LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social

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LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
LIEN SOCIAL     Quinzomadaire indépendant d’actualité sociale
                                                                DANSE
                                                                  Never
                                                                Twenty One
                                                                   p.34
n° 1300 • 7 au 20 septembre 2021

RÉDUCTION                            p.12
DES RISQUES
Des salles expérimentées

ESPACE DU LECTEUR
Mineurs non accompagnés,
mineurs d’abord ? p.28

                             RÉSEAUX SOCIAUX

           Éducation digitale
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
LIEN SOCIAL                           1300                                7 au 20.09.2021                 SOMMAIRE
     LA VERSION NUMÉRIQUE EST DISPONIBLE SUR WWW.LIEN-SOCIAL.COM

6 SOCIAL ACTU                                                             10   DÉCRYPTAGE PAR MYRIAM LÉON

                                                                               PROTECTION DE L’ENFANCE
                     LA PLUME DE CÉLIA CARPAYE                                 Quand le complot s’en mêle
7                    Cet été encore

                     L’HUMEUR DE JACQUES TRÉMINTIN                        11   Dans Lien Social il y a 30 ans
                     La folie n’est pas toujours
8                    où l’on croit                                        12   ANGLE DROIT
                                                                               RÉDUCTION DES RISQUES
                     SUR LE VIF PAR ÉTIENNE LIEBIG
                                                                               Des salles expérimentées
9                    Miracle au Tribunal
                                                                          14   PAROLES DE MÉTIERS
                                                                               Les guides de bonnes pratiques
           DOSSIER

                                                                               sont-ils utiles ?
18                                                                        16   MATIÈRE À PENSÉES
                                                                               Le travail de rue :
                                                                               une démarche politique, éducative
                                                                               et sociale évolutive
RÉSEAUX
SOCIAUX
                                                                          26   ÉCHOS DU TERRAIN
Éducation digitale                                                             « Un détour en famille »
22   REPORTAGE / PRÉVENTION SPÉCIALISÉE

     Promenades sur le Net
24   ENTRETIEN AVECFRANÇOIS SALTIEL

     Quand le hashtag mobilise

32 LIVRES                                                                 28
                                                     L’œil et l’oreille

                                                                               ESPACE DU LECTEUR

34           DOCUMENTAIRE
Le fils de l’épicière,
                                                                               î Mineurs non accompagnés,
                                                                               mineurs d’abord ?
                                                                               î Maman est venue en France
le maire, le village
et le monde
DANSE I Never Twenty One                                                  31   OFFRES D’EMPLOI

                                                                                              7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300   3
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
par Jacques Trémintin

                                  Nomophobie
                                 U
                                             n nouveau conflit a éclaté quand le               majeure : la croissance d’un cinquième
                                             téléphone de Myriam s’est mis à                   appendice greffé au bout de ses bras.
                                             sonner en pleine nuit. Surgissant                     Hier, l’adulte expliquait à l’enfant la
                                    dans sa chambre, sa mère lui a confisqué                   nuisance du tabac, la cigarette au bec.
                                    son téléphone portable, alors qu’elle s’y                  Aujourd’hui, il lui démontre les effets
                                    cramponnait désespérément. Essayant                        per­vers du portable, tout en s’accro-
                                    d’apaiser les relations familiales qui,                    chant au sien.
                                    depuis cet incident, sont très tendues,                        Dans l’acte éducatif, il nous faut assu-
                                    l’éducateur dialogue avec l’adolescente                    mer nos propres contradictions, la nomo-
                                    pour négocier une pratique plus maîtri-                    phobie (de « no mobile phobia ») n’en
                                    sée de son mode de communication pré-                      étant pas la moindre. Éducation aux
                                    féré. Myriam se confie : « quand elle m’a                  médias, prohibition dans des espaces-
                                    pris mon téléphone, c’est comme si elle                    temps identifiés, boites où l’on dépose
                                    m’avait arraché un bras ».                                 son portable avant une activité etc.
                                       À observer les rues de nos villes ou                        L’apprentissage d’un code de bonne
                                    les quais de gare, les tables de restau-                   conduite prend plus de temps que celui
                                    rant ou les salles d’attente, l’adolescente                de la manipulation de l’appareil. Mais il
                                    ne semble pas appartenir à une espèce                      finira par se réaliser. L’important n’est-
                                    exceptionnelle. Le genre humain pourrait                   il pas de contrôler son addiction, plutôt
                                    bien avoir subi une mutation génétique                     que de vouloir la supprimer ?

                                                                       LIEN SOCIAL • Directeur de la publication : André Jonis                      LIEN SOCIAL • Bimensuel
                                                                Rédactrice en chef : Marianne Langlet - marianne.langlet@lien-social.com            SARL au capital de 7622,45 e
                                                              Rédactrice en chef adjointe : Katia Rouff-Fiorenzi - katia.rouff@lien-social.com      Gérant : André Jonis
                                                                    Chef de rubrique : Jacques Trémintin - tremintin@lien-social.com                Fabrication : Evoluprint - Bruguières
                                                                                                                                                    (certifié Imprim’vert, PEFC et FSC)
                                                                              Rédacteurs : Célia Carpaye - Étienne Liebig
                                                                    Ont collaboré à ce numéro : Frédérique Arbouet - Myriam Léon
                                                                  Dessinateur : Jiho - 1ère rédactrice graphiste : Marie-Pierre Mouisset
                                                                     A collaboré à la mise en page - Webmaster : Djamila Lagarde
                                                                                                                                                    Abonnement : 149 e/an pour 22 n°
© ARMANDINE PENNA

                                                                  Abonnements, vente : Chantal Barcelo - abonnement@lien-social.com                 Prix au n° : 7,50 e
                                                                        Publicité : Appoline Chaminade - la-regie@lien-social.com                   Commission paritaire : 0623 T 83295
                                                              Offres d’emploi : Marie-Hélène Clauzel - marie-helene.clauzel@lien-social.com         ISSN 0994 - 1819
                                                                 Administration, comptabilité : Patricia Viviès - patricia@lien-social.com          N° SIRET 347 557 688 00038
                                                                   Principaux associés : André Jonis - Rémy Dorvault - Jean-Luc Martinet            code APE 5814Z
                                                                                                                                                    Dépôt légal à parution

                    Photo p.11 : © Fotolia-grandfailure         76 rue Garance - 31670 Labège – Tél. : 05 62 73 34 40 – contact@lien-social.com     www.lien-social.com

                                                                                                                                                  7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300        5
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
SOCIAL ACTU

