À travers le temps 1615 2021 - EPSM Lille-Métropole

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À travers le temps 1615 2021 - EPSM Lille-Métropole
1615 -1 2021

                 à travers le temps

Alain Fernagut
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         VANT PROPOS
De la Maison des Bons-Fieux,                   de découvrir le passé de la ville et de ses       d’Armentières qu’il me fut donné
à l’Etablissement Public de Santé Mentale,     bâtiments. Ainsi l’hôpital psychiatrique          de découvrir que Jean-François Rameau,
près de quatre siècles se sont écoulés.        d’Armentières, par son importance, méritait       le célèbre “Neveu” immortalisé par Diderot,
La modeste installation initiale, créée par    une attention particulière. Son histoire est      avait passé les dernières années de sa vie
des habitants d’Armentières, n’a cessé         riche d’événements. Depuis sa fondation,          chez les Bons-Fils.
depuis de se transformer et de s’agrandir      il a connu bien des vicissitudes. Il a été mêlé
pour devenir ce grand centre hospitalier       à de nombreux événements dramatiques,             L’histoire de l’établissement est intimement
que nous connaissons aujourd’hui.              comme la Révolution française ou les deux         liée à celle de la ville, de la région, avec qui
                                               guerres mondiales, mais il a toujours             il a partagé les événements heureux
Conçu pour fonctionner en autarcie             su maintenir sa tradition de dévouement           et malheureux. Au fil des ans, il a connu une
à la manière d’un petit village, l’hôpital     et d’hospitalité.                                 profonde mutation. Ce sont les étapes
psychiatrique se trouvait totalement                                                             de cette mutation qui figurent dans ce livre,
méconnu par une majeure partie                 De longues recherches effectuées dans             où la plupart des faits ont été replacés dans
de la population. La hauteur des murs          les archives existantes, départementales          leur contexte historique, depuis les origines
de l’enceinte rendait l’endroit un peu         et municipales, ainsi que la lecture de la        jusqu’en cette fin du deuxième millénaire.
mystérieux et le monde extérieur               plaquette écrite en 1964 à l’occasion
le considérait surtout comme étant un          du 350e anniversaire de l’établissement,                                        Alain FERNAGUT
milieu assez carcéral. Mais cette structure    ont permis de parcourir un peu le passé
si impénétrable aux yeux de tout un chacun,    de cette institution très ancienne, pour
ne m’était pas étrangère. Mes parents,         aboutir à la réalisation de ce livre.
y travaillant, en parlaient souvent,­          De plus, la consultation des journaux locaux,
à la maison, en des termes tout à fait         comme “La Voix du Nord” ou “Nord‑Matin”,
différents de ceux de l’opinion publique.      ajoutée à une petite documentation
                                               constituée depuis plusieurs années
Natif d’une petite ville limitrophe            au cours de mon activité au sein de l’EPSM,
d’Armentières, la passion pour la généalogie   ont fourni l’essentiel des faits marquants
me poussa à m’intéresser de plus près          de ces dernières décennies.
à la vie de nos ancêtres et des lieux où
ils vécurent. Il n’y avait alors plus qu’un    C’est aussi en compulsant les registres
pas à franchir pour me diriger vers l’envie    d’état-civil des Archives Municipales
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ENRI                                    PRINGUEL
                                                  Fondateur des Maisons Bons-Fils
Chacun de nous, chacun de vous, peut voir,        de Saint‑François ou Congrégation des             l’enseignement représente l’occupation
si ce n’est déjà fait, deux plaques de marbre     Bons‑Fils. Il faut dire qu’en ce début du         principale. Les archives municipales
apposées de part et d’autre de la porte           XVIIe siècle, la région connaît une période       d’Armentières nous apprennent qu’en
d’entrée du Pavillon de l’administration.         de réveil religieux, avec une réforme             1650 les Bons-Fils reçoivent 150 livres pour
Celle de droite dénomme un bâtiment,              profondément catholique.                          l’enseignement. Mais il est probable que,
celle de gauche évoque la mémoire                 L’arrivée de l’Archiduc Albert et son épouse      rapidement, leur dévouement trouve mieux
d’Henri PRINGUEL, cet artisan armentiérois        Isabelle, Comte de Flandres de 1598               à s’appliquer du côté de ces catégories
fondateur de la maison des Bons-Fils,             à 1633, favorisa ce renouveau religieux.          particulières de déshérités de la vie, que
l’ancêtre de notre Hôpital. Ces plaques           Cette atmosphère nouvelle rejaillit sur           sont les déments et les prisonniers, entre
ont été inaugurées le 12 décembre 1964,           le peuple. A cette époque, Armentières            lesquels à l’époque on fait peu de différence.
à l’occasion du 350e anniversaire de notre        abrite déjà un couvent d’hommes et deux
établissement, et en même temps,                  couvents de femmes, et assiste à l’ouverture      Peu de documents mentionnent le nom
pour la petite histoire, que le Centre Social.    de nombreuses communautés hospitalières           d’Henri PRINGUEL, seuls deux sont connus
Trente-cinq ans ont maintenant passé,             et enseignantes. C’est ainsi que cinq             à ce jour. Henri PRINGEL est d’abord cité
mais auparavant, je voudrais vous raconter        artisans fort pieux, dont le plus ancien, natif   dans un extrait de l’Histoire des Ordres
qui était le fondateur de notre hôpital,          d’Armentières, se nomme Henri PRINGUEL,           Monastiques, Religieux et Militaires, et des
ainsi que l’origine de la Maison qu’il a créée.   font plusieurs tentatives pour entrer dans la     Congrégations Séculières de l’un et de l’autre
                                                  Congrégation des Capucins. Seulement, leur        sexe, Tome 7, chapitre 44, page 327, publié
C’est en 1875 que l’Asile d’Aliénés               admission à cet ordre se révèle impossible,       à Paris en 1718 d’après un mémoire établi
d’Armentières, devenu Hôpital Psychiatrique       et le Père Ange de Nivelle, religieux             par les Bons-Fils en 1698.
en 1937, Centre Hospitalier Spécialisé            et directeur des Capucins, leur conseille
en 1972, et Etablissement Public de Santé         de s’unir ensemble et de vivre en commun.         Puis on le voit apparaître, une autre
Mentale en 1993, s’implante sur le domaine                                                          et dernière fois, dans une requête que les
qu’il occupe actuellement. De création            C’est ce que fait Henri PRINGUEL en formant,      deux derniers membres de la Congrégation
armentiéroise, l’hôpital se situait auparavant    avec ses quatre compagnons, une petite            adressent au Préfet du Nord en 1815.
à l’angle des rues de Lille et des Capucins       communauté, dans une maison lui                   Sur cette requête figurent également
(là où se trouve maintenant la Caisse             appartenant, près du couvent des Capucins.        les noms des quatre compagnons
d’Epargne). Son histoire commence en 1615,        Ils vivent sous la conduite de ce même Père       d’Henri PRINGUEL : Noël LEROY, Gilles
en même temps que naît la congrégation            Ange selon les règlements qu’il leur prescrit.    LEDUC et Jean MILHOMME, tous trois
des Frères Pénitents du Tiers‑Ordre               Au début, il semble à peu près certain que        d’Armentières, et Philippe TUTIE, d’Aire.
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                                                                                 5   1615
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Archives Municipales d’Armentières 1.842.21

