RegaRds cR isés gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir - n 40

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RegaRds cR isés gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir - n 40
Regards
 cr isés
     Gouvernance,
 régulation et soft law :
   comprendre et agir

n°40
Juin 2013
n°40
 P4                                              P5                                                      P7
 INTERACTIONS                                    Qui régule dans une                                     Essais de
 COMPLEXES DANS                                  économie ouverte,                                       conseils croisés
 UN MONDE                                        numérique et                                            aux ministères et
 COMPLEXE                                        globalisée ?                                            aux agences
                                                                                                         pour un jeu de
                                                 Frédéric Petitbon,                                      rôles de qualité
 Regards Croisés                                 Alain Aubert,
 entre les acteurs                               Charlotte Measures                                      Frédéric Petitbon

 P9                                               P 11                                                   P 13
                                                 accompagner                                             Réactiver l’économie
                                                 l’évolution des                                         française ?
 Pour un pacte                                   modèles économiques                                     Faisons confiance
 de confiance sanitaire                          des grandes sociétés                                    aux acteurs
 Danielle Salomon                                d’infrastructures                                       territoriaux
 Propos recueillis par                           Antoine Gosset-Grainville
 Alain Aubert et Brice Jehanno                                                                           Jean-Léonce Dupont
                                                 Propos recueillis par                                   Propos recueillis par
                                                 Alain Aubert et                                         Alain Aubert et
                                                 Charlotte Measures                                      Charlotte Measures

 P 15                                             P 17                                                   P 19
 Jeux en ligne :                                 Légaliser le marché
 d’une régulation                                                                                        ENERGIES ET NUCLEAIRE :
                                                 pour protéger
 quantitative                                                                                            UNE REGULATION PAR
                                                 le consommateur
 à une régulation                                                                                        LA TRANSPARENCE ?
 qualitative                                     Patrick Raude
                                                 et Michel Janot                                         Alain Bucaille
 Jean-François Vilotte                           Propos recueillis par                                   Propos recueillis
 Propos recueillis par                           Alain Aubert et                                         par Alain Aubert et
 Alain Aubert                                    Charlotte Measures                                      Brice Jehanno

 P 21                                             P 22                                                   P 24
                                                 Dans un monde
                                                                                                         VERS LA FIN D’UNE
 Un droit public                                 ultra compétitif,
                                                                                                         REGULATION
 mondial pour relever                            il faut être parmi
                                                                                                         ASYMETRIQUE ?
 les défis climatiques                           les meilleurs
                                                                                                         Jean-Ludovic Silicani
 Extrait du rapport                              Patrick Spilliaert                                      Propos recueillis par
 d’Alain Bucaille                                Propos recueillis par                                   Alain Aubert et
 et de Bertrand Barré                            Alain Aubert et                                         Brice Jehanno
                                                 Brice Jehanno

 P 26                                             P 28                                                    P 31
 Dans la recomposition
 de la gouvernance du                            Des opérateurs                                          K ALEIDOSCOPE
 secteur ferroviaire,                            financiers soumis a                                     DE NOS OFFRES
 le rôle de l’ARAF                               la main du régulateur
 prend de l’importance                                                                                   CLIENTS IDRH
                                                 Patrick Guérin
 Pierre Cardo                                    Propos recueillis par
 Propos recueillis par                           Alain Aubert                                            CONTACT
 Alain Aubert et
 Charlotte Measures

Regards croisés                  Frédéric Petitbon, Directeur de la publication                  Cécile Arnaud, Coordination
IDRH                             Alain Aubert et Charlotte Measures, Conception et réalisation   David_Ly, Graphisme
JUIN
                                                                                  2013
Si on s’accorde à dire qu’une « main invisible » est nécessaire pour faciliter

                                                                                           édito
la régulation, et ainsi assurer (et contrôler) le bon fonctionnement des
secteurs clés de notre économie, la question se pose alors de savoir à qui
doit appartenir cette « main » !
Dans un système économique de plus en plus complexe (mondialisation,
européanisation, développement des nouvelles technologies, accélération
des flux d’information…), les entreprises doivent tirer leur épingle du jeu
dans un dédale de parties-prenantes, lois et réglementations – avec le
risque, au final, de se perdre en réunions innombrables, en procédures
incompréhensibles voire d’être épinglées en justice.
Quand le Gouvernement n’apparait plus comme le mieux positionné
pour exercer son rôle de régulateur (crise de la dette, conflits d’intérêt,
manque de compétences), les agences publiques indépendantes offrent
une alternative alléchante. Ces structures, plus petites, plus flexibles et
avec une forte expertise, exercent un rôle exécutif de régulation à la place
du gouvernement, tout en restant sous le contrôle du Parlement. Elles
apportent un peu de fluidité, de « mou » - de cette fameuse "soft law" à
l’anglo-saxonne - dans un système économique français alourdi du poids
de ses (trop) nombreuses lois.
Dans les faits, leur impact est bien réel, tant pour les entreprises que les
citoyens ou consommateurs. Dans le secteur des Télécoms, c’est avec la
bénédiction de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques
et des Postes (ARCEP) que Free est entré sur le marché en janvier 2012, avec
les coups d’éclats que l’on sait de la part des opérateurs historiques, comme
de certains ministres. Dans le secteur de l’énergie, c’est la Commission de
Régulation de l’Energie (CER) qui joue un rôle déterminant dans la fixation
du prix de l’électricité nucléaire, sujet au combien sensible pour le grand
public…
Les agences publiques indépendantes « prennent donc un peu la main »
dans la régulation de notre économie. Bonne nouvelle sans doute, à
condition néanmoins que cette « main » exercée ne soit justement pas
invisible. La légitimité de ces agences repose sur leur capacité de transparence
et leur démonstration d’un juste niveau d’autonomie (ni connivence avec
les intérêts en présence, ni déni du contrôle parlementaire).
Et le succès de leurs actions se fonde avant tout sur la qualité des femmes
et des hommes qui travaillent en leur sein : leurs compétences, leur sens des
responsabilités à la fois collectif et individuel feront plus pour la régulation
que les empilements les plus aboutis de lois et de règlements !

