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AVRIL 2021
Edition Genève / N° 45 / Journal des Eglises réformées romandes
5
ACTUALITÉ
Terre sainte en
crise, privée de
pèlerins
8
RENCONTRE
John Behr dénonce
l’« éradication »
de la mort dans
Rester humain
notre culture
23
dans un monde toujours
CULTURE
Centenaire
de Friedrich
plus connecté
Dürrenmatt
25
VOTRE CANTON
2 AU MENU Réformés | Avril 2021
SOMMAIRE DANS LES CANTONS VOISINS
NEUCHÂTEL
4
ACTUALITÉ
4
Pâques avec restrictions sanitaires
Culture religieuse à l’école vaudoise SOBRIÉTÉ Les paroisses réformées du canton de Neuchâtel se préparent à vivre des
célébrations pascales sans fioritures. Des options alternatives en ligne seront propo-
5
Terre sainte privée de pèlerins sées. Contrairement à l’année dernière, où les célébrations n’étaient tout bonnement
6 pas possibles, elles peuvent cette année se dérouler avec un maximum de cinquante
Les cloches parlent à chacun personnes. Les pasteurs ne s’attendent toutefois pas à une affluence massive, beaucoup
7 de paroissiennes et de paroissiens restant très prudents et ne venant plus au culte pour
Un podcast pour les migrants
ne pas s’exposer.
8
RENCONTRE
Le Christ a renversé la mort
pour le théologien John Behr BERNE-JURA
10 L’impôt paroissial des entreprises
DOSSIER : FISCALITÉ Le monde politique bernois s’agite autour de la question de l’impôt pa-
LES ÉCRANS roissial des personnes morales. La question fait suite à la forte implication des Eglises
lors de certaines votations. Plusieurs parlementaires sont montés au créneau pour
ET NOUS
demander de rendre facultatif l’impôt paroissial en déposant une motion, retirée
11
Le numérique peut-il être éthique ? par la suite. En réaction, un autre groupe plus modéré a également déposé un texte
14 demandant à ce que cet impôt soit uniquement affecté à des buts socioculturels.
Un usage raisonné du smartphone
15
Déconnecter du travail
16
Amours reprogrammées VAUD
17
Un gouffre énergétique Un guide pour le sentier des huguenots
18 BALADE Nouvelle avancée pour les marcheurs et les marcheuses féru•e•s de culture :
Page enfant : l’Association vaudoise des amis du sentier des huguenots a édité un guide pour par-
« Un woomy sort de l’écran »
courir ses itinéraires vaudois. Depuis 2013, des dizaines de kilomètres de sentiers
19
ont été balisés, le long de trois parcours. Il ne manquait plus qu’un guide explicatif,
c’est chose faite avec ce fascicule joliment illustré qui, outre des informations his-
THÉOLOGIE toriques autour du refuge huguenot et des illustrations soignées, recense tous les
19
Un accompagnement qui change tout points d’intérêt architectural sur le trajet.
20
Riche diversité Sur les pas des huguenots et des vaudois du Piémont en Pays de Vaud,
127 p., 15 fr. Informations : www.via-huguenots-vd.ch.
22
CULTURE
23 Réformés se décline en quatorze éditions régionales. Ces trois résumés en sont issus.
Centenaire de Dürrenmatt (www.reformes.ch/pdf). Sur Reformes.ch et sur les réseaux sociaux, suivez l’actu religieuse
tout au long du mois. Ecoutez un choix d’articles au 021 539 19 09 ou en podcast
25 (reformes.ch/ecoute)
VOTRE RÉGION
25
Le pasteur Bruno Gérard
témoigne de sa foi en Jésus-Christ Réagissez à un article Fichier d’adresses et abonnements
Les messages envoyés à courrierlecteur@ Merci de vous adresser au canton qui vous concerne :
28
Le Musée de la Réforme reformes.ch sont susceptibles d’être publiés. Le
texte doit être concis (700 signes maximum), signé
Genève aboGE@reformes.ch, 022 552 42 33 (je – ve).
Vaud aboVD@reformes.ch, 021 331 21 61 (lu – ve).
a rouvert ses portes et réagir à un de nos articles. La rédaction se réserve Neuchâtel aboNE@reformes.ch, 032 725 78 14 (lu – ma).
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29 trop longs. je matin).
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38
CULTES
N° 45 | Réformés ÉDITO 3
RENDEZ-VOUS LE NUMÉRIQUE
DOIT-IL ÊTRE RESPONSABLE ?
TV
Faut pas croire aborde des questions L’actualité nous oblige à nous poser toujours plus
éthiques, philosophiques et religieuses de questions sur l’impact de nos actes : on pense à
le samedi, à 13h25, sur RTS un.
Teleglise suit l’actualité des Eglises l’alimentation durable, à la mobilité verte, mais nos
de Bienne et région sur TeleBielingue. comportements et nos outils en ligne posent eux
Tous les jours, à 10h30 et à 16h30 ou aussi question. La responsabilité économique, envi-
sur YouTube.
ronnementale et sociale passe-t-elle aussi par nos claviers ? Po-
RADIO ser la question, est-ce participer à une énième poussée idéolo-
Décryptez l’actualité religieuse avec les gique d’une époque « moralisatrice » ? Avant de nous soucier de
magazines de RTSreligion.ch.
durabilité à tous les étages, ne ferions-nous pas bien d’éduquer
Hautes fréquences le dimanche, à 19h,
sur La Première. tout simplement au numérique ? La fracture digitale est bien là
Babel le dimanche, à 11h, sur Espace 2. et elle ne touche de loin pas que les seniors (voir p. 7). Du côté
Sans oublier Respirations sur RJB, Pa-
des entreprises, certaines vivent – notamment les PME – une
raboliques sur Canal3.
Programme et podcast sur www.parabo- marche forcée vers la digitalisation. Rajouter une couche de
liques.ch. règles éthiques risquerait de compliquer encore cette étape.
