Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019
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Stratégie & Investissement Lettre du 27 mai 2019 Le Japon d’une ère à l’autre ; y a -t-il un message pour l’Europe ? L’ère Heisei, qui vient de se terminer avec le passage de témoin entre les empereurs Hakihito et Naruhito, n’a enregistré qu’une croissance économique assez faible : en moyenne annuelle de 1989 à aujourd’hui, +1,3%. La Banque Postale AM 34, rue de la Fédération Ces « décennies perdues » peuvent s’expliquer par trois facteurs 75737 Paris Cedex 15 principaux : le coût élevé d’une crise bancaire résolue tardivement, des Hervé Goulletquer politiques contracycliques parfois trop prudentes et une baisse de la herve.goulletquer@labanquepostale-am.fr croissance potentielle dans un contexte de diminution de la population Tel. (+33) 1 57 24 22 07 active et de ralentissement de la productivité. Stéphane Déo stephane.deo@labanquepostale-am.fr Tel. (+33) 1 57 24 22 76 Il est tentant, au vu des performances économiques médiocres enregistrées en Europe depuis la Grande Récession, de faire un parallèle avec le Japon. De fait, croissance, inflation et taux d’intérêt invitent à cela. Il n’empêche que le potentiel de croissance n’a pas été remis en cause en Europe au cours des dernières années, comme cela a pu être le cas au Japon à partir de 1989. Ne faudrait-il pas mieux alors parler d’une « euopéisation » du Japon et pas d’une « japonisation » de l’Europe ! 34, rue de la Fédération 75737 Paris cedex 15. Tél : 01 57 24 21 00 - Fax : 01 57 24 22 84 SA à Directoire et Conseil de surveillance au capital de 5 368 107,80 euros – 344 812 615 RCS Paris – Code APE 6630Z – N° TVA Intracommunautaire : FR 78 344 812 615 1
Le Japon, d’une ère à l’autre ; y a-t-il un message pour l’Europe ? Retour sur Heisei (Atteindre la Paix) au moment où s’ouvre, avec le « passage de témoin » entre les empereurs Akihito et Naruhito, Reiwa (Agréable Harmonie) Heisei commence dans l’exubérance économique. En 1989, la croissance économique est de plus de 5% l’an, l’inflation atteint 3% en fin d’année et pour le dernier jour de travail de l’année l’indice Nikkei de la bourse de Tokyo enregistre son plus haut historique (38877points). Mais cela ne durera pas. L’économie japonaise entre en récession début 1991 pour n’en sortir qu’au début du quatrième trimestre 1993. Sans que la croissance ne retrouve les rythmes précédents. Rappelons que du milieu des années 50 au début des années 70, la PIB réel progresse de 10% l’an. Au lendemain du premier « choc pétrolier », le rythme est donc encore de 5% l’an. Sur l’ensemble de l’ère Heisei, il n’atteint que 1,3%. Reprofiler les appareils de production et de financement pour adapter l’économie à un tempo de croissance significativement plus faible est un exercice compliqué. Comment gérer la « casse », directe et indirecte, liée à la nécessaire dévalorisation d’un capital productif accumulé de façon excessive ? Les « curseurs » à actionner sont le temps et le choix politique de faire supporter les coûts à telle ou telle catégorie d’agents é conomiques. En la matière, sans précipitation, les banques et l’Etat ont été mis à contribution, dans le but de préserver davantage les entreprises et les ménages. Au final les banques ont passé 100 000 milliards de yens de créances irrécouvrables par pert es et profits (l’équivalent de près de 20% du PIB actuel) et la dette publique est passée de 67% du PIB en 1989 à 235% en 2014 (depuis, le ratio est assez stable). Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 2
