LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT - LE MAGAZINE D'INFORMATION DES LANGAGIERS - BANQ
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LE MAGAZINE D’INFORMATION DES LANGAGIERS Numéro 95 • printemps 2007 www.ottiaq.org L A T R A D U C T I O N J U R I D I Q U E AU C A N A DA : TO U T U N CO N T R AT Envoi de publication canadienne convention numéro 1537393
POUR COMMENCER N O 95 PRINTEMPS 2007 Vers notre numéro 100 Dossier Le champ de la pratique de la traduction juridique est vaste, 5 particulièrement au Canada, étant donné la coexistence du Michel Buttiens, trad. a. bilinguisme et du bijuridisme. Circuit a pensé qu’il était temps de consacrer un dossier à ce domaine complexe. D ans la vie d’un magazine, il y a de grandes étapes et la publication d’un centième numéro compte certes parmi celles-ci. Les plus observateurs d’entre vous auront noté qu’ils tiennent en mains le numéro 95. C’est donc Sur le vif 20 Une nouvelle norme européenne dire que, pour l’équipe de rédaction, le décompte a commencé : dans un peu régissant la prestation des plus d’un an, au moment où Québec célébrera en grande pompe ses 400 ans, Circuit services de traduction ; les fêtera — beaucoup plus modestement, malgré tout — son numéro 100. Vingt-cinq ans de Brèves ; Notes et contrenotes ; Échappées sur le futur. publication depuis le jour où les membres de la Société des traducteurs du Québec ont donné à Pierre Marchand et à son équipe, les Robert Dubuc, Paul Morisset, Nada Kerpan, Johanne Dufour, Paul Horguelin et consorts, le feu vert pour lancer une revue professionnelle sur la Des revues 22 langue et la communication. Les temps ont changé et Circuit se définit désormais comme le L’aménagement jurilinguistique magazine d’information des langagiers, mais on peut néanmoins affirmer que ces vingt-cinq au Canada ; évaluer la qualité d’une traduction ; traduction années auront été marquées par la constance. juridique : l’approche Pour une fois, je vais déroger à un principe sacro-saint du comité de rédaction : éviter de terminologique est-elle gage de qualité ? susciter des attentes qu’on n’est pas sûr de pouvoir combler. Comment ? En vous faisant part de nos projets pour les prochains numéros, et ce, jusqu’au numéro 99. Selon les prévisions les plus réalistes, nous devrions donc aborder les thèmes suivants dans la prochaine année : Des livres 24 l’évolution de la langue, la traduction en français aux États-Unis, les langues de spécialité et La langue française face à la les cabinets de traduction. À moins, bien sûr, que survienne dans notre univers langagier un mondialisation et un guide à l’usage notamment de la presse événement incontournable. À l’avenir, vous devriez retrouver régulièrement la liste des parlée. Les Nouveautés. thèmes à venir, ce qui vous permettra de nous faire part de votre intérêt à apporter votre collaboration à un des dossiers en préparation. Pour l’instant, place au dossier sur la traduction juridique au Canada que nous ont préparé Curiosités 27 L’influence de la langue Eve Renaud et AnneMarie Taravella. Un dossier où l’on parle beaucoup de collaboration, d’en- sur le sens de l’orientation. traide et du sentiment d’être au cœur de l’action. Un dossier qui saura plaire aux spécialistes mais aussi aux langagiers qui tâchent d’éviter d’ordinaire un domaine où ils ne se sentent pas particulièrement à l’aise. Merci à Eve et AnneMarie, ainsi qu’à leurs collaborateurs et colla- Pages d’histoire 28 boratrices de l’extérieur, de nous avoir rendu accessible ce champ d’activité de nombreux Francisco de Miranda, précurseur de l’indépendance collègues. hispano-américaine, journaliste, Enfin, nos chroniqueurs poursuivent leur travail. Dans Des revues, Brigitte Charest s’est éditeur et traducteur. particulièrement inspirée du thème de notre dossier pour vous présenter ses recensions. Dans Curiosités, Didier Lafond s’est arrangé pour nous faire perdre le nord. Et dans Pages Des techniques 29 d’histoire, Pierre Cloutier a retenu un nouvel article sur une figure marquante de l’histoire Transcheck-2, projet pilote de de la traduction en Amérique du Sud. révision assistée par ordinateur. À tous et à toutes, bonne lecture et bon printemps. Court-Circuit 31 Calling Arabic translators.
