LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE - DERRIÈRE L'AUTOMATISATION, DE NOUVELLES PRÉCARITÉS AU TRAVAIL ? - DIPLAB
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Le Micro-Travail en France Derrière l’automatisation, de nouvelles précarités au travail ? Antonio A. CASILLI • Paola TUBARO • Clément LE LUDEC • Marion COVILLE Maxime BESENVAL • Touhfat MOUHTARE • Elinor WAHAL
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 2 Cette étude a été réalisée dans le cadre de la convention d’étude n°2017-3 passée avec la cgt Force Ouvrière dans le cadre d’une agence d’objectifs Force Ouvrière - Institut de recherches écono- miques et sociales (IRES). Pour citer ce document : Casilli, A. A., Tubaro, P., Le Ludec, C., Coville, M., Besenval, M., Mouhtare, T., Wahal, E., (2019). Le Micro-travail en France. Derrière l’automatisation de nouvelles précarités au travail ?. Rapport Final Projet DiPLab « Digital Platform Labor », .
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 3 Remerciements Le projet DiPLab (Digital Platform Labor) est coordonné par Antonio Casilli (Télécom ParisTech) et Paola Tubaro (CNRS). Il a bénéficié d’un financement dans le cadre de l’agence d’objectifs FO-IRES (étude n° 2017-3), ainsi que de financements complémentaires de la MSH Paris Saclay (appel à projets « Maturation 2017 ») et de France Stratégie (convention de recherche 2018 « Digital Platform Labor : le micro-travail en France »). L’administration du sondage et la collecte des données de l’enquête DiPLab ont été effec- tuées par Clément Le Ludec (MSH Paris Saclay) et Marion Coville (Université de Nantes). Leur travail de très haute qualité a été essentiel à la réalisation de cette étude. La rédac- tion du rapport a été effectuée par Touhfat Mouhtare (Télécom ParisTech) avec l’aide des deux coordinateurs, des deux enquêteurs, ainsi que de Maxime Besenval (CNRS) et d’Eli- nor Wahal (Télécom ParisTech). Par leurs avis, soutien intellectuel et conseils pratiques, Mary Gray (Microsoft Research), Odile Chagny (IRES) et Lise Mounier (CNRS) ont été source d’inspiration et ont accompa- gné le développement de cette étude. Les résultats préliminaires ont bénéficié des commentaires de Lilly Irani (Université de Californie San Diego), Vili Lehdonvirta et Alex Wood (Oxford Internet Institute), ainsi que de discussions fructueuses lors des présentations préliminaires à la conférence Reshaping Work 2018 (Amsterdam) et Work, Employment & Society 2018 (Belfast). Manisha Venkat et Andrew Wang ont fourni une aide précieuse à la recherche. Merci à Kristy Milland (Turker Nation) et Rochelle LaPlante (micro-travailleuse professionnelle) pour leurs conseils et leur soutien. Les auteurs du rapport sont particulièrement reconnaissants aux participants de l’enquête, micro-travailleuses et micro-travailleurs, mais aussi entrepreneuses et entrepreneurs, qui ont consacré leur temps et leurs efforts à partager leurs expériences. Nous remercions tout particulièrement les deux plateformes en ligne qui ont aidé à recruter les participants : Foule Factory (en particulier Daniel Benoilid et Michael Marzouk), et IsAHit (notamment Isabelle Mashola et Philippe Coup-Jambet). Un merci particulier à Lucas Ferrari, créateur du forum NetBusinessRating. Nous sommes également reconnaissants à Sébastien Dupuch (Secrétariat Général FO), Philippe Guimard (FO), et Éric Peres (FO-Cadres) pour leur confiance.
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 4 Résumé et principales conclusions Le Micro-Travail en France : Derrière l’automatisation, de nouvelles précarités au Nous assis- CARTOGRAPHIE DU MICRO- travail ? tons ces der- TRAVAIL EN FRANCE nières années à la multipli- cation des plateformes de micro-travail. Cette Les résultats de DiPLab montrent que le activité rémunératrice relativement nouvelle micro-travail est accessible aux travailleurs consiste à réaliser des tâches très fragmentées français à travers au moins 23 plateformes : (micro-tâches) que des plateformes dédiées en 2018, 14 d’entre elles appartiennent à confient à des prestataires, payés générale- des entreprises françaises, et le reste est ment à la pièce. Il peut s’agir d’identifier des constitué de plateformes internationales objets dans une image, de transcrire des fac- faisant appel (entre autres) à des micro- tures, de modérer du contenu sur les médias travailleurs résidant en France. sociaux, de visionner des vidéos de courte du- –S ouvent présentées comme un moyen rée, de copier-coller du texte ou de répondre de rentabiliser son temps libre au quo- à des sondages en ligne. Le plus souvent, ces tidien, les micro-tâches qu’effectuent tâches répétitives nécessitent une faible qua- les prestataires recrutés par ces plate- lification pour une rémunération tout aussi formes contribuent au développement faible, de l’ordre de quelques centimes. des intelligences artificielles : produire/ Ce rapport présente les premiers résultats améliorer des données, vérifier/corriger du projet de recherche DiPLab (« Digital Plat- le niveau de performance des technolo- form Labor »), et contribue à pallier la qua- gies dites intelligentes, etc. si-absence d’études sur le micro-travail dans – Les micro-travailleurs sont majoritaire- les pays d’Europe. Réalisée en 2018, il s’agit ment payés à la pièce et ne disposent en effet de la première enquête sur le mi- d’aucune marge de négociation quant cro-travail en France. Elle participe à un effort à leur rémunération. S’ils sont payés à plus général de cerner les effets des nouvelles l’heure dans quelques cas, leur rémuné- technologies sur le monde du travail et son ration demeure liée à la réalisation des fonctionnement. Dans cette optique, l’équipe tâches. DiPLab s’est appuyée sur une articulation de multiples ressources informationnelles : des – Les plateformes françaises de micro- données natives du web, un questionnaire en travail ne prélèvent pas de commission ligne auprès d’un échantillon de près de 1000 sur la rémunération des micro-travail- micro-travailleurs, et une enquête qualitative leurs ; les commissions sont facturées aux auprès de 92 travailleurs, clients et proprié- clients. taires de plateformes. L’enquête DiPLab dresse le profil-type Coordonné par Antonio Casilli (ensei- des créateurs de plateformes de micro- gnant-chercheur à Télécom ParisTech et travail en France : généralement, il s’agit membre de i3 – Institut Interdisciplinaire de de personnes diplômées des grandes écoles l’Innovation, CNRS) et Paola Tubaro (char- de commerce ou d’ingénieurs, issus du sec- gée de recherche CNRS au Laboratoire de teur du conseil stratégique et informatique Recherche en Informatique), le projet de re- ou de multinationales spécialisées dans cherche DiPLab réunit des chercheurs prove- les technologies numériques. Les incuba- nant d’horizons différents dans les sciences teurs de start-up ont permis la création sociales. de plus d’un tiers des plateformes de mi- cro-travail étudiées. Le financement de ces