Le dimanche, messe à 9h, culte à 10h, Effectivement, être responsable prend du temps. Pour
sur Espace 2.
un·e dirigeant·e, comme pour un éditeur de logiciels, des
VAUD parents… C’est rendre des comptes sur son fonctionnement,
Allier culture et spiritualité en chemi- ses règles, pouvoir expliquer ses choix. Donc, s’exposer,
nant vers Pâques. C’est ce que proposent
prendre le risque d’envisager d’autres options, faire face à
le Centre culturel des Terreaux et l’Es-
pace Saint-François. Du 30 mars au 4 la contradiction.
avril, un office alliant textes et musique, Pour rappel, les premières démonstrations de télévision
sacrés ou profanes, sera proposé à 17h et en Suisse datent de 1949, la première émission de télévision
à 19h. www.sainf.ch.
genevoise de 1954. Ses organes de régulation mettent des
SMARTPHONE années à se structurer : l’Autorité indépendante d’examen
Carolina Costa, pasteure à Genève, par- des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) naît en
tage chaque jour une pensée méditative
sur l’application de messagerie Telegram.
1984. A l’heure où 95 % des 15-55 ans utilisent internet quo-
www.t.me/pasteurecarolinacosta. tidiennement en Suisse, selon l’OFS, quel temps avons-nous
pris pour avoir des discussions collectives, dans nos entre-
Suivez jour après jour l’actu religieuse
prises, nos familles, sur nos usages et nos outils numériques ?
sur www.reformes.ch.
Camille Andres
L’ADN de Réformés Réformés est un journal indépendant financé par les Eglises réformées des cantons de Vaud, de Neuchâtel, de Genève, de Berne et du Jura.
Soucieux des particularités régionales, ce mensuel présente un regard ouvert aux enjeux contemporains. Fidèle à l’Evangile, il s’adresse à la part spirituelle de tout être humain.
Editeur CER Médias Réformés Sarl. Ch. des Cèdres 5, 1004 Lausanne, 021 312 89 70, www.reformes.ch – CH64 0900 0000 1403 7603 6
Conseil de gérance Jean Biondina (président), Olivier Leuenberger, Pierre Bonanomi et Philippe Paroz Rédaction en chef Joël Burri (joel.burri@reformes.ch)
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meyer@reformes.ch), Khadija Froidevaux (BE – JU, khadija.froidevaux@reformes.ch), Anne Buloz (GE, anne.buloz@reformes.ch), Elise Perrier (elise.perrier@reformes.ch), Matthias
Wirz, (matthias.wirz@mediaspro.ch).
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(eva.antonnikov@reformes.ch) Publicité pub@reformes.ch Délai publicité 5 semaines avant parution Parution 10 fois par année – 190 000 exemplaires (certifié REMP)
Couverture de la prochaine parution du 3 au 30 mai 2021. Graphisme LL G & DA Une Istock Impression CIL SA Bussigny, imprimé sur un papier journal écologique
avec un pourcentage élevé de papier recyclé allant jusqu’à 85 %.
ACTUALITÉ Réformés | Avril 2021
RELIGIONS À L’ÉCOLE
Apprendre le pluralisme
avec Joseph et ses frères
Recourant aux images et aux récits fondateurs, l’enseignement du fait religieux initie
les jeunes Vaudois·e·s de 3e P au pluralisme. De manière ludique, chaque élève apprend
à se situer tout en intégrant ses émotions.
MULTICOLORE La classe est divisée par
groupes de trois ou quatre élèves, qui re-
çoivent une demi-douzaine d’images colo-
rées, imprimées sur un support cartonné.
« Cherchez le point commun qu’il y a sur
les photos, et mettez-les dans l’ordre »,
leur demande l’enseignante Anne Morel
Richard. Pour sa classe de 3e P (7 ans),
c’est l’heure d’éthique et de cultures reli-
gieuses, ce mercredi matin de mars, dans
l’établissement primaire de Beaulieu, à
Lausanne. Et voilà les enfants plongés
© M.W
sur des reproductions d’édifices religieux
pour les uns, de textes sacrés ou de mo-
ments rituels juifs, musulmans et chré- Les élèves vaudois de 3e P découvrent le pluralisme religieux par les images.
tiens pour d’autres.
Penché autour d’une table, un groupe
est à la peine. « C’est une étoile de David », pratique religieuse, ou leur absence de celle d’une cohabitation à apprendre, d’un
reconnaît Boris 1. « Ici aussi ! », indique Ta- pratique, n’est pas la norme. Que d’autres accueil de la différence. « Ils sont emballés,
mara. « Non, regarde, il y a un croissant de croyances existent. L’approche davantage et ils participent bien. Ils font des liens »,
lune », rétorque le premier. Nicolas tente éthique que religieuse de ce cours permet remarque l’enseignante, qui se réjouit que
de les concilier : « Peut-être que ce n’est d’ouvrir la parole, pour légitimer les di- ses élèves partagent ensuite l’histoire au-
qu’une partie qui est représentée là… » verses appartenances et pour que chaque près de leurs proches. Matthias Wirz
Seule l’intervention de la maîtresse par- enfant apprenne à se situer. » Elle sent
vient à les départager. Un peu plus loin, en ses élèves curieux et généreux : « Ils dé- (1) Prénoms des élèves changés, mais connus
de la rédaction.
revanche, les élèves distinguent au premier couvrent avec intérêt et respect les pra-
coup d’œil les textes sacrés de la Torah, du tiques et les croyances des autres. »
Retrouvez tous les articles de notre
Coran ou de la Bible, par la différence de
série sous www.reformes.ch/ecole
calligraphie et les symboles qui les ornent. La tunique de la jalousie
Sur cette base, la leçon d’Anne Morel Ri-
Symboles et appartenance chard embraye alors sur le récit biblique
« Un monde en couleurs »
Après quelques minutes de cet exercice, les de Joseph et ses frères, que l’on retrouve
enfants mettent en commun les connais- dans les textes fondateurs des trois re- L’outil didactique publié par les Edi-
sances ainsi glanées. L’institutrice rappelle ligions abrahamiques. L’histoire à re- tions Agora en 2020 sert de support
les acquis déjà assimilés lors de leçons pré- bondissements du fils préféré de Jacob à l’enseignement du fait religieux
cédentes. Sur la base des images, elle ap- éveille les émotions des enfants, que l’en- pour les élèves vaudois de 3 e P.
profondit les pratiques et les symboles des seignante stimule : la jalousie, la fierté, la Quatre modules sont répartis sur la
trois monothéismes. Les élèves distinguent peur, la colère… En racontant l’histoire de quinzaine de leçons du programme :
les éléments avec perspicacité, se souve- la tunique resplendissante et des songes une introduction ouvrant à l’accueil
nant des signes déjà rencontrés, rappelant du patriarche, elle les fait participer hu- de la différence de croyance et de
des récits évoqués. mainement à ses vicissitudes. Lesquelles pratique, un chapitre de base sur les
« Chaque élève vient d’un terreau so- sont transposées dans leur réalité, par le trois religions monothéistes, puis un
cial et religieux différent », commente recours aussi aux images que la tradition a parcours culturel et humain autour
Anne Morel Richard après la leçon. « Il est données du récit. des deux récits de la naissance de
important qu’ils reconnaissent que leur Car l’histoire de Joseph est précisément Jésus et du patriarche Joseph.
