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LIEN SOCIAL Quinzomadaire indépendant d’actualité sociale DANSE Never Twenty One p.34 n° 1300 • 7 au 20 septembre 2021 RÉDUCTION p.12 DES RISQUES Des salles expérimentées ESPACE DU LECTEUR Mineurs non accompagnés, mineurs d’abord ? p.28 RÉSEAUX SOCIAUX Éducation digitale
LIEN SOCIAL 1300 7 au 20.09.2021 SOMMAIRE LA VERSION NUMÉRIQUE EST DISPONIBLE SUR WWW.LIEN-SOCIAL.COM 6 SOCIAL ACTU 10 DÉCRYPTAGE PAR MYRIAM LÉON PROTECTION DE L’ENFANCE LA PLUME DE CÉLIA CARPAYE Quand le complot s’en mêle 7 Cet été encore L’HUMEUR DE JACQUES TRÉMINTIN 11 Dans Lien Social il y a 30 ans La folie n’est pas toujours 8 où l’on croit 12 ANGLE DROIT RÉDUCTION DES RISQUES SUR LE VIF PAR ÉTIENNE LIEBIG Des salles expérimentées 9 Miracle au Tribunal 14 PAROLES DE MÉTIERS Les guides de bonnes pratiques DOSSIER sont-ils utiles ? 18 16 MATIÈRE À PENSÉES Le travail de rue : une démarche politique, éducative et sociale évolutive RÉSEAUX SOCIAUX 26 ÉCHOS DU TERRAIN Éducation digitale « Un détour en famille » 22 REPORTAGE / PRÉVENTION SPÉCIALISÉE Promenades sur le Net 24 ENTRETIEN AVECFRANÇOIS SALTIEL Quand le hashtag mobilise 32 LIVRES 28 L’œil et l’oreille ESPACE DU LECTEUR 34 DOCUMENTAIRE Le fils de l’épicière, î Mineurs non accompagnés, mineurs d’abord ? î Maman est venue en France le maire, le village et le monde DANSE I Never Twenty One 31 OFFRES D’EMPLOI 7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300 3
par Jacques Trémintin Nomophobie U n nouveau conflit a éclaté quand le majeure : la croissance d’un cinquième téléphone de Myriam s’est mis à appendice greffé au bout de ses bras. sonner en pleine nuit. Surgissant Hier, l’adulte expliquait à l’enfant la dans sa chambre, sa mère lui a confisqué nuisance du tabac, la cigarette au bec. son téléphone portable, alors qu’elle s’y Aujourd’hui, il lui démontre les effets cramponnait désespérément. Essayant pervers du portable, tout en s’accro- d’apaiser les relations familiales qui, chant au sien. depuis cet incident, sont très tendues, Dans l’acte éducatif, il nous faut assu- l’éducateur dialogue avec l’adolescente mer nos propres contradictions, la nomo- pour négocier une pratique plus maîtri- phobie (de « no mobile phobia ») n’en sée de son mode de communication pré- étant pas la moindre. Éducation aux féré. Myriam se confie : « quand elle m’a médias, prohibition dans des espaces- pris mon téléphone, c’est comme si elle temps identifiés, boites où l’on dépose m’avait arraché un bras ». son portable avant une activité etc. À observer les rues de nos villes ou L’apprentissage d’un code de bonne les quais de gare, les tables de restau- conduite prend plus de temps que celui rant ou les salles d’attente, l’adolescente de la manipulation de l’appareil. Mais il ne semble pas appartenir à une espèce finira par se réaliser. L’important n’est- exceptionnelle. Le genre humain pourrait il pas de contrôler son addiction, plutôt bien avoir subi une mutation génétique que de vouloir la supprimer ? LIEN SOCIAL • Directeur de la publication : André Jonis LIEN SOCIAL • Bimensuel Rédactrice en chef : Marianne Langlet - marianne.langlet@lien-social.com SARL au capital de 7622,45 e Rédactrice en chef adjointe : Katia Rouff-Fiorenzi - katia.rouff@lien-social.com Gérant : André Jonis Chef de rubrique : Jacques Trémintin - tremintin@lien-social.com Fabrication : Evoluprint - Bruguières (certifié Imprim’vert, PEFC et FSC) Rédacteurs : Célia Carpaye - Étienne Liebig Ont collaboré à ce numéro : Frédérique Arbouet - Myriam Léon Dessinateur : Jiho - 1ère rédactrice graphiste : Marie-Pierre Mouisset A collaboré à la mise en page - Webmaster : Djamila Lagarde Abonnement : 149 e/an pour 22 n° © ARMANDINE PENNA Abonnements, vente : Chantal Barcelo - abonnement@lien-social.com Prix au n° : 7,50 e Publicité : Appoline Chaminade - la-regie@lien-social.com Commission paritaire : 0623 T 83295 Offres d’emploi : Marie-Hélène Clauzel - marie-helene.clauzel@lien-social.com ISSN 0994 - 1819 Administration, comptabilité : Patricia Viviès - patricia@lien-social.com N° SIRET 347 557 688 00038 Principaux associés : André Jonis - Rémy Dorvault - Jean-Luc Martinet code APE 5814Z Dépôt légal à parution Photo p.11 : © Fotolia-grandfailure 76 rue Garance - 31670 Labège – Tél. : 05 62 73 34 40 – contact@lien-social.com www.lien-social.com 7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300 5
SOCIAL ACTU © DIDIER VANDON – UNAFAM DU 6 AU 13 SEPTEMBRE, L’UNAFAM ORGANISE LA 7E ÉDITION DE PSYCYCLETTE • Une randonnée cyclotouriste de plus de 1 000 km pour lutter contre les idées reçues et relever un défi de taille : traverser la France à vélo. Dans la course, personnes vivant avec des troubles psychiques, soignants, bénévoles et cyclotouristes avertis. Plus de cent « psycyclistes » partiront du Mont Saint-Michel à la rencontre des habitants des villes traversées qu’ils inviteront à des manifestations festives. L’opération a deux objectifs : permettre aux personnes concernées de pratiquer du sport, participer – en fonction de leurs possibilités physiques -, à la totalité ou à une partie du parcours, encadrées par des professionnels de la psychiatrie ou accompagnées d’un proche et sensibiliser le grand public aux troubles psychiques – Psycyclette 2021 | Unafam Cet enfant qui nous séduit COVID 19 : quelles adaptations ? La crise actuelle de civilisation interroge Confrontés à la Covid-19 et au confinement qui s’en les fondements de nos rapports humains. est suivi, les professionnels semblent avoir réagi se- L’occasion de revenir aux liens précoces lon deux modalités : sidération face à l’inconnu ou entre enfants et adultes, remaniés au excitation face à un défi à relever. Qu’on ne se trompe long de l’existence. Les enfants nous sé- pas : si les auteurs qui s’expriment ici sont parmi ceux duisent pour l’avenir qu’ils semblent nous qui ont répondu avec le plus de dynamisme face à ces conditions promettre – de plus d’une façon. Mettre difficiles, le tableau est néanmoins beaucoup plus contrasté qu’il en question la séduction et la sexualité n’y paraît. Mais la pandémie a ouvert des brèches. des enfants nous fait revisiter les suites, avatars, et Contraste, n° 53 critiques de la-dite « sexualité infantile » : quelles REVUE DE PRESSE sources précoces, quelles spécificités chez les filles et les garçons confrontés à l’énigme – ou à la crudi- té – de la sexualité des adultes ? Quelle place dans la Famille, école. L’appel de la nature vie de chacun, relativement aux liens d’attachement, Le désir d’élever ses enfants en harmonie avec la nature s’est ac- et à ce qui permet de se constituer, dans sa vie affec- centué à la faveur de la prise de conscience écologique et des trois tive et sociale, comme Je en lien à l’Autre, et respon- confinements. Quel rôle la nature joue-t-elle exactement dans le sable ? Dans la clinique, l’éducation, et le rapport aux développement de l’enfant et ses apprentissages ? Peut-on édu- lois ? Et dans l’amour-même, cette notion reste-elle quer aux enjeux écologiques sans transmettre son anxiété ? Philo- bien pertinente ? La séduction et la sexualité des en- sophes, sociologues et anthropologues analysent dans ce numéro fants est ici en questions. le grand retour de la nature dans l’éducation. Le Coq Héron, n° 245 L’école des parents, n° 640 RETROUVEZ PLUS D’ACTUS sur notre site www.lien-social.com, Facebook Liensocial et twitter @LienSocial 6 LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
SOCIAL ACTU LA PLUME DE CÉLIA CARPAYE CRISE SANITAIRE Un passe de rentrée Cet été encore A L a « foire aux questions » : la page mise en ligne par le minis- tère des Solidarités et de la Santé le 18 août (et qui ne cesse d’être réactualisée) assure répondre aux questions des h l’été, les vacances, le soleil, la détente… et le train. Et les familles. Les enfants. établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) sur l’obli- Les bébés. Et les voyageurs sans enfants, gation vaccinale, le passe sanitaire, le protocole sanitaire de la rentrée. Mais de nombreuses questions restent encore en importunés, ceux-là même qui avaient prévu suspens selon l’Uniopss. d’aller se la couler douce en province en plein mois Tous les professionnels des établissements médico-sociaux d’août et qui se retrouvent dans un wagon bondé, au sont concernés par l’obligation vaccinale. Les professionnels milieu de ces petites choses vivantes et un peu trop des établissements sociaux en sont exemptés sauf les profes- sionnels de santé qui y exercent y compris les psychologues et bruyantes qu’on appelle « enfants », de l’étymologie psychothérapeutes. Le texte laisse planer un doute : les « per- infans, celui qui ne parle pas, c’est dire s’il y a eu sonnes travaillant dans les mêmes locaux » que ces profession- tromperie sur la marchandise parce qu’ils parlent, nels de santé restent également soumis à l’obligation vaccinale… ceux-là, ils braillent et pleurent et les voyageurs mais seulement si ces derniers réalisent des gestes médicaux. Les stagiaires, intérimaires, bénévoles qui interviennent dans importunés ont bien une idée d’une méthode éducative les établissements soumis à l’obligation doivent également s’y qui les ferait taire en moins de deux, ainsi regardent-ils plier. Depuis le 9 août, – le 30 août pour les intervenants –, avec mépris ces parents incompétents tout en tweetant le passe sanitaire est exigé au public qui visite les établisse- des insanités sur lesdits marmots. ments médico-sociaux. Un décret du 26 août écarte finalement les établissements sociaux de cette obligation. Cet été encore, alors même que mille autres Il est spécifié qu’à partir du 15 septembre, les personnes catastrophes continuaient de rendre la vie difficile qui n’auront pas reçu leur première dose de vaccination ne aux moins privilégiés d’entre nous, nous n’y avons pas pourront plus exercer, elles seront suspendues sans salaire ni échappé : et les sans-enfants de protester contre la allocation chômage et pourront reprendre une fois l’obligation remplie. Une tolérance jusqu’au 16 octobre sera accordée aux présence des mômes dans l’espace public, et les avec- personnes ayant reçu leur première dose si elles présentent enfants d’être désolés, gênés, mal à l’aise, épuisés, un test négatif de moins de 72 heures. L’employeur est respon- en colère. Et les réseaux sociaux de se transformer en sable du contrôle. En cas de manquement, l’amende atteint arène sanglante, terrain de jeu des polémiques et miroir 1 500 euros. S’il est verbalisé trois fois dans le mois, la peine monte à un an d’emprisonnement et 9 000 euros d’amende. grossissant de nos forteresses mentales. Rien de neuf Une approche répressive qui provoque la colère : « Un passe sous les malheureux auspices des rapports sociaux qui porte bien mal son nom, imposé par des gouvernants qui mais la condition des enfants restant encore difficile à continuent de supprimer des lits d’hôpitaux en pleine pandé- envisager, les études et recherches autour de l’âgisme mie, qui refusent la levée des brevets qui conditionne l’accès universel à la vaccination au niveau international », interpelle demeurant encore rares, il est aujourd’hui possible de la commission de mobilisation du travail social en lutte qui lire ici ou là qu’untel déteste les enfants ou qu’un autre appelle à la mobilisation, tout en mettant en garde contre la encourage la violence éducative. Alors, on la connaît main basse de l’extrême droite sur le mouvement de contes- la chanson, les enfants on les aime bien quand ils sont tation : « Elle tente de détourner la rage de notre camp social pour semer la division ». dans les espaces prévus à cet effet, parcs, écoles, crèches, jupons des mères — elles-mêmes reléguées Explorez notre site ! à l’espace domestique depuis des siècles. Cet été encore, cet affolement aura permis de nous www.lien-social.com rappeller à l’affligeante réalité : pour vivre en paix Découvrez plus d’actus, des témoignages, dans l’espace public, mieux vaut être un homme, blanc, des portraits, des billets, des initiatives. hétérosexuel, de classe moyenne, mince et valide. Pour les autres, il va falloir repasser. 7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300 7
