Lettre d'information du G2S - Association des généraux

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Lettre d’information du G2S
Lettre n° 98                                                                              Février 2019

      Par le général (2S) Jean-Pierre Guiochon

                                      Budget des armées 2019

      La Loi de finances initiale (LFI) votée pour 2019 alloue au ministère des armées un budget de
      35,9 Mds€. Cette 1re annuité de la loi de programmation (LPM 2019-2025) est conforme au texte
      de cette loi. Elle correspond aux différents engagements publics des plus hautes autorités de
      l’État.

      Il reste maintenant à exécuter rigoureusement l’annuité budgétaire, sans les péripéties
      habituelles de gestion auxquelles le budget des armées est régulièrement exposé depuis de
      longues années. Ce budget doit néanmoins être apprécié en perspective, notamment par rapport
      au passé récent.

      Or, il n’est pas indifférent de rappeler que le budget 2017 a subi une amputation de 850 M€. Le
      budget 2018 a dû lui prendre également à sa charge les 500 M€ du surcoût des Opex,
      contrairement à l’article 4 de la LPM prévoyant le financement interministériel de ce surcoût. En
      deux ans, le pouvoir d’achat du ministère aura donc été amputé de presque 1,35 Md€. Ces
      péripéties ne feront qu’accroître le report de charges sur les budgets suivants, d’autant que le
      budget 2019 doit également prendre en compte l’augmentation de la provision pour Opex
      passant de 650 à 850 M€.

      Pour finir ce bilan du passif, il convient de rappeler que le Reste à Payer (RAP), explicité dans
      l’article sur le budget 2018, était de 50,6 Mds€ fin 2017. Ce RAP aura vraisemblablement
      augmenté en fin 2018 pour atteindre un niveau de 53,9 Mds. Le niveau du report global de
      charges 2018 serait de 3,4 Mds€. Ces deux chiffres seront confirmés prochainement. Il importe
      donc de maîtriser dans la durée les conditions en mars de son évolution, afin qu'il reste
      compatible avec les capacités de paiement prévues dans la LPM.

                          Quelles sont les données caractéristiques de cette LFI 2019 ?

      Le programme des grands équipements P146 bénéficie de 700 M€ supplémentaires passant de
      10,2 à 10,9 Mds€ en crédits de paiement (CP), pour des besoins de 11,5 Mds€. Ceci correspondra
      notamment à la livraison de 1 avion ravitailleur multi-rôle tanker transport (MRTT), 1 avion léger
      de surveillance et de reconnaissance (ALSR), 1 frégate multi-missions (FREMM), 2 systèmes de 3
      drones moyenne altitude longue endurance (MALE) Reaper, 1 adaptation au missile balistique
      stratégique M51 d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), 1 avion de transport A 400M,
      2 hélicoptères NH90 (naval), 48 missiles anti-aérien et antibalistique Aster 30, 1 lot de missiles de
      croisière navals pour sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda et un 3e lot identique pour
      FREMM.
Les autorisations d’engagement (AE) passent de 13,7 à 14,5 Mds. Elles assureront en particulier la
commande de 2 avions de guerre électronique, 1 charge utile de renseignement d’origine
électromagnétique (ROEM) MALE, 4 systèmes de drones MALE, 4 pétroliers ravitailleurs Flotte
Logistique (FLOTLOG), 60 missiles d’interception METEOR, 1 SNA Barracuda, 6 patrouilleurs
outre-mer, 10 avions Mirage 2000 D rénovés.

Un effort de 403 M€ est consacré en particulier aux programmes de satellites d’observation, de
transmissions et de surveillance électronique, l’espace devenant une zone stratégique à prendre
en considération.

La dissuasion bénéficie de 4,6 Mds€ en AE et de 4,45 Mds€ en CP, soit un gain de 10%, afin de
poursuivre la modernisation des deux composantes.

