Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit

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Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
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Nuit blanche

Commentaires

Littéature étrangère

Number 37, October–November 1989

URI: https://id.erudit.org/iderudit/20167ac

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Publisher(s)
Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN
0823-2490 (print)
1923-3191 (digital)

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(1989). Review of [Littéature étrangère]. Nuit blanche, (37), 46–54.

Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1989        This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                       (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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                                                                       Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                       promote and disseminate research.
                                                                       https://www.erudit.org/en/
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
nnnssE
  E T R A N G E R E
                                                                                                               gnent l'œuvre d'une touche
                                                                                                               d'humour. Ces notes sont par-
                                                                                                               fois inutiles. Et Wang Wei ne
                                                                                                               le dit-il pas : « L'éveil merveil-
                                                                                                               leux se passe de longs dis-
                                                                                                               cours... » (p. 360)
                                                                                                                  La traduction en soi m'est
                                                                                                               apparue trop stylisée. En com-
                                                                                                               paraison, le texte du petit re-
                                                                                                               cueil publié par les éditions
                                                                                                               Moundarren (Wang Wei, Le
                                                                                                               plein du vide, 1986) apparaît
                                                                                                               d'une plus grande limpidité,
L'INVENTION DE LA SOLITUDE                                                                                     d'une légèreté qui, je le pense,
Paul Auster                                                                                                    est plus proche de cet «éveil
Actes Sud, 1988; 31,95$                                                                                        merveilleux», et le rend de fa-
  En creusant. Telle est l'image                                                                               çon plus sensible.
 qui décrit le mieux Paul Auster                                                                                  Les saisons bleues, ou l'art
 à mes yeux.                                                                                                   de l'œil, le souffle du regard.
       Dans le sillon laissé vacant                                                                            « À qui demande un art de diri-
 par le décès abrupt de son                                                                                    ger l'homme, /Répondez un
 père, Paul Auster se fond en                                                                                  poème de retour vers les
 une dérive lente et érudite sur                                                                               monts» (p. 139). Là se trouve
 la mémoire, la paternité, l'ap-                                                                               Wang Wei, allègre.
 partenance. Inscrites en retours                                                                                                André Girard
 successifs sur ces trois thèmes,
 ses anecdotes «[...] aussi vives
 qu'une écharde dans le pouce »
 (p. 77), ont partie liée avec la
 douleur et le silence, la mort :                                                                              LA FOLLE RUMEUR
 «Quand j'entrerai dans ce si-                                                                                 DE SMYRNE
 lence, cela signifiera que mon                                                                                Claude Gutman
 père a disparu pour toujours»                                                                                 Payot, 1988; 29,95$
 (p. 86).                                                                                                       En 1687, José Karillo exerce
       La première partie de                                                                                    la médecine à l'Hospice
 L'invention de la solitude s'in-                                                                              d'Amsterdam. C'est un homme
 titule « Portrait d'un homme in-                                                                               tourmenté car, juif par ses ori-
 visible», la seconde «Le livre                                                                                 gines et athée par conviction,
 de la mémoire». Paul Auster               (Quiconque ayant l'habi-                                             il s'est vu contraint d'adopter
 marque celle-ci de la présence       tude d'errer dans les villes                                             le christianisme. Pour donner
 de son fils et de leur relation.     trouvera dans la THlogie new-                                            un sens à son existence, il
 Commentant la filiation, il élar-    yorkaise (Actes Sud) une mise                                            consacre son temps à soulager
 git son cadre jusqu'à y englo-       en scène, sur fond d'enquête                                             les miséreux, tous ceux qui
 ber son rôle d'écrivain, parant      policière, de cette solitude.                                             souffrent dans leur corps et
ainsi son texte d'un tain qui,        L'ensemble, malicieux, repro-                                            dans leur âme. Mais cela ne
de lui-même, réfléchit l'uni-         duit avec humour le ludique          Présence. « Ombre légère de la      suffit pas à faire disparaître
vers. Il en ressort, de toute         du labyrinthe urbain et celui        bruine, au pavillon... /Cour        l'angoisse qui l'habite et qu'il
chose, une perception rajeunie,       des lignes sur la page. Laby-        profonde ouverte, lasse du          ne peut confesser faute d'inter-
d'éveil.                              rinthe joyeux.)                      jour./Assis, je regarde la cou-      locuteurs valables en ces
      Sollicitant des textes an-                                           leur de la mousse/Gagner mes        années de trouble. Il décide de
                                                         André Girard
ciens — Collodi, Mallarmé,                                                 vêtements. » (p. 205)               se confier à des cahiers qui
Freud, etc. — son travail fu-                                                 Les saisons bleues consti-       font revivre son enfance diffi-
sionne adroitement le personnel                                            tuent la quasi-totalité des         cile, son adolescence plutôt
et l'universel. Livre intimiste                                            poèmes de Wang Wei. Ils sont        heureuse et le long voyage qui
cependant, parce que Paul Aus-
                                      LES SAISONS BLEUES                                                       l'a amené vingt ans plus tôt
                                                                           regroupés selon le cycle des
ter développe ses interrogations      Wang wei                             saisons, à quoi s'ajoutent qua-     en Orient à la recherche du
sans fausse pudeur ni fausse          Phébus, 1989; 35,95$                 tre sections : « Le chevalier de    Messie Shabtai Zivi. Sur place
modestie ; parce qu'une fois les      Il y a douze siècles vécut le        l'empereur, les belles et la bar-   il en a profité pour consigner
pages parcourues, un tel che-         Chinois Wang Wei, poète et           barie», «Poèmes de cour»,           dans ses carnets l'histoire sin-
minement en soi continue.             peintre, fervent adepte du           «La saison du centre», «Di-         gulière d'un mouvement millé-
      «Se souvenir». Par ces          ch'an — la version taoïste chi-      dacta», ainsi qu'une très belle     nariste né à Smyrne et qui s'est
mots se clôture L'invention de        noise du bouddhisme indien           prose : « Le secret de la peintu-   étendu au Proche-Orient et en
la solitude, indiquant par là la      qui, au Japon, devint le zen.        re».                                Europe avant de s'écrouler
voie à suivre, la voix à écouter.     Ses poèmes comme ses ta-                Le traducteur,         Patrick   complètement lorsque le faux
Car s'il est vrai que la mémoire      bleaux, furtives saisies de          Carré, a cru bon d'ajouter aux      messie, Shabtai Zivi, s'est
«[...] garde la mort à distance »     l'éternité d'un instant, insistent   textes quelques notes d'érudi-      converti à l'Islam.
(p. 146), elle est aussi ce qui       sur l'expérience de l'éveil à        tion. Insérées entre les poèmes,        Le roman de Claude Gut-
permet de « [...] vivre son exis-     notre nature véritable. Et tou-      celles-ci expliquent et précisent   man réussit à nous faire ressen-
tence sans rien en perdre » (p.       jours, évoquant une vie érémi-       des détails historiques, tracent    tir les doutes que José Karillo
170).                                 tique et logeant à une « sublime     le portrait des gens de l'entou-    entretient à l'égard des reli-
      Habiter ce qui, irréducti-      terrasse», Wang Wei cherche          rage de Wang Wei, ou simple-        gions du temps. Les descrip-
blement, est à soi : la mémoire.      à se dissoudre dans la Toute-        ment commentent et accompa-         tions de la cité d'Amsterdam

