Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit

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Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
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esse arts + opinions

Tracer des lignes
Drawing Lines
Emily Falvey

Esquisse
Sketch
Numéro 93, printemps 2018

URI : https://id.erudit.org/iderudit/88002ac

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Éditeur(s)
Les éditions esse

ISSN
0831-859X (imprimé)
1929-3577 (numérique)

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Citer cet article
Falvey, E. (2018). Tracer des lignes / Drawing Lines. esse arts + opinions, (93),
8–17.

Tous droits réservés © Emily Falvey, 2018                                           Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
Emily Falvey
Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
Esse

De 1945 jusqu’à nos jours, les artistes radicalisent à la
fois la pratique et la définition de l’inachèvement. Ainsi
le non finito pourrait tout aussi bien s’appliquer au mode
de présentation de l’œuvre, au choix des matériaux
dont elle est faite et au rapport qu’elle entretient avec le
temps et l’espace qu’à son apparence et à la technique
utilisée. Les artistes de cette période invitent souvent le
spectateur à participer à l’achèvement d’une œuvre qu’ils
ont commencée, mais laissée inachevée délibérément ;
travaillent avec des matériaux destinés à se désintégrer
et à disparaitre ; fabriquent des objets qui dépassent,
littéralement ou métaphoriquement, leurs propres limites
spatiales et temporelles1.

À première vue, l’esquisse peut sembler un              transcatégoriel, protéiforme, imprévisible
thème quelque peu anachronique dans un                  (c’est-à-dire diversifié) – à l’image même de la
monde de l’art préoccupé notamment par                  contemporanéité3 ».
les pratiques sociales, l’art contestataire, les             Le discours sur l’art contemporain se réfugie
réseaux, le réalisme spéculatif et l’appropria-         souvent dans cette idée d’inachèvement, qu’il
tion culturelle. Pourtant, il ne serait pas exagéré     présente, ainsi qu’il le fait souvent à son propre
d’affirmer qu’aujourd’hui, l’art contemporain est       sujet, comme une notion ouverte, inclusive, sub-
quasiment synonyme d’une certaine idée de               versive et libératrice. Cette posture découle en
l’inachèvement dont on peut dire qu’elle prend          partie de l’héritage laissé par les avant-gardes
partiellement son origine dans l’esquisse ou, à         successives et de la charge qu’elles ont menée
tout le moins, dans l’élévation de celle-ci au rang     contre l’autonomie de l’œuvre d’art : l’inachevé,
d’œuvre autonome. Cela ne signifie pas que les          le jetable, le choquant et l’éphémère ont servi à
œuvres ne sont plus abouties, mais plutôt que           défier une institution bourgeoise abrutissante
l’inachevé domine le discours sur l’art contem-         déconnectée de ce que les marxistes nomment
porain à la fois comme catégorie esthétique et          parfois la praxis du quotidien. L’inachèvement
comme idéologie. Cet état de choses apparait            aura ainsi largement contribué à catapulter l’art
comme une évidence à tous les points de vue,            occidental au stade de l’autocritique. Or, cette
depuis le choix des matériaux et des méthodes           politique de l’inachevé se transformera irrévoca-
jusqu’au degré de participation que les artistes        blement à partir de 1968, puis de nouveau avec la
exigent des spectateurs. Nous célébrons la juxta-       consolidation de l’économie néolibérale ; le cli-
position ingénieuse d’objets finement exécutés à        mat politique mondial actuel, où prédominent
des objets fragmentaires ou bruts ; les pratiques       la précarité et une forme de capitalisme plus
sociales qui font participer le public à des expé-      ouverte, plus souple et plus dynamique que par
riences collectives, souvent spontanées, dont           le passé, et donc plus instable, lui donne une
l’issue n’est pas fixe ; les théories de la réception
qui situent la création du sens dans le contexte
sociopolitique aléatoire et mouvant où évoluent
                                                        1 — Kelly Baum, Andrea Bayer et Sheena
les spectateurs. De fait, la plupart des définitions    Wagstaff, « Introduction: An Unfinished History
de l’art contemporain, pour qui se risquerait à         of Art », Unfinished: Thoughts Left Visible,
en formuler une, mettent en relief le caractère         New York et New Haven, The Metropolitan
                                                        Museum of Art et Yale University Press, 2016,
labile, inachevé et indéfinissable des œuvres.          p. 15. [Trad. libre]
Dans son célèbre questionnaire publié dans la
revue October, Hal Foster relève l’hétérogénéité        2 — Hal Foster, « Contemporary Extracts »,
de l’art contemporain, faisant observer que ses         e-flux journal, nº 12 (janvier 2010),
                                                        . [Trad. libre]
                                                                                                             Nadia Myre
chies de tout déterminisme historique, de toute                                                              Landscape of Sorrow,
définition conceptuelle et de tout jugement criti-      3 — Terry Smith, Contemporary Art: World             détail | detail, 2008.
que2 ». Plus récemment, Terry Smith décrit l’art        Currents, Upper Saddle River, Prentice Hall,         Photo : Guy L’Heureux, permission
                                                        2011, p. 9. [Trad. libre]
contemporain comme « pluriel, intradifférencié,                                                              de l’artiste | courtesy of the artist