                                                              Jean-Luc Placet,
                                                                    Président

                                                   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
Interactions complexes
    dans un monde Complexe

             UNION
          EUROPEENNE

                                                                                                   Lobbying
                                                                                                                             Inter
                                                                                                                          professions
                DIRECTIVES
                (Ouverture a la
                concurrence …)                      PARLEMENT
                                                                                                                     Actions
                                                                                                                     collectives

                                                      LEGISLATIF

                                                                                                                          Opérateurs

                                                                    GOUVERNEMENT
                                                                                                        Régulation
                                                JUDICIAIRE
                                                                                                                       Lobbying
                                                                         Autorités
                                                                      Administratives
                                                                      Indépendantes
                                                                           (AAI)
                                                                                                                         Associations
                                                                           EXECUTIF                                        (Protection des
                                                                                                                         consommateurs …)

                                                             ETAT FRANCAIS

    Regards Croisés entre les acteurs
    Ont été interviewés dans cette édition :
             PARLEMENT                        Jean-Léonce DUPONT, Vice Président du Sénat

               Autorités                      Pierre CARDO, Président de l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires (ARAF)
            Administratives                   Danielle SALOMON, Sociologue, spécialiste des risques sanitaires
                                              Jean-Ludovic SILICANI, Président de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques
            Indépendantes                     et des Postes (ARCEP)
                 (AAI)                        Patrick SPILLIAERT, Vice Président de l’Autorité de la concurrence

                                              Alain BUCAILLE, conseiller du Président d’Areva
                                              Antoine GOSSET-GRAINVILLE, Ancien Directeur général adjoint de la Caisse des Dépôts et
                                              Consignations (CDC)
                                              Patrick GUERIN, Responsable de la conformité et du contrôle interne dans une société de ges-
           OPERATEURS                         tion de portefeuille
                                              Miche JANOT, conseiller juridique à La Française des Jeux (FDJ)
                                              Patrick RAUDE, Directeur de la Régulation et des Affaires Européennes au sein du Pôle Finances
                                              et Régulation à La Française des Jeux (FDJ)
                                              Jean-François VILOTTE, Président de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL)

4   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
Libéralisme et régulation :
RéFLEXIONS

                  Qui régule dans une
                  économie ouverte,
                  numérique et
                  globalisée ?
                   Frédéric Petitbon, Alain Aubert, Charlotte Measures, IDRH

             « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition
             des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
             			                           		                            Montesquieu, "De l’Esprit des lois", 1758, Livre XI, Chapitre IV

             Depuis les années 1990, le mou-        à une « zone grise » élargie où           opérateurs ? Comment assu-
             vement est clair : sous l’impul-       la "soft law" à l’anglo-saxonne           rer des conditions égales d’ac-
             sion de la Commission Euro-            (règles de droit pragmatiques et          cès au marché entre nouveaux
             péenne, qui vise le dévelop-           adaptables dans le temps dont             entrants et anciens opérateurs
             pement du marché intérieur             la seule finalité est de réguler          bien installés ? Comment proté-
             européen, les traditionnels mo-        un secteur économique) s’addi-            ger l’intérêt des consommateurs
             nopoles nationaux tombent, les         tionne à la "hard law" latine (la         en veillant par exemple à une
             marchés – énergie, télécom, fer-       loi qui a un caractère obligatoire        bonne couverture nationale des
             roviaire - s’ouvrent à la concur-      et « intemporel »).                       services proposés ? Comment
             rence… Cependant, « libre-con-                                                   préparer l’avenir en donnant
             currence » ou « ouverture » du         Car la fluidité des marchés ne            aux opérateurs les moyens de
             marché ne sont pas nécessai-           va pas de soi. Quel est le bon            développer les infrastructures
             rement synonymes pour les en-          équilibre entre les intérêts court-       qui seront la clé de la compétiti-
             treprises concernées de plus de        terme et moyen-terme ? Entre              vité future du pays ? Ainsi, dans
             liberté d’action ou de simplifi-       compétitivité des opérateurs et           le secteur des télécoms, au-delà
             cation – bien au contraire.            protection des consommateurs ?            de l’ouverture à de nouveaux
                                                                                              entrants (cf. l’entrée remarquée
             Dans un système économique             Pour des secteurs comme les               et débattue de Free sur le mar-
             de plus en plus complexe - mon-        jeux d’argent et de hasard ou la          ché), un des enjeux est d’assurer
             dialisation, accélération des flux     santé, l’enjeu se pose en termes          le déploiement de nouveaux ré-
             d’échanges notamment d’infor-          de gestion des risques – addic-           seaux à haut débit, fibre optique
             mation, concurrence exacerbée,         tions et criminalités pour les            pour le téléphone fixe, 4G pour
             innovations, valeur à générer,         premiers, sanitaires pour les             le mobile.
             modèles économiques à réin-            seconds. La Française des Jeux
             venter, auto-organisation crois-       précise bien que dans le cas des          La nécessité d’assurer le bon
             sante des citoyens, développe-         jeux en ligne, l’objectif n’était         fonctionnement des marchés,
             ment des effets de proximité…          pas de développer le marché               entre respect de l’intérêt public
             - la difficulté à définir les règle-   mais de contenir l’offre illégale.        et rentabilité est évidente, mais,
             mentations et de les faire appli-      Pour les secteurs d’infrastruc-           dans un environnement à haute
             quer s’accroît aussi. Le cadre de      tures comme l’énergie, le fer-            technicité et à multi parties-
             la régulation évolue pour faire        roviaire ou les télécoms, les             prenantes, le Gouvernement
             face aux nouveaux enjeux et les        défis s’entremêlent : comment             n’a pas forcément la neutralité
             entreprises sont confrontées           favoriser la productivité des             ou les moyens pour assurer ce