46 NUIT BLANCHE
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
Tatiana Tolstoï                    navigateurs de ce temps-là
                                                                                                                             I I l _ l \ IHS I \ M . [ I s

au XVIIe siècle, de l'état de
la médecine en cette époque                                                    étaient tous pareils à nous              Carlo Emilio
                                                                               autres corsaires, et qu'ils ne
reculée — c'est un des grands
mérites de l'œuvre — font                                                      s'en allaient pas seulement
                                                                                                                          Gadda
connaître l'époque avec plus de                                                pour faire plaisir au pape... »
bonheur qu'un livre d'histoire                                                     Dommage pour le pape sans
ne saurait le faire.                                                           doute, mais fort heureusement
   La folle rumeur de Smyrne,                                                 pour nous ! Car suivent alors
roman érudit, dont les princi-                                                des histoires toutes plus corsai-
pales qualités littéraires rési-                                               res et truculentes les unes que
dent dans un rythme rapide et                 FEU                              les autres qui font revivre, d'un
une narration elliptique, aurait          ET POUSSIÈRE                        seul bond, l'histoire de la Ca-      Des accouplements
dû connaître un plus large pu-                                                raïbe du 18e, notre histoire,
blic.
                                             NOUVEI U S TRAOtlTKS IMf RUSSt
                                               M< > HKI -K  i
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
IhiHfUiTH
  E T RA                   G E                                                                                       EINSTEIN ET
                                                                                                                     SHERLOCK HOLMES
                                                                                                                     Alexis Lecaye
                                                                                                                     Payot, 1989; 24,95$
                                                                                                                      Depuis le début du siècle —
                                                                                                                      qu'ils utilisent comme tel le nom
                                                                                                                      de Sherlock Holmes, le modi-
                                                                                                                      fient ou le sous-entendent —
                                                                                                                      divers auteurs ont tenté, avec
                                                                                                                      un bonheur relatif, de redonner
                                                                                                                      vie au héros après la mort de
 qui, au cours de la nuit, ne                                                                                         son concepteur. Les amateurs
 cessent de gagner en force, en                                                                                       savent que, dans le domaine
 beauté et en pureté. Au lever                                                                                        francophone, René Réouven et
 du jour, après le départ du der-                                                                                     Alexis Lecaye comptent parmi
 nier invité, Nadège et Oudalle                                                                                       les plus talentueux.
 découvrent n'avoir plus aucune                                                                                           Ayant mis face à face il y
 raison de se séparer. Ils ont                                                                                        a quelques années « Marx et
 trouvé « une maison de mots                                                                                          Sherlock Holmes » (actuelle-
 où habiter ensemble».                                                                                                ment en Livre de poche),
     Un mot, celui de commémo-                                                                                        Lecaye récidive cette fois-ci en
 ration, commande toute l'orga-                                                                                       faisant se rencontrer en Suisse,
 nisation du recueil. D'une part                                                                                     à Berne, le célèbre enquêteur
 il y a le médianoche considéré                                                                                      et un certain Albert Einstein.
 comme symbolique et primor-                                                          HERVÉ OLIBERT
                                                                                                                      Sir Arthur peut dormir tran-
 dial en qui s'abolit la durée                                                                                       quillement et les amateurs se
 temporelle ordinaire. D'autre                                                                                       précipiter : Holmes reste aussi
 part il y a le retour à ce temps                                              LES GANGSTERS
                                                                                                                     observateur, génial, présomp-
 des origines que le rituel de                                                                                       tueux et acerbe que Watson est
 la répétition rendra sacré. En                                                                                      fidèle, laborieux et sensible.
 effet, la commémoration de                                                                                               1905. Holmes coule une
                                                                                            "m
 cette nuit première est techni-                                                                                     paisible retraite dans le Sussex.
 quement rendue possible pour         (1977), comme une «histoire                                                     Lui parvient une coupure de
 le couple grâce au soin qu'il a      fondamentale ».                                                                journal helvétique relatant une
 pris de fixer sur ruban magné-          Il faut lire avec dévotion ces                                              mort mystérieuse. Herr Doctor
                                                                                    __s Énmirsti m: __v rr
 tique les dix-neuf histoires ra-     nouvelles et ces contes magni-                                                 Gruz, un savant bernois
 contées. De plus, le mouve-          fiques qui «élèvent les gestes                                                 membre du « Perpetuum Mobi-
 ment circulaire que suggère la       répétés chaque jour et chaque                                                  le», un club de sept présumés
commémoration est mis en évi-         nuit à la hauteur d'une cérémo-                                                farfelus à la recherche du mou-
dence par les dernières phrases       nie fervente et intime».                                                       vement perpétuel, est trouvé
 du dernier récit : « Les deux                                                                                       noyé dans un immense bocal
banquets ou la Commémora-                              Denise Cliche      ne se dépouille par charité                plein de bichlorure de sodium.
tion », lesquelles reprennent in-                                         chrétienne. Mais tout rentre               Watson est envoyé en eclaireur
tégralement les dernières                                                 dans l'ordre, au fil de jours.             et rencontre, à la police locale
phrases du premier récit inti-                                                Notre ami mène sa vie entre            et au club bizarre, de courtois
tulé « Les amoureux tacitur-          LES GANGSTERS                       deux visites à ses vieilles pa-            Helvètes qui lui fournissent
nes».                                 Hervé Guibert                       rentes, de petites réunions de             quelques informations supplé-
    Cette architecture que l'on       Minuit, 1988; 15,50$                familles et ses rendez-vous ga-            mentaires. Mais l'enquête est
pourrait qualifier de mytho-          Le narrateur de ce court roman      lants qui donnent lieu au déve-            déjà dans l'impasse. Heureuse-
logique s'accorde avec le con-        visite souvent ses deux grand-      loppement du thème de l'ho-                ment Holmes se manifeste,
tenu du recueil qui met l'accent      tantes, Suzanne et Louise. La       mosexualité, surtout vers la fin           sous un déguisement comme il
sur les grandes questions de          première, malade et soucieuse       du livre ; le narrateur apparaît           se doit.
l'humanité. La descente aux           de ses biens, la deuxième, soi-     aussi un peu comme un enfant
                                                                                                                         Les deux amis sont amenés
enfers illustrée dans « Le men-       gnant sa sœur et s'intéressant      sage à qui on aurait donné des
                                                                                                                     à rencontrer, au bureau des
diant aux étoiles », les rites ini-   aux bonnes œuvres. Tout ce          émotions et des pulsions libidi-
                                                                                                                     Brevets, un jeune homme
tiatiques — épreuves et mort          petit monde se porte relative-      neuses pour mettre du piquant
                                                                                                                     « rondouillard aux cheveux fri-
symbolique — qui marquent             ment bien, jusqu'au jour où de      par rapport au quotidien en-
                                                                                                                     sés », passionné de mathéma-
« Angus » lors de son passage         prétendus ouvriers viendront        nuyeux des grand-tantes. Je
                                                                                                                     tiques et connaisseur en philo-
de l'enfance à l'adolescence,         rafraîchir les alentours de la      n'apprécie guère la vision qu'a
                                                                                                                     sophie. Après une première et
les frères ennemis Gerbois et         maison des deux vieilles            l'auteur de l'homosexualité,
                                                                                                                     civilisée passe d'armes intellec-
Crevet dont le tragique destin        dames.                              tout se résumant par «je t'aime
                                                                                                                     tuelles, le jeune Albert se lie
est raconté dans « Pyrotechnie            Leur petit-neveu réalise        bien et si tu avais du temps,
                                                                                                                     au détective retraité pour com-
ou la Commémoration », l'en-          bientôt qu'il s'agit d'une          nous ferions... »
                                                                                                                     prendre comment fonctionne
fant rédempteur adoré par « Le        fraude. Les travaux sont mal            Néanmoins, l'originalité de            son esprit, comment la magie
Roi mage Faust» et l'âge d'or         faits, malgré la somme impor-       ce livre réside dans la mise               de l'intuition et de la déduction
évoqué dans « La légende de           tante versée. La police enquête     en présence de la vieillesse et            font merveille chez lui à partir
la musique et de la danse » té-       et suspecte le neveu de vouloir     de l'homosexualité, deux thè-              de données accessibles à tous.
moignent de l'immense et              extorquer l'argent des aïeules.     mes qui ne sont pas faciles à              Holmes aura bien besoin de
continuel intérêt de Michel           Alors que Suzanne pense sé-         traiter et à développer en paral-          son aide car le sage Watson,
Tournier pour ce mythe qu'il          rieusement à modifier son tes-      lèle.                                      à qui on fait boire une étrange
définit, dans Le vent paraclet        tament, craignant que sa sœur                                    Paul Eliani   mixture, est involontairement

