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TRIMESTRIEL N°79 – JANVIER/FÉVRIER/MARS 2019 DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 4,00 € palestine BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES SOMMAIRE DOSSIER APARTHEID 04 / Eurovision 26 Politique 28 / Femmes 32 / Culture : la revanche des crayons 36
02 / Dareen Tatour, écrivaine palestinienne israélienne, emprisonnée trois ans pour un poème... (lire article page 37) © Oren Ziv - ActiveStills Palestine n°79 Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche, Nadia Farkh, Pierre Galand, Nathalie Janne d’Othée, Gabrielle Lefèvre, Katarzyna Lemanska, Gregory Mauzé, Simon Moutquin et Christiane Schomblond | Ont contribué Michèle Sibony, Henriette Chacar, Suzan Abulhawa | Relecture Ouardia Derriche | Graphisme Dominique Hambye & Élise Debouny | Photo couverture Check-point à l’entrée de la vieille ville d’Hébron © Jimmy Colaianni | Les articles reflètent l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas l’ABP. Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asbl Siège social: rue des Palais 154 à 1030 Bruxelles|Tél. 02 223 07 56 | info@abp-wb.be | www.association-belgo-palestinienne.be | IBAN BE35 5230 8083 6037 | Tout don de plus de 40 euros vous donne droit à une attestation qui vous vaudra une réduction d’impôt de 40% du montant de votre don | Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
03 ÉDITO AU CYNISME DE L’OCCUPATION, une solidarité INTERNATIONALE SANS FAILLE par Pierre Galand, Président Nous avons observé maintes fois l’attitude Les dénonciations répétées des observateurs des militaires israéliens opérant dans les zones officiels de l’ONU et de l’UE, celles des ONG occupées de Palestine et aux check-points, des droits humains, les internationales tout celle des officiers ordonnant des tirs à balles comme les israéliennes telle B’tselem, sont réelles en direction de jeunes manifestants ignorées par les officiels des pays occidentaux non armés. Nous avons constaté l’arrogance et qui renient ainsi leurs engagements en matière le mépris des magistrats des cours militaires de défense des droits des gens. ou civiles israéliennes au service de l’occupant à l’égard des justiciables palestiniens dans Toutes ces pratiques sont qualifiables de crime le territoire occupé. Un seul mot qualifie ces d’apartheid et de crime de persécution, pratiques : cynisme. ce qu’a démontré précisément le Tribunal Russell sur la Palestine. Après le retrait des forces israéliennes et des colons de Gaza en 2005, la politique israélienne Un jour viendra, où les responsable israéliens, ne s’est plus guère encombrée des faux- instigateurs de ces manquements graves au droit semblants d’un discours sur les prétendues international, auront des comptes à rendre. « négociations de paix ». Les Israéliens ont décrété ne pas avoir de partenaire crédible La résistance multiforme des Palestiniens pour des négociations et entrepris d’accélérer force le respect de toutes celles et ceux qui la colonisation et le vol des terres palestiniennes militent pour le droit inaliénable de ce peuple notamment par l’encerclement et l’emmurement à son autodétermination. des populations privées d’accès à leurs terres en Cisjordanie, à Jérusalem et à leur espace C’est ce qui nous a amenés à relayer et amplifier maritime à Gaza. Il s’agit aujourd’hui d’une réelle le mouvement international BDS (Boycott, politique de « bantoustanisation » visant à Désinvestissement et Sanctions) qui est enfermer les Palestiniens dans des sortes devenu au fil des ans la plus remarquable action de réserves selon les modèles appliqués de solidarité avec les Palestiniens dans le aux Premières Nations d’Amérique du Nord et monde entier. aux populations autochtones des bantoustans en Afrique du Sud.
05 DOSSIER Apartheid ISRAËL État d’apartheid PEUT-ON DÉCEMMENT COMPARER LA POLITIQUE D’ISRAËL CONTRE LES PALESTINIENS À CELLE DU RÉGIME RACISTE D’AFRIQUE DU SUD ? LONGTEMPS TABOUE, LA QUESTION EST DÉSORMAIS DEVENUE INÉVITABLE TANT LA LOGIQUE DE « DÉVELOPPEMENT SÉPARÉ » INNERVE DE FAÇON TOUJOURS PLUS ÉVIDENTE L’ARCHITECTURE DE DOMINATION DESSINÉE PAR L’OCCUPANT DANS L’ESPACE QU’IL CONTRÔLE DE FACTO. Y RÉPONDRE NÉCESSITE DE SE FONDER SUR LA NOTION JURIDIQUE DE CRIME D’APARTHEID, DÉFINIE PAR LE DROIT INTERNATIONAL (PAGES 8 À 11). EN ISRAËL, LE VOTE DE LA LOI SUR L’ÉTAT-NATION RÉSERVANT LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION AU SEUL PEUPLE JUIF A MARQUÉ UNE ÉTAPE ULTIME DANS UN PROCESSUS INTRINSÈQUEMENT LIÉ À LA CRÉATION DE L’ÉTAT D’ISRAËL (PAGES 12 À 17). S’ILS NE SONT PAS PROPRES À UN RÉGIME D’APARTHEID, LES DISPOSITIFS SÉCURITAIRES EXTRÊMEMENT POUSSÉS SONT ESSENTIELS À SON MAINTIEN, GÉNÉRANT DES VIOLATIONS CHRONIQUES DES DROITS HUMAINS (PAGES 18 À 23). DANS CE CONTEXTE, UNE SOLUTION À UN ÉTAT À LA QUESTION PALESTINIENNE ÉMERGE TANT DANS LES RANGS DE CEUX QUI VEULENT CONSOLIDER LA LOGIQUE D’APARTHEID QUE DE CEUX QUI CHERCHENT À L’ABOLIR (PAGES 24 ET 25).