                                                                                                                                                        © DIDIER VANDON – UNAFAM
  DU 6 AU 13 SEPTEMBRE, L’UNAFAM ORGANISE LA 7E ÉDITION DE PSYCYCLETTE • Une randonnée
  cyclotouriste de plus de 1 000 km pour lutter contre les idées reçues et relever un défi de taille : traverser la France à vélo.
  Dans la course, personnes vivant avec des troubles psychiques, soignants, bénévoles et cyclotouristes avertis. Plus de cent
  « psycyclistes » partiront du Mont Saint-Michel à la rencontre des habitants des villes traversées qu’ils inviteront à des
  manifestations festives. L’opération a deux objectifs : permettre aux personnes concernées de pratiquer du sport, participer
  – en fonction de leurs possibilités physiques -, à la totalité ou à une partie du parcours, encadrées par des professionnels de la
  psychiatrie ou accompagnées d’un proche et sensibiliser le grand public aux troubles psychiques – Psycyclette 2021 | Unafam

                              Cet enfant qui nous séduit                                   COVID 19 : quelles adaptations ?
                               La crise actuelle de civilisation interroge                   Confrontés à la Covid-19 et au confinement qui s’en
                               les fondements de nos rapports humains.                       est suivi, les professionnels semblent avoir réagi se-
                               L’occasion de revenir aux liens précoces                      lon deux modalités : sidération face à l’inconnu ou
                               entre enfants et adultes, remaniés au                         exci­tation face à un défi à relever. Qu’on ne se trompe
                               long de l’existence. Les enfants nous sé-                     pas : si les auteurs qui s’expriment ici sont parmi ceux
                                duisent pour l’avenir qu’ils semblent nous   qui ont répondu avec le plus de dynamisme face à ces conditions
                                promettre – de plus d’une façon. Mettre      difficiles, le tableau est néanmoins beaucoup plus contrasté qu’il
                                en question la séduction et la sexualité     n’y paraît. Mais la pandémie a ouvert des brèches.
                  des enfants nous fait revisiter les suites, avatars, et    Contraste, n° 53
                  critiques de la-dite « sexualité infantile » : quelles
REVUE DE PRESSE

                  sources précoces, quelles spécificités chez les filles
                  et les garçons confrontés à l’énigme – ou à la crudi-
                  té – de la sexualité des adultes ? Quelle place dans la    Famille, école. L’appel de la nature
                  vie de chacun, relativement aux liens d’attachement,       Le désir d’élever ses enfants en harmonie avec la nature s’est ac-
                  et à ce qui permet de se constituer, dans sa vie affec-    centué à la faveur de la prise de conscience écologique et des trois
                  tive et sociale, comme Je en lien à l’Autre, et respon-    confinements. Quel rôle la nature joue-t-elle exactement dans le
                  sable ? Dans la clinique, l’éducation, et le rapport aux   développement de l’enfant et ses apprentissages ? Peut-on édu-
                  lois ? Et dans l’amour-même, cette notion reste-elle       quer aux enjeux écologiques sans transmettre son anxiété ? Philo-
                  bien pertinente ? La séduction et la sexualité des en-     sophes, sociologues et anthropologues analysent dans ce numéro
                  fants est ici en questions.                                le grand retour de la nature dans l’éducation.
                  Le Coq Héron, n° 245                                       L’école des parents, n° 640

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  6      LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
SOCIAL ACTU

                                                                       LA PLUME
                                                                       DE CÉLIA CARPAYE

 CRISE SANITAIRE

Un passe de rentrée                                                      Cet été encore

                                                                         A
L    a « foire aux questions » : la page mise en ligne par le minis-
     tère des Solidarités et de la Santé le 18 août (et qui ne
cesse d’être réactualisée) assure répondre aux questions des
                                                                                     h l’été, les vacances, le soleil, la détente…
                                                                                     et le train. Et les familles. Les enfants.
établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) sur l’obli-
                                                                                     Les bébés. Et les voyageurs sans enfants,
gation vaccinale, le passe sanitaire, le protocole sanitaire de
la rentrée. Mais de nombreuses questions restent encore en                           importunés, ceux-là même qui avaient prévu
suspens selon l’Uniopss.                                                 d’aller se la couler douce en province en plein mois
   Tous les professionnels des établissements médico-sociaux             d’août et qui se retrouvent dans un wagon bondé, au
sont concernés par l’obligation vaccinale. Les professionnels
                                                                         milieu de ces petites choses vivantes et un peu trop
des établissements sociaux en sont exemptés sauf les profes-
sionnels de santé qui y exercent y compris les psychologues et           bruyantes qu’on appelle « enfants », de l’étymologie
psychothérapeutes. Le texte laisse planer un doute : les « per-          infans, celui qui ne parle pas, c’est dire s’il y a eu
sonnes travaillant dans les mêmes locaux » que ces profession-           tromperie sur la marchandise parce qu’ils parlent,
nels de santé restent également soumis à l’obligation vaccinale…
                                                                         ceux-là, ils braillent et pleurent et les voyageurs
mais seulement si ces derniers réalisent des gestes médicaux.
Les stagiaires, intérimaires, bénévoles qui interviennent dans           importunés ont bien une idée d’une méthode éducative
les établissements soumis à l’obligation doivent également s’y           qui les ferait taire en moins de deux, ainsi regardent-ils
plier. Depuis le 9 août, – le 30 août pour les intervenants –,           avec mépris ces parents incompétents tout en tweetant
le passe sanitaire est exigé au public qui visite les établisse-
                                                                         des insanités sur lesdits marmots.
ments médico-sociaux. Un décret du 26 août écarte finalement
les établissements sociaux de cette obligation.                          Cet été encore, alors même que mille autres
   Il est spécifié qu’à partir du 15 septembre, les personnes            catastrophes continuaient de rendre la vie difficile
qui n’auront pas reçu leur première dose de vaccination ne               aux moins privilégiés d’entre nous, nous n’y avons pas
pourront plus exercer, elles seront suspendues sans salaire ni
                                                                         échappé : et les sans-enfants de protester contre la
allocation chômage et pourront reprendre une fois l’obligation
remplie. Une tolérance jusqu’au 16 octobre sera accordée aux             présence des mômes dans l’espace public, et les avec-
personnes ayant reçu leur première dose si elles présentent              enfants d’être désolés, gênés, mal à l’aise, épuisés,
un test négatif de moins de 72 heures. L’employeur est respon-           en colère. Et les réseaux sociaux de se transformer en
sable du contrôle. En cas de manquement, l’amende atteint
                                                                         arène sanglante, terrain de jeu des polémiques et miroir
1 500 euros. S’il est verbalisé trois fois dans le mois, la peine
monte à un an d’emprisonnement et 9 000 euros d’amende.                  grossissant de nos forteresses mentales. Rien de neuf
   Une approche répressive qui provoque la colère : « Un passe           sous les malheureux auspices des rapports sociaux
qui porte bien mal son nom, imposé par des gouvernants qui               mais la condition des enfants restant encore difficile à
continuent de supprimer des lits d’hôpitaux en pleine pandé-
                                                                         envisager, les études et recherches autour de l’âgisme
mie, qui refusent la levée des brevets qui conditionne l’accès
universel à la vaccination au niveau international », interpelle         demeurant encore rares, il est aujourd’hui possible de
la commission de mobilisation du travail social en lutte qui             lire ici ou là qu’untel déteste les enfants ou qu’un autre
appelle à la mobilisation, tout en mettant en garde contre la            encourage la violence éducative. Alors, on la connaît
main basse de l’extrême droite sur le mouvement de contes-
                                                                         la chanson, les enfants on les aime bien quand ils sont
tation : « Elle tente de détourner la rage de notre camp social
pour semer la division ».                                                dans les espaces prévus à cet effet, parcs, écoles,
                                                                         crèches, jupons des mères — elles-mêmes reléguées
 Explorez notre site !                                                   à l’espace domestique depuis des siècles.
                                                                         Cet été encore, cet affolement aura permis de nous
                                 www.lien-social.com                     rappeller à l’affligeante réalité : pour vivre en paix
    Découvrez plus d’actus, des témoignages,                             dans l’espace public, mieux vaut être un homme, blanc,
        des portraits, des billets, des initiatives.                     hétérosexuel, de classe moyenne, mince et valide.
                                                                         Pour les autres, il va falloir repasser.

