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Eine Welt Un solo mondo No 2 / JUIN 2009 Un seul monde LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Afrique de l’Ouest : un énorme potentiel et de nombreux défis à relever Bangladesh : le boom de l’industrie textile, une aubaine pour les couturières Concentration de la coopération : un objectif qui n’est pas sans risques
DOSSIER Développement en réseau à Cuba Un petit projet peut déployer de grands effets, comme le montrent les Maisons du développement à Cuba 24 FORUM AFRIQUE DE L’OUEST L’immense potentiel d’une région en pleine mutation Sous l’effet de l’urbanisation et de la hausse démographique, le monde rural a profondément changé en Afrique de l’Ouest 6 Reconnecter l’éducation avec la réalité La coopération suisse soutient des approches novatrices La concentration n’est pas un gage d’efficacité qui contribuent à améliorer la qualité de l’éducation Dans la coopération au développement, la concentration 12 des activités comporte aussi des risques « Les Américains ne sont pas plus compétitifs que nous » 26 Sommaire Entretien avec Ndiogou Fall, président du Réseau des Un développement industriel incohérent organisations paysannes et des producteurs agricoles de L’écrivain sud-africain Zakes Mda dénonce la stratégie l’Afrique de l’Ouest de développement menée dans son pays 14 29 HORIZONS CULTURE Des couturières fières de leur indépendance « Tout développement est un changement culturel » Au Bangladesh, des milliers de femmes se font embaucher Entretien avec Siri Tellier, directrice du bureau genevois dans les usines textiles de la capitale. D’autres ont la chance du Fonds des Nations Unies pour la population de travailler dans leurs villages. 30 16 Un rêve sur trois roues La journaliste Hana Shams Ahmed décrit la vie quotidienne de Shagor, son conducteur de rickshaw 20 Éditorial Périscope 3 4 DDC interne 25 Au fait, qu’est-ce que la corruption ? 25 Service 33 DDC Impressum 35 La crise ne frappe pas que le Nord Le directeur de la DDC, Martin Dahinden, évoque les effets de la crise financière sur les pays en développement 21 Le courage de devenir policière en Afghanistan Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la Un programme de promotion de l’égalité au sein de la police coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est afghane devrait réduire la violence domestique cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions 22 y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales. 2 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Éditorial Développer, c’est transformer Les changements font peur : la multiplication des catas- L’histoire de Rekha (page 16), une couturière de 38 ans, trophes naturelles, qui menace de détruire des écosys- est un autre exemple de l’importance de la culture dans tèmes entiers ; l’exode rural, qui draine des millions de le développement : lorsque l’industrie textile a connu un personnes vers des villes déjà pleines à craquer ; la véritable boom au Bangladesh dans les années 90 et que hausse du chômage, qui ne cesse de creuser l’écart entre les fabriques ont commencé à pousser comme des riches et pauvres. champignons, des centaines de milliers de femmes ont pu accéder au marché de l’emploi. Cela leur a valu par la De telles transformations nous posent d’immenses défis. même occasion une reconnaissance sociale. Aujourd’hui, Notre manière de les affronter et les solutions que nous Rekha est fière de pouvoir contribuer aux revenus de sa proposons revêtent une importance capitale pour la co- famille et d’avoir acquis par son travail une certaine indé- opération au développement. Les attitudes adoptées à pendance. Une réussite qu’il convient de replacer dans l’égard des situations nouvelles et de leurs enjeux varient l’univers culturel de ces femmes. énormément d’une culture à l’autre. Le dernier rapport sur l’état de la population mondiale, Vous en trouverez plusieurs exemples dans ce numéro publié par le Fonds des Nations Unies pour la population d’Un seul monde. Ainsi, le règlement pacifique des conflits (Fnuap), préconise des approches sensibles à la culture a une longue tradition en Afrique de l’Ouest, où survit dans la coopération au développement. Siri Tellier, direc- le « cousinage à plaisanterie ». Selon cette pratique, les trice du bureau genevois du Fnuap, souligne que le dé- « cousins » – qui sont bien souvent aussi des voisins – veloppement ne se limite pas à construire des ponts et peuvent se lancer des boutades et se dire des vérités par- des centrales électriques, mais qu’il suppose également fois amères. « Bien plus qu’un divertissement, cet usage un changement des mentalités et des comportements. de l’humour codifié, qui permet de prévenir ou de ré- Elle sait par expérience que ce n’est pas simple. Dans soudre maints conflits, sert à maintenir la paix entre les une interview (page 30), elle affirme cependant sans am- familles et les populations, selon des règles et des rituels biguïté : « Quelqu’un qui ne veut rien changer ne veut pas précis », explique l’écrivain Saliou Sambou, ancien gou- non plus de développement. » verneur de Dakar. Vous en saurez plus en lisant le dossier consacré à l’Afrique de l’Ouest (à partir de la page 6). La rédaction Cette région du monde connaît d’énormes problèmes, qui vont des sécheresses catastrophiques à l’instabilité (De l’allemand) politique et sociale, en passant par un exode rural plus massif que partout ailleurs dans le monde. Malgré tout, elle garde une étonnante capacité de se transformer et de progresser. Un seul monde No 2 / Juin 2009 3