48 NUIT BLANCHE
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
affligé de violentes crises de               François Augiéras
 priapisme.
     Bientôt un second assassinat
 implique un autre savant du
club : à moitié nu, attaché à
un pédalier, le cadavre à la
tête couverte d'un casque de                IM voyage
scaphandrier. Mobiles et sus-             au Mont Athos
pects sérieux paraissent introu-                Préface de Jean Chai o n
vables. Et si Berne héberge des
savants douteux, la ville recèle
aussi de jeunes réfugiés russes
mettant au point la révolution,
des fonctionnaires zélés, une
femme mystérieuse rôdant au-                                        Flammarion
tour de Holmes (liaison coupa-
ble?)...
     Plein de surprise et de drôle-
 rie, ce pastiche est un régal.
Quant au match Holmes-Eins-           là de subornation et que ce
 tein, il serait criminel d'en dé-    Dieu était mineur. À croire
 voiler l'aboutissement: disons       qu'il lui demande (et obtient)
 seulement qu'il eût été plausible    la Suprême Main au panier à
 qu'un esprit british l'imagine.      lire ses dernières stances.
                                           Pris comme farce ou canu-
               Martial Bouchard       lar, ce roman, non pas honteux
                                      mais sournois, pourrait entrer
                                      dans le répertoire des carabins.
UN VOYAGE AU MONT ATHOS               Nous imaginons cependant que
François Augiéras                     tout plein de gogos risquent de
Flammarion, 1988; 27,50$              se complaire à croire ces écrits
                                      pour fins de fantasmes ou de
Certaines littératures sont           mesquineries. Son préfacier
piégées. Odeur sulfureuse et          nous dit de François Augiéras
présentation de carmélites. Il        qu'il mourut à l'hospice de
en est ainsi d'histoires à propos     Domme en 1971 et que les
de franc-maçonnerie ou de l'in-       hommes lui avaient tourné le
timité des papes. Il en fut de        dos. Terrible imprudence !
même de cette fiction, Les Pro-
tocoles des Sages de Sion, pa-                                Jean Lefebvre
piers inspirés de Drumont et
authentifiés par l'Okrana afin
de justifier des pogromes ven-
geurs pour cause de subversion        HÔTEL STYX
juive. Les faux papiers ont la        Yves Navarre
vie plus dure que les vrais.          Albin Michel, 1989; 19,95$
Le tsar n'existe plus et, pour-       À l'hôtel Styx, le bien nommé,
tant, les Protocoles courent en-      puisque dans les eaux du fleuve
core. L'imagination de l'igno-        qui le borde disparaissent sans
rant s'enflamme facilement au         laisser de traces les êtres venus
contact d'écrits sacrés, ou ré-       en finir avec une vie qui ne
putés tels. Tous les massacres        leur dit plus rien, on ne s'em-
en découlent. Ou les ignomi-          barrasse pas de détails. Nul ne
nies. Et un mensonge s'appuie         s'intéresse à la vie que les
toujours sur la justification de      autres menaient avant cette es-
précédents mensonges.                 cale. À peine y apprend-on
     Dans le livre de François        qu'un jeune homme a le sida,
Augiéras, on relate un présumé        époque oblige, qu'un profes-
voyage initiatique au mont            seur trop vieux n'a plus de dis-
Athos, une région semée de            ciples, qu'une femme veut que
monastères, où les moines, des        sa famille la regrette. On ne
hommes, vivent reclus, loin           demande qu'à partir et le plus
des femmes, redoutant leurs           vite possible, puisqu'on est
tentations. François Augiéras         venu pour ça. En attendant, on
en profite pour rôder autour          voit à satisfaire ses désirs im-
des monastères tel un diable,         médiats, sexe et bonne bouffe.
cherchant l'assouvissement pé-             Tout marche fort bien pen-
dérastique là où il le soupçonne      dant (des années ?) en tout cas,
de dormir. À des fins person-         longtemps, le mari de la pro-
nelles. Sa recherche est toute        priétaire de l'hôtel, dit l'aiguil-
sensualité et sournoiserie. S'il      leur, envoyant de loin des
finit par trouver Dieu, nous          clients à sa femme. Jusqu'au
sommes convaincu qu'il s'agit         jour où la patronne, qu'on