                                                                 IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir   5
rôle de régulateur. Le risque de              éviter d’intervenir trop directe-     leur image et travaillent avec les
                  « conflits d’intérêts » tout d’abord          ment ». Les AAI jouent ainsi un       médias pour illustrer leur valeur
                  est particulièrement visible dans             rôle clé sur ces secteurs « con-      ajoutée et mettre en avant les
                  les mouvements d’ouverture à                  sidérés comme essentiels », im-       fruits de leur travail. Dans les
                  la concurrence, impulsés par                  pactant directement par leurs         domaines nécessitant un fort
                  Bruxelles. L’Etat est partagé                 actions les entreprises opérant       degré d’expertise en particulier,
                  entre protection de monopoles                 sur ces secteurs – ou celles qui      le « devoir (le défi ?) d’humilité »
                  nationaux traditionnels et res-               souhaiteraient y entrer. Citons       des AAI est grand. C’est celui de
                  pect des engagements pris avec                l’ARCEP pour les télécoms,            se soumettre au pouvoir législa-
                  les partenaires européens, main-              l’ARJEL pour les jeux d’argent et     tif – même si celui-ci n’est pas
                  tien d’un bon niveau de service               de hasard en ligne...                 le sachant – mais aussi celui de
                  public et exigences de renta-                                                       savoir s’adapter rapidement aux
                  bilité. Par ailleurs, le poids de             Cependant, si le Gouvernement         évolutions technologiques à ne
                  la dette entraîne un nécessaire               n’est plus le régulateur, quelle      pas « se reposer sur ses lauriers ».
                  mouvement de désengagement                    est la légitimité d’entités indé-
                  de l’Etat qui n’est plus en mesure            pendantes à la fois des sec-          A l’heure où la crise de la dette
                  d’exercer le même rôle de finan-              teurs contrôlés mais aussi des        remet en question le rôle de
                  ceur et de contrôleur de l’éco-               pouvoirs publics, pour réguler        l’Etat et sa capacité à se réfor-
                  nomie que par le passé. Dans                  des secteurs entiers et straté-       mer, les AAI pourraient consti-
                  ce contexte, l’expertise requise              giques pour l’économie fran-          tuer un modèle intéressant.
                  dans des domaines à forte com-                çaise et les Français ? Comment       De tailles réduites, attractives
                  posante technique, exigeant des               les AAI peuvent-elles faire leurs     pour les employés qualifiés,
                  compétences spécifiques et évo-               preuves et « rassurer » sur leur      plus fluides dans leurs organi-
                  lutives dont le développement                 inscription dans une dynamique        sations… ne seraient-elles pas
                  n’est pas toujours facile au sein             démocratique ? Comment les            une forme moderne de gestion
                  de l’organisation des services                entreprises peuvent-elles agir au     de l’Etat – plus allégée, efficace
                  de l’Etat et leur gestion des res-            mieux pour tenir compte de ces        et innovante – beaucoup mieux
                  sources humaines.                             acteurs forts de la régulation ?      adaptée au contexte écono-
                                                                Si les représentants de l’Etat        mique actuel ?
                  Face à la nouvelle donne, le pay-             sont légitimes politiquement, les
                  sage de la régulation se trans-               AAI ont la neutralité et les com-     Ainsi, pour les entreprises, libé-
                  forme ; la place de l’Etat y évolue.          pétences techniques… mais sont        ralisation des marchés n’est en
                  Dans le domaine des investisse-               amenées à prendre des décisions       rien synonyme de simplification
                  ments, de grands actionnaires                 sur lesquels elles n’ont pas de       de la régulation. Confrontées à
                  comme la Caisse des Dépôts                    mandat élu. L’indépendance des        une multiplicité d’acteurs aux
                  émergent comme acteurs clés                   AAI est définie par rapport au        responsabilités et pouvoirs écla-
                  des secteurs des infrastructures ;            pouvoir exécutif, non par rap-        tés, les entreprises n’ont d’autre
                  d’autres secteurs traditionnel-               port au pouvoir législatif : les      choix que d’intégrer cette « zone
                  lement publics influencent di-                objectifs et leur évaluation sont     grise » dans leur organisation
                  rectement la gouvernance des                  réalisés par le Parlement. Les        interne. Mais plutôt que de voir
                  opérateurs. Les collectivités lo-             AAI ne font pas la loi, elles l’ap-   cette complexité comme un mal
                  cales ont plus de marges de ma-               pliquent. L’enjeu est donc que le     inéluctable, voyons-là plutôt
                  nœuvre, leur permettant d’agir                Parlement joue réellement son         comme une opportunité. Celle
                  directement sur les opérateurs                rôle de contrôle.                     de saisir des marges de ma-
                  intervenant dans leurs régions.                                                     nœuvre offertes dans le « mou »
                  Et sur un plan national, la créa-             Tout l’enjeu pour les AAI est de      de la soft law et la richesse des
                  tion des Autorités Administra-                donner à voir qu’elles ne sont        interactions, celle pour les opé-
                  tives Indépendantes (AAI) ap-                 pas de simples « baronnies            rateurs d’être moteur d’une
                  porte une réponse pragmatique                 technocrates » mais de vrais          stratégie repensée qui prend en
                  aux enjeux de régulation. Plus                organes de gouvernance. C’est         compte pleinement les enjeux
                  qu’une simple entité bureaucra-               dans leurs actions, leur capacité     sociaux et sociétaux ainsi que les
                  tique à vocation administrative,              à dire les choses et les écrire, à    jeux d’acteurs. Et n’oublions pas
                  les AAI sont des institutions de              informer qu’elles ont un rôle         qu’aucune régulation ne rem-
                  l’Etat chargées « d’assurer la                démocratique essentiel. Il est clé    place jamais la responsabilité
                  régulation de secteurs considé-               que les AAI sachent communi-          des opérateurs dont la bonne
                  rés comme essentiels et pour                  quer et obtenir l’adhésion au-        conduite sera toujours clé pour
                  lesquels le Gouvernement veut                 tour de leur travail, construisent    préserver les équilibres. n

6   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
Essais de conseils croisés
Réflexions

                     aux ministères et aux agences
                     pour un jeu de rôles
                     de qualité, au service
                     de l’intérêt public
                      Frédéric Petitbon, IDRH

             La recherche d’une tutelle harmonieuse et efficace semble quasi impossible quand on regarde la difficile
             mise en pratique des recommandations des rapports rédigés sur le sujet, comme l’illustre l’Inspection
             Générale des Finances (IGF) en mars 2012 dans « l’Etat et ses agences ».
             Les conditions de création et de développement des agences ne répondent que très partiellement à une
             doctrine explicite. Bien souvent, ces agences sont utilisées pour alimenter des effets d’annonce et de
             communication politique, pour permettre des modes de gestion plus souples (et permissifs ?) que ceux
             de l’Etat ou, le cas échéant, pour récompenser des serviteurs méritants…
             « Toutes choses égales par ailleurs », même sans clarifier le paysage ni mener à bien les simplifications né-
             cessaires, la nécessité de « mieux vivre la tutelle » se dessine bien à la lecture de ces rapports ou à l’écoute
             des acteurs de la tutelle qui appellent à des approches plus constructives de la part de tous les interlo-
             cuteurs, quels que soient leur position ou leur état d’esprit – qu’ils soient hauts placés, ou mal lunés….