Périscope base de plantes, qui constituent un traitement peu coûteux du paludisme. En Chine, des jardins locaux ont été aménagés pour cultiver et protéger des plantes médicinales menacées. On a également créé des réserves natu- relles, qui sont contrôlées par les communautés villageoises. www.plantlife.org.uk Martin Roemers/laif Les tontines contre la pauvreté (jls) Dans les grandes villes du Quand l’Afrique nourrira La nature, un géant de la Niger, les difficultés économi- le monde pharmaceutique ques ont incité les femmes à faire (gn) Il y a longtemps que le riz (gn) La nature est la plus vaste revivre les foyandi, des cercles de n’est plus exclusivement l’ali- et la plus importante pharmacie solidarité nés dans les années 60. ment de base du continent asia- du monde: on connaît quelque Ces clubs féminins se comptent tique: l’Afrique, qui est en passe 50000 plantes médicinales, des aujourd’hui par centaines. Pour de devenir le premier acheteur espèces sauvages pour la plupart. en faire partie, il faut s’acquitter de riz du monde, en importe Or, selon une étude de Plantlife d’une cotisation mensuelle qui actuellement quelque 10 mil- International, environ 15000 peut aller de 5000 à 60000 lions de tonnes par an. Elle aurait d’entre elles sont menacées de francs CFA (de 12 à 140 francs pourtant la capacité non seule- disparition. Cependant, il n’est suisses). Chaque mois, le mon- ment de couvrir ses besoins, pas inéluctable d’en arriver là: tant ainsi réuni est remis à l’une mais aussi d’en exporter de du fait même qu’elles sont si des membres. À tour de rôle, les grandes quantités, affirme Marco précieuses, ces plantes menacées femmes empochent donc l’équi- Wopereis, directeur adjoint du peuvent être à la fois exploitées valent de 700, 1000 ou 1200 Centre du riz pour l’Afrique et protégées avec l’aide des po- francs suisses, selon la grandeur (Adrao).Alors qu’en Asie la pulations locales.Alan Hamilton, du club. Pour Hadjia Fati, mem- production rizicole plafonne, auteur de l’étude, résume ainsi bre de l’Association des femmes l’Afrique possède, selon la FAO, les conclusions tirées de dix pro- du Niger, les foyandi sont aujour- plus de 200 millions d’hectares jets concrets: «Une meilleure d’hui une stratégie de lutte con- de plaines et de zones humides santé, un revenu assuré et le tre la pauvreté. Certaines femmes qui se prêteraient à cette culture. maintien des traditions culturel- utilisent l’argent encaissé pour L’Adrao a sélectionné de nouvel- les sont des arguments décisifs l’ameublement de leur maison. les variétés adaptées aux condi- lorsqu’il s’agit d’inciter les gens D’autres en profitent pour inves- tions africaines, qui devraient à protéger des plantes médicina- tir dans l’élevage ou le petit permettre d’augmenter les rende- les.» C’est ainsi qu’en Ouganda, commerce. Ce capital de départ ments dans d’énormes propor- des paysans ont appris à fabriquer leur permet par exemple d’ou- tions, comme le montrent les des médicaments d’urgence, à vrir une boutique, de devenir premiers succès remportés au Mali. De plus, le riz africain est maintenant devenu compétitif. L’Afrique subsaharienne importe encore 40% de sa consomma- tion. Lors d’une conférence sur la sécurité alimentaire à l’EPFZ en décembre 2008, Marco Wopereis a cependant présenté une vision d’avenir qui dépasse largement l’autarcie. Selon lui, Guenay Ulutuncok/ laif l’Afrique sera un jour le grenier à riz de la planète. www.adrao.org 4 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Dessin de Martial Leiter Coopération vendeuses de pagnes ou de territoire. La Cafo organise des tombé à 1600. Mais le virus par des conflits armés (Afgha- chaussures, de créer une unité marches en faveur de la paix, des résiste dans certaines régions nistan et Pakistan). La commu- de production de jus de fruits, de conférences ou encore des mani- du monde, principalement en nauté internationale – surtout le se lancer dans la restauration, etc. festations devant les casernes. Afghanistan, en Inde, au Nigeria Rotary International, la fonda- En dehors de ces événements et au Pakistan. À partir de ces tion Gates, la Grande-Bretagne Des Maliennes veulent en ponctuels, les pacifistes travaillent foyers, il se propage dans d’autres et l’Allemagne – a annoncé au finir avec la guerre aussi à long terme. Elles propo- pays en développement, a indi- début de l’année que plus de 630 (jls) Dans le nord du Mali, des sent notamment des programmes qué l’OMS. Les principaux millions de dollars allaient être affrontements opposent de façon d’alphabétisation, qui portent sur obstacles à la lutte contre la po- consacrés à l’éradication défini- intermittente l’armée gouverne- la guerre et ses conséquences liomyélite dans les quatre pays tive de la paralysie infantile. mentale aux rebelles touaregs qui pour les familles. Ces cours sont en question sont l’inefficacité des www.rotary.org/endpolio revendiquent l’autonomie poli- dispensés en langues nationales à vaccins (Inde), un faible taux de tique de cette région. Des fem- des femmes de tous âges. vaccination (Nigeria), ainsi que mes, membres d’associations ou des difficultés d’accès provoquées simples citoyennes, se mobilisent Les poches de résistance pour que les hommes cessent de de la polio s’entredéchirer. Elles font pres- (bf) On est finalement sur le sion aussi bien sur l’armée que point de vaincre la poliomyélite, sur la rébellion. «Nous ne som- une maladie qui peut tuer ou mes pas sur les champs de ba- provoquer des paralysies irréver- taille, ni dans les délégations de sibles. En 1988, lorsque l’Orga- négociation, mais la paix part nisation mondiale de la santé The New York Times/Redux/laif toujours de nos initiatives», af- (OMS) a lancé sa campagne firme Assory Aïcha Belco, mem- internationale d’éradication, bre de la Coordination des asso- environ 350000 enfants étaient ciations et ONG féminines du infectés chaque année. Mali (Cafo), présente sur tout le Aujourd’hui, ce nombre est Un seul monde No 2 / Juin 2009 5