                                                                                 NUIT BLANCHE 49
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
E T R J             N G       È R
                                     II                                                                     et difficile dans une ville sans
                                                                                                            nom du sud de l'Europe.
                                                                                                            « Toute personne susceptible de
                                                                                                            donner des précisions sur une
                                                                                                            corbeille de fruits confits ou-
                                                                                                            bliée le 9 mai 1965 [...] est
                                                                                                            priée d'écrire à Radio-Mun-
                                                                                                            dial. » Voilà pour l'objet perdu.
                                                                                                                «Quand je l'ai aperçue, as-
                                                                                                            sise près de la grille en fer
                                                                                                            ouvragé qui sépare le café de
n'appellera jamais autrement                                                                                la salle de billard, je n'ai pas
que Madame, en a assez. Avec                                                                                tout de suite distingué les traits
la complicité de son fils, Ca-                                                                              de son visage. » Voilà pour le
ron, qui l'a toujours aidée dans                                                                            visage oublié. Quand il sortira
ses tâches, elle veut disparaître                                                                           de l'ombre, la ressemblance
à son tour, comme les autres.                                                                               antérieure s'imposant, Jimmy
      Ce livre est fort intrigant.                                                                          Sorano partira malgré lui à la
On ne sait trop ce qui se passe                                                                             recherche du souvenir d'une
dans cet hôtel et, en même                                                                                  fillette qu'il a connue des
temps, on le sait. Le seul sus-                                                                            années plus tôt à Paris.
pense, pour nous et pour les                                                                                    La volonté d'oubli du héros
personnages, est de savoir qui                                                                             est sans cesse reprise et abolie
partira la nuit prochaine et                                                                               par les détails que suscite la
combien ils seront à partir.                                                                               rencontre fortuite de ce visage.
      Sujet macabre, me direz-                                                                             Exilé par nécessité d'oubli, le
                                                                                                           héros voit sa solitude et son
vous. Mais non, tout est propre                                                 JACQUES                    isolement incessamment sollici-
propre comme le feu qui en-
lève toute trace. Et les cendres                                               STERNBERG                   tés par les détails qui revien-
déversées dans le fleuve ne                                                                                nent entourer le visage perdu
semblent pas aggraver la pollu-                                                       Le                   puis redessiné à même les
tion...                                                                                                    contours de nostalgies d'en-
                                                                                   shlenuhl                fance.
      Nulle sensiblerie, je dirais
même presque pas de sensibi-                                                                                    Suggestive et mystérieuse,
lité. On ne reconnaît pas Yves        juif, futur raté déjà célèbre.                                       la fiction développée par Pa-
Navarre, cet écorché vif qui           Dans un torrent de souvenirs                  ïmiglii
                                                                                                           trick Modiano nous emporte
se raconte dans tant d'autres         et de fabulations, Sternberg                                         dès les premières pages. Son
livres. Cette fois, il s'agit          s'approprie ce mot, mais aussi                                      écriture apparemment dépouil-
d'une description froide, vo-         des silhouettes, des femmes,                                         lée, mais qui agit à la façon
lontairement détachée, mais il        sans oublier les planètes qu'il                                      d'un envoûtement, fait basculer
ne faut pas s'y fier. L'auteur        a parcourues à pied, en solex,           J U L L I A R D
                                                                                                           la lecture dans une suite d'évo-
ne cite-t-il pas en exergue cette     en dériveur. Sans repères, sans                                      cations où la mémoire refor-
phrase de Jacques Chardonne :         horaires, l'écrivain comprend                                        mule les souvenirs comme un
«Tout ce qui nous touche de           cruellement qu'une menace                                            paysage assiégé, repoussé, dé-
près est la seule matière             d'extinction pèse non seule- coupable peut-être d'appartenir         serté puis reconquis peu à peu.
d'art. » ? Ou, si l'on veut : la      ment sur l'absurdité de toutes au même univers que l'auteur ;                         Reine Bélanger
seule matière d'art est ce qui        les situations humaines et fic- mais déjà l'écrivain, ivre d'une
nous touche de près.                  tives, mais sur lui, navigateur comédie qui n'a que trop duré,
      L'écriture du roman est un      solitaire qui perd le goût d'er- embarque à ses côtés pour un
régal. Style dépouillé, efficace,     rer, de savourer et de succom- dernier cent mètres une autre
                                      ber. C'est la plainte rageuse créature, plus insipide et plus        RÊVES DIURNES
musical.
                                      et cocasse de l'homme à tout fade que l'eau plate : une façon        ET AUTRES NOUVELLES
              Louise G. Mathieu
                                      faire, à ne rien faire, incapable magistrale de régler un « 189
                                                                                                       e
                                                                                                           vassilis vassilikos
                                      d'un exploit sportif, littéraire conte » à nos désirs si désespé-    Gallimard, 1988; 26,95$
                                      ou amoureux. Pourtant, à 50 rément terrestres.                       Vassilikos, auteur de Z, aborde
                                      ans passés Sternberg accumule              Antoinette de Robien      avec ce recueil de nouvelles
LE SCHLEMIHL                          40 livres publiés, 30 000 kms                                        très diverses, le thème du rêve
Jacques Sternberg                     sur un vélo à moteur ou une                                          éveillé. C'est dans l'imaginaire
Julliard, 1989; 24,00$                coquille de bois, et le vertige                                      que les personnages, tout au-
Que se passe-t-il quand un écri-      des chiffres. Il interroge la lit-                                   tant que le narrateur, retrou-
vain qui a toujours en lui la         térature, les prix, les gens célè- VESTIAIRE DE L'ENFANCE            vent la plénitude de l'être, au-
rage de « vivre à pleins nerfs »,     bres : rien. Effrayés par sa soif Patrick Modiano                    trement fragmenté. Le récit lie
à haute tension, doit se conten-      de vivre, les êtres qu'il Gallimard, 1989; 22,95$                    étroitement le merveilleux au
ter de survivre? Fou du roi           éprouve se retirent dans une Un visage oublié, un objet              quotidien grec de notre fin de
qui cherche un sens à la plus         frauduleuse condescendance. perdu reviennent en mémoire.             XXe siècle. La Grèce, actuelle
grande des lubies, l'existence,       Quand la plus glacée des Et voilà un élément suffisant à             ou historique, sert donc de toile
Sternberg touche ici le fond,         femmes s'offre à lui, la lucide Patrick Modiano pour basculer        de fond, mais pas uniquement.
le grand bleu. Ou peut-être la        et parfaite Nathalie, Sternberg sans réserve dans la fiction ro-     Et c'est peut-être quand l'au-
terre ferme, où son dernier ro-       chavire, bouleversé. On aime- manesque.                              teur fait de l'histoire de son
man «échoue». Titre modeste           rait retrouver plus longtemps        Ecrivain reconnu, Jimmy         pays une parabole à peine voi-
et moqueur, le schlemihl est          ce personnage singulièrement Sorano, alias Jean Moreno, est          lée, quand le message politique
le nom qu'on donne au gamin           plus sincère que les autres, venu gommer un passé trouble            est par trop évident, qu'il de-