                                              Mémoire des Bons-Fils établi en 1698
                                              (première page)
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6        Henri Pringuel, fondateur des Maisons Bons-Fils

                           Les quelques renseignements que nous                 de Saint-François sans être cependant
                           fournissent ces deux documents paraissent            assujetti à prononcer des vœux. Il s’installa
                           bien maigres pour établir la personnalité            dans la vie commune, mais il ajouta
                           d’Henri PRINGUEL. D’autre part, les archives         la prédication et l’enseignement
                           d’Etat-Civil faisant défaut, on ignore la date       à sa mission extérieure.
                           de sa naissance, ainsi que celle de son décès.
                                                                                Si Henri PRINGUEL n’avait pas existé,
                           Henri PRINGUEL était un artisan en                   l’Hôpital d’Armentières aurait certainement
                           cessation d’activité. Il était le plus âgé des       vu le jour malgré tout. Mais peut-être
                           cinq fondateurs. Nous dirions, de nos jours,         se serait-il construit plus tard et peut-être
                           qu’il était retraité. Il devait être célibataire,    aussi dans une autre ville.
                           peut-être bien veuf, puisqu’il désirait              C’est grâce à sa persévérance et à celle
                           se retirer du monde. De plus, il était plus          de tous ceux qui lui ont succédé que
                           fortuné que ses compagnons ; il mit une de           la Congrégation des Bons-Fils est née
                           ses maisons à la disposition de l’association        il y a 406 ans, pour continuer à vivre
                           qu’il désirait fonder. Il est dommage que            et devenir l’EPSM Lille-Métropole.
                           l’acte de fondation des « Bons-Fils » n’existe
                           plus. Il a sans doute disparu, avec beaucoup
                           d’autres pièces, dans la tourmente
                           révolutionnaire. À moins que les religieux
                           n’aient pris la précaution de le mettre
                           à l’abri.

                           Malgré les difficultés rencontrées,
                           Henri PRINGUEL montra de la ténacité pour
                           aboutir à l’objectif qu’il s’était fixé. En créant
                           la Congrégation des Bons-Fils, il voulait faire
                           profession de pauvreté absolue et vivre au
                           jour le jour. Il souhaitait vouer sa vie à Dieu
                           et se soumettre aux règles du Tiers-Ordre

    Plaque commémorative
    Décembre 1964
À travers le temps 1615 2021 - EPSM Lille-Métropole
1614
                                                                                                                                                      7   1615
                                                                                                                                                          1616

           RMENTIÈRES
                                                                                        En 1615
Afin de situer la Maison des Bons-Fils dans         On comprend donc que l’époque des                 • Les Augustines, rue d’Arras (rue de Lille),
son contexte local, il semble intéressant           Archiducs soit restée dans les mémoires           en 1628.
de faire une brève description de la ville          “comme un âge d’or”. Profitant de cette           • Les Bleuettes, place du Marché aux Toiles,
d’Armentières, telle qu’elle existait à l’époque.   accalmie, on procède à la restauration            en 1632.
En 1615, lors de la création de la Maison des       de la Flandre.
                                                                                                      • Les bonnes - filles, rue des Glatines
Bons-Fils, Armentières est une petite ville qui
                                                                                                      (rue du Président Kennedy), en 1640.
compte environ 6 000 habitants.                     Armentières ne possède qu’une église,
Possession des Habsbourg, qui règnent               Saint-Vaast, mais de nombreuses                   • Les Religieuses de Saint-François de Sales
à la fois sur l’Europe Centrale et sur              congrégations religieuses se sont                 ou Visitandines, en 1678.
l’Espagne, la cité est située dans la Flandre,      déjà établies :
une des provinces des Pays-Bas                                                                        Quant aux “Bons-Fils”, nous l’avons vu,
                                                    • Les Sœurs Grises, qui dirigent l’Hôpital
de ce temps-là. Cette province est gouvernée                                                          ils s’établissent en 1615;
                                                    installé à la Place Saint-Vaast depuis 1494.
par Isabelle d’Autriche, infante d’Espagne
                                                    • Les Capucins, qui ont pour mission
(1566 - 1633), fille du Roi Philippe II et épouse
                                                    de prêcher, se sont installés rue d’Arras
de l’Archiduc Albert d’Autriche (1559-1621).
                                                    (rue de Lille), depuis 1610.
Seigneurie vassale du Comte de Flandre,
Armentières appartient au Comte Charles             • Les Capucines, qui s’occupent
d’Egmont.                                           spécialement du soin des malades et logent,
L’agglomération n’est pas encore française.         depuis 1611, dans un couvent sis rue des
Elle ne le devient qu’en 1668, suite                Jésuites (rue Jean Jaurès), là où se trouve
à la conquête de la Flandre par le Roi              de nos jours le Centre Culturel.
de France Louis XIV. Entourée par des
fortifications élevées par les Espagnols,           Bien d’autres couvents s’établissent ensuite
la petite ville établit ses limites, à peu          jusqu’en 1678 :
de chose près, sur les rues dénommées               • Les Jésuites, rue de la Belle Croix (rue Jean
actuellement rue Nationale, rue Jules Ferry,        Jaurès), en 1623.
rue du Général Leclerc, Allée des Fossés            • Les Brigittins, rue du Crachet
et la rivière de la Lys. De 1609 à 1635,            (rue du Maréchal de Lattre de Tassigny),
la population de notre province connaît             en 1626.
une période de paix.
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                                                                                              Archives Municipales d’Armentières 2.071.51Fi10
                               rue Jean Jaurès

                                                                         Place Jules Guesde

                       Grand-Place

                                                            rue des Capucins

    rue de Dunkerque
                                                           Bons-Fils

                                            rue de Lille
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1629
                                                                                      9   1630
                                                                                          1631

