MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
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MATIÈRES N°11 / Juillet 2021 L A N O U V E L L E R E V U E D E L ’ A R C H I T EC T U R E AC I E R ARCHITECTURES DOSSIER PORTRAIT La Samaritaine Architecture et industrie, Paul Chemetov à Paris un défi contemporain
/ÉDITO ACIER AVEC AMOUR Jeune architecte, j’étais fasciné par l’absolue justesse des Dans cette recherche, comment ne pas feuilleter les cata- angles creux des structures de Ludwig Mies van der Rohe logues des profils métalliques comme les pages d’un dic- comme par l’épure graphique de la maison Farnsworth. tionnaire dont il nous resterait à utiliser tous les mots pour En ces temps, le béton régnait en maître en France, et en faire un « métatexte ». Les utiliser comme un alphabet, nous étions taxés de brutalistes parce que nous en mon- une sorte de b.a.-ba constructif. trions la texture et la plasticité, à l’opposé de la répétition De mon enfance, je garde en mémoire un des nombreux du même à l’infini des logements de masse. paradoxes dont mon père, graphiste, émaillait sa conver- La vertu de l’acier était et reste dans le ready made de ses sation : « On n’écrit pas “amour“ comme “acier“, disait-il, profilés, leur précision, leur côté quasiment typographique. sauf si l’on veut produire un effet décalé. » Il pensait sans Mais tout autant dans la chaudronnerie des tôles à doute aux anglaises typographiques, à leurs boucles, double courbure, l’acier permet la résille et le continu, leurs pleins et déliés, trop graciles pour dire la rectitude comme le béton quand il est utilisé dans la gamme de ses orthonormée du mot « acier ». Mais pourquoi faudrait-il se possibles. laisser enfermer dans l’évidence apparente de tout para- Pourquoi exclure un matériau, alors que l’intérêt est de doxe ? Acceptons le plaisir des effets décalés, de la trans- les rendre compatibles, de les utiliser tous au mieux de gression des normes au profit des plaisirs des formes. ce qu’ils peuvent apporter de mémoire et d’imaginaire Écrivons donc « acier » avec amour. dans les projets que nous avons à construire. Étymologi- quement, les assembler. Ensemble et non séparément. Paul Chemetov En couverture : la Samaritaine à Paris ; Sanaa, SRA, Jean-François Lagneau, François Brugel, Maison Édouard François, Yabu Pushelberg. Photo : Jared Chulski MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 3
/SOMMAIRE 3 ÉDITO Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine 6 ENVIES 9 ICÔNE Hommage assumé à la chaise de Harry Bertoia, « Wired Chair » de Michael Young utilise le fil d’acier décliné, ici, en version mate et l’entrelace de manière organique. Une feuille et ses nervures se dessinent. Les angles s’arrondissent et les cou- leurs s’adoucissent pour un appel à la sérénité. Graphique et légère, elle évolue dans tous les dé- cors, et son piètement luge lui assure un bel avenir. ARCHITECTURES 10 Rénovation de la Samaritaine, Paris 16 Fondation Luma, Arles 20 Richard Rogers Drawing Gallery, Château La Coste, Le Puy-Sainte-Réparade 24 Cour Bareuzai, Dijon Photo : David Boureau 28 INTÉRIEURS Flagship Enfants Riches Déprimés, rue Charlot, Paris 32 DOSSIER Architecture et industrie, un défi contemporain 42 MAÎTRISE Structures métalliques Photo : Takuji Shimmura 46 PORTRAIT Paul Chemetov CHANTIERS 49 Site de maintenance et de remise et poste de commandement centralisé, Champigny-sur-Marne 52 Immeuble de bureaux Pergolese à Paris 54 FIGURES Jérôme Scoffoni Doc. : Richez Associés 57 ATELIER Façades : quand l’acier architecture l’enveloppe 58 PROCHAIN NUMÉRO, GROS PLAN SUR… MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 5
SIMONE PROUVÉ AU CENTRE POMPIDOU /ENVIES Simone Prouvé a rejoint les collections du centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Avec l’acquisition par le Musée national d’art moderne de plusieurs pièces qui rejoignent les collections – complétée d’un don comprenant notamment un très grand panneau en inox réalisé dans la continuité de la commande de l’architecte Claude Parent –, le centre Pompidou accorde ainsi à Simone Prouvé la reconnaissance de toute une vie de création. C’est, à 60 ans, déjà riche d’une carrière impressionnante auprès d’architectes contemporains que Simone Prouvé, fille de Jean Prouvé, se lance dans l’exploration et le tissage des fils dits « non feu », des fibres d’aramide et métalliques. Présenté au public dès la réouverture du 19 mai, dans une salle dédiée au niveau 4 du musée, cet ensemble est composé de huit pièces majeures, des premiers tissages réalisés Photo : Vivian Daval-ADAGP en 1954 à son retour de Scandinavie aux grands panneaux tissés de fils non feu qui ont fait sa renommée dans l’univers du design et de l’architecture. Afin de mieux appréhender les recherches entreprises par l’artiste, une vitrine rassemble quelques cahiers de teinture et d’échantillons de matériaux, ainsi que des études de tissages avec différents fils d’inox et de cuivre. Enfin, une sélection de photographies de Simone Prouvé vient compléter l’accrochage. Simone Prouvé au centre Georges-Pompidou, niveau 4 du musée, salle 12, place Georges-Pompidou, 75004 Paris Simone Prouvé. « SIÈGES MODERNES, LE MOBILIER NATIONAL INVITÉ À LA VILLA SAVOYE » En partenariat avec le Mobilier national, le Centre