2021, avenue Union, bureau 1108 Publié quatre fois l’an par l’Ordre des traducteurs, Montréal (Québec) H3A 2S9 terminologues et interprètes agréés du Québec Tél. : 514 845-4411, Téléc. : 514 845-9903 Courriel : circuit@ottiaq.org Site Web : http://www.ottiaq.org Vice-présidente, Communications — OTTIAQ Publicité Nous aimons Nunzia Iavarone Catherine Guillemette-Bédard, OTTIAQ Direction Tél. : 514 845-4411, poste 225 • Téléc. : 514 845-9903 vous lire. Michel Buttiens Avis aux auteurs : Veuillez envoyer votre article à l’atten- Rédactrice en chef tion de Circuit, sous format RTF, sur disquette ou par cour- rier électronique. Écrivez-nous Gloria Kearns Rédaction Yolande Amzallag (Classe affaires), Brigitte Charest Droits de reproduction Toutes les demandes de reproduction doivent être ache- pour nous minées à Copibec (reproduction papier) (Des revues, secrétaire du comité), Pierre Cloutier (Pages d’histoire), Marie-Pierre Hétu (Des techniques), Didier Tél. : 514 288-1664 • 1 800 717-2022 licenses@copibec.qc.ca faire part Lafond (Curiosités), Solange Lapierre (Des livres), Éric Poirier, Eve Renaud (Sur le vif), AnneMarie Taravella (Des campus) La rédaction est responsable du choix des textes publiés, mais les opi- nions exprimées n’engagent que les auteurs. L’éditeur n’assume aucune de vos commentaires. responsabilité en ce qui concerne les annonces paraissant dans Circuit. Dossier © OTTIAQ Eve Renaud et AnneMarie Taravella Dépôt légal - 2e trimestre 2007 Ont collaboré à ce numéro Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada James Archibald, Georges L. Bastin, Sabine Davies, ISSN 0821-1876 Christian C. Després, Marie Désy-Field, Joan Durand, Geneviève Gagnon, Jean-Claude Gémar, Margaret Tarif d’abonnement Jackson, André Labelle, François Lavallée, Aline Manson, Membres de l’OTTIAQ : abonnement gratuit Allan Parvu, Rénald Rémillard Non-membres : 1 an, 40,26 $ ; 2 ans, 74,77 $. Étudiants ins- 2021, avenue Union, bureau 1108 Direction artistique, éditique, prépresse et impression crits à l’OTTIAQ : 28,76 $. À l’extérieur du Canada : 1 an, Montréal (Québec) H3A 2S9 Mardigrafe 46,01 $ ; 2 ans, 86,27 $. Toutes les taxes sont comprises. Chèque ou mandat-poste à l’ordre de « Circuit OTTIAQ » (voir Tél. : 514 845-4411 adresse ci-dessus). Cartes de crédit American Express, Mas- Téléc. : 514 845-9903 tercard, Visa : www.ottiaq.org/publications/circuit_fr.php Deux fois lauréat du Prix de la meilleure Courriel : circuit@ottiaq.org publication nationale en traduction de la Site Web : www.ottiaq.org Fédération internationale des traducteurs. 100 % PC Imprimé sur papier recyclé 30 % postconsommation (couverture) et 100 % postconsommation (pages intérieures), fabriqué avec des fibres désencrées sans chlore, à partir d’une énergie récupérée, le biogaz. N E RESTEZ PAS Consultez notre site Web au www.ottiaq.org/publications/circuit_fr.php 1 an, 4 numéros : 40,26 $ 2 ans, 8 numéros : 74,77 $ Extérieur du Canada : 1 an, 4 numéros : 46,01 $ 2 ans, 8 numéros : 86,27 $ Étudiants inscrits à l’OTTIAQ : 1 an, 4 numéros : 28,76 $ LES TAXES SONT INCLUSES DANS LES PRIX M. Mme nom prénom adresse code postal courriel téléphone télécopieur Circuit Ordre des traducteurs, terminologues date signature (No TPS : R132564493, No TVQ : 1013734514) et interprètes agréés du Québec Paiement par carte de crédit : American Express MasterCard Visa 2021, avenue Union, bureau 1108 Montréal (Québec) H3A 2S9 No de la carte : Date d’expiration : Télécopieur : 514 845-9903 Chèque ou mandat poste à l’ordre de : OTTIAQ, 2021, avenue Union, bureau 1108, Montréal (Québec) H3A 2S9 • Télécopieur : (514) 845-9903
DOSSIER LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT Tout un contrat L e bilinguisme juridique n’est pas l’apanage du Canada, mais la coexistence, dans notre pays, du bilinguisme anglais-français et du bijuridisme droit civil-common law distingue notre pays sur la carte mondiale. On peut penser que tous les efforts déployés depuis plus de trente ans pour que la justice soit accessible et applicable dans les deux langues confèrent à notre pays une expertise non négligeable. Dans le rapport mi- nistériel sur le rendement établi pour le ministère de la Justice du Canada pour l’année 2004-2005, le Secrétariat du Conseil du Trésor indique que Justice Canada a consacré 2,9 milliards de dollars à la formation du per- sonnel des tribunaux et des juges à la jurilinguistique, au perfectionne- ment des compétences des procureurs bilingues et à divers autres projets, dont la mise à disposition du public d’une version anglaise de compo- santes du site Éducaloi. Pourtant, les Canadiens, et même parmi eux, les traducteurs, connais- sent-ils bien le chemin parcouru entre un projet de loi et l’application ainsi que l’interprétation de la loi par les organismes responsables et les tribunaux ? Et que dire du champ de la pratique de la traduction juridique ? Certes, il y a les lois, mais aussi les contrats entre particuliers, les assu- rances, les jugements, les brevets, les prospectus, etc. Voilà pourquoi nous avons pensé qu’il était temps de consacrer un numéro à ce vaste et complexe domaine. Eve Renaud, trad. a. (Canada) Circuit a trouvé cette fois encore d’excellents collaborateurs, praticiens et enseignants, qui nous font cadeau de AnneMarie Taravella, trad. a. leur connaissance et de leur expérience personnelle de ce vaste domaine. Nous les en remercions et vous encourageons à lire leurs propos très éclairants. Vous découvrirez dans ce dossier pourquoi et comment on traduit les lois au Québec. Vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’au fédéral, on ne traduit pas, mais on « corédige » les textes législatifs, et vous