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 5 plateformes provient pour moitié de fonds cro-travailleurs pour expliquer leur choix privés, et pour l’autre moitié de fonds de d’être actifs sur des plateformes ou des capital-risque. applications de micro-tâches est le besoin d’argent (44,93% des répondants). 29,41% COMBIEN DE PERSONNES des répondants évoquent comme deuxième MICRO-TRAVAILLENT EN raison la possibilité que cela leur donne de moduler leur emploi du temps. FRANCE ? Une forte diversité est constatée dans les La présente enquête a estimé à environ modes d’utilisation des plateformes. En 260 000 le nombre de personnes qui mi- termes d’investissement, on distingue trois cro-travaillent au moins occasionnellement catégories de micro-travailleurs : en France. Il s’agit de la somme des per- –L es utilisateurs « très actifs », qui tra- sonnes inscrites sur les principales plate- vaillent sur les plateformes au moins formes pour lesquelles des données sont une fois par semaine disponibles, corrigée pour éviter le double comptage (de personnes utilisant plu- –L es utilisateurs « réguliers », qui micro- sieurs plateformes) et pour exclure toute travaillent au moins une fois par mois inscription hors de France. Si tous ne mi- –L es utilisateurs « occasionnels », qui al- cro-travaillent pas chaque jour, il s’agit d’un ternent entre des périodes d’inactivité large réservoir dans lequel l’industrie du et des périodes d’activité plus ou moins numérique peut puiser selon ses besoins, intense. aussi flottants soient-ils. Le phénomène de- mande alors au moins la même attention Ces niveaux variables d’investissement que les décideurs publics ont déjà accordée illustrent bien d’importantes différences aux plateformes de VTC, qui concernent dans les usages des plateformes, et ex- beaucoup moins de travailleurs quoique pliquent les disparités des revenus que les tous y étant impliqués régulièrement. micro-travailleurs tirent de leurs activités en ligne. Nous voyons ainsi que le micro-travail des plateformes est un secteur dont l’impor- QUI SONT LES MICRO- tance est en hausse en France, tout comme dans de nombreuses régions du monde. TRAVAILLEURS FRANÇAIS ? Dans l’opinion publique, le travail des plate- formes numériques est souvent assimilé Durant trois mois, nous avons sondé près à l’ubérisation de l’économie ; néanmoins, de 1 000 micro-travailleurs présents sur la en grande partie, le travail effectué sur des plateforme de micro-travail Foule Factory plateformes en ligne n’est pas uniquement (« fouleurs »). Cette plateforme, qui recrute lié aux applications de VTC, de livraison ou ses effectifs exclusivement en France, est d’autres formes visibles de travail à la de- un acteur central dans l’écosystème natio- mande. nal du micro-travail. Les données socio-dé- mographiques des « fouleurs » révèlent une Le micro-travail a la particularité d’être, réalité sociale dont certains aspects sont de façon générale, invisible, effectué à la alarmants : maison, et régi par des formes de contrats diverses : un simple « accord de participa- – 5 6,1 % des micro-travailleurs sont des tion », voire la seule adhésion aux condi- micro-travailleuses ; tions générales d’utilisation de la plate- – 63,4% des micro-travailleurs ont entre forme peuvent faire office de contrat. De 25 et 44 ans ; par l’invisibilité qui caractérise le micro-tra- vail, on trouve donc peu de documentation, – 43,5% des micro-travailleurs de 25-64 ans légale ou académique, à son propos. possèdent un diplôme supérieur à bac + 2 (comme une licence ou un master) ; POURQUOI LES FRANÇAIS – 2 7,9% des micro-travailleurs sont (sans MICRO-TRAVAILLENT-ILS ? compter les tâches réalisées sur les plateformes) inactifs ; La première raison évoquée par les mi- – 22% des micro-travailleurs vivent en-
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 6 dessous du seuil de pauvreté (défini clients. Certains micro-travailleurs tentent comme la moitié du revenu médian) ; de contourner cet état de fait en se servant de forums pour s’auto-organiser en commu- –L e revenu mensuel moyen qu’apporte nauté : ils utilisent ces espaces d’échange le micro-travail en France (toutes plate- pour contester la faible rémunération de formes confondues) est très inégale- certaines tâches ou pour tenter de négocier ment distribué, avec une moyenne d’en- le paiement avec les plateformes. L’échange viron 21 euros par mois ; est néanmoins limité, voire entravé dans – Seulement 18,5% des micro-travailleurs le cas des forums hébergés par les plate- se connectent à une seule plateforme. formes elles-mêmes, où de temps à autre La plupart d’entre eux cumulent des les éléments « perturbateurs » sont bannis. travaux sur au moins deux autres plate- formes, sites ou applications. LES MICRO-TRAVAILLEURS JOUENT UN RÔLE CLÉ DANS LA « TRIPLE-JOURNEE » L’ESSOR DE L’INTELLIGENCE DES FEMMES MICRO- ARTIFICIELLE TRAVAILLEUSES Les micro-tâches tiennent un rôle prépondé- Les femmes « fouleuses » sont plus nom- rant dans le développement de l’intelligence breuses que les hommes à avoir des enfants artificielle (IA). L’enquête DiPLab a identifié (55% contre 39%), et consacrent entre 6 et 12 trois principales utilisations du micro-travail heures par semaine de plus que ces derniers en vue de nourrir les technologies intelli- aux tâches domestiques. Elles sont presque gentes : aussi nombreuses que les hommes à avoir un emploi