l'heure être réalisée sans conduire le jeune et fragile bitcoin à son échec : « le projet a besoin de croître progressivement » (Nakamoto, 2008). Le 1er juin 2011, WikiLeaks accepte finalement ce mode de souscription ce qui se traduit par une multiplication par 8 du cours du Bitcoin en dollars : 1 BTC = 9,57 USD en décembre 2011, contre 1,14 USD en mai 2011(Banque de France, 2013). 38 Le BTC est salué dans Slashdot (http://news.slashdot.org/story/11/02/10/189246/online-only-currency-bitcoin-reaches-dollar-parity), (Banque de France, 2013). 39 Suite à des problèmes rencontrés (latence de plus d’une heure) le 9 mai par la plateforme d'échange MtGox, la Banque de France (2013) émet l’hypothèse d'une attaque par déni de service (DDoS), ce que la plateforme réfute totalement, préférant parler d’une latence due à un excès de connexion et donc d’un succès certain; voir http://www.bitcoin.fr/post/La-bulle-vient-d-%C3%A9clater (consultation du 15/05/2015). Reste une dépendance importante aux paramètres techniques qu’il est nécessaire de souligner. 40 Voir http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/10/02/drogues-le-proprietaire-du-site-silk-road-ar- rete_3488797_651865.html# (consultation du 15/05/2015). 41 Voir http://www.usine-digitale.fr/article/l-operation-seduction-de-bitcoin-pour-devenir-une-monnaie-reconnue.N219242 (consultation du 15/05/2015). 42 Au 15 mai 2015, 1 BTC = 237,18 USD. Voir http://fr.coinmill.com/BTC_USD.html#BTC=1 (consultation du 15/05/2015). 8
Specific Intefrated Circuit), dernière innovation en date, permettent une augmentation importante43 de la puissance de hash (voir photo en annexe). Ces évolutions, érigent des barrières à l'entrée pour les nouveaux mineurs de par la puissance totale déjà disponible et son inégale répartition44. Le réseau s'est adapté via la constitution de pools45 permettant aux mineurs de mutualiser leur puissance de CPU afin d'augmenter leurs chances de résoudre des blocks de plus en plus difficiles et face à des capacités de minage elles-mêmes de plus en plus grande46. Enfin, de nombreux acteurs développent de services additionnels permettant d’accroître la liquidité, la profondeur, comme la connaissance des marchés libellés en unité de compte BTC. Que ce soit l'émergence de portefeuilles plus accessible aux novices (mais plus risqués puisqu'ils réintègrent de l'intermédiation)47, des plateformes d'échange en devises (centralisée ou OTC)48 et la mise en place de nouveaux indicateurs de marché plus précis49. Le développement de ceux-ci permettent de rendre plus attractive la sphère de circulation monétaire tant pour les acheteurs que pour les payeurs. Ceux-ci ont accès à des matériels et logiciels spécifiques leurs permettant de recevoir les paiements et même de convertir ceux-ci directement dans la devise choisie à un taux de change en temps réels50. Quelles sont les conséquences de ces évolutions sur le fonctionnement originel du bitcoin ? Le registre des transactions est toujours accessible en ligne est donne un grand nombre d'informations sur le réseau. À l'heure actuelle51, la masse monétaire en BTC atteint 14 160 975 unités pour une capitalisation en dollars de 3 339 157 905 USD. Le nombre de transaction moyenne ne cesse d'augmenter (environs 104 255/ jours) depuis son lancement pour un volume de BTC échangés par jour qui lui n'augmente que très faiblement (200 500 BTC/jour, soit 47 278 014 USD/jour). Cependant, la question du nombre d'utilisateurs reste problématique car si le registre est bien public et transparent, on n’y trouve uniquement les clés publiques pour les transactions. En outre, une personne peut avoir plusieurs portefeuilles dont chacun permet d'utiliser plusieurs clés publiques par clé privée unique. Il est alors difficile de cerner réellement ce que cache une adresse. Reste que l'anonymat n'étant pas total, des techniques apparaissent pour remonter aux auteurs des transactions52 et le scandale MtGox, plateforme définitivement fermée en février 201453, a fourni un certain nombre de fuites permettant d'obtenir des informations sur l’identité des détenteurs et la répartition des BTC. Si les dernières estimations tablent sur une augmentation du nombre des 43 Le Monarch, haut de gamme de l'entreprise Butterfly, pionnière dans le développement de composant pour le minage de monnaie crypto- graphique, atteint une puissance de calcul de 700 Gigahash/s pour 350 watts. Pour une comparaison des composants et de leur puissance voir https://en.bitcoin.it/wiki/Mining_hardware_comparison (consultation du 15/05/2015). 