MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine

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MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
MATIÈRES
N°11 / Juillet 2021

                              L A N O U V E L L E R E V U E D E L ’ A R C H I T EC T U R E AC I E R

                      ARCHITECTURES                      DOSSIER                           PORTRAIT
                       La Samaritaine         Architecture et industrie,                Paul Chemetov
                           à Paris             un défi contemporain
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
/ÉDITO
                                ACIER AVEC AMOUR

Jeune architecte, j’étais fasciné par l’absolue justesse des            Dans cette recherche, comment ne pas feuilleter les cata-
angles creux des structures de Ludwig Mies van der Rohe                 logues des profils métalliques comme les pages d’un dic-
comme par l’épure graphique de la maison Farnsworth.                    tionnaire dont il nous resterait à utiliser tous les mots pour
En ces temps, le béton régnait en maître en France, et                  en faire un « métatexte ». Les utiliser comme un alphabet,
nous étions taxés de brutalistes parce que nous en mon-                 une sorte de b.a.-ba constructif.
trions la texture et la plasticité, à l’opposé de la répétition         De mon enfance, je garde en mémoire un des nombreux
du même à l’infini des logements de masse.                              paradoxes dont mon père, graphiste, émaillait sa conver-
La vertu de l’acier était et reste dans le ready made de ses            sation : « On n’écrit pas “amour“ comme “acier“, disait-il,
profilés, leur précision, leur côté quasiment typo­graphique.           sauf si l’on veut produire un effet décalé. » Il pensait sans
Mais tout autant dans la chaudronnerie des tôles à                      doute aux anglaises typographiques, à leurs boucles,
double courbure, l’acier permet la résille et le continu,               leurs pleins et déliés, trop graciles pour dire la rectitude
comme le béton quand il est utilisé dans la gamme de ses                orthonormée du mot « acier ». Mais pourquoi faudrait-il se
possibles.                                                              laisser enfermer dans l’évidence apparente de tout para-
Pourquoi exclure un matériau, alors que l’intérêt est de                doxe ? Acceptons le plaisir des effets décalés, de la trans-
les rendre compatibles, de les utiliser tous au mieux de                gression des normes au profit des plaisirs des formes.
ce qu’ils peuvent apporter de mémoire et d’imaginaire                   Écrivons donc « acier » avec amour.
dans les projets que nous avons à construire. Étymologi-
quement, les assembler. Ensemble et non séparément.                     Paul Chemetov

En couverture : la Samaritaine à Paris ; Sanaa, SRA, Jean-François Lagneau, François Brugel, Maison Édouard François, Yabu Pushelberg.
Photo : Jared Chulski

                                                                                                        MATIÈRES #11 • JUILLET 2021      3
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
/SOMMAIRE
                                                           3      ÉDITO
Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine

                                                           6      ENVIES

                                                           9      ICÔNE
                                                           	Hommage assumé à la chaise de Harry Bertoia,
                                                                  « Wired Chair » de Michael Young utilise le fil
                                                                  d’acier décliné, ici, en version mate et l’entrelace
                                                                  de manière organique. Une feuille et ses nervures
                                                                  se dessinent. Les angles s’arrondissent et les cou-
                                                                  leurs s’adoucissent pour un appel à la sérénité.
                                                                  Graphique et légère, elle évolue dans tous les dé-
                                                                  cors, et son piètement luge lui assure un bel avenir.

                                                                  ARCHITECTURES
                                                           10     Rénovation de la Samaritaine, Paris
                                                           16     Fondation Luma, Arles
                                                           20	Richard Rogers Drawing Gallery, Château La Coste,
                                                                  Le Puy-Sainte-Réparade
                                                           24     Cour Bareuzai, Dijon
Photo : David Boureau

                                                           28     INTÉRIEURS
                                                                  Flagship Enfants Riches Déprimés, rue Charlot, Paris

                                                           32     DOSSIER
                                                                  Architecture et industrie, un défi contemporain

                                                           42     MAÎTRISE
                                                                  Structures métalliques
Photo : Takuji Shimmura

                                                           46     PORTRAIT
                                                                  Paul Chemetov

                                                                  CHANTIERS
                                                           49	Site de maintenance et de remise et poste de
                                                                  comman­dement centralisé, Champigny-sur-Marne
                                                           52     Immeuble de bureaux Pergolese à Paris

                                                           54     FIGURES
                                                                  Jérôme Scoffoni
Doc. : Richez Associés

                                                           57     ATELIER
                                                                  Façades : quand l’acier architecture l’enveloppe

                                                           58     PROCHAIN NUMÉRO, GROS PLAN SUR…

                                                                                      MATIÈRES #11 • JUILLET 2021     5
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
SIMONE PROUVÉ AU CENTRE POMPIDOU
/ENVIES

                           Simone Prouvé a rejoint les collections du centre national d’art et de
                    culture Georges-Pompidou. Avec l’acquisition par le Musée national d’art
           moderne de plusieurs pièces qui rejoignent les collections – complétée d’un don
           comprenant notamment un très grand panneau en inox réalisé dans la continuité
          de la commande de l’architecte Claude Parent –, le centre Pompidou accorde ainsi
            à Simone Prouvé la reconnaissance de toute une vie de création. C’est, à 60 ans,
               déjà riche d’une carrière impressionnante auprès d’architectes contemporains
            que Simone Prouvé, fille de Jean Prouvé, se lance dans l’exploration et le tissage
               des fils dits « non feu », des fibres d’aramide et métalliques. Présenté au public
              dès la réouverture du 19 mai, dans une salle dédiée au niveau 4 du musée, cet
              ensemble est composé de huit pièces majeures, des premiers tissages réalisés

                                                                                                                                           Photo : Vivian Daval-ADAGP
             en 1954 à son retour de Scandinavie aux grands panneaux tissés de fils non feu
                qui ont fait sa renommée dans l’univers du design et de l’architecture. Afin de
            mieux appréhender les recherches entreprises par l’artiste, une vitrine rassemble
                    quelques cahiers de teinture et d’échantillons de matériaux, ainsi que des
            études de tissages avec différents fils d’inox et de cuivre. Enfin, une sélection de
                                photographies de Simone Prouvé vient compléter l’accrochage.
                       Simone Prouvé au centre Georges-Pompidou, niveau 4 du musée,
                                             salle 12, place Georges-Pompidou, 75004 Paris           Simone Prouvé.