L’entretien programmé des matériels (EPM) est en hausse de 300 M€ (4,15 Mds€) en crédits de
paiement et double en autorisations d’engagement (passant de 4,91 milliards à plus de 10
milliards). Cette évolution marque l’effort en continu indispensable pour remonter la
disponibilité technique des matériels à un niveau acceptable. A cet égard, la situation très
dégradée de la disponibilité des matériels aériens (avions et hélicoptères) a conduit à la création,
en septembre 2018, de la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Cette dernière est
placée sous les ordres du chef d’état-major des armées (CEMA), et remplace la Structure intégrée
de la maintenance des matériels aéronautiques (SIMMAD) qui était elle sous la responsabilité du
chef d’état-major de l’armée de l’air (CEMAA). L’objectif est de remonter la disponibilité, à
travers notamment de la mise en place de contrats globaux de maintenance sous la
responsabilité d’un unique industriel de référence.

L’entraînement : Il a déjà été maintes fois souligné que les déficiences du taux de disponibilité
des matériels affectent indéniablement les conditions d’entraînement des forces. À cet égard, la
mesure des objectifs d’entraînement a été revue afin d’obtenir une vision plus juste des effets
obtenus. Ainsi, le décompte des journées opérationnelles (JOP) d’entraînement a été complété
par des indicateurs prenant en compte le nombre d’heures de fonctionnement, ou de kilomètres
parcourus, par les systèmes d’armes. La mise en place de ce nouveau système d’appréciation fera
de 2019 l’année de référence pour mesurer les progrès accomplis. Les objectifs pour 2025
restent de 180 à 200 heures de vol pour les pilotes (avions de combat et hélicoptères), 110 jours
à la mer pour toute la flotte, 90 jours sur le terrain pour les forces terrestres. L’effort restant à
fournir est donc conséquent.

Le programme 144 (études amont et prospective) progresse notamment en AE (920 M€) pour
un objectif en 2022 de 1 Md€. La création en septembre 2018 de l’Agence pour l’Innovation de la
Défense (AID), dépendante de la direction générale de l’armement (DGA), a pour but de fédérer
et d’optimiser les études prospectives menées par les instances militaires (Direction de
recherche /DGA, Battle-Lab d’armée), les organismes civils (ONERA, laboratoire de Saint-Louis) et
universitaires.

Par ailleurs, pour maximiser les lourds investissements en matière d’équipement, une réforme de
la conduite des programmes d’armement a été impulsée par la Ministre des armées, conduisant
à prendre en compte une approche des programmes plus horizontale et capacitaire. Il s’agit de
moins travailler en « silo » au sein des grands services, en associant en particulier plus
étroitement, plus concrètement et à leur vraie place, les états-majors, les services de la DGA et
les industriels à qui il a été instamment demandé de tenir les coûts et les délais à travers une
démarche plus contractuelle. L’Instruction générale 1516 définissant depuis de longues années la
conduite des programmes d’armement est donc refondue. Il s’agit de favoriser la prise en
compte plus rapide d’éléments nouveaux ou d’innovations techniques en cours de
développement des programmes par la généralisation de démarches incrémentales. En parallèle,
les nécessités des soutiens seront pris en compte d’emblée et le nombre de rendez-vous
décisionnels sera réduit. Cette réforme sera accompagnée d’une réorganisation interne de la
DGA.

On peut considérer que ces deux réformes, 1516 et DGA, arrivent enfin à point nommé, même si
l’on peut regretter qu’elles ne soient pas intervenues plutôt. Elles devraient permettre, à l’ère de
la transformation numérique, de substituer à une conduite parfois jugée lourde, longue et
processionnelle, des méthodes plus agiles, constituant une étape significative dans la politique de
réalisation des armements des armées. Tous les acteurs concernés seront ainsi correctement
positionnés, dans un ministère qui a par ailleurs modifié en continu l’organisation interne de ses
grands Services depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2008-2009.

À l’infrastructure, est consacré un montant de 1,79 Md€ en CP, alors que les besoins
supplémentaires sont estimés à 1,5 Md€. Ils se répartissent notamment en 850 M€ pour les
infrastructures liées à l’arrivée des nouveaux matériels et 280 M€ pour celles des Bases de
défense. 145 M€ sont alloués au logement familial, en cohérence notamment avec le « Plan
famille » doté de 57 M€ pour 2019, dans la cadre d’une enveloppe globale de 520 M€ prévue en
programmation. Malheureusement, le logement des militaires au quartier reste à un niveau très
inférieur aux normes usuelles. Il serait certainement opportun de lancer également un « Plan du
soldat » pour remédier aux conditions actuelles de vie quotidiennes susceptibles de jouer très
fortement sur le moral.