Bien sûr, dans le même temps, l’économie japonaise a traversé les crises internationales (l’Asie en 1997, la bulle internet en 2000 et la grande récession de 2008) et a dû faire face à un certain nombre de profondes difficultés domestiques (le vieillissement de la population, cinq récessions, une forte baisse de la croissance potentielle – de plus de 4% l’an à environ entre 0,0% et 1,0% –, une inflation durablement nulle, l’effondrement du prix de l’immobilier et des actions et de graves catastrophes naturelles – le tremblement de terre de Kobe et le désastre de Fukushima –). Autant de défis à relever qui ont nécessité de pousser les réformes. Aux niveaux électoral et administratif, les changements ont visé à privilégier le bipartisme et à renforcer le rôle du gouvernement par rapport à celui des administrations, le tout avec l’ambition de rendre le système politique plus efficace. En termes de politique économique, la volonté de changement la plus marquée a pris la forme des Abenomics, du nom du Premier ministre Shinzo Abe, arrivé à la tête du gouvernement en 2012 et qui y est toujours. Que de te mps a-t-il fallu attendre pour que cette ligne s’impose ! Les Abenomics consistent à agir simultanément sur trois leviers : une politique monétaire ultra-accommodante, une relance budgétaire et des réformes structurelles (fiscalité, marché du travail, agri culture, …). Si, dans l’ensemble, la situation économique s’est améliorée, les enjeux restent marqués : atteindre de façon durable un niveau de croissance satisfaisant et réussir à positionner l’inflation à un niveau significativement plus élevé qu’aujourd’hui, tout en assurant la soutenabilité de la dette publique et en essayant de résoudre une équation démographiq ue particulièrement compliquée. Faut-il parler de « décennies perdues » pour décrire l’ère Heisei ? L’expression est sévère. Il n’empêche que le ralentissement de la croissance a été marqué. On peut sans doute l’expliquer par trois facteurs 1 : le coût élevé d’une crise bancaire résolue tardivement, des politiques contra cycliques parfois trop prudentes et une baisse de la croissance potentielle dans un contexte de diminution de la population active et de ralentissement de la productivité. En n’oubliant pas que la forte revalorisation du yen, dans le sillage des accords du Plaza de septembre 1985, a pesé sur la dynamique des exportations. On le voit ; les choix de politique économique, qui ont pu être mal calibrés, ont leur part dans la contre-performance enregistrée durant toutes ces années. Voilà pour l’histoire qu’on a envie de raconter. Reste à lui donner une dimension plus analytique. Le tableau 1 a cette ambition. 1 On pourra se référer à « Leçons de l’Expérience Japonaise Vers une autre politique économique ? », Sébastien Lechevalier et Brieuc Monfort, EDITIONS RUE d’ULM, Paris 2016 Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 3
Huit caractéristiques et quatre facteurs externes qui définissent l'économie de l'ère Heisei au Japon Tab 1 Baisse du prix Diminution et Baisse de la Difficile des actifs vieillissement de croissance comblement de (éclatement de la population potentielle l'output gap Stagnation de l'activité la bulle) économique Augmentation Stimulation des dépenses de budgétaire à sécurité sociale Augmentation répétition Désendettement de la dette du secteur privé publique Augmentation de l'épargne de précaution dans le secteur Excédent financier Baisse de du secteur privé l'intermédiation (épargne bancaire excédentaire) Renforcement de L'élargissement Baisse du taux Baisse de la réglementation de l'écart des d'intérêt neutre l'inflation financière revenus Moindre efficacité de la Taux d'intérêt durablement bas politique monétaire Sources : LBPAM d'après Deutsche Bank Que voit-on ? Quatre éléments largement exogènes ont participé à la dynamique économique et financière observée : La diminution et le vieillissement de la population ; L’éclatement des bulles financière et immobilière : La montée des inégalités ; Le renforcement de la réglementation financière. Huit dynamiques économiques et financières se mettent alors en œuvre : Baisse de la croissance potentielle ; Baisse de l’inflation ; Baisse du taux d’intérêt neutre ; Difficile comblement de l’output gap (écart entre croissance observée et croissance potentielle) ; Augmentation de la dette publique ; Désendettement du secteur privé ; Excédent financier du secteur privé ; Baisse de l'intermédiation bancaire. Alors que le Japon passe d’une ère à une autre, que peut -on dire des évolutions intervenues au cours de ces quelque trente ans ? Du côté du positif, l’output gap négatif s’est comblé, le désendettement du secteur privé a été à peu près mené à son terme et l’intermédiation bancaire re-fonctionne de façon satisfaisante. Du côté de l’entre -deux, la Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 4