vous de- manderez si, finalement, traduire et corédiger ne sont pas les deux mamelles de l’élaboration d’un texte norma- tif dans un pays bilingue. Vous éprouverez naturellement le besoin de savoir ce qu’est la jurilinguistique et ce qu’un jurilinguiste mange au petit-déjeuner. Vous aurez une réponse très complète à la première de ces deux questions. Vous saurez aussi ce que mange au petit-déjeuner une traductrice juridique pratiquant dans un cabi- net d’avocats, et connaîtrez les raisons pour lesquelles elle adore son métier. Vous frissonnerez en lisant les écueils que doit éviter un traducteur juridique en pratique privée, membre à la fois de l’OTTIAQ et du Barreau du Circuit • Printemps 2007 Québec, et vous vous instruirez avec nos coups de projecteur sur les ressources du traducteur juridique. Si tout cela vous a mis en appétit, et que vous n’avez de cesse de pénétrer ce monde polymorphe, lisez l’article sur l’enseignement de la traduction juridique au deuxième cycle. Vous entamez une visite surprenante. Suivez le guide, et bonne lecture ! 5
DOSSIER LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT L’enseignement de la traduction juridique au deuxième cycle Par Chistian C. Després, trad. a. À l’instar du domaine de la traduction en général, le secteur de la traduction juridique est lui aussi aux prises avec un problème de relève, susceptible traduction et se familiariser à nouveau avec les nom- breuses difficultés et subtilités de la langue juridique et générale, et ce, tant en anglais qu’en français, mais d’être ressenti avec encore plus d’acuité lorsque bon également « désapprendre » certains tics de langage. nombre de praticiens très expérimentés quitteront la De plus, il leur faut apprendre à bien distinguer leur profession au cours des cinq prochaines années. Ce- ancien rôle, soit celui de l’auteur cherchant à con- pendant, je dirais qu’à très court terme il s’agit moins vaincre par ses mots et son style, de leur nouveau rôle, d’un problème d’absence totale de relève que d’une soit celui du traducteur s’efforçant de bien rendre les pénurie de traducteurs — et de réviseurs — adéqua- propos de l’auteur (ou du locuteur) tout en respectant tement préparés à remplacer leurs prédécesseurs. le ton et le style (ou le niveau de langue) de celui-ci. En Faisant à nouveau office de chef de file dans l’en- effet, alors qu’on les invite à maîtriser et à appliquer seignement de la traduction juridique, l’Université les règles de l’art de la traduction, les étudiants peu- d’Ottawa offre depuis septembre 2005 un élément de vent parfois trouver contradictoire qu’on leur reproche solution, soit une maîtrise en traduction juridique ré- de l’avoir fait en leur disant qu’ils auraient dû — Oh ! servée aux diplômés en droit. Durant la session d’au- hérésie ! — traduire non pas l’idée mais les mots, de tomne 2006, j’ai eu l’occasion d’enseigner à des manière à respecter la simplicité, l’imprécision ou l’am- étudiantes qui terminaient la maîtrise ou la commen- biguïté, voulue ou non, du texte original. çaient. À la lumière de cette expérience, j’aimerais vous faire part de certaines observations sur l’ensei- L gnement de la traduction juridique, au deuxième cycle, es étudiants doivent non à des personnes qui possèdent un diplôme et même, dans certains cas, de nombreuses années d’expérience seulement assimiler les pratique dans le domaine de spécialité, en l’occurrence règles de l’art de la le droit. traduction et se familiariser à nouveau avec les Enseigner la traduction juridique nombreuses difficultés à des juristes et subtilités de la langue Comme je l’ai signalé précédemment, la maîtrise est réservée aux diplômés en droit. En conséquence, juridique et générale, il s’agit d’étudiants ayant déjà approfondi les connais- et ce, tant en anglais qu’en sances spécialisées auxquelles ils feront appel dans français, mais également l’exercice de leur nouvelle profession. Cette spécialisa- tion préalable à l’apprentissage de la discipline étu- « désapprendre » certains diée constitue indéniablement un atout considérable, tics de langage. mais elle peut en revanche obliger à quelques remises en question, ce qui n’est pas sans présenter certains défis lorsque les étudiants sont des gens rompus au débat et à l’argumentation. Ayant été formés, dans leur profession antérieure, à rédiger divers textes — actes de procédure, contrats Une mise à niveau rapide variés, avis et plaidoiries — et à s’appuyer dans cette Cela dit, j’ai été à même de constater que les cours tâche sur des « clauses types » ou des « précédents », de traduction de base que doivent suivre les étudiants voilà que les étudiants apprennent que certaines de avant d’amorcer l’étude de la traduction juridique Circuit • Printemps 2007 leurs sources d’inspiration ont pu faire jurisprudence comme telle et l’abondance des ouvrages disponibles mais ne font pas d’office autorité sur le plan linguis- aujourd’hui sur les difficultés du langage du droit et la tique. Que la langue des initiés qu’ils employaient au jurilinguistique permettent d’effectuer une mise à prétoire ou dans leurs études ne convient pas dans niveau assez rapide et, jusqu’à un certain point, d’ac- tous les contextes. En d’autres mots, les étudiants doi- célérer l’apprentissage de la profession, compte tenu vent non seulement assimiler les règles de l’art de la des connaissances spécialisées déjà acquises. Enfin, 6 C h r i s t i a n C . D e s p r é s e s t a vo c a t e t t ra d u c t e u r à l a C o u r s u p r ê m e d u C a n a d a . I l e s t é g a l e m e n t p ro f e s s e u r à l a m a î t r i s e e n t ra d u c t i o n j u r i d i q u e d e l ’ U n i ve r s i t é d ’ O t t a w a .