                                                        « SIÈGES MODERNES, LE MOBILIER NATIONAL
                                                        INVITÉ À LA VILLA SAVOYE »
                                                        En partenariat avec le Mobilier national, le Centre des monuments nationaux
                                                        présente l’exposition « Sièges modernes, Le Mobilier national invité à la villa
                                                        Savoye ». Au sein de ce monument emblématique de Le Corbusier sont
                                                        installés une vingtaine de sièges contemporains issus des collections
                                                        du Mobilier national et conçus par l’Atelier de recherche et de création (ARC).
                                                        Ces pièces font écho au génie créatif de Le Corbusier et à la grande
                                                        modernité des assises conçues au début du 20e siècle dans le cadre
                                                        de ses recherches sur l’acier tubulaire. À découvrir également, entre autres,
                                                        la chaise Caddy d’Olivier Mourgue, les poufs d’André Monpoix, la chaise
                                                        en métal d’Édouard Albert et un fauteuil à bascule de Richard Peduzzi…
                                                        Jusqu’au 26 septembre à la villa Savoye, 82 rue de Villiers à Poissy

                                                                                                                                               Photo : WeAreContents/Stéphane Aboudaram

          MÉTALEXPO 2021 : LE RETOUR
          Rendez-vous porte de Versailles à Paris
          pour l’édition 2021 de Métalexpo,
          le salon du métal dans la construction           La Galerie de Richard Rogers à Château Lacoste.
          à destination des professionnels
          de la métallerie et de la maîtrise                     PROMENADE D’ART ET D’ARCHITECTURE À CHÂTEAU LA COSTE
          d’œuvre. Rencontrez les métalliers                       Au cœur de la Provence, à travers vignes, pinèdes et champs d’oliviers,
          et leurs partenaires, découvrez leurs                         explorez en toute liberté le domaine viticole de Château La Coste.
          savoir-faire, explorez l’ambiance d’un                     La collection compte une quarantaine d’œuvres, principalement des
          authentique atelier… Retrouvons-nous,                        sculptures, et de très grands noms de l’architecture, parmi lesquels
          en toute convivialité sur le stand de              Jean Nouvel, Frank Gehry, Renzo Piano, Tadao Ando et Richard Rogers dont
          l’Union des métalliers !                            la sensationnelle « Galerie » tout en porte-à-faux vient d’investir ce domaine
          Salon Métalexpo,                                                             de 124 hectares de vignobles sur 200 (lire page 20).
          du 21 au 24 septembre 2021 à Paris,                               La Promenade d’Art et d’Architecture de Château La Coste,
          porte de Versailles, hall 1                                           2750 route de la Cride, 13610, Le Puy-Sainte-Réparade
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
LE DESIGN DE MÉTAL À LA MAISON DE FER

                                      Parallèlement à l’exposition « Sièges modernes » et à quelques encablures
                                      de la villa Savoye, le Mobilier national s’associe à la Maison de Fer de Poissy pour
                                      présenter « Le design de métal », un ensemble d’œuvres et de prototypes en
                                      métal conçus par l’ARC avec des designers contemporains.
                                      Une collaboration exceptionnelle qui met en avant les savoir-faire autour du métal
                                      à travers une dizaine de pièces et de leur processus de fabrication.
                                      De quoi mettre en lumière l’innovation du matériau porté en commun par la Maison
                                      de Fer construite en 1896 dans le cadre d’un processus industriel. Une console en
                                      inox martelé d’Olivier Védrine (technique rarement utilisée), le prototype du lustre
                                      de Jean Nouvel pour le Louvre Abu Dhabi et la chaise de Martin Szekely tout en acier
                                      et laiton, comptent parmi les pépites de cette belle exposition.
                                      Jusqu’au 26 septembre, à la Maison de Fer, 2 ter allée des Glaïeuls à Poissy

                LA BEAUTÉ D’UNE VILLE, CONTROVERSES ESTHÉTIQUES
                               ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE À PARIS
Qu’est-ce qui fait la beauté d’une ville ? Comment se définit, en fonction des
projets et des contraintes de chaque siècle, l’esthétique urbaine ? Depuis le
 début du deuxième confinement à l’automne 2020, le Pavillon de l’Arsenal
  réunit une cinquantaine d’architectes, artistes, commissaires d’exposition,
           historiennes et historiens, paysagistes, philosophes, sociologues,
       urbanistes... pour tenter d’appréhender ce qui fait la beauté de Paris.
 Autant de questions et d’histoires qui invitent les visiteurs à parcourir Paris
 depuis le 18e siècle, un pied dans l’histoire, l’autre engagé sur les chemins
  de la transition écologique, pour continuer à débattre au fil d’un parcours
       scénographique rythmé par une centaine de documents historiques,
                             de plans, de photographies, d’entretiens vidéos.
                              Jusqu’au 26 septembre, au Pavillon de l’Arsenal,
                                            21 boulevard Morland, 75004 Paris

                                       EXPOSITION ÉVÉNEMENT DE MANUELLE GAUTRAND À FIRMINY
                                       Le site Le Corbusier de Firminy-Vert consacre une exposition événement
                                       à Manuelle Gautrand. Connue pour sa « balise urbaine » qu’est le bâtiment Grüner
                                       à Saint-Étienne, l’architecte interroge, depuis la création de son agence, la ville et
                                       son architecture. Elle oppose ainsi une « architecture de la vie » à la ville oppressive
                                       perçue comme une machine fonctionnelle qui ne raconte rien. Et invite par son
                                       œuvre à réenchanter la ville en l’embellissant par des « surprises architecturales »,
                                       sources d’émotions et d’esthétisation du monde.
                                       Jusqu’en janvier 2022, site Le Corbusier, église Saint-Pierre,
                                       29 rue des Noyers, 42700 Firminy

                                    REMISE DES PRIX DES TROPHÉES EIFFEL 2021
      C’est le mardi 5 octobre que les neuf lauréats des 7e Trophées Eiffel, organisés
    par ConstruirAcier, se verront remettre leurs distinctions à l’occasion de la Steel.in,
     cérémonie des prix de l’architecture acier. Sous la présidence de Marc Mimram
     et d’un jury composé d’architectes, d’ingénieurs et de journalistes, cette édition
                  2021 récompense les œuvres réalisées tout ou partie grâce à l’acier
                dans neuf catégories : Apprendre, Architecture et Ingénierie, Divertir,
                         Franchir, Habiter, Travailler, Voyager, Innover et International.
                                                    En savoir plus : www.construiracier.fr