N° 45 | Réformés ACTUALITÉ 5
Terre sainte :
absence de pèlerins dévastatrice
Les Palestiniens chrétiens vivant en Israël ou dans les territoires occupés travaillaient
massivement dans le domaine du tourisme. La crise qui dure devient leur chemin de croix
à l’heure d’une deuxième Pâques sans visiteurs.
CORONAVIRUS Des rues désertées. Des
magasins fermés. Des visages crispés. A
Bethléem, l’ambiance était tendue à la mi-
mars à la fin d’un confinement de douze
jours, décidé par l’Autorité palestinienne
au vu de l’augmentation du nombre de ma-
lades graves pris en charge par les hôpi-
© Joel Carillet/iStock
taux. La situation se dégrade et les vaccins
tardent à arriver, alors que de l’autre côté
du mur de séparation, le gouvernement is-
raélien – parvenu à immuniser 50 % de sa
population – rechigne à approvisionner les
Palestiniens. En même temps, il a fermé
l’espace aérien plusieurs semaines, empê- Un village palestinien à la périphérie de Bethléem.
chant ses propres ressortissants de rentrer
chez eux. Une inflexibilité qui, en cette gens qui ont faim », dit Tony Khashram. des investissements dont ils ne peuvent
Pâques 2021, augure d’un long chemin vers Côté israélien aussi, les chrétiens sont aujourd’hui plus honorer les créances.
la résurrection économique, particulière- particulièrement touchés. « La fermeture « Après avoir utilisé toutes leurs écono-
ment pour les Palestiniens travaillant dans de l’espace aérien a poussé les profession- mies, les gens commencent à vendre leurs
le tourisme. Si le secteur pèse 3 % du PIB nels à se rabattre sur le tourisme intérieur ; biens pour acheter à manger », affirme le
israélien selon le haut fonctionnaire du mi- or les lieux de pèlerinage chrétiens n’ont catholique qui chapeaute plusieurs asso-
nistère du Tourisme Pini Shani, il repré- aucun intérêt pour la grande majorité des ciations de secours.
sente un tiers de l’économie palestinienne juifs israéliens. Nous connaissons des sites, Le coronavirus n’est pas le premier
selon le Palestinien Tony Khashram, autour du lac de Tibériade notamment, soubresaut que traverse ce Proche-Orient
vice-président des tour-opérateurs de qui n’ont accueilli aucun visiteur depuis chaotique. Au tournant des années 2000,
Terre sainte. « Le chiffre officiel de 10 % des mois », relève Pini Shani. la Deuxième Intifada avait vidé la Terre
ne prend pas en compte tous ceux qui bé- Quant à l’aide apportée à ce secteur sainte de ses visiteurs. « Mais nous re-
néficient indirectement du tourisme, du laminé, elle est très différente selon que cevions tout de même des missions, des
boucher qui livre la viande aux hôtels au l’on travaille en Israël ou dans les terri- médias et puis il y avait toujours des cou-
marchand de chocolat de la Vieille Ville de toires occupés. « Le gouvernement a oc- rageux pour se rendre sur place », relève
Jérusalem, auquel les groupes achètent des troyé 300 millions de shekels (84 millions Tony Khashram. L’énergie pour affronter
friandises », affirme-t-il. de francs) aux entreprises », affirme Pini la situation, les chrétiens de Terre sainte la
Les chrétiens sont les premières vic- Shani. L’homme est optimiste depuis que, puisent donc plus loin. Famines, guerres et
times de cette crise. Ils comptent en effet le 7 mars, Israël a largement rouvert hôtels, occupations se sont succédé, permettant
pour « 95 % des 50 tour-opérateurs pales- restaurants et lieux culturels aux personnes l’accumulation d’un savoir de résilience.
tiniens, ils représentent la grande majori- vaccinées. Côté palestinien, les résidents Sans compter la profonde solidarité qui
té des 650 guides touristiques accrédités de Jérusalem-Est reçoivent bien l’aide so- fait la force de cette société. « Personne ne
et tiennent la plupart des 210 hôtels et ciale de l’Etat d’Israël, en revanche ceux fermera la porte au voisin venu quéman-
guest houses de Cisjordanie et de Jéru- de Cisjordanie sont privés de tout, déplore der un morceau de pain », conclut Tony
salem-Est », détaille Tony Khashram. La Tony Khashram. Khashram. Aline Jaccottet, Haïfa
situation est extrêmement inquiétante à La chute est d’autant plus brutale
Bethléem et dans les municipalités envi- que 2019 avait été l’année de tous les re-
Pour aller plus loin : interview de
ronnantes de Beit Sahour et Beit Jala où cords : 4,5 millions de visiteurs, dont 1,5 Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice
tout le monde, du guide à l’artisan, gagnait million de pèlerins. L’afflux d’argent a in- en chef de Terre sainte Magazine,
son pain grâce au visiteur. « Il y a là des cité les professionnels du tourisme à faire sur www.reformes.ch/tsm
6 ACTUALITÉ Réformés | Avril 2021
« Les cloches parlent
à l’émotionnel de chacun »
Vendredi 5 mars, la plupart des églises de Suisse ont sonné leurs cloches pour rendre
un vibrant hommage aux victimes de la Covid. Un choix qui peut étonner à notre époque
moderne. Eclairage avec Fabienne Hoffmann, historienne et campanologue vaudoise.
Pourquoi avoir choisi les cloches de nos moments de liesse, comme en France langage propre à chacune des sonneries.