un autre facteur qu’il ne faut pas sous-estimer, mais « Si le droit mène à tout, il ne permet pas de faire bien au contraire encourager, est la très grande motiva- l’économie de l’apprentissage de la traduction pour qui tion que manifestent généralement les étudiants d’un veut la pratiquer. Ainsi, grâce à la maîtrise — et notam- programme court et pratique comme la maîtrise. ment aux cours de propédeutique offerts durant le pre- En terminant, je laisse Marie Rodrigue, une des pre- mier semestre d’étude — j’aborde maintenant un texte mières finissantes de la maîtrise, nous offrir le point de en appliquant une méthode systématique et efficace. vue de l’étudiante sur l’apprentissage de la traduction Avec une connaissance très approfondie des sources juridique au deuxième cycle. utiles en traduction juridique et des spécificités de cha- « Avant de m’inscrire à la maîtrise en traduction ju- cune d’entre elles, je suis désormais en mesure de faire ridique, comme avocate et traductrice autodidacte, je des recherches plus précises, mieux orientées et aussi n’avais d’autre choix que de puiser dans mes connais- exhaustives que possible. Je sais beaucoup mieux sances préalables du français et du langage juridique reconnaître et éviter les pièges de la traduction de l’an- pour m’acquitter des tâches qui m’étaient confiées. glais vers le français. Finalement, mes choix terminolo- Force est d’admettre que je travaillais d’instinct, sans giques et phraséologiques étant maintenant davantage appliquer une méthode systématique et raisonnée. fondés et éclairés, je me sens nettement mieux outillée J’effectuais souvent mes recherches à tâtons. pour les défendre et en discuter. » Maîtrise en traduction juridique (Université d’Ottawa) Renseignements généraux (www.traduction.uottawa.ca/sequence_juridique.html) Ce programme professionnel intensif de deuxième cycle d’une durée de quatre sessions vise à former des traducteurs ou des réviseurs principalement pour le marché canadien où cohabitent deux systèmes de droit, la common law et le droit civil. Il s’adresse à des juristes qui désirent se spécialiser en traduction de l’anglais vers le français et en révision juridique. La Maîtrise en traduc- tion juridique donne accès à des postes de traducteur ou d’avocat-réviseur dans des services pu- blics de traduction juridique, des grandes entreprises ou des cabinets d’avocats, mais elle ne Circuit • Printemps 2007 conduit pas à la pratique du droit ni à l’admission aux Barreaux. Conditions d’admission 1. Être titulaire d’un diplôme de premier cycle en droit, ou l’équivalent ; 2. Réussir à l’examen d’admission de l’École de traduction et d’interprétation. 7
DOSSIER LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT Legal translation and the practice of law B eing both a practising lawyer and a legal translator at the same time is an exciting challenge that is also fraught with danger. It has been said that a or is it an obligation to deliver a competent transla- tion? There is no case law on the matter of translators, as far as I know. However, by applying the principle of Not such strange lawyer’s best friend is a poor translator! In this short obligations as specified in the Civil Code, I think we are bedfellows after article, I’ll try to describe some of the aspects of this on safe ground in concluding that a translator has an work that are out of the ordinary. obligation of result. Can you imagine delivering a all. more-or-less-complete translation to a client, saying “I did my best” and handing him an invoice? The very Memberships nature of the contract for translation services implicitly By Allan Parvu, C. Tr. Yes, I am both a member of OTTIAQ and the requires the delivery of a precise translation. I do not Barreau du Québec. Obviously, that means two sets of think that arguing the contrary would stand up very membership fees and two professional liability insur- long in court. ance policies. As you can probably guess, the work I covered by one policy is excluded under the other. Relationship between the two professions Experience shows that concentrating on legal trans- t has been said lation does help in the practice of law. In fact, depend- that a lawyer’s ing on the documents to be translated, it may be possible, or even necessary, to conduct detailed best friend is a research on specific points, which may be useful later poor translator! in preparing a case. This is important when research must be done on the most recent and relevant legisla- tion or concerning authors who have written seminal work on a legal issue. On the other hand, the practice of law entails an obligation to perform research to properly prepare a case. This research may also be of use when translating in the same or a related field. However, there is one crucial distinction—the What is the importance of such a distinction for a extent of the performance expected of a translator and translator? It directly concerns professional liability. In a lawyer. Quebec civil law has a notion called the obli- case of litigation in which it is alleged that an imprecise gation of means and the obligation of result. Case law translation was relied on and entailed damage to the has interpreted such a notion on many occasions in the plaintiff, the translator will not be able to exonerate past in cases in which the result of work performed himself by stating that he simply “did his best.” Once was challenged. For example, a doctor has the obliga- the damage is proven and the existence of a connec- tion to use all modern and competent means to care tion between that damage and the faulty translation is for his patient. However, he does not have the obliga- established, it will be up to the translator to prove that tion to heal that patient, which would be an obligation he actually did deliver a quality translation (based on of result. On the other hand, an automobile mechanic generally accepted standards for the field in which he has the obligation to repair an automobile on which he translates) and the damage was not caused by the agrees to work. He cannot simply say: “I did my best” translation relied on. For now this discussion is theo- and then hand his client an invoice. Quite to the con- retical as I know of no case in which these principles trary, case law has determined that a lawyer has the were discussed in connection with translation. Let’s obligation to use all competent and up-to-date means hope this will always continue to be a theoretical issue! to properly represent his client. The lawyer does not Circuit • Printemps 2007 have an obligation to have his client acquitted on a criminal charge or to win his claim for damages. After Managing timelines all, everyone knows that half of all lawyers lose their Both the practice of law and translation require the case! management of timelines. Legislation in civil matters is How does this notion apply to translators? What is replete with timelines which must be calculated, counted the extent of our obligation? Is it simply to do our best, and computed in order to do or not do what is required 8 Al l a n Pa r v u i s a l a w y e r a n d l e g a l t ra n s l a t o r, a s w e l l a s a n i n s p e c t o r f o r OT T I AQ .