des monuments nationaux présente l’exposition « Sièges modernes, Le Mobilier national invité à la villa Savoye ». Au sein de ce monument emblématique de Le Corbusier sont installés une vingtaine de sièges contemporains issus des collections du Mobilier national et conçus par l’Atelier de recherche et de création (ARC). Ces pièces font écho au génie créatif de Le Corbusier et à la grande modernité des assises conçues au début du 20e siècle dans le cadre de ses recherches sur l’acier tubulaire. À découvrir également, entre autres, la chaise Caddy d’Olivier Mourgue, les poufs d’André Monpoix, la chaise en métal d’Édouard Albert et un fauteuil à bascule de Richard Peduzzi… Jusqu’au 26 septembre à la villa Savoye, 82 rue de Villiers à Poissy Photo : WeAreContents/Stéphane Aboudaram MÉTALEXPO 2021 : LE RETOUR Rendez-vous porte de Versailles à Paris pour l’édition 2021 de Métalexpo, le salon du métal dans la construction La Galerie de Richard Rogers à Château Lacoste. à destination des professionnels de la métallerie et de la maîtrise PROMENADE D’ART ET D’ARCHITECTURE À CHÂTEAU LA COSTE d’œuvre. Rencontrez les métalliers Au cœur de la Provence, à travers vignes, pinèdes et champs d’oliviers, et leurs partenaires, découvrez leurs explorez en toute liberté le domaine viticole de Château La Coste. savoir-faire, explorez l’ambiance d’un La collection compte une quarantaine d’œuvres, principalement des authentique atelier… Retrouvons-nous, sculptures, et de très grands noms de l’architecture, parmi lesquels en toute convivialité sur le stand de Jean Nouvel, Frank Gehry, Renzo Piano, Tadao Ando et Richard Rogers dont l’Union des métalliers ! la sensationnelle « Galerie » tout en porte-à-faux vient d’investir ce domaine Salon Métalexpo, de 124 hectares de vignobles sur 200 (lire page 20). du 21 au 24 septembre 2021 à Paris, La Promenade d’Art et d’Architecture de Château La Coste, porte de Versailles, hall 1 2750 route de la Cride, 13610, Le Puy-Sainte-Réparade
LE DESIGN DE MÉTAL À LA MAISON DE FER Parallèlement à l’exposition « Sièges modernes » et à quelques encablures de la villa Savoye, le Mobilier national s’associe à la Maison de Fer de Poissy pour présenter « Le design de métal », un ensemble d’œuvres et de prototypes en métal conçus par l’ARC avec des designers contemporains. Une collaboration exceptionnelle qui met en avant les savoir-faire autour du métal à travers une dizaine de pièces et de leur processus de fabrication. De quoi mettre en lumière l’innovation du matériau porté en commun par la Maison de Fer construite en 1896 dans le cadre d’un processus industriel. Une console en inox martelé d’Olivier Védrine (technique rarement utilisée), le prototype du lustre de Jean Nouvel pour le Louvre Abu Dhabi et la chaise de Martin Szekely tout en acier et laiton, comptent parmi les pépites de cette belle exposition. Jusqu’au 26 septembre, à la Maison de Fer, 2 ter allée des Glaïeuls à Poissy LA BEAUTÉ D’UNE VILLE, CONTROVERSES ESTHÉTIQUES ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE À PARIS Qu’est-ce qui fait la beauté d’une ville ? Comment se définit, en fonction des projets et des contraintes de chaque siècle, l’esthétique urbaine ? Depuis le début du deuxième confinement à l’automne 2020, le Pavillon de l’Arsenal réunit une cinquantaine d’architectes, artistes, commissaires d’exposition, historiennes et historiens, paysagistes, philosophes, sociologues, urbanistes... pour tenter d’appréhender ce qui fait la beauté de Paris. Autant de questions et d’histoires qui invitent les visiteurs à parcourir Paris depuis le 18e siècle, un pied dans l’histoire, l’autre engagé sur les chemins de la transition écologique, pour continuer à débattre au fil d’un parcours scénographique rythmé par une centaine de documents historiques, de plans, de photographies, d’entretiens vidéos. Jusqu’au 26 septembre, au Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, 75004 Paris EXPOSITION ÉVÉNEMENT DE MANUELLE GAUTRAND À FIRMINY Le site Le Corbusier de Firminy-Vert consacre une exposition événement à Manuelle Gautrand. Connue pour sa « balise urbaine » qu’est le bâtiment Grüner à Saint-Étienne, l’architecte interroge, depuis la création de son agence, la ville et son architecture. Elle oppose ainsi une « architecture de la vie » à la ville oppressive perçue comme une machine fonctionnelle qui ne raconte rien. Et invite par son œuvre à réenchanter la ville en l’embellissant par des « surprises architecturales », sources d’émotions et d’esthétisation du monde. Jusqu’en janvier 2022, site Le Corbusier, église Saint-Pierre, 29 rue des Noyers, 42700 Firminy REMISE DES PRIX DES TROPHÉES EIFFEL 2021 C’est le mardi 5 octobre que les neuf lauréats des 7e Trophées Eiffel, organisés par ConstruirAcier, se verront remettre leurs distinctions à l’occasion de la Steel.in, cérémonie des prix de l’architecture acier. Sous la présidence de Marc Mimram et d’un jury composé d’architectes, d’ingénieurs et de journalistes, cette édition 2021 récompense les œuvres réalisées tout ou partie grâce à l’acier dans neuf catégories : Apprendre, Architecture et Ingénierie, Divertir, Franchir, Habiter, Travailler, Voyager, Innover et International. En savoir plus : www.construiracier.fr MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 7