                                                                                                   7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300   7
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SOCIAL ACTU

                                            L’HUMEUR
                                         DE JACQUES TRÉMINTIN

                                                                 DROIT D’ASILE

La folie n’est pas                                              L’accueil à la française
toujours où l’on croit                                          «N        ous devons anticiper et nous protéger contre des flux
                                                                          migratoires irréguliers importants ». La phrase du
                                                                président Emmanuel Macron lors de son allocution sur la

«B
                                                                situation en Afghanistan le 16 août dernier a provoqué de
                   onjour Monsieur, je voulais vous             nombreuses réactions. Des propos « indignes de la tradition
                   prévenir, il y a un client qui crie          française de l’accueil et de l’asile », réagissait, entre autres,
                                                                la Ligue des Droits de l’Homme. Une tradition bien écornée.
                   beaucoup dans les rayons. Il ne
                                                                   Tout l’été, les associations comme Utopia 56 montraient,
                   faut pas vous en inquiéter. Il a des         images à l’appui, comment dans la région de Calais et à
problèmes mentaux. Nous le connaissons bien.                    Grande-Synthe, les tentes de fortune des personnes exilées
Il vient régulièrement. Il n’est pas méchant du tout.           étaient systématiquement détruites par la police sans autre
Il faut juste ne pas lui répondre. » L’employée de cette        solution d’hébergement apportée. « Détruire les camps pour
                                                                déplacer et intimider, c’est la politique de non-accueil menée
supérette fait preuve d’une admirable bienveillance face        aujourd’hui en France », souligne l’association. Fin août, la
à la différence. Dans d’autres magasins, un agent de            énième reconduite de l’arrêté de la préfecture du Pas-de-
sécurité aurait sorti l’individu manu militari ou appelé        Calais, établi en septembre 2020, interdisant toute distribu-
la police, soucieux de faire cesser le scandale et              tion de nourriture aux réfugiés dans le centre-ville calaisien
de ne pas déranger les autres clients. C’est vrai qu’il         participe de cette même politique.
                                                                   Le 18 août, autre lieu, même méthode, l’association aler-
est loin le temps où l’on trouvait dans les campagnes           tait sur l’utilisation de gaz lacrymogène et de matraques
ces « idiots du village » intégrés à la communauté. Le          pour repousser hors de Paris une soixantaine de deman-
terme devint très vite une insulte (comme beaucoup de           deurs d’asile, principalement afghans, qui vivent à la rue
qualifications psychiatriques), utilisée pour se moquer         depuis des jours, voire des mois, en attente du dépôt ou de
                                                                l’examen de leur demande. Le 22 août, la commission natio-
et mépriser. Mais, souvent, ils étaient protégés par une
                                                                nale consultative des droits de l’homme (CNCDH) appelait
certaine solidarité collective. On trouvait toujours une        le gouvernement, via une tribune dans Le Monde, à ne pas
tâche à leur confier. Et puis, ils ont disparu de la scène      confondre droit d’asile et gestion des flux migratoires. Elle
publique, enfermés dans des maisons pour fous.                  soulignait que la « spécificité du droit d’asile devrait exclure
À partir des années 1960/1970, un vent de réforme               toute approche purement quantitative et économique de la
                                                                politique d’accueil ». Elle rappelait que ce droit fondamental
a soufflé, articulé autour de deux préoccupations.
                                                                doit s’appliquer envers les personnes qui fuient actuellement
La première, d’inspiration humaniste, consistait à en           leur pays mais également celles déjà présentes en France.
finir avec les lieux d’enfermement. La seconde visait
à en réduire le coût budgétaire. Près de 26 000 lits de
                                                                                                                                       © LOUIS WITTER - MAXPPP

psychiatrie adultes furent fermés entre 1993 et 2018,
sans que ne soient ouverts parallèlement des places
d’hôpital de jour, de CMP ou CATTP permettant de
réintégrer la maladie mentale à la société. Ce qui aurait
dû se faire pour ce monsieur vociférant ? Contacter
un service ambulatoire qui aurait détaché un infirmier
pour l’accompagner faire ses courses. Pure fiction !
La psychiatrie est sabordée depuis trente ans. Ce
monsieur finira dans la rue (30 à 50 % des SDF sont
atteints de graves maladies psychiques) ou en prison
(80 % des détenus en souffrent). Les égarements de
notre société ne seraient-ils pas encore pires que ceux         À Grande-Synthe, un policier lacère une tente lors d’une énième expulsion
de ce monsieur ? Poser la question, c’est y répondre !          d’un campement de fortune fin 2020. Une pratique toujours d’actualité...