              9 — Feature                               Sketch
Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
Esse

nouvelle impulsion. En tant qu’idéal social, il        tout aussi absurde d’ignorer le caractère très
semblerait que l’inachèvement devienne de plus         personnel d’une démarche entreprise – ce qui
en plus dévoyé.                                        est assez ironique, compte tenu des méthodes
     Si l’on conçoit généralement l’inachevé           de Campbell – en opposition à ces liens patri-
comme un terme en opposition avec la notion            moniaux. Pour emprunter une expression de
de frontière, rappelons que la critique exige la       Gilles Deleuze et Félix Guattari, les « modèles
distance que confère l’autonomie, tout comme           d’arborescence » de ce type engendrent des
la limite exclut ce qui se situe hors d’elle et en     lignées patriarcales qui étouffent la libre pen-
dépend tout à la fois. On pourrait illustrer cette     sée, qui relèguent dans l’ombre ou l’oubli les
dialectique – généralement devenue bancale et          femmes ainsi que quiconque se trouve exclu de
encombrante dans le discours sur l’art contem-         la position dominante du sujet masculin, blanc
porain – de façon inusitée, mais non moins effi-       et cisgenré. Au lieu de chercher à raccorder ces
cace, en recourant à un élément fondamental de         œuvres à une généalogie consacrée, nous pour-
l’esquisse : la ligne. Pas n’importe quelle sorte de   rions tenter de les voir comme tissant une toile
ligne, toutefois, mais une ligne qui prend forte-      qui les relie au monde, ce qui n’est pas la même
ment appui sur la dualité de sa fonction en tant       chose que de décider de quel côté de la ligne elles
que limite et voie de sortie.                          se situent – autrement dit, de déterminer si elles
     Même s’il pourra sembler quelque peu              ont une portée limitative ou émancipatrice. Il
singulier, le choix des œuvres présentées ici          s’agirait plutôt d’évacuer la tension entre une
offre une illustration assez convaincante de ce        pratique qui enchaine et une autre qui délivre
rythme dialectique évoqué plus haut. Prenons           – de comprendre en quoi l’inachevé peut être
par exemple la série d’œuvres sans titre que           restrictif et, inversement, en quoi les limites
Garry Neill Kennedy a réalisées au milieu des          peuvent être libératrices.
années 1970 en laissant courir méticuleusement              Dans Landscape of Sorrow (2008), Nadia
son crayon le long des fils d’une toile tendue. Sa     Myre a pratiqué une incision dans un morceau
démarche est généralement interprétée comme            de toile brute tendue, incision qu’elle a ensuite
une critique des théories esthétiques formalis-        refermée à l’aide d’un fil et d’une aiguille. Elle
tes épousées entre autres par les critiques amé-       a répété ce geste six fois, comme s’il s’était agi
ricains Clement Greenberg et Michael Fried.            d’un rituel imposé susceptible de se prolonger à
On l’associe souvent à l’art postminimaliste           l’infini. Même si l’œuvre se distingue en théorie
ou conceptuel, la réduisant ainsi à une étroite        de ses toiles scarifiées et de la série Scarscapes,
querelle avec un courant moderniste particu-           il fait peu de doute que les lignes qu’elle donne
lier. Paradoxalement, ce geste simple, imposé          à montrer sont une évocation abstraite de
a donné lieu à une œuvre remarquablement               cicatrices réelles, quoique indéterminées.
ouverte. En plus de soulever le problème du            Certaines blessures sont accidentelles, mais