Eglises pour rendre cet hommage ? lors de la Libération où on les a mises en Une petite cloche était tintée très rapi-
FABIENNE HOFFMANN Plusieurs raisons volée avec une telle force que certaines dement pour avertir d’un danger (sonne-
expliquent le choix fait par le Conseil fédé- se sont même fêlées ! Depuis des siècles rie du tocsin) ou, au contraire, lors d’un
ral. Il s’agissait premièrement de suivre une en Occident, le son de la cloche accom- enterrement, on sonnait la plus grande
tradition séculaire. De plus, chaque ville pagne divers moments de la vie. cloche du beffroi le plus lentement pos-
et village possèdent une ou des cloches. De manière inconsciente, la sonne- sible pour favoriser la solennité (sonne-
Sonner les cloches est un moyen d’unir rie des cloches parle à l’émotionnel de rie du glas). La motorisation des cloches
les habitants de toute la Suisse au même chacun. Sonner les cloches, c’est donc au milieu du XX e siècle a simplifié ces
moment. L’audition de la cloche délimite choisir un médium ancestral qui parle, modes de sonnerie, mais l’émotion est
un territoire sonore ; le son constitue un à chacune et à chacun à travers le pays. toujours au rendez-vous.
réseau d’appartenance à une communauté. Anne-Sylvie Sprenger/Protestinfo.
Existe-t-il une grammaire des sons,
Les cloches sont-elles toujours liées des codes selon les usages ?
à des moments solennels ? Autrefois, lorsque la cloche était mise en Interview complète sous
Non, les cloches sonnent également les volée à la main, on arrivait à donner un www.reformes.ch/cloches
Pub
N° 45 | Réformés ACTUALITÉ 7
Un podcast pensé pour les
personnes migrantes et âgées
Avec la disparition des rencontres de visu, l’EPER a dû trouver une solution pour garder
le contact avec ses bénéficiaires. Son nouvel outil, le podcast, permet aussi de répondre à
l’illettrisme numérique.
rée. Enfin, et surtout, le podcast peut
être diffusé au moyen d’un simple lien,
envoyé par smar tphone. Or, « qua-
si toutes les personnes concernées ont
un smartphone et utilisent des applica-
tions comme WhatsApp ou Viber pour
garder le lien avec leur entourage resté
au pays », constate Elma Hadzikadunic.
L’EPER diffusera donc dès ce printemps
une série d’émissions sur les droits du
travail pour les employé·e·s de l’écono-
mie domestique, prendre soin de sa santé
© HEKS
mentale, préparer sa retraite…
Le manque de compétences numériques de ses bénéficiaires a incité l'EPER à trouver des solutions Illectronisme numérique
originales, comme ici, le podcast. Pour l’EPER, toute cette expérience
reste « une phase de test » qui, pour le
TOUT-TERR AIN Mosquées albanaise manque de maîtrise de ces logiciels de moment, concernera environ 500 per-
et bosniaque, missions catholiques, communication. Si les seniors internautes sonnes. Mais, à terme, l’organisation
salles associatives… Avant la pandémie, en Suisse sont toujours plus nombreux, d’entraide envisage de décliner cette
l’EPER, à travers son programme « Age une grande majorité d’entre eux surfe en offre pour d’autres publics. « L’illec-
et migration », organisait des rencontres effet… à l’aide d’un smartphone (Pro Se- tronisme ou l’illettrisme numérique,
dans toute une série de lieux. Ces ren- nectute, Etude digital seniors, 2020). Et c’est-à-dire l’incapacité à utiliser cer-
dez-vous réguliers étaient destinés à des une minorité reste à la marge. tains outils informatiques, ne concerne
communautés de migrant·e·s âgé·e·s et pas que les seniors, on fait ce constat
isolé·e·s, sur Vaud, Genève, mais aussi Solution inclusive dans d’autres projets de l’EPER, notam-
en Argovie, à Soleure, ou à Zurich. Pour Forte de ce constat, l’EPER a voulu dé- ment auprès des migrants », assure Elma
des personnes résidant en Suisse mais velopper une solution à distance « simple Hadzikadunic.
parlant très peu les langues nationales, et accessible », raconte Elma Hadzika- D’une manière générale, l’illectro-
ces réunions étaient cruciales, car « on dunic. Après diverses tentatives et ré- nisme concerne une part importante
donnait des informations sur la Sécurité flexions, c’est finalement le podcast qui de jeunes en Suisse : 30 % des 9 - 16 ans
sociale et la santé, sur la retraite, sur les a été retenu. Ce format présente en effet n’utilisent presque jamais d’ordinateur,
démarches à faire en cas de retour dans une série d’avantages pour les personnes selon une étude de Jeunes et médias.
le pays d’origine… », détaille Elma Had- migrantes et âgées. D’abord, « la radio Or, pianoter sur son smartphone ne pré-
zikadunic, responsable du programme est un média d’accompagnement vieux suppose pas l’utilisation de logiciels au-
« Age et migration » côté romand. comme le monde », qui peut facilement jourd’hui considérés comme basiques,
Avec la pandémie, l’EPER a bien tenté s’enregistrer dans les différentes langues comme Word ou Excel. Un constat qui
de basculer ces rendez-vous en rencontres parlées par les bénéficiaires (portugais, pourrait inviter tous les fournisseurs de
virtuelles. Mais, très vite, le constat a bosniaque/croate/serbe, albanais…), en services publics en ligne à revoir leurs
été évident : « Toutes les options par le récoltant au préalable les questions des outils. Ou à former leur utilisateurs et
biais d’outils comme Zoom ou Skype ont personnes concernées. Dans la déclinai- leurs utilisatrices. Camille Andres
échoué. Ce public vit une vraie fracture son podcast d’une émission, nul besoin
Info : www.re.fo/podcasteper.