8   LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
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                                                                      SUR LE VIF
                                                                      PAR ÉTIENNE LIEBIG

 HANDICAP

L’ONU fustige la France                                                 Miracle auTribunal
D
                                                                       M
      u 18 au 23 août, le Comité des droits des personnes handi-
      capées de l’ONU a examiné le rapport initial de la France                       aître Dupond-Moretti en sa qualité
sur la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des
personnes handicapées (CIDPH). « Le rapporteur s’est dit très
                                                                                      de ministre de la Justice a décidé
préoccupé par les discriminations structurelles dont font l’ob-                       de frapper un grand coup pour ne pas être
jet les personnes en situation de handicap », évoque Pascale                          en reste sur son collègue Darmanin, le roi
Ribes, présidente d’APF France handicap et membre de la                 de la déclaration, qui traite la toxicomanie comme
Commission nationale consultative des droits de l’Homme
(CNCDH). Si des progrès ont été soulignés – droit de vote
                                                                        dans les années 70 à contre-courant du monde entier.
pour les majeurs protégés, octroi des droits à vie –, le chemin         Il a déclaré que le temps entre le moment où un jeune
vers une société inclusive reste long, très long. « Loin de pro-        mineur serait attrapé comme « chouffeur de quartier »
gresser sur le droit fondamental à l’accessibilité, la France           au service des dealers et le moment où il serait jugé
recule, illustre Pascale Ribes. La loi Elan de 2017 constitue
le pompon ! Elle a notamment anéanti le droit fondamental à
                                                                        passerait de 18 mois à 3 mois… Énorme éclat de rire
des logements neufs. »                                                  dans la magistrature, teinté de colère.
   Le comité a également évoqué la question essentielle des             Si l’annonce est belle, son application paraît tout
ressources et celle de la déconjugalisation de l’allocation aux         bonnement impossible car il faudrait pour se faire
adultes handicapés (AAH). Concernant le « maintien de la
logique d’institutionnalisation, la nécessité de développer une
                                                                        des embauches massives de juges, de greffiers,
gamme de services en nombre suffisant a été évoquée pour                d’assistants, de personnels multiples et formés.
permettre aux personnes en situation de handicap de vivre               Tous redisent qu’il faudrait déjà une belle année
dans la cité avec tout le monde.                                        si ces embauches nouvelles avaient lieu pour traiter
   Le Comité des droits rendra publiques ses recommanda-
tions mi-septembre.
                                                                        les milliers de dossiers qui prennent la poussière,
                                                                        entassés sur les bureaux.
                                                                        Par ailleurs, la police indique que la qualification
 PROTECTION DE L’ENFANCE                                                de « chouffeur » soit « complice qui surveille »
                                                                        est très difficile à établir. Aucune loi n’empêche

Lettre d’Occitanie                                                      un mineur d’être assis sur une chaise en bas de chez
                                                                        lui et il faut heureusement plus qu’une présomption
                                                                        pour mettre en garde à vue qui que ce soit. De plus, les
E    n plein cœur de l’été, ils ont écrit au Premier ministre, Jean
     Castex. Le 5 août, les treize présidents des conseils dépar-
tementaux d’Occitanie lui envoient un courrier pour l’alerter
                                                                        citoyens sont un peu habitués maintenant aux annonces
                                                                        opportunes en cas de crise qui ne sont pas suivies
sur le « manque de moyens et de coordination pour répondre              d’effet. Il suffit de penser aux promesses d’embauche
aux besoins des enfants confiés ». Ils pointent notamment le
« déficit important » de places en psychiatrie et pédopsychia-
                                                                        dans les hôpitaux qui finalement ont débouché sur une
trie qui occasionne des ruptures de prises en charge et des             nouvelle diminution de personnel. Peut être simplement
« mises en difficulté » des lieux d’accueil et des professionnels.      parce qu’il n’est pas si évident de trouver des personnels
Ils dénoncent « la politique de désinstitutionnalisation » pour         qualifiés que l’on n’a pas encore formés.
les enfants porteurs de handicap confiés à l’aide sociale à l’en-
fance. Enfin, ils s’inquiètent de la pénurie de places adaptées
                                                                        On voit bien que sur la question du cannabis,
pour accueillir des jeunes suivis pas la protection judiciaire          le gouvernement Macron s’est mis dans une situation
de la jeunesse et s’interrogent sur les « impacts à venir sur les       inextricable. En durcissant les interventions policières,
conseils départementaux en termes de moyens et de suivis » de           il a ajouté de la violence dans le milieu des revendeurs
la réforme de la justice pénale des mineurs. Ils en appellent
à une « coordination stratégique » de l’ensemble des services
                                                                        et des millions de consommateurs, il n’a rien réglé
de l’État à l’échelon départemental. Et demandent que l’État            et ne sait plus comment s’en sortir autrement
écoute un peu plus les départements.                                    que par des promesses intenables.

                                                                                                  7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300   9
LIENSOCIAL - Éducation digitale RÉSEAUX SOCIAUX - Lien Social
SOCIAL ACTU

DÉCRYPTAGE
PAR MYRIAM LÉON

              PROTECTION DE L’ENFANCE

             Quand le complot s’en mêle
             Des parents s’appuient sur des théories complotistes pour
             dénoncer le placement de leurs enfants par les services sociaux.

             S
                   ITES internet, pages Facebook, groupes Insta-         surtout pas confondre ce noyau de complotistes avec
                   gram… les réseaux francophones de lutte contre        des parents qui se mobilisent et critiquent les déci-
                   les « placements abusifs » sont nombreux et par-      sions de la protection de l’enfance de façon ration-
             fois très limite. Ainsi, le site Ricochets développe la     nelle et argumentée, précise Laurent Puech, assis-
             thèse d’un placement lucratif pour les institutions         tant de service social, auteur du texte Complotisme
             et les départements. Pedopolis.com détaille « scien-        et protection de l’enfance : inquiétantes convergences
             tifiquement » la théorie QAnon dénonçant une élite          (1). Mais l’adhésion à ces thèses amène le risque de
             pédocriminelle et vampire. Sur rendeznousnosenfants.        passage à l’acte : une fois que vous êtes la personne
             org, une mère d’enfant placé conseille aux parents          qui va sauver l’autre, vous pouvez tout vous autoriser,
             d’user de la force pour récupérer leurs enfants.            vous vous considérez en légitime défense. »
                 Lors du placement d’un enfant par l’aide sociale à         Les travailleurs sociaux de l’Ase peuvent être
             l’enfance (Ase), la mouvance complotiste propose un         confrontés à des familles adhérant à ces thèses. « Il
             récit fictionnel qui modifie le rapport à cette décision.   faut intégrer cette donnée, les décisions de placement
             Les parents disqualifiés peuvent dès lors se placer en      doivent être particulièrement étayées et ne laisser
             victimes et en protecteurs de leur enfant face à un         aucune zone de flou, pense Laurent Puech. Aussi com-
             système qui veut non seulement les prendre mais en          plotistes que soient ces parents, nous devons pouvoir
             abuser. L’enlèvement de Mia par sa mère, persuadée          travailler avec eux en n’hésitant pas à accentuer les
             de la soustraire à un réseau pédocriminel sataniste,        motivations. Nous devons aussi reconnaître qu’il est
             révèle la porosité de la France aux thèses complo-          possible d’être en désaccord, de passer par le droit
             tistes véhiculées aux USA.                                  pour faire valoir sa parole, de venir accompagné d’un
                 Si les professionnels de la protection de l’enfance     avocat ou d’un ami lors des rapports avec les services
             ont toujours fait l’objet d’accusations, celles-ci se       de la protection de l’enfance. Il faut montrer que face
             radicalisent avec les réseaux sociaux. « Il ne faut         à la puissance de la machine administrative et judi-
                                                                         ciaire, il existe des contre-pouvoirs. »
                                                                            Également membre fondateur du blog secretpro.fr
                                                                         et formateur sur ce sujet, le spécialiste voit une autre
                                                                         piste de réflexion pour contrer ces dérives. « Dans nos
                                                                         fonctionnements institutionnels, le détenteur de l’au-
                                                                         torité parentale est rarement informé des échanges
                                                                         entre les professionnels concernant leur enfant. C’est
                                                                         comme leur dire : vous en êtes le premier protecteur et
                                                                         on commence par vous éliminer de la circulation des
                                                                         informations. Ça va à l’encontre de la loi, génère de
                                                                         la défiance : c’est un terreau propice aux fantasmes. »
                                                                         Face au non-dit des professionnels, il existe désor-
                                                                         mais des récits organisés et compétitifs. Cette réa-
                                                                         lité oblige à repenser les pratiques et la place des
                                                                         parents, même lors d’une décision de placement. l