44 http://www.bitcoin.fr/post/Les-confessions-d-un-mineur-de-bitcoin (consultation du 15/05/2015). 45 Ces pools, d’abord centralisés (ce qui entraînait le risque des 51 %), ont, pour certains, adopté un protocole de P2P décen- tralisé. 46 La taille des piscines est un enjeu important et renseigne sur le caractère hautement concurrentiel du minage actuel. Pour une comparaison des Pools (nationalité, taux de hash, frais et taxe) voir https://en.bitcoin.it/wiki/Comparison_of_mining_pools (consultation du 15/05/2015). 47 Disponible aujourd'hui pour PC, téléphone mobile voir directement sur internet. Chacun d'entre eux possède des caractéristiques diffé- rentes avec en général les avantages des uns correspondant aux inconvénients corrigés des autres. Les hotwallets, par exemple, directement connectés, sont faciles d'utilisation mais font courir le risque de piratage de son portefeuille voir de la plateforme qui le gère. De leur côté, les coldwallets, non directement connectés, sont moins risqués mais aussi moins pratiques. Pour découvrir les différentes possibilités, voir https://bitcoin.org/fr/choisir-votre-porte-monnaie (consultation du 15/05/2015). 48 Elles sont toutes recensées dans http://howtobuybitcoins.info/ (consultation du 15/05/2015). 49 Certaines chutes brutales du cours ne se réalisent en fait que sur certains marchés mais en l'absence d'information cambiaire unique, de telles fluctuations situées peuvent entraîner des perturbations sur les autres marchés. Cela permet de souligner l'importance de l'objectivité du prix et de sa construction épistémologique par couches objectives successives. Nous sommes ici en présence d’un marché en voie d'institutionnalisation. 50 Voir https://www.coinbase.com/clients et https://bitpay.com/ qui sont aujourd'hui les leaders de ce type de «passerelle de change ». 51 Le 15/05/2015, source https://blockchain.info/fr/charts (consultation du 15/05/2015). 52 Certaines techniques, par utilisation de clusters heuristiques sont développées afin d'identifier les personnes qui utilisent les différentes adresses, voir (Meiklejohn et al. 2013). 53 Elle connaissait de difficultés récurrentes depuis 2013. D'après Wired, sa part de marché est passée de 70 % des transactions gérées en avril 2013, à 14 % deux mois après. Cette plateforme à définitivement été emportée dans un scandale, voir http://www.numerama.com/ma- gazine/28568-le-bitcoin-evite-le-krach-malgre-la-fermeture-de-mtgox.html (consultation du 15/05/2015). 9
utilisateurs de Bitcoin (5 millions prévus en 2019)54, ils ne seraient aujourd’hui pas plus de 2 millions à l’utiliser55. De plus, l'augmentation du nombre de transactions constatées serait à relativiser car il correspondrait plus à l’augmentation de l'intensité des transactions pour les utilisateurs établis qu'une adoption massive de cette crypto- monnaie par de nouveaux utilisateurs56. Quant à sa sphère réelle d'achat, là encore il est difficile d'évaluer le nombre total de vendeurs, leur localisation, tout comme les biens et services mis en vente. Partant des informations fournies par les plus grands organismes de gestion de portefeuille et de services de paiement (Coinbase et bitpay), le nombre (non exhaustif) de vendeurs faisant appel à leurs services serait de près de 89 000, dont certaines grandes entreprises (Microsoft, Dell, Bloomberg, Google, Paypal, etc.)57. Des sites de vente sur internet comme shopify (sorte d’e-bay du bitcoin) se targue d'avoir 160 000 vendeurs. En France, ils seraient près de 300.58 L'acceptation des paiements en BTC serait en réalité bien plus