D O S S I E R L’immense potentiel d’une région en pleine mutation Les populations ouest-africaines se caractérisent par leur extrême mobilité. Elles se déplacent non seulement entre les pays, que ce soit pour faire du commerce ou chercher du travail, mais aussi des campagnes vers les villes. Sous l’effet de l’urbanisation et de la hausse démographique, le monde rural a profondément changé. De Christine Holzbauer*. 6 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Les Africains de l’Ouest sont des commerçants et des Afrique de l’Ouest voyageurs dans l’âme, à l’instar de cet homme qui vend des ballons de football dans les rues de Cotonou, la métro- pole économique du Bénin Selon l’écrivain Saliou Sambou, ancien gouver- neur de Dakar, c’est dans la pratique traditionnel- le du « cousinage à plaisanterie » que l’on retrou- ve la meilleure survivance de la tradition africai- ne de règlement pacifique des conflits. Le cousi- nage patronymique ou symbolique entre per- sonnes d’ethnies ou de classes sociales différentes est largement répandu dans des pays comme le Mali. Il autorise l’usage de l’humour entre « cou- sins»,qui sont bien souvent aussi des voisins.Ceux- ci peuvent se lancer des boutades et se dire des vé- rités parfois amères. « Bien plus qu’un divertisse- ment, cet usage de l’humour codifié, qui permet de prévenir ou de résoudre maints conflits, sert à maintenir la paix entre les familles et les popula- tions, selon des règles et des rituels précis », ex- plique Saliou Sambou. Échanges et migrations malgré les entraves Voyageurs et commerçants dans l’âme, les ressor- tissants ouest-africains sont toujours prêts à s’ex- patrier là où il y a des possibilités de gagner de l’ar- gent. Malgré les difficultés persistantes dues aux barrages douaniers ou policiers sur les routes, le commerce transfrontalier n’a jamais cessé d’exis- ter. Il est la condition de survie pour de nombreux États sahéliens sans accès à la mer. Le Mauritanien Ahmedou Ould-Abdallah, qui a dirigé de 2002 à 2007 le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (Unowa), à Da- kar, était conscient de la nécessité d’encourager les flux migratoires et les échanges, vitaux pour l’ensemble de la région. Durant son mandat, il n’a Jean-Claude Moschetti/REA/laif cessé de prôner la levée des barrages routiers et de toutes les entraves à la libre circulation des hommes et des marchandises. Pour lui, les défis transfron- taliers, y compris ceux posés par les mercenaires, les enfants-soldats ou la prolifération des armes légères, ne peuvent être réglés que par « une ap- proche régionale intégrée, et non plus État par L’Afrique de l’Ouest,qui occupe un cinquième du État ». L’ancien représentant spécial du secrétaire continent, présente une grande variété géogra- général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest re- phique entre les États côtiers et ceux de la bande commandait une stratégie plus globale de préven- sahélienne. Ces 16 ou 17 pays – selon que l’on tion des conflits, de gestion des crises et de stabi- inclut le Tchad en plus de la Mauritanie et des lisation post-conflit dans la région. quinze pays membres de la Communauté écono- mique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) Guerres en rafale – constituent un ensemble bigarré et disparate, Les changements climatiques et l’avancée du dé- mais en apparence seulement. Même si au premier sert exacerbent les conflits entre éleveurs et agri- abord, il n’y a rien de commun entre un Touareg culteurs, devenus récurrents à cause des problèmes enturbanné du Niger, un Mandingue de Guinée, fonciers qui ne sont toujours pas réglés. Des af- un Peul du Sénégal ou un Mandjak du Cap-Vert, frontements sanglants ont ravagé les pays côtiers. les liens ethniques et socioculturels qui unissent les Commencée en décembre 1989 au Liberia,la guer- différents peuples de la région sont anciens et pro- re s’est déplacée en Sierra Leone, puis elle a tou- fonds. ché de nouveau le Liberia avant de se propager Un seul monde No 2 / Juin 2009 7
Le Figaro Magazine/laif Jorgen Schytte/Still Pictures Bénin : favoriser l’accès Michael Riehle/laif à l’eau potable Seuls 41% des Béninois qui vivent en milieu rural ont actuellement accès à Pour beaucoup d’experts, le développement de l’Afrique de l’Ouest – qu’il s’agisse du Bénin (en haut et à gauche), du l’eau potable. Le gouver- Burkina Faso (à droite) ou d’autres pays – passe par une approche régionale intégrée nement espère porter ce taux à 67% d’ici 2015. Pour y parvenir, le Centre en Guinée durant les années 2000-2001. En sep- lité. La guerre en Sierra Leone s’est officiellement régional pour l’eau potable et l’assainissement à faible tembre 2002, la Côte d’Ivoire a basculé à son tour terminée en janvier 2002. Le conflit du Liberia a coût (Crepa) propose une dans la violence. Malgré la promesse renouvelée pris fin avec la fuite en exil de Charles Taylor et solution simple qui ne de- de la tenue d’élections depuis 2005, le géant éco- celui de la Côte d’Ivoire avec les premiers accords mande guère plus qu’un nomique de l’Afrique de l’Ouest reste aujourd’hui de paix de Ouagadougou, en mars 2007, qui ont peu de soleil et une bou- teille en plastique. Créée cantonné dans une situation de «ni paix ni guerre». permis à l’ancien chef des forces rebelles Guillau- par l’Institut fédéral suisse Ce contexte a un impact non négligeable sur l’ac- me Soro de devenir premier ministre. Fait signifi- pour les sciences et tech- tivité du port d’Abidjan et, par ricochet, sur celle catif, c’est le président du Burkina Faso Blaise nologies de l’eau (Eawag), cette méthode, baptisée des autres ports de la