WIRED CHAIR /ICÔNE Michael Young Photo : studioblanco « L’une des chaises les plus fascinantes au monde est la chaise “Wire“ de Bertoia ; “Wired Chair“ revisite une inspiration pour moi en tant que jeune designer. Dans les années 1990, j’ai beaucoup travaillé le fil d’acier dans les ateliers de Tom Dixon, cela m’a toujours fasciné. Cette chaise, c’est tout d’abord une expérimentation sur la construction d’une structure pour s’asseoir. Et la forme esthétique obtenue n’est, finalement, qu’une partie gratifiante de ce processus. » Michael Young Hommage assumé à la chaise de Harry Bertoia, « Wired Chair » de Michael Young utilise le fil d’acier décliné, ici, en version mate et l’entrelace de manière organique. Une feuille et ses nervures se dessinent. Les angles s’arrondissent et les couleurs s’adoucissent pour un appel à la sérénité. Graphique et légère, elle évolue dans tous les décors, et son piètement luge lui assure un bel avenir. Finitions : structure métallique avec revêtement en poudre mat gris clair, jaune foncé, bleu clair, noir. « Wired Chair » est éditée par La Manufacture. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 9
RÉNOVATION DE LA SAMARITAINE, PARIS Le triomphe de l’acier Seize ans après sa fermeture, la Samaritaine revient sur le devant de la scène parisienne, sous pavillon LVMH. Les Parisiens vont y (re)découvrir la « classe » de son architecture, à commencer par la richesse retrouvée de ses ouvrages métalliques ! Cette « cathédrale du commerce moderne », selon Émile Zola, est le fruit de l’esprit visionnaire d’un petit vendeur de tissus à la sauvette. Homme de goût ayant le sens des af- faires, Ernest Cognacq poursuivit la croissance diversifiée de son commerce en saisissant toutes les opportunités fon- cières jusqu’à investir, entre 1870 et 1930, quatre îlots stra- Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine tégiquement situés entre le pont Neuf et la rue de Rivoli. Tantôt se contentant de réunir les immeubles, tantôt les restructurant plus ou moins lourdement, voire à les recons- truire, il sût s’attacher les talents de Frantz Jourdain et de Henri Sauvage. Ces deux architectes emblématiques de l’Art nouveau et de l’Art déco firent massivement appel à l’acier pour son faible encombrement à portée égale et la rapidité de sa mise en œuvre. Aucun grand magasin parisien ne parvint à faire aussi élégamment l’éloge de ce matériau se mariant si bien au verre et se prêtant à merveille au décor. Son déclin progressif mais inexorable conduisit à son rachat par LVMH en 2001. Faute d’entretien suffisant prolongé, le grand magasin ferme définitivement quatre ans plus tard. Un vaste audit fut alors engagé pour définir un nouvel avenir à ces quatre bâtiments. LA POURSUITE DU PALIMPSESTE Au cœur de Paris, la « cathédrale du commerce moderne ». Depuis 2009, l’agence japonaise « pritzkérisée » Sanaa su- pervise la reconstruction du magasin 4 et la restructuration complète des trois bâtiments mitoyens du 2 – inscrit à l’Inven- taire supplémentaire des monuments historiques en1990 – traitée ci-après. Situé au nord, Jourdain Plateau est le plus Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine ancien (1891-1910) et, surtout, le plus éclectique. Devant ac- cueillir quatre niveaux de commerces (R - 1/R + 2), une crèche et des bureaux organisés autour d’un nouvel atrium, la tota- lité des planchers d’origine a été démolie après stabilisation de l’ensemble des façades sur une profondeur intérieure de 3 à 5 m via des palées provisoires contreventées verti calement par des croix de Saint-André. Plusieurs cheva- lements spectaculaires en infrastructure et renforcements des éléments porteurs conservés ont été nécessaires pour reprendre la nouvelle structure à poteaux-poutres (rivetés en atelier ou sur place) des six niveaux ceinturant l’atrium couvert par une verrière en dôme inversé. Les façades sur rues ont recouvré leurs décors fleuris originels. Entièrement consacré au commerce, Jourdain Verrière (1906-1910) retrouve tout le faste de son majestueux esca- lier central en ferronnerie que douche de la lumière du jour la mythique verrière Art nouveau (37 x 20 m). Celle-ci a dû être stabilisée afin que puissent être démontés les ouvrages La façade Art nouveau, rue de la Monnaie. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 11
/ARCHITECTURES Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine Transformé en palace, le bâtiment Art déco d’Henry Sauvage conserve ses façades de pierre. Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine Une fidélité à l’intention des architectes : vouloir la modernité, même radicale, travailler les détails, oser les contrastes.
Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine Une ondulation irrégulière composée de 343 panneaux de verre courbés et sérigraphiés de 2,70 m x 3,50 m, pesant de 600 à 1 250 kg, qui ne reposent que sur deux points d’appui. Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine L’enveloppe extérieure d’une triple peau de verre qui confère au bâtiment Rivoli son clos et couvert, sa régulation thermique et ses propriétés de résistance au feu. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 13
/ARCHITECTURES Photo : Jared Chulski/SRA La spectaculaire verrière de 1907. Photo : Sanaa Toute la richesse de l’architecture acier retrouvée.
