Mémoire (éthique) au sujet du projet de loi C-7 présenté au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles

 
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Mémoire (éthique) au sujet du projet de loi C-7
       présenté au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles
                             par le Dr Jeffrey Kirby, le 2 février 2021

J’aimerais vous faire part de mes commentaires (et analyses), d’un point de vue éthique, en
faveur de l’ajout d’une disposition de temporisation concernant l’article 2.1 du projet de loi C-7.

À cet égard, on présume que le critère actuel « de mort raisonnablement prévisible » en raison
de souffrances résultant d’un ou de plusieurs problèmes de santé physique, qui s’applique pour
être admissible à l’aide médicale à mourir (AMM), sera éliminé avec l’adoption éventuelle du
projet de loi C-7.

Commentaires au sujet de la distinction/différence à faire entre les pensées suicidaires dues à
une maladie psychiatrique aiguë/aggravée et les circonstances expérientielles de personnes qui
demanderaient l’AMM en raison de souffrances profondes et prolongées résultant d’un ou de
plusieurs troubles de santé mentale.

       L’autonomie individuelle est le principe éthique fondamental qui sous-tend la position
       en faveur de l’AMM. Pour dire les choses simplement, une personne a le droit, et
       devrait avoir la possibilité, de prendre des décisions importantes concernant les soins de
       santé et les traitements qu’elle pourrait recevoir. Dans le contexte de l’AMM, on voit
       cela comme le droit qu’ont des personnes adultes de choisir comment et quand mourir,
       dans un cadre à l’intérieur duquel une série de conditions d’admissibilité définies par la
       loi et la réglementation doivent être remplies.

       La décision rationnelle d’une personne capable de demander l’AMM en raison de
       souffrances profondes et prolongées résultant d’un trouble psychiatrique prend la
       forme d’une décision mûrement réfléchie, raisonnée et qui ne varie pas avec le temps,
       de renoncer à de possibles traitements futurs et à continuer de vivre si cette personne
       détermine ou se rend à l’évidence, avec l’aide du ou des prestataires de soins de santé
       mentale s’occupant d’elle, que les perspectives d’amélioration significative et
       symptomatique (par exemple, une rémission spontanée ou la sortie d’un nouveau
       médicament ou traitement efficace) sont limitées, et que les perspectives de connaître
       des souffrances persistantes, profondes, insurmontables et résistantes aux traitements
       sont grandes. Cette façon rationnelle de voir les choses est très différente de la
       symptomatologie de la pensée et de l’intention suicidaires potentiellement réversibles
       que connaissent les patients psychiatriques après l’apparition des premiers symptômes

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(ou une aggravation de leur état après une crise) d’un problème de santé mentale,
       comme un trouble dépressif unipolaire ou bipolaire majeur.

Commentaires au sujet de la possible discrimination que le projet de loi C-7 créerait à l’égard
des personnes qui éprouvent des souffrances profondes et persistantes causées par des
troubles mentaux chroniques et réfractaires aux traitements.

       La justice formelle veut que des personnes et des groupes de personnes similaires
       soient traités de la même manière, et que des personnes et des groupes de personnes
       différents soient traités de manière différente. Un corollaire important de cette
       exigence de la justice est qu’un groupe de personnes ou de patients, comme ceux qui
       souffrent profondément et de manière persistante de troubles psychiatriques, doit être
       traité de la même manière qu’un autre groupe de personnes ou de patients, comme
       ceux qui souffrent profondément et de manière persistante d’un ou de plusieurs
       problèmes de santé physique, à moins qu’on puisse démontrer l’existence d’une
       différence significative et moralement pertinente entre les deux groupes de personnes
       ou de patients.

