Tracer des lignes Drawing Lines - Emily Falvey - Érudit
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Document généré le 30 nov. 2021 04:13 esse arts + opinions Tracer des lignes Drawing Lines Emily Falvey Esquisse Sketch Numéro 93, printemps 2018 URI : https://id.erudit.org/iderudit/88002ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les éditions esse ISSN 0831-859X (imprimé) 1929-3577 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Falvey, E. (2018). Tracer des lignes / Drawing Lines. esse arts + opinions, (93), 8–17. Tous droits réservés © Emily Falvey, 2018 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
Esse De 1945 jusqu’à nos jours, les artistes radicalisent à la fois la pratique et la définition de l’inachèvement. Ainsi le non finito pourrait tout aussi bien s’appliquer au mode de présentation de l’œuvre, au choix des matériaux dont elle est faite et au rapport qu’elle entretient avec le temps et l’espace qu’à son apparence et à la technique utilisée. Les artistes de cette période invitent souvent le spectateur à participer à l’achèvement d’une œuvre qu’ils ont commencée, mais laissée inachevée délibérément ; travaillent avec des matériaux destinés à se désintégrer et à disparaitre ; fabriquent des objets qui dépassent, littéralement ou métaphoriquement, leurs propres limites spatiales et temporelles1. À première vue, l’esquisse peut sembler un transcatégoriel, protéiforme, imprévisible thème quelque peu anachronique dans un (c’est-à-dire diversifié) – à l’image même de la monde de l’art préoccupé notamment par contemporanéité3 ». les pratiques sociales, l’art contestataire, les Le discours sur l’art contemporain se réfugie réseaux, le réalisme spéculatif et l’appropria- souvent dans cette idée d’inachèvement, qu’il tion culturelle. Pourtant, il ne serait pas exagéré présente, ainsi qu’il le fait souvent à son propre d’affirmer qu’aujourd’hui, l’art contemporain est sujet, comme une notion ouverte, inclusive, sub- quasiment synonyme d’une certaine idée de versive et libératrice. Cette posture découle en l’inachèvement dont on peut dire qu’elle prend partie de l’héritage laissé par les avant-gardes partiellement son origine dans l’esquisse ou, à successives et de la charge qu’elles ont menée tout le moins, dans l’élévation de celle-ci au rang contre l’autonomie de l’œuvre d’art : l’inachevé, d’œuvre autonome. Cela ne signifie pas que les le jetable, le choquant et l’éphémère ont servi à œuvres ne sont plus abouties, mais plutôt que défier une institution bourgeoise abrutissante l’inachevé domine le discours sur l’art contem- déconnectée de ce que les marxistes nomment porain à la fois comme catégorie esthétique et parfois la praxis du quotidien. L’inachèvement comme idéologie. Cet état de choses apparait aura ainsi largement contribué à catapulter l’art comme une évidence à tous les points de vue, occidental au stade de l’autocritique. Or, cette depuis le choix des matériaux et des méthodes politique de l’inachevé se transformera irrévoca- jusqu’au degré de participation que les artistes blement à partir de 1968, puis de nouveau avec la exigent des spectateurs. Nous célébrons la juxta- consolidation de l’économie néolibérale ; le cli- position ingénieuse d’objets finement exécutés à mat politique mondial actuel, où prédominent des objets fragmentaires ou bruts ; les pratiques la précarité et une forme de capitalisme plus sociales qui font participer le public à des expé- ouverte, plus souple et plus dynamique que par riences collectives, souvent spontanées, dont le passé, et donc plus instable, lui donne une l’issue n’est pas fixe ; les théories de la réception qui situent la création du sens dans le contexte sociopolitique aléatoire et mouvant où évoluent 1 — Kelly Baum, Andrea Bayer et Sheena les spectateurs. De fait, la plupart des définitions Wagstaff, « Introduction: An Unfinished History de l’art contemporain, pour qui se risquerait à of Art », Unfinished: Thoughts Left Visible, en formuler une, mettent en relief le caractère New York et New Haven, The Metropolitan Museum of Art et Yale University Press, 2016, labile, inachevé et indéfinissable des œuvres. p. 15. [Trad. libre] Dans son célèbre questionnaire publié dans la revue October, Hal Foster relève l’hétérogénéité 2 — Hal Foster, « Contemporary Extracts », de l’art contemporain, faisant observer que ses e-flux journal, nº 12 (janvier 2010), . [Trad. libre] Nadia Myre chies de tout déterminisme historique, de toute Landscape of Sorrow, définition conceptuelle et de tout jugement criti- 3 — Terry Smith, Contemporary Art: World détail | detail, 2008. que2 ». Plus récemment, Terry Smith décrit l’art Currents, Upper Saddle River, Prentice Hall, Photo : Guy L’Heureux, permission 2011, p. 9. [Trad. libre] contemporain comme « pluriel, intradifférencié, de l’artiste | courtesy of the artist 9 — Feature Sketch