to protect a client’s rights. Running a translation prac- interest. Although subject to the obligation of tice also involves timelines which keep coming at you confidentiality under sections 26 to 30 of OTTIAQ’s too fast. The trick is to develop a system for managing code of ethics, no specific provisions seem to govern timelines for legal matters and for translation. Unfortu- conflict of interest situations as far as translators are nately, there is no sure-fire method for doing so. It all concerned. This subject is obviously beyond the scope depends on the work that is accepted, whether that’s a of a short article, but I think that a translator who has case or a translation assignment. clients who are commercial competitors, for example, and who has access to their commercial or trade secrets may be in a difficult position if his relationship Conflicts of interest with these clients is disclosed and if either one com- One of the pitfalls in the practice of law is avoiding plains about industrial spying. Such a translator could conflicts of interest. Several years ago, in a seminal be an easy target, even if he has done nothing wrong. judgment, the Supreme Court traced the rules applica- This matter is interesting and deserves further ble to conflicts of interest. Not only must a lawyer discussion. avoid ending up in a conflict of interest situation, he M a s c u l i n e p ro n o u n s a re u s e d t h ro u g h o u t t h e t e x t f o r s i m - must also avoid the appearance of a conflict of plicity; no gender bias is intended. L’interprétation Circuit s’entretient judiciaire, avec Sabine Davies, int. a., une histoire de passion trad. a., qui nous donne des précisions sur Circuit : Madame Davies, dans quel contexte avez- la profession vous exercé la profession d’interprète judiciaire ? d’interprète Sabine Davies : J’ai surtout exercé à la chambre cri- minelle de la Cour supérieure du Québec. La demande judiciaire. est plus grande au criminel, en raison du droit qu’a l’accusé d’entendre son procès dans sa propre langue. Propos recueillis Ce droit est garanti par la Charte canadienne des droits par AnneMarie Taravella, trad. a. et libertés afin d’assurer à quiconque est accusé d’un crime une défense pleine et entière. Le tribunal a donc l’obligation de faire appel à un interprète dès que l’ac- cusé en a besoin, tandis qu’au civil, il n’y a pas d’obli- gation et la partie qui souhaite bénéficier des services d’un interprète doit en payer les frais. C. : Comment êtes-vous entrée dans le métier ? S. D. : Pendant que j’effectuais mes études de maî- C. : Étiez-vous employée par le Palais de justice ? trise, de 1981 à 1983, j’ai fait de l’interprétation anglais- S. D. : Non. À l’époque où j’y travaillais régulière- francais-espagnol pour les services d’immigration. Une ment, les interprètes judiciaires étaient tous pigistes ; collègue m’a dit qu’on avait besoin d’interprètes au c’est d’ailleurs encore le cas. Nous sommes considérés Palais de justice de Montréal. Je m’y suis présentée, et comme fournisseurs de services du gouvernement du on m’a tout de suite affectée à un procès aux Assises. Québec. Circuit • Printemps 2007 Disons que j’ai été dans le bain tout de suite ! Heureu- C. : Quel est selon vous le premier rôle de l’interprète sement, j’avais les reins solides, une bonne présence et judiciaire ? une voix exercée par quelques années d’apprentissage S. D. : Sans hésiter, il s’agit de permettre et d’assu- théâtral. Ce sont des atouts précieux pour un interprète rer la communication. L’interprète est là pour faire en judiciaire, surtout qu’à l’époque, on travaillait surtout sorte que les débats puissent avoir lieu malgré les dif- en viva voce. férences de langues. Il m’est même arrivé d’intervenir 9
DOSSIER LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT dans un contexte où le témoin s’exprimait en anglais, devons être, ou du moins donner l’apparence d’être, langue comprise par tous à l’audience, sauf par le aussi impartiaux que les juges. juge, qui écoutait l’interprétation simultanée. Il s’agis- C. : Aujourd’hui, vous êtes essentiellement interprète sait d’une affaire d’importation de stupéfiants ; nous de conférence. Pourquoi avez-vous quitté le Palais de étions huit interprètes en quatre cabines. À une ques- justice ? tion du substitut du procureur, le témoin a répondu S. D. : Tout d’abord, il m’arrive encore régulière- qu’il ne prenait pas de drogue, seulement quelques ment de traduire des documents pour le Palais de jus- « tablets ». Le ministère public a réagi comme s’il avait tice, dans le domaine de la criminalistique, par affirmé consommer des tablettes entières de haschish ! exemple. Durant toute la période où j’ai travaillé Je suis intervenue pour rétablir le sens du témoignage. comme interprète au Palais, je me suis passionnée Comme quoi, même dans un contexte censé être bi- pour tout le côté scientifique d’un procès criminel, et lingue, la possibilité d’une communication ne va pas j’en ai fait un de mes domaines de spécialité. Cela dit, toujours de pair avec la qualité de la communication. le quotidien d’un interprète judiciaire, pour être pas- C. : Qu’est-ce qui distingue l’interprétation judiciaire sionnant, n’est pas payant ! Et les conditions de travail de l’interprétation de conférence ? sont très pénibles. Je travaille encore régulièrement au S. D. : L’importance de rendre le discours sans civil mais plus au criminel. À un certain moment, lors- l’améliorer, l’impact qu’ont les paroles qu’on prononce. qu’on a acquis une certaine expérience, on a envie de Il faut conserver le registre de langue, faire en sorte passer à autre chose ; on aspire à un peu plus de stabi- que notre interprétation reflète véritablement la ma- lité et à de meilleures conditions de travail. nière de s’exprimer du témoin par exemple, avec ses I erreurs de langue parfois. Je me souviens d’une fois où j’ai dû traduire que quelqu’un s’était servi « d’un ciseau » au lieu de ciseaux. J’ai donc dit « chisel » au lieu de scissors, ce qui m’a valu des roulements l faut conserver le registre d’yeux. Il était important de faire entendre à l’assis- tance l’erreur du témoin, car la façon dont il s’expri- de langue, faire en sorte que mait faisait partie de son témoignage et contribuait à notre interprétation reflète sa crédibilité auprès des juges. Cela aurait été vrai aussi à l’inverse, s’il avait eu un langage particulière- véritablement la manière de ment châtié. En situation de conférence, au contraire, il s’exprimer du témoin par est d’usage — comme en traduction