                                                                         (1) À lire sur le blog Décrypter les approches
                                                                         de protection en travail social.

10
Dans Lien Social il y a 30 ans

LS n°134 • 5.09.1991 (extrait)                                                             nous étudions toutes les solutions. Elles
                                                                                           sont inexistantes ou affichent des prix
par Lien Social                                                                            vertigineux.
                                                                                               Désormais une nouvelle alternative
                                                                                           nous échoit : nous replier sur les locaux

D
       ernière minute : Les États Généraux                                                 prévus pour 700 personnes et annuler
       reportés. Tout commence il y a 18                                                   600 inscriptions ou bien décider le report
       mois. Lien Social décide d’organiser                                                suffisamment loin dans le temps pour que
les États Généraux des Éducateurs. Les                                                     les agendas des uns et des autres s’en
dates sont fixées, 10 et 11 octobre 1991,                                                  accommodent, éviter les vacances sco-
les locaux sont réservés et le chiffre des                                                 laires des trois zones, trouver le moyen
participants est évalué pour un maximum                                                    de porter l’information le plus vite pos-
de 700 personnes. Jusqu’au début du           dimension historique qu’ils ont incon-       sible au maximum de gens concernés.
mois de juillet 1991, tout baigne.            testablement suscitée ? Le 13 juillet au         Tous ces problèmes envisagés, pesés,
   Et puis, brutalement, sans crier gare,     soir, notre choix est fait. Si nous trou-    mesurés nous avons opté pour un report
la machine s’emballe. Entre le 9 et le        vons les locaux appropriés nous optons       des États Généraux aux jeudi 2 et ven-
13 juillet, ce sont près de 1 000 inscrip-    pour la seconde solution.                    dredi 3 avril 1992. […] Ils réuniront… plus
tions qui arrivent.                               Le 14 juillet passe. Il fait chaud sur   de 2 500 participants inscrits.
   Afficher complet, annuler 300 inscrip-     Toulouse le 15 juillet. Très chaud. Beau-
tions pour revenir à 700 participants ?       coup de gens sont déjà partis en vacances       Reportage sur les EGE des 2 et 3 avril 1992
   Ou bien augmenter la capacité d’ac-        ou ont déjà l’esprit tourné vers celles-                offert par retour de mail
cueil et donner aux États Généraux la         ci. Nous frappons à toutes les portes,                 contact@lien-social.com

                                                                                                           7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300   11
ANGLE DROIT

  RÉDUCTION
 DES RISQUES
                                 Des salles expérimentées
La France compte deux salles de consommation à moindre risque pour les
usagers de drogue, l’une à Paris, l’autre à Strasbourg. L’expérimentation qui
a permis ces ouvertures prend fin en 2022. Quel avenir pour ces structures ?

                        «L
                                   A drogue ne doit pas être accompagnée            données dans l’espace public a été divisé par trois
                                   mais combattue ». Les propos du ministre         après l’ouverture de la salle parisienne. En outre, le
                                   de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ont le          rapport signale que « les données collectées auprès
                        mérite d’être clairs. Il réagissait ainsi en juillet der-   de la police mettent en évidence que le quartier de la
                        nier à l’installation d’une future salle de consomma-       SCMR n’est pas considéré comme particulièrement
                        tion à moindre risque (SCMR) à Lille. Elle devrait          problématique en termes de délinquance depuis l’ins-
                        ouvrir ses portes le 1er octobre prochain. Le ministre      tallation de la SCMR par rapport à d’autres quar-
                        de l’Intérieur fait savoir sa « ferme opposition » à ce     tiers de l’arrondissement ». Rien d’étonnant dans ces
                        projet porté par la mairie de Lille. Dans une lettre        résultats pour Elizabeth Avril, directrice de Gaïa qui
                        au préfet du Nord, il signale que « depuis le vote de       gère la salle parisienne : « C’est ce que nous consta-
                        la loi Santé de janvier 2016, les services du minis-        tons tous les jours et ce que nos collègues européens
                        tère de l’Intérieur ont pu constater sur le terrain les     voient depuis 30 ans ». La Mildeca affirme donc que
                        conséquences extrêmement néfastes de la création des        les SCMR font « la preuve de leur efficacité » et que
                        SCMR de Paris et Strasbourg ».                              « de nouvelles implantations méritent d’être étudiées ».
                           « De la posture électorale », réagit Gauthier Waec-
                        kerlé, directeur d’Ithaque, l’association strasbourgeoise                    Approche
                        qui porte la SCMR. À mille lieux des constatations
                                                                                                    pragmatique
                        de terrain validées par le rapport scientifique rendu
                        public par l’Inserm en mai dernier (1). Cette recherche,       La France reste à la traîne par rapport à ces voi-
                        commandée par la mission interministérielle de lutte        sins comme la Suisse, pays précurseur de la mise en
                        contre les drogues et les conduites addictives (Mil-        place de cet outil de la réduction des risques (RDR),
                        deca), étudie l’efficacité des dispositifs. Son résultat    où la première salle a ouvert en 1986. Depuis, quatre-
                        est sans appel : les salles de Paris et Strasbourg per-     vingt SCMR sont installées dans neuf pays d’Europe.
                        mettraient d’éviter 69 % des overdoses, 71 % des pas-       L’Allemagne compte, par exemple, vingt-six salles.
                        sages aux urgences, 6 % des infections VIH et 11 %          « La France a tardé à mettre en œuvre les mesures
                        des infections VHC. Le nombre de seringues aban-            de réduction des risques et à ouvrir des SCMR. Ce
                                                                                    retard peut être attribué à la conception prédominante
                                                                                    de l’usage de drogues comme une question morale »,
                                                                                    note le rapport. Un constat qui rejoint les propos du
                                                                                    ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran,
 Les deux salles comprennent :
                                                                                    en ouverture du deuxième colloque européen sur les
 î Des postes de consommation par injection séparés par des cloisons :
      12 à Paris, 6 à Strasbourg.
                                                                                    SCMR qui a eu lieu à Strasbourg le 1er juillet der-
                                                                                    nier : « La RDR n’est ni une religion, ni une idéologie,
 î Des postes de consommation par inhalation dans une salle spécifique :
   4 dans chaque salle. La salle parisienne n’accueille que des injecteurs          c’est une approche médicale et sociale pragmatique et
    qui peuvent être également inhalateurs ; celle de Strasbourg accueille          scientifique, une approche profondément humaine et
    des inhalateurs en première intention.                                          rigoureusement légaliste ». Le ministre, rapporteur
 î Un programme d’échange de seringues.                                             de la loi de Santé du 26 janvier 2016 qui a permis
 î Un programme d’accompagnement et éducation aux risques liés à l’in-             l’expérimentation de ces salles, reste convaincu de
    jection (AERLI).                                                                leur utilité et plaide pour leur pérennisation.
 î Des accompagnements aux droits sociaux et démarches administratives.                Cette expérimentation doit se terminer en 2022.
 î Des soins médicaux, des dépistages VIH, VHC, VHB.                                Quel avenir pour les deux salles ouvertes en 2016,
                                                                                    la future salle de Lille tout comme celles en projet à