50 NUIT BLANCHE
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
1_0»D.        £ - ^           La juxtaposition de détails              OUDE     j .           attristé par la disparition de son
                                    réalistes, souvent crus, du fan-            !»                       fils et de sa femme. « Sushi »,
          VASSILIS VASSILIKOS
                                    tastique et du surnaturel, est                                      de Kanako Okamoto (1939),
          RÊVES                     toutefois déroutante, d'autant               Anthologie             est une nouvelle aux réso-
         DIURNES                    plus que le ton du narrateur,               de nouvelles            nances de psychologie et d'épi-
         et nuire* mntrrllr*        toujours un peu bon enfant, ne               japonaises             curisme qui met en scène un
                                    change pas d'un iota. Il se peut          contemporaines            homme éprouvant une aversion
                                    bien que ce soit parce que,                                         pour la nourriture. Dans «On
                                    pour un Vassilikos dans la                                          ne vit qu'une fois», l'auteure
           'IHP                     force de l'âge, bien des choses
                                    sont possibles, « puisque la vie
                                                                                                        Kiku Amido (1966), en évo-
                                                                                                        quant la vie d'un acteur de Ka-
                t>lf                est un songe. » (p. 254)                                            buki, s'interroge sur le suicide
                                                       Nicole Côté                                      et la mort. « Le chrysanthème
                                                                                                        tardif», de Fumiko Hayashi
                                                                                                        (1948), trace le touchant por-
                                                                                                        trait d'une femme, une ex-
                                    ANTHOLOGIE                                                          geisha dans la cinquantaine se
                                                                                                        préparant à la visite d'un an-
                                    DE NOUVELLES JAPONAISES
vient ennuyeux. Mais la plu-        CONTEMPORAINES                     cophone. Chaque nouvelle est cien amant. Cette nouvelle
part du temps, sa verve de                                             accompagnée d'une brève no- échappe à toute catégorisation.
conteur prolixe nous emmène,        TOME II                            tice biographique qui présente Son lyrisme touchant, « fémi-
étonnés, ravis, vers des rivages    Gallimard, 1989; 50,00$            et situe historiquement l'au- nin», surprend d'un pays qui,
où les échos des problèmes po-      Voici un volume qui, très cer-     teur(e), en indiquant, s'il y a plus souvent qu'autrement,
litiques ne parviennent qu'af-      tainement, plaira autant aux       lieu, les œuvres disponibles en nous donne à lire des témoi-
faiblis.                            amateurs de littérature japo-      français.                        gnages empreints d'une cer-
    Le métier d'écrivain s'ins-     naise qu'aux lecteurs de nou-          Les nouvelles qui suivent taine misogynie. « De minus-
crit en filigrane dans ces divers   velles. Cette anthologie, la       sont particulièrement frap- cules coquillages », de Haruo
récits, grâce au narrateur, qui     deuxième publiée par les édi-      pantes. «Le vieux Gen», de Umezaki (1947), propose un
en vient à posséder tout autant     tions Gallimard, regroupe          Doppo Kunikida (1897), repré- récit de l'après-guerre évo-
d'épaisseur que ses person-         trente écrivains. Mis à part       sente un très bel exemple de quant le trouble d'un ancien
nages, qui les rejoint même         Kôbô Abe et Sôseki Natsume,        littérature « naturaliste » ; il soldat et ses questions sur sa
parfois à la frontière entre la     les auteurs présentés sont peu     s'agit du portrait d'un homme responsabilité face à autrui.
fiction et l'autobiographie.        ou pas connus du public fran-      simple, passeur de son métier, « Sous les fleurs de la forêt de ».

       Nouveautés                                             roman, récits et nouvelles, poésie

         Anne Altwrt l t-voscjur                                                                  Gérald Leblanc

         Du haut                                      Concerto                          L'EXTRÊME
                                                        p o u r huit jjijjjjjjiiiiiiijj FRONTIÈRE
         des terres                                              VOIX

                                                                                                                   tofemn 1972198ft
                                                                                                  ©r

        Du haut des terres                       Concerto pour huit voix                        L'Extrême frontière,
        Anne Albert-Lévesque                     (récits et nouvelles)                          poèmes 1972-1988
        156 pages, 12,95$                        Collectif                                      Gérald Leblanc
        ISBN 2-7600-0157-1                       98 pages, 9,95 $                               168 pages, 10$
        PRIX FRANCE-ACADIE 1989                  ISBN 2-7600-0158-x                             ISBN 2-7600-0156-3

                                                                                     Les Éditions d'Acadie
        Chez votre libraire                                 édition/                 C.P. 885. Moncton, N.-B. E1C 8N8
        ou auprès d e l'éditeur                             dacadie                  (506) 857-8490
                                                                                     COMMANDES TÉLÉPHONIQUES ACCEPTÉES