région (Lomé,Accra, Coto- Campaoré, longtemps soupçonné d’avoir alimen- « désinfection solaire de nou, mais aussi Dakar). té en vivres et en armes les rebelles ivoiriens, qui l’eau », utilise les rayons En Guinée, une junte militaire a pris le pouvoir s’est mué en faiseur de paix. UV-A et la chaleur du soleil en décembre 2008 après la mort du président Bien que fragile, la paix ou plutôt l’absence de pour décontaminer l’eau. Jusqu’ici, le Bénin est l’un Lansana Conté. Selon International Crisis Group conflit ouvert dans ces pays côtiers aura au moins des rares pays d’Afrique (ICG), la situation reste alarmante dans ce pays, du permis d’entamer le processus de désarmement, de l’Ouest à l’avoir testée. fait notamment de « la présence, à cheval sur les d’assurer le retour de milliers de réfugiés et Les maladies diarrhéiques, frontières étatiques, d’un grand nombre d’anciens d’amorcer la reconstruction. Mais, plus que tout, y compris le choléra, pro- voquent 17% des décès combattants du conflit libérien vivant dans la ré- elle favorise une véritable approche régionale in- de nourrissons dans ce gion forestière ». tégrée, grâce au renforcement du partenariat entre pays. En Afrique, elles les missions de paix ou les agences onusiennes et tuent chaque année en- viron 800 000 personnes, Retour à la stabilité les institutions régionales. dont 90% sont des enfants Aujourd’hui, nombre de ces pays se sont résolu- Les principales préoccupations viennent des dy- de moins de cinq ans. ment engagés sur la voie de la paix et de la stabi- namiques socioéconomiques et politiques, ainsi 8 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Afrique de l’Ouest Mauritanie Cap-Vert Nouakchott Mali Niger Tchad Praia Dakar Sénégal Banjul Niamey Gambie Bamako Bissau Ouagadougou N’Djamena Guinée-Bissau Burkina Faso Guinée Nigeria Bénin Conakry Freetown Togo Abuja Sierra Leone Ghana Côte d’Ivoire Monrovia Liberia Yamassoukro Porto-Novo Lomé Accra Burkina Faso: combattre la dégradation des sols Une mauvaise utilisation Bruno Morandi/hemis.fr/laif des ressources naturelles entraîne la dégradation Wim Klerkx/laif des terres et la rupture de l’équilibre écologique. Dans un pays comme le Dans les zones rurales d’Afrique de l’Ouest (comme ici au Niger), la population vit principalement de l’agriculture et de Burkina Faso, où l’écono- l’élevage mie est dominée par l’agri- culture et l’élevage, elle peut également engendrer que des menaces sécuritaires qui traversent les de l’ONU, ne voit qu’un seul moyen d’arrêter la de sérieux conflits. Ces deux secteurs occupent zones frontalières,vastes et souvent mal contrôlées. propagation de l’instabilité : les besoins et les aspi- en effet plus de 85% de Ainsi, le trafic de cocaïne en provenance d’Amé- rations des populations des zones frontalières sen- la population et assurent rique latine, qui transite par l’Afrique de l’Ouest sibles doivent être mieux pris en compte dans des près de 70% des recettes d’exportation. Aussi les à destination de l’Europe, a transformé des pays domaines comme la réforme du secteur de la sé- organisations Green Cross très pauvres, comme la Guinée-Bissau, en « narco- curité, la gestion frontalière concertée, l’assistan- Suisse et Green Cross États ». ce humanitaire ou la collaboration avec la société Burkina Faso ont-elles Dans ce petit pays lusophone, un règlement de civile. En partenariat avec l’Unowa, il a ainsi or- lancé le projet « Prévention des conflits liés à la ges- comptes au sommet a entraîné début mars la mort ganisé en avril 2005 une réunion transfrontalière tion des ressources natu- du président João Bernardo Vieira et de son chef à Tombouctou entre le Mali, la Mauritanie et relles dans le bassin de la d’état-major. Ces événements soulèvent nombre le Niger pour permettre à ces trois États sahélo- Volta ». La commune rurale de questions quant à l’infiltration des plus hautes sahariens de définir des solutions en commun de Nagréongo a servi de porte d’entrée à cause de sphères du pouvoir par les narco-trafiquants.Tous après des années de sécheresse prolongée. la forte pression exercée les États côtiers de la région en sont affectés, no- Un atelier similaire s’est tenu en septembre 2005 par les populations sur les tamment la Guinée voisine qui a fait de la lutte à Sikasso (Mali). Il portait sur la zone comprenant ressources naturelles (sol, eau, végétation). Créée contre l’insécurité, la corruption et le trafic de le sud du Burkina Faso, le sud du Mali et le nord en 1994, Green Cross drogue ses trois priorités. de la Côte d’Ivoire. Enfin, la capitale guinéenne Burkina Faso vulgarise Conakry a accueilli en 2006 une conférence sur une technologie appelée Stratégies intégrées pour les zones la stabilité au sein de l’Union du fleuve Mano, qui «Compost plus» qui permet de produire de la fumure frontalières réunit la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Liberia et la organique, indispensable Hervé Ludovic de Lys, directeur régional du Bu- Sierra Leone. Dernier groupe de pays frontaliers dans la récupération des reau de la coordination des affaires humanitaires à avoir été identifié pour travailler à l’élaboration terres dégradées. Un seul monde No 2 / Juin 2009 9