écrite générale- exemple, avec ses erreurs ment — d’améliorer la forme du discours autant que possible. de langue parfois. Plus globalement, il y a une absence de routine dans l’interprétation judiciaire qui contribue à rendre le métier passionnant. C’est ce que je retiens peut-être de plus po- sitif de mon expérience au Palais de justice : le sentiment d’être au cœur de l’action, l’occasion d’apprendre tous C. : Recommanderiez-vous tout de même le métier les jours, une curiosité toujours entretenue. à de jeunes diplômés ? Circuit • Printemps 2007 C. : Y avait-il des aspects difficiles ? S. D. : Absolument ! L’interprétation judiciaire est S. D. : Certains procès étaient presque insoute- une activité particulièrement formatrice. C’est une ex- nables. Ceux qui avaient trait aux enfants maltraités cellente école et un tremplin formidable en début de m’ont toujours particulièrement émue. La proximité carrière qui met en valeur la curiosité, l’envie d’ap- avec les accusés peut être difficile à gérer, mais ce sont prendre et la passion. des difficultés qu’on surmonte au quotidien car nous 10
La traduction et l’édition des lois à l’Assemblée nationale du Québec L e Québec a l’obligation constitutionnelle d’adop- ter ses lois en français et en anglais et de les pu- blier dans ces deux langues. Cette obligation découle traducteur doit traduire les amendements s’il y a lieu. Une fois que les projets de lois sont sanctionnés, le Service de la traduction rédige les notes marginales Par Geneviève Gagnon de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, en des lois en français et en anglais. vertu duquel les lois du Parlement du Canada et de Le Service de l’édition est composé d’un directeur la Législature de Québec doivent être imprimées et et de quatre agents d’information qui effectuent la cor- publiées en français et en anglais. rection des épreuves. Ces correcteurs d’épreuves lisent L’article 133 a été adopté afin de permettre aux les projets de loi en français et en anglais avant leur deux communautés linguistiques du Québec d’avoir présentation et indiquent les corrections qui devraient accès à l’ensemble des lois dans leur langue, car être apportées. Ils font une lecture comparative à de 1774 à 1866 le droit civil n’était rédigé qu’en fran- haute voix en équipe selon une méthode élaborée par çais et de 1774 à 1841 le droit criminel n’était rédigé le Service de l’édition. Cette étape constitue la der- qu’en anglais. nière confrontation des deux versions des projets de En 1979, la Cour suprême du Canada a jugé dans loi avant leur présentation. Par la suite, le Service de l’arrêt Blaikie1 que cette obligation d’imprimer et de pu- l’édition prépare les textes des projets de loi pour la blier les lois dans les deux langues impliquait leur deuxième impression qui s’effectue après la sanction adoption dans les deux langues. De plus, l’article 21 de une fois que les amendements sont incorporés aux la Loi constitutionnelle de 1982 maintient l’obligation textes. De plus, le Service de l’édition publie le réper- du Québec et du Manitoba en matière de bilinguisme toire législatif et les versions française et anglaise du législatif et judiciaire. En vertu de l’article 7 de la Charte Recueil annuel des lois. de la langue française, adopté en 1993, « les projets de loi sont imprimés, publiés, adoptés et sanctionnés en Caractère unique du travail français et en anglais, et les lois sont imprimées et pu- bliées dans ces deux langues ». L’article 7 de la Charte de traduction énonce aussi que les versions française et anglaise des Pour ce qui est du travail de traduction comme tel, lois et des règlements ont la même valeur juridique. il est important de souligner son caractère unique qui tient à la nature du système juridique du Québec, qui est un système de droit mixte, c’est-à-dire un système Direction de la traduction de common law et de droit civil. La common law s’ap- et de l’édition des lois plique en droit public et le droit civil en droit privé. L’Assemblée nationale du Québec doit donc tra- Ainsi, en plus d’avoir deux langues de législation, le duire les lois en anglais en vue de leur présentation et Québec a deux systèmes juridiques. Il est à noter que les publier en français et en anglais. C’est la Direction le Québec est un des rares endroits où le droit civil de la traduction et de l’édition des lois qui exécute ce est exprimé en anglais. Il n’en serait de même qu’en travail. La Direction comprend deux services. Louisiane et en Écosse. Avec le temps, il s’est déve- Le Service de la traduction est composé d’une di- loppé au Québec une terminologie anglaise du droit rectrice et d’une équipe de huit traducteurs et révi- civil. Lorsqu’ils traduisent un projet de loi en droit public seurs. C’est le Secrétariat à la législation du ministère ou en droit privé, les traducteurs doivent non seulement du Conseil exécutif qui lui transmet la version française transposer le même message tout en respectant le génie des projets de loi publics du gouvernement. Le traduc- de la langue anglaise, mais aussi s’assurer de bien res- Circuit • Printemps 2007 teur à qui la traduction d’un projet de loi est confiée pecter les modes d’énonciation, la terminologie et les fait les recherches terminologiques et juridiques ap- notions de chaque système juridique. Il s’agit d’un tra- propriées et exécute la traduction des différentes ver- vail très pointu et d’autant plus important que les ver- sions du projet de loi. Un réviseur effectue ensuite la sions française et anglaise des lois ont la même valeur révision de la traduction afin d’assurer le contrôle de la juridique. Les deux textes doivent donc avoir une corres- qualité. Après la présentation du projet de loi, le pondance juridique et linguistique parfaite. G e n e v i è ve G a g n o n e s t t ra d u c t r i c e à l a D i re c t i o n d e l a t ra d u c t i o n e t d e l ’ é d i t i o n d e s l o i s d e l ’ A s s e m b l é e n a t i o n a l e . 11