SOCIAL ACTU L’HUMEUR DE JACQUES TRÉMINTIN DROIT D’ASILE La folie n’est pas L’accueil à la française toujours où l’on croit «N ous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants ». La phrase du président Emmanuel Macron lors de son allocution sur la «B situation en Afghanistan le 16 août dernier a provoqué de onjour Monsieur, je voulais vous nombreuses réactions. Des propos « indignes de la tradition prévenir, il y a un client qui crie française de l’accueil et de l’asile », réagissait, entre autres, la Ligue des Droits de l’Homme. Une tradition bien écornée. beaucoup dans les rayons. Il ne Tout l’été, les associations comme Utopia 56 montraient, faut pas vous en inquiéter. Il a des images à l’appui, comment dans la région de Calais et à problèmes mentaux. Nous le connaissons bien. Grande-Synthe, les tentes de fortune des personnes exilées Il vient régulièrement. Il n’est pas méchant du tout. étaient systématiquement détruites par la police sans autre Il faut juste ne pas lui répondre. » L’employée de cette solution d’hébergement apportée. « Détruire les camps pour déplacer et intimider, c’est la politique de non-accueil menée supérette fait preuve d’une admirable bienveillance face aujourd’hui en France », souligne l’association. Fin août, la à la différence. Dans d’autres magasins, un agent de énième reconduite de l’arrêté de la préfecture du Pas-de- sécurité aurait sorti l’individu manu militari ou appelé Calais, établi en septembre 2020, interdisant toute distribu- la police, soucieux de faire cesser le scandale et tion de nourriture aux réfugiés dans le centre-ville calaisien de ne pas déranger les autres clients. C’est vrai qu’il participe de cette même politique. Le 18 août, autre lieu, même méthode, l’association aler- est loin le temps où l’on trouvait dans les campagnes tait sur l’utilisation de gaz lacrymogène et de matraques ces « idiots du village » intégrés à la communauté. Le pour repousser hors de Paris une soixantaine de deman- terme devint très vite une insulte (comme beaucoup de deurs d’asile, principalement afghans, qui vivent à la rue qualifications psychiatriques), utilisée pour se moquer depuis des jours, voire des mois, en attente du dépôt ou de l’examen de leur demande. Le 22 août, la commission natio- et mépriser. Mais, souvent, ils étaient protégés par une nale consultative des droits de l’homme (CNCDH) appelait certaine solidarité collective. On trouvait toujours une le gouvernement, via une tribune dans Le Monde, à ne pas tâche à leur confier. Et puis, ils ont disparu de la scène confondre droit d’asile et gestion des flux migratoires. Elle publique, enfermés dans des maisons pour fous. soulignait que la « spécificité du droit d’asile devrait exclure À partir des années 1960/1970, un vent de réforme toute approche purement quantitative et économique de la politique d’accueil ». Elle rappelait que ce droit fondamental a soufflé, articulé autour de deux préoccupations. doit s’appliquer envers les personnes qui fuient actuellement La première, d’inspiration humaniste, consistait à en leur pays mais également celles déjà présentes en France. finir avec les lieux d’enfermement. La seconde visait à en réduire le coût budgétaire. Près de 26 000 lits de © LOUIS WITTER - MAXPPP psychiatrie adultes furent fermés entre 1993 et 2018, sans que ne soient ouverts parallèlement des places d’hôpital de jour, de CMP ou CATTP permettant de réintégrer la maladie mentale à la société. Ce qui aurait dû se faire pour ce monsieur vociférant ? Contacter un service ambulatoire qui aurait détaché un infirmier pour l’accompagner faire ses courses. Pure fiction ! La psychiatrie est sabordée depuis trente ans. Ce monsieur finira dans la rue (30 à 50 % des SDF sont atteints de graves maladies psychiques) ou en prison (80 % des détenus en souffrent). Les égarements de notre société ne seraient-ils pas encore pires que ceux À Grande-Synthe, un policier lacère une tente lors d’une énième expulsion de ce monsieur ? Poser la question, c’est y répondre ! d’un campement de fortune fin 2020. Une pratique toujours d’actualité... 8 LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
SOCIAL ACTU SUR LE VIF PAR ÉTIENNE LIEBIG HANDICAP L’ONU fustige la France Miracle auTribunal D M u 18 au 23 août, le Comité des droits des personnes handi- capées de l’ONU a examiné le rapport initial de la France aître Dupond-Moretti en sa qualité sur la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH). « Le rapporteur s’est dit très de ministre de la Justice a décidé préoccupé par les discriminations structurelles dont font l’ob- de frapper un grand coup pour ne pas être jet les personnes en situation de handicap », évoque Pascale en reste sur son collègue Darmanin, le roi Ribes, présidente d’APF France handicap et membre de la de la déclaration, qui traite la toxicomanie comme Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Si des progrès ont été soulignés – droit de vote dans les années 70 à contre-courant du monde entier. pour les majeurs protégés, octroi des droits à vie –, le chemin Il a déclaré que le temps entre le moment où un jeune vers une société inclusive reste long, très long. « Loin de pro- mineur serait attrapé comme « chouffeur de quartier » gresser sur le droit fondamental à l’accessibilité, la France au service des dealers et le moment où il serait jugé recule, illustre Pascale Ribes. La loi Elan de 2017 constitue le pompon ! Elle a notamment anéanti le droit fondamental à passerait de 18 mois à 3 mois… Énorme éclat de rire des logements neufs. » dans la magistrature, teinté de