modernisme, il subvertit les hiérarchies ségré-        celles-là ne donnent pas l’impression d’être le
gatives de la formation et de la connaissance et       fruit du hasard. Malgré le caractère aléatoire
remet en cause la nature du travail dans les régi-     des entailles et l’aspect improvisé des sutures, il
mes temporels capitalistes. C’est sans compter la      est difficile d’y voir autre chose que des marques
dimension métaphysique de la démarche, dont            délibérées. En tant que telles, elles matérialisent
le caractère répétitif permet « à son auteur de        une dynamique de pouvoir particulière – où la
faire ou d’être autre chose4 », comme l’a un jour      violence est à la fois infligée et surmontée. Myre,
fait observer Kennedy.                                 qui est d’ascendance algonquine et québécoise,
     Les artistes contemporains dont le travail        qualifie ces marques de « blessure langagière6 » ;
s’inscrit dans une veine similaire font souvent        en tant que gestes politiques, elles ne pourraient
l’objet de jugements réducteurs du même genre.
C’est le cas de l’œuvre impressionnante amorcée
en 2010 par Tammi Campbell sous le titre Dear
Agnes, qui consiste en une série de dessins qua-       4 — Garry Neill Kennedy, cité par Eric
drillés réalisés quasi quotidiennement en guise        Cameron dans « Garry Kennedy: Painting
                                                       Painting Itself », Artforum, vol 15, nº 9
de lettres sans mots adressées à la peintre abs-       (mai 1977), p. 50-51. [Trad. libre]
traite Agnes Martin. On l’interprète habituel-
lement comme un dialogue avec l’histoire du            5 — John Shelling, « Dedication to the Grid:
modernisme américain, dans laquelle les noms           Tammi Campbell’s Love Letter to Modernism »,
                                                       Saskatoon StarPhoenix, 29 aout 2016,
de Frank Stella et de Sol LeWitt ont éclipsé celui     .
de Martin. Un commentateur a même qualifié le
projet de « lettre d’amour au modernisme5 ». Il        6 — Nadia Myre, citée par Cynthia Fowler
serait insensé de nier l’existence de ces lignes –     dans « Materiality and Collective Experience:         Garry Neill Kennedy
                                                       Sewing as Artistic Practice in Works by
de ces liens entre Kennedy et Campbell, d’une          Marie Watt, Nadia Myre, and Bonnie Devine »,
                                                                                                             Untitled, 1974-1975.
part, et entre les deux artistes et le legs du for-    American Indian Quarterly, vol. 34, nº 3              Photo : permission de | courtesy of the artist
malisme américain, d’autre part. Et il serait          (été 2010), p. 344-364. [Trad. libre]                 & Diaz Contemporary, Toronto

             10 — Dossier                              Esquisse
Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
Esse

11 — Feature   Sketch
Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
Esse

                          Tammi Campbell
                          Dear Agnes series, July 29, 2016 ;
                          Dear Agnes series, July 27, 2016 ;
                          Dear Agnes series, July 4, 2016 ;
                          Dear Agnes series, July 1, 2016 ;
                          Dear Agnes series, July 5, 2016, 2016.
                          Photos : permission de | courtesy of the artist
                          & Galerie Division, Montréal

12 — Dossier   Esquisse
Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
Esse