principal (environ 61%), quoique – L’entraînement d’IA : plusieurs répondants plus souvent à temps partiel (32% contre DiPLab ont été impliqués dans la prépa- 11% pour les hommes). L’investissement ration de vastes programmes de constitu- des femmes dans le micro-travail, assez im- tion de bases de données visant à entraî- portant dans certains cas, suggère un glisse- ner les solutions d’apprentissage machine ment vers une « triple-journée » : à l’emploi (machine learning). Le micro-travail est principal s’ajoutent les tâches ménagères nécessaire pour étiqueter des images, et l’activité sur les plateformes de micro- transcrire des mots, interpréter des bouts travail. de conversation orale enregistrée par des assistants vocaux. L’essor du marché de DES TRAVAILLEURS l’IA en France va de pair avec l’augmenta- tion des recrutements d’entraîneurs d’IA INVISIBLES QUI PEINENT À sur les plateformes de micro-travail. S’ORGANISER – La vérification d’IA : les technologies d’in- telligence artificielle et d’apprentissage Effectuer des micro-tâches n’est pas sans machine existantes ont besoin de contrôles répercussions pour les micro-travailleurs. de qualité, qui peuvent être effectués par Dans la majorité des cas, les travailleurs des micro-travailleurs. Les répondants de ne connaissent pas le client pour lequel l’enquête DiPLab ont par exemple vérifié ils réalisent des tâches, ni la finalité de ces que des moteurs de recherche donnent dernières. Dans certains cas, cette mécon- les résultats espérés, ou encore que des naissance du sens de leur travail peut être logiciels reconnaissent correctement des assez problématique : ceux-ci s’interrogent textes. Il ne s’agit pas toujours de proto- parfois sur l’éthique de certaines tâches types ou de produits test, mais aussi de qu’ils effectuent et craignent que certaines technologies déjà en commerce, ce qui activités aillent à l’encontre de leurs va- laisse penser que le micro-travail est une leurs et de leurs principes moraux. partie intégrante de ce qui est pourtant Par ailleurs, les plateformes invisibilisent vendu comme de l’automation. les micro-travailleurs, en les empêchant – L’imitation d’IA : En dépit des enthou d’entrer en contact avec les autres mi- siasmes, de nombreux systèmes cro-travailleurs et parfois même avec les d’intelligence artificielle ne sont pas
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 7 encore capables d’effectuer des tâches et ses impacts de long terme sur les de manière complètement autonome. trajectoires professionnelles des personnes Le travail humain vient les compléter, concernées restent à établir. Ceci pourrait souvent sans que son rôle ne soit affecter particulièrement des groupes clairement affiché. Des travailleurs et sociaux éloignés de l’accès à un emploi des entrepreneurs interrogés par DiPLab classique. affirment d’ailleurs avoir eu connaissance Comment réguler cette nouvelle force de ou bien avoir participé au déploiement de travail et renforcer sa protection sociale solutions reposant sur le travail humain, parfois inexistante ? La question se pose mais vendues comme étant basées sur pour les syndicats et les législateurs. l’intelligence artificielle. Plus spécifiquement, étant donnée la place CONCLUSIONS prédominante de cette nouvelle forme de travail dans le développement et la com- En France, le micro-travail se définit de mercialisation de solutions d’intelligence plus en plus comme un nouveau moyen artificielle, la question se pose de savoir de pallier une précarité économique. Dans comment s’assurer que la contribution des le même temps, en raison d’une demande travailleurs à l’innovation technologique très fluctuante de la part des entreprises, soit reconnue à sa juste valeur. il n’apporte pas de stabilité professionnelle,
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 8 Executive summary and key findings Micro-work in France. Behind Automation, New Forms of The past owned by French companies, while the rest Precarious Labour? few years saw are international platforms using, among a remarkable others, France-based micro-workers. proliferation – While frequently presented as a way of of micro-work platforms. This relatively monetising downtime between every-day new activity consists in fragmented tasks activities, micro-tasks are often instrumen- (micro-tasks), completed directly onto on- tal to the development of artificial intelli- line platforms and paid on a piece-rate ba- gence, helping to provide annotated data sis. Some examples are identifying objects and output checks of smart technologies. in images, transcribing invoices, moderat- ing social media content, watching short – Micro-workers are mainly paid by piece- videos, copying-pasting text or responding work and they have no room for price to online surveys. Often these repetitive negotiation. In some cases, they are paid tasks require low qualification and can be per hour, but still their reward depends paid as little as few cents. on tasks done. This report presents the results of the – When it comes to their business mod- DiPLab (“Digital Platform Labor”) research el, French micro-work platforms charge project and contributes to filling the gap commission fees to clients, not workers. in the literature on European micro-work Among the original findings of the re- platforms. Conducted in 2018, DiPLab is the search is the identification of the typical first research on microwork in France that profile of entrepreneurs in the French mi- engages in a broader effort to measure the cro-work context. These are generally grad- impact of new technologies on employment. uates of business or engineering schools, With this objective, a comprehensive study with a professional trajectory that includes of micro-work platforms in the French previous experience in strategy or IT con- context has been realized, drawing on sulting firms, as well as in multinational multiple sources: web-native data, an online IT companies. Start-up incubators play a survey involving approximatively 1000 key role: they supported the development micro-workers, and 92 qualitative in-depth of one third of the examined micro-work interviews of workers, clients and