Plan d’Armentières
établi vers 1630 par Védastus du Plouich pour illustrer la « Flandria Illustrata »
de Sandérus.
Antoine Sandérus (1586-1664) était aumônier du gouverneur des Pays-Bas
 et donna une description et histoire des quatre divisions anciennes de la Flandre.
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AISSANCE
               De la Maison des Bons-Fils
Après de nombreuses tentatives                  Ils ne portent pas de linge, couchent nus         ceux-ci faisant défaut, ils se sentent
infructueuses, les Bons-Fils finissent          sur des paillasses et mangent « à terre           abandonnés et se rangent sous l’autorité de
enfin par s’établir en 1615. Installée bien     la veille des fêtes de Noël, de la Pentecôte,     l’Evêque d’Arras. Tous les trois ans,
modestement dans une maison de la rue           de l’Assomption de Notre Dame et tous les         ils se tiennent en assemblée, en leur maison
de Lille appartenant à l’un d’entre eux,        Vendredis de Mars ».                              ou dans une autre de leur Congrégation,
la petite communauté s’impose de suivre         Leur emploi du temps est parfaitement             afin d’élire leur Supérieur. Pour ce faire,
la règle de Léon X, le fondateur de leur        exposé dans leur mémoire : « Tous les jours,      ils s’adressent auparavant à l’Evêque
ordre (pape de 1513 à 1521). Les archives       ils se lèvent à quatre heures et récitent en      du Diocèse chez qui ils se réunissaient,
municipales d’Armentières possèdent             commun l’office de la Vierge. Ils travaillent     afin que celui-ci nomme une personne pour
un document établi en 1698 décrivant            depuis la messe jusqu’au dîner et depuis          y présider en son nom (habituellement un
la “Règle et Constitutions de la Congrégation   midi jusqu’à deux heures qu’ils disent            Grand-Vicaire ou le Doyen de la Chrétienté
des Frères du Tiers-Ordre de St-François,       Vêpres et Complies, après lesquelles ils          appelé « Doïen Rural »).
dits Bons‑Fils”.On y explique en détail         se remettent au travail jusqu’à cinq heures
l’origine de leur maison ainsi que leur         qu’ils vont au réfectoire. Depuis six heures      Lors de ces assemblées, ils élisent un
fonctionnement. Au début, l’enseignement        ils travaillent encore jusqu’à huit qu’ils font   Supérieur, un Vicaire et trois Conseillers
constitue leur principale orientation.          la prière du soir en commun et se retirent        pour chaque maison et présentent
                                                ensuite dans leurs cellules ».                    ensuite les comptes des mises, achats et
L’un « enseignoit la jeunesse, apprenant        Bien vite, en 1626, ils quittent les vêtements    acquisitions. Comptes rendus également
à lire et à écrire aux enfants », tandis que    de couleur noire qu’ils avaient pris tout         dans une Congrégation se tenant tous
trois autres « s’occupoient pendant             d’abord, pour adopter, comme le prescrit          les ans. Chaque fois qu’une difficulté se
la semaine à faire des draps », et que          la troisième Règle de St-François, “un habit      présente, ils peuvent demander la visite
le « cinquième faisoit des galons de soie »,    régulier consistant en une robe ou tunique        d’un directeur ecclésiastique, mais chaque
afin de se procurer leurs moyens                de drap gris, liée d’une grosse corde             Supérieur, en place pour trois ans,
d’existence. Ils se conforment en tout          blanche, avec un manteau de la même               tâche le plus souvent de gouverner sa
à la Règle du Pape Léon X (Bulle du             couleur que l’habit”.                             famille en paix. Lorsqu’un nouveau membre
15 janvier 1521), mais commencent leur                                                            entre dans la communauté, il accepte
Avent (période de quatre semaines               Les Bons-Fils se placent sous la direction des    de se soumettre à ses règles et prononçe
de l’année liturgique qui précède et prépare    Supérieurs des Recollets de la Province           les vœux ainsi formulés : “Au nom de notre
la fête de Noël) à la Toussaint plutôt qu’à     de Saint-André et du directeur du Tiers‑Ordre     Seigneur Jésus-Christ, de la Vierge Marie,
la St-Martin (11 novembre).                     du Couvent d’Arras ; mais, en 1670,               de Saint-Joseph, de Saint-Michel Archange
1614
                                                                                                                      11   1615
                                                                                                                           1616

et de tous les anges, des saints apôtres,
de notre père Saint-François, de Saint-Louis
patron du Tiers-ordre, de tous les saints
et saintes du paradis, moi N de ma pure
et franche volonté, fais vœu d’obéissance,
pauvreté et chasteté à vous mon père,
et d’obéir au saint père le Pape de Rome
et à ses successeurs canoniquement élus
et au Supérieur de cette Congrégation pour
toute ma vie sans pouvoir quitter ou me retirer
de ladite congrégation sans permission
du révérendissime Evêque du lieu où
je demeurerai, ou de ses vicaires généraux”.

                                                  Située à l’angle des rues des Capucins et d’Arras (rue de Lille).
                                                  De nos jours un Office Notarial se trouve à cet endroit.
                                                  En “B”, le couvent des Capucins établi en 1610.
                                                  Archives Municipales d’Armentières 2.071.51Fi10 (extrait)
GRANDISSEMENT
                       De la Maison des Bons-Fils
    Par l’acquisition successive des propriétés    Bons-Fils qui ont conquis l’estime de tout
    voisines, les Bons-Fils ne cessent d’élargir   le monde par leur vie exemplaire, leurs
    leur domaine. En 1639, ils procèdent à leur    bons exemples et la bonne instruction
    premier agrandissement en achetant,            qu’ils donnent à la jeunesse ». Par la suite,
    à Jacqueline Lefebvre, une maison              les Bons‑Fils achètent une maison, rue des
    sise rue des Bourgeois (actuellement           Bourgeois, à François Hullin, une autre
    la rue des Capucins). Plus tard, Bauduin       faisant coin de la rue d’Arras (rue de Lille
    Lermitte, marchand et échevin de la ville      actuelle) et de la rue des Bourgeois,
    d’Armentières, administrateur de la            à Thomas Becquet, et deux autres encore
    maison des orphelins, leur cède, en 1671,      situées rue d’Arras, à Jean‑Baptiste Lansart
    deux maisons dans la rue des Capucins.         et Jacqueline Becquet.

    Les Bons-Fils entreprennent alors              D’autres achats, dons ou rentes viennent
    la construction d’un nouveau cloître qu’ils    s’ajouter au patrimoine de la Congrégation
    édifient contre le couvent des Capucins.       : Thomas Becquet constitue une rente,
    L’emplacement de ce bâtiment provoque          Pierre Odent vend quatre quarterons
    une vive protestation de ces derniers qui      d’héritage et Péronne Legroul, quatre
    portent le conflit devant la Gouvernance       cents de pré. En 1696, les religieux héritent
    de Lille. Une lettre au prieur des Capucins    de Pierre Du Metz de “douze cents un
    témoigne de l’importance du litige :           quarteron de terres et prés à Armentières
    « Les échevins ont vu avec déplaisir qu’il     et Erquinghem, avec les autres biens
    s’est élevé un différend entre eux et les      meubles et immeubles, or et argent”,
    Bons-Fils, d’autant plus que ces derniers      qu’il laissera à son trépas. Les Bons-Fils sont
    sont prêts à faire boucher les vues qu’ils     aussi propriétaires de maisons à Estaires
    ont pratiquées, à leur nouveau bâtiment,       et de terres à Warneton, à Nieppe, à la
    sur le couvent des Capucins, d’ailleurs        Chapelle d’Armentières... Un document
    sans aucune intention d’offenser ceux‑ci.      nous indique clairement l’orientation
    Les échevins témoignent le désir que cette     hospitalière prise par la Congrégation
    bonne disposition d’une des parties puisse     du Tiers-Ordre de St‑François, à la fin
    mettre un terme au procès intenté aux          du XVIIe siècle : en 1698, François Colle,
1667
                                                                                                        13   1668
                                                                                                             1669