L’identité sous Depuis 1967 et malgré Oslo, le gouvernement contrôle israélien dispose de facto du pouvoir souverain sur la totalité du teritoire palestinien (Gaza et Cisjordanie). Les autorités israéliennes contrôlent le service d’état civil et la délivrance des documents d’identité, limitant les zones où les Palestiniens peuvent vivre, leur accès aux services et leur participation à la vie politique. Régistre de la population d’Israël Citoyens juifs israëliens – 5,9 M Peuvent vivre partout en Israël et dans 60% Pas de discrimination de la Cisjordanie occupée. systémique Citoyens palestiniens d’Israël – 1,3 M Interdiction de vivre dans 68% des villes en Israël émanant des comités d’admission locaux. Discrimination juridique et de facto Citoyens Israéliens
Discrimination Palestiniens de Jérusalem-Est – 0,3 M juridique et Peuvent aller pratiquement partout, occupation militaire mais leur leur carte de résident permanent peut leur être retirée s’ils s’installent en dehors de Jérusalem. Palestiniens de Cisjordanie – 2,3 M Interdiction de s’établir ailleurs que dans les 40% de la Cisjordanie administrés par l’Autorité palestinienne, à cause des colonies et de la présence militaire israélienne. Palestiniens de la bande de Gaza 1,6 M Interdiction de vivre en dehors de Gaza depuis 2007. Palestiniens exilés 5,7 M Interdiction de revenir vivre en Israël ou sur le territoire palestinien. Exclus du système Palestiniens Groupe de population sous occupation Zone d’habitat permise Zone d’habitat interdite Peut voter aux élections israéliennes / Source : visualizingpalestine.org Ne peut pas voter aux élections israéliennes
09 DOSSIER Apartheid ISRAËL, coupable du crime d’apartheid ? Si la question reste controversée, c’est pour des raisons essentiellement politiques. Du point de vue juridique, elle est bien arrêtée. par Gabrielle Lefèvre La définition du crime d’apartheid date de 1973 raciaux le droit à la vie et à la liberté de la lorsque le 3 novembre, l’Assemblée générale des personne ». Sont décrits ensuite le meurtre, Nations Unies adopte la résolution 3068 XXVIII les atteintes graves à l’intégrité physique et portant sur une «Convention internationale sur mentale, à la liberté physique ou à la dignité des l’élimination et la répression du crime d’apartheid». populations opprimées, les tortures, les peines et traitements inhumains et dégradants. Déjà, le 15 novembre 1972, l’A.-G. des N.-U. avait adopté une résolution 2922 XXVII dans laquelle Autre acte inhumain désigné : celui d’imposer elle réaffirmait sa « conviction que l’apartheid est des conditions de vie destinées à entraîner la une négation totale des buts et principes de la destruction physique totale ou partielle de ce ou Charte des Nations Unies et constitue un crime ces groupes raciaux. contre l’humanité. » Sont condamnées aussi les mesures législatives Il faut lire attentivement cette convention pour bien ou autres destinées à empêcher le ou les comprendre qu’elle ne concerne pas uniquement groupes raciaux de participer à la vie politique, ce qui s’est produit en Afrique australe même sociale, économique et culturelle du pays, priver si ces pays en restent l’exemple historique leurs membres des droits fondamentaux comme le plus emblématique. À tel point que le mot le droit au travail, le droit de former des syndicats afrikaans « apartheid » en est devenu le symbole. reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter Il s’agit bien de désigner « les actes inhumains son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, indiqués ci-après commis en vue d’instituer le droit de circuler librement et de choisir ou d’entretenir la domination d’un groupe racial sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe d’expression et le droit à la liberté de réunion et racial d’êtres humains et de l’opprimer d’association pacifiques. systématiquement. » Il s’agit en premier lieu de « refuser à un membre ou à des membres La convention cible également les mesures d’un groupe racial ou de plusieurs groupes législatives et autres visant à créer des réserves
10 DOSSIER Apartheid et des ghettos pour le ou les groupes raciaux systématique touchant une vaste gamme de opprimés, les interdictions de mariage droits de l’Homme reconnus. » Ce régime entre personnes de groupes raciaux différents et d’apartheid est apparu encore plus clairement l’expropriation de leurs biens immobiliers. lorsqu’Israël s’est proclamé «État-nation du peuple juif », le 18 juillet 2018 par un vote à la Knesset, Le travail forcé est aussi énoncé ainsi que privant ainsi les Palestiniens de davantage de la persécution des organisations et personnes droits encore, à commencer par le retrait de la que l’on priverait de leurs droits fondamentaux langue arabe comme deuxième langue nationale. parce qu’elles s’opposent à l’apartheid. La connotation « raciale » est encore renforcée Quasi toute la nomenclature se retrouve dans la par cette définition d’État-nation juif. Le TRP tragédie vécue par les Palestiniens de Cisjordanie notait déjà que le terme « racial » est compris et de Gaza sous occupation israélienne et en par le droit international dans sa définition large partie pour les Palestiniens d’Israël. Notons que qui englobe des éléments d’origine ethnique cette politique est nommée officiellement par les et nationale. « La définition de “groupe racial” Israéliens