En matière d’effectifs, l’augmentation de 450 postes en 2019 sur une cible atteinte de 6 000 en
2025 concernera les domaines du renseignement et de la cyberdéfense.

Enfin, pour ce qui concerne les Bases de défense, une réflexion est engagée pour redonner aux
commandants de formations des initiatives en matière de soutien, qui est trop centralisé en
organisation depuis la création de ces entités. Cela passerait par une nouvelle réforme du Service
du Commissariat des Armées (SCA), également annoncée par la ministre lors de ses vœux.
Toutefois, il sera très difficile de dégager la ressource humaine nécessaire pour renforcer ces
structures de soutien, la priorité restant à l’opérationnel en ce domaine.

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Pour l’armée de terre, si l’année 2019 marque des progrès, elle recèle encore des points de
vigilance et des lacunes. Le P146 équipements doté de 2 Mds€ permet notamment de faire effort
sur le programme Scorpion avec la livraison de 89 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) GRIFFON
(successeur du VAB), la mise en service de 8 NH90 et 4 TIGRE, 2 systèmes de 5 drones tactiques,
50 postes de tir missile moyenne portée (MMP), 8 000 fusils d’assaut HK 416-F et 500 véhicules
tactiques VT4.

Les commandes porteront sur 428 kits de numérisation, 2 systèmes CERBERE (centres
d’entraînement représentatifs des espaces de bataille et de restitution des engagements à
Sissonne et à Mailly), 125 postes de tir pour missile moyenne portée MMP, 120 véhicules blindés
légers (VBL) régénérés, 12 000 HK416-F. À terme, le système d’information du combat Scorpion
(SICS), le canon CAESAR étape 2, le missile air-surface tactique futur (MAST) du TIGRE standard 3
et les premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) JAGUAR (successeur de
l’AMX 10RC) seront également commandés. L’objectif d’équipement du programme global
SCORPION est de mettre sur pied un groupement tactique interarmes (GTIA) en 2021 et une
brigade complète en 2023.

Le budget entraînement passant de 157 à 160 M€ maintient, comme en 2017, les journées
d’entraînement à 81 jours, avec une atteinte de 57% des normes de préparation opérationnelle
par équipage. Des efforts financiers sont encore à consentir.

Le budget fonctionnement et activités diverses chute de 12%. Cette ligne budgétaire a été sous-
dotée pour l’ensemble des armées lors de la construction de la LPM, afin de rester dans
l’enveloppe financière retenue. Cette impasse budgétaire n’est pas et n’est plus acceptable, car
elle impacte profondément la vie quotidienne des unités et le moral des personnels tout en
nécessitant l’utilisation du programme 178 (entraînement des forces) pour supporter des
dépenses courantes.

L’entretien programmé des matériels (EPM) terrestres, de 613 M€, soit une hausse de 20%,
permet de continuer la remise des parcs à un niveau acceptable, afin de restaurer des capacités
opérationnelles encore insuffisantes dans certains domaines. Dans cet esprit, la rénovation de la
conduite du MCO-Terre engagée depuis 2015 se poursuivra avec la contractualisation plus
systématique des contrats de soutien par les industriels.

L’entretien programmé des matériels aériens de l’armée de terre, de 400 M€, en hausse de 7%,
sera caractérisé par la passation de contrats d’entretien avec un seul industriel leader, par le biais
de contrats « verticaux », et le plus souvent pluriannuels. Dans l’avenir, les nouveaux contrats
relatifs aux hélicoptères FENNEC, TIGRE et COUGAR impliquent l’inscription au budget 2019 d’un
volume d’AE de 1 Md€.

Globalement, la progression de L’EPM demandée depuis longtemps par l’armée de terre est un
élément positif de ce budget.

Les petits programmes, indispensables à la cohérence d’emploi des systèmes d’armes majeurs,
progressent seulement de 3%, avec un niveau de 195 M€, sans atteindre le niveau minimal de
200 M€ souhaité par l’armée de terre. Un effort reste encore à fournir.