                                                   RMENTIÈRES
                                                         Devient Française
marchand, cède une maison, à condition                Malgré les vicissitudes, la maison des
de prendre en charge “l’alliment, entretien           Bons‑Fils s’agrandit et se consolide.
et establissement de Louis Odent, débile              Mais la paix, qu’elle a connue sous
d’esprit”, dont il était le tuteur.                   la gouvernance des Archiducs Albert
Il est à noter, qu’en 1664, six “Bons-Fils” sont      et Isabelle, cesse lorsqu’ils disparaissent.
partis d’Armentières pour s’établir à Lille           Albert meurt en 1621 et Isabelle en 1633.
afin d’enseigner gratuitement aux pauvres             C’est alors que la guerre éclate entre
la draperie et autres activités manuelles.            la France et l’Espagne. Elle commence en
                                                      1635 pour se terminer en 1659 avec le traité
Cette installation survient à la suite d’une
                                                      des Pyrénées. Notre région parcourue par
série de mesures prises par le Magistrat
                                                      les armées se voit sans cesse exposée aux
de Lille qui souhaite contrôler le paupérisme
                                                      rigueurs de la guerre. L’armée française,
et l’assistance. Lors de l’épidémie de peste          commandée par Monsieur, frère du Roi
qui s’est déclarée à la fin de l’année 1667,          de France Louis XIII, entre en Flandre
après la prise de la ville par les Français,          et prend Armentières le 9 septembre 1645,
ils se dévouent sans compter auprès des               laissant notre ville ruinée.
contagieux rassemblés au Riez de Canteleu.
En 1679, les Bons-Fils de notre ville fondent         Deux ans plus tard, l’Archiduc Léopold
une troisième maison à Saint-Venant et,               d’Autriche ayant vu ses projets anéantis par
par la suite, leur est confiée la direction des       les succès rapides des Français, Armentières
hôpitaux de Dunkerque, Ypres et Bergues.              se retrouve encerclée et assiégée.
Il n’est donc pas étonnant qu’ils se voient           La garnison, forte de 2600 hommes,
confier le soin de garder les insensés                résiste, mais l’absence de secours amène
et les hommes que l’on voulait enfermer               la capitulation le 27 mai 1647. Armentières
                                                      redevient autrichienne. La ville a souffert
pour une durée plus ou moins longue.
                                                      du siège, mais les habitants se réjouissent
Quant aux Bons-Fils d’Armentières,
                                                      du départ des Français. En 1667, le Chevalier
qui déjà dès leur installation, soignaient
                                                      d’Artagnan, envoyé par le Roi de France
les pauvres à domicile, ils sont chargés de           Louis XIV, vient négocier l’entrée de la ville,
cette nouvelle mission lors de leur nouvel            lors de la Guerre de Dévolution. Les notables
agrandissement de 1696. C’est à partir                de la cité lui remettent les clefs, et, par
de ce moment que leur maison est appelée              le traité d’Aix-la-Chapelle du 2 mai 1668,
“maison-forte” par les Armentiérois.                  Armentières devient définitivement française.
SPECT
ADMINISTRATIF
                                                      De la Maison des Bons-Fils
       En 1714, les Bons-Fils construisent une         Avec l’accord du Duc, les Bons‑Fils posent,      détenus pour cause “de démence,
       nouvelle église et un nouveau cloître, grâce    au-dessus du portail d’entrée de l’église        furie ou inconduite”. Ces pensionnaires
       à l’aide financière apportée par Nicolas        de leur maison, les armes du Comte               sont adressés par ordre des autorités, que
       Pignatelli, Duc de Bisaccia.                    d’Egmont, sculptées et gravées                   ce soient le Roi de France, les Intendants de
       Cet italien, neveu du Pape Innocent III,        en pierre. L’établissement, malgré les           police, de justice ou des finances, ou encore
       a épousé Marie-Claire d’Egmont, la sœur         agrandissements successifs, reste encore         les baillis. Périodiquement, les autorités
       de Procope François d’Egmont (1669-1707),       trop étroit, enserré dans son périmètre          publiques envoient leurs représentants
       seigneur d’Armentières. Nicolas Pignatelli,     restreint. En 1761, les Bons-Fils s’entendent    afin de visiter la Maison des Bons-Fils.
       veuf depuis peu, exerce la Régence,             avec leurs voisins, les Capucins, pour l’achat   Des rapports sont ensuite établis.
       son fils Procope Marie, successeur de la        d’une portion de terrain qui leur permet la
       seigneurie, n’ayant que 11 ans.                 construction d’un nouveau bâtiment.              D’autre part, une fois l’an, le Bailli
                                                       La partie des bâtiments face à la rue d’Arras    d’Armentières et les échevins effectuent
                                                       (rue de Lille) est destinée à l’école, tandis    une visite d’inspection. Ce qui ne plait pas
                                                       que le reste, divisé en quartiers forts,         aux Bons-Fils, car, en 1747, ils demandent
                                                       sert aux détenus. La chapelle se trouve          à l’Intendant de Flandre, M. de Séchelle, que
                                                       à l’angle des rues d’Arras et des Capucins,      les visites soient limitées à son niveau.
                                                       c’est à dire exactement à l’endroit              Au début de leur installation, les Bons‑Fils
                                                       qu’occupe de nos jours un Office Notarial.       ne possèdent pour ressources que le travail
                                                                                                        qu’ils effectuent de leurs mains.
                                                       Lentement mais progressivement,                  Ils fabriquent des draps, toiles et serviettes.
                                                       la Maison des Bons-Fils fait sa place dans       Par la suite, ils perçoivent une petite
                                                       les institutions à usage du service public.      rétribution pour l’enseignement donné
                                                       En ce temps-là, les Bons-Fils ont toujours       à chaque élève, ainsi qu’une somme
        Chevronné d’or et de                           la direction de l’école, où 10 à 12 religieux    d’argent provenant de leurs pensionnaires.
        gueules de douze pièces                        enseignent à 150 élèves environ. D’autres        Ils obtiennent aussi une gratification de
Armoiries du Compte d’Egmont                           religieux ont la charge de pensionnaires         l’échevinage, si bien que, par accumulation
1713
                                                 15   1714
                                                      1715