être moins didactiques en effet. Même si elles         se verraient alors obligés de choisir entre expo-      7 — John Murchie, dans un entretien avec
évoquent une foule de maux (physiques, psy-            ser l’œuvre comme dessin, ce qui voudrait dire         Keeley Haftner, « Thinks: John Murchie », Bad
                                                                                                              at Sports, 19 décembre 2017, .
environnementaux, spirituels), elles restent           signifierait le faire empailler7. Ou ils pourraient
muettes, paradoxalement. Par le fait même,             refuser le legs. Là encore, la question de l’indivi-   8 — Les autres membres du collectif sont
elles supposent une égalité entre ceux qui par-        dualité se présente comme un paradoxe : voici          Dion Kaszas (Nlaka’pamux) et Amy Malbeuf
                                                                                                              (Métisse). Voir Earthline Tattoo Collective,
lent et ceux qui se taisent, approche conforme         une œuvre de l’artiste John Murchie ; or, Murchie      « About », .
aux conceptions du monde des Anishnaabeg               n’est rien de plus qu’un objet parmi d’autres,
exprimées dans les enseignements traditionnels         attendant d’être exposé ou rejeté.                     9 — Les Béothuks étaient un peuple autoch-
tels que la philosophie de la roue médicinale.              Les lignes tracées sur l’avant-bras de l’ar-      tone établi sur l’ile de Terre-Neuve. Même
                                                                                                              si l’histoire le considère comme disparu, les
Les liens entre les choses n’y sont pas expli-         tiste mi’kmaq Jordan Bennett ont une visée             récits oraux des Mi’kmaq racontent que ses
qués de manière linéaire, mais en fonction de          bien différente. Membre de l’Earthline Tattoo          membres ont fui vers l’est du continent et se
directions qui abolissent la distinction établie       Collective8, collectif autochtone voué au soutien      sont mariés avec ceux des nations voisines.
en Occident entre le conscient et l’inanimé, la        et à la préservation des pratiques traditionnelles
                                                                                                              10 — Jordan Bennett, dans un entretien avec
nature et la culture, l’esprit et le corps. En ce      du tatouage, Bennett a obtenu le sien à l’époque       Mireille Bourgeois, « Six Questions with Jordan
sens, les œuvres de Myre divergent en grande           où il s’échinait à créer une série de sculptures       Bennett », IOTA Institute, . [Trad. libre]
puie, comme l’argumente Jacques Rancière de            largement considérée comme l’ultime survi-
                                                                                                              11 — Jordan Bennett, cité par Michelle LaVallee
manière convaincante, sur une distinction hié-         vante de son peuple9. Pendant les derniers mois        dans « Remembering the Remembered:
rarchique entre savants et ignorants.                  de sa vie, Shanawdithit avait dessiné des cartes       In Conversation with Jordan Bennett »,
     La ligne en tant que tatouage, comparable         et des images dans l’intention, croit Bennett, de      BlackFlash, vol. 34, nº 2 (13 octobre 2017),
à une cicatrice, évoque tout particulièrement          « préserver quelques traces visuelles du savoir        .