Photo : Jared Chulski/SRA Les patios réinterprètent le goût de Jourdain pour la lumière naturelle. périphériques en combles entièrement restructurés. L’en- Afin de conserver leur fine modénature originelle aux semble des planchers métalliques – originellement pavés de 585 châssis extérieurs des bâtiments Jourdain et aux 170 de dalles de verre – a été renforcé par des contre-poteaux pour celui de Sauvage, KDI a retenu les profilés acier ultrafins à reprendre les charges supplémentaires dues aux réaména- haute isolation thermique Unico et Unico XS de Forster avec gements intérieurs et à la mise en œuvre des escalators sur une structure alvéolaire en inox. tous les niveaux en utilisant des techniques de poutres rive- tées. Le confort thermique imposa le recours à des doubles Maîtrise d’ouvrage : Grands Magasins de la Samaritaine vitrages, dont un en Electrochrome, d’autant plus lourds qu’il Architectes : Sanaa, SRA, Jean-François Lagneau lui fallait conserver l’étroit pas initial de 45 cm de largeur (Lagneau Architectes), François Brugel Architectes Associés, complexifiant leurs joints et couvre-joints. D’où le renforce- Maison Édouard François, Yabu Pushelberg ment de sa charpente. Maître d’œuvre d’exécution : Egis Bâtiments Management, RFR Métamorphosé en palace sous enseigne Cheval Blanc, BET structure : Aedis, Terrell le bâtiment Sauvage (1926-1928) conserve la totalité de ses Entreprise générale : Petit (Vinci Construction France) façades en pierre Art déco. Mais son changement d’affecta- Métallerie : SMB, CCS, Viry, KDI tion a conduit à d’importantes reprises en infrastructure par chevalement et vérinage, au renforcement des attaches prin- cipales des planchers pour reprendre les nouvelles charges, au changement des poutres-profils de plancher dans les étages supérieurs pour gagner de la hauteur sous plafond et à la mise en œuvre de connecteurs sur les poutres pour travailler en ossature mixte. À cela s’ajoute la création de tré- mies pour les monte-charge, ascenseurs et l’escalier de la partie centrale. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 15
/ARCHITECTURES Photo : Dronimages Le nouvel édifice de Frank Gehry, pièce maîtresse d’un campus de 11 hectares au Parc des Ateliers à Arles. Photo : Rémi Benali La spectaculaire tour de 15 000 m2 dont la structure géométrique torsadée s’est achevée par la pose de 11 000 panneaux métalliques.
FONDATION LUMA, ARLES Totem arlésien inoxydable Commandés en 2007 à Frank Gehry par la mécène suisse Maja Hoffmann, la Fondation Luma et son Parc des Ateliers ont été inaugurés fin juin après huit ans de travaux. Au sud de la cité d’Arles, les anciens ateliers des chemins de fer cèdent la place à un « archipel » culturel que signale la spectaculaire tour facettée d’acier inoxydable de l’architecte californien, véritable exploit technologique. « Nous voulions évoquer l’ancrage local depuis La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh à l’émergence des blocs rocheux des Alpilles. La rotonde (le drum), quant à elle, fait écho aux arènes romaines. » Frank Gehry. FILIATIONS « FONDÉES » Arrière-petite-fille du fondateur du laboratoire pharmaceu- Photo : Rémi Benali tique F. Hoffmann-La Roche, la suissesse Maja Hoffmann peut se revendiquer arlésienne. Son père Lukas – ornithologue fon- dateur du Fonds mondial pour la nature – acheta, en 1947, la Tour du Valat, domaine de 1 844 hectares sur la commune d’Arles dont il classa 1 070 hectares en réserve naturelle volontaire 39 ans plus tard. Il y installe le Centre de recherche Un campus créatif entouré de jardins. pour la conservation des zones humides méditerranéennes. En 2008, il finance la création de la Fondation Vincent Van Gogh initiée par Yolande Clergue. Grande collectionneuse d’art moderne, sa grand-mère Maja avait constitué, en 1933, la Fondation Emanuel Hoffmann – son premier mari décédé acci- dentellement à 36 ans une année plus tôt. Sa collection forme, aujourd’hui, la base principale du musée Schaulager conçu en 2003 par le bureau d’architecture Herzog & de Meuron. Après des études de cinéma à la New York School, Maja Hoffmann réalise et produit, dans les années 1980, des documentaires Photo : Adrian Deweerdt sur Peggy Guggenheim, Marina Abramovic, Jean-Michel Basquiat et Robert Mapplethorpe. C’est à cette époque qu’elle commence sa propre collection d’art contemporain. Mécène d’institutions artistiques, elle supporte également le cinéma, des programmes environnementaux internationaux, Human Rights Watch. En 2004, la création de la Fondation Luma parachève son engagement. L’association philanthropique La tour de 56 m assise sur une rotonde vitrée. interdisciplinaire promeut l’art, la culture, l’environnement, les droits humains via la recherche, l’éducation et des archives. ARCHITECTE DE FONDATIONS AGUERRI Préféré à Gilles Perraudin, l’auteur du musée Guggenheim de Bilbao (1997) et de la Fondation Louis Vuitton à Paris (2014) se voit confier le bâtiment manifeste devant incarner la nouvelle institution au sein des dix hectares du Parc des Ateliers – pay- Photo : Adrian Deweerdt sagé par le belge Bas Smets – qui recycle plusieurs anciennes halles ferroviaires. Frank Gehry « gribouille » une atypique tour vrillée de 56 m de hauteur, assise sur une rotonde cylindrique vitrée haute de 18 m, dont les 15 000 m2 s’en- rochent, de part et d’autre d’une lame-noyau en béton armé concentrant les circulations verticales et services, sur neuf étages sous forme de « pétales » en planchers collaborants Un bâtiment manifeste. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 17
/ARCHITECTURES DR DR Neuf étages sous forme de pétales en planchers collaborants et poteaux-poutres acier. Photo : Rémi Benali « Nous voulions évoquer l’ancrage local depuis La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh à l’émergence des blocs rocheux des Alpilles. La rotonde, quant à elle, fait écho aux arènes romaines. » Frank Gehry.