eux-mêmes hafrada, ce qui signifie relève dès lors plus de la sociologie que de « acte de séparer ». Le Mur étant lui-même qualifié la biologie. Les perceptions (y compris les de « barrière de séparation ». Il s’agit donc bien perceptions propres et les perceptions de la même notion que celle d’apartheid. extérieures) de l’identité juive israélienne et de l’identité palestinienne démontrent que les Juifs LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL israéliens et les Arabes palestiniens peuvent RUSSELL SUR LA PALESTINE aisément être définis comme des groupes raciaux C’est d’ailleurs la conclusion qui a été tirée par distincts au regard du droit international. » les juristes et par les membres du jury du Tribunal Russell sur la Palestine, lors de sa session tenue Le TRP a décrit longuement les actes inhumains à Cape Town du 5 au 7 novembre 2011. découlant de la politique d’apartheid israélien, Le tribunal a conclu que « Israël soumet le peuple sur base de nombreux témoignages de personnes palestinien à un régime institutionnalisé de et d’associations palestiniennes et israéliennes domination considéré comme apartheid en vertu et de rapports d’experts internationaux. Les du droit international. » L’intensité et les formes assassinats ciblés, le recours à la force meurtrière de ces discriminations varient selon qu’elles contre les manifestants, les incursions et s’exercent contre les Palestiniens en zones opérations militaires massacrant des civils, occupées ou contre les Palestiniens vivant en la torture et les mauvais traitements appliqués Israël. En effet, « les citoyens palestiniens d’Israël, aux prisonniers palestiniens, les arrestations bien que jouissant du droit de vote, ne font pas arbitraires et les détentions administratives : partie de la nation juive en vertu du droit israélien tous ces actes de violence constituent une forme et sont dès lors privés des avantages découlant de particulière de domination sur les Palestiniens la “nationalité juive” et soumis à une discrimination en tant que groupe.
Du déni de Palestine à l’apartheid « Du déni de Palestine à l’apartheid » : ce colloque organisé par le Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient, en partenariat avec le site Orient XXI, s’est tenu le 13 octobre 2018 au Sénat français. Les actes de ce colloque, au cours duquel de nombreux conférenciers ont détaillé Les violations systématiques des droits de le crime d’apartheid commis l’Homme empêchent le développement de la par Israël, seront bientôt disponibles. population palestinienne, maintenue à l’écart de Renseignements la vie politique, économique, sociale et culturelle. maurice.buttin@orange.fr On refuse aux réfugiés et déplacés palestiniens le droit de regagner leurs foyers ainsi que le droit à la propriété et à la citoyenneté. Ajoutons à cela des transferts forcés de population. Quant aux droits civils et politiques (droits de circulation et de séjour, droits à la liberté d’opinion et d’association), ils sont sérieusement limités, LE CRIME DE PERSÉCUTION constate le TRP. Enfin, les droits socio-économiques Le TRP a aussi considéré que la plupart des des Palestiniens sont réduits par des politiques témoignages entendus par lui confirment qu’Is- discriminatoires notamment dans les domaines raël commet de nombreux actes de persécution, de l’éducation, de la santé et du logement. qui est aussi un crime contre l’humanité. Il pointe notamment le siège et le blocus de Gaza, les Ce « régime systématique et institutionnalisé » civils ciblés lors d’opérations militaires d’envergure, d’actes inhumains est concrétisé par un vaste la destruction de logements civils, l’impact arsenal juridique et des mesures de politique négatif du Mur sur la population civile et du régime générale qui octroient un statut privilégié aux qui lui est associé en Cisjordanie et à Jérusalem- Juifs par rapport aux non-Juifs. Le TRP énumère Est, les évacuations et démolitions forcées de ces nombreuses lois discriminatoires. Le tribunal villages bédouins dans la région du Néguev. souligne les deux systèmes juridiques séparés, en Cisjordanie, selon lesquels les Palestiniens Une persécution qui s’ajoute donc aux actes sous occupation sont jugés par des tribunaux d’apartheid. Israël doit mettre fin immédiatement militaires tandis que les Juifs vivant dans des à ces crimes contre l’humanité, conclut le TRP et colonies illégales de peuplement sont régis par ce, sous la pression des États du monde entier le droit civil israélien et dépendent de tribunaux car ceux-ci ont l’obligation légale de mettre fin aux civils. Par conséquent, il existe un vaste écart violations du droit pénal international et de pour- entre les procédures et les peines appliquées suivre les auteurs de ces crimes internationaux. pour un même crime commis dans une même juridiction, selon qu’il est commis par un Juif ou Pour cela, le TRP demande, entre autres, un Palestinien. D’autre part, les Palestiniens sous que l’Assemblée générale des Nations Unies occupation sont soumis à un grand nombre de reconstitue le Comité spécial des Nations Unies lois, d’ordres militaires et de règlementations peu contre l’apartheid et convoque une session claires et impénétrables qui sous-tendent le extraordinaire afin d’examiner le drame de régime institutionnalisé de domination d’Israël. l’apartheid vécu par le peuple palestinien.