la dialectique entre liberté et oppression qui se      et de la mémoire10 » de sa culture. Incapable
trouve au cœur de la question de l’inachevé en         de se résigner à l’idée d’exposer, dans l’espace
art contemporain. Autrefois pratiqué par une           colonisé et eurocentrique d’une galerie d’art,
frange de la population pour signifier son appar-      les dessins de Shanawdithit ou les œuvres qu’il
tenance à un groupe particulier, le tatouage s’est     avait créées en s’inspirant de ceux-ci, Bennett
largement répandu en Amérique du Nord comme            a plutôt décidé de s’en faire tatouer deux sur
moyen d’exprimer son individualité. Bien qu’il         l’avant-bras. Rappel constant des générations
continue d’incarner superficiellement un idéal         passées, mais aussi des liens entre Mi’kmaq et
de rébellion sociale et d’anticonformisme asso-        Béothuks, ces lignes tatouées témoignent d’un
cié au « milieu » des artistes ou des criminels, le    genre particulier de liberté : celle du groupe
tatouage a fini par devenir, à l’ère du néolibéra-     plutôt que de l’individu. Elles n’appartiennent
lisme, une expression de la diversité sanction-        pas à Bennett, même s’il les portera sur son
née par le marché. Cette ironie est soulignée de       bras jusqu’à la fin de sa vie. Elles relèvent de ce
manière assez éloquente dans Black and Blue            qu’il appelle « l’ensemble des manières d’être
de John Murchie (œuvre en cours depuis 1996).          [autochtones] ». Elles continuent d’exister,
Celui-ci a demandé à un tatoueur de tracer             malgré des cassures répétées, face au génocide
deux lignes (l’une bleue et l’autre noire) sur la      culturel11. L’idéal d’inachèvement qui domine
face interne de chacun de ses avant-bras, et de        aujourd’hui en art contemporain reçoit ici un
les faire aussi droites que possible sans se ser-      désaveu des plus cinglants : comment en effet
vir d’une règle. À cause de leur candide imper-        porter aux nues la liberté des lignes si celles-
fection – une simplicité rigide déformée par les       ci ne servent qu’à détruire des communautés ?
nuances du hasard –, les lignes qui en résultent       Est-ce que ces « lignes fuyantes », auxquelles
marquent un moment où il est possible de dépas-        nous restons attachés même si nous avons en
ser les attentes et de les décevoir tout à la fois.    principe dépassé le postmodernisme, condui-
Elles ont beau avoir été dessinées avec la plus        sent à de nouvelles harmonies ou tout simple-
grande précision atteignable à la main, elles          ment à une suite de points isolés s’agitant dans
finissent inévitablement par osciller doucement        l’obscurité ? Ce sont là des questions que nous
hors de leur trajectoire. Ce qui semblait à priori     devons continuer de nous poser tandis que nous
une tâche simple et bien définie devient par le fait   cherchons des moyens de sortir de ces ténèbres.
même perméable à l’incertitude complexe inhé-          Pour que l’art contemporain joue un rôle utile
rente à l’agentivité d’un tiers. Murchie, qui décrit   dans ce projet, il importe de rester conscient de
Black and Blue comme « une performance qui se          ses limites, mais peut-être, par-dessus tout, des
prolongera jusqu’à [son] dernier souffle », a l’in-    limites de son obsession pour l’inachevé.
tention de léguer son œuvre au Musée des beaux-
arts du Canada après sa mort. Les commissaires         Traduit de l’anglais par Margot Lacroix