numérique. » Une fracture qui s’explique d’assister à l’échange en direct, comme
par deux difficultés : d’abord le faible au cours d’un « live » Facebook, autre Ecoutez le reportage de RTSreligion
équipement en ordinateurs et ensuite le option que l’EPER a d’abord considé- sur www.reformes.ch/radioeper
8 RENCONTRE Réformés | Avril 2021
John Behr
« A Pâques, la mort assumée
pour une vie humanisée »
Le Christ a détruit la pères était prêtre russe au Royaume-Uni, étalé sur une cinquantaine de jours du
son grand-père maternel était pasteur lu- calendrier. Nous connaissons un prisme
mort, célébrons-nous. thérien en Allemagne. « J’ai un esprit alle- de couleurs, dont nous célébrons chacune
Pourtant la mort humaine mand et une âme russe », sourit-il. Depuis indépendamment. Mais pour en saisir la
demeure… A nous de l’an dernier, il est professeur de théologie
à Aberdeen, en Ecosse. Auparavant, il a
cohérence, il faut revenir à cette première
lumière blanche et pure. »
transformer cette mortalité passé à New York plus de deux décennies Dans l’événement de la croix, la ré-
en liberté, affirme le théo- – « la majeure partie de ma vie d’adulte » vélation en effet se condense. « Le Christ
– comme enseignant à l’Institut ortho- nous montre ce que c’est que d’être Dieu
logien orthodoxe anglais. doxe de théologie de Saint-Vladimir. par la façon dont il meurt en tant que
Plus qu’un retour aux sources, il com- personne humaine et, de cette manière,
RENVERSEMENT « C’est quand je serai prend ce nouveau départ au Royaume- il nous montre aussi ce que c’est que d’être
mort que je serai vraiment humain ! » En Uni comme « une sacrée aventure ! Tra- humain… » Oui, ce que révèle le Christ en
faisant siens les mots de l’évêque Ignace verser l’Atlantique en pleine pandémie, croix, c’est que devenir humain, c’est en
d’Antioche (IIe siècle), John Behr n’a pas avec armes et bagages, toute la famille réalité devenir divin.
peur du paradoxe. Ni d’aller à contre- et trois chats, ce n’était pas de tout re-
courant des modes de pensée ordinaires. pos… » Une aventure qu’il vit aussi dans Briser la mort par la mort
Pâques, la vie, la mort ? Il s’agit pour lui sa réflexion théologique. Elle se doit de Or si notre humaine condition ne peut
de débusquer nos manières trop immé- déplacer existentiellement celui qui la échapper à la mort (et l’âme russe de John
diates de les comprendre. Car la résurrec- mène. Pour lui, en effet, elle ne saurait Behr lui fait évoquer ici Dostoïevski), le
tion n’est pas le happy end de l’Evangile ! se réduire à « parler de Dieu, comme la Christ est venu briser cette dramatique
Ni la revanche de Dieu sur une histoire géologie serait un discours concernant la prison. C’est la bonne nouvelle de l’Evan-
qui s’est mal finie. « Cela n’aurait aucune terre. Car Dieu n’est pas un objet à pro- gile ! Mais, souligne le professeur, « non
incidence sur nous », dit-il. Il s’agit bien pos duquel nous avons à parler. Quelque pas en oblitérant la mort. Ou en nous la
plutôt d’une invitation à inscrire la lo- chose d’autre s’y passe ! ». faisant éviter ! Mais en brisant la mort par
gique vivifiante du don de soi au cœur de la mort même, comme le dit la liturgie by-
l’existence humaine. Prisme de couleurs zantine ». C’est-à-dire en l’assumant libre-
Pour parvenir à cette conviction qui Ce qui s’y passe ? On le découvre en l’in- ment et en en renversant le sens.
irrigue toute sa réflexion, ce prêtre or- terrogeant sur Pâques, dont la date ap- Ainsi « la mort est maintenant retour-
thodoxe de 54 ans, père de trois enfants, proche. Avant de commencer, il prévient : née et devient l’entrée dans la vie ». Cela
enjambe les barrières et fait communiquer « Vous êtes prêt ? Je pourrais en parler des implique « une invitation ahurissante »
les mondes : s’il lit les Evangiles, il les fait heures ! » Et le voilà parti pour nous aussi : « Plutôt
résonner avec le témoignage de leurs lec- pour une palpitante le- que d’affronter la mort en
teurs du IIe siècle ou avec la philosophie çon de théologie. L’esprit « Ce que montre en étant victimes, nous
contemporaine. Et il les confronte à leur allemand est à l’œuvre… le Christ en pouvons volontairement,
contexte vétérotestamentaire. Ce ne sont
pas tant les idées abstraites qui l’animent,
Les références fusent. Il
recourt avant tout au qua-
croix, c’est que comme le Christ, accep-
ter de ne pas vivre pour
mais les textes, et le dialogue de sens trième Evangile, objet de devenir humain, nous-mêmes, mais dépen-
qu’amorce leur interprétation inlassable-
ment reprise.
son dernier livre. « Jean
dépeint sur la croix un
c’est en réalité ser notre vie pour autrui,
pour le Royaume. Et ainsi
Christ glorifié. Chez lui, devenir divin » changer le fondement de
Esprit allemand et âme russe la crucifixion, l’élévation notre existence en liberté
D’ailleurs, la biographie même de cet An- en gloire, la résurrection, l’ascension, le et en amour désintéressé. Ce qui n’est rien
glais aux racines cosmopolites passe les don de l’Esprit sont réunis en un seul d’autre que la vie même de Dieu. »
frontières. L’un de ses arrière-grands- événement, que nos fêtes liturgiques ont Matthias Wirz
© St. Vladimir's Orthodox Theological Seminary
Bio express
John Behr est né en
19 6 6 . Marié, père de
trois enfants. Cacher la mort,
2 0 0 0 Publie sa thèse c’est cacher Dieu
de doctorat, à Oxford, « Si le Christ nous montre ce que
sur Irénée de Lyon (II e c’est que d’être Dieu par la ma-
siècle). nière dont il meurt en tant qu’être
2001 Ordonné prêtre or- humain, alors l’‹ éradication › de la
thodoxe. mort de la culture occidentale au
2 0 0 7 – 2 017 D oye n d e cours du dernier siècle environ a
l’Institut de théologie de une signification profonde. Si nous
Saint-Vladimir (New York) ne ‹ voyons › pas la mort, nous n’au-
où il enseigne depuis rons aucun sens (ou un sens très
1995. différent, névrosé) de la finitude et
2019 John the Theologian de la transcendance. Nos horizons
and His Paschal Gospel seront limités à cette soi-disant ‹ vie ›
dernière publication en et à une notion restreinte de liberté.
date. Car, alors, nous ne verrons pas Dieu,
Depuis 2020 Professeur et nous ne verrons pas la transcen-
de théologie à Aberdeen dance de l’amour volontaire et oblatif
(Ecosse). auquel nous sommes appelés. »
LES ÉCRANS, NOTRE QUOTIDIEN Productivité
Dans quelle mesure êtes-vous productif·ve
lorsque vous travaillez en home office? (mai 2020)
Ils nous facilitent la vie, nous font gagner du temps, changent nos habitudes.