/ B’ir'im, village vidé de ses habitants palestiniens en 1948. Le retour de ceux-ci et de leurs descendants (pourtant citoyens israéliens) leur est depuis refusé. © Palestina Solidariteit
13 DOSSIER Apartheid 70 ans DE LOIS SÉGRÉGATIONNISTES Pour certains, le vote de la loi dite de l’État-nation marquerait la première étape du passage à une logique d’apartheid formalisée, officialisée, légalisée. Ce serait ignorer délibérément les dizaines de lois édictées depuis la création de l’État, et même avant, qui organisent la séparation et la discrimination, pavant le chemin qui a fait le lit de l'extrême droite et de cette loi fondamentale. texte tiré d’une présentation de Michèle Sibony lors du débat au Festival des libertés, elle-même tirée de l’ouvrage de Mazen Masri The Dynamics of Exclusionary Constitutionalism: Israel as a Jewish and democratic state. Dans un article intitulé Le sionisme, l’État d’Israël Les auteurs décrivent le régime israélien et le régime israélien, Ariella Azoulay et Adi Ofir comme une matrice générant un mécanisme rappellent qu’ « à la fin des années 1940, de « séparation » selon trois principes distincts : il était encore possible d’être sioniste tout en l’un fondé sur la nation, entre Arabes et Juifs ; s’opposant à l’établissement d’un État-nation juif. le deuxième sur la citoyenneté, entre citoyen Ce n’est qu’au milieu des années 1930 que l’idée et non-citoyen ; et le troisième territorial, étatiste devint dominante, et uniquement à entre les différents statuts qui se sont multipliés la convention de Biltmore en 1942 que la création depuis la naissance du pays. d’un État juif fut déclarée comme le moyen ultime de la lutte sioniste, et peu après, comme Ainsi, les Juifs peuvent se déplacer librement son objectif fondamental. » dans la plupart des régions. À de rares exceptions, il n’existe pour eux aucune restriction sur l’achat L’identification du sionisme au régime et à l’État de terres, et à peine quelques limitations imposées israéliens, expliquent les auteurs, doit se faire en sur la construction de maisons. « Il importe peu tenant compte du « système de contrôle » israélien qu’ils soient citoyens ou non d’Israël, pouvant tout entier. Le contrôle des territoires palestiniens, toujours le devenir s’ils le souhaitent. Leur lieu occupés en 1967, et l’assujettissement de leur de naissance importe encore moins, et ils peuvent population – 3,5 millions de Palestiniens – à la loi devenir résidents partout où ils le souhaitent, israélienne durent depuis assez longtemps pour à l’exception des zones urbaines classées être aujourd’hui interprétés comme des éléments zone A par les Accords d’Oslo. » constitutifs du régime israélien.
14 DOSSIER Apartheid Les Palestiniens, par contre, ne peuvent se On peut facilement comparer la situation des déplacer librement que dans quelques zones et Palestiniens à celle des Noirs d’Afrique du Sud. souffrent de restrictions sévères en matière Les travailleurs blancs étaient incapables de faire d’achat de terres. Qu’ils soient citoyens israéliens face à la concurrence du travail africain et indien, ou non est d’une grande importance. S’ils ne abondant et peu coûteux. Ils s’étaient donc le sont pas, les limitations sont beaucoup plus organisés et avaient utilisé leur prépondérance sévères. Leur lieu de naissance, très important, politique pour assurer l’imposition d’une « barre détermine leur liberté de mouvement tout de couleur » qui excluait les non-Blancs des comme leur droit de résidence. emplois de supervision, qualifiés et bien payés. La seule voie pour sortir de ce même dilemme Les Juifs non citoyens sont gouvernés comme pour le mouvement sioniste est donc, selon lui, de des citoyens, protégés par la loi et ils peuvent consacrer ses ressources et énergies à développer jouir des services de l’État. un secteur économique séparé, exclusivement juif, de salaires et de productivité élevés qui Les Palestiniens non citoyens sont abandonnés par coexisterait avec un secteur arabe improductif et la loi ; ils ne bénéficient qu’à peine des services à salaires bas pour les décennies à venir. fournis par l’État. Ils sont soumis à un régime militaire et sont exposés à des menaces ou à LOIS SÉGRÉGATIVES des arrestations et subissent violence quasi La banque de données de ‘Adalah dénombre quotidienne et dépossession de leurs terres. « En 65 lois ségrégatives, c’est-à-dire de séparation, ce qui concerne les citoyens juifs, la violence est depuis la création de l’État et toutes toujours en généralement conçue comme le dernier recours, vigueur, sans même parler des lois d’exception mais lorsqu’il s’agit de citoyens palestiniens, les édictées sous le mandat britannique. Ces lois autorités étatiques usent fréquemment, généreu- relèvent grosso modo de trois catégories : lois sement et donc sans hésitation de violence. » d’appropriation de la terre, lois sur la citoyenneté et lois sur les droits nationaux, même si elles RÉGIME DE SÉPARATION se recoupent souvent. Ofir et Azoulay nomment ce régime : régime de séparation, mishtar hafrada en hébreu, ou régime La première loi ségrégative de l’État est d’apartheid. Ils soulignent d’ailleurs que ce terme constituée par la déclaration d’indépendance est connoté positivement par les Israéliens qui de l’État du 15 mai 1948. soutiennent la construction du mur et souhaitent que l’espace israélien soit purifié autant que ... « C’est de plus, le droit naturel du peuple juif possible de toute présence arabe. d’être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre En réalité, la séparation, autrement dit l’apartheid, État souverain. En conséquence, nous, membres est structurelle et systémique. Elle commence du conseil national représentant le peuple juif du avant même la création de l’État, lorsque, par pays d’Israël et le mouvement sioniste mondial, exemple, le sionisme met en place au début des réunis aujourd’hui, jour de l’expiration du mandat années 20 la nécessité du seul travail juif, et que britannique, en assemblée solennelle, et en vertu les militants du syndicat sioniste de la Histadrout des droits naturels et historiques du peuple juif, s’emploieront à détruire les marchandises (...) proclamons la fondation de l’État juif dans le vendues par des Palestiniens sur les marchés pays d’Israël, qui portera le nom d’Israël. » Cette afin de faire toute la place à celles des Juifs. déclaration dit clairement qui constitue la nation