présent sur la toile et pour des services que pour des marchandises localisées dans des magasins physiques. En définitive, le Bitcoin ne semble pas encore avoir atteint sa masse critique lui permettant d’être reconnu et adopté massivement par de nouveaux utilisateurs (European Central Bank, 2015). Au rythme décroissant de l'émission monétaire, la quasi-totalité des Bitcoins seront émis d'ici à 2030 et comme nous l'avons vu, l'augmentation de la taille des blocks et des coûts de leur traitement59, comme le phénomène de concentration de mineurs interroge. La question de la répartition effective de la masse monétaire en BTC comme celle de sa faible utilisation dans le monde réel se doivent d'être posées. b) Les limites de ce système monétaire La décentralisation annoncée à l’origine ne semble pas donner tous ses potentiels : émergence de tiers à capacité d'influence sur le marché, problèmes liés à certains intermédiaires privés (malversations sur MtGox, piratage sur Bitstamp60), pool frôlant les 51 %, inégale répartition des bitcoins, nœuds entiers non rémunérés et donc en déclin alors qu’ils sont essentiels à la résilience du système61… Les problèmes freinant son développement sont nombreux. Le Bitcoin semble suivre les heurts et malheurs des institutions qui le portent (MtGox, Silkroad, Bitstamp62, etc.). Il ressort paradoxalement que c’est précisément le manque de confiance et l’apparition d’intermédiaires influents qui en freine le développement. Comme pour les monnaies classiques, la confiance en le Bitcoin dépend directement de la crédibilité et en dernier instant de la viabilité des intervenants qui y ont pris place et ce malgré un protocole 54 Voir http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/bitcoin-5-millions-d-utilisateurs-en-2019-mais-un-usage-limite-461468.html (consultation du 15/05/2015). 55 Voir http://www.cryptos.net/nombre-dutilisateurs-my-wallet-atteint-19-million-dutilisateurs-nouvelle-appli-ios-bientot-disponible/ (consultation du 15/05/2015). 56 Voir http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/bitcoin-5-millions-d-utilisateurs-en-2019-mais-un-usage-limite-461468.html (consultation du 15/05/2015). 57 Voir https://bitpay.com/ et https://www.coinbase.com/clients (consultation du 15/05/2015). 58 Voir http://www.bitcoin.fr/post/2010/12/30/Que-faire-avec-mes-bitcoins#main (consultation du 15/05/2015). 59 Ce problème risque de freiner le développement du Bitcoin. En effet, les transactions de gros montants risquent de prendre le dessus sur les petites transactions. Le Bitcoin est ici loin de pouvoir concurrencer les transactions par carte bancaire. Voir http://www.bit- coin.fr/post/taille-des-blocs (consultation du 15/05/2015). 60 Cette plateforme d'échange, qui est devenue l'une des plus importance à la suite de la fermeture de MtGox en janvier 2014, a perdu près de 19 000 Bitcoins (soit environ 4,6 millions d'euros) lors d'une attaque informatique visant son hot wallet (jouant le rôle de fonds de roule- ment) dont les clefs sont accessibles via le réseau. Voir http://www.nextinpact.com/news/91645-victime-piratage-plateforme-bitstamp- perd-19-000-bitcoins.htm (consultation du 15/05/2015). 61 Ces nœuds ne servent pas au minage mais sont des relais du registre de l'ensemble des transactions, certain utilisateurs souhaitant participer au réseau peuvent héberger un nœud du réseau complet, valide et accessible du blockchain. Il faut le télécharger, près de trois jours en continus aujourd'hui, et suivant il participera de la fluidité et de la sécurité des validations. Voir http://www.bitcoin.fr/post/Le-noeud-du- probl%C3%A8me et http://www.coindesk.com/bitcoin-nodes-need/ (consultation du 15/05/2015). 62Bitsamp (numéro 3 mondial du change de BTC) a été attaqué le 4 janvier 2015 par des pirates qui ont réussi à lui subtiliser près de 19 000 BTC. Le cours du BTC s'effondre le jour-même. Voir http://www.begeek.fr/bitcoin-attaque-contre-bitstamp- numero-3-mondial-du-marche-157271 (consultation du 15/05/2015). 10
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