Esse nouvelle impulsion. En tant qu’idéal social, il tout aussi absurde d’ignorer le caractère très semblerait que l’inachèvement devienne de plus personnel d’une démarche entreprise – ce qui en plus dévoyé. est assez ironique, compte tenu des méthodes Si l’on conçoit généralement l’inachevé de Campbell – en opposition à ces liens patri- comme un terme en opposition avec la notion moniaux. Pour emprunter une expression de de frontière, rappelons que la critique exige la Gilles Deleuze et Félix Guattari, les « modèles distance que confère l’autonomie, tout comme d’arborescence » de ce type engendrent des la limite exclut ce qui se situe hors d’elle et en lignées patriarcales qui étouffent la libre pen- dépend tout à la fois. On pourrait illustrer cette sée, qui relèguent dans l’ombre ou l’oubli les dialectique – généralement devenue bancale et femmes ainsi que quiconque se trouve exclu de encombrante dans le discours sur l’art contem- la position dominante du sujet masculin, blanc porain – de façon inusitée, mais non moins effi- et cisgenré. Au lieu de chercher à raccorder ces cace, en recourant à un élément fondamental de œuvres à une généalogie consacrée, nous pour- l’esquisse : la ligne. Pas n’importe quelle sorte de rions tenter de les voir comme tissant une toile ligne, toutefois, mais une ligne qui prend forte- qui les relie au monde, ce qui n’est pas la même ment appui sur la dualité de sa fonction en tant chose que de décider de quel côté de la ligne elles que limite et voie de sortie. se situent – autrement dit, de déterminer si elles Même s’il pourra sembler quelque peu ont une portée limitative ou émancipatrice. Il singulier, le choix des œuvres présentées ici s’agirait plutôt d’évacuer la tension entre une offre une illustration assez convaincante de ce pratique qui enchaine et une autre qui délivre rythme dialectique évoqué plus haut. Prenons – de comprendre en quoi l’inachevé peut être par exemple la série d’œuvres sans titre que restrictif et, inversement, en quoi les limites Garry Neill Kennedy a réalisées au milieu des peuvent être libératrices. années 1970 en laissant courir méticuleusement Dans Landscape of Sorrow (2008), Nadia son crayon le long des fils d’une toile tendue. Sa Myre a pratiqué une incision dans un morceau démarche est généralement interprétée comme de toile brute tendue, incision qu’elle a ensuite une critique des théories esthétiques formalis- refermée à l’aide d’un fil et d’une aiguille. Elle tes épousées entre autres par les critiques amé- a répété ce geste six fois, comme s’il s’était agi ricains Clement Greenberg et Michael Fried. d’un rituel imposé susceptible de se prolonger à On l’associe souvent à l’art postminimaliste l’infini. Même si l’œuvre se distingue en théorie ou conceptuel, la réduisant ainsi à une étroite de ses toiles scarifiées et de la série Scarscapes, querelle avec un courant moderniste particu- il fait peu de doute que les lignes qu’elle donne lier. Paradoxalement, ce geste simple, imposé à montrer sont une évocation abstraite de a donné lieu à une œuvre remarquablement cicatrices réelles, quoique indéterminées. ouverte. En plus de soulever le problème du Certaines blessures sont accidentelles, mais modernisme, il subvertit les hiérarchies ségré- celles-là ne donnent pas l’impression d’être le gatives de la formation et de la connaissance et fruit du hasard. Malgré le caractère aléatoire remet en cause la nature du travail dans les régi- des entailles et l’aspect improvisé des sutures, il mes temporels capitalistes. C’est sans compter la est difficile d’y voir autre chose que des marques dimension métaphysique de la démarche, dont délibérées. En tant que telles, elles matérialisent le caractère répétitif permet « à son auteur de une dynamique de pouvoir particulière – où la faire ou d’être autre chose4 », comme l’a un jour violence est à la fois infligée et surmontée. Myre, fait observer Kennedy. qui est d’ascendance algonquine et québécoise, Les artistes contemporains dont le travail qualifie ces marques de « blessure langagière6 » ; s’inscrit dans une veine similaire font souvent en tant que gestes politiques, elles ne pourraient l’objet de jugements réducteurs du même genre. C’est le cas de l’œuvre impressionnante amorcée en 2010 par Tammi Campbell sous le titre Dear Agnes, qui consiste en une série de dessins qua- 4 — Garry Neill Kennedy, cité par Eric drillés réalisés quasi quotidiennement en guise Cameron dans « Garry Kennedy: Painting Painting Itself », Artforum, vol 15, nº 9 de lettres sans mots adressées à la peintre abs- (mai 1977), p. 50-51. [Trad. libre] traite Agnes Martin. On l’interprète habituel- lement comme un dialogue avec l’histoire du 5 — John Shelling, « Dedication to the Grid: modernisme américain, dans laquelle les noms Tammi Campbell’s Love Letter to Modernism », Saskatoon StarPhoenix, 29 aout 2016, de Frank Stella et de Sol LeWitt ont éclipsé celui . de Martin. Un commentateur a même qualifié le projet de « lettre d’amour au modernisme5 ». Il 6 — Nadia Myre, citée par Cynthia Fowler serait insensé de nier l’existence de ces lignes – dans « Materiality and Collective Experience: Garry Neill Kennedy Sewing as Artistic Practice in Works by de ces liens entre Kennedy et Campbell, d’une Marie Watt, Nadia Myre, and Bonnie Devine », Untitled, 1974-1975. part, et entre les deux artistes et le legs du for- American Indian Quarterly, vol. 34, nº 3 Photo : permission de | courtesy of the artist malisme américain, d’autre part. Et il serait (été 2010), p. 344-364. [Trad. libre] & Diaz Contemporary, Toronto 10 — Dossier Esquisse
Esse Tammi Campbell Dear Agnes series, July 29, 2016 ; Dear Agnes series, July 27, 2016 ; Dear Agnes series, July 4, 2016 ; Dear Agnes series, July 1, 2016 ; Dear Agnes series, July 5, 2016, 2016. Photos : permission de | courtesy of the artist & Galerie Division, Montréal 12 — Dossier Esquisse
Esse être moins didactiques en effet. Même si elles se verraient alors obligés de choisir entre expo- 7 — John Murchie, dans un entretien avec évoquent une foule de maux (physiques, psy- ser l’œuvre comme dessin, ce qui voudrait dire Keeley Haftner, « Thinks: John Murchie », Bad at Sports, 19 décembre 2017, . environnementaux, spirituels), elles restent signifierait le faire empailler7. Ou ils pourraient muettes, paradoxalement. Par le fait même, refuser le legs. Là encore, la question de l’indivi- 8 — Les autres membres du collectif sont elles supposent une égalité entre ceux qui par- dualité se présente comme un paradoxe : voici Dion Kaszas (Nlaka’pamux) et Amy Malbeuf (Métisse). Voir Earthline Tattoo Collective, lent et ceux qui se taisent, approche conforme une œuvre de l’artiste John Murchie ; or, Murchie « About », . aux conceptions du monde des Anishnaabeg n’est rien de plus qu’un objet parmi d’autres, exprimées dans les enseignements traditionnels attendant d’être exposé ou rejeté. 9 — Les Béothuks étaient un peuple autoch- tels que la philosophie de la roue médicinale. Les lignes tracées sur l’avant-bras de l’ar- tone établi sur l’ile de Terre-Neuve. Même si l’histoire le considère comme disparu, les Les liens entre les choses n’y sont pas expli- tiste mi’kmaq Jordan Bennett ont une visée récits oraux des Mi’kmaq racontent que ses qués de manière linéaire, mais en fonction de bien différente. Membre de l’Earthline Tattoo membres ont fui vers l’est du continent et se directions qui abolissent la distinction établie Collective8, collectif autochtone voué au soutien sont mariés avec ceux des nations voisines. en Occident entre le conscient et l’inanimé, la et à la préservation des pratiques traditionnelles 10 — Jordan Bennett, dans un entretien avec nature et la culture, l’esprit et le corps. En ce du tatouage, Bennett a obtenu le sien à l’époque Mireille Bourgeois, « Six Questions with Jordan sens, les œuvres de Myre divergent en grande où il s’échinait à créer une série de sculptures Bennett », IOTA Institute, . [Trad. libre] puie, comme l’argumente Jacques Rancière de largement considérée comme l’ultime survi- 11 — Jordan Bennett, cité par Michelle LaVallee manière convaincante, sur une distinction hié- vante de son peuple9. Pendant les derniers mois dans « Remembering the Remembered: rarchique entre savants et ignorants. de sa vie, Shanawdithit avait dessiné des cartes In Conversation with Jordan Bennett », La ligne en tant que tatouage, comparable et des images dans l’intention, croit Bennett, de BlackFlash, vol. 34, nº 2 (13 octobre 2017), à une cicatrice, évoque tout particulièrement « préserver quelques traces visuelles du savoir . la dialectique entre liberté et oppression qui se et de la mémoire10 » de sa culture. Incapable trouve au cœur de la question de l’inachevé en de se résigner à l’idée d’exposer, dans l’espace art contemporain. Autrefois pratiqué par une colonisé et eurocentrique d’une galerie d’art, frange de la population pour signifier son appar- les dessins de Shanawdithit ou les œuvres qu’il tenance à un groupe particulier, le tatouage s’est avait créées en s’inspirant de ceux-ci, Bennett largement répandu en Amérique du Nord comme a plutôt décidé de s’en faire tatouer deux sur moyen d’exprimer son individualité. Bien qu’il l’avant-bras. Rappel constant des générations continue d’incarner superficiellement un idéal passées, mais aussi des liens entre Mi’kmaq et de rébellion sociale et d’anticonformisme asso- Béothuks, ces lignes tatouées témoignent d’un cié au « milieu » des artistes ou des criminels, le genre particulier de liberté : celle du groupe tatouage a fini par devenir, à l’ère du néolibéra- plutôt que de l’individu. Elles n’appartiennent lisme, une expression de la diversité sanction- pas à Bennett, même s’il les portera sur son née par le marché. Cette ironie est soulignée de bras jusqu’à la fin de sa vie. Elles relèvent de ce manière assez éloquente dans Black and Blue qu’il appelle « l’ensemble des manières d’être de John Murchie (œuvre en cours depuis 1996). [autochtones] ». Elles continuent d’exister, Celui-ci a demandé à un tatoueur de tracer malgré des cassures répétées, face au génocide deux lignes (l’une bleue et l’autre noire) sur la culturel11. L’idéal d’inachèvement qui domine face interne de chacun de ses avant-bras, et de aujourd’hui en art contemporain reçoit ici un les faire aussi droites que possible sans se ser- désaveu des plus cinglants : comment en effet vir d’une règle. À cause de leur candide imper- porter aux nues la liberté des lignes si celles- fection – une simplicité rigide déformée par les ci ne servent qu’à détruire des communautés ? nuances du hasard –, les lignes qui en résultent Est-ce que ces « lignes fuyantes », auxquelles marquent un moment où il est possible de dépas- nous restons attachés même si nous avons en ser les attentes et de les décevoir tout à la fois. principe dépassé le postmodernisme, condui- Elles ont beau avoir été dessinées avec la plus sent à de nouvelles harmonies ou tout simple- grande précision atteignable à la main, elles ment à une suite de points isolés s’agitant dans finissent inévitablement par osciller doucement l’obscurité ? Ce sont là des questions que nous hors de leur trajectoire. Ce qui semblait à priori devons continuer de nous poser tandis que nous une tâche simple et bien définie devient par le fait cherchons des moyens de sortir de ces ténèbres. même perméable à l’incertitude complexe inhé- Pour que l’art contemporain joue un rôle utile rente à l’agentivité d’un tiers. Murchie, qui décrit dans ce projet, il importe de rester conscient de Black and Blue comme « une performance qui se ses limites, mais peut-être, par-dessus tout, des prolongera jusqu’à [son] dernier souffle », a l’in- limites de son obsession pour l’inachevé. tention de léguer son œuvre au Musée des beaux- arts du Canada après sa mort. Les commissaires Traduit de l’anglais par Margot Lacroix 13 — Feature Sketch
Esse Drawing Lines Emily Falvey From 1945 to the present day, At first glance, the sketch may seem a somewhat catapulting Western art into a stage of self-cri- anachronistic theme in an art world preoccu- tique. But the politics of the unfinished shifted artists have radicalized both pied with, among other things, social practice, irrevocably after 1968, and then again with the the practice and definition protest art, networks, speculative realism, and cementing of the neoliberal economy, and this cultural appropriation. And yet, it would not be change has been further galvanized in a global of unfinishedness. Here non extraordinary to claim that contemporary art is political climate in which precarity and an open, finito might apply as much now almost synonymous with an idea of unfin- f lexible, more dynamic, and, consequently, ishedness that, to a certain degree, may be said more volatile species of capitalism prevails. As to a work’s mode of address, to originate in the sketch, or, at the very least, a social ideal, it would seem that unfinishedness its choice of materials, and its elevation to the level of