Comment les écrans ont-ils modifié nos relations professionnelles,
amoureuses, amicales? Panorama. INFOGRAPHIE Stéphanie Wauters 4% Beaucoup
moins productif
3% Ne sait pas
LE TÉLÉTRAVAIL Avantages du télétravail
- flexibilité 21%
1 personne sur 2 a pratiqué - indépendance Moins 41%
le télétravail en Suisse au coeur - gain de temps productif Plus
de la crise sanitaire en 2020
productif
(48%) Inconvénients du télétravail
- isolement
85 % des personnes qui travaillent
depuis chez elles souhaiteraient
- manque d’interactions 31%
Tout aussi productif
augmenter leur taux de télétravail
Développement de la mention «télétravail» dans les offres d’emploi
3%
Suisse allemande
+ 190%
2%
Suisse romande
1% + 250%
2019 2020
LES JEUNES ET INTERNET
180 minutes
Temps que les jeunes 7 jeunes sur 10
1h 22 m
passent chaque jour sur Durée moyenne à jouer aux jeux
jouent aux jeux
leur smartphone (et même vidéos chaque jour (2 h 36 min un
vidéos
4h/jour le week-end) jour de week-end)
99 %
des 12-19 ans possèdent
leur propre smartphone
90 % des jeunes ont un profil sur
les réseaux sociaux suivants:
Instagram
Snapchat
Tik Tok
Chez les jeunes, le smartphone
sert d’abord à échanger. En 10
ans les rencontres des jeunes
en personne ont chuté de 20%.
(chiffre 2018, avant la pandémie)
Risques d’une utilisation
abusive des réseaux sociaux:
- isolement
- dépendance 1 jeunes sur 2
- manque d’estime de soi a déjà été agressé
- harcèlement sexuellement en ligneDOSSIER 11
RENCONTRES
EN LIGNE
27 %
des couples se sont
formés sur Internet
en Suisse en 2017 UN AUTRE
Chances de rencontrer
un partenaire aujourd’hui:
19 %
INTERNET EST
POSSIBLE
en ligne
17 % chez un ami
15 % dans un bar
12 millions
Nombre de «matchs» (intérêts
DOSSIER Les écrans ont envahi
réciproques) enregistrés chaque jour
sur l’application de rencontre Tinder
2 secondes nos vies, pour le meilleur et pour
Temps moyen consacré à la visua-
lisation du profil d’un utilisateur ou le pire. Si la numérisation est en
marche et que rien ne semble
d’une utilisatrice sur Tinder
LA NOMOPHOBIE
pouvoir l’arrêter, il est toujours
La nomophobie, possible – indispensable – de la
remettre en question. Quelle
contraction de
l’expression
«no mobilephone»
numérisation voulons-nous ?
et «phobia»,
phénomène récent
intimement lié à l’essor des nou-
velles technologies, est une anxiété
démesurée à l’idée de se retrou-
ver sans son smartphone.
Comment pouvons-nous nous
emparer des choix numériques,
LA «DIGITAL - DETOX» quelle est notre marge de
Sources: jeunesetmedias.ch, Etude Deloitte (OFS), Etude James 2020 JobCloud, OFS
Ou sevrage numérique, consiste à
faire une pause de tout support nu- manœuvre ? Au travail, en
amour ou dans notre vie privée,
mérique. Elle peut durer une heure,
une journée ou même tout un mois,
selon l’intention et les circonstances.
Plusieurs hébergements en Suisse
offrent aujourd’hui des cures et des
tout n’est pas joué.
offres de séjours sans connexion
internet et même sans couverture
réseau.
X
Conseils
- Ne pas utiliser son smartphone
comme réveil.
- Bloquer les notifications.
- Ne pas regarder ses mails pendant
les vacances et jours de congé.
- Limiter le temps d’écran.
- Passer l’écran en noir et blanc,
ce qui donne moins envie de
consulter son smartphone.12 DOSSIER Réformés | Avril 2021
Le numérique
peut-il être éthique ?
ni mauvaise. Elle est ce que nous en fai- les intelligences artificielles, développées
Qu’entend-on par sons », résume Lennig Pedron, directrice selon cette culture, vont se multiplier à
« numérique » ou « digital » ? de la Trust Valley, partenariat public-privé l’avenir.
romand autour de la confiance numérique.
Il s’agit de l’ensemble des équipements Reste que la tech ne s’est pas développée Changement majeur : l’omniprésence
électriques et électroniques tels que de manière neutre. Au contraire. « Elle est Le problème, ce n’est pas cette culture
les ordinateurs, les laptops, les smart- porteuse de valeurs, de nouveaux savoirs, en soi. C’est son omniprésence. La ques-
phones, les téléviseurs, les montres et de nouveaux savoir-faire, et, au bout du tion du démantèlement de Google, ou de
connectées, etc 1. Par extension, le terme compte, de nouvelles normes qu’il faut né- Facebook ou d’Amazon – dont la posi-
désigne aussi les contenus et les outils cessairement encadrer par une éthique », tion dominante n’est plus à démontrer –
disponibles sur ces équipements. affirme Eric Salobir, prêtre dominicain de- est régulièrement posée. La tech irrigue
venu expert de la Silicon Valley auprès du aujourd’hui tous les domaines de notre
Vatican, dans Dieu et la Silicon Valley (Bu- existence, des services publics au travail,
chet-Chastel, 2020). mais aussi nos relations amicales, fami-
AMBIVALENCE A l’origine, il y avait… Quelles sont ces normes implicites ? liales ou ecclésiales. Le digital « intermé-
un espace « proche de l’idéal du Nou- Ce sont des lois algorithmiques 2 , de die » l’essentiel de nos relations. Or, du
veau Testament » ! Pour Albrecht Knoch, design, ou des modèles économiques, moment où le tout numérique devient la
pasteur et membre du réseau chrétien par exemple la gratuité d’un service en règle, une discussion collective sur les
CALL (Church Action on Labour and échange de l’utilisation des données. valeurs qui le sous-tendent s’impose.