             Six idées pour une confrontation harmonieuse :

                 1
                 Rigueur et responsabilité dans
                                                                              2
                                                                              Distance dans les relations,
                 la nomination du dirigeant de l’agence                       « chacun à sa place »
                 Quand celui-ci est parachuté, membre                         Quand on voit dans un conseil d’admi-
                 éminent du cabinet du ministre de tutelle                    nistration (CA) d’agence se tutoyer les
                 et ayant l’oreille et le soutien de celui-ci,                puissants, chacun d’un côté de la table
                 la messe est souvent dite : le pouvoir est                   de réunion, sans se dire les choses, sans se
                 trop en faveur de l’agence. Quand celui-                     froisser pour préserver l’avenir d’un pro-
                 ci fait preuve d’incompétence mettant en                     chain jeu de chaises musicales à l’issue
                 péril les missions de l’agence et desser-                    d’une mobilité attendue… danger ! Si les
                 vant sa vocation de service public, le cou-                  réunions des conseils d’administration
                 rage manque parfois pour le démettre de                      ne servent qu’à entériner des décisions
                 ses fonctions. Les procédures de nomi-                       décidées lors de pré-réunions prépara-
                 nation ouvertes et transparentes, avec                       toires, imaginées pour éviter l’émergence
                 critères de choix clairs et candidats plu-                   de toute aspérité le jour J, quelle en est
                 riels, tant dans leurs diplômes que dans                     l’utilité réelle ? Il s’agit ici de mettre en
                 leurs parcours existent… utilisons-les                       scène une relation de différence, sinon
                 vraiment !                                                   de confrontation, et non de favoriser une
                                                                              connivence contre-productive.

                                                                 IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir   7
3
                      Application dans l’esprit et dans la lettre
                                                                                             5
                                                                                             Partage des informations
                      des procédures et des calendriers                                      et des expertises
                      Les procédures existent maintenant dans                                Quand les entités créées sont définitive-
                      tous les champs nécessaires : du contrat                               ment plus attractives pour les cadres que
                      d’objectifs au budget annuel, de la ré-                                l’administration (autonomie, mode de
                      munération variable du dirigeant aux                                   gestion plus proche de celui de l’entre-
                      résultats au calendrier rythmant l’année                               prise, rémunération….), la fuite des ex-
                      des parties… Qu’est-ce qui empêche le                                  pertises est inexorable. Quand l’agence
                      couple tutelle-agence de les respecter ?                               pense être la seule compétente techni-
                      Ne parle-t-on pas après tout de service                                quement sur les dossiers, la relation ne
                      public ?                                                               peut être équilibrée. Ici aussi les moyens
                                                                                             sont connus : mobilité des personnels ;
                                                                                             mise à disposition des différentes parties
                                                                                             d’études confiées à des experts ; « comi-
                                                                                             tés de sachants »…

                      4
                      Débat de fond
                      sur la stratégie de l’agence
                      Ce débat est trop souvent pauvre – le
                      prétexte étant soit la profusion des indi-
                      cateurs qui occupent tout l’espace de
                                                                                             6
                                                                                             Gouvernance mobilisant à bon escient
                                                                                             les parties prenantes dans leur diversité
                      l’échange, soit la facilité dans la formu-
                                                                                             et leur légitimité
                      lation d’une stratégie « molle et consen-
                      suelle » par l’agence. La mise en place de                             Les conseils d’administration regroupent
                      comités d’audit éviterait par exemple que                              souvent différentes parties prenantes, des
                      les sujets administratifs ne monopolisent                              usagers aux témoins extérieurs ; d’autres
                      toute l’attention des conseils d’adminis-                              acteurs peuvent être écoutés, associés en
                      tration. Ainsi, le questionnement straté-                              amont des décisions stratégiques, infor-
                      gique pourrait être véritablement traité                               més au cours de la conduite des opéra-
                      lors des réunions des CA, comme de celles                              tions… Dans trop de cas, la pratique
                      concernant la relation de tutelle. Les                                 conduit à associer a minima ces parties
                      agences et les ministères qui font vivre ce                            prenantes, pour éviter des « fuites »,
                      débat mobilisent différentes méthodes :                                pour maîtriser la décision. La tentation,
                      mise en scène des attentes des parties                                 pour les décideurs de l’administration
                      prenantes ; « scénario catastrophe »,                                  comme d’ailleurs des syndicats, de pré-
                      toutes choses égales par ailleurs ; vision                             server l’« entre-soi » est forte… mais vouée
                      sur les alternatives à moyen terme ;                                   à l’échec. Non ! Dans un contexte de cri-
                      définition d’indicateurs de résultats                                  tique de légitimité de plus en plus forte,
                      mesurables et priorisés… Et elles s’en                                 cette mobilisation des parties prenantes
                      portent bien, avec des échanges de qua-                                est fondamentale pour notre démocra-
                      lité et dans la force partagée des straté-                             tie. Quitte à prendre le risque d’une trop
                      gies qui en découlent !                                                grande ouverture des débats… mais le jeu
                                                                                             (de la légitimité) en vaut la chandelle ! n

8   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
Pour un pacte
TEMOIGNAGES

                   de confiance sanitaire

                                          Entretien avec
                                          Danielle Salomon
                                          Sociologue, spécialiste des risques sanitaires