colère. Le comité a également évoqué la question essentielle des Si l’annonce est belle, son application paraît tout ressources et celle de la déconjugalisation de l’allocation aux bonnement impossible car il faudrait pour se faire adultes handicapés (AAH). Concernant le « maintien de la logique d’institutionnalisation, la nécessité de développer une des embauches massives de juges, de greffiers, gamme de services en nombre suffisant a été évoquée pour d’assistants, de personnels multiples et formés. permettre aux personnes en situation de handicap de vivre Tous redisent qu’il faudrait déjà une belle année dans la cité avec tout le monde. si ces embauches nouvelles avaient lieu pour traiter Le Comité des droits rendra publiques ses recommanda- tions mi-septembre. les milliers de dossiers qui prennent la poussière, entassés sur les bureaux. Par ailleurs, la police indique que la qualification PROTECTION DE L’ENFANCE de « chouffeur » soit « complice qui surveille » est très difficile à établir. Aucune loi n’empêche Lettre d’Occitanie un mineur d’être assis sur une chaise en bas de chez lui et il faut heureusement plus qu’une présomption pour mettre en garde à vue qui que ce soit. De plus, les E n plein cœur de l’été, ils ont écrit au Premier ministre, Jean Castex. Le 5 août, les treize présidents des conseils dépar- tementaux d’Occitanie lui envoient un courrier pour l’alerter citoyens sont un peu habitués maintenant aux annonces opportunes en cas de crise qui ne sont pas suivies sur le « manque de moyens et de coordination pour répondre d’effet. Il suffit de penser aux promesses d’embauche aux besoins des enfants confiés ». Ils pointent notamment le « déficit important » de places en psychiatrie et pédopsychia- dans les hôpitaux qui finalement ont débouché sur une trie qui occasionne des ruptures de prises en charge et des nouvelle diminution de personnel. Peut être simplement « mises en difficulté » des lieux d’accueil et des professionnels. parce qu’il n’est pas si évident de trouver des personnels Ils dénoncent « la politique de désinstitutionnalisation » pour qualifiés que l’on n’a pas encore formés. les enfants porteurs de handicap confiés à l’aide sociale à l’en- fance. Enfin, ils s’inquiètent de la pénurie de places adaptées On voit bien que sur la question du cannabis, pour accueillir des jeunes suivis pas la protection judiciaire le gouvernement Macron s’est mis dans une situation de la jeunesse et s’interrogent sur les « impacts à venir sur les inextricable. En durcissant les interventions policières, conseils départementaux en termes de moyens et de suivis » de il a ajouté de la violence dans le milieu des revendeurs la réforme de la justice pénale des mineurs. Ils en appellent à une « coordination stratégique » de l’ensemble des services et des millions de consommateurs, il n’a rien réglé de l’État à l’échelon départemental. Et demandent que l’État et ne sait plus comment s’en sortir autrement écoute un peu plus les départements. que par des promesses intenables. 7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300 9
SOCIAL ACTU DÉCRYPTAGE PAR MYRIAM LÉON PROTECTION DE L’ENFANCE Quand le complot s’en mêle Des parents s’appuient sur des théories complotistes pour dénoncer le placement de leurs enfants par les services sociaux. S ITES internet, pages Facebook, groupes Insta- surtout pas confondre ce noyau de complotistes avec gram… les réseaux francophones de lutte contre des parents qui se mobilisent et critiquent les déci- les « placements abusifs » sont nombreux et par- sions de la protection de l’enfance de façon ration- fois très limite. Ainsi, le site Ricochets développe la nelle et argumentée, précise Laurent Puech, assis- thèse d’un placement lucratif pour les institutions tant de service social, auteur du texte Complotisme et les départements. Pedopolis.com détaille « scien- et protection de l’enfance : inquiétantes convergences tifiquement » la théorie QAnon dénonçant une élite (1). Mais l’adhésion à ces thèses amène le risque de pédocriminelle et vampire. Sur rendeznousnosenfants. passage à l’acte : une fois que vous êtes la personne org, une mère d’enfant placé conseille aux parents qui va sauver l’autre, vous pouvez tout vous autoriser, d’user de la force pour récupérer leurs enfants. vous vous considérez en légitime défense. » Lors du placement d’un enfant par l’aide sociale à Les travailleurs sociaux de l’Ase peuvent être l’enfance (Ase), la mouvance complotiste propose un confrontés à des familles adhérant à ces thèses. « Il récit fictionnel qui modifie le rapport à cette décision. faut intégrer cette donnée, les décisions de placement Les parents disqualifiés peuvent dès lors se placer en doivent être particulièrement étayées et ne laisser victimes et en protecteurs de leur enfant face à un aucune zone de flou, pense Laurent Puech. Aussi com- système qui veut non seulement les prendre mais en plotistes que soient ces parents, nous devons pouvoir abuser. L’enlèvement de Mia par sa mère, persuadée travailler avec eux en n’hésitant pas à accentuer les de la soustraire à un réseau pédocriminel sataniste, motivations. Nous devons aussi reconnaître qu’il est révèle la porosité de la France aux thèses complo- possible d’être en désaccord, de passer par le droit tistes véhiculées aux USA. pour faire valoir sa parole, de venir accompagné d’un Si les professionnels de la protection de l’enfance avocat ou d’un ami lors des rapports avec les services ont toujours fait l’objet d’accusations, celles-ci se de la protection de l’enfance. Il faut montrer que face radicalisent avec les réseaux sociaux. « Il ne faut à la puissance de la machine administrative et judi- ciaire, il existe des contre-pouvoirs. » Également membre fondateur du blog secretpro.fr et formateur sur ce sujet, le spécialiste voit une autre piste de réflexion pour contrer ces dérives. « Dans nos fonctionnements institutionnels, le détenteur de l’au- torité parentale est rarement informé des échanges entre les professionnels concernant leur enfant. C’est comme leur dire : vous en êtes le premier protecteur et on commence par vous éliminer de la circulation des informations. Ça va à l’encontre de la loi, génère de la défiance : c’est un terreau propice aux fantasmes. » Face au non-dit des professionnels, il existe désor- mais des récits organisés et compétitifs. Cette réa- lité oblige à repenser les pratiques et la place des parents, même lors d’une décision de placement. l (1) À lire sur le blog Décrypter les approches de protection en travail social. 10