             13 — Feature                              Sketch
Esse

Drawing Lines
Emily Falvey

From 1945 to the present day,      At first glance, the sketch may seem a somewhat       catapulting Western art into a stage of self-cri-
                                   anachronistic theme in an art world preoccu-          tique. But the politics of the unfinished shifted
artists have radicalized both      pied with, among other things, social practice,       irrevocably after 1968, and then again with the
the practice and definition        protest art, networks, speculative realism, and       cementing of the neoliberal economy, and this
                                   cultural appropriation. And yet, it would not be      change has been further galvanized in a global
of unfinishedness. Here non        extraordinary to claim that contemporary art is       political climate in which precarity and an open,
finito might apply as much         now almost synonymous with an idea of unfin-          f lexible, more dynamic, and, consequently,
                                   ishedness that, to a certain degree, may be said      more volatile species of capitalism prevails. As
to a work’s mode of address,       to originate in the sketch, or, at the very least,    a social ideal, it would seem that unfinishedness
its choice of materials, and       its elevation to the level of an autonomous work      has become increasingly sketchy.
                                   of art. This is not to say that works of art are no        While unfinishedness is generally under-
its relationship to time and       longer completed, but rather that the unfinished      stood to be opposed to boundaries, it is impor-
space as it does to its tech-      now dominates contemporary art discourse as           tant to remember that criticism requires the
                                   both an aesthetic category and an ideology. Such      distance afforded by autonomy, just as a limit
nique and appearance. In           a state of affairs is evident in everything from      at once excludes and relies upon the outside.
this period, artists have often    artists’ choice of materials and methods to the       An odd, but nonetheless compelling way into a
                                   level of participation that they require from their   better understanding of this dialectic — which,
entreated viewers to partici-      audiences. We celebrate the clever juxtaposition      in contemporary art discourse, has generally
pate in finishing objects that     of highly polished and fragmentary or rough           become lopsided and unwieldy — may be found
                                   objects; social practices that engage the public      in one of the most basic components of the
they began but deliberately        in shared, often-spontaneous experiences with         sketch: the line. This is not any kind of line, how-
left incomplete; they have         unfixed outcomes; and reception theories that         ever, but one that turns rather tightly on the hesi-
                                   situate the creation of meaning in the contin-        tation between its role as a limit and an egress.
worked with materials des-         gent and ever-changing socio-political contexts            Although the following selection of works
tined to decay and disappear;      of viewers. Indeed, most definitions of con-          may, in some ways, seem slightly peculiar,
                                   temporary art, when they are even hazarded,           together they provide a rather compelling illus-
they have fabricated objects       emphasize the category’s shifting, unfinished,        tration of this particular dialectical rhythm.
that exceed, either literally or   and indefinable qualities. In his famous October      Take, for example, a series of untitled works
                                   questionnaire, Hal Foster remarked upon the           that Garry Neill Kennedy made in the mid-
metaphorically, their own spa-     heterogeneity of contemporary art, in which           1970s by meticulously running a pencil along
tial and temporal boundaries.1     art practices seem “to float free from historical     the threads of a stretched canvas. This work is
                                   determination, conceptual definition, and criti-      generally understood as a critique of formalist
                                   cal judgment.”2 More recently, Terry Smith has        aesthetic theories espoused by American crit-
                                   described contemporary art as “multiple, inter-       ics such as Clement Greenberg and Michael
                                   nally differentiating, category-shifting, shape-      Fried. It is often defined as post-minimal or
                                   changing, unpredictable (that is, diverse)—like       conceptual art and thereby reduced to a rather
                                   contemporaneity itself.”3                             narrow argument with a certain kind of mod-
                                        Contemporary art discourse often seeks           ernism. And yet, this simple, prescribed ges-
                                   salvation in this idea of unfinishedness, which       ture is paradoxically the source of a remarkably
                                   it positions, much as it positions itself, as open,   open work of art. In addition to engaging with
                                   inclusive, subversive, and liberatory. This is part   the problematic of modernism, it subverts clas-
                                   of the legacy of the historical avant-gardes and      sist hierarchies of training and knowledge and
                                   their assault on the autonomy of the work of          questions the nature of labour under capitalist
                                   art, in which the unfinished, discarded, shock-       temporal regimes. And this is to say nothing
                                   ing, and ephemeral defied a stultifying, bour-        of the metaphysical aspect of the work, whose
                                   geois institution divorced from what Marxists         repetitive nature allows, as Kennedy once
                                   sometimes call the praxis of everyday life.           remarked, “the maker to do something else or
                                   Unfinishedness thus played an important part in       to be something else.”4

           14 — Dossier            Esquisse
Esse

Nadia Myre
Scar project, détail | detail,
2005-2013.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

The point is, rather,
to draw out the
tension between
a practice that fixes
you and one that
lets you go — to
understand how the
unfinished can be
limiting and, con-
versely, how limits
may set you free.

                                         Contemporary artists working in a similar        of the line they are on — in other words, whether
                                    vein are often subject to comparable reductions.      they limit or liberate. The point is, rather, to draw
                                    Tammi Campbell’s impressive work Dear Agnes           out the tension between a practice that fixes you
                                    (ongoing since 2010), a series of grid drawings       and one that lets you go—to understand how the
                                    produced almost daily as wordless letters to          unfinished can be limiting and, conversely, how
                                    the abstract painter Agnes Martin, is usually         limits may set you free.
                                    understood as an engagement with the history of
                                    American modernism, in which the names Frank
                                    Stella and Sol LeWitt eclipse Martin’s. Indeed,
                                                                                          1 — Kelly Baum, Andrea Bayer, and Sheena
                                    one commentator even described Campbell’s             Wagstaff, “Introduction: An Unfinished
                                    project as “a love letter to modernism.”5 It would    History of Art,” in Unfinished: Thoughts
                                    be foolish to deny that these lines exist—that they   Left Visible (New York and New Haven,
                                                                                          CT: The Metropolitan Museum of Art
                                    connect Kennedy to Campbell, and both of them         and Yale University Press, 2016), 15.
                                    back to the legacy of North American formalism.
                                    At the same time, it seems equally nonsensical        2 — Hal Foster, “Contemporary Extracts,”
                                    to ignore Campbell’s work as a highly personal        e-flux journal, no. 12 (January 2010),
                                                                                          .
                                    endeavour undertaken—ironically enough, given
                                    her methods—in opposition to these patrimonial        3 — Terry Smith, Contemporary Art: World
                                    links. Such “models of arborescent descent,” to       Currents (Upper Saddle River, NJ: Prentice
                                    borrow a phrase from Deleuze and Guattari, cre-       Hall, 2011), 9.