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Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
rnmsïïE
 E T RA                   G E R E
                                                                                                                     La fuite du temps et la han-
                                                                                                                 tise de la mort demeurent
                                                                                                                 parmi les thèmes privilégiés de
                                                                                                                 Buzzati. Il y a beaucoup de
                                                                                                                 nostalgie et de déception chez
                                                                                                                 cet écrivain, mais jamais il ne
                                                                                                                 verse dans des atermoiements
                                                                                                                 interminables. Son humour et
                                                                                                                 son cynisme lui servent en
                                                                                                                 quelque sorte de garde-fou
                                                                                                                dans la dénonciation de la bê-
cerisiers», de Ango Sakaguchi                                                                                   tise humaine autant que de ce
(1947), nous présente un bri-                                                                                   contre quoi il ne peut rien : le
gand qui vit retiré et retrouve                                                                                 temps. La première nouvelle,
la forêt de cerisiers pour un                                                                                   « Une ombre au sud », constitue
cérémonial annuel. Presqu'un                                                                                    un très bon exemple de l'habi-
tableau surréaliste, cette nou-                                                                                 leté narrative de l'auteur tant
velle est aussi le récit d'une                                                                                  que de l'univers qu'il affec-
solitude absolue comme unique                                                                                   tionne. Parfait mélange de ce
raison d'être. Dans «Le ma-                                                                                     qui est dit et de ce qui est tu,
lade de beauté», de Katai                                                                                       l'action n'est ici prétexte qu'au
Tayama (1907), un écrivain                                                                                      lent déploiement d'une atmo-
prend le train de Tokyo, fé-                                                                                    sphère trouble.
brile, dans l'espoir d'observer                                            proprement parler. Malgré                Certains textes annoncent
déjeunes adolescentes. Glisse-                                             l'unité de ton et la récurrence      les carnets qu'il publiera quel-
ments d'érotisme.                                                          de certains thèmes, il manque        ques années plus tard sous le
   Et il y a plus, beaucoup                                                à l'ensemble une cohérence in-       titre de En ce moment précis
plus, et surtout, la finesse japo-                                         terne à laquelle Buzzati avait       (titre tout à fait révélateur des
naise de l'évocation, touchante                                            habitué ses lecteurs avec ses        préoccupations temporelles de
de simplicité. Survol de ce                                                autres recueils. Ceci dit, la lec-   Buzzati). L'humour qui s'y
siècle qui s'achève, ces trente                                            ture de Panique à la Scala est       manifeste prend souvent une
                                     de personnages, versions par-         loin d'être inintéressante. Si       valeur corrosive.
nouvelles constituent autant de      faites, dont, nécessité de cohé-
portraits aussi humains qu'atta-                                           Buzzati peut parfois décevoir,           Un mot enfin sur la nouvelle
                                     rence et de mise en page et           il n'ennuie par contre jamais.       éponyme : en 1948, l'Italie est
chants. Elles portent les traces     mise en scène, il devra tran-
de multiples recherches, de dif-     cher de l'ultime conservation.
férents styles, nous permettent      Rarement nous aurons eu un
de découvrir ce Japon dont           tel plaisir à être introduit dans
nous savons peu de choses.           les coulisses de la création litté-
                   André Girard      raire. Nouvelles, commen-
                                     taires, hypothèses de travail,
                                     tout ce matériel-là nous donne
                                     le goût d'une résurrection. Ra-
PROSES EPARSES
Robert Musil
                                     rement nous n'aurons autant
                                     déploré que tous les hommes
                                     soient mortels. Musil nous fait
                                                                                       Henri
Seuil, 1989; 30,95$
On constate qu'une époque
est définitivement morte lors-
que nous sommes submergés
                                     donc, à titre posthume, encore
                                     un bout de compagnie. À ses
                                     côtés, nous faisons les morts...
                                                                                       Bergeron
d'écrits en forme de reliquats,                        Jean Lefebvre
lumières voulues définitives sur                                                             Un bavard se tait...
un discours inachevable. Ro-
bert Musil est à classer parmi                                                               pour écrire
les hommes-phares qui tentè-         PANIQUE À LA SCALA
rent d'interpréter le destin de