Dans Lien Social il y a 30 ans LS n°134 • 5.09.1991 (extrait) nous étudions toutes les solutions. Elles sont inexistantes ou affichent des prix par Lien Social vertigineux. Désormais une nouvelle alternative nous échoit : nous replier sur les locaux D ernière minute : Les États Généraux prévus pour 700 personnes et annuler reportés. Tout commence il y a 18 600 inscriptions ou bien décider le report mois. Lien Social décide d’organiser suffisamment loin dans le temps pour que les États Généraux des Éducateurs. Les les agendas des uns et des autres s’en dates sont fixées, 10 et 11 octobre 1991, accommodent, éviter les vacances sco- les locaux sont réservés et le chiffre des laires des trois zones, trouver le moyen participants est évalué pour un maximum de porter l’information le plus vite pos- de 700 personnes. Jusqu’au début du dimension historique qu’ils ont incon- sible au maximum de gens concernés. mois de juillet 1991, tout baigne. testablement suscitée ? Le 13 juillet au Tous ces problèmes envisagés, pesés, Et puis, brutalement, sans crier gare, soir, notre choix est fait. Si nous trou- mesurés nous avons opté pour un report la machine s’emballe. Entre le 9 et le vons les locaux appropriés nous optons des États Généraux aux jeudi 2 et ven- 13 juillet, ce sont près de 1 000 inscrip- pour la seconde solution. dredi 3 avril 1992. […] Ils réuniront… plus tions qui arrivent. Le 14 juillet passe. Il fait chaud sur de 2 500 participants inscrits. Afficher complet, annuler 300 inscrip- Toulouse le 15 juillet. Très chaud. Beau- tions pour revenir à 700 participants ? coup de gens sont déjà partis en vacances Reportage sur les EGE des 2 et 3 avril 1992 Ou bien augmenter la capacité d’ac- ou ont déjà l’esprit tourné vers celles- offert par retour de mail cueil et donner aux États Généraux la ci. Nous frappons à toutes les portes, contact@lien-social.com 7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300 11
ANGLE DROIT RÉDUCTION DES RISQUES Des salles expérimentées La France compte deux salles de consommation à moindre risque pour les usagers de drogue, l’une à Paris, l’autre à Strasbourg. L’expérimentation qui a permis ces ouvertures prend fin en 2022. Quel avenir pour ces structures ? «L A drogue ne doit pas être accompagnée données dans l’espace public a été divisé par trois mais combattue ». Les propos du ministre après l’ouverture de la salle parisienne. En outre, le de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ont le rapport signale que « les données collectées auprès mérite d’être clairs. Il réagissait ainsi en juillet der- de la police mettent en évidence que le quartier de la nier à l’installation d’une future salle de consomma- SCMR n’est pas considéré comme particulièrement tion à moindre risque (SCMR) à Lille. Elle devrait problématique en termes de délinquance depuis l’ins- ouvrir ses portes le 1er octobre prochain. Le ministre tallation de la SCMR par rapport à d’autres quar- de l’Intérieur fait savoir sa « ferme opposition » à ce tiers de l’arrondissement ». Rien d’étonnant dans ces projet porté par la mairie de Lille. Dans une lettre résultats pour Elizabeth Avril, directrice de Gaïa qui au préfet du Nord, il signale que « depuis le vote de gère la salle parisienne : « C’est ce que nous consta- la loi Santé de janvier 2016, les services du minis- tons tous les jours et ce que nos collègues européens tère de l’Intérieur ont pu constater sur le terrain les voient depuis 30 ans ». La Mildeca affirme donc que conséquences extrêmement néfastes de la création des les SCMR font « la preuve de leur efficacité » et que SCMR de Paris et Strasbourg ». « de nouvelles implantations méritent d’être étudiées ». « De la posture électorale », réagit Gauthier Waec- kerlé, directeur d’Ithaque, l’association strasbourgeoise Approche qui porte la SCMR. À mille lieux des constatations pragmatique de terrain validées par le rapport scientifique rendu public par l’Inserm en mai dernier (1). Cette recherche, La France reste à la traîne par rapport à ces voi- commandée par la mission interministérielle de lutte sins comme la Suisse, pays précurseur de la mise en contre les drogues et les conduites addictives (Mil- place de cet outil de la réduction des risques (RDR), deca), étudie l’efficacité des dispositifs. Son résultat où la première salle a ouvert en 1986. Depuis, quatre- est sans appel : les salles de Paris et Strasbourg per- vingt SCMR sont installées dans neuf pays d’Europe. mettraient d’éviter 69 % des overdoses, 71 % des pas- L’Allemagne compte, par exemple, vingt-six salles. sages aux urgences, 6 % des infections VIH et 11 % « La France a tardé à mettre en œuvre les mesures des infections VHC. Le nombre de seringues aban- de réduction des risques et à ouvrir des SCMR. Ce retard peut être attribué à la conception prédominante de l’usage de drogues comme une question morale », note le rapport. Un constat qui rejoint les propos du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, Les deux salles comprennent : en ouverture du deuxième colloque européen sur les î Des postes de consommation par injection séparés par des cloisons : 12 à Paris, 6 à Strasbourg. SCMR qui a eu lieu à Strasbourg le 1er juillet der- nier : « La RDR n’est ni une religion, ni une idéologie, î Des postes de consommation par inhalation dans