et à la mise en place de « stratégies intégrées de dé- veloppement », le Sénégal, la Gambie et la Guinée- Bissau ne se sont pas encore rencontrés. Selon le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, l’essen- tiel pour ces États est de privilégier l’identifica- tion et la promotion de dynamiques de change- ment. « L’Afrique de l’Ouest a vécu, au cours des dernières décennies,des transformations profondes qui font qu’elle ne devrait pas être perçue com- me une région en stagnation mais plutôt en mu- tation, capable d’adaptations et d’avancées impor- tantes. Il ne s’agit pas de dire que ‘tout va bien’, mais plutôt de reconnaître les efforts considérables consentis par les Africains de l’Ouest avec l’appui de leurs partenaires au développement », lit-on sur le site Internet de l’organisation. Mutations rurales et urbaines Les politiques de développement rural ne peuvent plus aujourd’hui se référer aux images du passé. « Au cours des 45 dernières années, le monde ru- ral ouest-africain a profondément changé. L’aug- Niger : diversifier mentation de la population et l’urbanisation ont Henning Christoph/Das Fotoarchiv/Still Pictures la production fait de l’Afrique de l’Ouest un marché de nature La localité nigérienne de Yatawa, à 600 kilomètres à régionale », souligne l’Atlas de l’intégration régio- l’est de la capitale Niamey, nale en Afrique de l’Ouest. Cette nouvelle ère est apparaît comme un havre «porteuse de promesses mais aussi de risques»,dans de verdure. Des regrou- la mesure où les plus faibles des ruraux subissent pements de gestion s’y sont développés depuis les désavantages du marché sans bénéficier des 2001 dans le cadre d’un avantages. « Le passage de l’économie agraire tra- Le marché Dantopka, à Cotonou (Bénin), n’est pas seule- programme qui permet ditionnelle à l’urbanisation et au marché s’est opé- ment le plus grand d’Afrique occidentale. Il symbolise aux paysans de bénéficier aussi la mobilité et l’esprit commerçant des habitants de de prêts renouvelables à ré par une consommation accrue d’espace agri- cette immense région. des taux préférentiels. cole et de ressources naturelles non renouvelées », Perché sur sa pompe à comme le bois de chauffe. Sous la pression dé- ment liés et leurs relations s’intensifieront davan- pied, Abdoulaye se réjouit : mographique, ces mutations seront sans doute en- tage. Toute politique ou stratégie de développe- « Tout pousse ici, carottes, oignons, choux et même core plus puissantes et rapides dans les vingt an- ment devra en tenir compte. » des salades ! » À tour de nées à venir. rôle, les adhérents de la La population urbaine d’Afrique de l’Ouest aug- Sortir l’agriculture des champs coopérative se relaient mente de 4,4 pour cent par an, ce qui constitue le de la routine pour pédaler. C’est le moyen le plus économique taux de croissance le plus élevé du monde. D’ici En attendant, la situation qui prévaut dans les pour irriguer les parcelles. 2020, plus de la moitié des habitants seront pro- campagnes n’est pas reluisante, puisqu’elle ne per- « La coopérative a doublé bablement des citadins. « Une ville qui comptait met pas aux populations de se nourrir. Pour y re- en deux ans la surface de ses terres cultivables. Elle 100 000 habitants en 2006 en comptera 160 000 médier, le Conseil ouest et centre africain pour la engrange aujourd’hui trois en 2025 du seul fait de sa croissance naturelle et, recherche et le développement agricoles (Coraf) récoltes par an et dégage sans doute, 180 000 si on inclut les apports du préconise d’impliquer une large gamme de parte- un surplus grâce à la diver- monde rural»,poursuit l’atlas.«Une partie plus im- naires dans les domaines de la recherche et du sification de sa produc- tion », indique un respon- portante qu’aujourd’hui des exploitations agri- développement. « La routine n’a pas fait avancer sable de SOS Sahel Niger. coles seront bien connectées au marché et en ti- l’agriculture. Nous devons faire appel à un nou- Cette organisation aide reront des bénéfices. Les agriculteurs des zones veau système pour que les agriculteurs, l’industrie, également des femmes marginales continueront de pâtir des aléas clima- les scientifiques, les industries de transformation spécialisées dans l’embou- che ovine et soutient le re- tiques et de ceux du marché, et peut-être encore de produits alimentaires et autres travaillent en- boisement avec de jeunes plus du fait de l’impact des changements clima- semble », assure Marcel Nwalozie, du Coraf. plants d’acacias, lesquels tiques. » Conclusion de cette analyse : « L’agricul- Il faut replacer les agriculteurs, et notamment les représenteront une source ture ne sera pas l’activité unique du monde rural, femmes rurales, au centre des préoccupations, es- de revenus grâce à l’ex- ploitation de la gomme même si elle en restera le moteur principal. Au- time pour sa part Ibrahim Assane Mayaki, direc- arabique. delà, monde rural et monde urbain sont étroite- teur exécutif du Hub rural. C’est en effet à cause 10 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Philipp Engelhorn/laif Philipp Engelhorn/laif Afrique de l’Ouest Jens Grossmann/laif Mali : l’éducation primaire pour tous De 2002 à 2007, le pour- Le désert du Sahara, en constante progression, influence largement la vie des populations en Afrique de l’Ouest, des centage d’élèves maliens chevriers du Mali aux maraîchers du Burkina Faso, en passant par les caravanes de sel inscrits à l’école primaire a augmenté de 56 à 68% pour les filles et de 78 à 88% pour les garçons. de la très faible productivité de l’agriculture vi- gétique de la région, les paysans peuvent produi- Le gouvernement pro- vrière que les pays de la région sont obligés d’im- re et utiliser sur place de l’énergie renouvelable. gresse vers la réalisation du deuxième Objectif du porter des aliments à des coûts toujours croissants. En transformant les végétaux en carburants, en ré- Millénaire pour le dévelop- « L’agriculture a du mal à nourrir les familles. Une cupérant la chaleur de la combustion des déchets pement, qui consiste à as- personne sur quatre souffre de malnutrition, rares ou le biogaz, de multiples sources d’énergie se surer l’éducation primaire pour tous d’ici 2015. sont les foyers qui ont accès à l’électricité – à pei- créent », recommande