DOSSIER LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT Exécution du travail 21 décembre. Pendant ces périodes de travail intensif, Autrefois, les traducteurs de l’Assemblée nationale l’équipe du Service de l’édition, qui est le dernier travaillaient avec le crayon et la machine à écrire. Au- maillon de la chaîne de travail, fait également des jourd’hui, ils ont à leur disposition des outils de travail séances-marathons de travail. très modernes : ordinateurs, logiciels spécialisés, En outre, les traducteurs et les correcteurs banques de données et Internet. Les traducteurs colla- d’épreuves doivent respecter le caractère confidentiel borent étroitement entre eux et il arrive souvent qu’ils des textes qu’ils traduisent ou lisent et ne pas divul- lisent les projets de loi traduits par des collègues avant guer le sujet des textes sur lesquels ils travaillent. S’ils qu’ils ne soient révisés afin d’améliorer le texte et de dévoilaient quoi que ce soit, ils se trouveraient à révé- faire des commentaires constructifs. Il y a une bonne ler le programme législatif du gouvernement. D’une dynamique de collaboration entre les membres de certaine manière, ils sont dans le secret des dieux et l’équipe de traduction. Un autre des aspects intéres- très conscients du travail parlementaire qui s’accom- sants du travail est que les projets de loi portent sur plit à l’Assemblée nationale. une très grande variété de sujets. Dans la dernière année, par exemple, les traducteurs ont dû se pencher notamment sur les ordres professionnels, les élec- Collaboration avec les légistes tions, les impôts, les valeurs mobilières, les régimes de Il est à noter que la Direction de la traduction et de retraite, la protection du consommateur, les règles de l’édition des lois collabore étroitement avec les lé- gouvernance, la santé et les services sociaux, la straté- gistes. Lorsque les traducteurs repèrent des problèmes gie énergétique, les forêts et l’environnement. dans le texte français des projets de loi, ils les signa- De plus, les traducteurs exécutent leur travail dans lent aux légistes et les ajustements nécessaires sont des délais très serrés. Étant donné que les versions faits afin que les deux versions correspondent. La ré- française et anglaise des projets de loi sont adoptées daction des lois et la traduction des lois ne s’effectuent en même temps, les traducteurs effectuent la traduc- pas en vase clos. Le Secrétariat à la législation du mi- tion des différentes versions du texte français au fur et nistère du Conseil exécutif est en contact constant à mesure qu’elles leur sont fournies dans le cadre du avec la Direction de la traduction et de l’édition des processus de rédaction en français, et ce, avant que le lois. projet de loi ne soit présenté à l’Assemblée nationale. La Direction de la traduction et de l’édition des lois Comme les textes français sont eux-mêmes très sou- exécute donc un travail essentiel, passionnant et très vent rédigés dans des délais très serrés, les traduc- spécialisé, qui requiert de la part de son équipe pro- teurs doivent accomplir leur travail avec une grande fessionnelle des compétences particulières et une rapidité d’exécution. Les périodes de travail intensif grande disponibilité. Traduire et éditer des lois à l’As- correspondent aux périodes de travaux parlementaires semblée nationale du Québec, c’est se trouver dans le qui s’échelonnent du deuxième mardi de mars jus- feu de l’action. qu’au 23 juin et du troisième mardi d’octobre jusqu’au 1 . P. G . Q u é b e c c . B l a i k i e , [ 1 9 7 9 ] 2 R . C . S . 1 0 1 6 . Circuit • Printemps 2007 12
Présence et nécessité de la jurilinguistique S ituée à la croisée du droit et de la linguistique, la jurilinguistique est-elle utile en traduction,, alors que l’activité traduisante ne représente qu’une partie Par Jean-Claude Gémar de son champ d’intervention ? Discipline récente, elle propose des éléments de solution pour produire des textes juridiques répondant mieux aux impératifs de la communication actuelle que l’ère du « village les textes traditionnels, souvent jugés peu lisibles. global », le besoin Chaque peuple a façonné des manières de rédiger ses de traduire est textes juridiques. Parfois, l’accent a été mis sur la clarté, la simplicité et la concision, mais le plus sou- plus pressant vent, lourdeur, maladresse et verbiage se conjuguent que jamais. au détriment du lecteur. Ce sont les fruits de la sponta- néité et d’un manque de regard critique. En droit, ce n’est pas tant le lecteur que le citoyen qui en subit les conséquences. On l’a récemment constaté lorsque les Français rejetèrent, en mai 2005, le projet constitution- nel de l’Union européenne. Une des raisons le plus souvent invoquées était celle d’un texte incompréhen- sible pour le citoyen ordinaire. provinciale), bilingue (au niveau fédéral et quelquefois Avant tout unilingue, comme dans la plupart des provincial), et même multilingue si l’on compte l’espa- États monolingues, le texte juridique peut aussi être gnol que l’ALENA ajoute à l’anglais et au français. Cette bilingue, notamment au Canada, ou multilingue, singularité, selon Cornu, élève notre pays au « pa- comme en Suisse, à l’ONU ou dans l’Union euro- roxysme de la complexité », en droit comme en traduc- péenne. Il lui arrive d’être exposé à la traduction, ce tion juridique. Cette complexité a sans doute contribué qui pose un tout autre problème que celui de la rédac- à l’apparition d’une jurilinguistique canadienne, dont tion originale d’une loi ou d’un contrat, même si les la corédaction des lois fédérales représente l’état le deux activités se résument à un exercice d’écriture. plus achevé. Or, à l’ère du « village global », le besoin Bien que traduire ne soit pas la fonction première du de traduire est plus pressant que jamais. À preuve jurilinguiste (comme le démontrera, à qui en douterait, l’Union européenne, avec, successivement, ses 6, puis la bibliographie de jurilinguistique française établie 12, 15, 25 et, actuellement, 27 États membres et ses par le CTTJ de l’Université de Moncton), cette activité 13 langues, dont le bulgare et le roumain, dernières en est en progression constante, mondialisation oblige. date. Elle est l’exemple limite de ce que la confronta- tion des langues et du droit peut produire de difficultés de toute sorte. À lui seul, l’« acquis communautaire » Compétence juridique représente quelque 85 000 pages, que chacun des et savoir-faire linguistique pays candidats à l’entrée dans l’Union doit traduire. Pourtant, dire que le texte juridique présente un À preuve encore et pour relativiser la situation du défi pour le traducteur est un truisme. Passons sur les Canada, pensons au cas bien particulier de l’Afrique du obstacles lexicaux, syntaxiques et même stylistiques, Sud, avec ses onze langues officielles et son trisysté- que tout traducteur doté d’un minimum d’expérience misme juridique, dépassé par celui, extrême, de l’Inde… doit pouvoir franchir. La difficulté principale de ce texte L’image classique — chère aux traductologues — du réside dans ses aspects notionnels et conceptuels, gué (le Styx ?) à traverser illustre bien les périls que doit parce qu’ils relèvent du droit et, en traduction, du droit affronter le traducteur en chemin. comparé : deux systèmes se font face. Cela demande une compétence de comparatiste dont le traducteur ju- Circuit • Printemps 2007 ridique doit disposer dans son bagage pour opérer un Des règles obligatoires transfert satisfaisant. C’est sur cette combinaison de La traduction juridique ne diffère guère toutefois compétence juridique et de savoir-faire linguistique de la traduction en général. Le texte juridique type (loi, que se fonde la jurilinguistique. jugement, contrat), en revanche, se distingue des Au Canada, elle est tout à la fois généralement mo- autres textes (médical, commercial, technique, etc.) au nolingue (dans chaque langue et système, à l’échelle moins par deux aspects : son langage et la ou les J e a n - C l a u d e G é m a r e s t p ro f e s s e u r é m é r i t e à l ’ U n i ve r s i t é d e M o n t r é a l . 13