une salle spécifique : 4 dans chaque salle. La salle parisienne n’accueille que des injecteurs c’est une approche médicale et sociale pragmatique et qui peuvent être également inhalateurs ; celle de Strasbourg accueille scientifique, une approche profondément humaine et des inhalateurs en première intention. rigoureusement légaliste ». Le ministre, rapporteur î Un programme d’échange de seringues. de la loi de Santé du 26 janvier 2016 qui a permis î Un programme d’accompagnement et éducation aux risques liés à l’in- l’expérimentation de ces salles, reste convaincu de jection (AERLI). leur utilité et plaide pour leur pérennisation. î Des accompagnements aux droits sociaux et démarches administratives. Cette expérimentation doit se terminer en 2022. î Des soins médicaux, des dépistages VIH, VHC, VHB. Quel avenir pour les deux salles ouvertes en 2016, la future salle de Lille tout comme celles en projet à 12 LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
Ici je vais pas mourir est un documentaire de Cécile Dumas et Edie Laconi tourné dans la salle de consommation à moindre risque parisienne. Pendant un an et demi, les deux réalisateurs ont pris le temps de poser leur caméra dans cet espace protégé, de nous donner à voir © LOOK AT SCIENCES la réalité des usagers et du travail des professionnels. Il devrait sortir en salles le 20 octobre. Marseille, Bordeaux, Montpellier, Lyon ? Une mission liser l’espace de consommation 24 heures sur 24, au flash a été lancée le 30 juin dernier par la commis- minimum deux professionnels sont présents dont un sion des affaires sociales de l’Assemblée nationale, infirmier dans la salle et une personne dans l’héber- son rapport devrait être examiné le 14 septembre. gement », explique Gauthier Waeckerlé. Ce disposi- Il doit appuyer un débat parlementaire prévu dans tif concerne les personnes ayant besoin de soins, en la foulée, afin qu’une disposition législative puisse amont ou en aval d’une hospitalisation. « Les lieux être inscrite au prochain projet de loi de finances de classiques d’hébergement ne sont pas adaptés, leurs la sécurité sociale débattu à l’automne. Le 15 juillet règlements trop contraignants notamment sur les dernier, le premier ministre, Jean Castex, envoyait pratiques de consommation, frein majeur, mais aussi un signal positif via le ministre des Solidarités et sur la présence des animaux de compagnie ou encore de la Santé, Olivier Véran, en annonçant la pro- la possibilité d’être hébergés en couple ». Ce que per- longation de l’expérimentation. met en revanche le dispositif stras- « Il existait une date butoir pour bourgeois. Danièle Bader, ancienne déposer des projets de salles dans Les salles de Paris directrice d’Ithaque, espère que ce ce cadre fixée au 15 octobre 2021, précise Nathalie Latour, déléguée et Strasbourg projet servira de modèle à d’autres structures. « Je crois que c’est vrai- générale de la Fédération Addic- permettraient d’éviter ment une règle de travail, de vie tion. Le premier ministre vient de professionnelle, quand on intervient la retirer permettant ainsi à plu- 69 % des overdoses dans ce champ-là, que de devoir sieurs projets d’avoir le temps de inventer tout le temps ». Les profes- s’inscrire dans ce cadre expérimental ». Elle espère sionnels de la réduction des risques restent convain- que ce premier pas permettra ensuite la pérenni- cus : la SCMR n’est pas la solution miracle, juste un sation des salles dans le cadre du projet de loi de outil supplémentaire de la réduction des risques qui finances. Le soutien que donne le premier ministre ne cesse de questionner les pratiques. Danièle Bader à son ministre des Solidarités et de la Santé plaide ajoute : « Je crois qu’il faut remercier les usagers de en ce sens. Il n’empêche, le débat peut toujours abou- nous amener à devoir tordre le cadre tout le temps pour tir à une nouvelle prolongation de l’expérimentation répondre le mieux possible à leurs besoins ». Tordre ou, pire, à son arrêt pur et simple… Un scénario peu le cadre, un principe de l’approche en réduction des probable notamment au regard de l’expérience stras- risques qui a dû attendre 2004 pour être reconnu bourgeoise qui prouve que l’ouverture d’une salle par la France comme principe de santé publique et peut se dérouler dans un cadre apaisé. institutionnalisé en 2006 via les centres d’accueil et « Nous n’avons pas eu de problème d’opposition poli- d’accompagnement à la réduction des risques pour tique au sein du conseil municipal ; l’année dernière, usagers de drogues (CAARUD). Combien de temps fau- nous avons même obtenu l’unanimité pour ouvrir le dra-t-il aux SCMR pour sortir de l’expérimentation ? projet hébergement », témoigne Gauthier Waeckerlé. Cette expérimentation dans l’expérimentation a ouvert Marianne Langlet le 1er juillet dernier et devrait durer trois ans. Elle prévoit au total 20 places d’hébergement adossées (1) Salles de consommation à moindre risque en France : rapport à la SCMR. « Les personnes ont la possibilité d’uti- scientifique, Institut de santé publique de l’Inserm. Mai 2021. 7 au 20.09.2021 • LIEN SOCIAL 1300 13