platform platforms. The financing sources of mi- owners. DiPLab’s PIs are Antonio Casilli cro-working platforms are private funds (associate professor at Télécom ParisTech and venture capital, with equal share. and member of i3 - Interdisciplinary Institute on Innovation, CNRS) and Paola Tubaro (associate research professor at the HOW MANY PEOPLE MICRO- Laboratory of Research in Computer Science, WORK IN FRANCE? French National Centre for Scientific Research). It includes researchers from The present research estimates that more different backgrounds in the social sciences. than 260 000 people perform, at least oc- casionally, micro-work in France. Such es- MAPPING THE FRENCH MICRO- timate is the sum of the number of regis- WORK ECOSYSTEM tered users of the main platforms whose data are available, corrected to avoid du- plicates (people using multiple platforms) DiPLab results show that micro-work and registrations outside of France. While is available to French workers through not all micro-workers may operate every 23 micro-work platforms: in 2018 14 are day, this figure represents a large reservoir
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 9 from which the digital industry can take ac- approximately 1000 micro-workers. Foule cording to its needs, however floating they Factory, which exclusively recruits its may be. Thus, this phenomenon requires micro-workers in France, is particularly at least the same attention that policymak- relevant because it is an industry leader ers devote to urban transport platforms, in the country. The socio-demographic which involve considerably fewer workers, characteristics of micro-workers operating though all are consistently engaged in the on Foule Factory reveal a somewhat activity. alarming social setting: In France, as in other world regions, plat- – 56.1% of micro-workers are women; form-based micro-work is on the rise. In – 63.4% of micro-workers are between the public debates, online labour is often as- ages of 25 and 44; sociated to “uberisation” of the economy. Nonetheless, a relevant portion of the dig- – 43.5% of micro-workers between the ital platform labour performed in France ages of 25 and 64 hold at least a bache- does not concern app-based urban trans- lor’s degree; portation, delivery or other forms of visi- – 27.9% of micro-workers are inactive ble on-demand jobs. Micro-work is largely (aside from their micro-work); invisible and performed at home. It is less documented in academic and policy re- – 22% of micro-workers live below the search. poverty threshold (defined as half of the median income); WHY DO PEOPLE MICRO- – The average monthly income that WORK? French workers earn from micro-tasks (all platforms combined) is very une- The first motivation for micro-working venly distributed with an average of is the need for money (44.93% of respond- about 21 euros per month; ents), followed by the possibility of work- – Only 18.5% users micro-work exclusive- ing with a flexible schedule, mentioned as ly on one platform, while most of them the second most important motivation by are at least on two other platforms, 29.41% of respondents. websites or applications. Moreover, platforms are used in very di- verse ways. Three categories of micro-work- THE “TRIPLE SHIFT” OF MICRO- ers can be distinguished according to their WORKING WOMEN level of engagement. – ‘Very active users’, who operate on mi- Among Foule Factory’s micro-workers cro-work platforms at least once a week; a larger number of women have children compared to men (55% vs 39%). Women – ‘Routine users’, who micro-work at least also devote 6 to 12 hours per week more once a month; than men to domestic work. The percentage – ‘Casual users’, who alternate inactivity of micro-workers having a formal employ- and various levels of micro-work. ment is almost the same between men and women (about 61%), although part-time is The heterogeneity of micro-workers’ more frequent among women (32% vs 11% modes of engagement illustrates the plu- for men). Such imbalances suggest that, rality of uses of micro-work platforms and through micro-work, women are increas- explains the disparity of micro-work-relat- ingly facing a “triple-shift”: micro-work ed income between workers. adds to the burdens of formal employment and care work. WHO ARE THE FRENCH MICRO- WORKERS? INVISIBLE WORKERS STRIVE The DiPLab research includes a survey over a period of three months of the TO ORGANIZE Performing micro-tasks is not without re- French micro-work platform Foule Factory, percussions on micro-workers. Most work- with a questionnaire administered to ers are unaware of clients’ identity and the
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 10 purpose of tasks. In some cases, this be- output of technologies as diverse as comes very problematic for micro-workers, search engines, connected objects, text who question the fairness of their online recognition software. As far as these activity, fearing that the tasks may not fit tasks not only concern prototypes or with their moral principles. Furthermore, test products, but also technologies that micro-workers are made invisible by plat- are already on the market, this seems to forms, which prevent them from coming indicate that micro-work is a permanent into contact with their fellow workers and feature of present-day automation. sometimes with clients. – AI impersonation: Contrary to popular Micro-workers sometimes challenge this belief, in most cases AI systems are not invisibility by resorting to online forums as yet able to perform completely inde- spaces of self-organisation, where they feel pendent tasks, and human work is still somewhat free to protest when a task is essential. Nonetheless, some companies poorly paid and where they attempt to ne- that make large use of micro-work, mar- gotiate with platforms. Nonetheless, these ket their services as AI solutions. Both spaces of self-organisation are limited, es- workers and entrepreneurs interviewed pecially for forums hosted by micro-work within DiPLab have reported, and in platforms, which often ban members who some cases performed, micro-work re- are deemed too disruptive. packaged and