                                                                                              MATIÈRES #11 • JUILLET 2021     7
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
WIRED CHAIR

                                                                                                                                       /ICÔNE
                                                       Michael Young
Photo : studioblanco

                       	« L’une des chaises les plus fascinantes au monde est la chaise “Wire“ de Bertoia ; “Wired Chair“
                         revisite une inspiration pour moi en tant que jeune designer. Dans les années 1990, j’ai beaucoup
                         travaillé le fil d’acier dans les ateliers de Tom Dixon, cela m’a toujours fasciné. Cette chaise, c’est
                         tout d’abord une expérimentation sur la construction d’une structure pour s’asseoir. Et la forme
                         esthétique obtenue n’est, finalement, qu’une partie gratifiante de ce processus. »
                                                                                                               Michael Young

                       Hommage assumé à la chaise de Harry Bertoia, « Wired Chair » de Michael Young utilise le
                       fil d’acier décliné, ici, en version mate et l’entrelace de manière organique. Une feuille et ses
                       nervures se dessinent. Les angles s’arrondissent et les couleurs s’adoucissent pour un appel
                       à la sérénité. Graphique et légère, elle évolue dans tous les décors, et son piètement luge lui
                       assure un bel avenir. Finitions : structure métallique avec revêtement en poudre mat gris clair,
                       jaune foncé, bleu clair, noir. « Wired Chair » est éditée par La Manufacture.
                                                                                                     MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   9
MATIÈRES ARCHITECTURES - La Samaritaine
/ARCHITECTURES

Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine
RÉNOVATION DE LA SAMARITAINE,
                 PARIS
                             Le triomphe de l’acier
Seize ans après sa fermeture, la Samaritaine revient sur le devant de la scène parisienne,
sous pavillon LVMH. Les Parisiens vont y (re)découvrir la « classe » de son architecture,
à commencer par la richesse retrouvée de ses ouvrages métalliques !

Cette « cathédrale du commerce moderne », selon Émile
Zola, est le fruit de l’esprit visionnaire d’un petit vendeur de
tissus à la sauvette. Homme de goût ayant le sens des af-
faires, Ernest Cognacq poursuivit la croissance diversifiée
de son commerce en saisissant toutes les opportunités fon-
cières jusqu’à investir, entre 1870 et 1930, quatre îlots stra-    Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine
tégiquement situés entre le pont Neuf et la rue de Rivoli.
Tantôt se contentant de réunir les immeubles, tantôt les
restructurant plus ou moins lourdement, voire à les recons-
truire, il sût s’attacher les talents de Frantz Jourdain et de
Henri Sauvage. Ces deux architectes emblématiques de l’Art
nouveau et de l’Art déco firent massivement appel à l’acier
pour son faible encombrement à portée égale et la rapidité
de sa mise en œuvre. Aucun grand magasin parisien ne
parvint à faire aussi élégamment l’éloge de ce matériau se
mariant si bien au verre et se prêtant à merveille au décor.
Son déclin progressif mais inexorable conduisit à son rachat
par LVMH en 2001. Faute d’entretien suffisant prolongé,
le grand magasin ferme définitivement quatre ans plus tard.
Un vaste audit fut alors engagé pour définir un nouvel avenir
à ces quatre bâtiments.

LA POURSUITE DU PALIMPSESTE                                                                                                   Au cœur de Paris, la « cathédrale du commerce moderne ».

Depuis 2009, l’agence japonaise « pritzkérisée » Sanaa su-
pervise la reconstruction du magasin 4 et la restructuration
complète des trois bâtiments mitoyens du 2 – inscrit à l’Inven-
taire supplémentaire des monuments historiques en1990 –
traitée ci-après. Situé au nord, Jourdain Plateau est le plus
                                                                   Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine

ancien (1891-1910) et, surtout, le plus éclectique. Devant ac-
cueillir quatre niveaux de commerces (R - 1/R + 2), une crèche
et des bureaux organisés autour d’un nouvel atrium, la tota-
lité des planchers d’origine a été démolie après stabilisation
de l’ensemble des façades sur une profondeur intérieure
de 3 à 5 m via des palées provisoires contreventées verti­
calement par des croix de Saint-André. Plusieurs cheva-
lements spectaculaires en infrastructure et renforcements
des éléments porteurs conservés ont été nécessaires pour
reprendre la nouvelle structure à poteaux-poutres (rivetés
en atelier ou sur place) des six niveaux ceinturant l’atrium
couvert par une verrière en dôme inversé. Les façades sur
rues ont recouvré leurs décors fleuris originels.
Entièrement consacré au commerce, Jourdain Verrière
(1906-1910) retrouve tout le faste de son majestueux esca-
lier central en ferronnerie que douche de la lumière du jour
la mythique verrière Art nouveau (37 x 20 m). Celle-ci a dû
être stabilisée afin que puissent être démontés les ouvrages                                                                  La façade Art nouveau, rue de la Monnaie.

                                                                                                                                                             MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   11
/ARCHITECTURES

                                                                                                                                                  Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine
                 Transformé en palace, le bâtiment Art déco d’Henry Sauvage conserve ses façades de pierre.

                                                                                                                                                  Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine

                 Une fidélité à l’intention des architectes : vouloir la modernité, même radicale, travailler les détails, oser les contrastes.
Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine

                                                           Une ondulation irrégulière composée de 343 panneaux de verre courbés et sérigraphiés de 2,70 m x 3,50 m, pesant de 600 à 1 250 kg,
                                                           qui ne reposent que sur deux points d’appui.
Photo : Pierre-Olivier Deschamps, Agence Vu’/Samaritaine

                                                           L’enveloppe extérieure d’une triple peau de verre qui confère au bâtiment Rivoli son clos et couvert, sa régulation thermique
                                                           et ses propriétés de résistance au feu.

                                                                                                                                                                    MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   13
/ARCHITECTURES

                                                                        Photo : Jared Chulski/SRA
                 La spectaculaire verrière de 1907.

                                                                        Photo : Sanaa

                 Toute la richesse de l’architecture acier retrouvée.
Photo : Jared Chulski/SRA

                            Les patios réinterprètent le goût de Jourdain pour la lumière naturelle.