15 DOSSIER Apartheid “ LA LOI DE 1950 SUR LES ABSENTS FUT LE PRINCIPAL OUTIL D’APPROPRIATION DE LA TERRE APPARTENANT À DES RÉFUGIÉS. et transforme la société coloniale juive en collectif national ; elle en exclut les Palestiniens. « L’État d’Israël sera ouvert à l’immigration juive et aux Juifs venant de tous les pays de leur Dispersion ; il veillera au développement du pays pour le bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l’idéal des prophètes d’Israël. » La déclaration n’ouvre l’immigration qu’aux seuls Juifs, alors que des milliers de Palestiniens chassés sont déjà en exil. “ leurs biens meubles et immeubles comme « absents » ; tous leurs biens sont placés sous le contrôle de l’État. Cette loi fut le principal outil d’appropriation de la terre appartenant à des réfugiés internes ou externes. La loi sur la réunification familiale est une autre loi profondément ségrégative qui révèle la volonté législative de maximaliser l’impossibilité du retour des réfugiés ; elle interdit formellement la réunification d’un conjoint des territoires occupés La loi du retour, publiée deux ans plus tard, avec un citoyen palestinien d’Israël. Son champ revient sur la question de l’immigration en d’application a été élargi à la Syrie, au Liban, précisant qui peut immigrer et donc qui est juif. à l’Irak, à l’Iran. Les conséquences de cet amendement ont été très dures pour des couples La loi sur la citoyenneté de 1952 donne obligés de choisir entre l’illégalité et l’exil. automatiquement aux Juifs la citoyenneté par Les deux appels contre cette loi devant la Cour la loi du retour de 1950 et inclut sans conditions suprême ont tous deux été rejetés car « il n’y a les Juifs résidents nés en Palestine. Pour les non- pas de violation du droit à une vie familiale, parce Juifs, principalement les Palestiniens, l’acquisition qu’il n’y a pas d’obligation que cette vie familiale en est prévue, sous un certain nombre de se déroule en Israël » (sic !). conditions. Ces conditions excluent 80 à 85% de la population palestinienne chassée et devenue Les règlements de sécurité sous l’état réfugiée hors des frontières. d’urgence, toujours en vigueur depuis 1945, autorisent un commandement militaire à déclarer Quant aux Palestiniens restés sur le territoire toute zone de l’État fermée, et donc à en interdire devenu Israël en 1948, beaucoup n’étaient pas l’entrée à quiconque. En pratique, ces règlements, enregistrés, beaucoup ne purent justifier des appliqués uniquement aux villages palestiniens 4 ans de résidence continue requis. Ainsi, sur vidés de leurs habitants, interdisent en fait le re- les 175 000 restés sur le territoire devenu celui tour de leurs résidents chassés depuis 48. d’Israël, 143 000 seulement devinrent citoyens. Les 32 000 restants durent se faire naturaliser En 1953, deux lois sur l’acquisition des terres pour cela dans leur propre pays. achèvent la dépossession massive de 1950 par l’expropriation de 349 villes et villages, La loi de 1950 sur les absents définit les personnes plus celle des zones bâties de 68 villages qui ne chassées, ayant fui la région ou quitté le pays figuraient pas dans les ordres d’expropriation. principalement à cause de la guerre, ainsi que La loi de 1953 confère au Fonds national juif
“ LA DERNIE ̀RE LOI FONDAMENTALE DITE LOI E ́TAT-NATION EST L’EXPRESSION D’UN RÉGIME COLONIAL QUI IMPOSE UNE IDENTITE ́ CONSTITUTIONNELLE DE SUPRE ́MATIE JUIVE SANS CONSENTEMENT NI COOPE ́RATION DES INDIGE ̀NES PALESTINIENS. autorité gouvernementale et lui accorde des avantages financiers, dont des exemptions de taxes pour l’acquisition de terres. Ce dispositif est complété par une loi de 1960 qui crée un organisme complémentaire ILA (Israel Land Administration). La moitié des sièges est pourvue par le gouvernement et l’autre par le FNJ (KKL en hébreu), ce qui garantit à cet organisme “ l’État d’Israël à nos jours. Il s’agit de discriminations légales majeures, persistantes et renforcées dans le temps, ciblant un groupe national précis et inscrites dans les lois de façon directe ou indirecte. Il n’est par exemple dit nulle part que les Palestiniens sont exclus de la terre, mais il est dit partout et de multiples façons que la terre « nationale » est la propriété du peuple juif. discriminant un rôle majeur dans la politique israélienne de la terre. La dernière loi fondamentale dite loi État-nation prétend déterminer l’identité constitutionnelle En 1960 aussi, la loi fondamentale sur la terre du peuple. C’est tout d’abord et surtout une loi vient préciser que la propriété des terres d’État fondamentale : elle fait en effet partie des lois qui ne peut en aucune manière être transférée. forment ensemble la constitution israélienne, une On parle aujourd’hui de 93 % des terres détenues « méta-loi » si l’on peut dire, qui affectera toutes par l’État et le KKL, contre 3 à 3,5 % appartenant les autres lois. encore aux Palestiniens. Certains mot manquent dans cette loi : Palestinien/ En 2011, une loi légalise les comités d’admission Arabe – minorité – égalité. Dans toute constitution dans des centaines de petites villes communau- démocratique, on définit qui est le peuple qui taires qui se créent ou se développent en Galilée détient la souveraineté, c’est ce que l’on appelle et dans le Néguev. La loi confère à ces comités le « principe du demos ». Cette loi dit qui sont les toute latitude pour sélectionner les candidats citoyens vivant sur le territoire, qui bénéficieront qui recevront terres et unités constructibles. Ils de droits égaux et détiennent la souveraineté. servent à filtrer les candidatures et à écarter celles La plupart des constitutions modernes présentent, des Arabes et autres groupes marginalisés « non dans leur préambule, une définition de la appropriés à la vie sociale de la communauté » communauté politique qui inclut les différents ou « au tissu social et culturel de la ville. » groupes ethniques vivant sur le territoire. La constitution sud-africaine, par exemple, qui On le voit, les lois excluant les Palestiniens de la énonce que l’État est celui de tous ses habitants nationalité et de la citoyenneté ou de tout droit à noirs et blancs, est le modèle de ce type de la propriété sont permanentes, de la création de constitution.