de leurs bénéfices, ils jouissent, avant la
Révolution, d’un revenu annuel de 2400
francs, après avoir fait édifier l’Asile de
Saint-Venant pour les femmes, en 1679.
C’est ainsi que les Bons-Fils, tout d’abord
exempts des octrois (impôts) de la ville
d’Armentières, se voient retirer ce privilège,
dès que leur communauté fut assez
florissante. Cette décision fut sans doute
provoquée, suite aux nombreux différends
avec les Magistrats.
NSPECTION
                     À la Maison des Bons-Fils
Quelques procès-verbaux de visite                 D’autre part, une surveillance est aussi            à diverses époques, nous apprennent
se trouvent aux archives communales               nécessaire, car il va sans dire qu’il y a parfois   aussi la présence de religieux devenus
d’Armentières. Ces visites ont pour objet         des évasions par « bris de prison ». Et             objets de scandale, ou encore de sujets
la connaissance parfaite des personnes            pourtant, ce règlement ne doit pas toujours         remuants et gênants. Autant de détenus
enfermées dans la Maison de Force des             être scrupuleusement respecté car, en 1746,         mis à l’écart du monde, en vertu de
Bons-Fils, le motif de leur détention et par      sur l’ordre du Grand Bailly, les échevins           placements familiaux ou d’internements
quelle autorité elles y sont détenues.            se trouvent dans l’obligation de faire une          administratifs. Parmi tous ces détenus,
On y vérifie la tenue des registres des           enquête sur des faits qui leur ont été              il y eut Jean‑François RAMEAU, le célèbre
entrées et des sorties et, de visu, on contrôle   rapportés. On les a informés que l’épouse           « neveu » que DIDEROT a immortalisé
la présence de chaque pensionnaire.               du sieur Le Breton, gentilhomme de Douai,           dans son « Neveu de RAMEAU », enfermé
Bien sûr, on s’informe aussi de l’acquittement    enfermé dans la Maison des Bons-Fils                pour « mauvaise conduite à la réquisition
des frais de pension dû par les familles          en vertu d’une lettre de cachet du Roi,             de sa sœur ». Jean-François RAMEAU fait
qui en ont les moyens pécuniaires.                mange tous les jours avec lui, « ce qui est         l’objet d’un exposé à la fin de ce livre.
En ce qui concerne les pauvres, les Bons‑Fils     contraire à l’usage et aux bonnes règles ».
traitent avec les communes. Parfois,                                                                  Les visites faites chez les Bons-Fils par
des protestations s’élèvent de la part des        C’est à cette occasion que les échevins             les échevins, en vertu de leur droit de
internés ou de leurs familles (à propos           ordonnent au Frère Supérieur, Antoine               police, ne sont pas ponctuelles mais très
de leur détention). Par contre, certaines         Lefebvre, de veiller “à ce qu’aucun des             fréquentes jusqu’en 1778 (en moyenne
familles ne souhaitent que sorte celui            pensionnaires n’ait en sa possession                une à deux visites par an). Après cette date,
                                                                                                      le subdélégué de l’Intendant de Flandres,
qu’elles ont fait enfermer et insistent pour      couteau, ciseau ou autre objet, pouvant
                                                                                                      le sieur Lagache, effectue les suivantes.
le maintien de l’emprisonnement.                  faciliter une évasion”. Le rapport de
                                                                                                      Celle du 31 octobre 1781 nous apprend
Des détenus formulent également des               la visite du 1er décembre 1747, effectuée
                                                                                                      la présence de 43 détenus, dont 27 pour
plaintes sur leurs conditions de vie, tel le      par M. Huissvengues, subdélégué de                  cause de démence, 1 pour banqueroute,
Chevalier de Cernay en 1732, ou le sieur          l’Intendant de Flandre, indique que                 4 pour furie, 2 pour libertinage, 1 pour
de Gayaffa en 1739. Ce dernier conteste           la Maison de Force des Bons-Fils, ainsi             inconduite, 1 pour boisson et colère,
son changement de cellule où il a mis des         qu’on l’appelle depuis la fin du 17e                1 pour ivrognerie et 3 pour commutation
rideaux, et la confiscation de sa robe de         siècle, renferme 62 détenus de toutes               de peine. On note aussi que 3 détenus
chambre et de sa perruque. Ainsi,                 sortes : aliénés, débauchés ou libertins            y sont de leur plein gré. Par les rapports
la communauté des Bons-Fils a donc tout           incorrigibles, etc. De nombreux procès-             qui en attestent, on s’aperçoit ainsi que
intérêt à veiller à la stricte application des    verbaux de visite ont aujourd’hui disparu,          la Maison des Bons-Fils est souvent
règlements pour éviter certains problèmes.        mais quelques listes nominatives, établies          visitée par les autorités publiques.
1745
                                                                                                                                                                                                                                                     17   1746
                                                                                                                                                                                                                                                          1747

                                                                                                                                 Procès verbal
                                                                                                     Procès verbal de visite du Bailli et Mayeur
                                                                                                      d’Armentières à la Maison des Bons-Fils,
                                                                                                                               30 octobre 1783
Archives Municipales d’Armentières GG 116