                            périphériques en combles entièrement restructurés. L’en-                   Afin de conserver leur fine modénature originelle aux
                            semble des planchers métalliques – originellement pavés de                 585 châssis extérieurs des bâtiments Jourdain et aux 170 de
                            dalles de verre – a été renforcé par des contre-poteaux pour               celui de Sauvage, KDI a retenu les profilés acier ultrafins à
                            reprendre les charges supplémentaires dues aux réaména-                    haute isolation thermique Unico et Unico XS de Forster avec
                            gements intérieurs et à la mise en œuvre des escalators sur                une structure alvéolaire en inox.
                            tous les niveaux en utilisant des techniques de poutres rive-
                            tées. Le confort thermique imposa le recours à des doubles                 Maîtrise d’ouvrage : Grands Magasins de la Samaritaine
                            vitrages, dont un en Electrochrome, d’autant plus lourds qu’il             Architectes : Sanaa, SRA, Jean-François Lagneau
                            lui fallait conserver l’étroit pas initial de 45 cm de largeur             (Lagneau Architectes), François Brugel Architectes Associés,
                            complexifiant leurs joints et couvre-joints. D’où le renforce-             Maison Édouard François, Yabu Pushelberg
                            ment de sa charpente.                                                      Maître d’œuvre d’exécution : Egis Bâtiments Management, RFR
                            Métamorphosé en palace sous enseigne Cheval Blanc,                         BET structure : Aedis, Terrell
                            le bâtiment Sauvage (1926-1928) conserve la totalité de ses                Entreprise générale : Petit (Vinci Construction France)
                            façades en pierre Art déco. Mais son changement d’affecta-                 Métallerie : SMB, CCS, Viry, KDI
                            tion a conduit à d’importantes reprises en infrastructure par
                            chevalement et vérinage, au renforcement des attaches prin-
                            cipales des planchers pour reprendre les nouvelles charges,
                            au changement des poutres-profils de plancher dans les
                            étages supérieurs pour gagner de la hauteur sous plafond
                            et à la mise en œuvre de connecteurs sur les poutres pour
                            travailler en ossature mixte. À cela s’ajoute la création de tré-
                            mies pour les monte-charge, ascenseurs et l’escalier de la
                            partie centrale.

                                                                                                                                    MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   15
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                                                                                                                                                       Photo : Dronimages
                 Le nouvel édifice de Frank Gehry, pièce maîtresse d’un campus de 11 hectares au Parc des Ateliers à Arles.

                                                                                                                                                       Photo : Rémi Benali

                 La spectaculaire tour de 15 000 m2 dont la structure géométrique torsadée s’est achevée par la pose de 11 000 panneaux métalliques.
FONDATION LUMA, ARLES
                     Totem arlésien inoxydable
Commandés en 2007 à Frank Gehry par la mécène suisse Maja Hoffmann, la Fondation Luma
et son Parc des Ateliers ont été inaugurés fin juin après huit ans de travaux. Au sud de la cité
d’Arles, les anciens ateliers des chemins de fer cèdent la place à un « archipel » culturel que
signale la spectaculaire tour facettée d’acier inoxydable de l’architecte californien, véritable
exploit technologique.

« Nous voulions évoquer l’ancrage local depuis La Nuit étoilée
de Vincent Van Gogh à l’émergence des blocs rocheux
des Alpilles. La rotonde (le drum), quant à elle, fait écho aux
arènes romaines. » Frank Gehry.

FILIATIONS « FONDÉES »

Arrière-petite-fille du fondateur du laboratoire pharmaceu-
                                                                    Photo : Rémi Benali

tique F. Hoffmann-La Roche, la suissesse Maja Hoffmann peut
se revendiquer arlésienne. Son père Lukas – ornithologue fon-
dateur du Fonds mondial pour la nature – acheta, en 1947,
la Tour du Valat, domaine de 1 844 hectares sur la commune
d’Arles dont il classa 1 070 hectares en réserve naturelle
volontaire 39 ans plus tard. Il y installe le Centre de recherche                             Un campus créatif entouré de jardins.
pour la conservation des zones humides méditerranéennes.
En 2008, il finance la création de la Fondation Vincent Van
Gogh initiée par Yolande Clergue. Grande collectionneuse
d’art moderne, sa grand-mère Maja avait constitué, en 1933, la
Fondation Emanuel Hoffmann – son premier mari décédé acci-
dentellement à 36 ans une année plus tôt. Sa collection forme,
aujourd’hui, la base principale du musée Schaulager conçu en
2003 par le bureau d’architecture Herzog & de Meuron. Après
des études de cinéma à la New York School, Maja Hoffmann
réalise et produit, dans les années 1980, des documentaires
                                                                    Photo : Adrian Deweerdt

sur Peggy Guggenheim, Marina Abramovic, Jean-Michel
Basquiat et Robert Mapplethorpe. C’est à cette époque qu’elle
commence sa propre collection d’art contemporain. Mécène
d’institutions artistiques, elle supporte également le cinéma,
des programmes environnementaux internationaux, Human
Rights Watch. En 2004, la création de la Fondation Luma
parachève son engagement. L’association philanthropique                                       La tour de 56 m assise sur une rotonde vitrée.
interdisciplinaire promeut l’art, la culture, l’environnement,
les droits humains via la recherche, l’éducation et des archives.

ARCHITECTE DE FONDATIONS AGUERRI

Préféré à Gilles Perraudin, l’auteur du musée Guggenheim de
Bilbao (1997) et de la Fondation Louis Vuitton à Paris (2014) se
voit confier le bâtiment manifeste devant incarner la nouvelle
institution au sein des dix hectares du Parc des Ateliers – pay-
                                                                    Photo : Adrian Deweerdt

sagé par le belge Bas Smets – qui recycle plusieurs anciennes
halles ferroviaires. Frank Gehry « gribouille » une atypique
tour vrillée de 56 m de hauteur, assise sur une rotonde
cylindrique vitrée haute de 18 m, dont les 15 000 m2 s’en-
rochent, de part et d’autre d’une lame-noyau en béton
armé concentrant les circulations verticales et services, sur
neuf étages sous forme de « pétales » en planchers collaborants                               Un bâtiment manifeste.

                                                                                                                              MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   17
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                                                                                    DR

                                                                                                                                                    DR
                 Neuf étages sous forme de pétales en planchers collaborants et poteaux-poutres acier.

                                                                                                                                                    Photo : Rémi Benali

                 « Nous voulions évoquer l’ancrage local depuis La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh à l’émergence des blocs rocheux des Alpilles.
                 La rotonde, quant à elle, fait écho aux arènes romaines. » Frank Gehry.
Photo : Adrian Deweerdt

                          Suspendu à la structure primaire, chacun des bow-windows de verre est unique.