17 DOSSIER Apartheid La loi sur l’État-nation ne définit pas qui est citoyen, Cette loi énonce ses intentions pour la réalisation ne fait aucune référence à la population arabe et de ses objectifs et transforme des pratiques dit que c’est le peuple juif, qui constitue le demos, illégitimes en expression de la loi. Elle est qui détient la souveraineté nationale. l’expression d’un régime colonial qui impose une identité constitutionnelle de suprématie juive Les normes du droit international en matière sans consentement ni coopération des indigènes de droits humains reconnaissent la réalisation palestiniens, et dénie à ces derniers, citoyens de l’autodétermination sous deux conditions : et résidents, toute connexion à leur patrie. égalité de traitement pour tous les citoyens et dans le cas de différents groupes ethniques, égale EN CONCLUSION reconnaissance de leurs droits collectifs avec Il n’y a jamais eu de droits égaux entre citoyens l’égalité civique. Cette autodétermination nationale palestiniens d’Israël et Juifs israéliens dans garantit l’interdiction des discriminations entre les la démocratie israélienne. Peut-on concevoir citoyens/résidents et les différencie principalement une démocratie réservée aux seuls hommes des étrangers, ceux qui vivent à l’extérieur. dans notre société mixte ? La loi fondamentale israélienne délimite, quant Alors, à quelle définition de la démocratie peut à elle, les sphères d’identité et d’appartenance correspondre un tel régime ? N’est-il pas grand internes et externes sur une base ethnique et temps d’appeler ce régime ce qu’il est : un régime raciste : l’égalité doit s’appliquer à tous les Juifs de séparation, un mishtar hafrada, un régime qui constituent le peuple souverain, in et hors du d’apartheid ? Et par voie directe de conséquence, territoire, et les non-Juifs en sont exclus sans égard pour tous les timorés des sanctions, les gênés du à leur affiliation territoriale ; leur discrimination est désinvestissement, les intimidés du boycott, n’est- donc justifiée. La loi ne mentionne pas le terme il pas grand temps d’assumer le BDS comme la d’égalité. Les Palestiniens sont donc, de par seule réponse légitime de la société civile à ce type cette loi, des étrangers dans leur propre patrie. de régime qu’elle a déjà fait tomber par le passé, de la même manière, ailleurs dans le monde ? L’Article 7 promeut la judaïsation de l’espace : De plus, ne devrions-nous pas tous faire attention « l’État considère le développement des colonies à l’effet retour de l’exceptionnalité israélienne, qui juives comme une valeur nationale et agira pour se transforme progressivement en norme des encourager et promouvoir leur création et leur pseudo-démocraties occidentales ? Ne voit-on pas renforcement. » Cet article fonde la discrimination aujourd’hui le parallèle entre le développement individuelle et collective des Palestiniens en d’un souverainisme identitaire partout en Europe accord avec les espaces ethniques préalablement et la dernière loi nation israélienne ? Ne voit-on dessinés dans l’intérêt de la population juive et pas le même parallèle à l’œuvre entre la sordide gérés par le principe raciste de « séparés mais comptabilité démographique israélienne et la non égaux » devant le logement, la terre et la théorie du grand remplacement qui progresse citoyenneté, selon les principes de la loi du retour en Europe ? Entre le suprémacisme juif en Israël et ceux de la citoyenneté et de la naturalisation. et le suprémacisme blanc en Occident ?