                                                                                                                                               Archives Départementales du Nord - Photo Jean-Luc Thieffry C.INT DOS 19390 - reproduction interdite
                                       Lettre de Cachet du Roi
                                       Lettre de Cachet du Roi Louis XV, du 15 août 1770,
                                       ordonnant la détention du sous-lieutenant Davay Darcaignac,
                                       dans la Maison des Bons-Fils d’Armentières.
A RÉVOLUTION
L’année 1789 marque un tournant dans            la précarité des conditions de vie de         Ils sont frappés par des nouveaux décrets,
l’histoire française. La moindre petite         la population. À Armentières, comme           étouffant petit à petit la vie religieuse de
commune en ressent les effets, et notre cité    à Lille, Hazebrouck, Hondschoote, Bergues     notre cité. Après avoir saisi tous les objets
est, elle aussi, entraînée dans le tourbillon   ou Dunkerque, on pille les boulangeries.      précieux se trouvant dans l’église paroissiale
révolutionnaire. La ville revêt alors la même   Des troupes occupent notre cité de mai        (Saint-Vaast) en 1790, la municipalité
physionomie que celle représentée sur le        à septembre 1789 afin de maintenir            s’attaque, en juin 1791, aux communautés
plan de 1630, si ce n’est la disparition des    un calme qui restera cependant précaire.      des “Capucins” et des “Brigittins”.
remparts, démantelés en 1667 sur ordre          Le 22 juin 1789, la populace assiège          L’année suivante, c’est le tour des
du Roi de France Louis XIV. Les guerres         deux bateaux chargés de blé et en             “Bonnes-filles”, des “Visitandines”,
ont ruiné la région et l’hiver rigoureux        exige la vente immédiate. Le 18 juillet,      des “Capucines” des “Augustines”,
de 1684, par sa dureté et son intensité, a      les femmes de Frelinghien, frappant           des “Sœurs Grises” et enfin des “Bleuettes”.
encore accentué la misère du peuple.            sur des chaudrons, marchent sur Lille         Les religieux sont expulsés de leurs maisons
L’hiver de 1709, plus rude encore, amena        afin d’obtenir, par force, de l’argent des    et le mobilier vendu. Toutes les églises
la disette. Des émeutes provoquées par la       chanoines de l’église Saint-Pierre. Devant    et chapelles sont fermées, et plus tard
faim, où des femmes armées de fourches          ces manifestations de colère, l’Intendant     commence la vente des couvents
et de bâtons s’attaquent à des « baloteurs      de Flandre, Charles Hyacinthe Esmangart,      qui seront livrés à la démolition.
de grain », sont difficilement enrayées         estime plus prudent de quitter la région.
en 1725. En 1757, la foule déleste de leur                                                    Les Bons-Fils, quant à eux, demeurent
chargement de blé des bateaux venant            De nombreux clochers s’érigent dans           dans leur maison de la rue d’ Arras,
d’Estaires. Ajoutez à cela les réquisitions     le ciel de notre cité, attestant d’une vie    pendant toute la période révolutionnaire.
militaires de toutes sortes, entre autres       religieuse active. Trois couvents d’hommes    Personne n’avait alors la compétence,
de 1708 et de 1744, et vous vous imaginez       et six couvents de femmes regroupent,         ni le désir de les remplacer.
les problèmes de subsistance.                   en ces temps, environ 170 religieux.          Cependant, une surveillance étroite s’exerce
C’est devant toutes ces misères et inégalités   Mais le 27 novembre 1790, la Constituante     à leur égard. Le 26 octobre 1790, le maire
qu’Armentières aborde la Révolution.            institue la Constitution Civile du Clergé,    Auguste Ghesquier, accompagné
Des événements annonciateurs de la              enjoignant tous les ecclésiastiques           de 2 officiers municipaux, procède,
Révolution éclatent dans notre région dès       de prêter serment à la République.            en vertu du décret de l’Assemblée Nationale
mai 1789 : les mauvaises récoltes entraînent    Or, la majorité des religieux refuse cette    du 26 mars 1790 concernant les religieux,
des difficultés d’approvisionnement et          convention non reconnue par le Pape.          à l’inventaire complet de tout ce que
provoquent la disette, augmentant encore        Dès lors, la Révolution ne les épargne pas.   contient la Maison des Bons-Fils.
1788
                                                                                       19   1789
                                                                                            1790

                                               Inventaire de la Maison des Bons-Fils
                                               du 26 octobre 1790

Les Frères font cependant « observer qu’ils
ne formaient pas un corps de religieux
liés par des vœux solennels, mais bien
une congrégation dévouée au service
de l’école dominicale de la ville, et des
malades qui avaient recours à leurs soins,
et des prisonniers qui leur sont confiés.
Que le peu de bien qu’ils possèdent
provenaient de leurs travaux. Que ces
raisons leur faisaient croire qu’ils ne
devaient pas être assimilés aux Maisons
Religieuses, d’autant plus qu’ils n’ont
jamais joui d’anciens privilèges annexés
à ces maisons. Que leur respect pour les
décrets de l’Assemblée Nationale les
a portés à consentir au présent inventaire »
20                                  La révolution

     Peu de temps après l’inventaire, le Directoire du         Le lendemain 10 novembre, le Conseil du Département du Nord ordonnait
     District de Lille décide, le 9 novembre 1790, une         l’enquête.
     mission d’inspection de la maison des Bons-Fils.
     Il fallait se rendre compte de ce qui s’y passait.
     Surveillance oblige !

                                                                                                                      Douai, le 10 novembre 1790,
              Messieurs,                                                Messieurs,
              Messieurs les administrateurs composant
              le Directoire du District de Lille,                        Nous vous avons prié de nous envoyer l’état des personnes détenues
                                                               en vertu d’ordres particuliers et de veiller à ce que les dispositions d’une loy aussi
              Le   Procureur     Syndic    a    l’honneur      juste qu’humaine ne deviennent pas illusoires à leur égard. Il est bien essentiel
     de vous représenter, Messieurs, qu’il existe dans         aussi de porter un œil attentif dans l’intérieur de ces maisons destinées à contenir
     les municipalités de Lille et d’Armentières, une          la débauche honteuse, la folie accompagnée de fureur et les autres vices qui
     maison de force, régie par des Frères du Tiers-Ordre      troublent l’ordre de la société.
     de Saint‑François, dits Bons-Fils.
                                                                           Nous attendons de votre zèle que vous voudrez bien visiter les maisons
                Comme il est important, Messieurs, que les     de force, d’arrêt et de correction et vous procurer ainsi des renseignements sur les
                                                               points suivants : la situation, l’étendue et les distributions de ces établissements,
     administrations prennent une connaissance exacte
                                                               leur sûreté, le nombre des personnes qu’ils peuvent contenir, les réparations
     de ces sortes d’établissements, soit pour en bannir les
                                                               à y faire, les dispositions que l’on peut ménager pour les rendre sains et commodes,
     abus qui auroient pu s’y glisser, à l’ombre de l’ancien
                                                               le montant de la dépense qui y serait nécessaire, la police intérieure de ces maisons
     régime, soit pour améliorer autant qu’il en est allé
                                                               nous intéressera particulièrement, la manière dont les renfermés sont nourris,
     le sort des malheureux qui s’y trouvent détenus,
                                                               traités et soignés, les améliorations que l’humanité réclame en cette partie,
     le remontrant a recours à votre autorité, Messieurs,
                                                               les secours spirituels qui leur sont administrés, les occupations auxquelles on peut
     pour qu’il vous plaise de nommer commissaire,
                                                               les appliquer, enfin le nombre et le traitement des employés, les frais d’entretien
     qui aux jour et heure qu’il indiquera se transportera     et les autres objets intéressants qui n’échapperont pas à votre vigilance.
     avec ledit remontrant dans les maisons de force                       Nous sommes persuadés que vous vous empresserez de recueillir ces
     dites des Bons-Fils de Lille et d’Armentières pour        divers détails, tant pour mettre le corps législatif en état d’y porter une réforme
     y prendre tous les renseignements relatifs au régime      salutaire, que pour y faire nous-mêmes de concert avec vous, les dispositions
     intérieur de ces maisons, visiter et questionner les      de bienfaisance qui sont en notre pouvoir.
     prisonniers, dresser un procès-verbal de la visite
     et le tout rapporté au Directoire en être par lui rendu             Nous avons l’honneur d’être parfaitement, Messieurs, vos très humbles
     compte au département ainsi qu’il appartiendra.           et très obéissants serviteurs,