                          et poteaux-poutres acier. Intégrant deux failles de verre, leur       de profondeur et jusqu’à 1 515 mm de longueur), dont cer-
                          enveloppe d’environ 10 000 m2 enchevêtre 10 500 cassettes             taines doubles, en L ou en trapèze pour les zones délicates,
                          d’acier inoxydable autour de 46 bow-windows conférant à               viennent s’y fixer. Le système de fixation devait être invisible,
                          l’ensemble des allures de pyrite.                                     prendre en compte les contraintes climatiques (soleil, mistral),
                                                                                                sismiques, et anticiper l’intervention des cordistes (pose et
                          (AT)EXPLOITS                                                          maintenance). Les cassettes ont ainsi été clipsées (± 2 mm) via
                                                                                                deux supports métalliques préréglés et encastrés sur l’extré-
                          Sa mise en œuvre aura nécessité 100 000 heures d’études et            mité des raidisseurs des étagères. Suspendus à la structure
                          l’obtention d’au moins quatre Atex, dont celui de l’enveloppe         primaire et tous uniques, les bow-windows de verre sont
                          ici développée. Relevant davantage de l’ingénierie navale,            composés différemment pour satisfaire aux règles de C+D
                          une coque à facettes – ancrée sur la structure primaire en            selon leur orientation, leur emplacement et la présence éven-
                          acier galvanisé et préfabriquée à partir de tôles d’acier de          tuelle d’ouvrants, d’où le recours à des produits provenant de
                          3 mm d’épaisseur, pliées et soudées à la façon d’étagères –           plusieurs fournisseurs.
                          en constitue le support interne. Du côté intérieur, un isolant
                          en laine minérale de laitier à liant hydraulique est projeté          Maître d’ouvrage : Maja Hoffmann (Fondation Luma),
                          en deux couches (15 + 8 cm) maintenues par des aiguilles              Myamo (AMO)
                          métalliques. Celui-ci a été posé sans pare-vapeur à la suite des      Architectes : Frank Gehry, Studios Architecture (maître d’œuvre)
                          essais de vieillissement accéléré. Formées à partir d’une tôle        BET : Setec, T/E/S/S, Terrell
                          d’acier inoxydable (1 mm d’épaisseur) avec effet de surface de        Entreprises : groupement Vinci Construction France
                          type lin tissé pour mieux vibrer à la lumière du jour, des cas-       (mandataire), Eiffage Métal, Citynox (façade inox)
                          settes en forme de briques (de 488 mm de hauteur, 150 mm

                                                                                                                              MATIÈRES #11 • JUILLET 2021     19
/ARCHITECTURES

                                                                                                                                                         Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram
                 Site naturel d’une beauté exceptionnelle, Château La Coste est une destination internationale réputée pour l’art et l’architecture.

                                                                                                                                                       Doc. : RSHP
RICHARD ROGERS DRAWING
             GALLERY, CHÂTEAU LA COSTE,
               LE PUY-SAINTE-RÉPARADE
                                          Chai perché
La promenade d’art et d’architecture(s) de Château La Coste vient de s’enrichir d’une
« sensationnelle » galerie tout en cantilever. Le tout jeune retraité Richard Rogers parachève
ici sa carrière près de 44 ans après s’être fait connaître en France avec l’érection du centre
Georges-Pompidou, longtemps qualifié de raffinerie multicolore.

NI VIN, NI ART, NI ARCHITECTURE EN PLUS,
MAIS UN PROJET GLOBAL UNIQUE

En 2004, l’homme d’affaires irlandais Patrick McKillen
achète le domaine de Château La Coste dont le vi-
gnoble n’occupe que 125 de ses 200 hectares. Amateur
d’art et d’architecture contemporains, il se consacre à
peupler le reste de la propriété d’œuvres – la plupart
                                                               Photo : James Reeve

créées pour elle. Vont successivement y voir le jour la
cuverie de Jean Nouvel (2008), le pavillon de musique
de Frank Gehry, le portail du domaine, une chapelle,
le banc Origami, « quatre cubes pour contempler
le paysage », et le centre d’art de Tadao Ando (2011),
le pavillon d’exposition de photographies de Renzo                                   La structure du bâtiment en porte-à-faux.
Piano (2017), un centre d’exposition par Jean-Michel
Wilmotte et une installation en bois dans une clairière
par Kengo Kuma (2018).

UN VRAI PORTE-À-FAUX… SINON RIEN !

En 2011, le maître des lieux invite Richard Rogers à venir
choisir le site où bâtir une galerie d’exposition de des-
                                                               Photo : James Reeve

sins d’environ 120 m 2. Sur un versant nord arboré faisant
face aux ruines antiques de la Quille, il retient un terrain
escarpé, traversé par une ancienne voie romaine et lé-
ché au sud par les vignes. L’architecte y concentre les
trois gènes majeurs de son art, à savoir le moins d’ap-
puis au sol, la couleur et la vue, tout en rendant hom-                              Conçue pour perturber le moins possible le site et son écosystème.
mage à la maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright
découverte au début des années soixante lors de ses
études à Yale. Accessible par une passerelle de 6,50 m,
le parallélépipède rectangle (6 x 27 x 6 m) – à structure
à poutrelles d’acier et habillé de cassettes aluminium –
abritant la galerie s’enchâsse dans un exosquelette (8 x
30 x 7 m) en tubes et ronds d’acier thermolaqué orange
qui ne repose que sur deux rotules tout aussi colorées.
                                                               Photo : James Reeve

Ces dernières, comme les deux jeux de quatre câbles
d’acier reprenant les efforts (1 000 t) depuis le bras le
plus court, côté terre ferme, du cantilever, s’ancrent au
sol via quatre massifs de béton lourdement ferraillés
(100 m 3) où sont noyés des micropieux tubulaires – verti-
caux ( jusqu’à 20,70 m) et inclinés à 45° ( jusqu’à 15,70 m)                         La structure supportée à partir d’une seule extrémité.

                                                                                                                     MATIÈRES #11 • JUILLET 2021     21
/ARCHITECTURES

                                                                                                                                   Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram
                                                                                    Doc. : RSHP

                 Les poutrelles d’acier externes, orange, rétrécissent à mesure que la construction progresse au-dessus du vide.

                                                                                                                                   Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram

                 Le moins d’appuis au sol, la couleur et la vue.
Photo : Ricardo Portela/Bysteel

                                  Toute l’ossature du projet a été préfabriquée en usine et acheminée dans le Lubéron.