/ Une arrestation à Hébron. © Wisam Hashlamoun
19 DOSSIER Apartheid APARTHEID Hébron AU GRAND JOUR En 1997, le gouvernement israélien et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ont signé un accord qui a divisé la ville en deux zones : zone H1, contrôlée par l’Autorité palestinienne, et zone H2, contrôlée par l’armée israélienne. En zone H2, qui représente près de 20 % du total du territoire de Hébron, vivent environ 40 000 Palestiniens et 800 colons israéliens. La police des frontières et l’armée y sont chargées de maintenir l’ordre. Comme partout où il y a des colonies autour de Hébron. Une organisation israélienne, Breaking the Silence, a recueilli les témoignages de soldats ayant servi à Hébron (https://www.breakingthesilence.org.il/) ; ceux-ci y dénoncent non seulement l’occupation, la violence de l’armée et des colons mais surtout la dualité du système légal appliqué aux habitants de la Cisjordanie selon qu’ils sont Israéliens ou Palestiniens. par Marianne Blume DEUX POIDS, DEUX MESURES 1 L’organisation propose une analyse sujette à de nombreux changements ; de l’autre, des témoignages recueillis, qui rend évidente les colons israéliens sont généralement soumis l’instauration d’un système d’apartheid aux lois civiles, votées par une assemblée dans le cadre de Hébron. démocratiquement élue et appliquées par la « (…) les témoignages des soldats montrent police. Dans les Territoires (ndlr : c’est ainsi que comment au nom de l’« application de la loi », les Israéliens appellent le territoire palestinien), Israël maintient un double système légal : l’autorité légale israélienne ne représente pas d’un côté, les Palestiniens sont gouvernés par la les Palestiniens et leurs intérêts, qui se voient loi martiale, mise en œuvre par les militaires et soumis à ce système par les menaces. »
20 DOSSIER Apartheid « « Vous n’avez pas “ besoin d’un mandat… » Grade > lieutenant Unité > Nahal, 932 Période > 2014 “ Lorsque vous effectuez une perquisition d’importance parce que vous allez monter chez un Palestinien, vous n’avez pas besoin sur le toit. d’un mandat du tribunal. Vous devez vouloir le faire et ensuite vous le faites. Ce n’est pas Que faites-vous quand ils commencent à crier comme avec un citoyen israélien : si un policier et à contester ? Vous criez plus fort et vous veut entrer dans ta maison, il doit soit y avoir obtenez ce que vous voulez. Je veux dire, une forte suspicion que tu as a commis ce ne sont pas des idiots, la plupart d’entre eux. un crime ou alors que quelqu’un est en danger Ils savent : vous les arrêterez ou vous les ou encore qu’on ait un document du tribunal frapperez et, à la fin, vous irez sur le toit. déclarant qu’il a un mandat pour Ils ne vont pas vous empêcher de monter perquisitionner et obtenir des preuves. sur le toit. Ils comprennent qui a le pouvoir. Oui. Écoute, c’est ce qui te fait vraiment chier À Hébron, si vous êtes Palestinien, j’entrerai à Hébron. (…) chez toi chaque fois que j’en aurai envie et je rechercherai tout ce que je veux et je vais En bref, vous entrez simplement dans leur mettre ta maison sens dessus dessous maison et ils n’ont pas... Il n’y a même pas si j’en ai envie. de discours de, comme des droits. Pour avoir des droits, vous avez besoin d’un système qui C’est pareil quand tu veux, je ne sais pas, fait respecter la loi et l’ordre, et là-bas, personne une patrouille à pied – et vous voulez vous ne vous les reconnaît. Ces choses que nous reposer sur le toit de quelqu’un et explorer considérons complètement acquises. la région. Ou, disons, chaque fois que nous Par exemple, n’importe qui exigerait une sorte arrêtons un véhicule à Abu Sneineh, qui est de respect de base d’un policier. Le privilège le quartier adjacent au quartier juif là-bas, d’être innocent jusqu’à preuve du contraire, vous mettez toujours un soldat ou deux sur ici, cela ne fait même pas partie du lexique. le toit pour explorer et voir qui arrive de loin, On en est trop loin. qui jette des pierres, d’où, et des trucs comme ça. Vous ouvrez simplement la porte de leur C’est à des années-lumière du discours de... maison, vous leur dites : « Écarte-toi, nous vraiment, comme je l’ai dit, celui qui commande montons sur ton toit pour faire du repérage ». cette mission en ce moment est le shérif Vous savez d’avance qu’ils vont crier et du village. Il fera tout ce qu’il veut. contester et vous savez que cela n’a pas
21 DOSSIER Apartheid “ « « ... je l’appelle la lumière “ 2 de l’apartheid » Grade > lieutenant Unité > Nahal, 932e bataillon Période > 2014 Vous me demandez où j’ai vu la violence à Hébron ? C’est comme demander si j’ai vu Hébron à Hébron. C’est vraiment à chaque coin “ « «Inutile d’exagérer, de rue. Vous venez de laisser votre poste et vous êtes déjà dans la rue qui sépare les c’est un Juif après tout… » “ gens en fonction de leur appartenance ethnique ou nationale ou quel que soit le vocabulaire Rang > sergent de première classe aseptisé utilisé pour justifier ce qui se passe là. Unité > 455e corps de blindés (de réserve) Il n’y a pas beaucoup d’endroits dans les Région > Hébron territoires [occupés] pour lesquels je pense Période > 2013 qu’il convienne de parler d’apartheid parce que je pense que c’est simplificateur et univoque, parce que la situation dans les territoires est Quelle est votre responsabilité envers vraiment complexe. Mais à Hébron, c’est ... je les Palestiniens blessés ? Il n’y avait pas ne sais pas, je l’appelle « lumière de l’apartheid ». de formation de ce genre. Une fois, Ce n’est pas que je me promène avec des j’ai demandé ce qui se passait si des colons chiens, que je frappe de vieilles dames toute la s’adonnaient à la violence contre des journée et que je fasse ce que je veux. Mais on Palestiniens et on m’a dit qu’on était censé voit très clairement où les Juifs peuvent passer arrêter le colon. J’ai demandé : « Puis-je le et où les Arabes ne peuvent pas passer. C’est menotter avec un colson ? ». Et ils ont répondu : très clair pour qui l’armée travaille. Et ce n’est «Inutile d’exagérer, il est juif, vous pouvez pas pour la population palestinienne. La mission le retenir.» Aucune attention sérieuse n’est n’est pas de maintenir l’ordre; la mission, c’est accordée à ce genre d’affaire. Par définition d’imposer la suprématie juive dans la ville de – et c’est très, très clair » notre objectif est Hébron. Ce n’est pas que nous, les soldats, de protéger les colons juifs, il n’y a pas d’autre nous soyons entre le marteau et l’enclume, interprétation. Il n’existe rien qui signifie [mais c’est plutôt] nous qui sommes le marteau protection de la population palestinienne. lancé contre les Palestiniens par les colons. (…) (…)