                                          Propos recueillis par Alain Aubert et Brice Jehanno, IDRH

                 Sociologue de l’action publique et des organisations. Après                   publics ou des dirigeants d’en-
                 avoir géré des risques financiers pour un groupe internatio-                  treprise aux demandes, ques-
                 nal, elle s’est spécialisée dans les risques sanitaires. Elle vient           tionnements, arguments ou
                 de publier avec William Dab « Agir face aux risques sanitaires.               à l’expression de plaintes des
                 Pour un pacte de confiance » aux PUF en 2013.                                 groupes sociaux suscitent des
                 Rattachée comme chercheuse associée au Centre de Sociologie                   mouvements de mobilisation
                 des Organisations (CNRS-FNSP), elle a fondé Risques & Intelli-                de riverains, d’associations ins-
                 gence, cabinet indépendant spécialisé dans les risques sanitaires             tituées ou l’intervention poli-
                 (environnement, bien être et santé au travail, infectieux, ...)               tique d’un élu ou d’un ministre
                 intervenant pour des organisations publiques et privées.                      par exemple celui du Travail
                 Elle a été chargée de cours à Sciences Po, l’ENA, le CNAM,                    après les suicides de France
                 Paris-Dauphine, l’Ecole Centrale de Paris.                                    Telecom. Ces dynamiques so-
                                                                                               ciales sont autant le produit
                                                                                               de la défaillance de la gouver-
              Comment s’effectue en France          de soins ou encore l’alimenta-             nance publique de ces sujets ou
              la régulation dans le domaine         tion. L’organisation française,            de systèmes confinés comme le
              sanitaire ?                           après différentes crises, comme            sont les milieux de travail, que
              Il faut distinguer la relation pu-    celles du sang contaminé, de               de l’expression de craintes ou
              blique, au sens des politiques        l’amiante et bien d’autres, a              de peurs face aux incertitudes.
              publiques élaborées sur un            choisi de déléguer à des agences           Ces mouvements sociaux ont
              thème et la régulation globale        sanitaires les avis sur les risques.       gagné une réelle capacité d’ac-
              des systèmes concernés par ces                                                   tion si l’on prend l’exemple des
              enjeux. J’entends dans ce cas,        Mais ces dernières approchent              antennes-relais de téléphonie
              l’ensemble des mécanismes,            les risques en restant centrées            mobile ou le blocage de l’exploi-
              des acteurs, des alliances, des       sur une démarche scientifique              tation du gaz de schiste. Leur
              normes et des règles qui font         qui incluent trop peu encore,              influence est encore amplifiée
              qu’un système maintient son           les caractéristiques d’un sec-             par un autre facteur détermi-
              équilibre. Les risques sanitaires     teur d’activité, les conséquences          nant de la régulation en matière
              constituent un enjeu politique        éventuelles des décisions prises           de risques qu’est le recours au
              considérable dans la mesure           ou les craintes ou les visions par-        judiciaire.
              où la responsabilité - y com-         ticulières des groupes sociaux
              pris pénale - des décideurs ou        concernés.                                 En effet, face à l’absence
              celle de l’État peut être recher-                                                d’écoute, de prise en compte
              chée. Les risques sanitaires sont     Les conséquences sanitaires ont            des demandes ou à l’applica-
              constitués par les risques collec-    souvent du mal à émerger au                tion stricte de cadres règlemen-
              tifs ayant une incidence pour la      cœur des décisions ou de la                taires restrictifs (autorisations
              santé, liés aux environnements        gestion d’activités. De plus, la           administratives) se joue l’appli-
              de vie, de travail, de transport,     relative fermeture des acteurs             cation de principes existants

                                                                  IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir   9
(droit à l’information, Conven-               Quelles sont les conditions pour      Il faut donc une vigilance forte,
                   tion d’Aarhus, principe de pré-               qu’une régulation soit efficace ?     des processus continus et aussi
                   caution, etc.) qui ont encore                 Je viens de terminer un livre en      un haut niveau de transparence.
                   du mal à trouver leur concré-                 collaboration avec William Dab        Il est important de doter chaque
                   tisation. Mais la responsabi-                 « Agir face aux risques. Pour un      acteur de réelles capacités d’ac-
                   lité en France reste conçue de                pacte de confiance sanitaire »        tions, de moyens et de lieux de
                   façon individuelle, quand les                 qui montre les dysfonctionne-         négociations. Pour réguler cor-
                   dynamiques débouchant sur des                 ments et l’incapacité de l’État       rectement, il est nécessaire de
                   crises sont souvent le produit                à prendre en charge ces risques       chercher à comprendre les moti-
                   collectif d’un système, ce que ne             notamment par une organisa-           vations des parties prenantes,
                   sait pas encore appréhender le                tion et des outils inadaptés. La      leurs comportements réels et
                   judiciaire. Le directeur de l’usine           France a des problèmes struc-         d’intégrer les conséquences des
                   d’AZF a dû se sentir bien seul                turels en matière de régulation       mesures envisagées.
                   face à sa condamnation.                       des risques qui produisent de la
                                                                 méfiance. Le cloisonnement, la        Ne constatez-vous pas un ap-
                   Le domaine de la Santé relève du              séparation des secteurs créent        prentissage de la concertation
                   droit national alors que celui de             de la lourdeur ou aboutit à l’ab-     en France ?
                   l’Environnement est aujourd’hui               sence de décideur désigné. La         La réponse au niveau central est
                   complètement encadré par les                  plupart des sujets aujourd’hui        d’ouvrir la décision par un élar-
                   directives européennes. Les pro-              sont caractérisés par la com-         gissement interministériel. Mais
                   cessus de transposition sont dif-             plexité des systèmes dans les-        ce n’est pas en soi une solution
                   férents d’un pays à un autre en               quels ils s’insèrent. Cela sup-       parce que l’interministériel est
                   Europe.                                       pose de la transversalité et de la    souvent décidé dans la précipi-
                   La France met toujours beau-                  coopération. Nous y affirmons         tation et dépend beaucoup du
                   coup de temps à passer à                      notre conviction qu’une bonne         rapport de forces existant entre
                   l’acte et attend souvent d’être               régulation doit avoir pour objet      les ministères autour de la table.
                   condamnée pour se décider                     d’anticiper, de décloisonner et       Peu à peu, au niveau territorial
                   à transposer les directives. Le               de recréer de la confiance. En        des mécanismes de concerta-
                   système français ne semble pas                termes de régulation, il n’y a pas    tion se mettent en place, comme
                   bâti pour des évolutions rapides              de recette toute faite. Il faut de    la Commission nationale de dé-
                   ni les innovations. Par exemple,              la pertinence, du bon sens et         bat public ou les commissions
                   on n’envisage une évolution du                rechercher l’efficience et l’ap-      particulières (mises en place par
                   droit du travail qu’à travers le              propriation des mesures par les       exemple pour les projets de l’Aé-
                   salariat et on ne sait pas penser             acteurs concernés. Pour qu’une        roport des Landes ou de la ligne
                   la protection sociale en dehors               régulation sanitaire soit effi-       haute tension du Nord Coten-
                   de celui-ci. Pourtant les formes              cace, il est important de négo-       tin), des commissions ad hoc
                   de travail évoluent profondé-                 cier en amont avec l’ensemble         sous l’autorité des Préfets ainsi
                   ment selon les secteurs ou les                des parties prenantes sur la          que des conférences de citoyens,
                   âges de la vie. La gestion de la              base d’une évaluation scienti-        mécanisme de concertation pro-
                   crise H1N1 a été pensée sans                  fique ouverte surtout lorsque         venant du Danemark. Mais ces
                   connaissance fine des caracté-                les connaissances manquent.           expériences restent limitées dans
                   ristiques du système médical                  Pour pouvoir prendre les bonnes       leurs résultats surtout lorsque la
                   français.                                     décisions, il convient de trouver     sensibilité politique est forte ou
                                                                 un équilibre entre l’ouverture de     la problématique trop cadrée
                   Cette gestion a procédé d’une vi-             systèmes confinés qui génèrent        dès le départ.
                   sion très "top-down" et a été ap-             des risques et la reconfiguration
                   pliquée sans intégrer le tissu mé-            de systèmes intégrant les parties     Enfin, les grandes entreprises
                   dical. Les Agences Régionales                 prenantes tout en aménageant          évoluent, comme la Poste et
                   de Santé, dont la création a                  une capacité de décision réelle.      sont tentées par des innovations
                   suscité beaucoup d’espoir, fonc-              En France, la tendance actuelle       en matière de dialogue social,
                   tionnent trop souvent avec une                penche timidement vers l’ouver-       davantage pour échapper à
                   approche "top-down" et bureau-                ture.                                 une crise que par anticipation.
                   cratique au lieu de créer de la               Dans le domaine sanitaire, les        Pourtant, il est prouvé que le
                   collégialité et de la coopération             choses peuvent évoluer très vite      dialogue social favorise la com-
                   entre les partenaires concernés.              et les incertitudes sont centrales.   pétitivité. n