PAROLES DE MÉTIERS « Agir en homme de pensée et penser en homme d’action. » À l’image de cette maxime de Bergson, des professionnels se confrontent au remue-méninges qui leur est proposé, se risquant à déconstruire, à concevoir et à faire réfléchir. Les guides de bonnes pratiques sont-ils utiles ? Comment utiliser les recommandations de pratique professionnelle sans négliger la singularité de chaque accompagnement ? Quadrature du cercle, puisqu’aucune réponse utilisée au préalable n’est jamais duplicable. Par Michel Defrance, éducateur spécialisé, directeur d’ITEP retraité, « conteur d’institution » D ANS la continuité des lois rénovant dation (2008) : Conduites violentes dans diversité des options et des postures, les les politiques publiques du secteur les établissement accueillant les adoles- enjeux narcissiques et de pouvoirs se social et médico-social, la question cents : «… Ces repères sont destinés à l’en- déploient au gré des emprises intellec- de l’extrême diversité des options cli- semble des acteurs. Ils ont pour finalité de tuelles et des rapports de force. Ces docu- niques, éducatives des professionnels et développer une culture de la prévention ments ne sont utiles que s’ils permettent leurs mises en pratique s’est posée. Que de la violence et d’aider les profession- des controverses constructives au sein reconnaitre comme pertinent, respec- nels à construire leurs réponses en fonc- des équipes, leur évitant de se laisser tueux, ayant fait ses preuves pour auto- tion de leur réalité propre, dans le respect envahir par leurs émotions, croyances riser le fonctionnement, le financement des actuelles dispositions et « arbitrant » leurs riva- des structures ? Des scandales mettant à législatives et réglemen- lités. Les fonctionnements PERMETTRE jour des pratiques à la limite de la léga- taires… ». Ces référentiels « post-modernes néo libé- lité et/ou maltraitantes autrefois tolérées, sont des « recommanda- DES CONTROVERSES raux » privilégiant les aspira- maintenant inacceptables, ont provoqué tions » et ne sont pas des CONSTRUCTIVES, tions individuelles induisent l’émergence d’un besoin de discerner ce fiches techniques d’exécu- une relativité et une érosion qui pouvait faire « repère » dans l’exer- tion de tâches comme il en ÉVITER des normes qu’il convient de cice professionnel auprès de publics en existe dans l’industrie. Elles L’ENVAHISSEMENT relégitimer. Ces « guides » difficulté. Comment élaborer un réfé- sont la synthèse du contenu viennent faire limite aux rentiel de « bonnes pratiques » pour des des publications universi- ÉMOTIONNEL ET prétentions personnelles et métiers de la relation non réductibles à taires et professionnelles « ARBITRER » incarnent une dimension une technicité qui ignorerait les subjec- faisant autorité dans le sec- LES RIVALITÉS collégiale. Par ailleurs, lors tivités, les savoirs, la capacité à travail- teur et des rencontres avec des négociations budgétaires ler à plusieurs pour s’occuper de per- des acteurs de terrain, chercheurs, repré- et de renouvellement d’agréments, ces sonnes dont la dimension de Sujet doit sentants des usagers et gestionnaires recommandations favorisent les argu- être respectée ? Cette tâche a été confiée à dont la liste est annexée à chaque publi- mentations face à des personnes cen- l’ANESM (Agence nationale de l’évalua- cation. Le résultat fait-il consensus ? trées sur les seuls coûts, rarement au tion et de la qualité des établissements Au dire des participants, oui. Sont-elles fait des besoins des publics et des dif- et services sociaux et médico-sociaux) lues et travaillées dans les structures ? ficultés d’exercice des professionnels. aujourd’hui rattachée à la Haute auto- Guère… La plupart des directions se Enfin, je considère qu’elles constituent rité de santé (HAS). Nombre de profes- contentant de les afficher… J’observe que pour les étudiants des centres de forma- sionnels se sont opposés à cette tentative les résistances à les utiliser pour aider à tion comme pour les formations continues de « réduire et encadrer les pratiques ». structurer les élaborations cliniques et une sorte de « socle commun de connais- De quoi s’agit-il ? Je cite l’introduction éducatives proviennent des aléas inter- sance » aidant les professionnels et leurs d’une des plus emblématique recomman- subjectifs au sein des équipes. Dans la dirigeants à construire leurs pratiques. l 14 LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
PAROLES DE MÉTIERS Camille, pour le collectif Avenir Éducs (avenir.educs@outlook.fr) L E guide est à la fois un sujet et un cette appropriation devait être collec- auteurs. Nous pourrions regretter l’ab- objet. En tant qu’objet, il désigne un tive et débattue. Prenons l’exemple de sence de guides alternatifs. Impossible en recueil d’informations fort utiles. Il la dernière recommandation de bonnes la circonstance de confronter les points de nous invite au voyage, nous propose des pratiques en protection de l’enfance qu’a vue. Sous prétexte de consensus, les réfé- itinéraires à la fois classiques et origi- publiée en janvier 2021 la Haute auto- rences théoriques qui les inspirent sont naux, nous raconte l’histoire et de petites rité de santé (HAS). Cette publication tues. N’y aurait-il plus de débat idéolo- histoires, souvent drôles, sans oublier de comprend 13 documents dont un préam- gique ? Ces guides ont une visée pratique possibles détours qui provo- bule (39 p.), une synthèse (11 qui tend à empêcher tout plaisir de pen- queront quelques frissons. p.), un livret 1 (que les pro- ser au nom d’une efficacité aux accents L’inconnu soudain devient PRIVILÉGIER fessionnels peuvent ne pas autoritaires malgré une approche qui se familier, empli d’une huma- LE PLAISIR lire), un livret 2 (52 p.) et un veut participative. Car, est-il répété, ces nité que l’on perçoit mieux livret 3 (150 p.), etc. Diffé- guides ont fait l’objet de longues discus- à travers des personnages DE PENSER rents outils sont mis à dis- sions avant publication. Mais pour écar- restés anonymes ou deve- ET NON UN IDÉAL position des acteurs allant ter tout doute, nous proposons que les nus célèbres. Il est fréquent PROFESSIONNEL de conseils en trames. Est professionnels qui participent à leur éla- de voir le voyageur muni de ainsi proposée une trame de boration soient tirés au sort et que tous plusieurs guides car il aime ILLUSOIRE rapport d’évaluation (21 p.). les débats soient rendus publics. Sinon se les points de vue différents, AUX ACCENTS Pas d’obligation à la suivre, dessine un idéal professionnel illusoire, pouvant ainsi forger sa propre mais des suggestions. L’éva- impossible à atteindre, ce qui provoque opinion en confrontant les AUTORITAIRES luation globale de la situation