DOSSIER LA TRADUCTION JURIDIQUE AU CANADA : TOUT UN CONTRAT règles obligatoires que porte le message. Contrai- Or, exposés à différentes significations, souvent gnante, la règle de droit lie le traducteur, quels que porteurs de nuances multiples et subtiles, les signes soient les systèmes en jeu. linguistiques font l’objet d’assauts incessants par les Une des difficultés que présente la pratique de interprétations divergentes auxquelles ils peuvent cette traduction, contrairement à l’activité traduisante donner lieu. La « tâche » du traducteur en est compli- exercée dans les autres domaines, réside dans le degré quée qui doit saisir toutes les nuances de sens du de proximité (même famille juridique) ou d’éloigne- texte de départ afin de les reproduire dans un texte ment (familles différentes) des systèmes auxquels le d’arrivée jugé équivalent. Aussi traduire un texte est-il traducteur est confronté (Gémar, 2003 : 231). Ces sys- peut-être le meilleur moyen soit d’en révéler les limites tèmes s’expriment dans une langue donnée. Aussi la sémantiques, soit d’en exprimer les potentialités. Et, difficulté est-elle double : terminologique et notion- pour le traducteur juridique, d’en « interpréter » la nelle (ou conceptuelle), situation normale, somme portée (Gémar, 2005). toute, en traduction, mais exacerbée par le bilinguisme et le bijuridisme canadiens. Le mythe de la traduction totale L De ces considérations il découle que la traduction totale (ou complète) qui, selon certains traducto- ’exercice de la traduction logues, verrait la réalisation d’une équivalence parfaite entre les deux textes (de départ et d’arrivée) n’est juridique présente des qu’un mythe. Au Canada, il est tenace du fait de la contraintes requérant du règle de « l’égale autorité » des deux versions des lois traducteur un savoir-faire (cf. art. 18 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982) qui entretient cette fiction politique autant que juridique. peu commun. C’est celui du La vérité, dérangeante comme toute vérité, est que le jurilinguiste. produit d’une traduction est toujours différent de l’ori- ginal et, en tant que tel, contestable selon l’éclairage (historique, sociologique, linguistique, politique, etc.) que projettera sur lui le lecteur selon son degré de connaissance du sujet. Cette vérité est celle de la tra- duction en général. Le texte juridique, lorsqu’il est soumis à l’opération traduisante, n’y échappe pas. Une fois le message juridique compris, il restera à l’exprimer dans le texte d’arrivée. C’est ici que la juri- Ensuite, le défi posé au traducteur est celui de la linguistique se révélera utile au traducteur selon le compréhension du texte, qu’il soit littéraire, commer- type de texte en cause. Car on ne traduit pas de la cial ou technique, puis de sa « recréation » dans un même façon une loi, un contrat et un jugement, qui dif- texte d’arrivée. Ici s’interpose l’idée que l’on se fait de fèrent par leur forme, leur contenu et leur destination. la traduction selon qu’elle sera perçue comme une Cela en vertu d’un principe cardinal : traduire ne se technique de communication, un savoir-faire profes- résume pas au transfert des mots d’un texte source vers sionnel ou… un art. Les manières de traduire peuvent un texte cible, puisque ce ne sont pas des mots que l’on varier d’une région, d’une langue et d’une culture à traduit, mais un texte et le message — le sens — qu’il l’autre, selon les contraintes propres à chaque situa- contient. tion, dans le temps et dans l’espace, qui sont davan- Aussi, pour exprimer en quelques mots le principe tage marquées dans le domaine juridique que dans la directeur du traducteur (juridique), disons que sa plupart des autres domaines. Cela en raison, notam- tâche consiste à « formuler le texte », alors que le ment, des réalités et contingences politiques, adminis- devoir du juriste lui dicte de « dire le droit ». Mais tratives et sociales. Le cas du Québec, avec sa langue, lorsque les deux fonctions sont réunies dans la même son système juridique particulier et ses institutions personne, qu’elle parvient à réaliser dans le texte d’ar- propres, en est l’illustration quasi caricaturale. Cet rivée la synthèse de la lettre (le droit) et de l’esprit du aspect, essentiel alors que la localisation fait désor- système (son langage), tout en exprimant fidèlement le mais partie du cursus du traducteur, est à retenir lors- message du texte de départ, la jurilinguistique justifie qu’il s’agira de former des traducteurs juridiques. pleinement son utilité. L’adage locus regit actum (le lieu gouverne l’acte) vaut Références aussi pour le traducteur… Circuit • Printemps 2007 G É M A R , J e a n - C l a u d e e t N i c h o l a s K A S I R E R ( d i r. ) , L a j u r i l i n - On en déduira que l’exercice de la traduction juri- guistique : entre langues et droits. Jurilinguistics : Between Law and Language, Montréal, Thémis, 2005. dique présente des contraintes requérant du traduc- G É M A R , Jean-Claude, « Le traducteur juridique et l’“asymétrie teur un savoir-faire peu commun. C’est celui du culturelle” », Langue, droit et culture, Actes du V I e Forum jurilinguiste. Il se réalise pleinement lorsque ces deux international sur la traduction cer tifiée et l’interprétation judiciaire (Unesco, 12-14 juin 2002), D E L A F U E N T E , Elena compétences se combinent de façon à « amener l’au- (dir.), Paris, F IT, 2003, p. 231-243. teur au lecteur » (Ricoeur, 2004 : 9). R I C O E U R , Pa u l , S u r l a t ra d u c t i o n , Pa r i s , B a y a rd , 2 0 0 4 , p. 9 . 14
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