Photo : Adrian Deweerdt Suspendu à la structure primaire, chacun des bow-windows de verre est unique. et poteaux-poutres acier. Intégrant deux failles de verre, leur de profondeur et jusqu’à 1 515 mm de longueur), dont cer- enveloppe d’environ 10 000 m2 enchevêtre 10 500 cassettes taines doubles, en L ou en trapèze pour les zones délicates, d’acier inoxydable autour de 46 bow-windows conférant à viennent s’y fixer. Le système de fixation devait être invisible, l’ensemble des allures de pyrite. prendre en compte les contraintes climatiques (soleil, mistral), sismiques, et anticiper l’intervention des cordistes (pose et (AT)EXPLOITS maintenance). Les cassettes ont ainsi été clipsées (± 2 mm) via deux supports métalliques préréglés et encastrés sur l’extré- Sa mise en œuvre aura nécessité 100 000 heures d’études et mité des raidisseurs des étagères. Suspendus à la structure l’obtention d’au moins quatre Atex, dont celui de l’enveloppe primaire et tous uniques, les bow-windows de verre sont ici développée. Relevant davantage de l’ingénierie navale, composés différemment pour satisfaire aux règles de C+D une coque à facettes – ancrée sur la structure primaire en selon leur orientation, leur emplacement et la présence éven- acier galvanisé et préfabriquée à partir de tôles d’acier de tuelle d’ouvrants, d’où le recours à des produits provenant de 3 mm d’épaisseur, pliées et soudées à la façon d’étagères – plusieurs fournisseurs. en constitue le support interne. Du côté intérieur, un isolant en laine minérale de laitier à liant hydraulique est projeté Maître d’ouvrage : Maja Hoffmann (Fondation Luma), en deux couches (15 + 8 cm) maintenues par des aiguilles Myamo (AMO) métalliques. Celui-ci a été posé sans pare-vapeur à la suite des Architectes : Frank Gehry, Studios Architecture (maître d’œuvre) essais de vieillissement accéléré. Formées à partir d’une tôle BET : Setec, T/E/S/S, Terrell d’acier inoxydable (1 mm d’épaisseur) avec effet de surface de Entreprises : groupement Vinci Construction France type lin tissé pour mieux vibrer à la lumière du jour, des cas- (mandataire), Eiffage Métal, Citynox (façade inox) settes en forme de briques (de 488 mm de hauteur, 150 mm MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 19
/ARCHITECTURES Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram Site naturel d’une beauté exceptionnelle, Château La Coste est une destination internationale réputée pour l’art et l’architecture. Doc. : RSHP
RICHARD ROGERS DRAWING GALLERY, CHÂTEAU LA COSTE, LE PUY-SAINTE-RÉPARADE Chai perché La promenade d’art et d’architecture(s) de Château La Coste vient de s’enrichir d’une « sensationnelle » galerie tout en cantilever. Le tout jeune retraité Richard Rogers parachève ici sa carrière près de 44 ans après s’être fait connaître en France avec l’érection du centre Georges-Pompidou, longtemps qualifié de raffinerie multicolore. NI VIN, NI ART, NI ARCHITECTURE EN PLUS, MAIS UN PROJET GLOBAL UNIQUE En 2004, l’homme d’affaires irlandais Patrick McKillen achète le domaine de Château La Coste dont le vi- gnoble n’occupe que 125 de ses 200 hectares. Amateur d’art et d’architecture contemporains, il se consacre à peupler le reste de la propriété d’œuvres – la plupart Photo : James Reeve créées pour elle. Vont successivement y voir le jour la cuverie de Jean Nouvel (2008), le pavillon de musique de Frank Gehry, le portail du domaine, une chapelle, le banc Origami, « quatre cubes pour contempler le paysage », et le centre d’art de Tadao Ando (2011), le pavillon d’exposition de photographies de Renzo La structure du bâtiment en porte-à-faux. Piano (2017), un centre d’exposition par Jean-Michel Wilmotte et une installation en bois dans une clairière par Kengo Kuma (2018). UN VRAI PORTE-À-FAUX… SINON RIEN ! En 2011, le maître des lieux invite Richard Rogers à venir choisir le site où bâtir une galerie d’exposition de des- Photo : James Reeve sins d’environ 120 m 2. Sur un versant nord arboré faisant face aux ruines antiques de la Quille, il retient un terrain escarpé, traversé par une ancienne voie romaine et lé- ché au sud par les vignes. L’architecte y concentre les trois gènes majeurs de son art, à savoir le moins d’ap- puis au sol, la couleur et la vue, tout en rendant hom- Conçue pour perturber le moins possible le site et son écosystème. mage à la maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright découverte au début des années soixante lors de ses études à Yale. Accessible par une passerelle de 6,50 m, le parallélépipède rectangle (6 x 27 x 6 m) – à structure à poutrelles d’acier et habillé de cassettes aluminium – abritant la galerie s’enchâsse dans un exosquelette (8 x 30 x 7 m) en tubes et ronds d’acier thermolaqué orange qui ne repose que sur deux rotules tout aussi colorées. Photo : James Reeve Ces dernières, comme les deux jeux de quatre câbles d’acier reprenant les efforts (1 000 t) depuis le bras le plus court, côté terre ferme, du cantilever, s’ancrent au sol via quatre massifs de béton lourdement ferraillés (100 m 3) où sont noyés des micropieux tubulaires – verti- caux ( jusqu’à 20,70 m) et inclinés à 45° ( jusqu’à 15,70 m) La structure supportée à partir d’une seule extrémité. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 21
/ARCHITECTURES Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram Doc. : RSHP Les poutrelles d’acier externes, orange, rétrécissent à mesure que la construction progresse au-dessus du vide. Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram Le moins d’appuis au sol, la couleur et la vue.