branded as “artificial” in- telligence. MICRO-WORKERS PLAY A KEY ROLE IN ARTIFICIAL CONCLUSIONS INTELLIGENCE Micro-work in France is establishing itself as a new way to cope with economic precar- Micro-tasks performed on online plat- iousness. At the same time, due to a high- forms play a key role in the development ly fluctuating demand from companies, it of contemporary artificial intelligence (AI). does not provide professional stability, and The DiPLab research has identified three its long-term impacts on the professional main ways in which micro-work is benefi- trajectories of the persons concerned re- cial to AI systems: main to be established. That is especially – AI preparation: several DiPLab respond- true for social groups with limited access to ents have been actively involved in the standard employment. preparation of large “training datasets” How can we regulate this new labour used to calibrate machine learning solu- force and strengthen its almost-inexistent tions. Humans are necessary to tag im- social protection? This question concerns ages, transcribe words, interpret bits of both trade unions and legislators. spoken conversations. As the market for AI is booming in France, so does the re- Specifically, given the predominant place of cruitment of AI-trainers on micro-work this new form of work in the development platforms. and commercialization of AI solutions, – AI verification: existing technologies us- the question arises of how to ensure ing AI and learning algorithms, need to recognition of the contribution of workers be overseen by micro-workers. DiPLab to technological innovation at its true value. respondents have been checking the
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 11 Table des matières La première enquête sur le micro-travail en France................................... 14 Pourquoi l’enquête Comment avons-nous mené l’enquête DiPLab ?........................................... 14 DiPLab ? Qu’est-ce que le micro-travail ?............................................................................. 15 Les chiffres du micro-travail dans le monde.................................................. 16 Les micro-travailleurs, partie immergée de l’Intelligence Artificielle..................................................................................... 17 Verbaliser et formaliser le micro-travail........................................................... 17 Petit glossaire du micro-travail.............................................................................20 Cartographie des Ce qu’est une plateforme de micro-travail et ce qu’elle n’est pas...............20 entreprises de micro- Les micro-travailleurs ne sont pas des freelances travail en France ni des travailleurs « ubérisés »..............................................................................20 Le micro-travailleur effectue des tâches courtes généralement payées à la pièce.............................................................................21 Les micro-travailleurs ne paient pas de commission à la plateforme......22 L’écosystème du micro-travail en France..........................................................23 Plateformes « bifaces »..............................................................................................24 Plateformes de « micro-travail profond »........................................................25 A quoi reconnait-on une plateforme française de micro-travail ?.............26 La France compte plus de 260 000 micro-travailleurs..............................29 Qui sont les micro- La journée d’un micro-travailleur « très actif ».............................................29 travailleur•ses de Comment étudier le micro-travail : France ? l’enquête DiPLab sur Foule Factory....................................................................30 Socio-démographie du micro-travailleur français........................................31 Les lieux du micro-travail en France..................................................................33 Des revenus modestes................................................................................................34 Une micro-travailleuse « régulière »...................................................................35 En quoi consistent les micro-tâches ?................................................................36 Pour qui travaillent les micro-travailleurs ? La méconnaissance des donneurs d’ordre........................................................36 Le « plan » étudiant....................................................................................................37 Pourquoi micro-travailler ?.....................................................................................38 L’argent du micro-travail : un revenu parfois complémentaire, très souvent nécessaire.........................................................39 G. : la difficulté de toucher un salaire décent quand on est en situation de handicap.............................................................39 Micro-travail des femmes : une « double » ou « triple » journée..........40 S. : arrêter de travailler pour s’occuper de ses enfants..............................40 A. : micro-travailler pendant ses pauses...........................................................41