                                     Dino Buzzati
l'homme globalement. Fin                                                               De la ferme au cours classique, de
d'une ère. Nous croyions alors       Robert Laffont, 1989;
                                     25,80$                                            la campagne à Saint-Boniface,
à l'interprétable, à la philoso-                                                       d'une enfance joyeuse au début de
phie et à l'avenir. Les cathé-       D'abord publiés chez Mondari
drales humanistes fleurissaient.     en 1958 sous le titre de Ses-
                                                                                       l'âge adulte, Henri Bergeron nous
L'une d'elles était L'homme          senta racconti, les textes réunis
                                                                                       amène à découvrir son entourage,
sans qualités (Gallimard). Im-       ici constituent un choix opéré
                                                                                       son com de pays et nous invite à
pression, devant cette quintes-      dans l'œuvre originale. On                        partager avec lui ces moments
sence de l'œuvre, d'une réalité      trouve un peu de tout dans ce                     précieux.
des mythes, d'un sens à la vie.      regroupement de vingt-quatre
D'une religion !                     nouvelles, du très bon au                         ISBN 0-920640-73-7                         19,95 $
     Dans ces Proses éparses,        moins bon. Bien que ce choix
nous retrouvons le Musil cu-         soit tout à fait représentatif de
rieux de tout, humoriste,            l'univers de Buzzati (une pré-                    ^      %      Les Éditions du Blé
homme détaché qui joue dans          face aurait quand même été                            //ilV     Distribuées par Québec livres
les greniers de son imaginaire.      souhaitable), il n'en constitue
Qui projette plusieurs versions      pas pour autant un recueil à

52 NUIT BLANCHE
Littéature étrangère Commentaires - Nuit blanche - Érudit
Fiction di Cie

                                                                                 où l'aveugle cherche à discer-             Mario Fortunato
une fois encore en proie à               Jacques Roubaud
l'agitation politique. Buzzati           Le grand incendie                       ner l'exhaustivité des moments             Lieux naturels
transpose ici sa vision des évé-            de Londres                           passés, épuisés, resoulevés en                    rrwluil d. I italien
                                                                                                                                rest François Bouchard
                                           RécK.avac inciaaa . t bifurcations
nements dans les salons du cé-                                                   pleine lumière par une brusque                      Rivages

lèbre théâtre milanais où, au                                                    contraction du réel. Terre
cours d'une nuit durant laquelle                                                 Gaste, que Roubaud sonde sans
chaque heure distille les                                                        grande illusion, tant est inévi-
craintes et les angoisses de cha-                                                table pour lui la confrontation
cun, le monde, que l'on croyait                                                  du deuil et de l'effort inné vers
stable et immuable, lentement                                                    la solitude. Mais s'aperçoit-il
se fissure pour ne laisser entre-                                                qu'il trace mot après mot,
voir que désordre et anarchie.                                                   comptant ses accidents d'écri-
Chez Buzzati, rien n'est moins                                                   vain comme des empreintes
sûr que le lendemain.                                                            appuyées, les conditions d'une
                                                                                 expérience la plus quotidienne
           Jean-Paul Beaumier                                                    possible de prose? Roubaud
                                                                                                                                                          |
                                                                                 bouleverse, car il ne tente pas
                                                                                 de séduire le lecteur ; simple-
                                    Poursuivant la double tâche                  ment il situe la démesure
LE GRAND INCENDIE DE                d'écrire Le grand incendie de                consciente de son travail
LONDRES                             Londres et Le projet, fictions               d'écrivain dans un ensemble         LIEUX NATURELS
Jacques Roubaud                     que sa solitude rend désormais               maintenant restreint, projet        Mario Fortunato
Seuil, 1989; 33,95$                 improbables, Roubaud énu-                    d'existence disséqué à la loupe.    Rivages, 1989; 21,95$
Portrait d'un artiste absent,       mère au fil de paragraphes nu-               Un chef-d'œuvre de patience         «... Myriam séparait la vie de
érémitique et limpide. Rou-         mérotés le modus vivendi de                  une gratuité qui recrée doulou-     la mort à l'aide d'un simple
baud, qu'on a connu humo-           Yhomo lisens. Il part d'une                  reusement, impartialement une       souvenir, d'un sursaut de son
riste, humaniste, policier et po-   image remontée du sommeil,                   communication d'homme à             esprit. Et le souvenir s'amplifia
lisson, n'est plus ici théoricien   mêle l'anecdote, l'érudition                 homme. Indispensable à la sur-      en elle au point de devenir une
de l'OULIPO. Enfermé entre          abandonnée, pour reconstruire                vie de l'auteur, ce récit s'im-     seconde vie, de s'imposer
l'obscurité et le lever du jour,    un environnement mental où                   mobilise ; maintenant les lec-      comme une éternité infime, né-
il bute sur les ramifications de    plane le silence des diver-                  teurs devraient s'en approcher.     cessaire (p. 124). »
sa mémoire, depuis que sa           gences. C'est une narration en-                                                       Mario Fortunato a cons-
compagne Alix est morte.            trelacée à la nuit, un parcours                       Antoinette de Robien       truit un roman aux fines at-