Ibrahim Assane Mayaki. Cependant, le manque ne 7 pour cent des paysans – et la tentation d’émi- Ainsi,une meilleure gestion du bois – 70 pour cent d’enseignants et de places grer est tenace»,ajoute cet ancien premier ministre de l’énergie consommée en Afrique subsaharien- dans les classes a empê- du Niger. Les gouvernements et les bailleurs de ne – permettrait de lutter contre la déforestation ché un nombre croissant d’enfants d’intégrer le fonds sont donc condamnés, selon lui, à revalori- et de préserver de précieux puits de carbone pour cursus secondaire. Sur ser les métiers de l’agriculture s’ils veulent résor- l’ensemble de la planète. ■ plus de 80 000 élèves qui ber les milliers de jeunes qui arrivent chaque an- avaient passé les examens née sur le marché et ne trouvent pas d’emploi. *Christine Holzbauer est correspondante de plusieurs d’entrée à l’école secon- daire en 2008, quelque journaux français (La Croix, L’Express et La Tribune) 17 000 n’y ont pas été Miser sur les énergies renouvelables en Afrique de l’Ouest et du centre. Basée d’abord au admis. Pour faire face à L’énergie est un autre point essentiel, qui est sou- Mali,puis au Sénégal,elle couvre depuis septembre 2001 ce problème, de nouveaux centres de formation pro- vent oublié. Or, sans accès à l’énergie à bas coût, tous les grands événements de la région. fessionnelle vont être le développement durable des régions rurales reste construits. D’autant que illusoire. « Pour des pays dépendants de l’impor- près de 35% des élèves tation de produits pétroliers, et dont l’agriculture du primaire ne rempliront pas les critères requis pour est menacée par les changements climatiques, les accéder au cycle secondai- bioénergies peuvent jouer un rôle clé. Grâce à la re en 2010, selon le minis- biomasse, qui est la plus abondante ressource éner- tère malien de l’éducation. Un seul monde No 2 / Juin 2009 11
Reconnecter l’éducation avec la réalité En Afrique de l’Ouest, des millions d’enfants sont exclus de l’école, en raison d’une offre éducative insuffisante et inadap- tée aux besoins des populations. La coopération suisse contri- bue à améliorer la qualité de l’éducation. Elle soutient des innovations, comme l’enseignement bilingue, qui réduisent la déperdition scolaire et favorisent le développement. Delta Survie (2) Grâce aux écoles mobiles, la fréquentation scolaire est montée en flèche parmi les populations nomades du Mali. Ci-dessus : l’école en paille de Laggal Hamassa, dans le cercle de Douentza. L’aide suisse en Afrique de l’Ouest (jls) Le delta intérieur du fleuve Niger, au Mali, donneront des cours, par exemple sur les espèces Le secteur de l’éducation fait vivre un million de personnes, en majorité des de poisson, la confection des tentes en cuir ou les est l’un des cinq champs d’activité sur lesquels nomades.Pour exercer leur activité de pêcheurs ou plantes médicinales. se focalise la coopération d’éleveurs, les Bozos, les Peuls et les Touaregs sont suisse en Afrique de toutefois contraints de se déplacer plusieurs fois par Inadéquation du système l’Ouest. Les autres sont an. De ce fait, la quasi-totalité de leurs enfants res- Dans ses cinq pays prioritaires (Mali,Burkina Faso, l’économie locale, avec ses articulations aux ni- tent à l’écart du système scolaire. En 2005, l’asso- Niger, Bénin et Tchad), la DDC a soutenu de veaux national et mondial, ciation locale Delta Survie a pris l’initiative de créer longue date ce type d’expériences. Innovantes par la production agropasto- des écoles qui suivent les nomades dans leurs mi- rapport à l’école classique, la plupart d’entre elles rale et la gestion des res- sources naturelles, la santé grations. Les classes se tiennent sous des tentes que font partie de l’éducation dite «non formelle», qui et la décentralisation. Par l’on démonte le moment venu pour les transpor- est souvent la seule accessible aux populations ru- ailleurs, tous les program- ter jusqu’au prochain campement. Ce projet a très rales les plus pauvres. L’aide suisse finance notam- mes intègrent deux thè- vite rencontré l’adhésion des parents. Dans les 22 ment la formation de jeunes déscolarisés âgés de 9 mes transversaux : l’égalité des sexes et la gouver- communautés qui bénéficient déjà d’une école à 15 ans, des programmes d’alphabétisation et de nance. La DDC ancre son mobile, la fréquentation scolaire est montée en formation pour les adultes ainsi que des écoles gé- action au niveau local. Ces flèche. rées par les villageois. expériences concrètes sur Avec l’appui de la DDC et d’autres bailleurs de En Afrique de l’Ouest, des millions de jeunes ne le terrain nourrissent son dialogue politique au ni- fonds, Delta Survie prévoit plusieurs améliora- sont jamais entrés à l’école ou l’ont quittée préma- veau national. La Suisse tions. L’une d’elles consiste à adapter les pro- turément. Cette situation est en partie imputable considère aussi les pays grammes aux réalités locales. Les élèves n’appren- aux politiques éducatives. «Hérité de l’ère colonia- dans leur environnement régional, lequel revêt une dront pas que les mathématiques, l’histoire ou la le, le système scolaire perpétue les inégalités et il importance déterminante géographie, mais découvriront également les sa- est inadapté au mode de vie des populations», ex- pour leur devenir. voirs locaux. Des membres de la communauté leur plique Fabienne Lagier, conseillère thématique 12 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Afrique de l’Ouest pour les questions d’éducation à la DDC. À titre Le levier international d’exemple, les vacances scolaires ne correspondent Cependant, l’appui à des projets et le dialogue avec pas aux périodes de récolte, durant lesquelles les les gouvernements ne suffisent pas pour