                                    ate patriarchal lineages that choke freethinking,
                                                                                          4 — Garry Neill Kennedy, quoted by Eric
                                    and obscure or eliminate women and anyone             Cameron in “Garry Kennedy: Painting Painting
                                    outside the dominant cis-gendered, white, male        Itself,” Artforum 15 (May 1977): 50 — 51.
                                    subject position. Instead of simply plugging these
                                    works of art into a sanctioned genealogy, we          5 — John Shelling, “Dedication to the Grid:
                                                                                          Tammi Campbell’s Love Letter to Modernism,”
                                    might try to see them as weaving a web with the       Saskatoon StarPhoenix, August 29, 2016,
                                    world. This is not the same as deciding which side    .

                 15 — Feature       Sketch
Esse

     In Nadia Myre’s Landscape of Sorrow (2008),       Murchie instructed a tattoo artist to draw two        [Indigenous] ways of being.” Such lines continue,
a line is cut into a piece of raw, stretched canvas    lines down each of his inner forearms — one blue,     despite being repeatedly broken, in the face of
and then sewn shut with thread. The gesture is         the other black—with the proviso that they be         cultural genocide.11 In this gesture, the ideal of
repeated six times, as though it were at once a        made as straight as possible without using a          unfinishedness ruling over contemporary art
prescribed ritual and a potentially endless pro-       ruler. In their wavering frankness — a rigid sim-     receives one of its sternest rebukes, for how can
cess. Although technically separate from her           plicity deformed by undertones of chance — the        we celebrate the freedom of individual lines if
series of scar paintings and Scarscapes, there         resultant lines mark a moment in which it is pos-     they serve only to destroy communities? Do the
can be little doubt that these lines are abstracted    sible to both exceed and fail a program. Though       “lines of flight” we still cherish, despite being
from real, if unnamed, injuries. And while some        drawn with the greatest precision a free hand         nominally on the other side of the postmodern,
wounds are the results of accidents, these do not      can afford, the lines naturally tremor subtly         lead to new unities or merely to a series of discon-
feel random. However haphazard the gashes,             off course. A simple, closed procedure is thus        nected points flailing in the darkness? These are
however improvised their sutures, it is difficult      opened to the complex uncertainty of another’s        questions that we must continue to ask ourselves,
to see these marks as anything but intentional.        agency. Describing the work as “an ongoing per-       particularly as we search for ways out of this
As such, they materialize a particular power           formance, until my last breath,” Murchie plans        darkness. If contemporary art is to play a mean-
dynamic—one in which violence is both inflicted        to bequeath these lines to the National Gallery       ingful role in this project, we need to be aware
and overcome. Myre, who is of mixed Algonquin          of Canada upon his death. Curators will then be       of its limitations, but perhaps most especially of
and French Canadian heritage, refers to these          forced to decide if they want to exhibit the work     the limits of its obsession with the unfinished. •
marks as a “language wound,”6 and indeed,              as a drawing, which would entail skinning him,
as political gestures go, they couldn’t be less        or as a sculpture, which would require him to be
didactic. Although they speak of a variety of          taxidermied.7 Alternatively, they could refuse
                                                                                                             6 — Nadia Myre, quoted by Cynthia Fowler
ills — physical, psychological, intergenerational,     the gift. Here, again, the question of individu-      in “Materiality and Collective Experience:
colonial, environmental, spiritual — they remain       ality is presented as a paradox: this is a work by    Sewing as Artistic Practice in Works
paradoxically mute. In this way, they presume          the artist John Murchie, but it also turns out that   by Marie Watt, Nadia Myre, and Bonnie