usure professionnelle et culpabilité. Au- regards. Le guide peut nous des enfants en danger ou en delà de ces guide-objet, les professionnels faire rêver tout en offrant des repères risque de danger dispose désormais d’un ont surtout besoin de guides-sujets, en utiles quand nous sommes en terre incon- cadre national de référence dont les objec- chair et en os, par exemple un ancien nue. Le guide est aussi un sujet qui va tifs et enjeux sont d’améliorer la qualité dont l’expérience est indispensable. En partager ses connaissances et ses expé- de l’évaluation des informations préoc- faisant acte de transmission, il aide à riences, nous rassurer car avec lui dis- cupantes et d’harmoniser les pratiques appréhender un réel éloigné de l’idéal. parait le risque de se perdre. Nous nous professionnelles. Nul ne contestera leur Et pourquoi ne pas aller plus loin avec sentons en sécurité et protégés. Quel que possible intérêt, avec cependant le défaut la recherche-action ou la recherche-expé- soit le lieu, quelle que soit l’heure, sa d’un « allant de soi » critiquable, contrai- rimentation. l présence rend encore plus vivante cette rement à ce que laissent entendre leurs randonnée en montagne, cette flânerie en ville, cette visite d’un musée.À condi- tion qu’il ne soit pas ce guide autoritaire qui détiendrait la vérité, jusqu’à imposer sa vision du monde. Figure tyrannique, voire dictatoriale, qui ignore le doute. Dans notre secteur, les guides sont massivement diffusés depuis l’adoption de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale qui prévoit que les établissements et services « procèdent à l’évaluation de leurs activités et de la qualité des prestations qu’ils délivrent, au regard notamment de procédures, de références et de recommandations de bonnes pratiques professionnelles vali- dées ». Ils s’adressent aux professionnels susceptibles d’avoir à connaître les situa- tions qui y sont exposées mais aussi aux institutions dont ils relèvent. D’où leur dimension souvent exhaustive qui en rend la lecture et l’appropriation exces- sivement difficiles, voire impossibles si 15
MATIÈRE À PENSÉES Par Jean-Hilaire Izabelle, psychosociologue clinicien (1) psychothérapeute en libéral – jean-hilaire.izabelle@laposte.net Le travail de rue : une démarche politique, éducative et sociale évolutive A PRÈS cinquante années d’activités, médiati- en matière d’analyse sociale de l’exclusion ou du sées par une soixantaine d’ouvrages, une pré- traitement de la délinquance. Il continue à délivrer sence régulière sur les plateaux de télévision son expertise sur « le mal à vivre des jeunes » et le et de nombreuses participations à des émissions de « malaise des banlieues » – apparaissant par ailleurs radio ; puis chroniqueur de la presse écrite, l’abbé fermement conservateur sur la plupart des grandes Gilbert incarne encore dans l’imagerie la figure de questions de société. Précurseur enthousiaste de la l’éducateur de rue. La stabilité de la représentation « prévention de la délinquance », Guy Gilbert, par son tient aussi à l’apparence du bonhomme. Un look ina- action concrète, mais aussi son empreinte médiatique, movible : visage avenant et malicieux, cheveux longs son code vestimentaire bien à lui, et son franc par- filasses, perfecto, chainettes, ceinturon, pins et badges ler en lisière du militantisme catholique, contribue de motard… Et un bagout, servi par une voix que à forger une image générique de l’éducateur de rue – l’oreille enregistre, un tutoiement de rigueur associé complexe dès lors que l’on évoque, voire confronte, à un sens aigu de la répartie, utiles les valeurs affichées et les valeurs à la pratique hors-piste du mélange produites avec les valeurs vécues… des genres… Il est vrai que le lan- Les approches Ce positionnement engagerait-il gage fleuri et le clin d’œil appuyé ont, un certain quelque chose, situé en depuis longtemps, fait la preuve de globalisantes abîme des habitudes et ajusté au leur efficacité dans la formation des modèles populaires, et la généralité placent dorénavant « travail social de quartier » ? Qu’en est-il de cette représentation collec- de ce que l’on nomme « l’opinion ». l’éducateur de rue tive et tenace du travail de rue, entre L’action sociale et culturelle con ouverture et repli, qui alimente le jugue, à la fin des années 60, l’arrivée en interdépendance mythe ? Est-elle de nos jours dépas- des premiers éducateurs spécialisés diplômés d’Etat (1970), la négocia- et en réseau. sée et déjà réformée, franchisée et renouvelée, ou simplement en voie tion de la Convention Collective de de devenir caduque ? 1966, et l’arrêté du 4 juillet 1972 fixant les principes De l’éducateur de rue, l’éducateur de prévention spécifiques de la prévention spécialisée intervenant spécialisée conserve son champ d’exercice dans les dans les ensembles urbains, nouvellement créés. espaces urbains, réputés difficiles. La banalisation de Dans la mouvance des prêtres-ouvriers du moment la violence, installée dans les rapports sociaux domes- (les années 1970), Guy Gilbert conçoit l’activité sacer- tiques ou de proximité, imprime un contexte cultu- dotale dans l’engagement social et politique, auprès rel et social combustible, dans de nombreux lieux de des laissés pour compte. cités péri-urbaines, souvent décisivement connotées. Fraîchement diplômé éducateur spécialisé, il se La délinquance, considérée sous l’angle sociolo- définit comme « prêtre de la rue » et exerce dans le gique, n’est plus circonscrite aux actes commis, qu’ils 19e arrondissement de Paris, « au service des jeunes soient infractions ou délits. Pourtant, elle peut l’être délinquants ». C’est là qu’il devient « le curé des lou- sous d’autres formes – insidieuses et puissantes, bards », et consultant incontournable des médias et finalement socialisantes – à l’échelle de divers 16 LIEN SOCIAL 1300 • 7 au 20.09.2021
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