                                                                                                                            Les administrateurs
                          Fait à Lille, le 9 novembre 1790.                                       composant le conseil du département du Nord.
1789
                                                          21   1790
                                                               1791

Aussitôt ordonnée, il est procédé à l’enquête.
Les administrateurs du Conseil du Département
pouvant compter sur le zèle du Directoire du
District de Lille. Voici le rapport qui s’ensuivit :

L’an Mil Sept Cent Quatre-Vingt Dix, le jeudi 11 du
présent mois de novembre, nous Edouard Marie
Vanhœnacker, vice-président du Directoire du District
de Lille, et François Malus, Procureur Sindic dudit
District, en vertu de la délibération du Directoire en
date du 9 du présent mois, nous sommes rendus à la
maison des Frères du Tiers-Ordre de Saint-François,
dits Bons-Fils, en la ville d’Armentières, à l’effet de
prendre tous les renseignements relatifs au régime
intérieur de cette maison, visiter et questionner
tous les prisonniers, dresser un procès-verbal de
cette visite et le tout rapporté au Directoire, en être
par lui rendu compte au Département, ainsi qu’il
appartiendra.

A quoi nous avons procédé en la manière qui suit :
Premièrement, nous nous sommes fait représenter
par le frère Augustin Caron, Supérieur de la maison,
le registre servant à inscrire les noms des détenus
dans ladite maison, les causes de leur détention,
ainsi que le jour de leur entrée et de leur sortie,
lequel registre nous avons reconnu en bonne forme,
contenant 250 feuillets, cotté et paraphé le 18 du
mois de mars 1748 par Premier et Dernier, par le
subdélégué du ci‑devant Intendant de Flandres et
rempli depuis le 1er juillet jusque vers le milieu du
104° et après avoir fait le relevé des prisonniers
qui sont encore actuellement détenus nous avons
reconnu qu’il n’en restoit plus que le nombre de 54.
22                                 La révolution

     Suit une liste de 54 prisonniers, précisant les   Quant aux Bons-Fils, qui en 1790,              Personne n’a à cette époque, très envie
     motifs de leur détention, et parmi lesquels       sont au nombre de 18, ils ne furent jamais     de les remplacer. Ils font cependant
     on dénombre 40 insensés, 5 furieux,               trop inquiétés en cette période trouble        l’objet d’une étroite surveillance, mais cela
     4 assassins, 3 libertins, 1 débauché              de la Révolution. Divers documents nous        n’empêche pourtant pas de nombreux
     et 1 voleur. La suite du procès-verbal            informent de leur identité.                    religieux recherchés par les Jacobins
     rapporte minutieusement le reste                  Il s’agissait de :                             de trouver refuge dans leur maison.
     de la visite. Après avoir interrogé chaque                                                       Celle-ci ne se révèlera pas longtemps un
     prisonnier afin de s’assurer du bien-fondé        Frère Augustin Caron, Supérieur                abri très sûr. Le 20 mai 1793, jour de
     de leur détention, les représentants du           Frère Ange De Kerle, 66 ans, ancien de la      la Pentecôte, 3 prêtres restés en ville sont
     Directoire du District de Lille s’informèrent     maison                                         arrétés. Ayant refusé de prêter serment
     de la qualité de la nourriture qui leur           Frère Archange Richard, 64 ans, portier        à la République, ils continuaient, malgré les
     était distribuée. Ils se renseignèrent            Frère Vincent Thevelin, 55 ans, cuisinier      interdictions, à célébrer la messe tous les
     ensuite sur les revenus de la maison, tant        Frère Constant Sénéchal, 47 ans, cuisinier     jours dans la paroisse. Sont ainsi enfermés
     en biens qu’en pensions, ainsi que sur            en second                                      chez les Bons-Fils, avant d’être transférés
     l’état des bâtiments, leur étendue et leur        Frère Louis Auguste Bottin, 45 ans, servant    dans la prison de Douai : le Père Degroux,
     propreté. Finalement, ils estimèrent que          au quartier                                    ex-jésuite, le Père Gruson, prieur des
     l’établissement pouvait contenir jusqu’à          Frère Alexandre Stamps, 48 ans, Chef du        Chartreux, et le Père Linglart, ex-prieur
     200 prisonniers.                                  quartier fort                                  des Brigittins d’Armentières. Ils ne seront
                                                       Frère Ignace Vantourout, 45 ans, brasseur      libérés qu’en juillet 1795. Le 4 juin 1793 ,
     Cette enquête nous démontre que les               Frère André Rembry, 39 ans, infirmier          les 3 supérieurs des Bons-Fils sont arrêtés,
     pouvoirs publics, à cette époque de               Frère Pierre Cuignet, 33 ans, infirmier de     de même que le sieur Potel, apothicaire de
     la Révolution, portent un œil très attentif       l’hôpital                                      profession, et son épouse. Ils sont conduits
     sur la Maison des Bons-Fils, avec déjà l’idée,    Frère Gorge Saxe, 34 ans, infirmier            immédiatement dans les prisons de Lille.
     peut‑être, d’en faire une maison d’arrêt.         Frère Fidèle Vion, 33 ans, maître de l’école
     Mais au fait, n’était-ce pas ce qu’elle était     Frère Vindicien Vauquier, 32 ans, économe
     depuis bien longtemps, puisque destinée           Frère Antoine Delespierre
     non seulement à l’enfermement des                 Frère Jean-Baptiste Desreumaux
     “insensés”, mais aussi à celui des débauchés      Frère Henry Bramba
     et des libertins incorrigibles qui faisaient      Frère Jean-Baptiste Lambin
     la honte de leurs familles.                       Frère Buriez
23

Maison des Bons-Fils d’Armentières à la révolution

1   Chapelle               5   Quartier des Agités            9 Boulangerie
2   Administration         6   Médecin-Chef                  10 Buanderie
3   Entrée Principale      7   Infirmiers - Ateliers         11 Jardins potagers
4   Dortoirs               8   Tranquilles et Epileptiques
24   La révolution

                     Détail du plan cadastral d’Armentières (1819)

                                                              Archives Municipales d’Armentières 1.713.111.1Fi4
1792
                                                                                                                                                   25   1793
                                                                                                                                                        1794