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 12 Une multi-activité nécessaire mais limitée.....................................................44 Les conséquences du Un travail « atypique » qui s’ajoute à l’emploi..............................................44 micro-travail Un palliatif dans des situations d’inactivité...................................................45 M. face au surendettement......................................................................................46 Une population précaire...........................................................................................46 Un micro-salaire pour « profiter de la vie » ou bien un « micro-salaire pour vivre » ?..........................................................................47 Un micro-salaire pour compléter son revenu.................................................47 La précarisation alarmante des trentenaires..................................................48 Le « surtravail » des micro-travailleurs.............................................................48 L’invisibilité pour lot commun..............................................................................49 Les risques psychosociaux du micro-travail....................................................50 B., ou la solitude du micro-travailleur................................................................51 Une foule qui tente de s’auto-organiser............................................................51 Échanger les expériences..........................................................................................52 « Bonjour, que pouvez-vous faire pour moi ? ».............................................55 Comment le micro- Comment le micro-travail sert l’IA......................................................................55 travail nourrit Quand l’humain « prépare » l’IA..........................................................................56 l’Intelligence La dernière micro-tâche............................................................................................56 Artificielle Générer des données pour nourrir les machines.........................................57 CGM : contenu généré par les micro-travailleurs..........................................57 Le micro-travail pour « vérifier » l’IA.................................................................58 J. : la femme qui écoutait les robots....................................................................58 « AI washing » : quand l’IA est un argument marketing..........................58 Faites semblant, ce sera payant............................................................................59 L’humain dans la machine.......................................................................................60 Presque la moitié des startups qui déclarent faire de l’IA mentent..................................................................................................61 Le micro-travail : une remise en cause de l’institution salariale..................................................................................................63 Conclusions L’infrastructure humaine de l’intelligence artificielle...............................63 Quid des entreprises clientes ?..............................................................................64 L’internationalisation du micro-travail.............................................................65 Annexe 1 : L’équipe.......................................................................................................66 Annexe 2 : Bibliographie...........................................................................................67 Annexe 3 : Méthodologie d’estimation du nombre de micro-travailleurs en France............................................................................69
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 13 Pourquoi l’enquête DiPLab ?
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 14 La première enquête sur le micro-travail en France Le monde du travail est en pleine muta- pour accompagner les entreprises dans de tion et le travail des plateformes en est nombreuses fonctions : R&D et innovation, une nouvelle forme : des applications mo- systèmes informatiques, mais aussi marke- biles, des portails web et des services inno- ting, production, maintenance, logistique et vants permettent désormais de mettre en finance. relation des entreprises et des travailleurs. Emploi, entreprises, marchés : le micro- Ces plateformes agissent en intermédiaires travail rend évident l’impact de la techno- dans plusieurs secteurs : transport ur- logie sur l’économie et modifie jusqu’à la bain, livraison, ménage, graphisme, service notion même de métier. C’est pourquoi une clients, comptabilité. équipe de chercheurs a lancé le projet de re- Le secteur du micro-travail est le der- cherche DiPLab (Digital Platform Labor). Il nier front de cette « plateformisation » s’agit de la première enquête consacrée au de l’économie. Ses acteurs proposent aux micro-travail en France. L’objectif : mesurer entreprises de diviser leurs processus mé- l’impact de ces nouvelles formes de travail tiers en plusieurs micro-tâches pour les sur la société et sur l’emploi ; un impact confier à des particuliers. Ce processus de qu’il est urgent de prendre en compte dans fragmentation du travail s’avère très utile les politiques publiques. Comment avons-nous mené l’enquête DiPLab ? L’équipe du projet de recherche DiPLab a ré- de la plateforme française Foule Factory uni dix chercheuses et chercheurs qui s’inté- (dont 908 réponses pleinement exploi- ressent à la transformation du travail par les tables) ; technologies. Dirigée par Antonio Casilli, cher- – conduit 92 entretiens semi-directifs avec cheur et enseignant à Télécom ParisTech, et des micro-travailleurs, des fondateurs de Paola Tubaro, chargée de recherche au CNRS, plateformes et des responsables d’entre- elle a bénéficié d’un financement de la part du prises clientes, dont 73 avec des travailleurs syndicat cgt-FO (dans le cadre de l’agence d’ob- de Foule Factory ; jectifs FO-IRES 2017), ainsi que deux finance- – analysé une base de 153.000 messages ments additionnels, respectivement de France échangés sur Net Business Rating, une Stratégie, une institution rattachée au Premier plateforme d’évaluation de sites et applica- Ministre, et de la MSH Paris Saclay (dans le tions de micro-travail. cadre de l’appel à projets « Maturation 2017 »). Pour mener cette enquête, l’équipe DiPLab a : Tous les départements français sont concer- – Repéré 23 plateformes de micro-tâches nés par le micro-travail, y compris les do- opérant en France, et constitué un inven- maines et régions d’Outre-mer. De plus, une taire documenté et détaillé de leurs caracté- partie des tâches commandées par des entre- ristiques et activités ; prises françaises sont confiées à des micro- – administré et analysé un questionnaire travailleurs de pays tiers, généralement fran- rempli par environ 1 000 micro-travailleurs cophones, via des plateformes spécialisées.