an autonomous work has become increasingly sketchy. of art. This is not to say that works of art are no While unfinishedness is generally under- its relationship to time and longer completed, but rather that the unfinished stood to be opposed to boundaries, it is impor- space as it does to its tech- now dominates contemporary art discourse as tant to remember that criticism requires the both an aesthetic category and an ideology. Such distance afforded by autonomy, just as a limit nique and appearance. In a state of affairs is evident in everything from at once excludes and relies upon the outside. this period, artists have often artists’ choice of materials and methods to the An odd, but nonetheless compelling way into a level of participation that they require from their better understanding of this dialectic — which, entreated viewers to partici- audiences. We celebrate the clever juxtaposition in contemporary art discourse, has generally pate in finishing objects that of highly polished and fragmentary or rough become lopsided and unwieldy — may be found objects; social practices that engage the public in one of the most basic components of the they began but deliberately in shared, often-spontaneous experiences with sketch: the line. This is not any kind of line, how- left incomplete; they have unfixed outcomes; and reception theories that ever, but one that turns rather tightly on the hesi- situate the creation of meaning in the contin- tation between its role as a limit and an egress. worked with materials des- gent and ever-changing socio-political contexts Although the following selection of works tined to decay and disappear; of viewers. Indeed, most definitions of con- may, in some ways, seem slightly peculiar, temporary art, when they are even hazarded, together they provide a rather compelling illus- they have fabricated objects emphasize the category’s shifting, unfinished, tration of this particular dialectical rhythm. that exceed, either literally or and indefinable qualities. In his famous October Take, for example, a series of untitled works questionnaire, Hal Foster remarked upon the that Garry Neill Kennedy made in the mid- metaphorically, their own spa- heterogeneity of contemporary art, in which 1970s by meticulously running a pencil along tial and temporal boundaries.1 art practices seem “to float free from historical the threads of a stretched canvas. This work is determination, conceptual definition, and criti- generally understood as a critique of formalist cal judgment.”2 More recently, Terry Smith has aesthetic theories espoused by American crit- described contemporary art as “multiple, inter- ics such as Clement Greenberg and Michael nally differentiating, category-shifting, shape- Fried. It is often defined as post-minimal or changing, unpredictable (that is, diverse)—like conceptual art and thereby reduced to a rather contemporaneity itself.”3 narrow argument with a certain kind of mod- Contemporary art discourse often seeks ernism. And yet, this simple, prescribed ges- salvation in this idea of unfinishedness, which ture is paradoxically the source of a remarkably it positions, much as it positions itself, as open, open work of art. In addition to engaging with inclusive, subversive, and liberatory. This is part the problematic of modernism, it subverts clas- of the legacy of the historical avant-gardes and sist hierarchies of training and knowledge and their assault on the autonomy of the work of questions the nature of labour under capitalist art, in which the unfinished, discarded, shock- temporal regimes. And this is to say nothing ing, and ephemeral defied a stultifying, bour- of the metaphysical aspect of the work, whose geois institution divorced from what Marxists repetitive nature allows, as Kennedy once sometimes call the praxis of everyday life. remarked, “the maker to do something else or Unfinishedness thus played an important part in to be something else.”4 14 — Dossier Esquisse