                                  – allant chercher le bon sol sous les 20 m de couches
                                  argileuses et marneuses. Préfabriquée en usine, l’ossa-
                                  ture a été transportée par la route dans le Lubéron, puis
                                  acheminée sur site par un semi-remorque via une piste
                                  agricole. Cet ouvrage en cantilever projette, gracile, ses
                                  239 t dans le vide, 10 m au-dessus du sol naturel. Imma-
                                  culée, la galerie de 27 m de longueur semble opérer à
                                  l’inverse d’une chambre noire en s’achevant en balcon
                                  d’où embrasser les ruines de la Quille se détachant à
                                  l’avant du parc national du Lubéron !

                                  Maître d’ouvrage : Paddy (Patrick) McKillen,
                                  Château La Coste
                                  Architectes : Richard Rogers
                                  (Rogers Stirk Harbour + Partners-RSHP),
                                                                                                      Photo : We Are Contents/Stéphane Aboudaram

                                  Demaria Architecture
                                  Ingénieur structure : Lang Engineering Consultancy, ATES

                                                                                                                                                   MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   23
/ARCHITECTURES

                 La cour Bareuzai à Dijon se situe au sein du centre-ville historique classé depuis 2015 au patrimoine mondial de l’Unesco.

                 Un parti architectural alliant subtilement bâti très ancien et contemporanéité en réponse au commerce de demain.
COUR BAREUZAI, DIJON
    Nouvel âge d’or commercial à Dijon
À deux pas du Palais des ducs de Bourgogne et en plein secteur sauvegardé,
la Cour Bareuzai développe, avec le concours du bureau parisien de l’agence
internationale basée à Londres, Chapman Taylor, quelque 2 300 m2 de commerces
flambant neufs en doublant la superficie de deux hôtels particuliers classés
au titre des Monuments historiques.

HISTOIRES CROISÉES

Riche commerçant (mercier et négociant en grains),
Odinet Godran fait construire un hôtel particulier vers
1450 au cœur de la cité historique dont ne subsistent
que le corps principal (rue des Godrans) et sa remar-
quable toiture en tuiles plates vernissées, une tourelle
aux baies en accolade (côté place du Bareuzai) et un
passage voûté en ogives reliant les cours avant et ar-
rière, classés entre 1941 et 1947. Aux 16 e et 17 e siècles,
un autre bourgeois fortuné y adosse l’hôtel Jacqueron
classé dès 1927. L’ensemble abrita, de 1960 à 1973,
le commissariat central de l’agglomération avant
d’héber­g er le centre d’action sociale municipal, fermé
en 2013. Dans le cadre de sa politique de recentrage
des activités commerciales dans ce quartier – dont les         Des extensions réalisées en structure métallique…
vignerons y résidant portaient des bas roses (bareuzai
en bourguignon) – entré au patrimoine mondial de
l’Unesco en 2015, la municipalité, propriétaire des lieux,
a lancé une consultation opérateur-architecte visant à
requalifier ce site stratégique. En y autorisant des exten-
sions doublant pratiquement la surface du bâti protégé
(1 200 m 2), l’ensemble devait impérativement être af-
fecté à des surfaces commerciales d’au moins 400 m 2,
faisant alors cruellement défaut dans le centre-ville.

HAUTE COUTURE URBAINE

Porté par le promoteur local Fortuna Saint-Jean, le pro-
jet conçu par Chapman Taylor emporta les suffrages du
jury ayant « adoré » la subtilité de ses trois polyèdres       … et révêtues de vitrages miroirs à haute performance thermique.
asymétriques parés de murs-rideaux en vitrage mi-
roir à haute performance thermique – réfléchissant
leur noble environnement – et coiffés de surtoitures
facettées en cassettes d’aluminium laqué champagne !
En effet, la complexité architecturale reposait sur
le réaménagement optimisé de l’existant à des fins
commer­c iales et sa valorisation par des extensions
n’entravant pas la perception du patrimoine histo-
rique. Afin de ne pas empiéter sur l’accès plus étroit
depuis la place Bareuzai, l’extension est en porte-­
à-faux, abritant ainsi le passage des piétons le long d’un
mur végétalisé. Sur la gauche du porche de la rue des
Godrans et dans son alignement, le volume à rez-de-
chaussée de l’extension 1 (la plus vaste) se voit couron-
né par celui du premier étage astucieusement déporté
d’environ 30°, reflétant l’environnement à la façon            Des sous-faces en métal laqué.

                                                                                                MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   25
/ARCHITECTURES
d’un kaléidoscope. Enfin, la dernière, la plus modeste,
s’implante de plain-pied, telle une étroite véranda.
Entièrement en acier, la structure de leurs couvertures
à trois ou quatre pans se compose de poteaux en tubes
ronds ou carrés, de poutres en tubes rectangulaires
en simple appuis ou encastrées, ou en profilés
du commerce de type E, de pannes en tubes carrés ou
en profilés de type IPE posées déversées, servant d’ap-
pui aux bacs acier et de cornières de contreventement
complétant la stabilité hori­z ontale.

Maître d’ouvrage : Fortuna Saint-Jean
Architecte : Chapman Taylor Paris
BET : Archimen, BEC Carminati
Photos : Stéphane Rouillard
Dessins : Chapman Taylor

                                                          MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   27
FLAGSHIP ENFANTS RICHES DÉPRIMÉS,
/INTÉRIEURS

                     RUE CHARLOT, PARIS
                                     Un showroom heavy metal
                                                                                         Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste styliste
                                                                                         revendique une couture élitiste… nihiliste !
                                                                                         Créateur de la marque californienne Enfants
                                                                                         Riches Déprimés (ERD), le jeune Henri
                                                                                         Alexander Levy a choisi Paris pour ouvrir son
                                                                                         unique magasin dont il a confié la conception
                                                                                         à l’architecte artiste Didier Fiúza Faustino.
                                                                                         Derrière sa devanture originelle, l’ancienne
                                                                                         échoppe de la rue Charlot, d’à peine 45 m2,
                                                                                         recèle un écrin radical tout d’inox et de marbre
                                                                                         aux allures de coffre-fort !