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 15 Qu’est-ce que le micro-travail ? Avant tout, rappelons le contexte écono- (ensuite devenu Rater Hub). Sur ces deux mique dans lequel se place cette activité. Afin plateformes, le micro-travail humain sert à de réduire les coûts et d’augmenter leurs vérifier à la main les résultats des moteurs de performances, les entreprises font de plus recherche, les requêtes des assistants vocaux, en plus appel à des prestataires extérieurs. les trajets des véhicules connectés. Ces prestataires ne sont pas nécessairement Désormais, des centaines de plateformes de des sous-traitants (d’autres entreprises ou micro-travail existent au niveau internatio- freelance). Depuis l’arrivée d’internet, il est nal. Elles constituent un véritable marché possible de déléguer à des « foules » de parti- du travail. Chacune des tâches reçoit une culiers en réseau des projets et des tâches in- compensation dérisoire, pouvant descendre hérentes à la gestion des entreprises (crowd- jusqu’à un ou deux centimes voire moins sourcing). dans certains cas. En 2017, le salaire horaire Or, ces dernières années ont vu émerger des médian d’un micro-travailleur ne dépas- acteurs économiques qui centralisent ces sait pas les 2 dollars1. De surcroit, penser en projets, les fragmentent en micro-tâches et termes d’heures de travail pose problème : les redistribuent à des travailleuses et des la plupart de ces plateformes rémunère à la travailleurs connectés à des plateformes nu- pièce. La possibilité même pour les micro-tra- mériques. Ces micro-tâches sont simplifiées à vailleurs d’arriver à cumuler un montant l’extrême, de façon à ce qu’elles puissent être équivalent à un salaire minimum à la fin du effectuées par des prestataires « non-profes- mois est soumise à plusieurs aléas : leur assi- sionnels ». Les plateformes proposent dé- duité, leur rapidité, leurs compétences, mais sormais aux particuliers de monétiser leur aussi la disponibilité des tâches ou la capacité temps libre en effectuant des tâches rémuné- à les réaliser à des heures déterminées. rées à l’unité. Nouvelle forme de travail, de plus en plus La plus célèbre de ces plateformes est fréquent et institutionnalisé, le micro-travail Amazon Mechanical Turk, un service créé fait pourtant l’objet de très peu d’attention de par le géant du commerce en ligne au milieu la part des médias et des pouvoirs publics. des années 2000. Avant cela, le problème le plus récurrent pour Amazon consistait à éliminer les doublons de son vaste catalogue. Les ingénieurs de la société de Seattle, ayant constaté l’inefficacité des solutions logicielles pour résoudre ce problème, ont envisagé un système d’externalisation : recruter un grand nombre de personnes payées à la pièce, avec pour mission d’analyser quelques pages et de signaler les répétitions. De là à en faire profiter d’autres sociétés, en retirant au passage une commission pour leur rôle de courtier, il n’y avait qu’un pas. D’autres géants de la tech ont suivi l’exemple d’Amazon. Ainsi, en 2004, Microsoft s’est doté d’Universal Human Relevance System (UHRS), et en 2008, Google a lancé EWOQ 1 Hara K., Adams A., Milland K., Savage S., Callison-Burch C. et Bigham J. (2017). A Data-Driven Analysis of Workers’ Earnings on Amazon Mechanical Turk. arXiv, 14 déc. URL: .
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 16 Les chiffres du micro-travail dans le monde Le micro-travail diffère de l’externalisation « travail à côté » (avec d’importantes classique, dans la mesure où il met au travail variations par pays et par genre). Les auteurs des masses de travailleurs indépendants, estiment à 5,8 millions les inscrits sur les chacun en charge d’une petite partie, plutôt plateformes de micro-travail, mais il s’agit qu’un seul sous-traitant pour l’ensemble. Il certainement d’une sous-estimation due diffère aussi du « freelancing », puisque ce au fait que les données sur les plateformes dernier produit des tâches complexes néces- de micro-travail ne sont que rarement sitant des connaissances spécialisées ou des disponibles. En effet, encore aujourd’hui, talents créatifs, comme la conception gra- nous manquons de repères pour évaluer phique ou la programmation informatique. les effectifs des plateformes les plus Cette nouvelle forme de travail des plate- importantes, à commencer par celles des formes concerne des activités standardisées géants de la tech tels que Google, Facebook et le plus souvent non qualifiées. Les « mi- et Microsoft. cro-tâches » peuvent aller de la classification Cependant, la somme des effectifs déclarés de produits dans les catalogues en ligne à par les plateformes elles-mêmes dépasse- l’étiquetage de vidéos et d’images, en pas- rait les 100 millions de travailleurs dans le sant par la transcription ou la traduction de monde3. Même si ces chiffres sont sujets à textes courts. caution, il n’en importe pas moins de sou- Selon un rapport de la Banque mondiale ligner que le phénomène est en expansion paru en 2015, micro-travail et freelancing dans plusieurs régions du monde4. se superposent, la différence principale Le rapport de 2017 rendu à la Direction entre les deux formes de travail étant la générale des politiques internes du taille et la complexité des tâches, ainsi Parlement Européen5 affirme qu’entre 1 et que la rémunération proposée2. Au niveau 5% de la population européenne a eu accès international, les plateformes de micro- à un revenu sur une plateforme de travail. travail attirent des effectifs relativement Les niveaux de rémunération sur l’ensemble jeunes (environ 70% des usagers auraient des plateformes sont nettement inférieurs moins de 35 ans) ayant déjà une occupation aux salaires minimums nationaux. Plus principale, et généralement un bon niveau spécifiquement, ce rapport montre que les d’études. Les micro-travailleurs seraient travailleurs opérant