Esse Nadia Myre Scar project, détail | detail, 2005-2013. Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist The point is, rather, to draw out the tension between a practice that fixes you and one that lets you go — to understand how the unfinished can be limiting and, con- versely, how limits may set you free. Contemporary artists working in a similar of the line they are on — in other words, whether vein are often subject to comparable reductions. they limit or liberate. The point is, rather, to draw Tammi Campbell’s impressive work Dear Agnes out the tension between a practice that fixes you (ongoing since 2010), a series of grid drawings and one that lets you go—to understand how the produced almost daily as wordless letters to unfinished can be limiting and, conversely, how the abstract painter Agnes Martin, is usually limits may set you free. understood as an engagement with the history of American modernism, in which the names Frank Stella and Sol LeWitt eclipse Martin’s. Indeed, 1 — Kelly Baum, Andrea Bayer, and Sheena one commentator even described Campbell’s Wagstaff, “Introduction: An Unfinished project as “a love letter to modernism.”5 It would History of Art,” in Unfinished: Thoughts be foolish to deny that these lines exist—that they Left Visible (New York and New Haven, CT: The Metropolitan Museum of Art connect Kennedy to Campbell, and both of them and Yale University Press, 2016), 15. back to the legacy of North American formalism. At the same time, it seems equally nonsensical 2 — Hal Foster, “Contemporary Extracts,” to ignore Campbell’s work as a highly personal e-flux journal, no. 12 (January 2010), . endeavour undertaken—ironically enough, given her methods—in opposition to these patrimonial 3 — Terry Smith, Contemporary Art: World links. Such “models of arborescent descent,” to Currents (Upper Saddle River, NJ: Prentice borrow a phrase from Deleuze and Guattari, cre- Hall, 2011), 9. ate patriarchal lineages that choke freethinking, 4 — Garry Neill Kennedy, quoted by Eric and obscure or eliminate women and anyone Cameron in “Garry Kennedy: Painting Painting outside the dominant cis-gendered, white, male Itself,” Artforum 15 (May 1977): 50 — 51. subject position. Instead of simply plugging these works of art into a sanctioned genealogy, we 5 — John Shelling, “Dedication to the Grid: Tammi Campbell’s Love Letter to Modernism,” might try to see them as weaving a web with the Saskatoon StarPhoenix, August 29, 2016, world. This is not the same as deciding which side . 15 — Feature Sketch
Esse In Nadia Myre’s Landscape of Sorrow (2008), Murchie instructed a tattoo artist to draw two [Indigenous] ways of being.” Such lines continue, a line is cut into a piece of raw, stretched canvas lines down each of his inner forearms — one blue, despite being repeatedly broken, in the face of and then sewn shut with thread. The gesture is the other black—with the proviso that they be cultural genocide.11 In this gesture, the ideal of repeated six times, as though it were at once a made as straight as possible without using a unfinishedness ruling over contemporary art prescribed ritual and a potentially endless pro- ruler. In their wavering frankness — a rigid sim- receives one of its sternest rebukes, for how can cess. Although technically separate from her plicity deformed by undertones of chance — the we celebrate the freedom of individual lines if series of scar paintings and Scarscapes, there resultant lines mark a moment in which it is pos- they serve only to destroy communities? Do the can be little doubt that these lines are abstracted sible to both exceed and fail a program. Though “lines of flight” we still cherish, despite being from real, if unnamed, injuries. And while some drawn with the greatest precision a free hand nominally on the other side of the postmodern, wounds are the results of accidents, these do not can afford, the lines naturally tremor subtly lead to new unities or merely to a series of discon- feel random. However haphazard the gashes, off course. A simple, closed procedure is thus nected points flailing in the darkness? These are however improvised their sutures, it is difficult opened to the complex uncertainty of another’s questions that we must continue to ask ourselves, to see these marks as anything but intentional. agency. Describing the work as “an ongoing per- particularly as we search for ways out of this As such, they materialize a particular power formance, until my last breath,” Murchie plans darkness. If contemporary art is to play a mean- dynamic—one in which violence is both inflicted to bequeath these lines to the National Gallery ingful role in this project, we need to be aware and overcome. Myre, who is of mixed Algonquin of Canada upon his death. Curators will then be of its limitations, but perhaps most especially of and French Canadian heritage, refers to these forced to decide if they want to exhibit the