Photo : Ricardo Portela/Bysteel Toute l’ossature du projet a été préfabriquée en usine et acheminée dans le Lubéron. – allant chercher le bon sol sous les 20 m de couches argileuses et marneuses. Préfabriquée en usine, l’ossa- ture a été transportée par la route dans le Lubéron, puis acheminée sur site par un semi-remorque via une piste agricole. Cet ouvrage en cantilever projette, gracile, ses 239 t dans le vide, 10 m au-dessus du sol naturel. Imma- culée, la galerie de 27 m de longueur semble opérer à l’inverse d’une chambre noire en s’achevant en balcon d’où embrasser les ruines de la Quille se détachant à l’avant du parc national du Lubéron ! Maître d’ouvrage : Paddy (Patrick) McKillen, Château La Coste Architectes : Richard Rogers (Rogers Stirk Harbour + Partners-RSHP), Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram Demaria Architecture Ingénieur structure : Lang Engineering Consultancy, ATES MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 23
/ARCHITECTURES La cour Bareuzai à Dijon se situe au sein du centre-ville historique classé depuis 2015 au patrimoine mondial de l’Unesco. Un parti architectural alliant subtilement bâti très ancien et contemporanéité en réponse au commerce de demain.
COUR BAREUZAI, DIJON Nouvel âge d’or commercial à Dijon À deux pas du Palais des ducs de Bourgogne et en plein secteur sauvegardé, la Cour Bareuzai développe, avec le concours du bureau parisien de l’agence internationale basée à Londres, Chapman Taylor, quelque 2 300 m2 de commerces flambant neufs en doublant la superficie de deux hôtels particuliers classés au titre des Monuments historiques. HISTOIRES CROISÉES Riche commerçant (mercier et négociant en grains), Odinet Godran fait construire un hôtel particulier vers 1450 au cœur de la cité historique dont ne subsistent que le corps principal (rue des Godrans) et sa remar- quable toiture en tuiles plates vernissées, une tourelle aux baies en accolade (côté place du Bareuzai) et un passage voûté en ogives reliant les cours avant et ar- rière, classés entre 1941 et 1947. Aux 16 e et 17 e siècles, un autre bourgeois fortuné y adosse l’hôtel Jacqueron classé dès 1927. L’ensemble abrita, de 1960 à 1973, le commissariat central de l’agglomération avant d’héberg er le centre d’action sociale municipal, fermé en 2013. Dans le cadre de sa politique de recentrage des activités commerciales dans ce quartier – dont les Des extensions réalisées en structure métallique… vignerons y résidant portaient des bas roses (bareuzai en bourguignon) – entré au patrimoine mondial de l’Unesco en 2015, la municipalité, propriétaire des lieux, a lancé une consultation opérateur-architecte visant à requalifier ce site stratégique. En y autorisant des exten- sions doublant pratiquement la surface du bâti protégé (1 200 m 2), l’ensemble devait impérativement être af- fecté à des surfaces commerciales d’au moins 400 m 2, faisant alors cruellement défaut dans le centre-ville. HAUTE COUTURE URBAINE Porté par le promoteur local Fortuna Saint-Jean, le pro- jet conçu par Chapman Taylor emporta les suffrages du jury ayant « adoré » la subtilité de ses trois polyèdres … et révêtues de vitrages miroirs à haute performance thermique. asymétriques parés de murs-rideaux en vitrage mi- roir à haute performance thermique – réfléchissant leur noble environnement – et coiffés de surtoitures facettées en cassettes d’aluminium laqué champagne ! En effet, la complexité architecturale reposait sur le réaménagement optimisé de l’existant à des fins commerc iales et sa valorisation par des extensions n’entravant pas la perception du patrimoine histo- rique. Afin de ne pas empiéter sur l’accès plus étroit depuis la place Bareuzai, l’extension est en porte- à-faux, abritant ainsi le passage des piétons le long d’un mur végétalisé. Sur la gauche du porche de la rue des Godrans et dans son alignement, le volume à rez-de- chaussée de l’extension 1 (la plus vaste) se voit couron- né par celui du premier étage astucieusement déporté d’environ 30°, reflétant l’environnement à la façon Des sous-faces en métal laqué. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 25
/ARCHITECTURES
d’un kaléidoscope. Enfin, la dernière, la plus modeste, s’implante de plain-pied, telle une étroite véranda. Entièrement en acier, la structure de leurs couvertures à trois ou quatre pans se compose de poteaux en tubes ronds ou carrés, de poutres en tubes rectangulaires en simple appuis ou encastrées, ou en profilés du commerce de type E, de pannes en tubes carrés ou en profilés de type IPE posées déversées, servant d’ap- pui aux bacs acier et de cornières de contreventement complétant la stabilité horiz ontale. Maître d’ouvrage : Fortuna Saint-Jean Architecte : Chapman Taylor Paris BET : Archimen, BEC Carminati Photos : Stéphane Rouillard Dessins : Chapman Taylor MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 27
FLAGSHIP ENFANTS RICHES DÉPRIMÉS, /INTÉRIEURS RUE CHARLOT, PARIS Un showroom heavy metal Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste styliste revendique une couture élitiste… nihiliste ! Créateur de la marque californienne Enfants Riches Déprimés (ERD), le jeune Henri Alexander Levy a choisi Paris pour ouvrir son unique magasin dont il a confié la conception à l’architecte artiste Didier Fiúza Faustino. Derrière sa devanture originelle, l’ancienne échoppe de la rue Charlot, d’à peine 45 m2, recèle un écrin radical tout d’inox et de marbre aux allures de coffre-fort ! FILS DE… Fils d’un millionnaire géorgien, Henri Alexander Levy naît à Atlanta le 14 juillet 1991, il porte un premier prénom fran- çais. Enfant gâté, délaissé, bercé par Nirvana, l’adolescent alterne écoles privées et centres de désintoxication où échoue une partie de la jeunesse dorée américaine. Ayant finalement entrepris