sur des plateformes davantage mus par le besoin d’avoir un de micro-travail gagnent en moyenne entre 43 et 62% moins que le salaire minimum 2 Kuek S., Paradi-Guilford C.M., Fayomi T., Imaizumi S. et Ipeirotis P. (2015). The global opportunity in online outsourcing. Rapport, en vigueur dans leur pays. En France, cet Washington, D.C., World Bank Group. URL: . travailleurs seraient économiquement dépendants des plateformes, tirant une plus 3 Kueket al. (2015), cit. . grande partie de leurs revenus personnels 4 O’Farrell R. et Montagnier P. (2019). Measuring Platform Mediated de micro-tâches sans autre emploi rémunéré. Workers. OECD Digital Economy Papers No. 282, Paris, OECD Publishing. URL: Un autre rapport plus récent du BIT (2018) < https://www.oecd-ilibrary.org/science-and-technology/measuring- platform-mediated-workers_170a14d9-en > se concentre sur les conditions de travail des usagers de 5 plateformes internationales Forde C., Stuart M. Joyce S., Oliver L., Valizade D., Alberti G., de micro-travail, lesquelles recrutent des 5 Hardy K., Trappmann V., Umney C. et Carson C. (2017). The Social Protection of Workers in the Collaborative Economy, Rapport effectifs en 75 pays6. La moyenne d’âge des pour la Commission Emploi et Affaires Sociales du Parlement Européen. URL : . les asymétries en fonction du genre sont 6 Berg J., Furrer M., Harmon E., Rani U. et Silberman M.S. (2018). particulièrement importantes. Dans les pays Digital labour platforms and the future of work: Towards decent work in the online world, Geneva, BIT. URL: . travailleuses et micro-travailleurs est de 1 à
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 17 5. L’enquête révèle que les micro-travailleurs travail est la principale source de revenu. La ne gagnent effectivement que 3,31 dollars protection sociale de ces micro-travailleurs de l’heure, et que dans les pays plus riches, est particulièrement faible. A peine la moitié ils gagnent moins que le salaire minimum d’entre eux sont couverts par une assurance national. La plupart des travailleurs de maladie (provenant d’un emploi principal), plateformes dépendent financièrement des et seuls 35% sont affiliés à un régime de revenus qu’ils tirent de leurs micro-tâches. retraite. Pour presque 32% d’entre eux, le micro- Les micros-travailleurs, partie immergée de l’Intelligence Artificielle Moins visible que les chauffeurs Uber ou calibrer et améliorer des solutions intelli- les livreurs de Deliveroo, cette micro-main- gentes. Reconnaissance d’images, assistants d’œuvre est pourtant un atout essentiel virtuels, algorithmes apprenants, véhi- pour innover dans le cules autonomes : autant de technologies monde à venir. qui se basent sur l’Intelligence Artificielle, À travers des À travers des plate- laquelle à son tour repose sur l’activité de plateformes de mise formes de mise en myriades de micro-travailleurs. en relation avec des relation avec des entreprises clientes En effectuant des centaines, voire des milliers de micro-tâches par jour, ils parti- entreprises clientes souvent engagées cipent de plus en plus souvent à la produc- souvent engagées dans de vastes plans tion de ces technologies. Ils enseignent aux dans de vastes plans de « transformation dispositifs de reconnaissance vocale ou vi- numérique », les mi- suelle à interpréter des sons et des images. de « transformation cro-travailleurs se Ils nettoient les données et les enrichissent numérique », les retrouvent à être les pour qu’elles puissent être utilisées dans micro-travailleurs se artisans invisibles l’apprentissage profond. Ils retranscrivent retrouvent à être les mais nécessaires de l’automatisation. des textes à partir d’images floues ou de mauvaise qualité. Voilà bien d’activités qui, artisans invisibles De manière de plus selon la doxa courante, sont appelées à être mais nécessaires de en plus marquée, automatisées. Or, pour que l’intelligence l’automatisation. les plateformes se artificielle soit capable de les effectuer par servent des micro- elle-même, elle a encore besoin d’être nour- travailleurs pour rie et entraînée par l’intelligence humaine... Verbaliser et formaliser le micro-travail Les travaux existants ne fournissent pas en- sur les plateformes de micro-travail an- core d’éléments permettant de situer l’état glophones, qui recrutent majoritairement du micro-travail en France. Sauf quelques leurs effectifs entre les États-Unis et l’Asie. rares exceptions, les sources à notre dis- Qui sont les acteurs de l’économie du position se sont penchées principalement micro-travail ? À quoi ressemble une
LE MICRO-TRAVAIL EN FRANCE – RAPPORT DIPLAB 18 plateforme qui opère dans le contexte point de vue quantitatif et qualitatif la force français ? Comment cette nouvelle forme de micro-travail en France. Non seulement de travail atypique se répartit-elle sur le allons-nous dresser le profil socio-démogra- territoire national, de même qu’en termes phique de ces travailleurs, mais nous allons de couches sociales, de genre, de catégories également faire entendre leurs voix, en ra- professionnelles ? Quel est le portrait-robot contant leurs histoires et en recueillant leurs de cette nouvelle catégorie de travailleurs ? propos. Nous passerons ensuite en revue Quelles raisons poussent les particuliers les conséquences psycho-sociales de ce type à « vendre » quelques minutes, quelques d’activité. Nous conclurons enfin par un ap- heures, quelques journées de leur temps ? profondissement du rôle des micro-travail- Nous allons d’abord procéder à une carto- leuses et micro-travailleurs français dans graphie des plateformes françaises et des la préparation, la validation, et (parfois) la plateformes internationales dans lesquelles simulation d’intelligences artificielles. sont enregistrés des micro-travailleurs fran- çais. Ensuite, nous caractériserons d’un
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