                SieOrHfo
    GILLES                                                                      M-A-R-C-O-T-T-E
                                                                                   LA PROSE
                                                                                  DE RIMBAUD
                                                                                         Essai
                                                                Une lecture nouvelle de l'œuvre de Rimbaud qui nous
                                                                 fait découvrir le poète «compromis» dans les débats
                                                                             idéologiques. 196p. — 15,95$

                                                                                 LA VIE REELLE
                                                                                              Nouvelles
                                                                       La vie, l'amour, la folie, le voyage et la littérature
                                                                        en seize histoires qui nous mènent au plus vrai:
                                                                                  la vie réelle. 240p. — 19,95$

                       AUX EDITIONS                                                       DU BOREAL
                                                                                                                                          NUIT BLANCHE 53
EUEEÏÏE
 E T RA                  G E R E
                                                                                                               Avec la complicité du
                                                                                                           poète américain Jerome Ro-
                                                                                                           thenberg (Shaking the Pump-
                                                                                                          kin) qui les a en quelque sorte
                                                                                                          initiés, c'est l'émerveillement
                                                                                                          plutôt que la rigueur scienti-
                                                                                                          fique qui a (heureusement)
                                                                                                          guidé Florence Delay et
                                                                                                          Jacques Roubaud dans le choix
                                                                                                          des textes de Partition Rouge.
                                                                                                          Leur livre, en effet, s'inspire
taches. Celles, perçues aux                                                                               très largement de celui de Ro-
confins, en des lieux qui dans                                                                            thenberg, qui a lui-même puisé
leurs durées portent l'em-                                                                                dans les nombreux travaux des
preinte de l'éphémère. Du pas-                                                                            tout premiers anthropologues
                                                                                                         américains encore sensibles à
sage des gens, en des refuges         LA CONTREVIE
derniers, il saisit leurs dou-                                                                           la dimension poétique du maté-
leurs, leurs préoccupations face                                                                         riel recueilli.
à la maladie, la mort, la mater-                                                                               Divisé en quatre parties :
nité. Dans l'irréversible, ces                                                                           « Naissances », « Noms », « Mé-
processus entraînent tout, ne                                                                            tamorphoses», «Médecines»,
laissant que peu ; ne subsiste                                                                           Partition Rouge fait également
                                                                        Le narrateur-écrivain de La      appel à des œuvres plus
qu'une fine douleur.
                                               tuf                   contrevie est cette fois encore     contemporaines issues de la re-
     Neuf volets, comme autant                                       Nathan Zuckerman, un double
de battements de paupières sur                                                                           naissance indienne des vingt-
                                                                     que Roth affectionne depuis le      cinq ou trente dernières
des lieux que l'on quitte. Ten-                                      milieu des années soixante-dix
sion des climats, incisive l'écri-                                                                       années.
                                                                     et qu'il a déjà mis en scène              Mis en valeur par un en-
ture. L'échéance atteinte, il                                        dans quatre ou cinq de ses der-
reste toutefois un témoin à qui                                                                          semble de courts textes explica-
                                                                     niers romans. Roth trouve sû-       tifs à l'érudition jamais tatil-
l'on s'adresse. Vers qui l'on                                        rement, comme son héros,
tend. Vainement. De l'évide-                                                                             lonne, Partition Rouge plaira
                                                                     qu'il n'y a rien de plus amusant    particulièrement à ceux que la
ment, le roman de Mario For-                                         (pour un écrivain) que d'es-
tunato en est le puzzle, conte-  l'imagination traîtresse, de la                                         poésie de l'essence des choses
                                                                     sayer de maîtriser sa propre        intéresse.
nant les traces jusqu'à la perte.tâche de l'écrivain, du retour      subjectivité. L'auteur de Port-
Vainement, comme les person-     (ou non) à Sion, de la bataille     noy et son complexe (traduit                     François Mailhot
nages du dernier récit, intitulé des mariages, de l'impuis-          chez Gallimard en 1970), y
«Télévision», observant le       sance, de la mort, et pour finir    parvient-il dans La contrevie ?
poste, muets ; en attente de ré- de la chrétienté, on ne peut        La seule réponse possible à
pliques qui pourraient être les  s'empêcher de penser à l'af-        cette question, dirait Z., c'est
leurs.                           faire Rushdie, en se disant que     que l'auteur ne sait plus, ne
     En ces extrêmes, le dé-     Roth aurait très bien pu imagi-     sait plus du tout, une fois que
mantèlement inévitable, ne sub-  ner pour son irrévérencieux hé-     son livre a été imprimé, tra-
siste qu'une ultime parenthèse   ros, un destin aussi funeste que    duit, maltraité, ou simplement
— un lieu naturel — de conver-   celui qui a frappé l'auteur des     lu avec plaisir.
gence «... en quête d'une ré-     Versets satanique s.                                                    G
gion tranquille pour un atterris-    Pas tendre pour Israël,                       François Mailhot
sage de fortune» (p. 136).       « pays devenu complètement
Pour mitiger la douleur. Pour    fou» (p. 195), féroce avec la
se dissoudre dans la familiarité chrétienté anglo-saxonne et son
                                 «horreur essentielle du sexe»
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