10   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
La Caisse des Dépôts, investisseur de
                     long-terme, joue un rôle clé POUR
TEMOIGNAGES

                    accompagner l’évolution
                    des modèles économiques
                    des grandes sociétés
                    d’infrastructures

                                            Entretien avec
                                            Antoine Gosset-Grainville
                                            Ancien directeur général adjoint de la Caisse des Dépôts,
                                            membre des comités de direction de la Caisse des Dépôts
                                            et du Groupe

                                            Propos recueillis par Alain Aubert et Charlotte Measures, IDRH

                 47 ans, Inspecteur des finances, diplômé de l’Institut d’études                 une origine commune : le suren-
                 politiques de Paris, titulaire d’un DESS « banque et finances »                 dettement public. La contrainte
                 de l’université Paris IX Dauphine et ancien élève de l’ENA (pro-                pesant actuellement sur les fi-
                 motion Léon Gambetta) - Inspection générale des finances                        nances publiques est source de
                 (1994-1997). Secrétaire général adjoint du Comité monétaire                     crispation pour les entreprises
                 européen puis du Comité économique et financier de l’Union                      comme pour les collectivités,
                 européenne (1997-1999). Conseiller pour les affaires écono-                     soumises de manière crois-
                 miques et monétaires au cabinet du commissaire européen                         sante à la nécessité du désen-
                 chargé du commerce (1999-2002). Avocat aux barreaux de                          dettement ou à la perspective
                 Paris et de Bruxelles. Directeur adjoint de cabinet du Premier                  d’une réduction des soutiens
                 ministre (2007-2010). Directeur général adjoint de la Caisse                    publics. Jusqu’à maintenant, la
                 des Dépôts depuis le 1er mai 2010, membre des comités de                        sphère publique pouvait s’en-
                 direction de la Caisse des Dépôts et du Groupe. Directeur                       detter facilement, entreprises
                 général de la CDC par intérim du 8 mars au 18 juillet 2012.                     et collectivités s’organisaient
                                                                                                 en conséquent. Aujourd’hui,
                                                                                                 les entreprises et collectivités
              Les marchés d’infrastructures           eux, cette politique a été appli-          cherchent à faire face à cette
              (électricité, ferroviaire, télécoms),   quée de manière excessive, ce              situation, les premières en frei-
              autrefois tenus par des opé-            qui conduit à l’affaiblissement            nant l’arrivée des nouveaux en-
              rateurs nationaux en mono-              des opérateurs historiques, pé-            trants, les secondes en obligeant
              pole, sont aujourd’hui dans             nalisés sur le plan économique.            les acteurs privés à renoncer à
              des démarches d’ouverture à la                                                     leurs rentes.
              concurrence. Pensez-vous que            D’un autre coté, les grandes col-
              l’on soit allé trop loin dans cette     lectivités qui reprennent en régie         Les tensions constatées sont-
              ouverture ?                             des activités concédées estiment           elles amenées à se renforcer ou
              Deux points de vue s’opposent.          que la concurrence n’est pas               à s’apaiser ?
              D’un coté, les entreprises - au-        assez forte : elles remettent en           La révélation du surendettement
              paravant en situation de mono-          cause les rentes captées par les           public vient bouleverser le mode
              pole - critiquent une approche          opérateurs privés et menacent              de gestion de l’Etat et, par ex-
              guidée par le primat de la poli-        de ré-internaliser les activités.          tension, transforme également
              tique de la concurrence. Selon          Ces perspectives divergentes ont           celui des autres acteurs publics.

                                                                   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir   11
manière, elle souhaite que le fi-
                                                                                                        nancement des collectivités don-
                                                                                                        ne également lieu à des partena-
                                                                                                        riats.