12   LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
Ici je vais pas
                                                                                                                                                 mourir est
                                                                                                                                                 un documentaire
                                                                                                                                                 de Cécile Dumas
                                                                                                                                                 et Edie Laconi
                                                                                                                                                 tourné dans la salle
                                                                                                                                                 de consommation
                                                                                                                                                 à moindre risque
                                                                                                                                                 parisienne.
                                                                                                                                                 Pendant un an
                                                                                                                                                 et demi, les deux
                                                                                                                                                 réalisateurs ont
                                                                                                                                                 pris le temps de
                                                                                                                                                 poser leur caméra
                                                                                                                                                 dans cet espace
                                                                                                                                                 protégé, de nous
                                                                                                                                                 donner à voir

                                                                                                                            © LOOK AT SCIENCES
                                                                                                                                                 la réalité des
                                                                                                                                                 usagers et
                                                                                                                                                 du travail des
                                                                                                                                                 professionnels.
                                                                                                                                                 Il devrait sortir en
                                                                                                                                                 salles le 20 octobre.

Marseille, Bordeaux, Montpellier, Lyon ? Une mission      liser l’espace de consommation 24 heures sur 24, au
flash a été lancée le 30 juin dernier par la commis-      minimum deux professionnels sont présents dont un
sion des affaires sociales de l’Assemblée nationale,      infirmier dans la salle et une personne dans l’héber-
son rapport devrait être examiné le 14 septembre.         gement », explique Gauthier Waeckerlé. Ce disposi-
Il doit appuyer un débat parlementaire prévu dans         tif concerne les personnes ayant besoin de soins, en
la foulée, afin qu’une disposition législative puisse     amont ou en aval d’une hospitalisation. « Les lieux
être inscrite au prochain projet de loi de finances de    classiques d’hébergement ne sont pas adaptés, leurs
la sécurité sociale débattu à l’automne. Le 15 juillet    règlements trop contraignants notamment sur les
dernier, le premier ministre, Jean Castex, envoyait       pratiques de consommation, frein majeur, mais aussi
un signal positif via le ministre des Solidarités et      sur la présence des animaux de compagnie ou encore
de la Santé, Olivier Véran, en annonçant la pro-          la possibilité d’être hébergés en couple ». Ce que per-
longation de l’expérimentation.                                                met en revanche le dispositif stras-
« Il existait une date butoir pour                                             bourgeois. Danièle Bader, ancienne
déposer des projets de salles dans        Les salles de Paris                  directrice d’Ithaque, espère que ce
ce cadre fixée au 15 octobre 2021,
précise Nathalie Latour, déléguée
                                            et Strasbourg                      projet servira de modèle à d’autres
                                                                               structures. « Je crois que c’est vrai-
générale de la Fédération Addic-        permettraient d’éviter                 ment une règle de travail, de vie
tion. Le premier ministre vient de                                             professionnelle, quand on intervient
la retirer permettant ainsi à plu-       69 % des overdoses                    dans ce champ-là, que de devoir
sieurs projets d’avoir le temps de                                             inventer tout le temps ». Les profes-
s’inscrire dans ce cadre expérimental ». Elle espère      sionnels de la réduction des risques restent convain-
que ce premier pas permettra ensuite la pérenni-          cus : la SCMR n’est pas la solution miracle, juste un
sation des salles dans le cadre du projet de loi de       outil supplémentaire de la réduction des risques qui
finances. Le soutien que donne le premier ministre        ne cesse de questionner les pratiques. Danièle Bader
à son ministre des Solidarités et de la Santé plaide      ajoute : « Je crois qu’il faut remercier les usagers de
en ce sens. Il n’empêche, le débat peut toujours abou-    nous amener à devoir tordre le cadre tout le temps pour
tir à une nouvelle prolongation de l’expérimentation      répondre le mieux possible à leurs besoins ». Tordre
ou, pire, à son arrêt pur et simple… Un scénario peu      le cadre, un principe de l’approche en réduction des
probable notamment au regard de l’expérience stras-       risques qui a dû attendre 2004 pour être reconnu
bourgeoise qui prouve que l’ouverture d’une salle         par la France comme principe de santé publique et
peut se dérouler dans un cadre apaisé.                    institutionnalisé en 2006 via les centres d’accueil et
« Nous n’avons pas eu de problème d’opposition poli-      d’accompagnement à la réduction des risques pour
tique au sein du conseil municipal ; l’année dernière,    usagers de drogues (CAARUD). Combien de temps fau-
nous avons même obtenu l’unanimité pour ouvrir le         dra-t-il aux SCMR pour sortir de l’expérimentation ?
projet hébergement », témoigne Gauthier Waeckerlé.
Cette expérimentation dans l’expérimentation a ouvert                                                   Marianne Langlet
le 1er juillet dernier et devrait durer trois ans. Elle
prévoit au total 20 places d’hébergement adossées         (1) Salles de consommation à moindre risque en France : rapport
à la SCMR. « Les personnes ont la possibilité d’uti-      scientifique, Institut de santé publique de l’Inserm. Mai 2021.