                                                                                                             Devine,” American Indian Quarterly 34,
equality between the speaking and the silent.          Murchie is nothing more than one object among         no. 3 (Summer 2010): 344 — 64.
This is in keeping with traditional Anishnaabeg        many, waiting to be displayed or rejected.
worldviews as expressed in such sacred teach-               Mi’kmaq artist Jordan Bennett has a very         7 — John Murchie, interviewed by Keeley
ings as the philosophy of the Medicine Wheel,          different set of lines on his forearm. A member of    Haftner, “Thinks: John Murchie,” Bad
                                                                                                             at Sports, December 19, 2017, .
by directions that collapse Western distinctions       organization devoted to the support and preser-
between consciousness and insentience, nature          vation of traditional Indigenous tattoo practices,    8 — Other members of the collective include
and culture, mind and body. In this sense,             Bennett received his tattoo while struggling to       Dion Kaszas (Nlaka’pamux) and Amy Malbeuf
                                                                                                             (Métis). See “About,” Earthline Tattoo Collective,
Myre’s works are at odds with much Western             create a series of sculptures inspired by the draw-   .
critical art, which, as Jacques Rancière has con-      ings of Shanawdithit, a Beothuk woman widely
vincingly argued, relies on a hierarchical dis-        considered to be the last of her people.9 In the      9 — The Beothuk were a nation of Indigenous
tinction between the knowing and the ignorant.         final months of her life, Shanawdithit drew maps      people based on the island of Newfoundland.
                                                                                                             Although history records them as extinct,
     Similar to a scar, the line as a tattoo is also   and other images that Bennett believes were           Mi’kmaq oral histories say they fled to the
particularly evocative of the dialectic of free-       intended to “preserve some visual knowledge           Atlantic mainland and intermarried with neigh-
dom and oppression at the heart of the ques-           and memory” of her culture.10 Unable to rec-          bouring nations.
tion of the unfinished in contemporary art.            oncile his conscience with the idea of exhibit-
                                                                                                             10 — Jordan Bennett, interviewed by Mireille
Once considered a marginal means of signify-           ing her drawings, or the works he created from        Bourgeois, “Six Questions with Jordan
ing membership in a particular community, in           them, in the colonized, Eurocentric space of a        Bennett,” IOTA: Gallery, .
have evolved into a mass expression of individu-       tattooed on his forearm. Serving as constant
                                                                                                             11 — Jordan Bennett, quoted by
ality. While on the surface they may continue          reminders of previous Indigenous generations,         Michelle LaVallee in “Remembering the
to embody an ideal of social rebellion and non-        but also of the ties between the Mi’kmaq and          Remembered: In Conversation with
conformity associated with “the underworld”            Beothuk peoples, these lines bear witness to a        Jordan Bennett,” BackFlash 34, no. 2
of artists and criminals, under neoliberalism          particular kind of freedom: the freedom of the        (October 13, 2017), .
they have also become a market-sanctioned              collective rather than the individual. The lines of
expression of diversity. This irony is captured        these drawings do not belong to Jordan Bennett,
rather eloquently in John Murchie’s Black and          even though he will carry them to the end of his
Blue (ongoing since 1996). To create this work,        life. They belong to what he calls “the entirety of

             16 — Dossier                              Esquisse
Esse

  John Murchie
 Black and Blue, depuis | since 1996.
  Photo : Gemey Kelly, permission de l’artiste |
  courtesy of the artist

  Jordan Bennett
 Tatouage inspiré des dessins
  de Shanawdithit | tattoo inspired
  by the drawings of Shanawdithit,
  tatoueur | tattoo artist: Ryan Coombs.
  Photo : permission de l’artiste |
  courtesy of the artist

                   17 — Feature                    Sketch
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