                                                                                                        En ce qui concerne le développe-
                                                                                                        ment des entreprises privées, la
      Extrait de :
  "WWW: What a                                                                                          Caisse des Dépôts ne propose-t-
 Wonderful World"                                                                                       elle pas un appui trop limité au
            2007
  Faouzi Bensaïdi                                                                                       marché national ?
                                                                                                        Absolument pas. Regardez le
                     Ces tensions vont se poursuivre,            un choix rassurant pour tous,          cas de Veolia Transdev : Trans-
                     l’exemple actuel du secteur éner-           particulièrement pour le corps         dev s’était beaucoup développé
                     gétique en est une illustration.            social des entreprises ou établis-     à l’international avant le rap-
                                                                 sements publics qui ne peuvent         prochement avec Veolia.
                     Avec les nouvelles politiques en-           pas s’ouvrir au privé ou, du
                     gagées par les collectivités, les           moins, ne peuvent le faire bru-        La Caisse des Dépôts entretient
                     entreprises comme Veolia ou                 talement.                              des relations étroites avec des in-
                     Suez connaissent un bascule-                                                       vestisseurs de long terme étran-
                     ment de leurs modèles écono-                Ainsi, les entreprises feront de       gers. On a fondé le Club des
                     miques. Il est encore trop tôt              plus en plus appel à la Caisse         Investisseurs qui regroupe des
                     pour savoir sur quoi va débou-              des Dépôts. Le cas de La Poste,        fonds souverains et les Caisses
                     cher cette opposition entre la              qui a ouvert son capital pour          des Dépôts d’autres pays, et va
                     poursuite de la régulation par la           renforcer ses fonds propres, est       permettre de développer des co-
                     concurrence et la logique d’une             la preuve que ce phénomène va          investissements. Le fait d’être
                     régulation sectorielle protectrice          se généraliser.                        réuni en Club limite les engage-
                     des opérateurs historiques.                                                        ments de fonds propres et donc
                                                                 Dans le développement des en-          produit un effet de levier. L’asso-
                     Dans ce mouvement d’évolution               treprises publiques, en quoi le rôle   ciation avec d’autres investis-
                     de l’économie, quel est le rôle de          de la Caisse des Dépôts est-il dif-    seurs avec qui on a pris le temps
                     la Caisse des Dépôts ?                      férent de celui de l’Etat ?            de nouer une relation forte per-
                     La Caisse des Dépôts est un                 Prenons comme exemple le               met de le faire en toute sécurité.
                     investisseur de long terme. Ces             groupe La Poste. Avant l’ouver-
                     deux mots comptent autant                   ture de son capital, La Poste était    Et à court terme comment
                     l’un que l’autre. Il s’agit pour            100% APE (Agence des Partici-          les questions de financement
                     nous d’accompagner le déve-                 pations de l’Etat). Aujourd’hui,       pèsent-elles sur la gouvernance ?
                     loppement des entreprises, et               elle a des actionnaires.               Ces problèmes de financement
                     l’inscription dans le long terme            La Caisse des Dépôts a une ap-         guident les comportements des
                     constitue à la fois notre voca-             proche fondamentalement dif-           acteurs. Les grandes entreprises
                     tion et notre valeur ajoutée.               férente de l’APE, elle est présente    publiques qui sont encore en
                     Dans ce contexte en mutation,               au conseil d’administration            situation de monopole savent
                     la Caisse des Dépôts est de plus            de La Poste sur du long terme.         que l’Etat est dans l’incapacité
                     en plus sollicitée. La contrainte           Cela permet de travailler avec         d’augmenter leur capital et que
                     du surendettement amène les                 le management de La Poste en           les subventions vont stagner,
                     entreprises à adapter leurs                 portant une grande attention à         voire baisser. Elles cherchent
                     modes de développement et                   la mission de développement de         donc à prolonger la rente le plus
                     leurs structures capitalistiques.           l’entreprise. On parle business,       longtemps possible en proté-
                     Des entreprises publiques, pour             organisation, développement de         geant leurs marchés afin de se
                     se développer, ont besoin d’ou-             nouveaux métiers.                      donner les moyens de faire évo-
                     vrir leur capital car l’Etat ne                                                    luer leur métier et leurs corps so-
                     pourra rien faire. C’est particu-           La Caisse des Dépôts veut met-         cial. Cependant, Bruxelles veille
                     lièrement vrai dans les secteurs            tre en place un vrai partenariat       et les entreprises doivent en tenir
                     traditionnellement publics.                 entre les deux groupes (des équi-      compte. n
                     Ouvrir son capital auprès d’un              pes de travail réfléchissent en ce
                     acteur public de confiance est              moment sur le sujet). De la même

12   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
Réactiver l’économie française ?
TEMOIGNAGES
                  Faisons confiance aux
                  acteurs territoriaux
                                        Entretien avec
                                        Jean-Léonce Dupont
                                        Sénateur, Vice Président du Sénat et Président de la
                                        Fédération des Entreprises publiques locales (FedEpl)

                                        Propos recueillis par Alain Aubert et Charlotte Measures, IDRH

                 Titulaire d’une Maîtrise de Sciences Economiques option                    vont éclairer le peuple. Les élites
                 Gestion, d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) d’Eco-                   sont, certes, indispensables,
                 nomie Générale et d’un Diplôme d’Etudes Comptables Supé-                   mais j’ai aussi envie de connaître
                 rieures (D.E.C.S.).                                                        la réaction de l’utilisateur final,
                 Chargé de mission puis directeur de cabinet de Michel d’Or-                du citoyen, du consommateur…
                 nano et René Garrec, Présidents successifs du Conseil Régio-
                 nal de Basse-Normandie. En 1988, il est directeur de Sup-Eu-               Une bonne gouvernabilité com-
                 rope au Centre d’études supérieures européennes de Caen                    mence par une bonne analyse
                 (CESEC) puis directeur général adjoint du groupe ESC CAEN                  du territoire, même si l’objectif
                 LE HAVRE, poste qu’il quitte en 1998 après son élection au                 n’est pas pour autant de donner
                 Sénat. Vice-président du Sénat depuis novembre 2008, il est                tout le pouvoir au local.
                 aussi Président du Conseil général du calvados depuis mars
                 2011, Président de la fédération nationale des EPL depuis                  Le principe d’égalité est tel-
                 octobre 2011 et Vice-président national du Nouveau Centre                  lement génétiquement pro-
                 (2007).                                                                    grammé dans notre pays que
                                                                                            l’on s’oblige toujours à généra-
                                                                                            liser à 100%. On n’accepte pas
              Comme expert des collectivités      des circuits courts ; même si le          qu’il y ait des différences entre
              territoriales, mais aussi comme     secteur du luxe constitue une ex-         les régions alors que, dans les
              élu national, quel regard portez-   ception. Aujourd’hui, celui qui           faits, ces différences existent
              vous sur la centralisation ?        gagne n’est plus le plus gros,            bel et bien. Nous avons besoin
              La période de l’Etat jacobin,       mais le plus rapide.                      de sortir d’une culture stricte de
              hyper centralisé, devrait être                                                l’« entité » pour favoriser la mise
              terminée. Dans les pays où elle     Sur un autre plan, nous gagne-            en réseau. La France est très im-
              a prévalu comme la France (ou       rions beaucoup à passer d’un              prégnée d’une culture de struc-
              le Japon), elle a permis un déve-   mode de fonctionnement "top-              tures, ce qui explique leur multi-
              loppement remarquable avec le       down", qui correspond à la                plication : « je prends le contrôle
              succès de projets aux retours sur   culture de nos élites (le centre          de la structure car c’est elle qui
              investissements de long-terme       a toujours raison) à un mixte             donne le pouvoir ». Passer à une
              (Ariane, le nucléaire, le TGV…).    "top-down" et "bottom-up".                culture de réseaux constitue une
              Pourquoi est-on les champions       Le "top-down" est très ancré dans         véritable révolution culturelle,
              du nucléaire ? C’est parce que      notre manière de fonctionner, le          entre les entités et en leur sein.
              ce secteur nécessite un pouvoir     "bottom-up" nous pose plus de             Il est indispensable de mettre
              central fort. Cependant, dans       problèmes. La consultation de             les acteurs en situation de « co-
              notre pays, cette centralisation    la base reste très modélisée, très        pétition » ; ils seront de temps
              a freiné notre capacité à nous      réduite. Nous continuons à pen-           en temps en situation de com-
              positionner sur les produits avec   ser que les élites ont le savoir et       pétition sur certains sujets et