Un peu plus tard, le 16 juin, 11 bourgeois         ainsi que la maison de Bergues qui fut          à l’exception du Père Albert Boquet, atteint
d’Armentières sont à leur tour arrêtés,            vendue au profit de la Nation. La Maison        d’une grave maladie. Un an plus tard,
comme étant suspects d’incivisme                   des Bons‑Fils devient alors prison préventive   le 7 novembre 1798, ce dernier y décède.
et d’aristocratie, et amenés chez les              où l’on enferme les suspects, parmi lesquels    Il est également défendu aux Bons-Fils,
Bons‑Fils. Ces personnes sont bien                 se trouvent de nombreux prêtres.                qui ont toujours refusé de prêter le serment,
connues, paraît‑il, pour leur attachement          On y enferme également beaucoup de              d’enseigner à lire et à écrire, afin de se
à la religion catholique. Ils ne seront relâchés   vagabonds, ce qui provoque une plainte des      conformer aux décrets du gouvernement.
que le 6 juillet, à l’exception d’Etienne          religieux auprès des autorités supérieures,     La municipalité d’Armentières fait alors
Dufraisnoy, chirurgien, qui fut abattu d’un        le 22 germinal an 4 (11 avril 1796),            venir l’abbé Druon de La Chapelle
coup de fusil pour tentative d’évasion.            ces détenus ne pouvant pas payer leurs          d’Armentières, afin de desservir la paroisse.
Ils devront cependant tenir les arrêts             subsistances. En avril 1797, un changement      Arrivé en mars 1798, il n’y restera qu’un
chacun dans sa demeure. Le 15 septembre,           dans le gouvernement fait cesser toutes         an, et en mars 1799, se retrouve détenu,
les 10 bourgeois sont à nouveau arrêtés,           les persécutions contre les religieux.          lui aussi, parce qu’il continuait à chanter
ainsi que 15 autres personnes. Cette fois‑ci,      Ceux‑ci peuvent revenir à Armentières           la messe le dimanche au lieu de le faire
on ne les met pas chez les Bons‑Fils,              et certains, n’ayant pas de charges             le décadi, nouveau jour férié du calendrier
car il est prévu de les conduire dans              paroissiales, sont autorisés à célébrer         révolutionnaire. L’administration considère
la capitale. Tandis que 13 prisonniers             la messe dans l’église des Bons-Fils.           la “maison nationale d’arrêt” comme
sont dans les geôles de Doullens, les                                                              le repaire des royalistes, des prêtres
12 autres sont conduits à Paris, pour être         Cependant, le 4 septembre, les Jacobins         réfractaires et des contre-révolutionnaires.
jugés par le Tribunal Révolutionnaire              reviennent au pouvoir, les anciens décrets      Le 14 fructidor an VII (1er septembre 1799),
présidé par le trop célèbre Accusateur             sur la déportation et le bannissement           lors d’une inspection où ils ne trouvent
public, Antoine Quentin Fouquier-Tinville          des prêtres sont alors remis en vigueur.        personne d’autre que les pensionnaires
(1746‑1795). Le 18 octobre 1793, quatre            Les 4 prêtres qui desservent la paroisse,       ordinaires, les officiers municipaux
d’entre eux montent à l’échafaud.                  les Pères Degroux, Linglart, Gruson et          s’estiment provoqués par des propos tenus
Par la loi du 22 messidor an II (10 juillet        Boquet, sont d’abord mis aux arrêts chez        par quelques “reclus”, et dont le sens des
1794) relative aux hôpitaux, la Maison des         eux. Puis, devant leur nouveau refus de         paroles leur paraît peu aliéné.
Bons-Fils devient propriété nationale.             prêter le serment à la République, ils sont     Ils s’empressent alors de narrer cet
Elle perd les rentes de 2400 Livres établies       enfermés, le 23 octobre, dans la Maison         événement, afin de faire comprendre à leur
sur l’Abbaye de Saint‑Bertin dont les biens        des Bons‑Fils, avant d’être à nouveau           supérieurs « l’esprit qui régnait dans cette
avaient été réunis en domaine public,              transférés à Douai, le 11 novembre,             maison dite nationale ».
26                                 La révolution

     Le projet de transformer la Maison des            brumaire an X (12 novembre 1801),
     Bons-Fils en Maison d’Arrêt se manifeste          le Préfet du Nord adopte l’arrêté suivant :
     encore le 19 frimaire an VIII (10 décembre        “Les Maisons d’Armentières et de Lille,
     1799), puis le 19 nivose an VIII (9 janvier       destinées aux hommes et aux femmes
     1800), mais reste sans suite. Il est même         qui sont en état de démence furieuse,
     question, à un moment, de remplacer les           seront administrées comme les autres
     Bons-Fils par des civils, et la municipalité      hospices par des commissions établies
     s’en inquiéta. Les Administrateurs,               en vertu des lois du 16 vendémiaire an
     qui souhaitent l’aboutissement de ce projet,      V et du 16 messidor an VII” (07/10/1796
     affirment alors : “Avec du pain, de l’eau et      et 05/07/1799). “Les biens affectés à ces
     des verrous, tout le monde peut conduire          maisons de force seront régis comme
     des fous”. D’un autre côté, la municipalité       ceux des autres hospices”. Un an plus tard,
     d’Armentières réclame également                   le 28 brumaire an XI (9 novembre 1802),
     la réouverture de l’école des Bons-Fils.          la Commission Administrative des
     Dans un rapport adressé au Préfet du Nord,        hospices civils d’Armentières prend en
     elle argumente “qu’on ne pouvait avoir            charge l’établissement, et peu après,
     d’autre, ni de meilleure instruction que          commence à établir un inventaire du
     ladite école”. Non seulement, aucune suite        mobilier. Cette décision n’est pas du goût
     n’est donnée à cette dernière demande,            des Bons‑Fils qui protestent auprès du
                                                                                                       Plan cadastral d’Armentières (1819)
     mais le Préfet propose même d’y installer         Préfet. Celui-ci accède à leur requête,
                                                                                                       On peut situer la Maison des Bons-Fils à l’angle des rues
     la gendarmerie. Il faut, une fois de plus,        en leur permettant de conserver la gestion
                                                                                                       de Lille et du Marché-aux-Bêtes (rue des Capucins),
     d’énergiques protestations de la part du          de leur Maison pour une durée de 9 ans.
                                                                                                       là où se trouve aujourd’hui un Office Notarial.
     conseil municipal pour que ce dernier             Cette convention sera prolongée d’un
     projet soit abandonné. Le 2 mai 1802 voit         an, ce qui nous amène en 1813. A cette
     la cessation des persécutions envers les          date, la Communauté ne compte plus que
     religieux. Au son de la cloche du beffroi,        2 membres, ce qui est bien peu pour assurer

                                                                                                         Archives Municipales d’Armentières 1.713.111.1Fi4
     le maire Joseph Bayart proclame                   le service. Les Frères Antoine Delespierre
     le Concordat souscrit entre le Pape Pie VII       et Eloi Stamps espèrent toujours faire
     et le Premier Consul Bonaparte pour le            renaître la Communauté, mais le décès du
     rétablissement de la religion catholique et la    premier, le 29 avril 1815, met un terme
     liberté de l’exercice du culte. Mais les tracas   à la présence des Bons-Fils dans notre ville.
     continuent pour les Bons-Fils, car le 21          La Communauté a duré deux siècles.
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