réformer enfants doivent aider leurs parents aux travaux des ces systèmes en profondeur.C’est pourquoi la Suis- champs. Autre problème majeur: l’enseignement se intervient parallèlement au niveau international. est dispensé en français, une langue que la plupart L’un de ses principaux partenaires est l’Association des élèves ne connaissent pas en entrant à l’école. pour le développement de l’éducation en Afrique Cette barrière linguistique explique largement les (Adea), un forum de dialogue politique entre taux élevés de redoublements et d’abandons. bailleurs de fonds et ministres africains de l’éduca- Les portes closes de l’école Les Objectifs du Millénaire pour le développement vi- sent notamment à assurer l’éducation primaire pour tous et l’égalité entre les sexes dans l’enseignement d’ici 2015. Si les tendan- ces actuelles se maintien- Transfert des innovations à l’État tion. La DDC y pilote un groupe de travail sur nent, ces buts ne seront La DDC privilégie l’enseignement bilingue:les ap- l’éducation non formelle. «Quand ce groupe a été pas atteints. Environ 75 millions d’enfants, dont prenants s’initient à la lecture et à l’écriture dans créé, en 1996, la plupart de nos membres ne 55% de filles, n’ont tou- leur langue maternelle, avant de passer à l’appren- croyaient pas aux possibilités du secteur non for- jours pas accès à l’école. tissage du français. Elle encourage par ailleurs la mel. Mais, grâce à ses efforts de plaidoyer, la per- L’Afrique subsaharienne, à elle seule, en compte près conception de formations adaptées aux enjeux ception a complètement changé au fil des années», de la moitié. Son taux de du développement rural et susceptibles de favori- se souvient Jean-Marie Byll-Cataria,secrétaire exé- scolarisation a certes aug- ser l’insertion professionnelle des jeunes dans leur cutif de l’Adea. menté ces dernières milieu. L’association s’est fortement engagée en faveur de années, pour atteindre 70% en 2006, mais il reste Convaincus par ces approches alternatives, plus l’utilisation des langues africaines dans l’alphabéti- le plus faible du monde. performantes que l’école classique, certains gou- sation et l’enseignement primaire. Elle y a sensibi- Dans de nombreux pays, vernements ont commencé de les financer et de lisé un nombre croissant d’acteurs, et cela jusqu’au la majorité des enfants les intégrer dans leurs systèmes éducatifs. Ainsi, le plus haut niveau. En effet, l’Union africaine a fait abandonnent l’école avant d’avoir achevé le cycle pri- Burkina Faso a décidé de généraliser le bilinguis- de la question linguistique l’un des sept axes prio- maire. En outre, de profon- me en s’inspirant d’une expérimentation soutenue ritaires de la Décennie de l’éducation en Afrique des inégalités subsistent. par la Suisse et dont les résultats sont éloquents: (2006-2015). C’est la première fois qu’elle traite Au Sénégal, par exemple, les taux d’abandon y sont très faibles et les élèves officiellement ce thème. ■ les petits citadins ont deux fois plus de chances d’être achèvent le cycle primaire en cinq ans au lieu de scolarisés que les enfants six.«Il est essentiel que les innovations puissent être des campagnes. Au Mali, intégrées dans les politiques nationales. Notre ob- les filles des ménages ri- ches ont quatre fois plus jectif final est bien la transformation durable des de chances d’aller à l’école systèmes»,souligne Mary-Luce Fiaux Niada,char- que celles des ménages gée de programme Éducation à la DDC. pauvres. Un seul monde No 2 / Juin 2009 13
« Les Américains ne sont pas plus compétitifs que nous » Michael Riehle/laif Michael Riehle/laif Ndiogou Fall, de natio- nalité sénégalaise, est né en 1955 à Méckhé, ville située à 120 km au nord- est de Dakar. Cet agricul- teur s’engage depuis plus Malgré un riche potentiel agricole, l’Afrique de l’Ouest dépend de 25 ans pour la défense de sa profession, d’abord des importations pour nourrir sa population et les familles ru- dans sa région puis au niveau national et ouest- rales souffrent d’une pauvreté endémique. Pour Ndiogou Fall, africain. Il a notamment dirigé l’Union des groupe- président du Réseau des organisations paysannes et des pro- ments paysans de ducteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), les causes Méckhé et l’Union natio- nale interprofessionnelle de cette situation sont politiques. Entretien avec Jane-Lise des semences. Actif dès 1985 au sein de la Schneeberger. Fédération des ONG du Sénégal (Fongs), il en Un seul monde: L’Afrique de l’Ouest importe dépendances. Dans les années 60, certains gouver- est devenu le secrétaire toujours plus de céréales, de produits laitiers nements ont décrété que l’agriculture devait se général en 1993, avant d’accéder au poste de et de viande. Cela semble paradoxal pour des concentrer sur la production de denrées destinées président, qu’il occupe économies à vocation agricole. à l’exportation, comme le café, le cacao ou l’huile encore aujourd’hui. Ndiogou Fall : C’est une honte, car notre région d’arachide. Lorsque les cours ont chuté, les paysans Depuis 2000, Ndiogou est dotée d’un immense potentiel:des écosystèmes ne gagnaient plus rien et ont dû quitter leurs terres, Fall préside également le Réseau des organisations complémentaires, une population jeune à majori- ce qui a fait chuter également la production de cé- paysannes et des produc- té rurale, des fleuves qui comptent parmi les plus réales. Ainsi, après avoir fait boire du café à tous les teurs agricoles de l’Afrique longs d’Afrique,des terres agricoles à perte de vue, Européens,nous n’avons pas de mil ou de riz à nous de l’Ouest (Roppa). À ce des forêts, une façade maritime très étendue, etc. mettre sous la dent. Mais si les gens partent en vil- titre, il participe