                                                                                                                7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300                13
PAROLES DE MÉTIERS

     « Agir en homme de pensée et penser en homme d’action. » À l’image de cette maxime de Bergson, des professionnels
      se confrontent au remue-méninges qui leur est proposé, se risquant à déconstruire, à concevoir et à faire réfléchir.

Les guides de bonnes pratiques
sont-ils utiles ?
Comment utiliser les recommandations de pratique professionnelle sans
négliger la singularité de chaque accompagnement ? Quadrature du cercle,
puisqu’aucune réponse utilisée au préalable n’est jamais duplicable.

           Par Michel             Defrance, éducateur spécialisé, directeur d’ITEP retraité, « conteur d’institution »

D
       ANS la continuité des lois rénovant      dation (2008) : Conduites violentes dans diversité des options et des postures, les
       les politiques publiques du secteur      les établissement accueillant les adoles- enjeux narcissiques et de pouvoirs se
       social et médico-social, la question     cents : «… Ces repères sont destinés à l’en- déploient au gré des emprises intellec-
de l’extrême diversité des options cli-         semble des acteurs. Ils ont pour finalité de tuelles et des rapports de force. Ces docu-
niques, éducatives des professionnels et        développer une culture de la prévention ments ne sont utiles que s’ils permettent
leurs mises en pratique s’est posée. Que        de la violence et d’aider les profession- des controverses constructives au sein
reconnaitre comme pertinent, respec-            nels à construire leurs réponses en fonc- des équipes, leur évitant de se laisser
tueux, ayant fait ses preuves pour auto-        tion de leur réalité propre, dans le respect envahir par leurs émotions, croyances
riser le fonctionnement, le financement         des actuelles dispositions                                et « arbitrant » leurs riva-
des structures ? Des scandales mettant à        législatives et réglemen-                                 lités. Les fonctionnements
                                                                                       PERMETTRE
jour des pratiques à la limite de la léga-      taires… ». Ces référentiels                               « post-modernes néo libé-
lité et/ou maltraitantes autrefois tolérées,    sont des « recommanda- DES CONTROVERSES raux » privilégiant les aspira-
maintenant inacceptables, ont provoqué          tions » et ne sont pas des          CONSTRUCTIVES,        tions individuelles induisent
l’émergence d’un besoin de discerner ce         fiches techniques d’exécu-                                une relativité et une érosion
qui pouvait faire « repère » dans l’exer-       tion de tâches comme il en               ÉVITER           des normes qu’il convient de
cice professionnel auprès de publics en         existe dans l’industrie. Elles     L’ENVAHISSEMENT relégitimer. Ces « guides »
difficulté. Comment élaborer un réfé-           sont la synthèse du contenu                               viennent faire limite aux
rentiel de « bonnes pratiques » pour des        des publications universi-
                                                                                     ÉMOTIONNEL ET        prétentions personnelles et
métiers de la relation non réductibles à        taires et professionnelles            « ARBITRER »        incarnent une dimension
une technicité qui ignorerait les subjec-       faisant autorité dans le sec-         LES RIVALITÉS       collégiale. Par ailleurs, lors
tivités, les savoirs, la capacité à travail-    teur et des rencontres avec                               des négociations budgétaires
ler à plusieurs pour s’occuper de per-          des acteurs de terrain, chercheurs, repré- et de renouvellement d’agréments, ces
sonnes dont la dimension de Sujet doit          sentants des usagers et gestionnaires recommandations favorisent les argu-
être respectée ? Cette tâche a été confiée à    dont la liste est annexée à chaque publi- mentations face à des personnes cen-
l’ANESM (Agence nationale de l’évalua-          cation. Le résultat fait-il consensus ? trées sur les seuls coûts, rarement au
tion et de la qualité des établissements        Au dire des participants, oui. Sont-elles fait des besoins des publics et des dif-
et services sociaux et médico-sociaux)          lues et travaillées dans les structures ? ficultés d’exercice des professionnels.
aujourd’hui rattachée à la Haute auto-          Guère… La plupart des directions se Enfin, je considère qu’elles constituent
rité de santé (HAS). Nombre de profes-          contentant de les afficher… J’observe que pour les étudiants des centres de forma-
sionnels se sont opposés à cette tentative      les résistances à les utiliser pour aider à tion comme pour les formations continues
de « réduire et encadrer les pratiques ».       structurer les élaborations cliniques et une sorte de « socle commun de connais-
De quoi s’agit-il ? Je cite l’introduction      éducatives proviennent des aléas inter- sance » aidant les professionnels et leurs
d’une des plus emblématique recomman-           subjectifs au sein des équipes. Dans la dirigeants à construire leurs pratiques. l

14    LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
PAROLES DE MÉTIERS

        Camille, pour le collectif Avenir Éducs (avenir.educs@outlook.fr)