       Il existe des similitudes importantes et moralement pertinentes entre les circonstances
       de l’AMM pour les personnes dont les souffrances sont causées par un problème de
       santé physique et les circonstances de l’AMM pour les personnes dont les souffrances
       sont dues à des troubles mentaux, notamment en ce qui concerne la nature prospective
       des deux types de souffrances, le mélange des deux types de souffrances avec la
       détresse psychoexistentielle, et la présence ou l’expérience connue d’une souffrance
       profonde et persistante dans le cas de certaines personnes souffrant de troubles de
       santé physique et psychiatrique non terminaux. On sait que la souffrance (sous toutes
       ses formes) est un phénomène expérimental propre à chaque personne, qui comporte
       généralement une part de subjectivité importante. De ce fait, on ne peut faire de
       comparaison valable entre la qualité et l’ampleur de souffrances causées par un trouble
       de santé physique et celles dues à un trouble de santé mentale. Par conséquent, on ne
       peut logiquement défendre ou justifier un quelconque ordre lexical des souffrances
       découlant de différents états de santé. Ainsi, les deux formes de souffrances devraient
       être traitées de la même manière dans la loi sur l’AMM. L’élimination du critère
       d’admissibilité reposant sur « la mort raisonnablement prévisible » pour les personnes
       souffrant d’une maladie physique et la non-application de ce critère pour les personnes
       souffrant d’une maladie mentale est discriminatoire sur la base de considérations
       importantes de justice formelle (même s’il serait raisonnable d’inclure une clause de
       temporisation concernant l’article 2.1 du projet de loi C-7, afin de se donner

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suffisamment de temps, disons 18 mois, pour élaborer des mesures de sauvegarde et
       des normes professionnelles appropriées et renforcées qui s’appliqueraient aux
       personnes souffrant de troubles mentaux).

       La différence concrète citée entre l’évaluation ou l’appréciation de souffrances résultant
       de troubles de santé physique et l’évaluation ou l’appréciation de souffrances résultant
       de troubles de santé mentale en lien avec le premier type de souffrances présentant des
       signes cliniques plus manifestes que décèlerait un médecin ou une infirmière
       praticienne serait annulée par l’élaboration et la mise en œuvre d’un ensemble de
       mesures de sauvegarde renforcées, comme celles énumérées ci-dessous, pour les
       personnes qui voudraient demander l’AMM alors que la cause première et
       expérientielle de leurs souffrances est un ou plusieurs troubles de santé mentale. Une
       mesure de sauvegarde particulièrement pertinente à cet égard serait d’exiger qu’on
       fasse appel à un psychiatre indépendant, qui ferait partie des évaluateurs officiels des
       demandes d’AMM et rencontrerait le patient demandeur dans le cadre d’une
       consultation psychiatrique en personne ou virtuelle.

Commentaires relatifs à l’énoncé concernant la Charte, aux considérations relatives au
pronostic, à l’évaluation des capacités et aux propositions de mesures de sauvegarde
renforcées dans le projet de loi C-7.

       Ce qui est problématique, c’est que l’énoncé concernant la Charte, dans le projet de
       loi C-7, soutient que l’exclusion n’est pas fondée sur l’incapacité d’évaluer la gravité des
       souffrances que peut causer la maladie mentale. Elle est plutôt fondée sur « les risques
       inhérents et la complexité que comporterait la possibilité d’obtenir l’aide médicale à
       mourir pour les personnes qui souffrent uniquement d’une maladie mentale ». La
       justification de cette affirmation repose sur la détermination, dans l’énoncé concernant
       la Charte, de trois difficultés et risques particuliers :
            1. il est particulièrement difficile d’évaluer la capacité décisionnelle des personnes
                qui sont atteintes d’une maladie mentale;
            2. il est généralement plus difficile de prévoir l’évolution d’une maladie mentale
                que l’évolution d’une maladie physique;
            3. l’expérience récente dans les pays où l’aide médicale à mourir est permise pour
                les personnes souffrant de troubles psychiatriques a soulevé quelques
                préoccupations.

       En ce qui concerne le risque ou la difficulté du point 2, il n’existe pas de preuves de haut
       niveau permettant de comparer de manière exhaustive la prévisibilité de l’évolution de

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maladies mentales à celle de maladies physiques. Ainsi, l’affirmation selon laquelle « il
est généralement plus difficile de prévoir l’évolution d’une maladie mentale que
l’évolution d’une maladie physique » ne tient pas debout. Le paradigme sur l’état de
santé mentale cité dans la littérature concernant l’AMM pour des souffrances résultant
d’un trouble psychiatrique, c’est-à-dire la dépression chronique réfractaire aux
traitements, permet généralement de voir une évolution raisonnablement prévisible
entre le diagnostic et le décès, une fois que le diagnostic de dépression chronique
réfractaire aux traitements est établi avec précision par un psychiatre traitant. Certains
problèmes de santé physique qui constituent des conditions d’admissibilité à l’AMM,
par exemple les maladies cardiaques chroniques importantes et la sclérose en plaques,
sont bien connus pour l’imprévisibilité de leur évolution dans le temps.