régulière- ment à des débats ou fo- Bref,nous avons presque tout ce qu’il faut pour dé- le, ils n’arrêtent pas de manger.Vu la pénurie de rums internationaux. velopper notre agriculture. Et pourtant, nous produits locaux, les citadins consomment donc es- Parallèlement, il continue sommes perpétuellement au bord de la famine. sentiellement des marchandises importées. de gérer sa petite exploi- tation agricole dans le Moins de 25% des pâturages sont utilisés; il en va village de Risso, près de de même pour les terres cultivables: un quart seu- À l’heure actuelle, les gouvernements peu- Méckhé : sur dix hectares, lement sont ensemencées et le taux d’irrigation des vent-ils encore définir des politiques agri- il produit du mil, de l’ara- cultures ne dépasse pas 4%. coles sans consulter les paysans ? chide et élève une dizaine de vaches. Heureusement non.Ils associent de plus en plus les Pourquoi l’agriculture locale ne parvient-elle organisations nationales de producteurs à leurs dé- pas à satisfaire les besoins de la population? cisions. Mais le problème, c’est qu’ils n’ont jamais Cela découle de la logique erronée qui a guidé nos accordé d’importance à l’agriculture. Moins de politiques agricoles et commerciales depuis les in- 10% des budgets nationaux sont affectés au secteur 14 Un seul monde No 2 / Juin 2009
Afrique de l’Ouest Michael Riehle/laif Michael Riehle/laif L’Afrique de l’Ouest possède de riches écosystèmes, des sols fertiles et des paysages variés – comme ceux du pays Dogon (à gauche) ou de la région de Ségou au Mali (ci-dessus). Néanmoins, les paysans ne parviennent pas à gagner un revenu décent, parce que l’Europe et les États-Unis écoulent leurs excédents agricoles à bas prix sur les marchés locaux. agricole, alors que celui-ci occupe plus de 60% de paysannes à conduire des activités économiques en la population. Et encore, cet argent ne sert souvent faveur de leurs membres, à renforcer leurs capaci- qu’à assurer le fonctionnement du ministère. Rien tés et à négocier avec les autorités. Parallèlement, de comparable avec les subventions massives pra- nous intervenons au niveau régional, principale- tiquées par les pays industrialisés. L’Union euro- ment auprès de la Communauté économique des péenne consacre 42% de son budget aux agricul- États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Lors des Défendre les petits teurs, qui représentent à peine 5% de sa popula- négociations commerciales multilatérales, nous paysans tion. Or,la libéralisation du commerce nous expose conseillons les délégations officielles de nos pays. Le Réseau des organisa- à la concurrence déloyale de ces agricultures for- Sur toutes les questions importantes pour le mi- tions paysannes et des tement subventionnées, qui viennent écouler leurs lieu rural, le Roppa interpelle les décideurs, fait producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest surplus en Afrique. Les effets sur nos producteurs connaître ses revendications et mène des cam- (Roppa) se bat pour pro- sont désastreux. pagnes d’information. mouvoir et défendre les petites exploitations fami- Quelles filières sont particulièrement tou- Il vous arrive aussi de descendre dans la liales. À ses yeux, la famille rurale est le socle des so- chées? rue… À quelle occasion, par exemple? ciétés agraires dans les La riziculture, par exemple, concurrencée par les Nous avons organisé des marches de protestation pays africains, un fait que importations en provenance des États-Unis. Le contre les Accords de partenariat économique que la plupart des politiques agricoles ont ignoré jus- paysan américain ne finance de sa poche que 30% l’Union européenne voulait signer avec la Cedeao. qu’ici. Le Roppa veut pro- de la production, tout le reste est supporté par Alors que notre agriculture est très faible, on nous mouvoir une agriculture qui l’État. En plus, il bénéficie de prix garantis par le demandait d’ouvrir complètement nos marchés.Le procure à ces familles un gouvernement. Les exportateurs sont eux aussi Roppa a perçu rapidement le danger de ce libre- revenu décent et leur per- met de rester sur leurs subventionnés. Résultat: le riz américain est ven- échange total et dénoncé les négociations en cours. terres. Créé en 2000, il du en Afrique de l’Ouest à un prix inférieur au Finalement, la Cedeao a admis qu’elle n’était pas rassemble les plates-formes coût de production local, qui est déjà l’un des plus prête à signer ces accords. paysannes de douze pays bas du monde. Ce n’est pas de la compétitivité, ce Nous avons également combattu le niveau déri- (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, terme sacro-saint dont on nous rebat les oreilles. soire des taxes que les pays ouest-africains appli- Guinée, Guinée-Bissau, Si les États-Unis supprimaient toutes ces subven- quent aux marchandises importées. Récemment, Mali, Niger, Sénégal, Sierra tions, leurs paysans ne pourraient pas vendre un ce tarif douanier a été légèrement relevé.C’est une Leone et Togo). Ces douze seul kilo de riz sur nos marchés. Donc, ils ne sont petite victoire, mais cela ne suffit pas à protéger structures nationales re- groupent toutes les organi- pas plus compétitifs que nous. Ils bénéficient sim- notre agriculture. Les denrées importées restent sations faîtières de produc- plement d’un soutien étatique que nous n’avons pas. meilleur marché que celles produites localement. ■ teurs (pêcheurs, éleveurs, maraîchers, producteurs de viande, aviculteurs, etc.) Comment le Roppa s’y prend-il pour dé- qui se sont constituées fendre les intérêts des paysans africains? dans ces pays depuis les Sur le plan national, nous aidons les organisations années 70. Un seul monde No 2 / Juin 2009 15
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