des études artistiques à l’Ucla, il com- La boutique brouille les codes pour offrir un espace froid, sans affect. mence par œuvrer dans l’art contemporain tout en fréquen- tant les univers de la musique et de la mode. Il « customise » quelques T-shirts à partir de ses dessins et/ou de messages ironiques d’esprit punk/grunge. Ayant remarqué son travail, Kanye West le recrute comme directeur artistique de sa propre marque. En 2012, il créé, à Los Angeles, son label qu’il baptise d’un nom français, Enfants Riches Déprimés cor- respondant à son cœur de cible dont il partage les origines et le parcours, prêt à dépenser des fortunes pour des pièces basiques devenues uniques une fois « bousillées » par ce jeune affairiste nihiliste. Très vite, ces « œuvres d’art por- tables » exclusives séduisent à leur tour les Guns and Roses, Justin Bieber, la veuve de Kurt Cobain ou encore le rappeur coréen G-Dragon. Cela lui vaut d’intégrer les rayons des créateurs émergents d’une douzaine de department-stores internationaux. DE L’ÉCHOPPE AU FLAGSHIP L’envie d’ouvrir à Paris, capitale mondiale de la mode, sa pre- mière boutique fait son chemin. Ayant, entretemps, acquis en galerie une œuvre de Didier Fiúza Faustino, il demande à le rencontrer. Ils vont ainsi se retrouver à plusieurs reprises deux années durant, apprendre à se connaître et lier une amitié créative. C’est donc en toute logique que le styliste arty sollicite son nouvel ami pour imaginer sa future adresse parisienne. Entre pop-up d’une marque alternative de niche et lieu d’exposition de pièces uniques à forte valeur ajoutée, le choix d’un petit lieu symbolique s’impose aux deux créa- S’inspirant du bunker, elle associe marbre et acier. teurs dans une démarche paradoxalement situationniste.
Des impacts sculptés dans les parois d’inox ménagent des alcôves de marbre gris. « La boutique : une zone grise contenue, un boudoir géométrique, des limbes chirurgicales… … l’espace a été conçu comme une scène faite de métal et de pierre pour enfermer l’expérience du désir. » Didier Faustino MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 29
/INTÉRIEURS Doc. : Mésarchitecture En effet, l’internationale situationniste aspirait à en finir avec quelques rares pièces s’y exposent dans des niches comme la société de classe et « la dictature de la marchandise » ! creusées dans le parement d’acier inoxydable et de marbre Enfants Riches Déprimés s’installe donc dans le haut Marais, gris veiné tapissant tout le volume du sol au plafond et se dans une ancienne échoppe d’artisan bijoutier sise réfléchissant mutuellement, à commencer par le cylindre au 79 rue Charlot, dont les compères décident de garder la de la cage d’escalier. Ce monolithe minéral volontairement devanture très parisienne. L’espace de 45 m2 se développe sur froid, pour ne pas dire glacial, oscille entre l’écrin radical et le deux niveaux, le sous-sol ayant abrité l’atelier de bijouterie. coffre-fort protecteur, le sous-sol faisant alors office de salle Le challenge était, tout à la fois, de le rendre le plus grand des coffres. Mais avec son plafond en daim anthracite mate- possible tout en le rendant exclusif, les clients devant y être lassé, sa moquette vert artificiel et son tout aussi mousseux reçus quasiment individuellement après avoir sonné à la canapé « ABCD » de Pierre Paulin, celle-ci se veut d’abord un porte sur rue commandée. Jouant sur l’ambivalence et le salon d’essayage très particulier où endosser les rares pièces contraste, le concept proposé par l’architecte va à l’encontre suspendues à des tringles en lévitation ou chaussures et ac- de la boutique-vitrine de mode aux linéaires présentant un cessoires « nichés » ici et là – incarnant un luxe hype(r) trash. maximum de produits. Ici, aucun vêtement ni accessoire en « La boutique ERD est une zone grise fermée, un boudoir vitrine puisque Didier Fiúza Faustino a évidé le plancher du géométrique et un limbe chirurgical, commente ainsi Didier rez-de-chaussée au droit de cette dernière et d’une super- Fiúza Faustino. L’espace a été façonné comme une scène ficie égale à celle du vitrage sur rue. Cette trémie a pour construite en métal et en pierre pour enfermer l’expérience fonction d’offrir un puits de lumière naturelle au sous-sol du désir. » – jusque-là aveugle – et un aperçu plongeant sur sa mo- quette vert mousse. Elle met aussi à distance le reste du rez- de-rue, traité à la façon d’une mezzanine du sous-sol, juste Maître d’ouvrage : Enfants Riches Déprimés accessible depuis une sorte de passerelle et dépourvue de Architecte : Didier Fiúza Faustino (Mésarchitecture) banque d’accueil. Sous des allures davantage muséales, Photos : David Boureau
Quelques rares pièces sont exposées dans des niches comme creusées dans le parement d’acier inoxydable. L’escalier s’enroule autour d’un monolithe minéral jusqu’à un espace horizontal percé d’une trémie où apparaît le ciel en contre-plongée. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 31
/DOSSIER ARCHITECTURE ET INDUSTRIE, UN DÉFI CONTEMPORAIN Alors que, dans les années 1980, le poids du secteur industriel représentait encore 20 % du PIB, il n’est plus, aujourd’hui, que de 12 %. Sans revenir sur les multiples raisons de ce « décrochage industriel », la crise sanitaire a éclairé d’une façon nouvelle l’idée qu’il était désormais urgent de relocaliser certaines productions en France. Un retour des industries est donc souhaité sur le territoire. Mais ces usines 4.0 devront notamment être attentives à une efficiente intégration des défis. Tant dans leurs modalités de production que dans la conception même de leurs bâtiments. De nouvelles architectures pour de nouvelles industries donc, un véritable défi pour l’avenir. L’usine L’Oréal d’Aulnay-sous-Bois ; Valode & Pistre ; Équerre d’argent 1992.