Pour ce qui est des risques ou difficultés des points 1 et 3, l’adoption d’un ensemble de
mesures de sauvegarde supplémentaires, comme celles énumérées ci-dessous,
permettrait essentiellement d’éliminer les difficultés décrites et les préjudices connexes
éventuels. Bien qu’il puisse s’avérer difficile d’évaluer des aspects du consentement
éclairé chez des personnes souffrant de troubles mentaux – étant donné la possibilité de
dégradation de la capacité de prise de décision avec certains troubles psychiatriques,
comme la psychose manifeste, et l’influence possible d’une perspicacité moins
qu’optimale –, les psychiatres canadiens sont bien éduqués et formés pour évaluer la
capacité et les autres éléments essentiels du processus de consentement éclairé. Ils
connaissent parfaitement l’étendue des traitements et des interventions psychiatriques
disponibles et sont compétents pour évaluer les éléments cliniques, l’irrémédiabilité et
la suicidalité. En outre, les recherches ont montré que la majorité des personnes
souffrant de troubles psychiatriques, tels que la dépression chronique réfractaire aux
traitements, ont ou conservent une capacité de décision et sont capables de prendre
des décisions autonomes sur des questions importantes liées à leurs soins de santé et à
leurs traitements.

D’un point de vue de justice sociale, la mesure de sauvegarde no 3 proposée ci-dessous
pourrait contribuer à atténuer les préjudices et les fardeaux subis par les personnes
souffrant de maladies mentales graves et persistantes en raison de vulnérabilités telles
que la marginalisation et l’impuissance historiques. Cette mesure de sauvegarde prévoit
qu’une personne qui veut demander l’AMM et dont les souffrances découlent
principalement d’un ou de plusieurs troubles mentaux puisse obtenir plus facilement les
services financés par l’État d’un intervenant-facilitateur indépendant pour l’AMM qui a
une connaissance générale des troubles mentaux et une formation spécifique en

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matière de diversité et d’inclusion, de sensibilité culturelle, de soutien non directif et
       d’aide à la prise de décision en matière de santé.

   Proposition d’un ensemble de cinq mesures de sauvegarde améliorées :
   1. Engagement confidentiel ex ante (pré-AMM), en personne ou virtuellement, d’un psychiatre
      indépendant (en tant qu’évaluateur officiel) dans 1) l’évaluation de l’admissibilité du demandeur
      à l’AMM, et 2) la mise en place d’un processus de consentement éclairé pour l’AMM. Cette
      procédure comprend une évaluation formelle de la capacité du patient ainsi que l’évaluation des
      éléments cliniques, d’irrémédiabilité et de suicidalité.
   2. La participation du prestataire de soins de santé mentale qui suit le demandeur aux évaluations
      pour l’AMM dans le cadre d’un entretien virtuel avec le psychiatre évaluateur indépendant.
   3. Le demandeur a la possibilité de bénéficier d’un accès facilité aux services publics d’un
      intervenant-facilitateur indépendant pour l’AMM qui a une connaissance générale des troubles
      de santé mentale et une formation spécifique en matière de diversité et d’inclusion, de
      sensibilité culturelle, de soutien non directif et d’aide à la prise de décision en matière de santé.
   4. Exclusion de l’examen des demandes d’AMM venant d’enfants et d’adolescents dont les
      souffrances ressenties sont uniquement dues à un trouble de santé mentale.
   5. Évaluation ex post (post-AMM) des cas d’AMM où un trouble de santé mentale était la seule
      condition admissible par un psychiatre indépendant* qui est un membre régulier ou ad hoc d’un
      comité ou groupe d’examen officiel des demandes d’AMM dans la juridiction compétente en
      matière de soins de santé, c’est-à-dire une province ou un territoire du Canada.
               *Exigence de non-engagement de ce psychiatre dans les cas visés aux points no 1 et 2
               pour les cas faisant l’objet d’un examen.

   Kirby, J. « Medical assistance in dying for suffering arising from mental health disorders: Could
   augmented safeguards enhance its ethical acceptability? », Journal of Ethics in Mental Health,
   vol. 10, 2017, p. 1 à 17.

Présenté le 2 février 2021 par :

    Dr Jeffrey Kirby
    Professeur (à la retraite)
    Département bioéthique
    Faculté de médecine
    Université Dalhousie

                                                                                                         5
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