                                                                                         FILS DE…

                                                                                         Fils d’un millionnaire géorgien, Henri Alexander Levy naît à
                                                                                         Atlanta le 14 juillet 1991, il porte un premier prénom fran-
                                                                                         çais. Enfant gâté, délaissé, bercé par Nirvana, l’adolescent
                                                                                         alterne écoles privées et centres de désintoxication où
                                                                                         échoue une partie de la jeunesse dorée américaine. Ayant
                                                                                         finalement entrepris des études artistiques à l’Ucla, il com-
              La boutique brouille les codes pour offrir un espace froid, sans affect.   mence par œuvrer dans l’art contemporain tout en fréquen-
                                                                                         tant les univers de la musique et de la mode. Il « customise »
                                                                                         quelques T-shirts à partir de ses dessins et/ou de messages
                                                                                         ironiques d’esprit punk/grunge. Ayant remarqué son travail,
                                                                                         Kanye West le recrute comme directeur artistique de sa
                                                                                         propre marque. En 2012, il créé, à Los Angeles, son label
                                                                                         qu’il baptise d’un nom français, Enfants Riches Déprimés cor-
                                                                                         respondant à son cœur de cible dont il partage les origines
                                                                                         et le parcours, prêt à dépenser des fortunes pour des pièces
                                                                                         basiques devenues uniques une fois « bousillées » par ce
                                                                                         jeune affairiste nihiliste. Très vite, ces « œuvres d’art por-
                                                                                         tables » exclusives séduisent à leur tour les Guns and Roses,
                                                                                         Justin Bieber, la veuve de Kurt Cobain ou encore le rappeur
                                                                                         coréen G-Dragon. Cela lui vaut d’intégrer les rayons des
                                                                                         créateurs émergents d’une douzaine de department-stores
                                                                                         internationaux.

                                                                                         DE L’ÉCHOPPE AU FLAGSHIP

                                                                                         L’envie d’ouvrir à Paris, capitale mondiale de la mode, sa pre-
                                                                                         mière boutique fait son chemin. Ayant, entretemps, acquis
                                                                                         en galerie une œuvre de Didier Fiúza Faustino, il demande
                                                                                         à le rencontrer. Ils vont ainsi se retrouver à plusieurs reprises
                                                                                         deux années durant, apprendre à se connaître et lier une
                                                                                         amitié créative. C’est donc en toute logique que le styliste
                                                                                         arty sollicite son nouvel ami pour imaginer sa future adresse
                                                                                         parisienne. Entre pop-up d’une marque alternative de niche
                                                                                         et lieu d’exposition de pièces uniques à forte valeur ajoutée,
                                                                                         le choix d’un petit lieu symbolique s’impose aux deux créa-
              S’inspirant du bunker, elle associe marbre et acier.                       teurs dans une démarche paradoxalement situationniste.
Des impacts sculptés dans les parois d’inox ménagent des alcôves de marbre gris.

« La boutique : une zone grise contenue, un boudoir géométrique, des limbes chirurgicales…

… l’espace a été conçu comme une scène faite de métal et de pierre pour enfermer l’expérience du désir. » Didier Faustino

                                                                                                        MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   29
/INTÉRIEURS

                                                                                                                                                      Doc. : Mésarchitecture
              En effet, l’internationale situationniste aspirait à en finir avec   quelques rares pièces s’y exposent dans des niches comme
              la société de classe et « la dictature de la marchandise » !         creusées dans le parement d’acier inoxydable et de marbre
              Enfants Riches Déprimés s’installe donc dans le haut Marais,         gris veiné tapissant tout le volume du sol au plafond et se
              dans une ancienne échoppe d’artisan bijoutier sise                   réfléchissant mutuellement, à commencer par le cylindre
              au 79 rue Charlot, dont les compères décident de garder la           de la cage d’escalier. Ce monolithe minéral volontairement
              devanture très parisienne. L’espace de 45 m2 se développe sur        froid, pour ne pas dire glacial, oscille entre l’écrin radical et le
              deux niveaux, le sous-sol ayant abrité l’atelier de bijouterie.      coffre-fort protecteur, le sous-sol faisant alors office de salle
              Le challenge était, tout à la fois, de le rendre le plus grand       des coffres. Mais avec son plafond en daim anthracite mate-
              possible tout en le rendant exclusif, les clients devant y être      lassé, sa moquette vert artificiel et son tout aussi mousseux
              reçus quasiment individuellement après avoir sonné à la              canapé « ABCD » de Pierre Paulin, celle-ci se veut d’abord un
              porte sur rue commandée. Jouant sur l’ambivalence et le              salon d’essayage très particulier où endosser les rares pièces
              contraste, le concept proposé par l’architecte va à l’encontre       suspendues à des tringles en lévitation ou chaussures et ac-
              de la boutique-vitrine de mode aux linéaires présentant un           cessoires « nichés » ici et là – incarnant un luxe hype(r) trash.
              maximum de produits. Ici, aucun vêtement ni accessoire en            « La boutique ERD est une zone grise fermée, un boudoir
              vitrine puisque Didier Fiúza Faustino a évidé le plancher du         géométrique et un limbe chirurgical, commente ainsi Didier
              rez-de-chaussée au droit de cette dernière et d’une super-           Fiúza Faustino. L’espace a été façonné comme une scène
              ficie égale à celle du vitrage sur rue. Cette trémie a pour          construite en métal et en pierre pour enfermer l’expérience
              fonction d’offrir un puits de lumière naturelle au sous-sol          du désir. »
              – jusque-là aveugle – et un aperçu plongeant sur sa mo-
              quette vert mousse. Elle met aussi à distance le reste du rez-
              de-rue, traité à la façon d’une mezzanine du sous-sol, juste         Maître d’ouvrage : Enfants Riches Déprimés
              accessible depuis une sorte de passerelle et dépourvue de            Architecte : Didier Fiúza Faustino (Mésarchitecture)
              banque d’accueil. Sous des allures davantage muséales,               Photos : David Boureau
Quelques rares pièces sont exposées dans des niches comme creusées dans le parement d’acier inoxydable.

L’escalier s’enroule autour d’un monolithe minéral jusqu’à un espace horizontal percé d’une trémie où apparaît le ciel en contre-plongée.

                                                                                                         MATIÈRES #11 • JUILLET 2021        31
/DOSSIER

                          ARCHITECTURE ET INDUSTRIE,
                            UN DÉFI CONTEMPORAIN
                Alors que, dans les années 1980, le poids du secteur industriel représentait encore 20 %
                du PIB, il n’est plus, aujourd’hui, que de 12 %. Sans revenir sur les multiples raisons de ce
                « décrochage industriel », la crise sanitaire a éclairé d’une façon nouvelle l’idée qu’il était
                désormais urgent de relocaliser certaines productions en France. Un retour des industries
                est donc souhaité sur le territoire. Mais ces usines 4.0 devront notamment être attentives
                à une efficiente intégration des défis. Tant dans leurs modalités de production que dans
                la conception même de leurs bâtiments. De nouvelles architectures pour de nouvelles
                industries donc, un véritable défi pour l’avenir.