L’infrastructure : le niveau de 118 M€, en baisse par rapport à 2018 (179 M€), est très insuffisant,
voire inquiétant, car accentuant les lacunes constatées depuis longtemps. Seules les opérations
majeures relatives notamment au programme SCORPION sont préservées. L’hébergement et
l’infrastructure de vie courante des personnels sont des points noirs non encore résolus, mais qui
peuvent avoir des incidences très fortes sur les personnels, inversement proportionnelles aux
montants financiers engagés.

Au bilan, ce budget est encore en deçà des attentes, la seule augmentation significative (130 M€)
étant consacrée à l’EPM.

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1. En conclusion, l’année 2019 affiche une augmentation de 1,7 Mds€, mais ce qui importe
   d’abord, c’est l’exécution de cette loi de finances dans son intégralité, processus qui n’est pas
   acquis d’emblée, compte tenu des antécédents. En outre, le financement des mesures
   sociales annoncées le 10 décembre dernier par le Président de la République impliquerait
   sans doute, avant l’été, une 1re loi de finances rectificative, dont les conséquences
   éventuelles sur le budget des armées seraient à apprécier.

   Par ailleurs, l’encoche de 1,35 Md€ sur les années budgétaires 2017 et 2018 sera à
   compenser ; compensation qui alourdira le report de charges fin 2018, qui pourrait être de
   l’ordre de 3 Mds€. L’équation budgétaire pour les années à venir reste donc hautement
   compliquée à résoudre, compte tenu du niveau du RAP, et en raison de l’évolution aléatoire
   des hypothèses de croissance économique, et des nécessités politiques de maintenir le déficit
   public à un niveau acceptable et accepté par Bruxelles.
2. L’objectif d’être les « premières armées en Europe », dont on attend d’ailleurs la définition
   des paramètres, par rapport notamment à nos voisins, est très estimable et ambitieux. Mais il
   doit en prendre en compte l’évolution des conditions d’engagement face aux menaces en
   cours et à venir. La réapparition des États-puissance, l’emploi par les mouvements ou
   groupements terroristes d’armes de plus en plus sophistiquées (drones, missile sol-sol et sol-
   air…) conduisent à redécouvrir les critères du combat de « haute intensité », forme
   d’engagement qui avait été laissée de côté lors de la professionnalisation de nos armées en
   1996. Celles-ci avaient été organisées et entraînées pour des opérations extérieures de
   maintien ou de rétablissement de la paix, face à des adversaires considérés comme
   « asymétriques ». L’histoire, par un retournement de situation, dont elle est souvent
   coutumière, nous ramène à de futures conditions de combat assez proches de celles d’avant
   1996.
3. Il importe en conséquence que nos armées retrouvent ces capacités de combat de haute
   intensité, ce qui suppose vraisemblablement de disposer d’un volume d’effectifs adapté à la
   durée des engagements, d’un dispositif renforcé en équipements performants de
   destruction-neutralisation, d’une palette d’appuis - feux conséquents, notamment sol-sol et
   sol-air, parents pauvres de notre panoplie depuis la professionnalisation, et enfin d’un
   entraînement intensif. Tous les pays occidentaux majeurs prennent d’ailleurs en compte ces
   nouvelles caractéristiques opérationnelles. Mais les réorganisations successives de nos
   armées, entreprises depuis 20 ans pour des motifs essentiellement budgétaires, sous couvert
   de Livres Blancs ou de Revues Stratégiques, dont on ne tirait pas toujours toutes les vraies
   conséquences concrètes en termes d’organisation, d’effectifs et de capacités opérationnelles,
   aboutissent finalement à la nécessité de combler de vastes lacunes capacitaires et de revoir
   attentivement les contrats opérationnels, dont chacun s’accorde à dire que les actuels sont
   déjà dépassés de 30%.
4. L’indispensable remise à hauteur initiale capacitaire de nos armées puis une véritable
   remontée en puissance, devront imposer plusieurs lois de programmation ambitieuses dans
   leurs objectifs et soutenues par une forte volonté gouvernementale de les exécuter sans
   restriction. C’est le défi à relever pour les responsables politiques de notre pays.
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