croissance potentielle a bien du mal à accélérer, tout comme l’inflation et donc le taux d’intérêt « neutre » n’arrive pas à quitter le territoire négatif. En revanche, peu d e progrès ont été enregistré en matière de réduction de l’excédent financier du secteur privé. Que les ménages disposent « structurellement » d’une épargne nette positive (plus d’épargne que d’investissement) ; on est dans la normalité. En revanche qu’il e n aille de même pour les entreprises, et ceci depuis longtemps, voilà qui s’inscrit moins dans le cadre de l’analyse classique. Les entreprises ne sont -elles pas couramment emprunteuses nettes, dans le double but de financer à la fois le cycle d’exploitati on et l’investissement et de maximiser la rentabilité des fonds propres ? En fait, un moindre effort d’investissement (rapporté au PIB il a beaucoup baissé de la fin des années 80 à la fin des années 2000 ; depuis la remontée est en pente douce) et un envi ronnement économique toujours perçu comme incertain participent sans doute de cette préférence confirmée du secteur privé pour l’épargne. Le graphique 1 illustre le phénomène, avec une épargne nette qui se situe la plupart du temps entre 7 et 12 points de PIB. Gr1 Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 5
Quel message pour la Zone Euro ? L’intuition que cette histoire économique japonaise a peut -être quelque chose à raconter à l’Europe vient d’un certain nombre de similitudes : la faiblesse de la croissance et de l’inflation ou le bas niveau des taux d’intérêt, avec, et c’est peut -être encore plus important, l’impression que ces « nouveaux » équilibres sont faits pour durer. Reste alors à repérer le commencement de cette ère européenne, qui serait le pendant de l’Heisei japonais. On a envie de dire que l’enclenchement de la « Grande Récession » est probablement l’évènement fondateur. Si le point haut de la croissance du PIB est intervenu au Japon en 1988 (+6,8%), on le retrouve en Europe en 2006 – 2007, avec une performance proche de 3,5% (cf. graphique 2). Pour l’inflation aussi, c’est autour de ces dates, en fait un peu plus tard, qu’un maximum est atteint. On ne retrouve pas par la suite un tel niveau. Gr2 Ce phénomène d’écho (en fait de ressemblances) à quelque 18 ans d’écart peut -être mené plus avant. Qu’il s’agisse du profil des taux d’intérêt (cf. graphiques 3 et 4) ou des performances boursières du secteur bancaire (cf. graphique 5). Gr3 Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 6
Gr4 Gr5 Quittons les anecdotal evidences, comme disent les Anglo-saxons (les preuves empiriques en français) et revenons à notre grille analytique. Pour ce qui est éléments d’encadrement (démographie, éclatement de la bulle des prix d’actifs, plus grandes inégalités et durcissement de la règlementation financière), les évolutions, à défaut d’avoir la même intensité, sont plutôt comparables. Notons toutefois, et le point est d’importance, que la baisse des cours financiers et immobiliers a été moins marquée en Europe. Passons aux dynamiques économiques et financières en œuvre. La mi se en avant d’un certain nombre de « preuves empiriques » incite à conclure que des correspondances sont bien présentes entre Japon et Europe à quelque 18 ans d’écart. Il n’empêche qu’un choc initial de marchés moins fort et peut-être aussi moins d’hésitations ou de revers de politique économique suggèrent des évolutions moins défavorables par la suite. De fait, la croissance économique est dorénavant plus élevée en Europe qu’au Japon. De même, l’inflation y est supérieure. En termes de transmission de la p olitique économique (voulue comme la politique monétaire ou plus subie comme celle des changes), notons les évolutions plus favorables du taux long réel ou du taux de change effectif réel en Europe qu’au Japon (cf. graphiques 6 et 7). Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 7