           L’usine L’Oréal d’Aulnay-sous-Bois ; Valode & Pistre ; Équerre d’argent 1992.
Photo : Georges Fessy

MATIÈRES #11 • JUILLET 2021   33
/DOSSIER

                                                                                                                                                     Photo : Takuji Shimmura
           L’usine Simond de l’agence Patriarche, dans la vallée de Chamonix, au pied du mont Blanc.

           À l’échelle de l’histoire de l’architecture, l’usine est un pro-       pleinement les innovations du monde de la construction,
           gramme récent dont l’apparition est communément située                 avec notamment la mise en œuvre de nouveaux matériaux,
           en Angleterre à la fin du 18e siècle, berceau de la Révolution         telle la fonte. Au début du siècle suivant, quelques architectes
           industrielle. Les fabriques – factories – remplacent les manu-         précurseurs voient en l’usine l’opportunité d’une écriture re-
           factures, la main cède la place à la machine, et les églises de        nouvelée en se libérant du dictat de l’académisme, comme
           ce nouveau monde sont à la recherche de modèles. Les pre-              Walter Gropius avec l’usine Fagus (1911). Mais, encore une
           miers bâtiment-usines sont conçus comme des outils et direc-           fois, les quelques exemples iconiques ne font pas école, et
           tement intégrés au processus industriel. Les ingénieurs seront         le Mouvement moderne se préoccupera davantage du loge-
           donc les premiers interlocuteurs des entrepreneurs, l’objectif         ment et de l’urbanisme, même si, à l’image de Le Corbusier,
           des édifices étant d’accueillir des machines et leurs travailleurs.    beaucoup font référence à l’usine dans leurs manifestes.
           Efficacité, simplicité, modularité : tels sont les premiers atten-     Il faudra attendre les années 1970 et 80 pour que l’architecture
           dus de ces nouveaux édifices. En 1796, l’architecte Charles            réintègre le milieu industriel. Certaines entreprises prennent
           Bage conçoit à Shrewsbury, en Angleterre, un ouvrage à                 en effet conscience de l’intérêt de valoriser leur image en fai-
           structure métallique qui préfigurera le plan libre que toutes          sant appel à des architectes, mais ces recours sont loin d’être
           les usines adopteront : un bâtiment en briques, composé de             systématiques. Ils sont souvent perçus comme des dépenses
           plusieurs niveaux supportés par des colonnes et poutres en             superflues, alors que l’ingénieur a théoriquement les capaci-
           fonte libérant l’espace à chaque étage en vue d’accueillir l’ou-       tés de régler les problèmes techniques en tout genre.
           til de travail. Mais cet exemple n’a valeur que d’exception :          À travers quelques exemples choisis, une promenade archi-
           il faudra attendre le milieu du 19e siècle pour que les indus-         tecturale dans les réalisations de ces trente dernières années
           triels fassent appel aux architectes, mais, le plus souvent, pour      permet de révéler l’extraordinaire diversité des bâtiments
           « habiller » leurs usines à la recherche d’une reconnaissance so-      industriels et les apports de l’architecte dans la conception
           ciale. Ils sont donc réduits à ornementer les édifices, à l’image      de ces programmes singuliers où les solutions structurelles
           de l’usine de tapis Templeton à Glasgow (architecte : William          métalliques sont très souvent sollicitées.
           Leiper, 1892) : une copie fidèle du palais des Doges à Venise !
                                                                                  CHOIX DU SITE
           RENOUVEAU ARCHITECTURAL
                                                                                  Si une grande majorité des bâtiments d’entreprises s’im-
           Le 19e siècle aura été celui des ingénieurs, des inventeurs.           plantent dans des lieux « neutres », anciens terrains agricoles
           Et des bâtiments industriels produits en masse en utilisant            en périphérie des villes ou zones industrielles standardisées,
Photo : Patrick H Müller

                           L’usine Valeo à La Suze-sur-Sarthe, Jacques Ripault Architecture.
Photo : Julien Abinal

                           La maroquinerie des Ardennes pour Hermès ; Patrick Berger et Jacques Anziutti Architectes ; conception architecturale : Patrick Berger.

                           le siège social de Simond est venu s’inscrire dans un site
                           exceptionnel : la vallée de Chamonix. Un programme mixte
                           associant bureaux et ateliers de production de matériel et
                           venant se déployer au pied du massif du mont Blanc.
                           L’architecture proposée par l’agence Patriarche échappe au
                           formalisme classique des édifices industriels pour répondre
                           simultanément au contexte paysager grandiose, mais égale-
                           ment à une topographie prégnante. Une œuvre à la géomé-
                           trie complexe faisant écho aux silhouettes découpées des
                           montagnes environnantes. L’acier est employé dans les élé-
                           ments structurels, mais aussi en vêture extérieure : la coque
                           de l’édifice d’apparence opaque est une peau microperfo-
                           rée qui donne à voir l’ensemble des massifs alentour depuis
                           les postes de travail.
                           Bien plus au nord, au cœur des Ardennes, la société Hermès
                           a confié la réalisation d’une manufacture de fabrication
                           de sacs aux architectes Patrick Berger et Jacques Anziutti.
                           Un contexte fort, un site remarquable à l’instar de celui de
                           Simond. À un paysage bucolique, une douce prairie en pente
                           venant se perdre dans la Meuse, les architectes répondent
                           par une écriture tout aussi radicale que délicate. L’édifice n’est
                           pas ancré au sol, mais très légèrement surélevé : il repose in-
                           tégralement sur une plateforme posée sur pilotis et semble
                                                                                                Photo : Patrick H Müller

                           flotter au-dessus des herbages, sans effort. La radicalité de
                           l’écriture des architectes tient dans une trame structurelle
                           forte et revendiquée. Un même module vitré est répété sur
                           l’intégralité des façades, une rythmique verticale intense
                           modulée uniquement par la présence d’une nef traversante
                           à double hauteur ouverte sur le fleuve en contrebas.

                                                                                                                                    MATIÈRES #11 • JUILLET 2021      35
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