22 DOSSIER Apartheid “ « J’ai fait la même » chose avec des enfants palestiniens… » Rang > capitaine sur les maisons arabes ci-dessous – dans “ (…) Au cas où un enfant juif jette une pierre la mesure où cet enfant est juif et fait partie LES COLONS ET LEUR MILICE, L’ARMÉE ET LA POLICE 3 « Les témoins de cette partie (ndlr : du livre des nôtres et vu qu’il est de la même référencé en note) relèvent également le rôle communauté juive qui nous donne actif des colons dans l’application de la loi des cookies – alors, quand l’armée, martiale. Certains d’entre eux occupent des mes soldats, mon commandant d’escouade postes publics et participent aux délibérations se retrouvent face à ce gamin, leur attitude et aux décisions militaires qui gouvernent la vie sera complètement différente de leur attitude des Palestiniens habitant la zone de leur colonie. envers un enfant palestinien qui jette une pierre Beaucoup de colons travaillent pour le ministère sur la communauté juive. Un enfant palestinien de la Défense en qualité de coordinateurs qui jette des pierres sur la communauté juive de sécurité de leur colonie ; ils exercent alors est saisi de force, emmené, contrôlé et arrêté. une influence accrue sur la région, notamment en matière de transport, d’accès aux routes, Un enfant juif qui jette [des pierres] sera de patrouilles de sécurité. Il peut même arriver grondé, « non, non, non, ne fais pas ça », qu’ils participent au briefing des soldats. [ou ils] disent à son père qu’il ne devrait pas Les forces de sécurité ne considèrent pas faire cela. C’est ça, fondamentalement. les colons comme des civils assujettis à la loi, Dans une situation différente, j’ai fait la même mais comme une puissante entité avec laquelle chose avec [des enfants] palestiniens. elles partagent des objectifs communs. (…) (…) Les violences des colons contre les Palestiniens ne sont pas traitées comme une infraction à la loi : c’est au contraire un moyen supplémentaire pour Israël d’exercer son contrôle sur les Territoires. On prétend parfois que la police est trop faible pour faire respecter la loi aux colons. Les témoignages de cette partie suggèrent, au contraire, que la loi n’est pas appliquée parce que les forces de sécurité traitent les colons comme des partenaires et non comme des citoyens ordinaires... » 1/ Breaking the silence, Le livre noir de l’occupation israélienne. Les soldats racontent, Paris, éd. Autrement, 2013. p 24. 2/ Breaking the silence, Occupying Hebron. Soldiers’ testimonies from 2011_2017, sur le site. 3/ Breaking the silence, Le livre noir de l’occupation israélienne. Les soldats racontent, Paris, éd. Autrement, 2013. p 24.
23 DOSSIER Apartheid “ « « Juste pour leur donner le sentiment que nous les contrôlions… Rang > premier sergent Unité > Nahal, 50e bataillon Période > 2012 “ “ « Les flics (…) Vous ont-ils dit qui vous êtes censés protéger sur le terrain ? Chaque fois que nous sont leurs amis… partons en mission, on nous dit que nous Rang > premier sergent Unité > Nahal, 932e bataillon Période > 2014 “ Ils (les colons) savent qu’ils peuvent faire sommes là pour les Juifs. Nous considérions tout Palestinien comme suspect, toujours. Nous devions être vigilants que ce soit aux croisements, dans les postes de garde et regarder soupçonneusement chacun d’entre eux. Nous faisions beaucoup de choses là-bas ; vraiment, aujourd’hui, je me dis, je crois que, ce qu’ils veulent et ils font tout ce qu’ils veulent. si j’étais de l’autre côté, je ne sais pas si j’aurais Ils savent que nous ne pouvons rien faire. pu réagir avec une telle retenue, [comme] Les flics sont leurs amis, amis de leurs familles. la population palestinienne réagit à l’armée ou Ils savent que rien ne leur arrivera. aux Juifs de la région. Ils savent qu’ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ils peuvent dire « Mort aux Arabes ! », Par exemple ? Par exemple, nous devions dire qu’ils méritent tous de mourir. effectuer une ou deux fois par jour une patrouille Ils savent qu’ils peuvent les gifler ; ils savent dans les quartiers palestiniens, même s’ils qu’ils peuvent les frapper ; ils savent qu’ils étaient aussi calmes que possible, juste pour peuvent les voler s’ils le veulent et que rien leur donner le sentiment que nous les contrôlions, ne leur arrivera. C’est vrai, ils savent la dissuasion. « Vous voyez, l’armée est ici, que les soldats ne peuvent rien faire. n’osez même pas causer problème, nous avons des soldats qui vous marchent sur les orteils. » Pour que les soldats acceptent davantage Nous nous promenions, entrions dans ce comportement, ils distribuent des cadeaux. les magasins, un peu comme pour voir que Ils invitent (les soldats) à s’asseoir tout était ok, nous continuions à marcher. (pour les repas) dans la maison du Chabad Même si rien de problématique ne se passait. (ndlr centre communautaire de juifs Je me rappelle même avoir demandé ultra-orthodoxes). C’est incroyable, vous à mon commandant de peloton pourquoi nous mangez la nourriture dégueulasse de l’armée faisions ce que nous faisions à ce moment-là. toute la semaine et ensuite un incroyable Et il a dit : « Manifester notre présence, faire dîner fait maison à Chabad. Cela vous influence, de la dissuasion, pour montrer aux Palestiniens c’est le conditionnement [classique]. qu’il y a quelqu’un qui règne sur eux. » (…) (…)
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