work the limits of its obsession with the unfinished. • marks as a “language wound,”6 and indeed, as a drawing, which would entail skinning him, as political gestures go, they couldn’t be less or as a sculpture, which would require him to be didactic. Although they speak of a variety of taxidermied.7 Alternatively, they could refuse 6 — Nadia Myre, quoted by Cynthia Fowler ills — physical, psychological, intergenerational, the gift. Here, again, the question of individu- in “Materiality and Collective Experience: colonial, environmental, spiritual — they remain ality is presented as a paradox: this is a work by Sewing as Artistic Practice in Works paradoxically mute. In this way, they presume the artist John Murchie, but it also turns out that by Marie Watt, Nadia Myre, and Bonnie Devine,” American Indian Quarterly 34, equality between the speaking and the silent. Murchie is nothing more than one object among no. 3 (Summer 2010): 344 — 64. This is in keeping with traditional Anishnaabeg many, waiting to be displayed or rejected. worldviews as expressed in such sacred teach- Mi’kmaq artist Jordan Bennett has a very 7 — John Murchie, interviewed by Keeley ings as the philosophy of the Medicine Wheel, different set of lines on his forearm. A member of Haftner, “Thinks: John Murchie,” Bad at Sports, December 19, 2017, . by directions that collapse Western distinctions organization devoted to the support and preser- between consciousness and insentience, nature vation of traditional Indigenous tattoo practices, 8 — Other members of the collective include and culture, mind and body. In this sense, Bennett received his tattoo while struggling to Dion Kaszas (Nlaka’pamux) and Amy Malbeuf (Métis). See “About,” Earthline Tattoo Collective, Myre’s works are at odds with much Western create a series of sculptures inspired by the draw- . critical art, which, as Jacques Rancière has con- ings of Shanawdithit, a Beothuk woman widely vincingly argued, relies on a hierarchical dis- considered to be the last of her people.9 In the 9 — The Beothuk were a nation of Indigenous tinction between the knowing and the ignorant. final months of her life, Shanawdithit drew maps people based on the island of Newfoundland. Although history records them as extinct, Similar to a scar, the line as a tattoo is also and other images that Bennett believes were Mi’kmaq oral histories say they fled to the particularly evocative of the dialectic of free- intended to “preserve some visual knowledge Atlantic mainland and intermarried with neigh- dom and oppression at the heart of the ques- and memory” of her culture.10 Unable to rec- bouring nations. tion of the unfinished in contemporary art. oncile his conscience with the idea of exhibit- 10 — Jordan Bennett, interviewed by Mireille Once considered a marginal means of signify- ing her drawings, or the works he created from Bourgeois, “Six Questions with Jordan ing membership in a particular community, in them, in the colonized, Eurocentric space of a Bennett,” IOTA: Gallery, . have evolved into a mass expression of individu- tattooed on his forearm. Serving as constant 11 — Jordan Bennett, quoted by ality. While on the surface they may continue reminders of previous Indigenous generations, Michelle LaVallee in “Remembering the to embody an ideal of social rebellion and non- but also of the ties between the Mi’kmaq and Remembered: In Conversation with conformity associated with “the underworld” Beothuk peoples, these lines bear witness to a Jordan Bennett,” BackFlash 34, no. 2 of artists and criminals, under neoliberalism particular kind of freedom: the freedom of the (October 13, 2017), . they have also become a market-sanctioned collective rather than the individual. The lines of expression of diversity. This irony is captured these drawings do not belong to Jordan Bennett, rather eloquently in John Murchie’s Black and even though he will carry them to the end of his Blue (ongoing since 1996). To create this work, life. They belong to what he calls “the entirety of 16 — Dossier Esquisse
Esse John Murchie Black and Blue, depuis | since 1996. Photo : Gemey Kelly, permission de l’artiste | courtesy of the artist Jordan Bennett Tatouage inspiré des dessins de Shanawdithit | tattoo inspired by the drawings of Shanawdithit, tatoueur | tattoo artist: Ryan Coombs. Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist 17 — Feature Sketch
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