Life – Action des Eglises sur le travail C’est la logique de l’immédiateté, de la
et la vie), émanant de la Conférence des simplicité, du confort, de l’efficience à Un far west à policer
Eglises européennes, les débuts du web tout prix. C’est la décontextualisation : « Je vois internet comme un parallèle
étaient marqués par une culture de « la on loue un appartement à l’autre bout de numérique à nos vies réelles, où rien
libre participation et de l’égalité », proche la planète sans rien savoir de ses proprié- n’a été organisé, c’est le far west ! Nous
« de la communauté chrétienne, selon taires. C’est l’illusion de la dématériali- avons mis des centaines d’années à orga-
l’idéal biblique », et cela représentait une sation : le terme « cloud » cache en réa- niser nos sociétés, mais pour le web, ce
chance pour nos démocraties et nos so- lité des datacenters (salles ou bâtiments n’est pas le cas. On apprend à un enfant
ciétés. Aujourd’hui, le web et ses outils remplis d’ordinateurs) parfois très gour- à acheter du pain dans une boulangerie,
seraient tout au plus « un business », af- mands en énergie. C’est la culture de la mais on ne lui explique pas à quoi faire
firme cet expert du numérique. Cette connexion, du « always on », qui incite à attention quand il réalise une transac-
image d’Epinal demande évidemment de être notifié·e en permanence. C’est l’ex- tion en ligne ! », pointe Delphine Seitiée,
la nuance. Dès le départ, le web a aussi ploitation poussée de mécanismes d’ad- secrétaire générale de la plateforme in-
été un terrain de jeu pour les hackers. Et diction. C’est une culture de la liberté tercantonale ALP ICT et coresponsable
il faut bien reconnaître que l’idéal initial d’expression à l’américaine : Facebook du comité scientifique de l’Institut du
est toujours vivant, en témoignent par censure les photos de tétons féminins, numérique responsable Suisse (INR, ins-
exemple les outils collaboratifs comme mais compte des dizaines de groupes dé- titutnr-ch.org) lancé en février 2021, à la
Wikipedia ou Mozilla. diés aux armes à feu, avec des milliers suite du grand frère français fondé à La
de membres. Et pour certains outils, ré- Rochelle. Et est-ce à l’école ou à la famille
La technique en soi est neutre seaux sociaux ou traqueurs publicitaires, de transmettre ce savoir ?
C’est bien le paradoxe de la technique, « c’est la loi du marché, du nombre,
que pointait déjà dans les années 1970 le du cash, le libéralisme le plus pur, en Questionner les choix technologiques
philosophe protestant Jacques Ellul. Elle contradiction totale avec l’anthropologie Cependant, comme le signale le philo-
nous libère, mais au prix d’impacts envi- biblique », estime Albrecht Knoch. Une sophe Bernard Stiegler sur les ondes
ronnementaux (voir p. 17) ou sociaux… chose est sûre : un algorithme n’est pas de France culture, « pour combattre le
Ambivalente, « la technique n’est ni bonne neutre et des micro-décisions prises par côté toxique d’une technologie, il faut seN° 45 | Réformés DOSSIER 13
En 20 ans, les écrans ont envahi toutes les sphères de notre vie. Une révolution profonde,
dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences. Si internet et ses outils
commencent à être régulés, des voix s’élèvent pour questionner les valeurs qui sous-
tendent aujourd’hui cet espace. Une autre culture digitale est-elle possible ?
l’approprier, la comprendre » (www.re.fo/
stiegler). Mais comment des citoyen·n·e·s
mettre à tout le monde de s’emparer du su-
jet : une charte (www.re.fo/numresp) pour Une autre
peuvent-ils ou elles avoir leur mot à dire un internet éthique, sorte d’adaptation
digitalisation
est-elle
dans une industrie et une technologie des objectifs du développement durable
qui se sont radicalement spécialisées de l’ONU pour une informatique plus du-
possible ?
ces vingt dernières années ? Le faut-il ? rable, sociale, résiliente à tous les niveaux.
Ou suffit-il de faire confiance à la régle- Et, à venir en France comme en Suisse,
mentation qui se développe, qu’il s’agisse des annuaires d’expert·e·s, pour rendre ac-
de la jurisprudence des tribunaux ou des cessibles les savoirs sur le sujet. L’enjeu ? Nos interlocuteurs s’accordent
normes européennes ? Faire comprendre que tout n’est pas joué. sur quelques points clés :
Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour « Les GAFAM et les BATX 3 ne sont là que L’autodétermination numérique, soit
demander d’impliquer plus depuis vingt ans. Certes, « pouvoir choisir, en conscience, en
largement les citoyens dans ils sont bien implantés. tant qu’individu ou en tant que pays,
les choix technologiques. « Pour combattre Mais il existe des options ce qu’on utilise comme technolo-
C’est la raison pour laquelle le côté toxique alternatives de plus en plus gie », explique Lennig Pedron.
Marcel Salathé, professeur solides », affirme Vincent Avoir le choix implique de com-
en épidémiologie digitale d’une techno- Courboulay, notamment prendre ce qu’il implique : les enjeux
à l’EPFL, a fondé le lob- logie, il faut se en Suisse. Delphine Sei- de l’éducation au numérique et de
by CH++ (chplusplus.org/
fr). La démarche se rap-
l’approprier, la tiée pointe elle aussi l’essor
d’un « numérique local », à
son accessibilité sont donc particu-
lièrement cruciaux.
proche de celle de l’ensei- comprendre » développer. « La numéri- Enf in, l’autre valeur clé pour
gnant-chercheur en infor- sation n’est pas un tsunami réaliser des choix, c’est la transpa-
matique Vincent Courboulay qui, en 2018, qui nous tombe dessus », renchérit Albre- rence : les fabricants d’outils numé-
a fondé à La Rochelle le premier Institut cht Knoch : « elle est faite et conçue par riques doivent pouvoir rendre leurs
pour un numérique responsable, exporté des humains. Pour en définir les bornes, il algorithmes explicites et clairs.