Gr6 Gr7 Il faut aussi mettre en avant un équilibre macroéconomique épargne - investissement moins « déformé » en Europe qu’au Japon. L’épargne nette du secteur privé est le plus souvent entre 2 et 5 points de PIB, contre, rappelons-le, entre 7 et 12 points au Japon. Qui plus est, l’écart est avant tout le fait des entreprises. Comment ne pas en déduire que les milieux d'affaires ont un regard plus constructif sur les perspectives de croissance domestique en Europe qu’au Japon2 (cf. graphique 8) ? Gr8 2 En gardant toutefois à l’esprit que la réalité européenne est plurielle : par exemple une Allemagne plus proche de la référence japonaise (si tant est qu’elle le soit) et une France beaucoup plus éloignée Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 8
In fine, comment ne pas constater que le potentiel de croissance économique a été beaucoup moins remis en cause après la Grande Récession en Europe que cela ne fût le cas au Japon tout au long de l’ère Heisei ? Tant et si bien qu’aujourd’hui cette croissance potentielle est plus élevée en Zone Euro qu’au Japon (selon l’OCDE, 1,3% contre 0,8% ; cf. graphique 9). Comme si c’était le Japon qui s’était « européisé », au point d’apparaître dorénavant en retrait ! Gr9 Hervé Goulletquer Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 9
Marchés des taux 23/05/2019 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2018 Eonia -0,37 +0,00 -0,00 -0,01 Euribor 3 Mois -0,31 +0,00 +0,00 -0,00 Libor USD 3 Mois +2,52 +0,01 -0,06 -0,28 Schatz 2 ans (Titres d'Etat Allemagne) -0,64 +0,01 -0,06 -0,03 Bund 10 ans (Titres d'Etat Allemagne) -0,12 -0,03 -0,16 -0,36 Swap Inflation 5 ans dans 5 ans Zone Euro +1,31 -0,01 -0,10 -0,29 T-Notes 2 ans (Titres d'Etat Etats-Unis) +2,15 -0,05 -0,22 -0,34 T-Notes 10 ans (Titres d'Etat Etats-Unis) +2,32 -0,08 -0,25 -0,37 Ecart de taux 10 ans vs Allemagne 23/05/2019 Il y a 1 semaine Il y a un mois le 31/12/2018 France +0,40 +0,39 +0,35 +0,47 Autriche +0,32 +0,32 +0,29 +0,26 Pays-Bas +0,20 +0,20 +0,18 +0,15 Finlande +0,24 +0,24 +0,23 +0,31 Belgique +0,50 +0,49 +0,45 +0,53 Irlande +0,63 +0,58 +0,52 +0,66 Portugal +1,13 +1,17 +1,16 +1,48 Espagne +0,97 +1,00 +1,08 +1,17 Italie +2,76 +2,78 +2,63 +2,50 Marché du crédit 23/05/2019 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2018 Itraxx Main 69,02 7,54% 19,46% -21,90% Itraxx Crossover 294,64 7,07% 19,45% -16,69% Itraxx Financials Senior 88,01 10,52% 26,73% -20,02% Marché actions 23/05/2019 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2018 S&P 500 2 822,24 -1,88% -3,80% 12,58% Eurostoxx 50 3 327,20 -3,24% -5,04% 10,85% CAC 40 5 281,37 -3,06% -5,55% 11,64% Dax 30 11 952,41 -2,91% -2,31% 13,20% Nikkei 225 21 151,14 0,42% -4,98% 5,68% MSCI Marchés Emergents (clôture -1J) 984,81 -2,60% -9,63% 1,97% Matières premières 23/05/2019 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2018 Pétrole (Brent, $/baril) 67,76 -6,69% -8,30% 23,74% Or ($/once) 1 283,45 -0,25% 0,87% 0,07% Marché des changes 23/05/2019 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2018 EUR/USD 1,12 0,06% -0,41% -2,49% USD/JPY 109,61 -0,22% -2,01% -0,07% EUR/GBP 0,88 1,17% 1,80% -1,73% EUR/CHF 1,12 -0,60% -2,04% -0,33% Volatilité 23/05/2019 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2018 VIX (S&P 500) 16,92 10,66% 37,79% -33,44% V2X (Euro Stoxx50) 17,64 17,11% 44,52% -26,09% MOVE (US Treasury) 61,07 7,18% 22,66% -8,28% Les informations sont données à titre purement indicatif et ne sauraient engager la responsabilité de La BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT quant à leur caractère précis ou pérenne. Les informations communiquées reflètent l’opinion de La BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT au jour de leur établissement en fonction du contexte économique et réglementaire du moment. Ce document ne constitue ni un avis juridique ni fiscal. Ce document n’est ni reproductible, ni transmissible, en totalité ou en partie, sans l’autorisation préalable écrite de LBPAM, laquelle ne saurait être tenue pour responsable de l’utilisation qui pourrait être faite du document par un tiers. Stratégie & Investissement - Lettre du 27 mai 2019 10
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