L
      E guide est à la fois un sujet et un cette appropriation devait être collec-         auteurs. Nous pourrions regretter l’ab-
      objet. En tant qu’objet, il désigne un tive et débattue. Prenons l’exemple de        sence de guides alternatifs. Impossible en
      recueil d’informations fort utiles. Il la dernière recommandation de bonnes          la circonstance de confronter les points de
nous invite au voyage, nous propose des pratiques en protection de l’enfance qu’a          vue. Sous prétexte de consensus, les réfé-
itinéraires à la fois classiques et origi- publiée en janvier 2021 la Haute auto-          rences théoriques qui les inspirent sont
naux, nous raconte l’histoire et de petites rité de santé (HAS). Cette publication         tues. N’y aurait-il plus de débat idéolo-
histoires, souvent drôles, sans oublier de comprend 13 documents dont un préam-            gique ? Ces guides ont une visée pratique
possibles détours qui provo-                            bule (39 p.), une synthèse (11     qui tend à empêcher tout plaisir de pen-
queront quelques frissons.                              p.), un livret 1 (que les pro-     ser au nom d’une efficacité aux accents
L’inconnu soudain devient              PRIVILÉGIER      fessionnels peuvent ne pas         autoritaires malgré une approche qui se
familier, empli d’une huma-             LE PLAISIR      lire), un livret 2 (52 p.) et un   veut participative. Car, est-il répété, ces
nité que l’on perçoit mieux                             livret 3 (150 p.), etc. Diffé-     guides ont fait l’objet de longues discus-
à travers des personnages               DE PENSER       rents outils sont mis à dis-       sions avant publication. Mais pour écar-
restés anonymes ou deve-             ET NON UN IDÉAL position des acteurs allant           ter tout doute, nous proposons que les
nus célèbres. Il est fréquent
                                     PROFESSIONNEL de conseils en trames. Est              professionnels qui participent à leur éla-
de voir le voyageur muni de                             ainsi proposée une trame de        boration soient tirés au sort et que tous
plusieurs guides car il aime            ILLUSOIRE       rapport d’évaluation (21 p.).      les débats soient rendus publics. Sinon se
les points de vue différents,          AUX ACCENTS      Pas d’obligation à la suivre,      dessine un idéal professionnel illusoire,
pouvant ainsi forger sa propre                          mais des suggestions. L’éva-       impossible à atteindre, ce qui provoque
opinion en confrontant les             AUTORITAIRES     luation globale de la situation    usure professionnelle et culpabilité. Au-
regards. Le guide peut nous                             des enfants en danger ou en        delà de ces guide-objet, les professionnels
faire rêver tout en offrant des repères risque de danger dispose désormais d’un            ont surtout besoin de guides-sujets, en
utiles quand nous sommes en terre incon- cadre national de référence dont les objec-       chair et en os, par exemple un ancien
nue. Le guide est aussi un sujet qui va tifs et enjeux sont d’améliorer la qualité         dont l’expérience est indispensable. En
partager ses connaissances et ses expé- de l’évaluation des informations préoc-            faisant acte de transmission, il aide à
riences, nous rassurer car avec lui dis- cupantes et d’harmoniser les pratiques            appréhender un réel éloigné de l’idéal.
parait le risque de se perdre. Nous nous professionnelles. Nul ne contestera leur          Et pourquoi ne pas aller plus loin avec
sentons en sécurité et protégés. Quel que possible intérêt, avec cependant le défaut       la recherche-action ou la recherche-expé-
soit le lieu, quelle que soit l’heure, sa d’un « allant de soi » critiquable, contrai-     rimentation. l
présence rend encore plus vivante cette rement à ce que laissent entendre leurs
randonnée en montagne, cette flânerie
en ville, cette visite d’un musée.À condi-
tion qu’il ne soit pas ce guide autoritaire
qui détiendrait la vérité, jusqu’à imposer
sa vision du monde. Figure tyrannique,
voire dictatoriale, qui ignore le doute.
   Dans notre secteur, les guides sont
massivement diffusés depuis l’adoption de
la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action
sociale et médico-sociale qui prévoit que
les établissements et services « procèdent
à l’évaluation de leurs activités et de la
qualité des prestations qu’ils délivrent,
au regard notamment de procédures, de
références et de recommandations de
bonnes pratiques professionnelles vali-
dées ». Ils s’adressent aux professionnels
susceptibles d’avoir à connaître les situa-
tions qui y sont exposées mais aussi aux
institutions dont ils relèvent. D’où leur
dimension souvent exhaustive qui en
rend la lecture et l’appropriation exces-
sivement difficiles, voire impossibles si

                                                                                                                                   15
MATIÈRE À PENSÉES

                        Par Jean-Hilaire Izabelle, psychosociologue clinicien (1)
                        psychothérapeute en libéral – jean-hilaire.izabelle@laposte.net

Le travail de rue :
une démarche politique, éducative
et sociale évolutive
                        A
                               PRÈS cinquante années d’activités, médiati-          en matière d’analyse sociale de l’exclusion ou du
                               sées par une soixantaine d’ouvrages, une pré-        traitement de la délinquance. Il continue à délivrer
                               sence régulière sur les plateaux de télévision       son expertise sur « le mal à vivre des jeunes » et le
                        et de nombreuses participations à des émissions de          « malaise des banlieues » – apparaissant par ailleurs
                        radio ; puis chroniqueur de la presse écrite, l’abbé        fermement conservateur sur la plupart des grandes
                        Gilbert incarne encore dans l’imagerie la figure de         questions de société. Précurseur enthousiaste de la
                        l’éducateur de rue. La stabilité de la représentation       « prévention de la délinquance », Guy Gilbert, par son
                        tient aussi à l’apparence du bonhomme. Un look ina-         action concrète, mais aussi son empreinte médiatique,
                        movible : visage avenant et malicieux, cheveux longs        son code vestimentaire bien à lui, et son franc par-
                        filasses, perfecto, chainettes, ceinturon, pins et badges   ler en lisière du militantisme catholique, contribue
                        de motard… Et un bagout, servi par une voix que             à forger une image générique de l’éducateur de rue –
                        l’oreille enregistre, un tutoiement de rigueur associé      complexe dès lors que l’on évoque, voire confronte,
                        à un sens aigu de la répartie, utiles                                         les valeurs affichées et les valeurs
                        à la pratique hors-piste du mélange                                           produites avec les valeurs vécues…
                        des genres… Il est vrai que le lan-           Les approches                      Ce positionnement engagerait-il
                        gage fleuri et le clin d’œil appuyé ont,                                      un certain quelque chose, situé en
                        depuis longtemps, fait la preuve de            globalisantes                  abîme des habitudes et ajusté au
                        leur efficacité dans la formation des
                        modèles populaires, et la généralité
                                                                   placent dorénavant                 « travail social de quartier » ? Qu’en
                                                                                                      est-il de cette représentation collec-
                        de ce que l’on nomme « l’opinion ».         l’éducateur de rue                tive et tenace du travail de rue, entre
                            L’action sociale et culturelle con­                                       ouverture et repli, qui alimente le
                        jugue, à la fin des années 60, l’arrivée   en interdépendance                 mythe ? Est-elle de nos jours dépas-
                        des premiers éducateurs spécialisés
                        diplômés d’Etat (1970), la négocia-
                                                                       et en réseau.                  sée et déjà réformée, franchisée et
                                                                                                      renouvelée, ou simplement en voie
                        tion de la Convention Collective de                                           de devenir caduque ?
                        1966, et l’arrêté du 4 juillet 1972 fixant les principes       De l’éducateur de rue, l’éducateur de prévention
                        spécifiques de la prévention spécialisée intervenant        spécialisée conserve son champ d’exercice dans les
                        dans les ensembles urbains, nouvellement créés.             espaces urbains, réputés difficiles. La banalisation de
                            Dans la mouvance des prêtres-ouvriers du moment         la violence, installée dans les rapports sociaux domes-
                        (les années 1970), Guy Gilbert conçoit l’activité sacer-    tiques ou de proximité, imprime un contexte cultu-
                        dotale dans l’engagement social et politique, auprès        rel et social combustible, dans de nombreux lieux de
                        des laissés pour compte.                                    cités péri-urbaines, souvent décisivement connotées.
                            Fraîchement diplômé éducateur spécialisé, il se            La délinquance, considérée sous l’angle sociolo-
                        définit comme « prêtre de la rue » et exerce dans le        gique, n’est plus circonscrite aux actes commis, qu’ils
                        19e arrondissement de Paris, « au service des jeunes        soient infractions ou délits. Pourtant, elle peut l’être
                        délinquants ». C’est là qu’il devient « le curé des lou-    sous d’autres formes – insidieuses et puissantes,
                        bards », et consultant incontournable des médias            et finalement socialisantes – à l’échelle de divers

16   LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
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