depuis en Belgique et en Suisse. « Je pense faut une union de la société civile. » « La technologie évolue tout le
qu’un autre modèle digital peut exister. Va- Camille Andres temps, de même que les usages. Cette
t-il s’imposer ? C’est une autre question. confiance (envers les outils) doit donc
Mais comme l’alimentation ou le trans- 1 Définition tirée de « L’impact environnemental être sans cesse renégociée. En tant
croissant du numérique », ALP ICT, 11 octobre
port, on va y venir contraints et forcés », 2020, www.re.fo/impactnum. que société, nous devons fixer l’ac-
estime ce chercheur. 2 Un algorithme est la décomposition d’une ceptable et l’inacceptable. Selon moi,
opération en étapes simples, un peu comme
une recette de cuisine. C’est la base de la
la condition de base de ce débat et
Des labels éthiques en ligne? programmation informatique : décomposer de ce choix se trouve dans la trans-
Le web éthique passera-t-il par des la- un problème en une succession d’opérations parence », confiait notamment Johan
connues de la machine.
bels, des certificats ? En matière écolo- 3 GAFAM est un acronyme composé des
Rochel à nos confrères de PME Maga-
gique, c’est déjà le cas. Mais impossible initiales des plus grandes entreprises infor- zine en février dernier. Ce Valaisan est
pour l’heure d’étiqueter la manière dont matiques des États-Unis (Google, Amazon, fondateur d’Ethix, cabinet de conseil
Facebook, Apple et Microsoft). BATX est son
les algorithmes de Tinder ou d’Instagram pendant chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et zurichois spécialisé dans les questions
considèrent l’âge ou la diversité : ils ne Xiaomi). d’éthique numérique.
sont pas transparents. Ce qui manque, Autres pistes évoquées par un
pour développer ces labels, « ce sont des article du New Yorker : diversif ier
recherches. Le numérique responsable le profil des étudiant·e·s en infor-
passera par la science », assure Vincent matique et intégrer une formation
Courboulay. L’INR a cependant déjà mis Ecoutez cet article en audio d’éthique à leur parcours (www.re.fo/
en place d’autres ressources pour per- sur www.reformes.ch/ecoutez ethicalai).14 DOSSIER Réformés | Avril 2021
Smartphones :
responsabiliser plutôt qu’interdire
Abandonner les écrans ? Impossible dans le monde actuel ! Mais des pistes existent pour
réfléchir à l’usage que l’on fait de son smartphone et consommer de manière responsable.
RESPONSABILITÉ Le saviez-vous ? Il du coaching et des ateliers en ce sens. phone durant le carême, par exemple, pour
existe une « Journée mondiale sans té- Plutôt qu’un ban ponctuel du téléphone, réfléchir à son rapport à cet objet. Dont
léphone portable ». Lancée en 2001 par pendant un jour ou une semaine, qui ne elle sait pourtant l’ambivalence : « On uti-
l’auteur français Phil Marso, elle tombe produira aucun effet durable, il propose lise aussi le smartphone pour la médita-
chaque année le 6 février. Mais une telle une démarche progressive, pour viser un tion, qui est une forme de déconnexion »,
journée peut-elle vraiment être incitative équilibre. « Car ce n’est pas l’écran en soi sourit-elle. Pour elle, c’est donc dans l’au-
pour la déconnexion numérique ? « En ré- qui est mauvais, tout dépend de ce qu’on torégulation que réside la piste pour ne pas
alité, une cure drastique sur un temps de en fait ! » se « perdre dans le système ».
quelques jours seulement ne permet pas de Pour que la détox soit viable, il faut Mieux situer les limites, pour éviter
sortir de l’addiction », admet le promoteur « arrêter de culpabiliser, car nous ne de se laisser envahir par les écrans. C’est
de cette journée. Celle-ci doit plutôt servir sommes pas responsables de cette addic- ce que veut le pasteur Alain Monnard,
à rappeler l’exigence, dans le quotidien, de tion », selon l’accompagnateur. Qui ex- à Crêt-Bérard : il a choisi de renoncer
« prendre de la distance vis-à-vis de l’objet, plique : « Les écrans sont partout, on ne au réseau Wi-Fi dans les chambres de la
de maîtriser l’outil et d’adopter de bonnes peut pas changer cette tendance au ni- maison d’accueil, tout en l’offrant dans
habitudes ». veau collectif et systémique. Notre res- les espaces communs. « Cela permet un
ponsabilité personnelle est d’en maîtriser retour à soi dans l’espace personnel, qui
Se débrancher progressivement l’usage. » Il s’agit alors de viser un change- peut être thérapeutique », suggère-t-il.
Il le reconnaît : « Il est obsolète de vou- ment de pratique individuelle, en devenant « L’omniprésence des écrans amène une
loir vivre sans téléphone portable, même conscient de sa consommation. transformation anthropologique : limiter
pour les plus réfractaires. Car tout passe l’hyper-connexion aide à revenir à la di-
désormais par le smartphone, des services Limites et autorégulation mension corporelle, qui nous constitue
administratifs aux transactions commer- Une démarche que tente à sa manière Ca- en tant que créatures humaines. »
ciales. » Comment parvenir alors à vivre rolina Costa, la pasteure la plus connectée
en équilibre avec cet écran omniprésent, de tout l’ouest (helvétique). Vlogueuse 1 im- Caté sans natel
sans se laisser asservir ? A l’enseigne de pénitente, très présente sur les réseaux so- Une prise de conscience à encourager dès
Digital Detox Solutions, qu’il a fondée à ciaux, elle sent la nécessité de périodes de l’enfance. Ainsi, les paroisses de Bienne et
Lausanne, Alexis de Maud’huy propose distance. Une semaine de jeûne du smart- de Rondchâtel organisent des camps de
KT 2 sans smartphone. « Certains partent
paniqués, mais finissent par ne plus le ré-
clamer au fil des jours… Et, malgré des
doutes initiaux, les parents mesurent aus-
si l’enjeu éducatif et relationnel », observe
Anne Noverraz, catéchète professionnelle.
Cela vaut également pour les jeunes
adultes : c’est par les réseaux sociaux que
l’animatrice Céline Ryf (Par8, syndicat
de paroisses de Tramelan à Moutier) les
contacte. Mais en période de saturation
d’écran comme lors du semi-confine-
© Fabio Principe/iStock
ment, note-t-elle, « ils préfèrent un coup
de fil : cela permet de se sentir enfin vrai-
ment en lien ». Matthias Wirz
1 Un vlog est un journal de bord, dont les billets
sont essentiellement composés de vidéos.
2 Catéchisme.Vous pouvez aussi lire