                                                               IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir   13
de temps en temps en collabo-                  ponsabilité et éventuellement la      Tout le problème est la dési-
                  ration sur d’autres sujets. C’est              sanction. Quand on est libre, on      gnation. J’ai été un opposant
                  vrai pour les acteurs écono-                   doit être responsable, rendre des     au projet de mise en place de
                  miques, comme pour les diffé-                  comptes et savoir en tirer des        conseillers territoriaux, cela au-
                  rents niveaux territoriaux.                    conséquences. Je fais confiance       rait conduit à un niveau de pro-
                                                                 à l’homme et aux équipes.             fessionnalisation de la fonction
                  C’est donc tout le système qu’il                                                     qui allait décliner au niveau ter-
                  faut redéployer localement ?                   Si l’on décentralise davantage,       ritorial ce qu’on connait au ni-
                  Interrogeons-nous sur notre                    l’Etat peut-il devenir le garant de   veau national, à savoir une fonc-
                  technostructure.                               la bonne gestion locale ?             tionnarisation toujours crois-
                  Comment peut-elle donner de la                 Décliner le modèle (soi-disant)       sante des élus. C’est un enjeu
                  marge de manœuvre aux acteurs                  vertueux de l’Etat au plan local      considérable. Quand vous aurez
                  locaux sur les plans financier et              ne correspond pas à mon mode          de la monoculture à toutes les
                  législatif ? En termes de capacité             de pensée. Je suis de ceux qui        strates de décision, exécutives et
                  à faire et de liberté ?                        disent : l’autorité supérieure n’a    législatives, vous perdrez l’essen-
                                                                 pas toujours raison et le pouvoir     tiel : la réactivité, la flexibilité, le
                  La suppression de la taxe pro-                 central n’est pas toujours en état    courage et au final une certaine
                  fessionnelle, conjuguée à l’aug-               de gérer le mieux. Je préfère une     intelligence.
                  mentation des dépenses obli-                   incitation à la vertu qui vienne
                  gatoires de solidarité nationale               du bas et une récompense des          Donc, pourquoi pas les dé-
                  (RSA, handicap…), pèse sur les                 résultats vertueux par le haut.       marches de "soft law", mais il
                  ressources financières des terri-              Un Etat qui encourage les bons        faut réfléchir aux nominations
                  toires. La vraie question est de               résultats locaux (par exemple         qui aboutissent à une équipe
                  savoir si demain les collectivités             en incitant à la mutualisation)       différenciée. Ce n’est pas le fait
                  territoriales conserveront une                 serait plus utile qu’un Etat qui      que le Président de la Répu-
                  capacité à faire. On le verra bien             sanctionne. Ironiquement, nous        blique, ou le Président de l’As-
                  avec l’acte III de la décentralisa-            pourrions dire que, étant en dé-      semblée Nationale, ou le Pré-
                  tion.                                          ficit structurel depuis trente ans,   sident de Sénat, décident des
                                                                 notre Etat national n’est pas en      nominations qui permet une
                  Pour ce qui est du domaine                     position de donner des leçons.        culture différenciée. La technos-
                  législatif, je ne suis pas du tout                                                   tructure s’adapte pour toujours
                  favorable à une législation lo-                Que pensez-vous de la création        contrôler.
                  cale. Il y a déjà tellement de lois            d’autorités indépendantes ?           La technostructure a correspon-
                  qu’une couche supplémentaire                   Cette voie est-elle également in-     du aux années 1950-1960 ; on
                  au niveau local accroîtrait la                 téressante ?                          était en économie libérale sur pla-
                  complexité. Cependant, quand                   Pourquoi pas. La question qu’il       nification indicative et cela pre-
                  la législation nationale ne per-               faut poser est : quel est le profil   nait sens dans une époque d’in-
                  met pas de mettre en place tel                 des gens que l’on met dedans ?        vestissements long-terme. Ces
                  ou tel outil local, il est néces-              Si ce n’est qu’un habillage pour      choix d’organisation et de ma-
                  saire que le législateur, fort de              y mettre la même technostruc-         nagement pouvaient être perti-
                  son expérience locale, prenne la               ture et les mêmes élites consan-      nents. Aujourd’hui, on est dans
                  main. Ce fut le cas pour la loi sur            guines, on ne va pas beaucoup         l’hyper-réactivité.
                  les Sociétés publiques locales,                évoluer.                              Comment voulez-vous que ce
                  votée à l’unanimité au Parle-                  Je crois à la multiplicité et à       modèle puisse marcher ? Nous
                  ment. Le cap des 100 créations                 l’addition des talents. Ne nous       sommes les champions du nu-
                  de SPL a été dépassé à peine                   y méprenons pas, nous avons           cléaire, mais pour tout le reste,
                  deux ans après le vote de cette                besoin d’élites. Je veux qu’elles     la clé est la rapidité. On est en-
                  loi, ce qui atteste du bien-fondé              soient confrontées à la réalité.      goncé dans un Etat jacobin et
                  de cette initiative qui répondait              Je veux qu’elles soient accom-        dans nos normes.
                  à une attente forte des élus et                pagnées dans leur cheminement
                  des territoires.                               par des personnes qui n’ont pas       Il faut faire confiance aux ac-
                  Sachons faire confiance aux                    le même profil, qui n’ont pas la      teurs, territoriaux et écono-
                  acteurs territoriaux et écono-                 même culture, qui ne sont pas         miques. Cela sera plus efficace,
                  miques. Si certains dépassent                  passées par les mêmes écoles,         et générera plus de réussites que
                  les limites, on les sanctionnera.              qui ne viennent pas des mêmes         d’échecs. n
                  Derrière la liberté, il y a la res-            quartiers.

14   IDRH - Regards croisés n°40 - Gouvernance, régulation et soft law : comprendre et agir
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