Photo : Georges Fessy MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 33
/DOSSIER Photo : Takuji Shimmura L’usine Simond de l’agence Patriarche, dans la vallée de Chamonix, au pied du mont Blanc. À l’échelle de l’histoire de l’architecture, l’usine est un pro- pleinement les innovations du monde de la construction, gramme récent dont l’apparition est communément située avec notamment la mise en œuvre de nouveaux matériaux, en Angleterre à la fin du 18e siècle, berceau de la Révolution telle la fonte. Au début du siècle suivant, quelques architectes industrielle. Les fabriques – factories – remplacent les manu- précurseurs voient en l’usine l’opportunité d’une écriture re- factures, la main cède la place à la machine, et les églises de nouvelée en se libérant du dictat de l’académisme, comme ce nouveau monde sont à la recherche de modèles. Les pre- Walter Gropius avec l’usine Fagus (1911). Mais, encore une miers bâtiment-usines sont conçus comme des outils et direc- fois, les quelques exemples iconiques ne font pas école, et tement intégrés au processus industriel. Les ingénieurs seront le Mouvement moderne se préoccupera davantage du loge- donc les premiers interlocuteurs des entrepreneurs, l’objectif ment et de l’urbanisme, même si, à l’image de Le Corbusier, des édifices étant d’accueillir des machines et leurs travailleurs. beaucoup font référence à l’usine dans leurs manifestes. Efficacité, simplicité, modularité : tels sont les premiers atten- Il faudra attendre les années 1970 et 80 pour que l’architecture dus de ces nouveaux édifices. En 1796, l’architecte Charles réintègre le milieu industriel. Certaines entreprises prennent Bage conçoit à Shrewsbury, en Angleterre, un ouvrage à en effet conscience de l’intérêt de valoriser leur image en fai- structure métallique qui préfigurera le plan libre que toutes sant appel à des architectes, mais ces recours sont loin d’être les usines adopteront : un bâtiment en briques, composé de systématiques. Ils sont souvent perçus comme des dépenses plusieurs niveaux supportés par des colonnes et poutres en superflues, alors que l’ingénieur a théoriquement les capaci- fonte libérant l’espace à chaque étage en vue d’accueillir l’ou- tés de régler les problèmes techniques en tout genre. til de travail. Mais cet exemple n’a valeur que d’exception : À travers quelques exemples choisis, une promenade archi- il faudra attendre le milieu du 19e siècle pour que les indus- tecturale dans les réalisations de ces trente dernières années triels fassent appel aux architectes, mais, le plus souvent, pour permet de révéler l’extraordinaire diversité des bâtiments « habiller » leurs usines à la recherche d’une reconnaissance so- industriels et les apports de l’architecte dans la conception ciale. Ils sont donc réduits à ornementer les édifices, à l’image de ces programmes singuliers où les solutions structurelles de l’usine de tapis Templeton à Glasgow (architecte : William métalliques sont très souvent sollicitées. Leiper, 1892) : une copie fidèle du palais des Doges à Venise ! CHOIX DU SITE RENOUVEAU ARCHITECTURAL Si une grande majorité des bâtiments d’entreprises s’im- Le 19e siècle aura été celui des ingénieurs, des inventeurs. plantent dans des lieux « neutres », anciens terrains agricoles Et des bâtiments industriels produits en masse en utilisant en périphérie des villes ou zones industrielles standardisées,
Photo : Patrick H Müller L’usine Valeo à La Suze-sur-Sarthe, Jacques Ripault Architecture. Photo : Julien Abinal La maroquinerie des Ardennes pour Hermès ; Patrick Berger et Jacques Anziutti Architectes ; conception architecturale : Patrick Berger. le siège social de Simond est venu s’inscrire dans un site exceptionnel : la vallée de Chamonix. Un programme mixte associant bureaux et ateliers de production de matériel et venant se déployer au pied du massif du mont Blanc. L’architecture proposée par l’agence Patriarche échappe au formalisme classique des édifices industriels pour répondre simultanément au contexte paysager grandiose, mais égale- ment à une topographie prégnante. Une œuvre à la géomé- trie complexe faisant écho aux silhouettes découpées des montagnes environnantes. L’acier est employé dans les élé- ments structurels, mais aussi en vêture extérieure : la coque de l’édifice d’apparence opaque est une peau microperfo- rée qui donne à voir l’ensemble des massifs alentour depuis les postes de travail. Bien plus au nord, au cœur des Ardennes, la société Hermès a confié la réalisation d’une manufacture de fabrication de sacs aux architectes Patrick Berger et Jacques Anziutti. Un contexte fort, un site remarquable à l’instar de celui de Simond. À un paysage bucolique, une douce prairie en pente venant se perdre dans la Meuse, les architectes répondent par une écriture tout aussi radicale que délicate. L’édifice n’est pas ancré au sol, mais très légèrement surélevé : il repose in- tégralement sur une plateforme posée sur pilotis et semble Photo : Patrick H Müller flotter au-dessus des herbages, sans effort. La radicalité de l’écriture des architectes tient dans une trame structurelle forte et revendiquée. Un même module vitré est répété sur l’intégralité des façades, une rythmique verticale intense modulée uniquement par la présence d’une nef traversante à double hauteur ouverte sur le fleuve en contrebas. MATIÈRES #11 • JUILLET 2021 35
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